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L’Épître à Philémon


ou  l’Amour en exercice dans la vie journalière

 

par H. Rossier

 

En nous occupant dernièrement de l’épître de Jude (*), nous avons vu que, de toutes les épîtres du Nouveau Testament, aucune n’est plus large dans son application que celle-là, car elle s’adresse, non pas à des chrétiens arrivés à un certain degré de connaissance, mais à tous les appelés en général, à tous ceux qui appartiennent au Seigneur. L’épître à Philémon est, sous ce rapport, la contrepartie de celle de Jude. Il n’y a pas, dans le Nouveau Testament, d’épître qui soit aussi individuelle. Je ne veux pas dire qu’elle soit adressée à un individu — les trois premiers versets nous prouvent le contraire — mais que l’épître elle-même contient des exhortations tout à fait individuelles et ne concernant qu’une seule personne, Philémon.

(*) L’épître de Jude, ou les derniers jours de la chrétienté. Avertissement sérieux à tous les enfants de Dieu, par H. R.

En considérant les diverses épîtres individuelles du Nouveau Testament, on pourra se convaincre de ce que nous venons d’affirmer. Les épîtres à Timothée sont adressées à un individu. Dans la première, l’apôtre recommande à son cher compagnon d’oeuvre, non seulement une certaine conduite personnelle, mais aussi la conduite incombant à tous les chrétiens dans la maison de Dieu qui est l’Église du Dieu vivant. La deuxième épître forme le pendant de la première. Elle considère la maison de Dieu comme étant en désordre, et l’apôtre donne à Timothée des directions, afin que soit lui, soit les croyants, apprennent ce qu’ils ont à faire ou à garder, ce dont il leur faut se séparer, ce à quoi ils doivent se joindre, dans ces temps fâcheux.

Dans l’épître à Tite, vous trouvez quelque chose de semblable : l’apôtre s’adresse à l’individu, mais au sujet de l’ordre et de la sainte doctrine parmi les chrétiens. Son but est donc l’ensemble de l’Église

Nous avons encore les deux petites épîtres de Jean. Elles sont adressées à des individus ; la deuxième à une femme, afin qu’elle apprenne quels sont ceux qu’elle a à rejeter, elle et ses enfants, au milieu de la confusion introduite dans l’Assemblée. Le but est donc général. La ruine était évidente ; il fallait que chacun sût de quoi il avait à se séparer. Il ne s’agissait plus seulement de maintenir la saine doctrine, mais d’éviter les hommes qui abandonnaient la vérité. De même, dans la troisième épître, adressée à Gaïus, le but est général. Gaïus avait à apprendre qui l’on devait recevoir au milieu du désordre régnant, et non plus, comme dans la deuxième épître, qui l’on avait à rejeter. Le but de ces deux épîtres, comme aussi de la seconde à Timothée, est donc la conduite d’un ou de plusieurs chrétiens, au milieu de la chrétienté qui, au point de vue de sa responsabilité, est une église en ruines.

Dans l’épître à Philémon, nous ne trouvons rien de semblable ; il n’y est fait aucune mention de l’influence que ce dernier aurait à exercer autour de lui. Il s’agit ici de circonstances absolument individuelles, et qui semblent, à un lecteur superficiel, devoir contenir bien peu d’instruction. Le sujet en est un événement qui ne s’est présenté dans l’existence d’aucun de nous ; et cependant, ce fait particulier est employé par l’Esprit de Dieu pour nous apporter des vérités de toute importance quant à notre vie et à notre conduite personnelles. Voici le fait : Philémon avait un esclave, Onésime, qui s’était enfui de chez lui, probablement en emportant quelque chose et en faisant, comme on dit, un emprunt forcé à son maître. Onésime s’était réfugié à Rome, où, se trouvant en rapport avec l’apôtre Paul, prisonnier, il avait été converti, puis était devenu son compagnon et son serviteur dévoué dans sa captivité. Maintenant, Paul le renvoyait à son maître. C’est là toute l’histoire. Valait-il la peine que l’Esprit de Dieu nous conservât une épître sur un fait aussi particulier ? Eh bien ! chers amis, si nous n’avions pas l’épître à Philémon, c’est précisément sur les circonstances ordinaires de la vie que nous manquerions d’instruction. Comment vivre Christ dans les événements de la famille, de la maison, dans l’existence vulgaire de chaque jour ? Sauf cette épître, nous n’en trouvons pas une seule, dans le Nouveau Testament, qui ait ce but unique ; de là sa valeur immense.

Lisez les autres épîtres ; elles nous présentent toutes, en même temps que la personne et l’oeuvre de Christ qui en sont le fondement, de grandes doctrines, sur lesquelles notre foi est édifiée, ou bien elles nous disent quelles seront les suites de l’abandon de ces vérités. Nous avons des épîtres, comme celle aux Romains, qui présentent la justification du pécheur et l’affranchissement du croyant ; comme celles aux Corinthiens, qui présentent l’organisation de l’Assemblée de Christ et le ministère ; comme celle aux Éphésiens, qui nous parle de la position de l’Assemblée en Christ dans les lieux célestes et de l’unité de son corps ici-bas ; comme celle aux Colossiens, qui a pour sujet le chef ressuscité de l’Assemblée et porte nos coeurs et nos pensées vers le Christ, caché dans le ciel en Dieu ; comme celles aux Thessaloniciens, qui nous parlent de la seconde venue du Seigneur. Sans terminer cette énumération, nous pouvons dire que les épîtres nous présentent soit la personne de Christ, soit les grands principes de la vérité qui découlent de son oeuvre et les exhortations qui en sont la conséquence.

Dans l’épître à Philémon, rien de semblable. Des circonstances d’un jour, un fait occasionnel ; mais, au milieu de ces circonstances, la vie de Dieu qui se manifeste, une vie d’amour pratique qui se développe d’autant plus merveilleusement que les événements sont, en apparence, d’une portée plus passagère.

N’avons-nous pas précisément besoin de cela ? Nous avons affaire, dans nos vies, beaucoup plus avec de petites qu’avec de grandes choses. Nous sommes appelés, bien davantage, à montrer le caractère de Christ dans les difficultés journalières, faites pour nous irriter, ou pour nous indigner contre ceux qui nous font souffrir injustement, et nous avons besoin de connaître le secret par lequel nous puissions vivre Christ dans ces circonstances où le coeur est souvent froissé, les affections souvent blessées et refoulées.

Ce qui nous est dit de Philémon nous le montre comme un homme très pieux, et l’on ne peut douter qu’il n’ait exercé, par la grâce, une influence chrétienne autour de lui, car sa maison était devenue le lieu d’une assemblée locale. Il se dépensait pour les autres, et les entrailles des saints étaient rafraîchies continuellement par la manière dont il se dévouait à tous. On peut comprendre qu’un tel homme, voyant l’un de ses esclaves auquel il avait, sans doute, témoigné autant de sollicitude qu’aux autres, s’enfuir de chez lui, lui faisant tort par quelque infidélité, on peut comprendre, dis-je, que son coeur fût saisi d’indignation. Ces sentiments peuvent être légitimes, mais y a-t-il, dans de telles circonstances, un moyen de montrer le vrai caractère de Christ ?

Remarquons d’abord que, lorsqu’il s’agit de nos intérêts lésés, nous nous laissons beaucoup plus aller à des sentiments d’irritation que lorsque le même tort est fait à d’autres qu’à nous. N’est-il pas vrai que, pendant des mois, des années peut-être, nous nous souvenons du tort qu’on nous a fait, au lieu de bannir tout ressentiment de notre mémoire, et que ce ressentiment se montre même à l’égard de nos frères ou de nos soeurs en Christ ?

Nous avons donc besoin de l’épître à Philémon pour savoir comment nous pouvons être délivrés de pensées amères ou indignes du Seigneur. Eh bien ! chers lecteurs, que Dieu nous donne de lire cette épître avec prières, et d’y saisir le secret de notre vie chrétienne individuelle et journalière.

Ce secret, hâtons-nous de le dire, est tout simplement l’amour.

 

Oui, l’épître à Philémon est remplie d’amour du commencement à la fin. L’amour nous y est montré sous toutes ses faces.

Considérez Paul en premier lieu : Paul était un apôtre et, comme tel, il avait le droit de commander. Il possédait une autorité, conférée par le Seigneur, avec laquelle il pouvait dire : «Je veux que ceci soit ainsi et pas autrement ;» et les chrétiens devaient se soumettre à sa parole. Dans le cas de Philémon, il aurait pu se prévaloir de ce caractère d’autorité pour exiger la réintégration d’Onésime. Que fait-il ? Se sert-il de ses droits ? Se présente-t-il dans sa dignité d’apôtre pour se faire obéir ? Non, il est «Paul, prisonnier de Jésus Christ» (v.1), et plus loin (v. 9) : «Paul, un vieillard». Il fait montre de sa dépendance, de sa faiblesse. Un prisonnier, chargé de chaînes, un vieillard, ne peut pas revendiquer sa puissance. Et de plus, ce vieillard était affaibli prématurément (car il avait à peine atteint soixante ans à la date de sa mort) par ses innombrables souffrances pour l’Évangile et par la sollicitude qui l’assiégeait chaque jour pour toutes les assemblées. Si Paul, au lieu de se présenter dans sa faiblesse, avait imposé un devoir à Philémon, tout l’enseignement de cette épître aurait été perdu. Au lieu de cela, il prend en amour la dernière place.

«Paul, prisonnier de Jésus Christ, et le frère Timothée, à Philémon, le bien-aimé et notre compagnon d’oeuvre, et à la soeur Apphie, et à Archippe, notre compagnon d’armes, et à l’assemblée qui se réunit dans ta maison». (v. 1-2). Paul lui-même, s’associe, comme en d’autres épîtres, «le frère Timothée», qui avait aussi une autorité pour agir comme délégué de l’apôtre, mais se trouve lié ici, comme simple frère, à l’apôtre prisonnier. Puis il invoque la communion chrétienne pour produire en Philémon tous les fruits de la grâce. Il rassemble, pour ainsi dire, tous les saints de la maison de Philémon, même Apphie, sa femme, et les lie les uns aux autres. Archippe, «compagnon d’armes» de l’apôtre, agissait probablement dans l’assemblée. Le terme de «compagnon d’oeuvre» donné à Philémon et à d’autres (v. 24), est plus général. Chaque chrétien qui avait à coeur l’oeuvre du Seigneur, même ceux qui ne pouvaient combattre pour elle que par leurs prières, était un compagnon d’oeuvre de l’apôtre. Nous pouvons l’être aussi, avoir à coeur les mêmes intérêts que Paul, placer devant Dieu, tout comme lui, les besoins des âmes, prendre part à l’Évangile comme lui. Tels sont ceux que l’apôtre associe à Philémon dans sa salutation, pour s’adresser ensuite directement à celui qui est le chef de la famille.

 

Nous avons vu que cette épître, tout en ayant une adresse générale, a un caractère éminemment individuel. Or, s’agit-il de la prospérité personnelle des saints, de la manière dont ils ont à rendre témoignage et qui doit dominer toute leur vie chrétienne, c’est, comme nous l’avons dit plus haut, par l’amour qu’elles peuvent être obtenues. L’apôtre commence par là, quand il s’adresse à Philémon :

«Je rends grâces à mon Dieu, faisant toujours mention de toi dans mes prières, apprenant l’amour et la foi que tu as envers le Seigneur Jésus et pour tous les saints». (v. 4-5). Il était plein de reconnaissance envers Dieu, parce que, quand il pensait à Philémon, il pouvait rendre grâces de ce que l’amour agissait dans son coeur. Cet amour pour tous les saints, n’est-il pas la chose importante que nous sommes appelés à retrouver aujourd’hui ? Ou bien serait-il peut-être ce qui nous caractérise encore au milieu de l’état misérable dans lequel est tombé, de nos jours, le témoignage de Dieu ? Hélas ! l’apôtre pourrait-il encore rendre grâces à son Dieu en apprenant l’amour qui est en chacun de nous ?

Un point important, que l’on voit se répéter uniformément dans les épîtres, c’est que l’apôtre, au lieu d’envisager les défauts des chrétiens, pense toujours en premier lieu à ce qu’il y a de bien chez eux. Il les prévient, les reprend, de la part de Dieu, mais jamais il ne commence une épître par ces exhortations. Même quand il lui fallait signaler une quantité de désordres qui avaient cours, à Corinthe, dans l’assemblée de Dieu, et qu’il ne pouvait leur dire : Je rends grâces à Dieu de ce que vous êtes fidèles, il dit : Je rends grâces à Dieu de ce que vous ne manquez d’aucun don. Dans notre épître, comme partout, il reconnaît ce que la grâce a opéré et ce que Philémon est pour le Seigneur. Il rend grâces de ce qu’il a trouvé, chez ce cher disciple, une qualité prédominante et qui le distingue. Cette qualité est l’amour. «Apprenant l’amour et la foi que tu as envers le Seigneur Jésus et pour tous les saints». (v. 5).

Pourquoi cet amour envers les saints était-il si vivant chez Philémon ? C’est qu’il était la conséquence de la foi et de l’amour qu’il avait envers le Seigneur Jésus. Cette foi, qui est le partage de tout chrétien, n’est pas ici, comme dans l’épître de Jude, la doctrine chrétienne, mais ce que la grâce a mis dans le coeur pour lui faire saisir Christ, ce don qui permet à l’âme de s’emparer de l’objet que Dieu place devant elle. Mais la foi de Philémon l’avait porté d’emblée au centre de l’amour. Elle n’était pas, comme pour tant de chrétiens, une foi qui répond uniquement aux besoins d’un pécheur et accepte Jésus comme Sauveur. Sa foi avait saisi l’essence divine elle-même, l’amour dans la personne de Christ. Philémon, en suivant la direction de sa foi et en remontant à l’amour de Christ, l’avait reçu dans son coeur par le Saint Esprit, et de là, cet amour s’était répandu sur tous ceux qui appartenaient au Seigneur. Tel est le secret de notre vie chrétienne individuelle. «Apprenant l’amour et la foi que tu as envers le Seigneur Jésus et pour tous les saints».

De l’amour envers tous les saints ! Je désire vivement, chers amis, que nous ne nous occupions pas, en ce moment, de doctrines ; cette épître n’en contient pas — que nous ne nous occupions pas de notre témoignage collectif — d’autres parties de la Parole nous en parlent souvent ; — mais je désire que cette épître produise, individuellement, en chacun de nous, l’amour pratique qui correspond aux pensées de Dieu ; et si, en la lisant, cet effet moral n’était pas produit dans nos coeurs, il nous serait bien inutile d’en continuer la lecture.

L’amour de Philémon s’adressait à tous les saints. Quand il s’agit de nos relations personnelles, les uns avec les autres, est-ce que, je le demande, il n’y a pas un seul d’entre nos frères qui n’ait une part égale d’affection dans nos coeurs ? Ou bien ces coeurs contiennent-ils de la méfiance, de la froideur, de l’amertume, des ressentiments, de l’animosité contre les membres de la famille de Dieu ? Ou pensez-vous peut-être que ce qui nous caractérise est un amour découlant de la foi en Christ, débordant envers les saints, et ne fût-ce que ceux qui sont réunis dans cette salle ? De la part de Christ, chacun de nous est l’objet d’un même amour, immuable et parfait. Avons-nous puisé notre amour à cette source ? Répondons comme devant Dieu, et humilions-nous devant Lui, s’il en est autrement, afin que sa grâce puisse remédier à notre état.

Mais l’amour de Philémon ne s’adressait pas seulement à ceux de sa maison ou de sa connaissance ; il était bien plus vaste ; il s’étendait à tous les saints, sans en excepter un seul ; cet amour, il l’avait puisé dans le coeur de Christ ; dès lors son coeur, comme celui de son Maître, pouvait parcourir le monde entier, partout où se trouvaient des saints.

L’apôtre ne parle pas ici de l’amour qui s’adresse aux pécheurs pour leur annoncer l’Évangile De celui-là, il dit autre part : «L’amour du Christ nous étreint» (2 Cor. 5:14) , mais ici, c’est des saints qu’il est question. Hélas ! cet amour entre les chrétiens s’est refroidi de telle manière, qu’ils ne veulent plus entendre parler aujourd’hui que de l’amour apportant aux hommes la bonne nouvelle du salut. Ils ne connaissent guère que les sympathies naturelles qui unissent ensemble les membres des sectes qu’ils ont formées, et quand leur coeur chrétien cherche occasionnellement à dépasser ces limites, il y est bien vite ramené par des préjugés sectaires qui ont plus de puissance sur lui que la liberté de l’Esprit.

L’amour des saints et l’amour pour les pécheurs, loin de se nuire l’un à l’autre, devraient marcher de concert. L’Assemblée de Dieu, que nous trouvons dans toutes les épîtres de Paul, était le grand sujet de la sollicitude de l’apôtre. Quand il annonçait l’Évangile, même en courant des dangers et en endurant des souffrances de toute sorte, son coeur était profondément réjoui plutôt qu’attristé et, s’il semait avec larmes, il récoltait avec chants de triomphe. Mais, quand il s’agissait de l’Église il souffrait dans son coeur. Le souci pour toutes les assemblées l’assiégeait tous les jours. S’il apprenait que les saints, en quelque lieu que ce fût, marchaient selon les pensées de Christ, il se mettait à genoux et rendait grâces ; s’ils étaient en danger ou marchaient mal, de nouveau, il se mettait à genoux, mais en pleurant, et combattait pour eux par ses prières.

Nous avons à imiter son exemple, mais ne devons-nous pas reconnaître avec humiliation que notre communion avec Christ, dans son amour envers tous les saints, est bien loin de celle de Philémon ? Devons-nous nous borner à cette constatation ? Non ; cet amour, s’il est perdu dans l’Église envisagée comme un tout, peut être retrouvé individuellement à la suite d’un profond jugement de nous-mêmes. Un coeur brisé, qui a besoin de miséricorde, est à même de comprendre et d’apprécier les richesses de l’amour de Christ pour les manifester ensuite.

«En sorte que ta communion dans la foi opère en reconnaissant tout le bien qui est en nous à l’égard du Christ Jésus». (v. 6). Philémon était continuellement en communion de foi avec l’apôtre Paul. La foi était leur point de départ à tous deux ; par elle, ils avaient un objet commun. Philémon trouvait chez Paul un coeur non partagé à l’égard du Christ Jésus. C’est là le secret de l’amour fraternel ; il découle de la communion que nous avons avec Christ. D’autre part, l’apôtre reconnaissait que le large coeur de Philémon embrassait tous les saints, et il ajoute : «Car nous avons une grande joie et une grande consolation dans ton amour, parce que les entrailles des saints sont rafraîchies par toi, frère» (v. 7).

Remarquez toujours de nouveau le rôle de l’amour, dans cette épître. Le résultat de l’activité de Philémon dans l’amour, c’est que les entrailles des saints, leur être le plus intime, étaient rafraîchies. Chers amis, notre amour a-t-il ce caractère ? Semons-nous sur notre passage, dans un complet renoncement à nous-mêmes, dans un entier dévouement pour les enfants de Dieu, ce parfum de l’amour de Christ qui vivifie, ranime, rafraîchit les âmes de tous nos frères ? L’apôtre pourrait-il dire de chacun de nous : «Les entrailles des saints sont rafraîchies par toi, frère» ?

Frère ! comme j’aime ce mot doux et tendre, exprimant si bien le lien vital qui nous unit en Christ, qui exprime notre origine et notre but commun ; d’autant plus intime ici, qu’il n’est pas accompagné, comme autre part, d’un adjectif tel que «bien-aimé» pour le faire ressortir. Je comprends, par ce simple mot, tout ce qu’il y avait de profond dans les sentiments du coeur de l’apôtre pour Philémon.

 

Au v. 8, nous entrons dans le sujet même de l’épître :

«C’est pourquoi, tout en ayant une grande liberté en Christ de te commander ce qui convient, — à cause de l’amour, je te prie plutôt, étant tel que je suis, Paul, un vieillard, et maintenant aussi prisonnier de Jésus Christ.».. (v. 8-9). Nous sommes ici en présence de deux principes. Tous deux peuvent produire l’obéissance. Le premier est l’autorité. Les pères et les mères le savent bien ; c’est par ce principe qu’ils obligent leurs enfants à obéir. L’apôtre avait, comme nous l’avons vu plus haut, une autorité qui lui donnait le droit d’exiger l’obéissance des chrétiens. Il était parfaitement libre d’user de ce droit vis-à-vis de Philémon. Mais il l’abandonne pour donner libre jeu à l’amour. S’il avait commandé à Philémon de recevoir son esclave fugitif, il n’aurait nullement donné essor aux sentiments du coeur de son frère. Ce dernier aurait obéi, sans doute, mais cette obéissance aurait pu ne rien changer au ressentiment qu’il devait avoir envers son esclave ingrat et infidèle.

Le second principe qui produit l’obéissance est l’amour. Philémon, comme nous l’avons vu, le connaissait et le pratiquait, mais l’apôtre l’engage ici à être d’accord avec ses sentiments à lui, dans la difficulté présente. «À cause de l’amour, je te prie plutôt.».. Rien ne produit chez les enfants de Dieu une conduite conforme aux sentiments de Christ comme l’amour. Si, par sa propre nature, l’autorité prend toujours la première place, l’amour prend toujours la dernière. Paul prie Philémon. Lui, le grand apôtre des gentils, revêtu de la dignité d’un envoyé de Dieu, lui, dont la vie avait glorifié Christ et commandait la vénération et le respect, vient à Philémon en suppliant. «À cause de l’amour, je te prie plutôt», dit-il, «étant tel que je suis, Paul, un vieillard et maintenant aussi, prisonnier de Jésus Christ». (v. 9). Non pas un apôtre, mais un vieillard, un prisonnier. On a pitié d’un vieillard, d’un homme au déclin de ses forces ; on aime à lui servir de soutien. On a de la commisération pour un prisonnier, quoique celui-ci ne s’estimât pas prisonnier des hommes, mais de Jésus Christ. L’apôtre oublie sa dignité, s’humilie en amour aux pieds de Philémon, et cependant toute son épître est un secours, une aide qu’il accorde à ce cher serviteur de Dieu. Tel est le caractère par lequel nous pouvons gagner les coeurs de nos frères, et les rendre capables d’être l’image de Christ ici-bas, en produisant chez eux des sentiments qui sont d’accord avec Celui qui est doux et humble de coeur.

 

L’apôtre en arrive maintenant à sa requête au sujet d’Onésime. Ici, vous serez frappés comme moi d’un passage du Deutéronome : «Tu ne livreras point à son maître le serviteur qui se sera sauvé chez toi d’auprès de son maître ; il habitera avec toi,... dans le lieu qu’il choisira en l’une de tes portes, là où bon lui semble : tu ne l’opprimeras pas» (Deut 23:15-16). L’apôtre fait ici directement le contraire de ce que la loi ordonnait de faire. Onésime était un esclave fugitif qui avait trouvé un refuge auprès de Paul. La loi commandait, dans ces circonstances, que l’esclave restât chez celui qui l’avait reçu, parce que, établissant que le coeur de l’homme était méchant et mauvais, elle ne voulait pas offrir une occasion de vengeance, aux passions et aux instincts cruels du maître. Mais ici, l’apôtre dit : «Je te l’ai renvoyé». Pourquoi cette contradiction ? C’est que le règne de la grâce avait tout changé. La loi, étant le contraire de la grâce, ne pouvait supposer une nouvelle nature et l’amour de Dieu versé dans le coeur de l’homme par le Saint Esprit. Sous la grâce, toutes les relations avaient un autre caractère. La vie nouvelle, dans le chrétien, connaissait et pouvait pratiquer l’amour. L’apôtre lui-même, si plein d’amour, avait pu le constater chez Onésime, l’esclave converti, qui s’était entièrement dévoué à lui ; il le connaissait dans la conduite de Philémon, dont l’amour avait rafraîchi les entrailles des saints. Un lien était ainsi formé par la vie divine entre l’apôtre, Philémon et Onésime. Paul pouvait donc compter sur cet amour chez les autres, car son amour, à lui, était plein de confiance, croyant tout, espérant tout. Comment mettre en doute l’amour dans le coeur de Philémon ? Comment ne pas agir selon ce principe, et non selon la loi, auprès de ce fidèle serviteur des saints ?

«Je te prie pour mon enfant que j’ai engendré dans les liens, Onésime (le nom d’Onésime signifie profitable), qui t’a été autrefois inutile, mais qui maintenant est utile à toi et à moi», et encore, au v. 20 : «Que moi, je tire ce profit de toi, dans le Seigneur». Le profit qu’il voulait tirer de Philémon était de lui faire recevoir Onésime, mais il comptait si bien sur son amour qu’il dit : «Lequel je t’ai renvoyé, — lui, mes propres entrailles». (v. 12). Philémon avait «rafraîchi les entrailles des saints ;» son amour cherchait toujours à leur venir en aide ; il les avait encouragés, ranimés, réjouis dans leurs besoins divers. L’apôtre ne lui demande pas ce même service pour lui, personnellement ; il ne songe pas à lui-même ; il avait certes besoin d’être rafraîchi, dans sa prison, par les témoignages d’amour qu’il recevait de divers côtés, et combien peu nombreux en somme, pour celui qui avait voué sa vie à Christ, à son oeuvre et à ses rachetés ; mais, quand il parle à Philémon, il n’a pas d’autres entrailles qu’Onésime. Cet esclave, infidèle et transfuge, pas plus considéré, dans le monde d’alors, qu’un vil bétail, sauf pour les avantages matériels qu’on en pouvait tirer, il le considère comme ses entrailles à lui, ce qu’il y avait de plus intime dans ses affections. C’est que la foi était née dans ce coeur et que l’apôtre avait été l’instrument de cette conversion ; c’est qu’Onésime était devenu un enfant de Dieu et un enfant de Paul qui l’avait engendré dans ses liens. Les relations matérielles avaient disparu devant les relations spirituelles. Onésime était un nouvel homme. Aussi l’apôtre dit : Reçois-le, «lui, mes propres entrailles», et plus loin : «Rafraîchis mes entrailles en Christ». Et il ne doute pas un instant de l’obéissance de Philémon à l’appel de l’amour. (v. 21).

N’est-il pas merveilleux d’assister au développement des affections chrétiennes dans une âme ? Nous apprenons à les connaître d’une manière toute particulière dans cette épître à Philémon. Puissions-nous aussi constater ces fruits de la vie divine les uns chez les autres.

L’apôtre dit ensuite : «Moi, j’aurais voulu le retenir auprès de moi, afin qu’il me servît pour toi dans les liens de l’évangile ; mais je n’ai rien voulu faire sans ton avis, afin que le bien que tu fais ne fût pas l’effet de la contrainte, mais... volontaire». (v. 13-14). Comme il s’efface ! Comme il essaie peu de maintenir ses privilèges et son autorité ! Lui, le grand apôtre, s’assied, pour ainsi dire, aux pieds de Philémon pour recevoir son avis. Telle est la vraie humilité. Pour nous qui n’avons rien de cette autorité apostolique, nous abaisser ne devrait pas être chose difficile. Mais l’amour occupe une telle place dans le coeur de Paul qu’il s’abaisse au-dessous de Philémon, au-dessous même d’Onésime, esclave indigne, afin de pouvoir servir l’un et l’autre. Il sait que, par la contrainte, on est obligé de se soumettre, mais que par elle rien n’est produit dans le coeur ; et que l’amour, en s’abaissant, peut seul y faire naître l’amour. Paul voulait que ce qu’il proposait à Philémon ne fût pas l’effet de la contrainte, mais un acte de bonne et libre volonté envers son esclave fugitif.

«Car c’est peut-être pour cette raison qu’il a été séparé de toi pour un temps, afin que tu le possèdes pour toujours, non plus comme un esclave, mais au-dessus d’un esclave, comme un frère bien-aimé, spécialement de moi, et combien plus de toi, soit dans la chair, soit dans le Seigneur». (v. 15-16). Ainsi nous rencontrons partout l’amour dans cette courte épître ! Paul veut que Philémon possède Onésime pour toujours, soit dans la chair, soit dans le Seigneur. Il y avait un lien selon la chair entre un maître et son esclave, car ce dernier faisait partie de la maison de son seigneur, mais qu’était ce lien, comparé à celui qui rendait Philémon et Onésime frères en Christ ? L’un devait posséder l’autre, non pas pour un temps, mais pour toujours. Dieu avait eu un but ; il s’était servi de l’ingratitude et de l’infidélité d’Onésime envers un bon maître, pour le mettre en rapport avec l’Évangile et le convertir, et maintenant l’apôtre le renvoyait à Philémon, afin qu’il se formât entre eux des liens nouveaux, qui ne pourraient pas même être rompus par la mort, des liens éternels.

Je crois, chers amis, que, dans nos rapports les uns avec les autres, nous oublions souvent l’importance de ces liens-là. Des frères, des soeurs en Christ, sont en relation sur le pied de l’amitié selon la chair, plutôt que sur celui d’une communion, formée par le Saint Esprit entre les membres de la famille de Dieu, entre les membres de Christ. Une telle chose ne devrait jamais avoir lieu. Cela ne signifie nullement que si vous voyez une âme faire des progrès dans l’amour, dans la piété, dans le dévouement pour Christ, dans la connaissance et la soumission à sa Parole, votre coeur ne puisse goûter, d’une manière spéciale, la communion avec elle. On le voit dans les relations de Christ lui-même avec ses disciples ; on le voit aussi dans cette épître. Paul était lié d’une manière particulière avec Philémon, parce qu’il était un homme très dévoué et pieux ; mais nous avons à nous mettre en garde, dans l’assemblée de Dieu, contre des liens contractés par une communauté de goûts, d’éducation, de position sociale, auxquels nous donnerions le pas sur les liens éternels dans le Seigneur.

«Comme un frère bien-aimé». Cet esclave était devenu, par sa conversion, le frère bien-aimé de Philémon, objet d’une affection particulière, comme il l’était de Paul. «Si donc tu me tiens pour associé à toi, reçois-le comme moi-même». (v. 17).

Que cette parole de l’apôtre est touchante : Si tu me tiens pour associé à toi ! Il donne à Philémon la première place, la place de dignité dans l’association, et met un tel prix à son affection qu’il prend volontairement le second rang. De plus, il lui demande de recevoir son esclave, comme lui-même, l’apôtre, sachant fort bien comment Philémon le recevrait, lui. Il met un prix immense au caractère produit par la grâce et par la vie de Dieu dans cet être, autrefois abject et dégradé, et il met ce même prix au caractère de Philémon.

«Mais, s’il t’a fait quelque tort ou s’il te doit quelque chose, mets-le-moi en compte». (v. 18). On voit par là qu’Onésime est supposé avoir fait du tort à Philémon ou s’être approprié quelque chose qui appartenait à son maître. «Moi, Paul, je l’ai écrit de ma propre main ; moi, je payerai, pour ne pas te dire que tu te dois toi-même aussi à moi». (v. 19). Ces mots : «Je l’ai écrit de ma propre main», sont très frappants. Souvent l’apôtre écrit de sa propre main, soit des salutations, soit toute une épître, pour garantir et accréditer son contenu. Ici, il prend solennellement envers Philémon, l’entière responsabilité des actes qu’Onésime avait pu commettre. N’est-ce pas là reproduire le caractère de Christ qui a pris, vis-à-vis de Dieu pour nous, la pleine et entière responsabilité de tous nos actes ? Il a payé notre dette jusqu’à la dernière pite. De tels sentiments chez l’apôtre provenaient d’un coeur en communion avec celui du Seigneur et qui connaissait la valeur de son sacrifice pour les siens. Il vivait si près du Sauveur qu’il était capable de reproduire ses traits. Étienne ne faisait-il pas de même quand, sous les coups de ceux qui le lapidaient, il voyait Jésus et parlait comme lui ? L’apôtre ne veut pas exercer une contrainte sur Philémon et ne lui impose rien, sachant qu’il ne se dérobera pas à son devoir ; aussi dit-il : «Pour ne pas te dire que tu te dois toi-même à moi. Oui, frère, que moi je tire ce profit de toi, dans le Seigneur : rafraîchis mes entrailles en Christ. Ayant de la confiance dans ton obéissance, je t’ai écrit, sachant que tu feras même plus que je ne dis. Mais, en même temps, prépare-moi aussi un logement, car j’espère que, par vos prières, je vous serai donné». (v. 20-22).

Avant de terminer, chers amis, je voudrais vous poser une question. Qu’est-ce qui vous fait penser que Philémon ait obéi à ce que l’apôtre lui écrivait ? Cette épître ne nous renseigne pas sur ce point, et cependant vous répondez : Personne ne me l’a dit, mais je le sais. Pourquoi le savez-vous, pourquoi tirez-vous cette conclusion ? C’est que, votre certitude, vous la puisez dans l’amour, et que vous n’avez aucun doute à cet égard. Il est impossible, lorsque vous voyez ces trois hommes : l’apôtre avec un coeur brûlant d’amour, Philémon tout rempli d’amour, et Onésime, servant Paul en amour comme un fils sert son père, puis consentant à se rendre auprès de Philémon pour y reprendre son joug, si son maître en décide ainsi — il est impossible, dis-je, que telle ne soit pas votre réponse. Philémon a écouté l’apôtre, parce qu’un lien d’amour les unissait. Nos rapports individuels les uns avec les autres, n’ont pas d’autre secret : notre conduite personnelle ne doit être réglée que par l’amour. Là où il manque, c’est la ruine morale et irrémédiable ; là où il s’affaiblit, Christ est déshonoré et notre témoignage perd toute sa valeur.

«Épaphras, mon compagnon de captivité dans le Christ Jésus, Marc, Aristarque, Démas, Luc, mes compagnons d’oeuvre, te saluent. Que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit !» (v. 23).

Épaphras, dans les passages où il est cité, a le caractère, soit d’esclave de Jésus Christ, soit de compagnon de captivité de l’apôtre. Marc avait été restauré après avoir été la cause de la séparation de Paul et de Barnabas ; il était le compagnon d’oeuvre de l’apôtre, ainsi qu’Aristarque et Luc. Luc, le médecin bien-aimé, avait servi l’apôtre dans presque tous ses voyages missionnaires. C’est de lui que nous avons ce merveilleux évangile du caractère humain du Sauveur. Démas, hélas ! aussi cité avec Luc dans les Colossiens, a mal fini : «Démas», dit Paul, «m’a abandonné, ayant aimé le présent siècle». (2 Tim. 4:10). Quelle fin pour un compagnon d’oeuvre de l’apôtre ! il avait aimé le monde et avait abandonné le témoignage de Paul, prisonnier de Jésus Christ. N’est-ce pas un sérieux avertissement pour nous ? Le témoignage du Seigneur est incompatible avec l’amour du monde. Si ce service exige du renoncement, il est accompagné de si riches bénédictions et de si précieuses promesses, qu’une inqualifiable légèreté peut seule le faire abandonner. De plus, les forces pour y marcher s’accroissent à mesure qu’on y avance, et la fraîcheur spirituelle s’y renouvelle jusqu’au bout, quand le coeur est occupé de Christ, de sa personne, avec ses richesses insondables, de Christ, l’amour lui-même, dans sa fraîche, radieuse et suprême beauté

Démas avait abandonné ce chemin !

Que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ nous y maintienne ! Qu’elle soit avec notre esprit !

Amen.