A-t-on tout oublié ? L’euthanasie dans le Troisième Reich

 

Michael Vogelsang

Folge mir nach 2017-9 p. 4-8

 

Parmi les terribles événements de l’ère nazie figure la politique d’euthanasie. Est-ce de la vieille histoire d’intérêt seulement historique ? Ou bien y trouve-t-on des modèles de comportement et des modes de pensée à ne pas oublier — surtout dans les débats actuels sur l’euthanasie ? Nous jetterons ainsi un coup d’œil aux événements de cette époque sombre et inhumaine.

En 1920, un livre du juriste Karl Binding et du psychiatre Alfred Hoche a été publié sous le titre «Déblocage de l’abolition de la vie indigne d’être vécue». C’est là que l’expression «vie indigne d’être vécue» est apparue pour la première fois et que l’on a commencé à estimer que, dans certains cas, il était justifié de tuer des personnes souffrant de maladies incurables ou de handicaps graves. Dans son livre, Hoche utilisait pour ces personnes la terrible expression d’«existences de ballast». Il se lança à cette occasion une propagande qui mettait de côté les valeurs bibliques de miséricorde et d’amour du prochain.

Sur la base de ces idées, le directeur de l’institut psychiatrique Kaiser Wilhelm de Munich, le professeur Ernst Rudin, devint un des principaux partisans de la stérilisation forcée. En quatre ans, on stérilisa près de 300000 personnes, dont plus de la moitié parce qu’elles avaient échoué à des «tests d’intelligence». Au début de la seconde guerre mondiale (1939), ces stérilisations furent interrompues et commença leur remplacement par la mise à mort de patients adultes et mineurs. Les parents et les proches d’enfants gravement handicapés formulaient auprès d’institutions compétentes leur désir de procéder à une «mort par compassion».

Le premier cas à atteindre une triste notoriété fut celui de «l’enfant Knauer» : un nouveau-né souffrant de malformations des membres et de cécité congénitale ; sa mise à mort fut effectuée avec l’autorisation personnelle d’Adolf Hitler et avec le consentement des parents. À la suite de ce «test réussi», on se mit à enregistrer tous les enfants de moins de trois ans atteints de «maladies héréditaires graves». À la fin de la guerre, 6000 enfants étaient morts par injection létale ou par défaut d’alimentation.

 

La mise en œuvre de programmes d’euthanasie chez les adultes commença en 1939 sous le nom d’«Action T4». Pour assurer 70000 lits d’hôpitaux aux blessés de guerre, toutes les institutions publiques devaient signaler les personnes malades depuis plus de cinq ans, ou en incapacité de travailler. Ces patients furent en grande partie gazés ou brûlés. On établissait de faux certificats de décès, et les proches étaient facturés pour le «traitement» et l’ensevelissement. Lorsqu’il y eut suffisamment de lits d’hôpitaux en 1941, l’Action T4, qui avait été rendue publique entre-temps, fut arrêtée, et les installations d’extermination correspondantes furent réorientées vers l’anéantissement des Juifs, des Polonais, des Russes et des Allemands déplaisants au régime.

Des millions de personnes sont ainsi mortes dans les camps de concentration nazis. Des médecins furent impliqués dès le début, parfois volontairement, dans l’ensemble de ce processus d’euthanasie, depuis la notification, en passant par la sélection et l’autorisation, jusqu’à l’exécution. Comment l’expliquer ? Une telle chose ne contredit-elle pas l’éthique professionnelle du personnel de la santé ? Cela commença par un changement subtil et sophistiqué dans l’attitude des médecins : on parla de vie qui ne valait pas la peine d’être vécue («vie indigne d’être vécue»). Cela brisa un barrage. Au début, il s’agissait uniquement de patients inguérissables. Mais la liste s’étoffa rapidement jusqu’à inclure...

·         Les inutiles socialement,

·         Les indésirables idéologiquement,

·         Les indésirables ethniquement,

·         en fin de compte tous les non-Aryens.

 

N’y a-t-il pas là des expériences historiques qui devraient nous sensibiliser aux évolutions de notre époque. Peut-on diviser la vie humaine en différentes catégories de «valeur de vie» ? La vie humaine reste-t-elle fondamentalement hors du contrôle de l’homme, ou bien l’homme a-t-il le droit d’intervenir ?  Parmi de nombreux autres péchés, le prophète Amos critiquait au nom de Dieu celui du manque de respect pour la vie, à la fois au commencement de la vie (1:13 — «les fils d’Ammon ont éventré les femmes enceintes de Galaad»), et en fin de vie (2:1 — Moab «a brûlé à la chaux les os du roi d’Edom»).

 

Il faut maintenant réfléchir sur la manière dont s’est installé le processus du troisième Reich pour atteindre son objectif. Quelques points ressortent ici :

 

A)    LA PROPAGANDE

L’opinion publique est influencée par la propagande. Des films tels que «J’accuse» (1941) dépeignent l’euthanasie comme une rédemption miséricordieuse. Le film raconte l’histoire d’une femme atteinte de sclérose en plaques qui se met à désirer le suicide, et son mari, un médecin, le met en œuvre, pendant que, dans la pièce à coté, un ami joue tranquillement du piano.

 

B)    LES EUPHÉMISMES

L’utilisation d’euphémismes banalise les faits, et confère l’acceptabilité aux actions.

·         L’organisation du meurtre des enfants handicapés est confié à un «Comité d’enregistrement scientifique des maladies graves héréditaires et congénitales».

·         Le véhiculage des adultes malades vers les centres d’extermination est effectué par la «Société d’utilité générale de transport des malades».

·         Les frais d’euthanasie sont facturés aux proches par un «Bureau central de compensation pour les cliniques et maisons de retraite».

 

C)    L’ANALYSE COÛTS-AVANTAGES

Dans des écoles, les élèves ont à résoudre des problèmes de mathématiques où l’on compare le coût de la location d’un petit appartement avec le coût de la prise en charge des «paralytiques, des criminels et des fous». — Selon les calculs officiels, l’«Aktion T4» a permis à l’État d’économiser chaque jour 245955 marks en tuant 70000 patients. — Déjà dans le livre mentionné au début de cet article, on trouvait des formules terribles allant dans ce sens : «Les institutions qui servent aux soins des idiots sont réaffectées à d’autres buts ; s’agissant d’institutions privées, il faut calculer l’intérêt ou l’utilité ; un personnel infirmier de plusieurs milliers de personnes est immobilisé à cette tâche totalement infructueuse et des tâches exigeant des soins en sont privées ; c’est une idée pénible que des générations entières d’infirmières soient laissées à languir à côté de ces coquilles humaines vides, dont certaines vivent jusqu’à au moins 70 ans et plus».

On voit par ces exemples que la valeur de certains humains était dégradée, — au moment où, par ailleurs, celle des animaux était réhaussée. Les lois sur la protection des animaux étaient particulièrement strictes (on ne parle pas de la situation en 2017 !).