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QUELQUES LETTRES DE JOËL DELARBRE

 

 

TOMBÉ SUR LE FRONT LE 9 JUIN 1915 (https://www.champis.fr/DELARBRE-Joel-Louis)

 

 

 

La mémoire du juste est en bénédiction

Étant mort, il parle encore.

 

Prov. 10:7 ; Héb. 11:4

 

Joël Delarbre partait pour la guerre, comme soldat, dès le début des hostilités, au commencement d’août 1914. Le départ eut lieu dans la nuit du dimanche au lundi. Le dimanche notre frère se leva et édifia l’assemblée. Au sortir du culte, une sœur, d’un air heureux, dit à la mère de Joël

 — Alors Joël ne part pas ?

 — Mais oui ; il part cette nuit !

 — Comment, il part et il est si calme, si paisible ?...

 

Sur le front, au cours d’une attaque, notre frère eut le corps et le poumon traversés d’outre en outre par une balle. Etendu sur le champ de bataille, il dit : Seigneur ! que veux-tu faire de moi ?-La réponse se fit aussitôt dans cette parole du prophète Ésaïe, qui lui vint à l’esprit : «Il ne brisera pas le roseau froissé, et n’éteindra pas le lin qui brûle à peine..» (Ésaïe 42:3). — Les Français reculaient et les Allemands avançaient

 

 — Pauvre ami... ! disaient les premiers en passant près de lui, tomber entre les mains des Allemands !

— Soyez tranquilles ! — mon Seigneur est là ; je suis sans crainte !...

 

Le fait est que les Allemands ne l’aperçurent pas, et que les Français, ayant repris l’avantage, le recueillirent, après être resté étendu toute la journée sur le champ de bataille. — Très bien soigné par les médecins français, Delarbre regagnait son dépôt à Privas au commencement de janvier 1915, et partait de nouveau pour le front dès les premiers jours de février. C’est là qu’il tomba, comme foudroyé par un obus, le 9 juin 1915, à 11 heures du matin, aux tranchées, près de Ville-sur-Tourbe.

 

Le caporal Delarbre reçoit l’ordre de rétablir la circulation dans une tranchée obstruée par les obus ennemis. Des soldats lui sont donnés dans ce but. Les obus tombent dru. Le travail presque achevé, Joël Delarbre sort de la tranchée et vient près de l’adjudant. Il était là depuis un moment lorsqu’un obus tombe, éclate, sans toucher l’adjudant, tandis que notre ami a la jambe droite broyée, le côté droit déchiqueté et la tête frappée aussi par un éclat. Instantanément il tombe sans connaissance ; «il était absent du corps et présent avec le Seigneur».

 

Lorsque ses amis apprirent la fatale nouvelle, deux d’entre eux, deux heures après, se trouvaient déjà sur le lieu du sinistre. Le corps n’y est plus ; il a été transporté à Ville-sur-Tourbe, dans une chambre, recouvert de sa capote. Dans la poche de sa veste, ils trouvèrent trois passages du calendrier biblique, collés sur de petits cartons, et son carnet de notes. Le soldat, qui donne ces détails, écrit : «J’en pris un, mon camarade un autre, et nous laissâmes le troisième dans la poche. Ce verset était le mien : «Son visage rayonnait parce qu’il avait parlé avec Lui» (Ex. 34:29). Je le pris parce qu’il disait si bien l’expression de bonheur qui rayonnait du visage de Joël : son corps était dans un état indescriptible, mais son visage, comme celui de Moise quand il descendit de la montagne, rayonnait parce qu’il parlait avec Lui, son précieux Seigneur et Sauveur Jésus Christ.

 

Le même, jour, à 5 h. du soir, Joël Delarbre fut enseveli, porté par quatre frères en Christ et suivi par deux autres ; touchant témoignage rendu par notre Dieu à son jeune et fidèle témoin.

 

L’adjudant, aux côtés duquel notre frère fut tué, a rendu à un cousin de celui-ci, lui-même sur le front et accouru à Ville-sur-Tourbe deux jours après la mort, ce beau témoignage : «La perte du caporal Delarbre me peine profondément. Comme soldat, j’ai perdu le meilleur de mes gradés, quelqu’un sur qui l’on pouvait compter dans les mauvais pas. Comme homme, il possédait des pensées élevées, qui le faisaient estimer et aimer de tous. Dites à ses chers parents que je garderai un souvenir inaltérable des conversations que j’ai eues avec leur fils. Exprimez-leur ma vive sympathie à leur grande douleur. Dites-leur que leur fils est enseveli dans le cimetière militaire de Ville-sur-Tourbe, dans une prairie non loin de la route. Une croix avec son nom, placée par ses amis, marque l’endroit où repose l’un de nos meilleurs soldats».

 

Dans une lettre écrite aux chers parents Delarbre au sujet de la mort de leur fils, un frère s’exprime comme suit : «... Le Seigneur avait remarquablement formé Joël pour traverser les circonstances extra-pénibles de la guerre actuelle. Par elles, il le prépara admirablement pour le ciel. Ses lettres montrent qu’il envisageait les choses sous leur vrai jour, et cela par la grâce de Dieu agissant dans son cœur. Pour tous ceux qui en auront connaissance, elles seront d’un grand réconfort, pleines de fraîcheur spirituelle, de touchante simplicité, de consolations puisées à la source même et réellement édifiantes. En les lisant, il semble qu’on l’entende : c’est bien lui !

 

L’amour de Dieu envers chacun des siens est parfait. Lui qui dès le commencement connaît déjà la fin, avait donné à notre ami une connaissance remarquable des choses selon Dieu. Cette connaissance s’est développée rapidement en profondeur et en étendue dans la communion étonnante avec le Seigneur dans laquelle il fut gardé au travers des scènes sans nom de la guerre actuelle. Notre jeune frère était arrivé à une maturité spirituelle qui nous humilie profondément, car Joël n’avait que 25 ans lorsqu’il est mort...».

 

En lui, Dieu nous a laissé un exemple des fruits bénis et glorieux que sa grâce peut produire dans un cœur droit, humble, soumis, uni à la crainte de son Nom. C’est dans sa piété sincère que se trouve le secret de la réalisation pratique de son caractère d’étranger et forain sur la terre, mais d’heureux citoyen du ciel. Car, comme quelqu’un l’a dit : «Pour un chrétien, le secret de la paix intérieure et de la puissance au dehors, est d’être uniquement et constamment occupé avec le Seigneur».

 

Son souvenir rappelle ces paroles du Seigneur : «À quiconque a, il sera donné» (Luc 8:18), et : «Donnez, et il vous sera donné : on vous donnera dans le sein bonne mesure, pressée et secouée et qui débordera» (Luc 6:38).

 

Nous sommes maintenant dans l’affliction pour un peu de temps par diverses tentations si cela est nécessaire, «afin que l’épreuve de votre foi, bien plus précieuse que celle de l’or qui périt, nous dit l’apôtre Pierre, soit trouvée tourner à louange, et à gloire, et à honneur dans la révélation de Jésus Christ, lequel, quoique vous ne l’ayez pas vu, vous aimez, et, croyant en lui, quoique maintenant vous ne le voyez pas, vous vous réjouissez d’une joie ineffable et glorieuse..» (1 Pierre 1:6-8). «Ne rejetez donc pas loin votre confiance, qui a une grande récompense. Car vous avez besoin de patience, afin qu’ayant fait la volonté de Dieu, vous receviez les choses promises. Car encore très peu de temps et Celui qui vient viendra et il ne tardera pas» (Hébr. 10:35-37). «Or ne nous lassons pas en faisant le bien, car, au temps propre, nous moissonnerons, si nous ne défaillons pas (Galates 6:9). Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes, inébranlables, abondant toujours dans l’œuvre du Seigneur, sachant que votre travail n’est pas vain dans le Seigneur» (1 Cor. 15:58). «Comme nous en avons l’occasion, faisons du bien à tous, mais surtout à ceux de la maison de la foi» (Galates 6:10). «Car le fils de l’homme viendra dans la gloire de son Père, avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon sa conduite» (Matt. 16:27).

 

«Celui qui rend témoignage de ces choses dit : Oui, je viens bientôt. — Amen ; viens, Seigneur Jésus !» «Que la grâce du Seigneur Jésus Christ soit avec tous les saints» (Apoc. 22:20, 21).

 

Agiez (Vaud, Suisse), le 27 mars 1919.

 

L. Poget-Junod

 

1                    Le 2 février 1915

 

… Je pars pour les tranchées, en pleine paix, heureux, oui, bienheureux : «quand Jésus a mis dehors ses propres brebis, il va devant elles. Il est là, mon Bon Berger ; il marche devant moi ; c’est lui qui me dis : «Ne crains point».

 

Parfois le chemin est rude, mais tout est bien : la détresse de l’homme fait l’occasion pour Dieu ; c’est pour lui le «temps convenable». Jadis tout allait à notre gré, et nous n’avons pas su le glorifier. Aujourd’hui il nous discipline pour notre profit et non pour que nous perdions courage : ce sont des voies d’amour afin que nous le recherchions avec plus de soin.

 

... Je suis dans un grenier. Une grosse et large planche, posée sur deux tonneaux, me sert de table, et je dois être à genoux pour écrire. — Cette nuit, j’eus chaud, enfoui dans le foin, si l’on peut appeler de ce nom un tas de saletés où se trouvent des débris de pain, de vieilles boîtes, de vieux et sales chiffons. Chaque fois que je m’y enfonçais, je croyais être dans la vermine ; mais non, car ce matin je n’en ai point aperçu.

 

Ce ne sont pas proprement les premières lignes, mais à deux ou trois cents mètres de celles-ci. C’est un tout petit bois, où j’avais déjà passé quatre jours. Les abris sont tout à fait sous terre, protégés contre la pluie par des tôles ondulées, avec 30 cm de terre dessus. La lumière y pénètre très difficilement par les deux ouvertures aux extrémités. Nous n’avons pas froid, mais de la boue, moins qu’auparavant, car il pleut moins ces derniers jours. Tandis que je vous écris, je le fais nettoyer. Quelle saleté ! de la paille sur laquelle on couche, mange et marche, où la vermine prospère. Par une grande propreté, on peut s’en garantir : tous les huit jours je change de linge et prends une douche, car on en donne aux soldats. Quelques-uns les refusent ; pour moi j’en sens un tel besoin que je me hâte pour la prendre. Dans les tranchées il y a des galoches ou sabots ; ils rendent d’utiles services, surtout contre le froid et l’humidité des pieds. Ceux que je porte sont très gros, ce qui me permet de les remplir de foin et d’y enfoncer le pied. Avec tout cela, je marche avec peine, tant ils sont spacieux.

 

Puisque vous me le demandez, je vous dirai que la nourriture consiste en un peu de soupe, apportée avant le jour, une petite ration de viande et un quart de café. C’est le premier repas. Le second est à la nuit, vers les six heures, identique au premier. Le plus souvent il m’est impossible de manger cette viande. Nous recevons encore un petit quart de vin et une goutte d’eau-de-vie.

Rarement pour le souper, nous recevons un peu de viande, du fromage ou du chocolat.

Loin de me plaindre, je désire que bien des soldats soient aussi privilégiés que moi, car je sais m’arranger et possède le nécessaire. Le petit réchaud me rend de grands services, je fais même du chocolat ou du cacao...

 

2                    Montzéville, le 1° février 1915

 

Votre lettre est venue me trouver ici, où je suis au repos pour quatre jours : trois sont écoulés, demain soir nous retournons aux tranchées. Ma santé est très bonne ; je ne me ressens pas du tout de mon côté. À tous égards, je suis bien, par la grâce de Dieu. Ah ! oui, comme vous le dites, cher frère bien-aimé, le Seigneur a soin de toutes ses chères brebis. Il les soigne d’une manière individuelle et pratique. Que de fois n’ai-je pas fait l’expérience de ses soins tendres et constants : «Il va devant elles sans jamais se lasser», voilà qui est précieux ! À chacune d’elles, il donne ses soins pleins d’intelligence et de tendre bonté, quel cœur d’amour que le sien ! Quelle place bénie que son sein pour y reposer notre tête ! Sachons y rester. C’est Lui qui paît son troupeau ; Ézéchiel 34 (surtout les v. 15 et 16) est d’une grande consolation. Il augmente l’énergie à celui qui n’a pas de vigueur. Il vaut la peine d’être affligé pour être consolé par le Seigneur lui-même, et mieux que par la plus tendre des mères. — Les jeunes Hébreux étaient dans la fournaise à cause de leur fidélité à l’Éternel, tandis que nous... le cœur est brisé (je parle surtout pour moi) quand je pense combien peu il me fallait Jésus, combien peu mon cœur le recherchait ! Et cependant, celui qui se trouvait dans la fournaise avec les trois jeunes Hébreux, y est maintenant avec nous, avec chacun d’entre nous qui y sommes. Au sein de la tempête, les disciples l’avaient avec eux dans la nacelle, «un Christ rejeté, méprisé, mais le fils de Dieu». Quel calme au sein de l’orage ! «Il était, lui, à la poupe, dormant sur un oreiller !». Dans une autre occasion, «il marche sur les eaux, et l’ouragan fait rage ; il dit aux siens épouvantés : «Ayez bon courage ; c’est moi ; n’ayez point de peur». Ah ! qu’il fait bon dans la nuit, étant fatigué, sous la pluie, entendre sa douce voix nous dire : «Ne crains pas !» Puis, comme la Sulamithe, laquelle montait du désert s’appuyant sur son bien-aimé, je m’appuie sur Lui, sur mon bien-aimé, et cela me fait tant de bien ! Jouir de ses soins tendres, compatissants, fidèles, est une douce faveur, mais jouir de lui-même est plus précieux encore. Car «ton nom est un parfum répandu» (Cant. des cant. 1:3), et «sa bannière sur moi c’est l’amour» (2:4) ;oui, «toute sa Personne est désirable» (5:16).

 

Si telle est Sa volonté, il ne m’arrivera rien ; mais si toutefois Il trouve bon de me prendre auprès de lui, j’en serai tout heureux, «car déloger pour être avec Christ est de beaucoup meilleur» ; s’Il me laisse, il vaut la peine de rester, et je serai heureux de le faire pour servir mon Seigneur, avec le secours de sa grâce, mieux qu’auparavant. Courage ! Il vient ! donc patience !

 

Étant encore avec le cher frère Élie S., j’en suis fort heureux, nous nous encourageons l’un l’autre. — Les évangiles et les traités distribués sont reçus, mais peu nombreux sont ceux qui les lisent. Il n’y a guère de besoins dans les cœurs : c’est la légèreté et la moquerie, même chez ceux qui ont tant de fois échappé à la mort. Dans sa longue patience, Dieu n’a pas permis à l’ennemi de les précipiter dans l’éternité dans leurs péchés, mais leur responsabilité en est d’autant plus grande. J’ai parlé à plusieurs, un seul paraissait touché, il pleurait. Que le Seigneur me donne la sagesse et l’à-propos pour parler avec lui ! Souvenez-vous toujours de moi dans vos prières, ainsi que de tous vos frères engagés dans cette effroyable tourmente ! Qu’il nous donne d’attendre avec patience la délivrance qui vient de Lui. Il a son temps et son heure. C’est souvent à l’heure la plus sombre que la délivrance vient.

Au revoir, cher frère, je vous embrasse comme je vous aime.

 

Votre jeune frère,

J. D.

 

Il n’y a rien à craindre quand il nous a cachés dans le lieu secret de sa face. Ps. 31:20 ; 91:1.

 

3                    Vendredi 29 janvier 1915

 

Ma chère tante,

 

... En voyant ce qui se passe autour de moi (un obus est tombé dans la tranchée à droite de la mienne, tuant 5 soldats et blessant 6 ou 7 autres), je pense au v. 7 du Ps. 91. C’est du reste l’expérience faite par tant d’enfants de Dieu dès le commencement de cette effroyable guerre.

 

«Je sème sur n’importe quel terrain», m’écris-tu. Cela me fait penser à Eccl. 11:4-6 et aussi au v. 1 : «Jette ton pain à la surface des eaux, car après bien des jours tu le trouveras». Peut-être même ne verras-tu pas le fruit de ton travail, avant la venue du Seigneur. Il ne faut pas regarder aux circonstances, comme le dit si bien le v. 4 ; mais, «le matin sème ta semence, et, le soir, ne laisse pas reposer ta main». Il faut s’exercer à semer avec sagesse, prière et sous le regard du Seigneur. C’est une grande grâce de «connaître l’œuvre de Dieu qui fait tout». L’œuvre est donc toute de Lui. Il nous arrive souvent de ne pas voir du fruit de notre travail, attendu que le Seigneur nous en montre tout juste assez pour que nous ne nous découragions pas. Ne courrions-nous pas le danger de prendre plus de plaisir dans l’œuvre à laquelle sa grâce nous a appelés qu’en Lui-même ? En Jean 21:10, le Seigneur leur dit : «Apportez quelques-uns des poissons que vous venez de prendre» ; mais au v. 9, ils doivent manger du poisson et du pain que leur offre le Seigneur. C’est une leçon importante.

 

Ayons toujours le Seigneur devant nous. Il est bon d’aller en pleurant porter la semence qu’on répand ; mais aussi : «il revient (mais cela demande du temps) avec chant de joie en portant ses gerbes» (Ps. 126:5, 6). C’est ce qui eut lieu pour le Seigneur Jésus lui-même : «Il a mêlé de pleurs son breuvage (Ps. 102:9), mais un jour, il verra du fruit du travail de son âme, et sera satisfait» (Ésaïe 53:11).

 

Je suis bien dans ma santé ; le pied fut un peu enflé à cause du froid, mais aujourd’hui tout va bien, par la grâce de Dieu. — Il y a quatre jours que je n’ai vu le frère S. Ce soir, je le verrai, je pense, car s’il était malade, il m’en aurait donné connaissance, comme c’était convenu entre nous avant de nous séparer...

 

Ton neveu tout affectionné,

J. D.

 

 

4                    Montzéville le 31 janvier 1915

 

Le cher frère S. est encore enroué. Il ne souffre pas, mais n’a point de voix. Il n’ira pas à l’hôpital, mais est seulement exempt du service. Chers parents bien-aimés, le vent souffle, la neige tombe en tourbillonnant, le temps est fort mauvais ; mais voyez comme notre Dieu est bon, comme Il prend soin de moi ; je suis dans un abri où il fait chaud. En quittant le village nous avons pris avec nous un litre de vin ; or du vin bien chaud avec du sucre (car nous en avons), c’est bon et je suis bien. Nous quittons demain. Quant aux jours suivants, je n’ai pas à m’en soucier. Mon souci est celui-ci : Jouir de Christ, de Lui seul. Le v. 16 d’Ézéchiel 11 m’est en grande consolation : «... bien que je les aie dispersés par les pays, toutefois je leur serai comme un petit sanctuaire dans les pays où ils sont venus». Qu’Il me donne de savoir y demeurer.

 

Mes chers parents, je vous en supplie, après m’avoir remis au Seigneur, comme vous l’avez fait et le faites, soyez en paix : Il prend soin de moi. Voyez Luc 12:25 : «Et qui d’entre vous, par le souci qu’il se donne, peut ajouter une coudée à sa taille ?» Vous n’avancez donc à rien ; au contraire, cela vous empêche de jouir de Sa présence bénie, Lui qui me soigne si bien !

 

Il se peut que je reste quelques jours sans vous écrire ; ne languissez pas. Cela dépendra du temps. S’il fait bien froid, on n’est guère apte à écrire ; en outre, il se peut qu’on ne lève pas les lettres ; ainsi ne vous attristez pas si quelques jours s’écoulent sans recevoir une lettre.

 

Oui, chers parents, «il est doux de trouver à toute heure un tendre ami prêt à nous soulager». Puis, que sont nos souffrances à côté de celles de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ ? Il a connu la faim, la soif, la fatigue, la souffrance sous toutes les formes les plus exerçantes pour son cœur. Aussi est-il capable de sympathiser avec les siens dans toutes leurs peines. Il est regrettable que nous n’habitions pas davantage «dans la demeure secrète du Très-haut», car Il est notre Père. Quand est-ce que je perds courage, vaincu par l’affliction ? n’est-ce pas quand je regarde en bas ? tandis que «couvert de ses plumes», et «sous ses ailes il y a un refuge». Quelle douce couverture ! quel refuge assuré et tendre — sous ses ailes ! (Ps. 91:4). Dans les v. 14 à 16, c’est du Seigneur qu’il est question, mais dans les Psaumes sa part est la nôtre. Quel privilège de pouvoir mettre notre affection sur Lui ! (v. 6). Et puis, quelles promesses ! Qu’il nous soit donné de connaître ce nom, c’est une grande grâce !... «Quand il sera dans la détresse, je serai avec lui» (v. 15). Quel bonheur ! le Très-Haut avec nous ! Et ce Dieu tout-puissant est notre Père !

 

Au revoir, mes bien chers parents, que Dieu nous donne de le glorifier en tout, car alors tout est bien !

 

 

5                    Privas, le 16 novembre 1914

 

Tu as bien des peines, chère petite tante ! C’est ce que je savais lorsque tu es partie. Tout ne va pas comme tu le désirerais. Il en est souvent ainsi, même dans les choses qui nous semblent être selon la volonté du Seigneur. Tu aimerais voir tes efforts couronnés d’un succès immédiat. Prends patience, c’est plus tard que les fruits de ce que nous faisons nous apparaîtrons ; aujourd’hui, la grande affaire pour nous, c’est de travailler, de semer, et, dit la Parole : «Après beaucoup de jours, tu le retrouveras». Quant à moi, je t’assure que je me réjouis déjà à ton sujet, car par toi l’évangile est annoncé à plusieurs blessés, à côté des soins que tu prends à adoucir leurs maux. Ainsi, quant aux résultats, attendons. Le Seigneur Jésus, notre divin Modèle, n’attend-il pas encore pour la manifestation des fruits portés par son obéissance jusqu’à la mort et la mort sur la croix ? Et même si tu ne devais voir aucun fruit ici-bas de ton travail, sais-tu que ta joie sera plus grande encore au jour où le Seigneur, dans sa gloire, les manifestera aux yeux de ses saints et des myriades de myriades de ses anges ? Une chose qui pourrait se produire maintenant n’aura pas lieu alors, que nous nous enorgueillissions de voir nos efforts, nos luttes, nos peines, nos prières, couronnés de succès. Raconte-moi encore tes peines, car c’est un motif de plus pour parler de toi au Seigneur.

 

 

6                    Mercredi 27 janvier 1915

 

Mes chers parents,

 

... Les tranchées allemandes ne sont pas éloignées d’ici, une petite vallée nous sépare les uns des autres. On ne tire pas, nous sommes occupés à perfectionner nos abris. Je suis très bien ; j’aimerais que vous me vissiez : une peau de bouc — elles sont fort jolies, tannées et préparées, avec un trou au milieu pour y passer la tête — recouvre les épaules, le dos et la poitrine ; avec deux manches je ne ressemblerais pas mal à un grand seigneur... J’ai enfilé mes souliers dans des espèces de galoches, ce qui me garantit du froid, tandis que mes jambes sont enveloppées d’une peau de mouton adaptée à cet usage. Quel étrange accoutrement ! tous rient en me voyant ainsi travesti. Il est 10 h. 30, nous venons de manger un peu de soupe, pris un quart de café, tout froid, car tout est préparé au village, en arrière. On nous a distribué des boîtes contenant de l’alcool solidifié. Ayant fait chauffer mon café, voilà que j’ai chaud. Je suis bien dans ma santé, quoique j’aie les pieds un peu enflés. C’est, chez moi, la partie la plus sensible au froid. Il ne pleut pas ; il fait un froid supportable.

Avant-hier j’ai reçu un paquet des dames Ch. Je suis confondu d’être l’objet de tant d’attentions ! Jugez-en vous-mêmes : un grand plastron en papier, des chaussettes en laine, que je porterai avec grand plaisir quand mes pieds seront dégonflés ; du nougat très bon des MM. Cr., du chocolat. Vraiment je suis comblé. Qu’il fait bon jouir des soins du Seigneur, soins donnés par les siens ! Je puis vous dire que je ne voudrais pour rien au monde ne pas être venu où je suis pour faire l’expérience de la bonté du Seigneur et de notre Dieu et Père : «Le Père lui-même vous aime», a dit le Seigneur. Vous pouvez donc vous adresser directement à Lui, lui demander toute chose, semble-t-il nous dire. En effet, il nous aime : n’a-t-il pas pour nous sacrifié son propre Fils ? Il a fait le plus, ne ferait-il pas le moins ? Je viens de lire Luc 7, qui m’a fait beaucoup de bien. Qu’il me soit accordé la grâce de n’avoir rien de si précieux que Jésus !

 

Dans ta lettre, chère maman, tu me dis que Dieu a toujours eu ses plaisirs en ceux qui l’écoutent. Cela m’a frappé péniblement, car Il n’a donc guère pris de plaisir en moi, qui l’ai si peu écouté et servi : «Oh ! que ta bonté est grande, que tu as mise en réserve pour ceux qui te craignent», lisons-nous au Ps. 31:19. En ce qui me concerne, je n’ose pas dire que je sois l’un d’entre eux, et cependant il prend soin de moi avec tant de bonté ! oui, tout est grâce ! Le cher frère S. va bien. Je suis si heureux de l’avoir avec moi ; son exemple m’a été en bénédiction, et cela m’amène à me juger en voyant que tant d’autres sont beaucoup plus pieux que moi.

 

Je vous embrasse bien fort. Votre fils,

 

J. D.

 

7                    Le 23 janvier 1915

 

Je suis bien dans ma santé et ne me sens absolument plus de mon côté. Les premiers jours, oui, lorsque je portais le sac ; maintenant, non. Mes chers parents, d’une façon pratique et personnelle, je fais la douce expérience des bons soins du Seigneur, et puis dire, comme Esdras, que la bonne main du Seigneur est sur moi pour me protéger, me délivrer, me fortifier. La guerre existant, je ne voudrais pas n’être pas venu à la frontière ; car, en dépit des petites fatigues et des privations auxquelles je suis exposé, je fais l’expérience que Jésus est avec moi. C’est beaucoup, oui, je puis dire — comme lorsque j’étais étendu sur le champ de bataille — : «Tu es avec moi !» Mon Seigneur est là : sa présence est tout ce qu’il faut. Quel réconfort, lorsque portant le sac, sous la pluie, fatigué, je pense à Lui ! Dans sa sympathie, il me dit : «Aie, bon courage, mon fils, c’est moi, ne crains pas». — Vous aussi, mes chers parents, vous faites l’expérience de sa fidèle bonté ; moralement il vous soutient, et je le lui demande. Vous souffrez plus que moi, qui ai tant à faire et suis forcément distrait par mes nombreuses occupations. Mais je sais que Celui qui est avec moi est aussi avec vous. Que son saint nom soit béni !

 

8                    Privas, le 7 décembre 1914

 

Bien cher André,

 

Si j’ai tardé autant : à t’écrire, en voici le motif : il y a environ une dizaine de jours, j’ai passé devant le médecin-chef qui me proposa pour une convalescence de 45 jours, proposition qu’une commission spéciale devait confirmer ou annuler. Celle-ci s’est réunie samedi : le colonel a refusé toutes les convalescences en-dessous de trois mois ! Quelle déception ! après m’être fort réjoui de passer ce temps au milieu des miens et de voir beaucoup d’amis ! Au premier moment j’étais affligé, puis la réflexion est venue. N’est-il pas écrit que «toutes choses travaillent, ensemble pour le bien de ceux qui aiment Dieu ?» «Toutes choses», donc aussi la décision du colonel ; car «si la préparation du cœur est à l’homme, de l’Éternel est la réponse de la langue» (Prov. 16:1). La grâce m’a donc été accordée de Lui remettre en paix toutes choses. Ésaïe 43:16-19 est riche en consolation dans les circonstances où je me trouve. N’étant pour rien dans cette affaire, j’y vois la main du Seigneur et pas celle de l’homme. C’est pourquoi je me réjouis en cette déception douloureuse pour ma chair, mais bénie pour mon âme. Que notre bon Dieu et Père en soit remercié ! Il est probable que je me réjouissais plus dans la perspective de voir mes parents et mes amis, que dans le Donateur lui-même. Et pourtant qu’elle est fragile et éphémère, la joie qui vient de l’homme, tandis que celle qui vient du Seigneur demeure à toujours. Lis à ce sujet au Ps. 146, les v. 3 et 4. Jean 4:13, 14 établit aussi clairement cette vérité. En outre, il est écrit que la tribulation «produit la patience», et la patience l’expérience, et l’expérience l’espérance, et l’espérance ne rend point honteux, parce que l’amour de Dieu est versé dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné» (Rom. 5:3-5). C’est pourquoi nous pouvons nous glorifier dans les tribulations. Il est là avec nous pour les changer en bénédictions (Ps. 84:5-7). Que de motifs les épreuves de la foi fourniront à ceux qui ont été ainsi exercés par elles, de bénir le Seigneur, lorsque nous connaîtrons à fond comme aussi nous avons été connus.

 

Un passage qui m’a été en grande bénédiction, c’est le v. 3 du chap. 2 du Cantique des cantiques. La Sulamithe dit qu’elle est assise aux pieds de Celui qui est comme «le pommier entre les arbres de la forêt». Elle a pris plaisir à son ombre, et son fruit fut doux à son palais. On comprend qu’elle ait trouvé tant de satisfaction en son bien-aimé, quand on l’entend dire au chap. 1 v. 6 : «Ne me regardez pas, parce que je suis noire, parce que le soleil m’a regardée». Oui, le soleil de la persécution, de la haine, l’avait frappée de ses rayons ardents. Humiliée, outragée, elle a trouvé quelqu’un qui l’a aimée et lui a été en bénédiction. Nous aussi, mon cher ami, nous avons ce même privilège de nous asseoir aux pieds de Jésus, celui qui nous aime, en qui seul se trouve rafraîchissement, nourriture, repos et plaisir. Un cèdre eût donné de la fraîcheur à la Sulamithe, mais point de nourriture. «Marie, dit Jésus, a choisi la bonne part, qui ne lui sera point ôtée». Cette bonne part c’est : «assise aux pieds de Jésus, écoutant sa parole» (Luc 10:38-42).

 

Le temps me manque pour écrire à nos amis. Veux-tu leur dire que je les fais saluer nom par nom. Le Seigneur te récompensera de cette peine que je te donne, car je suis très heureux de leur faire parvenir, par ton moyen, l’expression de ce que je ressens pour eux tous. Combien je les aime ! et plus spécialement ta chère famille. — Mon cher ami, je t’embrasse affectueusement.

 

9                    Privas, le 28 décembre 1914

 

Tes nouvelles me sont chères ; tout ce que tu fais m’intéresses beaucoup, ma pensée et mon cœur sont avec toi. Oui, tante chérie, je te vois auprès de tes chers malades et blessés, dorlotant l’un, prodiguant tes bontés à un autre, disant une parole de Jésus au troisième, etc. Un frère, qui était ici ces jours, a dit que c’est plus facile de parler du Seigneur à tes blessés, qu’à la plupart des autres, parce que le terrain est déjà préparé. Sache que c’est une belle œuvre, à laquelle tu te dévoues, oui, c’est l’œuvre du Seigneur, approuvée et appréciée des frères. Je sais que tu recherches l’approbation de Dieu et non celle des hommes, et que ton désir est de te livrer tout entière au service du Maître. Quel privilège, qu’Il veuille nous employer dans son œuvre ! — La sentinelle d’Ésaïe 21:11, 12 occupe un poste de confiance et d’honneur. Que sa réponse à la demande moqueuse de ceux qui l’interrogent, est à la fois consolante pour les uns, effrayante pour les autres : «Le matin vient, et aussi la nuit». Le matin vient, «un matin sans nuages» (2 Sam. 23:4) pour la sentinelle vigilante et fidèle ; et la nuit vient, loin de Dieu, dans les ténèbres du dehors, dans le lieu des pleurs et des grincements de dents. Elle vient pour les moqueurs cette effroyable nuit ! Que le Seigneur nous donne d’accomplir ce saint service fidèlement ! Ayant perdu le caractère de sentinelle, nous ne pouvions plus avertir ceux qui étaient près de nous : 1 Pierre 3:15, 16... «ayant une bonne conscience».

 

Plus j’avance dans le chemin, plus j’expérimente l’affection fraternelle des chers enfants de Dieu, et chaque jour le Seigneur m’accorde quelque grâce nouvelle. Que d’affection et de dévouement chez les saints ! Que je suis inférieur à mes frères sous ce rapport aussi !

 

Il se peut que je parte cette semaine pour le front. Demain on établit la liste des hommes aptes à partir. Sois sans souci ; je suis tranquille et en paix sur les puissantes épaules du bon Berger. De plus, il est écrit : «Le Dieu d’ancienneté est ta demeure, et au-dessous de toi sont les bras éternels» (Deut. 33:27). Quelle sécurité et pour moi et pour toi, n’est-ce pas ?...

 

10               Privas, le 2 janvier 1915

 

Mes chers parents,

 

Si j’ai tant tardé à vous écrire, en voici la raison : je pensais vous voir et vous raconter de vive voix tant de choses que je ne puis écrire. Dieu ne l’a pas permis. Les hommes du 261° régiment d’infanterie eurent trois jours de congé à Noël. Les mêmes permissions étaient promises pour le nouvel an aux hommes du 61°. À Noël il y eut beaucoup de désordres ; bon nombre d’hommes sont partis sans permission et sont restés trois et même quatre jours. Pour éviter le renouvellement de tels désordres, le commandant n’a accordé aucune permission pour le jour de l’an. La mienne était faite, mais il a refusé de la signer, pour ne pas faire de jaloux. Hier, je pensais vous écrire, et me voilà de service toute la journée. Une contrariété s’ajoute à l’autre, mais ce sont, en définitive, de petites déceptions qui exercent néanmoins ; ces choses sont bonnes, nécessaires même, pour un cœur dur comme le mien. Oui, j’ai besoin d’être brisé et humilié, car ma volonté est forte. Or la volonté propre n’est pas le caractère de quelqu’un qui est patient, et moins encore de ces saints mentionnés en Ésaïe 66:2 : «Mais, c’est à celui-ci que je regarderai, à l’affligé et à celui qui a l’esprit contrit et qui tremble à ma parole». L’apôtre écrit à son cher enfant Timothée, fidèle cependant : «Sois attentif à toi-même et à l’enseignement ; persévère dans ces choses, car en faisant ainsi, tu te sauveras toi-même et ceux qui t’écoutent» (1 Timothée 4:16).

 

Chers parents tendrement aimés, je désire qu’à tous égards vous prospériez et que vous soyez en bonne santé comme vos âmes prospèrent (3 Jean 2, de même que Genèse 49:25).

Oui, c’est d’En-Haut que descend tout don parfait et toute grâce excellente (Jacques 1:17).

 

Le premier jour de l’an a rappelé à vos cœurs de bien douloureux souvenirs. Quand nos cœurs sont brisés, que nous sommes dans les larmes, nous ressentons d’autant plus le besoin de notre bon Dieu et Père. Lui possède le baume pour toutes nos blessures, et nous console dans toute notre affliction. Il le fait avec une tendresse infinie : voyez Ésaïe 66:13 : «Comme quelqu’un que sa mère console, ainsi moi, je vous consolerai» ; et encore : «Dans toutes leurs détresses, il a été en détresse» (Ésaïe 63:9) ; et encore : «Vous serez portés sur les bras et caressés sur les genoux» (Ésaïe 66:12). Il fait siennes nos peines et veut essuyer toute larme de nos yeux. Nous n’avons donc rien à craindre ; Il demeure le même, lui qui dit : «Je ne te laisserai point et je ne t’abandonnerai point» ; afin que pleins de confiance nous disions : «Le Seigneur est mon aide, et je ne craindrai point : que me fera l’homme ?» (Hébr. 13:5, 6). Voyez, il ne vous laissera point, Lui, le Même : «Vous avez été chargés dès le ventre, et avez été portés dès la matrice : jusqu’à votre vieillesse, je suis le Même, et jusqu’aux cheveux blancs, je vous porterai» (Ésaïe 46:3, 4). Allons, bon courage et ne pleurez pas si je pars...

 

11               Bettincourt 10 janvier 1915

 

Mes chers parents,

 

Il est près de midi. Vous êtes réunis pour rompre le pain (Actes. 20:7) à la table du Seigneur, «pour célébrer la fête» (1 Cor. 5:8), «en mémoire de Lui» (1 Cor. 11:24, 25). Quelle grâce ! Beaucoup de saints avec moi n’ont plus ce privilège. Et pourtant, suis-je seul ? Non, le Seigneur est avec moi : «Je ne vous laisserai pas orphelins» ; et «voici, moi, je suis avec vous tous les jours...» (Jean 14:18 ; Matt. 28:20). Je ne suis donc pas sans secours. — J’aime à méditer cette parole du Psaume 63:2 : «Comme je t’ai contemplé dans le lieu saint». Oui, là, à la pure lumière du chandelier, nous pouvons contempler, en premier lieu, le chandelier lui-même, l’ombre de Christ, le resplendissement de la gloire de Dieu, l’empreinte de sa substance» (Hébreux 1:3), oui, dans le sanctuaire nous pouvons contempler le Seigneur Jésus dans ses gloires variées divines, dont nous avons les ombres dans le chandelier, l’autel des parfums, la table et le pain rangé sur elle, en ordre, devant l’Éternel. Quel lieu béni entre tous ! Jean 5:3 : «Sondez les Écritures... car ce sont elles qui rendent témoignage de moi» est fort important en rapport avec 1 Pierre 2:2 et 3. «Si toutefois vous avez goûté que le Seigneur est bon». Les Écritures rendent témoignage de Lui, et le cœur les recherche dans la mesure qu’il a goûté que le Seigneur est bon. Puisse l’exhortation de 1 Pierre 2:2 être une réalité pour chacun des bien-aimés de Dieu !

 

Ne vous faites pas de souci à mon égard. Je suis bien, et si le Seigneur trouve bon de me ramener au milieu de vous, Il le fera. Je serais heureux de vous revoir ici-bas, autrement c’est pour me donner la part de beaucoup la meilleure, en attendant le revoir dans la perfection, avec le Seigneur et pour toujours. Ainsi donc, pleine paix ! Cependant souvenez-vous encore, comme du reste vous le faites, des enfants de Dieu et de moi-même, afin qu’il nous soit donné de rendre tous un bon témoignage à notre Sauveur. Que j’aimerais parler de Lui à mes camarades ! Que je n’aie pas honte du nom de Jésus, car l’impression du premier moment n’a pas duré chez beaucoup.

 

Quand mon régiment reviendra, je suis bien et reprendrai mon service. En attendant, je continue à empierrer la route, plutôt à combler les fosses à fumier. Ah ! voilà que j’entends le clairon !... il faut se cacher, car à notre droite dans les airs se trouve un avion ennemi que notre artillerie canonne. Il arrive de temps à autre que les Allemands cherchent à survoler nos lignes pour découvrir nos mouvements, comme nos aviateurs le font sur leur front. Allons, je vous raconte là des choses guère édifiantes, manifestation de ce qui sort du cœur de l’homme, de son génie à faire le mal, à s’entre-détruire. Dans ces jours de douleurs, de carnage, accumulant ruine sur ruine, jours tels que ceux décrits en Habakuk 1 et 2, nous devons, nous aussi, comme le prophète, nous «placer en observation» et nous tenir «sur la tour», et veiller pour «voir ce qu’Il nous dira...». Sûrement, nous apprendrons à nous juger, à juger des événements selon son jugement. Alors, comme Habakuk, nous aussi, nous pourrons prier et dire : «Dans la colère, souviens-toi de la miséricorde». Et si l’épreuve se renforce, nous pourrons néanmoins dire : Habakuk 3:18, 19 ! Un verset dans le Cantique des cantiques est très consolant, surtout dans le deuil, dans la détresse : «Viens, ma colombe, qui te tiens dans les fentes des rochers, dans les cachettes des lieux escarpés, montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix ; car ta voix est douce, et ton visage est agréable» (Cant. des cant. 2:14).

 

Ces jours-ci je vois le fils L. de St-J., mais seulement à midi ou le soir. Alors nous pouvons lire la Parole et prier ensemble. C’est une grande grâce que le Seigneur nous accorde. Ce frère est privilégié ; il a fait et fait encore la cuisine. Pendant l’hiver, c’est bien avantageux : il peut se soigner, avoir de bons aliments et en suffisance ; être toujours au sec et au chaud. La grâce de Dieu est merveilleuse envers tous les siens ; tous les frères, chacun dans ses circonstances particulières, font l’expérience des soins tendres, sages, dévoués du Père et de Jésus le bon Berger. — Au Ps. 29:3, la voix de l’Éternel est «sur les eaux ; le Dieu de gloire fait tonner», — l’Éternel «sur les grandes eaux» ; ensuite, au v. 10, «l’Éternel s’assied sur les flots». C’est Lui qui commande, qui domine tout et partout ; Il est au-dessus de tout. Dans le Ps. 77, il est écrit que sa voie est dans la mer, et ses sentiers dans les grandes eaux ; et que ses traces ne sont pas connues ; mais avant, au v. 13, il est dit : «Ô Dieu ! ta voie est dans le lieu saint». En y demeurant, nous pourrons la connaître et même ses conseils. Sans crainte, nous pouvons nous abandonner à Celui qui commande aux vents et à la mer, à qui toute autorité a été donnée dans les cieux et sur la terre. Lui, le Dieu Tout-Puissant, Tout-Sage, Tout-Bon s’occupe de nous. Comme Jacob, nous aussi, nous sommes de pauvres êtres ; mais à cause de son Oint, Dieu peut et veut nous bénir, nous délivrer ! Ne sommes-nous pas rendus agréables dans le Bien-Aimé ? Que son Nom soit à jamais béni !...

 

 

12               Montzéville, 15 janvier 1915

 

Étant ce soir dans la demeure d’un habitant du village, nous sommes tranquilles, le frère S. est avec moi. C’est lui qui a demandé et obtenu cette faveur, car vraiment je n’osais pas. Notre repos est relatif toutefois, car là, au coin du feu, quelques génies causent, plaisantent et rient ; mais n’étant que trois, ils font moins de bruit que n’en fait toute la section. Dans le fond, c’est bon qu’il y ait toujours quelque chose pour exercer la foi, la patience, pour attrister le cœur ; c’est un motif de regarder à Jésus, de se réfugier près de Lui ; alors s’accomplit la précieuse promesse d’Ézéchiel 11:16 : «Et bien que je les aie dispersés, je leur serai comme un petit sanctuaire dans les pays où ils sont venus». Quelle grâce ! Oui, les dons de grâce et l’appel de Dieu sont sans repentir» (Rom. 11:29). Et puis, nous le savons, le repos n’est pas ici-bas, il est à venir : «Il reste un repos sabbatique pour le peuple de Dieu». C’est la «fête des tabernacles» avec ses sept jours. Alors sera accomplie d’une manière parfaite et continue cette parole : «Et tu ne seras que joyeux» (Deut. 16:15). Il vaut donc, certes, bien la peine de travailler pour Celui qui nous a tant aimés et qui nous aime, Lui, le Même. Il vient, le jour où le Seigneur aura la joie de dire au serviteur fidèle : «Bien, bon et fidèle esclave ; tu as été fidèle en peu de chose, je t’établirai sur beaucoup : entre dans la joie de ton maître» (Matt. 25:21-23). Personne ne se repentira de s’être fatigué au service du Seigneur. Nous sommes ici en repos pour quatre jours ; deux déjà sont passés et demain je vais à la corvée du bois avec une trentaine d’hommes. Ce serait une promenade, mais la pluie tombe sans arrêt. L’imperméable, que les MM. P. m’ont donné, me rend de grands services. — Dimanche soir je serai de nouveau dans les tranchées, tout à fait en première ligne. Quelle douceur pour l’âme, et quel repos de pouvoir remettre au Seigneur ces jours-là ! Je ne me fais donc pas de souci et peux aujourd’hui encore, jouir de Jésus. Du reste, la journée de demain ne nous appartient pas, et le lendemain aura soin de ce qui le regarde : Lui s’en occupe ; ne suffit-il pas largement à tout ? Mon concours ne lui apporterait rien de bon. C’est son secours qu’il nous faut pour sortir de détresse. Ne vivons pas deux jours à la fois. J’en reviens toujours au Ps. 91 : les ailes du Tout-Puissant sont un précieux refuge, et ses plumes sont une couverture douce autant que de toute sécurité. Que notre Dieu nous donne de l’honorer par une entière confiance, afin que nous acquérions une connaissance plus intime de ce qui se trouve dans le secret de sa tente, habitant la «demeure secrète du Très-Haut» !

 

 

13               Montzéville, le 23 janvier 1915

 

C’est aujourd’hui dimanche ; il est près de 9 heures ; je vous vois d’ici vous préparer tous pour vous réunir pour rompre le pain. Eh bien, mes amis, je suis avec vous en esprit et de cœur, et je bénis Dieu de ce que, dans sa grâce, il m’accorde, non d’être libre, mais au moins tranquille.

Le frère S. est enrhumé ; le docteur l’a mis en observation, ayant constaté peut-être un commencement de bronchite. Il va au poste servant d’infirmerie, et probablement que demain il n’ira pas aux tranchées. Il tousse beaucoup et a la voix prise, sans trop souffrir cependant. Nous étions si heureux ensemble, mais peut-être ne serons-nous séparés que pour peu de temps ?

 

Il fait froid maintenant, mais je n’en ai pas souffert jusqu’ici, car depuis trois jours nous sommes à l’abri, logés dans une grange où il y a du foin. Demain, lundi, à 3 h. du soir, j’irai aux tranchées, bien près des Allemands. Jusqu’ici j’ai été merveilleusement protégé. Chaque jour m’apporte la manifestation de ses tendres soins. Ce qui nous touche a un tel intérêt pour Lui que les cheveux même de notre tête sont tous comptés. Notre Père sait de quoi nous avons besoin ; Matt. 6:32. Le v. 34 est admirable de sollicitude et de tendre bonté. Soyons donc heureux et en paix quant à l’avenir, connaissant suffisamment son amour, sa puissance, sa toute connaissance et sa toute sagesse, pour tout lui remettre et demeurer tranquilles. Que Ruth fut sage d’aller s’abriter sous les ailes du Dieu d’Israël (Ruth 2:12). Genèse 28:15 est d’une grande beauté. On comprend le Ps. 146. Quel contraste entre l’homme (v. 3, 4) et le Dieu de Jacob (v. 6). Je vous le dis franchement, mes chers parents, je ne voudrais pour rien au monde n’être pas revenu sur le front. En regardant en arrière, je constate que j’ai peu vécu pour Christ, mais que j’ai été l’objet de sa grande miséricorde. Même dans les afflictions qu’Il nous a envoyées, afflictions qui ont brisé nos cœurs, le Seigneur ayant repris mes deux sœurs à Lui ; même dans de telles dispensations, sa miséricorde se trouve. À moi aussi, mon Dieu m’accorde ma requête, Esdras 7:6 ; le v. 28 me dit aussi beaucoup, de même que le v. 31 du chap. 8 ; toutefois, Phil. 3:14 est un précieux exemple à imiter !

 

Souvenez-vous sans cesse de moi dans vos prières, afin que je sois gardé fidèle au Seigneur Jésus ; car si d’un côté, je fais l’expérience de sa fidélité, je constate aussi que je suis faible.

 

 

14               Le 19 mars 1915

 

Chers amis, aimés en Jésus,

 

À mon départ, je pensais vous écrire souvent, et deux mois et demi se sont écoulés avant que je le fasse ! Et pourtant vous ai-je oubliés ? Oh ! non, par la grâce de Dieu ; au contraire, plus les jours s’écoulent, plus mon cœur est avec vous. Ah, que n’ai-je, moi aussi, des ailes comme une colombe, je m’envolerais auprès de vous ! (Ps. 55:6) et vous ferais une courte visite, en attendant de vous revoir, si Dieu me l’accorde et que le Seigneur ne soit pas venu.

 

Je suis dans une tranchée en première ligne, un tout petit abri : assis, j’en occupe la largeur, mais ne me plains pas, là je suis assez tranquille. Il y en a un autre, meilleur et plus chaud ; mais dans ce dernier, je ne peux pas, comme ici, lire ou écrire. Dans le confortable je suis au fond, ici, à la porte ; en outre, l’aspirant et les sergents y sont ; je n’y suis pas tranquille. Même ici je ne suis pas seul, trois hommes y sont avec moi ; mais ils ne font que dormir après les heures de faction. Les Allemands étant à la distance de 7 à 800 mètres, le service est moins actif que lorsque les tranchées sont éloignées seulement de 15 à 20 mètres, comme dans le bois de Malencourt, ou même 200 à 300 mètres, comme dans la vallée de Cuisey. Alors le premier qui se montre est rappelé à la prudence par les balles, heureux quand il n’a pas été atteint. Plusieurs ont été tués en regardant à l’intérieur des créneaux. Les Allemands ont, paraît-il, des fusils pointés sur les créneaux, ces fusils sont fixés sur un chevalet. Quelqu’un regarde-t-il par le créneau, le coup part, et la mort est instantanée, car il est atteint à la tête. On comprend qu’en de tels lieux on ait un besoin urgent de la protection continuelle de notre Dieu. Hier, par exemple, l’artillerie allemande a tiré sur la tranchée où je suis ; plusieurs obus ont passé à quelques centimètres au-dessus de mon abri, puis éclaté à quelques mètres ; l’un même a frappé la tranchée-abri, juste en arrière de moi ; la terre et un fusil sont venus tomber à mes pieds, aucun éclat ne m’a touché. J’étais heureux de savoir l’Ami divin près de moi. Il m’a protégé et, peut le faire encore ; mais s’il permet que je sois atteint, tout est bien : il est possible que j’arrive à la maison avant vous. Là, je retrouverai mes deux sœurs, mais ce qui est infiniment plus précieux, je le verrai, Lui, et connaîtrai à fond son amour. Peut-être partirons-nous tous ensemble.

 

Ma santé est très bonne, jouissant corporellement aussi des bons soins de notre Dieu. Ce sont de tendres soins et cependant j’ai des moments pénibles. Jamais peut-être je n’eus tant de peine pour arriver que mardi soir. Outre la fatigue de la marche, j’étais indisposé ; je n’en pouvais plus. Je marchais doucement, ne voulant pourtant pas m’arrêter. J’exposai ma peine à mon Seigneur. Il me dit, dans mon cœur (et cela m’a fait pleurer) qu’Il m’aimait et me comprenait. Il m’a montré cet homme fatigué, assis sur le bord du puits de Sichar, seul, demandant un peu d’eau à une femme, car il avait soif. Il m’a dit : «Je connais ton chemin». Oui, cher Sauveur, tu as été l’homme de douleurs afin de pouvoir sympathiser à mes peines ! Il m’a dit beaucoup de choses ; c’est un moment, inoubliable et inexprimable : il me semblait avoir ma tête fatiguée, là, sur son sein d’amour ! Oh ! quel amour que l’amour de mon Sauveur ! Oui, quelqu’un l’a dit et c’est vrai : «Il vaut la peine d’avoir des larmes à verser pour connaître la douceur de Jésus quand il les essuie». Oui, nous l’aimons parce qu’Il nous a aimés le premier ; c’est l’eau qui tend à remonter à sa source.

 

J’arrive au bout de mon papier. Oh ! qu’il est précieux de connaître Jésus, d’avoir à faire à un tel Maître ! Et d’autre part, avoir été si peu actif à son service, quel dommage ; je dirai même quel malheur ! Il n’agit pas, comme nous, heureusement ; grâces lui en soient rendues : son amour est immuable. Dieu répond à vos prières, vous qui priez pour moi.

 

Le cher frère Élie S. est bien dans sa santé, du moins quand je l’ai quitté il y a trois jours. N’étant pas dans la même section, nous ne sommes pas ensemble dans les tranchées et partant bienheureux de nous retrouver tous les quatre jours de repos.

 

J’ai vu plusieurs fois Ab. G., de St-L. ; J. S., frère de Sa., que vous connaissez ; Si., de Sa. près V. ; Élie D. et A., ce dernier facteur à St-A. ; Va., qui habitait St-É. ; B., du C.. J’ai aussi rencontré Paul L., de St-J., lui est au 55°. Tous ces amis sont soutenus. Quelques-uns sont là cependant dès le mois d’août. Si., par exemple, fut au même convoi qu’Élie S., le 26 août, journée que je passai étendu sur le champ de bataille de Mont. Tous ont été gardés ; n’est-il pas écrit : «Ne touchez pas à mes oints» ?

 

Plusieurs fois j’ai pu annoncer l’évangile, tantôt individuellement, d’autres fois à un groupe, et distribuer des évangiles, des traités, poésies ; mais, hélas ! il y a peu de besoins ; cependant c’est à nous de semer, et au Seigneur de donner l’accroissement. C’est mon désir, mais je suis très faible et j’en fais la douloureuse expérience chaque jour. Priez donc beaucoup pour moi, afin qu’étant soutenu d’En-Haut, je rende témoignage à mon Sauveur...

 

 

15               Montzéville, le 30 janvier 1915

 

Chère sœur Madame P.,

 

Depuis un certain temps j’avais le vouloir de vous écrire ; mais il a fallu l’arrivée de votre colis pour me donner le faire. C’est au retour des tranchées que j’ai reçu mon paquet, venant de votre part.

 

Comme nous étions heureux de l’ouvrir, frère S. et moi, et d’en étaler les richesses (nous sommes comme les petits, vous savez) et maintenant nous levons haut la tête, portant de si beaux gants, venant de vous ; c’est presque trop beau pour des militaires ! Et puis, nous allons nous régaler du bon pâté (mais quand on gâte les enfants, ils sont rarement sages...). Voilà du bon chocolat, une superbe savonnette à la glycérine ! oh !... mais, ayant un savon si riche, si fin, nous allons avoir l’illusion d’être à la maison !... Et la laine ? elle tombe juste à point pour raccommoder une paire de chaussettes !... et les bougies ? quelle clarté délicieuse elles vont nous donner ! Mais, pensez donc qu’elles viennent de la chère madame P. de B. ! Merci, bien chère sœur, vous nous gâtez tout à fait. Ah ! je vous ferai bien une autre commande, car vous nous servez à souhait !

Chère sœur, il m’est au contraire agréable que vous vous nommiez une seconde maman, et ma vraie maman ne vous refuse pas du tout ce titre d’affection et de dévouement. Maintenant je vais prendre la liberté de vous exprimer les pensées que votre première lettre m’a suggérées. Vous avez mis une grande feuille blanche, qui est celle-ci, pour que je la remplisse ; mais vous avez écrit la feuille la plus petite pour moi, le solitaire, dans le triste tourbillon de la tempête, sur le front ! Vous sentez si nous aimons les grandes lettres dans cet affreux isolement de ce qui est bien, beau, vrai, juste, digne de louange ! et les détails sur tant de bien-aimés auxquels le cœur pense, et du précieux commerce desquels il est sevré ! Mais je vous comprends, les mamans aiment qu’on leur raconte ce que l’on fait.

 

C’est donc depuis hier au soir que nous sommes de retour des tranchées, — et nous serons ici jusqu’à mardi soir que nous y retournerons, Dieu voulant. Ces quelques jours passés en arrière nous permettent de nous laver et de prendre un peu de repos, les Allemands étant plus éloignés. Ici, nous avons du foin dans lequel nous nous enfonçons. Il fait bon là-dedans. Je suis très bien dans ma santé, par la grâce de Dieu.

 

Il est vrai, chère sœur, que l’épreuve est dure, et la chair ne l’aime pas d’une manière générale. Et cependant ce sont ceux qui «font leur travail ou leurs affaires, sur les grandes eaux, qui voient les œuvres de l’Éternel, et ses merveilles dans les eaux profondes» (Ps. 107:23, 24). En présence de tels éléments démontés, «toute la sagesse de l’homme vient à néant», et le croyant porte ses regards sur Christ, le Seigneur, qui marche sur les flots courroucés, comme sur le rocher, et repose paisiblement au milieu de la tempête faisant rage. Quel repos que de le considérer dans sa merveilleuse puissance, sa sérénité que rien ne trouble, quand il ne s’agit que des efforts de l’ennemi ; tandis que nous le voyons souvent ému de compassion en présence des afflictions des siens, et même de ses créatures. Quand toute la sagesse est venue à néant, et que l’orage va grandissant et les dangers aussi, à bout de ressources, nous nous tournons vers Lui ! Ah, c’est bien nous ! Et lui, sans reproche, intervient et délivre. L’apôtre dit : J’ai appris ; je sais être ; c’est beaucoup. Le Psalmiste aussi, au Ps. 27, dit qu’il aura confiance. Pourquoi ? Parce que l’Éternel est sa lumière et son salut, la force de sa vie, et qu’au mauvais jours il le tiendra caché dans le secret de sa tente, qu’il l’élèvera sur un rocher. Et quel en est le résultat ? Les ennemis restent, mais sa tête sera élevée par-dessus ses ennemis, qui sont à l’entour de lui. Ainsi, rien ne peut l’empêcher, l’épreuve comme tout ce par quoi elle est donnée, de sacrifier dans sa tente des sacrifices de cris de réjouissance ; de chanter et de psalmodier à son Dieu. Mais quelle est la cause première d’un tel état d’âme si heureux, si glorieux pour le Seigneur ? Le Psalmiste avait demandé une chose, et je la rechercherai, dit-il ; c’est d’habiter dans la maison de l’Éternel tous les jours de sa vie, pour voir la beauté de l’Éternel et pour s’enquérir diligemment de lui dans son temple. Et Marie, comme David, avait choisi la bonne part, qui ne lui fut point ôtée. Eh bien, chère sœur, nous tous qui contemplons à face découverte la gloire du Seigneur, croissons dans sa grâce et dans sa connaissance ; qu’il ne nous faille que lui, Jésus : fixant les yeux sur Jésus ! Que Dieu nous préserve, que les multiples bénédictions dont nous jouissons prennent sa place, mais que ce soit en Christ que nous en jouissions, et pas hors de lui. C’est fort important. — Je vois combien il était nécessaire que je revinsse ici. Ah ! chère sœur, les choses passées remplissent mon cœur de tristesse, quand je vois combien peu je me proposais toujours le Seigneur devant moi. Une chose me console, notre bon Dieu et Père ne veut pas nous laisser ici, dans ce triste lieu, occupés à ce triste métier de la guerre, si opposé à l’Esprit de Christ. Au Ps. 107 il est ajouté : «Et il les conduisit au port qu’ils désiraient». Désirons avec toujours plus d’ardeur l’espérance proposée, Christ dans la gloire, laquelle nous avons «comme une ancre de l’âme, sûre et ferme, et qui entre jusqu’au dedans du voile où Jésus est entré comme précurseur» (Hébr. 6:19).

 

Oui, Jésus est là. Réjouissons-nous ! Comme vous me le dites, qu’il me soit accordé de le contempler par la foi, d’une manière toujours plus vivante. Oui, franchement, chère sœur, je suis heureux d’être ici pour jouir de ses bons soins. Nous avons ses puissantes épaules pour nous porter et son cœur, son sein d’amour pour y reposer notre tête. Puissions-nous en connaître toujours mieux l’excellence.

 

Le cher frère S. est là près de moi ; il est assez bien lui aussi, quoique souffrant d’une extinction de voix, mais pas trop douloureuse. Je remercie notre Dieu et Père de l’avoir placé près de moi, et Lui demande qu’il me le laisse, afin que nous puissions être toujours l’un avec l’autre. Il vous salue bien affectueusement et vous remercie beaucoup.

 

Je suis satisfait que maman ait été chez vous. Ensemble vous avez pu parler à cœur ouvert. Cela fait du bien de se faire part de ses chagrins et de ses peines ; mais «en parlant l’un à l’autre» (Mal. 3), il faut que ce soit du Seigneur Jésus...

 

 

16               Aucourt, le 3 février 1915

 

Mon cher petit André,

 

C’est un peu tard pour me mettre à t’écrire, toutefois je viens causer un moment avec toi. Tu me dis que tu vas à l’école, que vous vous envoyez des boules de neige ; c’est moins dangereux que des balles ou des obus...

 

Je suis en avant du petit village dont le nom est ci-dessus. C’est près de Bettincourt, d’où je vous ai souvent écrit. Il ne fait pas froid, il dégèle, et nous sommes dans la boue. Je porte des espèces de galoches (je suis en première ligne), mais si grandes que je puis y introduire le soulier. Si je suis ainsi quelque peu protégé contre la boue, par contre je ne suis guère agile ; je crois traîner des boulets : si les Boches me poursuivaient, il me faudrait me hâter de les abandonner !

 

Le village d’ Aucourt est complètement détruit toutes les maisons sont démolies ou brûlées. Ici quelques pans de murs marquent l’emplacement ; là, les murs sont debout, mais toit, planchers, fenêtres, tout est brûlé. Quelle désolation ! Que la guerre est effroyable ! Quel jugement de Dieu !

 

En avant de nos tranchées, il y a des fils de fer barbelés (c’est-à-dire, garnis de pointes, comme des ronces) pour arrêter l’ennemi. — Dans la nuit, les Allemands lancent des fusées éclairantes. Elles s’élèvent comme chez nous le 14 juillet, mais avec un pouvoir lumineux beaucoup plus fort et durable ; tout, ciel et terre, est très bien éclairé et au loin, si bien qu’on voit venir l’ennemi. Ces fusées durent environ une minute. Nous en lançons aussi, mais moins souvent.

 

Mon cher petit frère, tu vois combien sont mauvaises les voies de l’homme encore loin de Dieu, sous le pouvoir de Satan. Ayant rejeté et haï le Seigneur Jésus, il n’y a rien d’étonnant qu’ils fassent ce qu’ils font. Tu sais bien que lorsque le Seigneur Jésus vint sur la terre, lui, le seul homme qui faisait le bien, les hommes l’ont crucifié entre deux malfaiteurs.

 

Je t’écrirais plus longuement, mais le vaguemestre va passer (on appelle ainsi le sous-officier chargé de distribuer les lettres et l’argent destinés aux soldats) ; de plus, il est nuit, tellement que j’ai dû sortir de ma cachette pour t’écrire.

 

Adieu, mon cher petit André. Embrasse de tout ton petit cœur papa, maman, Paul, Marthe. Ton grand frère qui t’aime tendrement et te serre sur son cœur autant qu’il t’aime.

 

J. D.

 

N.B. Encore un désir : sois sage, et si le Seigneur m’accorde de revenir, je verrai mon cher frère soumis, obéissant, heureux de faire ce que tu sais être agréable au Seigneur ; car il a dit : «Enfants, obéissez à vos parents en toutes choses, car cela est agréable au Seigneur». Veux-tu le lire toi-même, en Colossiens 3:20 ; lis aussi Éphésiens 6:1, 2, 3.

 

17                

Mes bien chers parents !

 

... Certes, je vous comprends ! Les grands déchirements, faits coup sur coup dans nos cœurs, ne se ferment pas si vite. Le Seigneur seul possède le baume efficace pour nos plaies, et la main délicate pour les bander. Il le fera. Par la souffrance, il veut nous rendre plus précieuses les consolations de son amour ; car il est le Dieu de toute consolation, qui nous console dans toute notre affliction. Parfois il me tarde d’être avec mes sœurs auprès du Seigneur, afin de voir Jésus de plus près ; mais bientôt... Patience !... Attendons la bienheureuse espérance... le jour de la paix, de la joie, du repos avec lui et pour toujours ! Il faut regarder En-Haut pour voir l’Étoile du matin, pour voir Jésus !

 

Oh, que j’aime ce passage, en Marc 6:30-33, où le Seigneur invite les disciples à venir à l’écart eux-mêmes, dans un lieu désert, et se reposer un peu ! Mais quelles précieuses paroles ! Il y va donc aussi lui-même puisqu’il dit : «Venez à l’écart vous-mêmes» et «venez». Moïse alla derrière le désert et se trouva avec Lui. Il apprit de bonnes choses : le buisson était «tout ardent de feu, et le buisson n’était pas consumé» (Exode 3:1, 2). Les fils d’Israël, dans la fournaise en Égypte, n’y étaient cependant pas consumés ; Exode 1:12 : «Et selon qu’ils l’opprimaient, Israël multipliait et croissait». En sera-t-il autrement aujourd’hui ? Non, la fournaise actuelle, au lieu de détruire les saints de Dieu, les multiplie ! Et bientôt, sur la rive éternelle, avec le Seigneur, nous chanterons : «Tu as conduit par ta bonté ce peuple que tu as racheté ; tu l’as guidé par ta force jusqu’à la demeure de ta sainteté» (Exode 14:13).

Oui, bientôt !... En attendant demeurons près de Celui qui dit «Venez à l’écart et reposez-vous un peu». Là, avec lui, nous récapitulons le passé, et voyons les choses comme il les voit lui-même. Grande grâce !

 

 

18               Bettincourt le 11 février 1915

 

...Ici, l’abri est bon, creusé dans la terre à hauteur d’homme et recouvert de tôles ondulées et de terre ; il n’y pleut pas. Je n’ai donc pas sujet de me plaindre. Cependant, une chose est pour moi le sujet d’une tristesse continuelle : notre infidélité passée, ce que nous avons été. Que de peine nous avons faite au cœur de Christ, qui nous a tant aimés et nous l’avons contraint à nous frapper... Mais encore en cela s’accomplit cette parole : «Je t’attire avec bonté». «Je t’ai aimé d’un amour éternel» (Jér. 31:2, 3). Il corrige avec mesure... «pour nous faire du bien à la fin» (Deut. 8:15, 16). Oui, il nous aime... il vient !...

 

 

19               Montzéville, le 16 février 1915

 

... Il y a des années que je demande à Dieu de créer des besoins dans ce cœur, qui reste néanmoins fermé aux appels réitérés de Sa grâce, car elle a eu de sérieux avertissements. On dirait qu’elle se moque de Dieu. À chaque lettre il me semble qu’elle va m’annoncer la bonne nouvelle qui doit me réjouir et, bien davantage encore, le Seigneur et toute l’armée céleste ; hélas, j’attends encore... Si je ne devais plus la revoir, je partirais avec ce regret de ne l’avoir pas vue débitrice de la grâce de Dieu. Contre espérance, je garde l’espérance ; le Seigneur a dit : «Demandez, il vous sera donné. Peut-être ne dois-je pas voir le résultat de mes prières à cet égard. Il m’a répondu à d’autres égards, ainsi notre petite Marthe a demandé à prendre place à la table du Seigneur. Quelle joie de voir les nôtres s’acheminer vers le bon chemin.... Tu sèmes et ne vois pas de fruit, chère tante. Ne te décourage pas ; ton travail n’est pas vain dans le Seigneur. Tu sers le Seigneur, eh bien, Lui apprécie ton œuvre d’amour et de fidélité, ton sacrifice. Tu le verras, lorsque dans sa gloire Il découvrira les fruits de ton dévouement devant les saints et les anges ; tout n’est-il pas inscrit par le Seigneur lui-même dans le livre ? En attendant il est précieux d’accomplir ton labeur de chaque jour dans sa crainte, ayant son approbation. Sache que c’est beaucoup que de coopérer à son œuvre, donner une parole à propos tout en soignant, parfois avec beaucoup de peine et d’une manière inaperçue, des malades et des blessés : «Bienheureux, vous tous qui semez près de toutes les eaux». C’est là, près des eaux, que la semence peut germer et croître : Peut-on désirer mieux que de se fatiguer chaque jour au service du Maître ? C’est mon profond désir, si le Seigneur me laisse encore quelques jours. S’Il me prend auprès de lui (c’est de beaucoup meilleur, car je suis si faible) tout est bien ; s’Il me laisse, il sait que mon ardent désir est de le servir où il voudra, mais le servir. Quel bonheur ! parler de ce beau nom, ce nom de Jésus !... Mon cœur brûle de parler de lui à ceux qui m’entourent. Je l’ai fait plusieurs fois ; mais, hélas, le cœur est froid, sec, sans besoin. Quoiqu’il en soit, «ne nous lassons pas en faisant le bien ; car au temps propre, nous moissonnerons» (Gal. 6:8, 9). L’important est de savoir si nous sommes dans le chemin de Dieu. Tu sèmes et continues à le faire avec courage, non parce que tu es forte, mais parce que celui qui est «ta force» est avec toi, déployant sa force dans l’infirmité ; c’est pourquoi, toi aussi, fatiguée, comme jadis les hommes de Gédéon, tu poursuis toujours (Juges 8:4). À lui la gloire ; à toi la joie.

 

20                

Mon cher petit André

 

Le Seigneur soit béni de te mettre au cœur de m’écrire de temps en temps. Si tu savais combien je suis heureux de recevoir beaucoup de lettres, surtout des vôtres, tous vous le feriez encore plus souvent. Après la joie de la communion avec mon Seigneur, vient celle de vos lettres, car elles sont ma seule compagnie, car ici je ne suis en communion de pensées et de sentiments avec personne. Je le dis à vous, car vous me comprenez.

 

Tu me dis, de te parler beaucoup des Allemands, je vais donc te raconter ce que je sais. Les Allemands avec lesquels j’ai à faire sont sur une petite crête, en face de nous. Souvent il nous arrive de les entendre chanter et même parfois leur musique jouer ; mais c’est surtout le dimanche que nous les entendons chanter. Avant-hier, le matin, les brouillards étant descendus, de part et d’autre on en profitait pour travailler. Crois-tu que nous les entendions même parler ; ils étaient dans un petit bois, en face, occupés à couper du combustible pour faire du feu. Leurs instruments tapaient sur de grosses pièces de bois ; tout à coup nos artilleurs leur ont envoyé quelques obus qui les ont calmés, je t’assure : on n’entendit plus chanter ni taper. Mais le soir, pour se venger, ils nous ont envoyé ce que nous appelons des marmites, de petites, mais quoique petites, elles sont mauvaises ; l’une d’elles est tombée juste derrière moi, et cela pendant que j’écrivais ta lettre. Ils nous en ont envoyé bien d’autres, mais rien ne nous a atteints. En ce moment même, pendant que je t’écris, une de leurs grosses pièces tire derrière moi ; elle n’est pas loin, car chaque coup fait trembler mon abri. Quant aux obus, ils vont tomber dans un bois, un peu à gauche et en avant, c’est le bois de Malancourt, qui a été dernièrement l’objet de terribles attaques et contre-attaques. Un de nos aviateurs a été sur les lignes allemandes, même très loin, en dépit des obus de l’artillerie allemande qui éclataient même près de lui.

 

C’est assez sur ce sujet, avant de terminer, mon cher petit frère, je veux te parler de choses qui réjouissent le cœur et le bénissent. Mais un mot encore qui n’a pas tout à fait ce caractère. Tu vas donc à l’école en compagnie du petit Pierre. Mais ce qu’on m’a écrit est-il donc réel ? Que vous vous donnez parfois des coups de poing ? Moi qui pensais que tu ne le faisais plus ! Peut-être dorénavant ne le feras-tu plus ? Si tu savais comme on est ennuyé plus tard d’avoir été ainsi méchant, tu demanderais vite au Seigneur Jésus de te rendre sage et obéissant. Il donne à qui lui demande. Mais tu sais quand on demande une chose, il faut la rechercher, la chose est dite au Ps. 27:4 : «J’ai demandé une chose à l’Éternel, je la rechercherai». Quand tu m’écriras, dis moi le nom de l’homme de Dieu auquel sa mère apprit à se prosterner devant l’Éternel dès sa plus tendre enfance. Il est écrit de lui : «Et... grandissait ; et l’Éternel était avec lui, et il ne laissa tomber à terre aucune de ses paroles». Quel magnifique témoignage ! Il rappelle celui qui nous est donné du Seigneur Jésus : «Et l’enfant croissait et se fortifiait, étant rempli de sagesse ; et la faveur de Dieu était avec lui» (Luc 2:40). Et encore, au v. 52 : «Et Jésus avançait en sagesse et en stature, et en faveur auprès de Dieu et des hommes».

 

Avant de terminer je reviens à la guerre : partout ce n’est que destruction et désolation. Malgré tes bons petits yeux, je doute que tu trouves sur la carte le petit village de Malmy. Il est entièrement détruit. L’église n’est plus qu’un amas de décombres, le cimetière même est bouleversé par les obus. Dans ces villages, il y a quelques mois encore pleins de vie, de bien-être et d’activité, tout est dévasté ; il n’y a plus rien. Les décombres sont les refuges de toutes sortes de bêtes, d’oiseaux. En parcourant ces ruines, mon cœur est fortement étreint par la douleur. Je ne puis m’empêcher de penser à plusieurs passages de la Bible, comme Jérémie 49:32 : «Et la multitude de leurs troupeaux sera une proie, et je les disperserai à tout vent». Ésaïe 34:11 : «... le pélican et le butor l’hériteront, et le hibou et le corbeau y habiteront. Et il étendra sur lui le cordeau de la désolation…». En effet, dans les maisons il n’y a plus rien, sauf quelques meubles brisés : tout est détruit. Or, au chap. 13:1-5 de l’évangile de Luc, le Seigneur nous donne sur ce sujet un enseignement fort solennel. Malheur à ceux qui endurciront leurs cœurs.

 

Tu vois, mon cher petit frère, que la guerre est redoutable, sans parler du champ de bataille, où les morts et les blessée couvrent le sol. Quand l’ennemi a passé dans une contrée tout est dévasté, saccagé, pillé. La cloche du village de Malmy est fondue. Puisqu’il y a une telle source de mal dans le cœur de l’homme, il nous faut écouter la Parole de Dieu et la mettre en pratique pour apprendre à bien faire...

 

21               Montzéville le 17 février 1915

 

Cher et bien-aimé frère,

 

Depuis lundi matin (c’est à deux heures et demie que nous sommes arrivés ici), je suis au repos dans ce village ; nous repartons demain, jeudi soir, pour les tranchées de première ligne. Je suis très bien dans ma santé, grâce à Dieu. À cet égard, comme à tant d’autres, j’ai expérimenté les bons soins du Seigneur : «Il donne de la force à celui qui est las».

 

Il fait bon, pas trop froid, quelque peu de pluie, mais moins qu’en janvier, qu’il plut presque tous les jours. À chaque jour de relève ou à peu près nous eûmes la pluie ; l’obscurité était si noire qu’il nous est arrivé plus d’une fois de nous égarer. Cette nuit profonde — égaré et seul en terrain ennemi, — m’a fourni de grands sujets de méditation. C’est effrayant d’être égaré en pays ennemi par une nuit où les ténèbres ne vous permettent pas même de distinguer les objets à deux pas devant soi, sans un point quelconque pour s’orienter. J’ai pensé à ce moment, où notre Sauveur, cloué sur la croix entre deux malfaiteurs, s’est trouvé seul, abandonné de son Dieu, ce Dieu dont il n’avait fait que la volonté, son Dieu alors contre lui ! «Épée, réveille-toi contre mon berger, contre l’homme qui est mon compagnon» (Zacharie 13:7). Je comprends, mais très peu, qu’alors, ce cher Sauveur se soit écrié : «Et mon cœur m’a abandonné». Son Dieu l’avait abandonné ! Jésus a fait tout cela pour nous : que faisions-nous pour Lui ?... Nous l’avons contraint de nous frapper ; notre place est à ses pieds, brisés en lui confessant tout.

 

Il me vint ensuite cette réflexion : Les ténèbres demeurent sur ce pauvre monde, et en elles gronde un sinistre orage. Comme dans les sombres nuits dont je parlais, les nuages couvrent le ciel, enveloppent la terre sur laquelle un terrible ouragan de feu et de fer s’est déchaîné, portant partout la ruine, la désolation et la mort. Mais, me disais-je, au-dessus des nuages et de la tempête brille, sereine et solitaire l’Étoile du matin. Elle brille si paisible dans le ciel, mais bien plus elle s’est levée dans mon cœur. Comme elle rappelle le Seigneur Jésus dans la scène décrite en Marc 6:45, 46, 47, 48. Que c’est réconfortant de le savoir ainsi occupé des siens, se «sanctifiant lui-même pour eux», pour eux ayant le monde et son Chef contre eux. Oui, on peut bien le dire, le cœur rempli par Christ est comblé de bonheur. C’est du reste ce que Pierre écrit dans sa première épître, chap. 1:8 : «lequel, quoique vous ne l’ayez pas vu, vous aimez ; et, croyant en lui, quoique maintenant vous ne le voyiez pas, vous vous réjouissez d’une joie ineffable et glorieuse». Dans cette nuit si sombre, entouré de dangers sans nombre, sous la pluie pendant une marche pénible, j’étais, malgré tout, bienheureux. Jésus, qui m’a tant aimé, était là, oh ! quelle faveur ! Puis bientôt dans ce caractère de tendresse, de consolation, d’espérance, il se donnera à nous : «Et je lui donnerai l’Étoile du matin», dit-il à celui qui vaincra. Quand est-ce que la dernière trompette sonnera et que nous serons rassemblés dans les nuées, en l’air, et qu’ainsi nous serons toujours avec le Seigneur ?...

 

Mais une chose me brise le cœur : je désirais beaucoup revenir sur le front pour parler de Jésus à ceux qui n’ont qu’une mort hideuse devant eux, et après la mort le jugement ; mais voilà que jusqu’à cette heure je n’avais presque jamais pu le faire. Il est vrai que je parlai à plusieurs un à un, je distribuai aussi des évangiles et des traités ; mais hier au soir, ayant été à la 1° compagnie pour voir un ami V., de St-É., Dieu m’a fourni l’occasion de parler de Jésus à plusieurs. Au début, ils n’étaient que trois ou quatre, mais bientôt, au moins plus de douze, et j’ai pu annoncer l’évangile à tous. Oh, comme j’étais heureux ! depuis longtemps mon cœur brûlait de le faire, puis, parmi ceux qui étaient là, plusieurs pleuraient.

 

Je vous raconte cela, cher frère, afin que vous voyiez une réponse à vos et à nos prières, et qu’ainsi vous continuiez à prier beaucoup pour tous ces soldats sans Dieu et sans espérance. Faites-le aussi pour nous tous, les rachetés de Christ, surtout pour moi, car je suis un faible serviteur du Seigneur Jésus : qu’Il me donne tout ce dont j’ai besoin pour le servir, Lui. Quelle grâce qu’Il veuille nous employer à son œuvre, comme ses collaborateurs. La pensée que tant de frères se souviennent de nous devant le Seigneur me fortifie grandement.

 

Demandons-lui aussi que, si telle est sa volonté, ces jours de deuil et de grandes souffrances, de ruines presque irréparables, soient arrêtés. Toutefois, il a son but ; il faut que celui-ci soit atteint. Patience donc et pleine paix. Le Seigneur ne nous a pas donné sa paix pour que nous soyons remplis de crainte et d’inquiétude.

 

Le cher frère S. est là, près de moi. Il va bien et me charge de vous transmettre ses affectueuses salutations en Christ. Je suis si heureux de l’avoir avec moi ! Aux tranchées, nous ne sommes pas ensemble, n’étant pas dans le même peloton ; mais ici, au repos, nous en profitons pour rester le plus possible ensemble.

 

Ici, c’est assez tranquille. Cependant depuis hier la canonnade ne cesse pas, la fusillade non plus. Nous avons attaqué ; il paraît que les Français ont un peu avancé. Le 61°, de son côté, doit entrer dans l’action. Ah, qu’il est doux d’avoir le sein de son Sauveur pour y reposer sa tête ! Je suis en paix, quoiqu’il arrive ; pourtant j’aimerais rester, mais seulement pour cela, que la grâce me soit accordée de savoir employer le temps si court qui m’est laissé, à parler de Jésus à ceux qui m’entourent. Il sait tout ; Il fait toutes choses bien ; vivons au jour le jour, appuyés sur Lui.

 

Cher frère, voudriez-vous transmettre mes salutations aux saints de l’assemblée. Je voudrais écrire à tous, au moins à plusieurs, mais je vois que je ne le pourrai pas : j’ai trop à écrire et ne suis pas assez libre.

 

Enfin, Dieu, peut-être, nous accordera de nous revoir sur la terre ; j’en serais bienheureux, mais être avec Christ est de beaucoup meilleur : tous y seront et pour l’éternité.

Je vous embrasse avec affection dans le Seigneur.

 

Votre jeune frère,

 

J. D. 61° Rt d’infanterie.

 

22               Montzéville 25 février 1915

 

Tu te fatigues outre mesure en donnant à tes malades les soins que réclame leur état. Je comprends que ce service est très pénible, surtout pour quelqu’un qui fait plus qu’elle ne peut. Mais n’es-tu pas un témoignage vivant que le Seigneur soutient les siens, et leur donne la force nécessaire pour faire l’œuvre qui leur est confiée. Il est heureux de se fatiguer au service du Maître ; nous sommes à son service partout où il nous a placés, et j’aime à penser à ce passage : «Tu comptes mes allées et mes venues ; mets mes larmes dans les vaisseaux ; ne sont-elles pas toutes dans ton livre ?» (Ps. 56:8). On peut pleurer parce que la volonté est contrariée ; mais verser des larmes pour Lui, dans son service, comme cela est dit au v. 136 du Psaume 119 : «Des ruisseaux d’eau coulent de mes yeux, parce qu’on ne garde pas ta loi», ou encore en 1 Samuel 20:41 : «... ils pleurèrent l’un avec l’autre, jusqu’à ce que les pleurs de David devinrent excessifs», de telles larmes lui sont précieuses.

 

Le bienheureux apôtre «servait le Seigneur avec des larmes» (Actes 20:19, 31, 37), «avertissant chacun de vous avec larmes», et encore : «Je vous ai écrit avec beaucoup de larmes» (2 Corinthiens 2:4) ; «me souvenant de tes larmes», écrit-il à son cher Timothée (2 Tim. 1:4). Engagé ainsi de cœur dans les intérêts de Christ, non seulement les larmes, mais chaque soupir, chaque défaillance même, tout est inscrit, et nos lassitudes, et nos peines. Se dépenser ainsi pour le Seigneur est une grande grâce. C’est Colossiens 3:17 vécu : «Et quelque chose que vous fassiez, en parole ou en œuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus, rendant grâces par lui à Dieu le Père».

 

Nous lisons, du Seigneur Jésus, en Jean 4:6 : «Jésus donc, étant lassé du chemin, se tenait là assis». Il a été fatigué dans le service d’amour qu’il accomplissait sur la terre ; aussi ses yeux reposent-ils avec satisfaction sur ceux qui, «fatigués, poursuivent toujours».

 

Hélas, en ce qui me concerne, j’ai été lassé parfois, mais lassé dans la poursuite de mes intérêts, de la satisfaction de mon moi, et ces peines n’étaient pas utiles. Le Seigneur peut-il les mettre à mon avoir ? Je te cite encore ce que l’apôtre écrit aux Galates, chap. 6:9 : «Or, ne nous lassons pas en faisant le bien, car, au temps propre, nous moissonnerons, si nous ne défaillons pas…».

23               Le 21 février 1915

 

À mes chers parents,

 

... La lecture de la parole est utile en tout temps ; elle est même indispensable à la vie de l’homme spirituel, autant que le pain pour la vie du corps ; c’est par elle que nous croissons à salut (1 Pierre 2:2), car elle enseigne : Ps. 119:9 ; c’est en la méditant qu’on devient intelligent : Ps. 119:99, 100 ; c’est elle qui montre le chemin et les dangers qui s’y trouvent, au sein des ténèbres morales qui couvrent le monde : Ps. 119:105. Quel dommage que nous ne nous soyons pas laissés enseigner pratiquement par elle ! C’est ce qui nous a fait défaut. Et pourtant le Seigneur veut trouver un peuple «de franche volonté» (Ps. 110:3) qui l’attende. Afin de nous ramener, il a dû nous frapper. Oui, nous aussi nous sommes tombés par notre iniquité. Au Seigneur notre Dieu sont «les compassions et les pardons», car nous n’avons pas écouté sa voix (Daniel 9:9) : «Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés, et nous purifier de toute iniquité». C’est le Dieu de toute grâce que nous connaissons, cependant il faut que l’épreuve de la foi et la discipline aillent jusqu’au bout.

 

J’ai pu parler de Jésus plusieurs fois, mais plutôt individuellement. Il semble y avoir peu de besoins chez les soldats, néanmoins je suis heureux de semer avec le secours du Seigneur. Dernièrement un soldat me dit : «Tiens, essaye de trouver la solution de ce problème : Avec 100 fr. il faut acheter 100 bêtes : des oies à 5 fr. pièce ; des pigeons à 1 fr. ; des moineaux à 5 centimes». — «Oui, lui répondis-je aussitôt, et pendant que je cherche cette solution, trouve la réponse à cette question : Que faut-il que je fasse pour échapper au juste jugement de Dieu ?» Après m’être fait expliquer le sien, je l’aidai à trouver la solution du mien, ce qui me donna l’opportunité de lui parler de Jésus et de son sacrifice expiatoire sur la croix.

 

24               Montzéville 7 février 1915

 

Nous sommes arrivés des tranchées ce matin, à deux heures, par la pluie et le vent ; mais ce ne sont pas pour moi les moments les plus pénibles, car mon Sauveur me soutient, m’abrite sous ses ailes : «Sois fort», me dit-il. N’est-il pas «ma force» ? Je puis m’appuyer sur son bras tout-puissant ; je ne sens pas mon sac, ne vois pas la pluie, ni n’entends le vent ; je suis si heureux, car Jésus est là !

 

Je viens de passer quatre jours de grande disette dans les tranchées, avec deux sergents et un aspirant dans mon abri. Je ne pouvais lire, faute de lumière, et n’étais pas même libre dans mes pensées, car ils parlaient sans cesse de choses et autres. Et moi, comme Marie, je me tenais dehors (Jean 20:11), car on avait enlevé mon Seigneur. Hélas, je puis bien le dire, «que mon âme ait tant demeuré avec ceux qui haïssent la paix !» «Je veux la paix ; mais si j’en parle, ils sont, eux, pour la guerre» (Ps. 120:6, 7). Oh ! que j’étais affligé dans mon âme ! «Mon Dieu, fais-moi vivre selon ta parole» ; «Vois mon affliction, et délivre-moi !» (Ps. 119:107, 153). «Car voici, ceux qui sont loin de toi périront. Mais, pour moi, m’approcher de Dieu est mon bien» (Ps. 73). Il veut nous amener là, à ne trouver de joie qu’en lui seul : Ps. 63:1.

 

À l’heure où vous étiez rassemblés pour le culte, je lisais le Ps. 84, sujet très précieux, plein d’actualité pour moi : je suis dans le désert et vous dans le sanctuaire ! Les autels sont dans le sanctuaire ; au désert est la terre aride et altérée, sans eau. Il fallait à Naaman de la terre bénie d’Israël pour y élever son autel en Assyrie (2 Rois 5:17). En Égypte, Abraham n’a point d’autel ; mais, quittant ce pays, il s’en va, en ses traites du midi jusqu’à Béthel... «au lieu où était l’autel» (Genèse 13:3, 4). L’Israël de Dieu (et c’est lui que l’on trouve au Psaume 84) est un peuple de rois et de sacrificateurs, et «ils règneront sur la terre» Voyez Apoc. 5:10. Mais, comme moi, appelés à demeurer avec ceux qui haïssent la paix, ils languissent, eux aussi, loin des autels de l’Éternel, autel de l’holocauste, autel d’or des parfums : «Le passereau même a trouvé une maison, et l’hirondelle un nid pour elle, où elle a mis ses petits... tes autels, ô Éternel des armées ! mon Roi et mon Dieu !» (Ps. 84:3). Et moi, n’ai-je pas des motifs plus forts, plus intimes encore, de soupirer et de languir après l’assemblée de Dieu, et la table du Seigneur, et sa présence au milieu des siens, pour offrir à Dieu ces sacrifices spirituels qui lui sont agréables par Jésus Christ ?...

 

Vers 10 h 30 heures, je voyais les saints, à A., rassemblés, au nom du Seigneur, en sainte sacrificature, des adorateurs tels que le Père les veut. Chacun était là, à sa place habituelle, si bien que, tout à coup, je me crus au milieu de vous... Hélas ! j’étais loin, bien loin de ce lieu béni. Cependant, mon Seigneur, fidèle et bon Berger, a attiré mon attention sur ce passage d’Hébreux 10:19, 22 : «Ayant donc, frères, une pleine liberté pour entrer dans les lieux saints par le sang de Jésus... et ayant un grand sacrificateur établi sur la maison de Dieu, approchons-nous…». Que de richesses ! Ce n’est pas dans le local de L.P. seulement que vous étiez entrés, mais dans les lieux saints, dans le ciel même, pour louer et adorer notre Dieu en sainte magnificence. Ce fut un moment béni. Patience donc ! bientôt les saints glorifiés, réunis autour de Christ dans la gloire, feront «la fête» dans la perfection et chanteront sans faiblesse le cantique nouveau. Quelle éternité !

 

Ici, tout est passager, les pleurs, comme les joies. La tribulation, au témoignage même des Écritures, «est légère et d’un moment», bien qu’elle dure toue une vie ; mais «elle opère pour nous, en mesure surabondante, un poids éternel de gloire» (2 Cor. 4:16-18). En attendant, il nous faut Colossiens, 1:11, 12, 13.

 

Romains 5:1-5 nous montre comment la tribulation opère en nous et pour nous ce poids éternel de gloire : «la tribulation produit la patience, et la patience l’expérience, et l’expérience l’espérance ; et l’espérance ne rend point honteux, parce que l’amour de Dieu est versé dans nos cœurs», ce qui a pour résultat quelque chose de plus grand encore : «Et non seulement cela, mais aussi nous nous glorifions en Dieu, par notre Seigneur Jésus Christ, par lequel nous avons maintenant reçu la réconciliation» (Rom. 5:11). Mesure suprême, car celui qui se glorifie en Dieu ne saurait se glorifier ni en plus, ni en mieux. Plus de crainte donc, même dans l’orage, quelques proportions qu’il prenne : «l’amour parfait bannit la crainte» ; la sécurité est entière, car «Il te couvrira de ses plumes, et sous ses ailes tu auras un refuge» (Ps. 91:1, 4). Il n’est troublé par rien, Lui, le Dieu de paix...

 

25               Le 3 mars 1915

 

Me voici dans les tranchées, où j’occupe, pour la troisième fois, le même emplacement. Nous en sommes satisfaits, car ici tout est assez calme ; il est même rare que ceux qui sont en face de nous tirent un coup de fusil ; tellement que parfois nous serions tentés de croire qu’il n’y a personne, si de temps à autre l’un d’eux, ou même plusieurs ne se montraient. C’est rare cependant, car il est certain que nos balles sifflent aussitôt et vont les rappeler à la prudence. Toutefois, si l’infanterie est tranquille, l’artillerie, en revanche, à l’œil sur nous. Nous avons fait une tranchée un peu en avant. Pendant le jour, nous avons essayé, à diverses reprises, d’y travailler, mais chaque fois les obus arrivaient. Je t’assure que chacun alors se cachait vite et que tous disparaissaient sous terre, dans les abris. On dut faire toute la tranchée à la faveur de la nuit. Maintenant elle est pourvue de créneaux ; elle est terminée, mais il faut encore en sortir l’eau et la boue.

 

Je suppose que si l’infanterie allemande nous laisse ainsi tranquilles, c’est à cause de la distance qui nous sépare. Lorsque les tranchées sont rapprochées, malheur à qui se montre !... Sur la droite et sur la gauche, où les tranchées sont plus rapprochées, les attaques de part et d’autre sont fréquentes. Ce sont alors des prises terribles. Les tranchées sont minées, l’ennemi les fait sauter ; sitôt après l’explosion, il s’élance pour occuper la tranchée. On le fait de part et d’autre ; c’est ainsi qu’une tranchée, selon qu’elle est plus ou moins importante, devient l’objectif d’une série d’attaques et de contre-attaques ; alternativement les deux ennemis se la prennent et reprennent. Oh ! ce sont des luttes sanglantes, parfois d’épouvantables corps à corps, où les hommes, comme des bêtes féroces, se ruent les uns sur les autres, se transpercent avec de grands couteaux, se lancent des grenades à la main. En ce qui me concerne, j’ai à bénir mon Dieu de ce qu’il n’en est pas ainsi ; crois-tu que dès mon retour sur le front, je n’ai pas tiré un seul coup de fusil, sauf pour dérouiller mon arme ; — mais alors je tirais n’importe où, sur un piquet...

 

Je voudrais que tu me visses : j’ai devant moi comme un petit escalier pratiqué sur le côté de la tranchée. C’est là que je tiens toute ma batterie de cuisine, tous mes trésors : gamelle, quart, petite casserole, réchaud, puis une boîte contenant sucre, chocolat, etc. À ma gauche, pendent mes musettes, où sont vivres, lettres, papier à écrire, traités et ma Bible. C’est ainsi que, sans me déranger, j’ai tout sous la main. Mon abri a un inconvénient, il n’est pas tout à fait assez haut : étant assis par terre, ma tête touche les tôles qui forment le toit ; il manque aussi de largeur, car en étant ainsi assis, j’en tiens toute la largeur. Tu comprends maintenant qu’on les appelle boyaux. Pour la nuit, je m’étends dans le sens de la longueur. Nous sommes quatre dans ce boyau. Il n’y fait pas trop froid...

 

 

26               Le 4 mars 1915

 

Chers et bien-aimés,

 

Mon cœur se porte vers vous, les bien-aimés du Seigneur réunis pour la prière. Il est 3 heures, vous êtes à genoux, rassemblés devant le trône de la grâce. Que de besoins à exposer à notre Dieu et Père, à notre Seigneur, fidèle et bon Berger ! 1 Timothée 2:1-4, Éphésiens 6:18-20, Philippiens 4:6, 7, Colossiens 4:2-4, Romains 15, 2 Corinthiens 1:8-11 ; Hébreux 13:18, 19. Tous ces passages montrent les effets merveilleux et si divers des prières des saints. La réunion pour la prière est un grand soulagement pour un cœur pieux qui cherche les intérêts de Christ ! C’est donc ainsi que nous venons au trône de la grâce pour déposer les requêtes de nos cœurs aux pieds de Celui qui y est assis, «qui a traversé les cieux». Il est donc parti d’en-bas, de la terre, pour arriver là, sur le trône de la grâce ! Il nous comprend quand nous lui parlons de nos besoins, «car il a été tenté en toutes choses comme nous, à part le péché». Que de richesses ! quel encouragement à «tenir ferme notre confession !» C’est bien un tel trône qu’il nous faut et un tel souverain sacrificateur. En Apoc. 4:2 à 4, le trône est bien différent ! Et l’éclat divin de Celui qui est assis sur le trône, et l’arc-en-ciel, et les 24 trônes qui sont autour du trône, et les 24 anciens qui sont assis dessus ! haut est grand, majestueux, plein de gloire ! Les saints sont bien là, autour du trône, mais pas réunis pour la prière : «et autour du trône 24 anciens, vêtus de vêtements  blancs, et sur leurs têtes des couronnes d’or». Il a fait toute chose belle en son temps, dit l’Ecclésisaste, chap. 3:11. Pour nous qui sommes encore dans le désert, qui avons été donnés à Christ et sommes haïs du monde, nous avons besoin du trône de la grâce, duquel aussi nous nous approchons, afin que nous recevions miséricorde et que nous trouvions grâce pour avoir du secours au moment opportun (Hébr. 4:16).

 

Si nous avions connu mieux la merveilleuse grâce du Dieu qui nous a sauvés, nous fussions demeurés plus attachés à Celui qui en est à la fois la source et l’expression. N’est-ce pas cette grâce qui nous a pris où nous étions et tels que nous étions (Tite 3:3-8), pour nous amener à Dieu, à tout ce que Dieu est (1 Pierre 3:18) ? n’est-ce pas elle qui nous suit tout le long du chemin (Hébreux 8:25).

 

J’ai donc été beaucoup avec vous en pensée. Ah ! si j’eusse pu prendre des ailes, c’eût été des ailes de colombes, et je serais parti comme un trait jusqu’à vous... Mais je suis ici... et tout ce travail béni de mon cœur, par la grâce de Dieu, toute cette bénédiction dont mon âme a joui, me fait sentir douloureusement où je suis et la distance qui nous sépare... Seigneur, que ta volonté soit faite ! Que nous soyons gardés dans la paix, la patience, sachant qu’il fait toutes choses bien. Mon cœur se brisait, cependant j’ai pu dire : «Oui, Père, c’est ce que tu as trouvé bon devant toi» (Matthieu 11:26). Quelle soumission de la part du Seigneur dans cette expression ! Comme il a trouvé le repos de son âme dans cette absolue soumission ! Qu’il nous fasse la grâce de charger son joug sur nous, et d’apprendre de lui, car il est «débonnaire et humble de cœur ; et nous trouverons le repos de nos âmes» (Matthieu 11:29, 30). Il ne faut pas que la patience soit forcée, mais qu’étant fortifiés en toute force selon la puissance de sa gloire, le fruit en soit dans l’épreuve même, toute patience et constance avec joie, étant plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimés. Comme chaque mot acquiert une force particulière quand, venant de son cœur, il est appliqué au nôtre par la puissance de l’Esprit Saint. Nous nous glorifions réellement dans les tribulations, quand la patience qu’elles produisent est caractérisée par la joie de Colossiens 1:11.

 

La dernière fois que vous avez été réunis ensemble pour la prière, vous avez beaucoup demandé que les saints sur le front parlent de Jésus à leurs compagnons d’armes. Aujourd’hui, mes camarades m’ont demandé des traités. Ce que j’avais, je le leur ai donné : un almanach évangélique, trois poésies différentes (le Dieu du Kaiser, Aux chers soldats français blessés, et l’Europe ensanglantée), plusieurs traités et, pour finir, d’anciens «Salut de Dieu». Tous les ont lus. Plusieurs me les ont rendus, mais après les avoir lus. C’est la première fois qu’ils me demandent tant à lire. À tous, ou à peu près, j’avais donné déjà des traités et des évangiles.

 

Je ne me tiens pas dans le même abri que les sergents et l’adjudant, comme au commencement. Ils voulaient que j’y allasse de nouveau, mais j’ai préféré être à part, tranquille, quoique je ne sois pas seul, car nous sommes quatre dans l’abri. Oui, je comprends un peu le psalmiste quand il dit : «J’aimerais mieux me tenir sur le seuil dans la maison de mon Dieu, que de demeurer dans les tentes de la méchanceté» (Ps. 84:10). Mais, béni soit-il, ce n’est pas le seuil, mais la demeure secrète du Très-Haut qui est notre part. À Lui toute la gloire...

 

Mais le contraste est grand entre ceux qui «habitent dans la demeure secrète du Très-Haut» et jouissent de tous les biens qui s’y trouvent, et ceux qui ne vivent pas dans cette intimité avec Dieu. C’est ainsi que Moïse devra dire aux fils d’Israël, en Égypte : «Je Suis m’a envoyé» (Exode 3:14), et faire les signes : 4:30 ; au Pharaon, Jéhovah se fera connaître comme l’Éternel, le Dieu d’Israël : «Et tu diras ainsi au Pharaon : Ainsi a dit l’Éternel, le Dieu d’Israël : Israël est mon fils, mon premier-né..» (4:22). Plus tard, dans le désert, puis en Canaan, quand le peuple a manqué, il dit, les invitant à revenir à lui : «Ainsi dit l’Éternel, qui t’a créé, ô Jacob, qui t’a formé, ô Israël» (Ésaïe 43:1). Qu’il nous soit donc accordé la grâce de savoir nous tenir à ses pieds, comme Marie, et écouter sa parole. C’est là la bonne part qui ne nous sera point ôtée.

 

Ce verset de cantique m’a souvent fait pleurer :

 

Nous connaissons ta douce voix,

Jésus, Berger fidèle ;

Tu nous as acquis, à la croix,

Une vie éternelle.

Seigneur, par ton Esprit d’amour,

Sur nous tu répands chaque jour

Quelque grâce nouvelle.

 

Oui, dit-Il, «Je connais les miens, et je suis connu des miens, comme le Père me connaît, et moi je connais le Père» (Jean 10:14, 15). Plus nous le connaîtrons, plus notre cœur sera tranquille, car mieux encore nous verrons l’étendue incommensurable de son amour, de sa grâce, de ses compassions, de sa miséricorde, de sa tendresse, de sa sollicitude. À l’heure présente, qui pourrait, sinon Lui, donner du repos à nos cœurs, et la confiance sans restriction en ce divin Seigneur, Tout-Puissant Rédempteur, qui nous chérit comme la prunelle de son œil ? cette confiance est légitime, elle lui est due, car, dans l’intérêt qu’il porte à tout ce qui nous touche, il compte même les cheveux de notre tête. Au chap. 43 d’Ésaïe, aux v. 3 et 4, s’adressant à Israël, son peuple terrestre, il dit : «Depuis que tu es devenu précieux à mes yeux, tu as été glorieux, et je t’ai aimé ; et je donnerai des hommes pour toi et des peuples pour ta vie». Pour nous, il a fait plus que de donner des peuples pour notre vie : «Il s’est donné Lui-même», ainsi qu’il le dit en Jean 10:11, 15 : «le bon Berger met sa vie pour les brebis». Au chap. 5, v. 1 de l’épître aux Éphésiens, il est écrit : «... le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous comme offrande et sacrifice à Dieu, en parfum de bonne odeur», et, au v. 25, «... le Christ a aimé l’assemblée et s’est livré lui-même pour elle»... «Jésus, donc, sachant toutes les choses qui devaient lui arriver, s’avança et leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Jésus le Nazaréen. Jésus leur dit : C’est moi. Et Judas aussi, qui le livrait, était là avec eux. Quand donc il leur eût dit : C’est moi, ils reculèrent, et tombèrent par terre. Il leur demanda donc de nouveau : Qui cherchez-vous ? Et ils dirent : Jésus le Nazaréen. Jésus répondit : Je vous ai dit que c’est moi, si donc vous me cherchez, laissez aller ceux-ci» (Jean 18:4-9). Ah ! n’est-ce pas, il nous tarde d’être arrivés pour le connaître à fond, si tant est que ce soit possible, vu que «nul ne connaît le Fils que le Père» (Matt. 11:27). J’ai été bien longtemps sur ce sujet, mais il n’y a rien de plus précieux pour nous que de connaître «l’amour du Christ, qui surpasse toute connaissance» (Éphésiens 3:19). Pleine paix, n’est-ce pas,... patience... «Ayez bon courage, dit-il, c’est moi ; n’ayez point de peur» (Marc 6:50).

 

27               Fréméréville, le mars 1915

 

Allons, voici le déjeuner terminé, déjeuner qui se compose d’une soupe et d’un morceau de lard et d’un quart de café. Presque toutes les fois que nous sommes au cantonnement, on tue un porc, alors je suis à mon affaire.

Quant aux deux passages, Phil. 4:7 : «Et la paix de Dieu, laquelle surpasse toute intelligence, gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus», — et Hébreux 4:10 : «Appliquons-nous donc à entrer dans ce repos-là», il peut y avoir une petite analogie entre eux, toutefois ce n’est pas la même chose. En Philippiens les soucis ne doivent pas ronger le cœur : nous sommes en relation avec Dieu. N’est-il pas notre refuge en tout temps ? Nos circonstances, si accablantes ou désespérées qu’elles nous paraissent, ne sont jamais au-dessus de ses ressources, car la ressource en Lui est toujours plus grande que notre besoin : lorsque nous avons rejeté sur lui notre fardeau, la paix de Dieu n’en est pas troublée. Cette paix de Dieu lui-même gardera nos cœurs et nos pensées dans le Christ Jésus. Le trouble est dans notre cœur, mais la paix de Dieu, tout sage, tout bon, tout puissant, qui se charge de tout ; cette paix décharge nos pauvres cœurs et les garde dans la jouissance de leur riche portion, dans le Christ Jésus. En Hébreux 4, remarquons bien qu’il s’agit du repos de Dieu et qu’il faut nous appliquer à entrer dans ce repos-là. Pour nous, ce repos est encore à venir ; c’est un repos après le travail. Le fait qu’il s’agit du repos de Dieu nous fait comprendre le bonheur et la perfection de ce repos-là : «Il se réjouira avec joie à ton sujet : il se reposera dans son amour» (Sophonie 3:17). Le repos est encore à venir, mais il est assuré ; Christ à la droite de Dieu en est l’expression parfaite. Le Seigneur dit en Jean 5:17 : «Mon Père travaille jusqu’à maintenant, et moi je travaille». Mais Jésus a pu dire en Jean 17:4 : «Moi, je t’ai glorifié sur la terre, j’ai achevé l’œuvre que tu m’as donnée à faire ; et maintenant glorifie-moi, toi, Père, auprès de toi-même, de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût». En Hébreux 4:9, il s’agit donc du repos du chrétien après tous ses travaux. Précieuse association ou communion de nature, de pensée et d’activité du chrétien sur la terre avec le Père et le Fils, et du repos de Dieu dans la gloire et la félicité. Le Dieu qui est amour se reposera dans la perfection de la bénédiction des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, et pour l’éternité ! Pour le présent, c’est le travail d’amour de la foi, ce sont les exercices et les épreuves de la foi, c’est le bon combat de la foi, etc., mais tout cela cessera, et le fidèle se reposera alors dans le repos du Dieu d’amour. En attendant ce repos final, et pour mieux y arriver, le cher Sauveur nous dit aujourd’hui, comme jadis aux disciples : «Venez à l’écart vous-mêmes... et reposez-vous un peu» (Marc 6:31). Quel cœur que celui du Maitre pour les siens se fatiguant à son service ! Et maintenant que le terme de nos peines approche si rapidement nous pouvons bien dire : «Bienheureux sont ces esclaves-là que le Maître, quand il viendra, trouvera veillant» (Luc 12:37). C’est l’amour pour lui, et rien d’autre, qui peut tenir le cœur dans cette constante attente de la venue du Seigneur, car où est le trésor, là aussi est le cœur. C’est à la fois précieux et solennel...

 

28               Le 12 mars 1915

 

Chère sœur,

 

... Que le Seigneur vous bénisse, vous qui pensez à moi et vous occupez de moi à tous égards ; à Lui toute la gloire, à vous et à moi la bénédiction et la joie. C’est lui qui encourage les siens dans le désert, qui prend soin d’eux jusque dans les moindres détails de ce qui les concerne. Tous les moyens sont dans sa main et c’est important à ses yeux de voir les siens s’entraider et s’encourager mutuellement pour aller en avant en ces jours de détresse, sur cette terre aride et altérée, sans eau...

Cette fois, je suis bien favorisé, étant dans un bon secteur, comme soutien d’artillerie, à quelques kilomètres en arrière des tranchées de première ligne. Les abris sont bons, ce qui n’est pas la moindre face à considérer dans notre situation. Et puis nous pouvons faire de bons feux, le combustible ne nous fait pas défaut, du moment que nous sommes dans un petit bois.

Le jour que vous m’avez écrit, vous arriviez, me dites-vous, de la réunion de prières, rassemblés dans la paix, et le Seigneur lui-même étant au milieu de vous (Matt. 18:19, 20). Quelle promesse ! «Je vous dis encore que si deux d’entre vous sont d’accord sur la terre pour une chose quelconque, quelle que soit la chose qu’ils demanderont, elle sera faite pour eux par mon Père qui est dans les cieux». Et encore : «En vérité, en vérité, je vous dis que toutes les choses que vous demanderez au Père en mon nom, il vous les donnera» (Jean 16:23). Il n’y pas de limites à la grâce des Écritures, qui nous disent encore : «Et si nous savons qu’il nous écoute, quoique ce soit que nous demandions, nous savons que nous avons les choses que nous lui avons demandées» (1 Jean 5:15).

 

Ah ! quelle ressource puissante et riche que la prière ! quel dommage pour nous, de n’avoir pas su nous en servir davantage et mieux ! Si l’amour eût été plus actif, nous serions demeurés en Lui, et possédant ces choses et bien d’autres encore, qui sont le ressort d’un christianisme pur et vrai, nous aurions su lui demander «ce qui est selon sa volonté», quelle perte !

 

Il est une autre chose, mentionnée au Psaume 27, qui m’a souvent rempli de confusion : «J’ai demandé une chose... je la rechercherai». Hélas, nous ne savons pas assez rechercher ce que nous demandons : l’ami veut trois pains, sa demande est claire, précise ; il les lui faut, et, en dépit de toutes les objections qu’on lui oppose, il les a (Luc 11:5-11). — Eh bien, il n’est pas trop tard pour nous réveiller de notre sommeil spirituel et de conscience ; les temps ne sont-ils donc pas assez solennels pour cela ? Le Psalmiste désirait habiter dans la maison de l’Éternel, tous les jours de sa vie, pour voir la beauté de l’Éternel, et s’enquérir diligemment de lui dans son temple». Nous, maintenant, n’avons-nous pas des motifs plus grands, plus élevés, de nous enquérir de notre Dieu et Père, «le Dieu qui habite la lumière inaccessible, lequel aucun des hommes n’a vu, ni ne peut voir», et qui nous a été absolument révélé dans le fils, en Jésus. Voyez Jean 1:18 : «Personne ne vit jamais Dieu ; le fils unique qui est dans le sein du Père, lui, l’a fait connaître». «Et il est venu et nous a donné une intelligence, afin que nous connaissions le Véritable, c’est-à-dire l’intelligence ou connaissance du Dieu invisible, révélé en Lui, Jésus, qui est «le resplendissement de sa gloire et l’empreinte de sa substance». C’est là ce qu’il nous faut, le Seigneur Jésus : «Et eux, levant les yeux, ne virent personne que Jésus seul» (Matthieu 17:8). Oui, oh ! l’Étoile brillante du matin s’est levée dans nos cœurs ! — bientôt nous l’aurons !... quel bonheur !...

 

Il y a sujet de nous humilier profondément et dans les larmes, de ce que nous avons été. Toutefois, «les dons de grâce et l’appel de Dieu sont sans repentir» (Romains 11:29). C’est pourquoi prenons courage, «car Dieu ne nous a pas destinés à la colère, mais à l’acquisition du salut par notre Seigneur Jésus Christ, qui est mort pour nous, afin que, soit que nous veillions, soit que nous dormions, nous vivions ensemble avec lui» (1 Thessaloniciens 5:9, 10). Plus haut est la Patrie !...

 

29               Les tranchées, le 26 mars 1915

 

... Les journées les plus pénibles sont celles de relève, car, en hiver, les marches sont très fatigantes, à cause de la boue, et, de plus, on est toujours chargé, soit en provisions de bouche, soit en vêtements ; aussi lorsque nous arrivons, parfois chacun en a assez. Je n’ai quand même pas à me plaindre, car il y en a qui peinent plus que moi. De plus, j’ai fait l’expérience que c’est lorsque je suis le plus à bout, que le Seigneur me tient le plus près de lui. J’éprouve davantage alors ses tendres compassions, sa grande miséricorde. Il est toujours là, mais dans ces moments pénibles, il se tient tout près de moi. Il nous porte sur son cœur et sur ses épaules. Quelle grâce ! Il sympathise absolument à toutes nos peines, ayant «été tenté, comme nous, en toute chose à part le péché». «Il a été consommé chef de notre salut par des souffrances», «car en ce qu’il a souffert lui-même étant tenté, il est à même de secourir ceux qui sont tentés». Il a été fatigué, il a eu faim, il a eu soif, lui, l’homme de douleurs, connaissant la langueur ; il n’avait pas un lieu où reposer sa tête. C’est avec Lui qu’il faut avoir à faire. Alors on éprouve que ses paroles réconfortent, et sa tendresse et sa voix sont si douces, qu’il fait parfois pleurer. Oh ! qu’il est vrai, que «jamais homme ne parla comme cet homme» (Jean 7:46). Quant à nous, quel bonheur de le connaître ainsi comme notre Sauveur, le connaître dans son amour sur la croix, dans son amour dans le chemin et à sa venue, quand il transformera le corps de notre abaissement en la conformité du corps de sa gloire. Oui, il est mon Berger, «je ne manquerai de rien». La brebis qui parle de lui d’une manière si intelligente et à sa gloire, au Ps. 23, considérant son passé, son présent et son futur, n’a rien que nous n’ayons, et c’est de lui, de ses richesses insondables, qu’elle a tout. Ne s’occupe-t-il pas de tout ce qui nous touche, à un cheveu près ?... Le Psalmiste a pu dire : «J’ai été jeune et je suis vieux, et je n’ai jamais vu le juste abandonné, ni sa semence cherchant du pain» (Ps. 37:25), et il ajoute : «il n’abandonnera pas ses saints, ils seront gardés à toujours» (v. 29).

 

Il est bien vrai que l’épreuve actuelle est grande et qu’elle augmente graduellement d’intensité ; mais, n’en avions-nous pas besoin ?... qu’au moins le but pour lequel elle nous a été dispensée ne soit pas manqué ! le fondeur ôte l’or du creuset quand son image se reflète purement et nettement dans le métal précieux.

 

Maintenant le besoin de bras se fait sentir, et le cœur se serre à la pensée de tant de misères ; mais le Seigneur y est infiniment plus sensible que nous, qu’il nous soit donné d’endurer l’épreuve avec patience, de ne pas nous lasser ; nous appuyant fermement sur lui, nous marcherons de force en force, allant à sa rencontre (Psaume 84:7).

 

Pendant notre dernier séjour à Fréméréville, nous avons pu nous réunir entre quelques amis ; Si. de V., A., facteur à St-A., Élie D., instituteur des environs de St-A., Va., de St-A., et Élie S. Vous voyez que nous étions quelques-uns. Notre Dieu et Père nous encourageait dans ces heureuses rencontres. Il y a dans son amour un grand repos pour l’âme. Ne nous occupons donc pas de demain, lui a tout prévu, et il a pourvu à tout. L’heure future nous semble parfois bien noire, mais la verrons-nous ? pourquoi donc nous en donner du souci, d’autant plus que le Seigneur nous dit, en Luc 12:25, 26 : «Et qui d’entre vous, par le souci qu’il se donne, peut ajouter une coudée à sa taille ? Si donc vous ne pouvez pas même ce qui est très petit, pourquoi êtes-vous en souci du reste ?» Donc, si même cette heure arrive, il y sera pourvu, Il nous gardera et nous soutiendra.

 

J’ai à plusieurs reprises interrompu ma lettre, car je surveille deux chantiers où se construisent des chevaux de frise. Ce sont de grosses pièces de bois, hérissées de pointes de tous côtés, que l’on place en réseau devant les tranchées, ce qui devient un obstacle très difficile à franchir. Si nous pouvons travailler ainsi, c’est que nous ne sommes pas tout à fait en première ligne : deux sections, dont la mienne, sont à 300 mètres en arrière, derrière un petit mamelon, dans un tout petit bois, tandis que les deux autres sections sont aux tranchées, en première ligne. Celle d’Élie S. y est. Lui ayant dit mon intention de vous écrire, il me remit ses bonnes salutations chrétiennes. Il est bien ; c’est au repos seulement que nous pouvons être souvent ensemble. — Aujourd’hui il a fait une très belle journée ; je dis, il a fait, car le soleil va passer sous l’horizon. C’est tout de même bien agréable, une journée de beau soleil ! En voyant cette nature si belle, le cœur se serre à la vue de tout ce qui se déroule ! Parfois il ne semble pas vrai que sous un ciel si beau, on se livre à de tels carnages et qu’il y ait partout tant de larmes !..

 

Avec quel soulagement le cœur se réfugie En-Haut ! Oui, bon courage, bien-aimés, la délivrance est bien près, car dans le ciel brille une Étoile, qui l’illumine. Il faut regarder en haut pour la voir. C’est à la dernière veille de la nuit qu’elle paraît. Oh ! que de fois l’ai-je regardée, car cette étoile parle à mon cœur ; elle me dit : «le jour est là !» Oui, c’est bien l’«Étoile du matin», comme on la nomme. Et celui dont elle nous parle, c’est Christ dans le ciel, le Christ de l’Église. Cette précieuse étoile n’est vue que de ceux «qui veillent, attendant le jour». Ceux qui sont de la nuit dorment, et s’enivrent ; ils l’ignorent complètement. L’Étoile du matin est le Christ de l’Église. Elle répand sa lumière dans une autre sphère que la terre. Christ, quand il viendra pour bénir la terre, pour «ceux qui craignent son Nom», apparaîtra comme «Soleil de justice» portant la guérison dans ses ailes (Malachie 4:1-3). Que les yeux de nos cœurs soient fixés sur lui, Jésus, sans cesse !

 

Allons, je vous quitte avec peine, car je me plais à parler avec vous. Peut-être le Seigneur permettra-t-il que je puisse le faire de bouche, ici-bas, mais quoi qu’il advienne, «tout est bien»...

 

30               Le 12 mars 1915

 

Mes bien chers parents,

 

Vous me dites qu’il se fait de grands préparatifs, lesquels, considérés au point de vue humain, sont propres à briser le cœur. Vous me donnez à comprendre que les jours à venir seront pleins de douleur : «Que votre cœur ne soit pas troublé», a dit Jésus, le Seigneur ; puis il ajoute : «ni craintif». Oui, la crainte inhérente à la nature humaine est maintenant bannie, et le cœur est plein de la paix que Jésus donne. Vous me dites que vos cœurs se brisent en pensant à moi... Allons, mes chers parents, tendrement aimés, soyez bien tranquilles ; vous voyez que jusqu’à cette heure le Seigneur m’a beaucoup protégé ; pour plus tard, qu’ai-je à craindre ? et puis, si je devais aller vers Lui, ai-je donc à craindre ? pour ma part, je m’en réjouis beaucoup, car alors je verrai Jésus, Celui qui m’a tant aimé. Je connaîtrai à fond son amour, comme aussi j’ai été connu. Quand je vois combien je suis faible à vivre pour Lui, lent à comprendre les leçons qu’il veut me donner par ces sombres jours ; tout cela, si je regarde en avant, me remplit de crainte, car l’un des fruits de l’Esprit est la fidélité (Galates 5:22), et moi... Mais soyez en pleine paix ; si je pars tout est bien, si je reste tout est bien aussi. J’ai confiance en Lui qu’il peut me garder si je dois rester, puis, allez !... c’est souvent à l’heure la plus sombre que la délivrance arrive — voyez Israël en Égypte, le résidu lors de la grande tribulation — etc. Jésus vient... l’Étoile du matin est levée — ah ! l’Étoile du matin !...

 

31               Froméréville, le 22 mars 1915

 

Nous étions relevés des tranchées samedi soir. Partis de là-haut vers les 10 h. du soir, nous sommes arrivés ici vers les 3 h. du matin, mais fatigué, tout courbaturé, m’étant un peu refroidi. Même hier, je n’étais pas encore bien ; aujourd’hui, je ne me ressens absolument plus de rien. Hier, nous nous sommes levés très tard, il était près de neuf heures. Vite je fus me débarbouiller, car aux tranchées ce n’est pas facile ; je me lave parfois le bout du nez, puis c’est tout. À 10 h. 1/2, nous avions rassemblement de compagnie, ensuite la soupe. Après cela, le frère D., l’ami Va., le bien-aimé S. et A., sont venus ensemble. Nous sommes sortis du village et, de deux à trois heures, nous avons pu lire le chap. 24 de Luc — précieux chapitre ; mais ce ne sont que quelques versets qui nous ont occupés : l’affection de ces femmes pieuses pour le Seigneur, manifestée dans leur activité, dans leur œuvre. Puis cette expression m’a vivement frappé : «Souvenez-vous comment il vous parla quand il était encore en Galilée, disant : Il faut que le fils de l’homme soit livré entre les mains des pécheurs, et qu’il soit crucifié, et qu’il ressuscite le troisième jour. Et elles se souvinrent de ses paroles». Paroles pleines d’actualité, qui nous témoignent à nous aussi tout son amour dans son sacrifice pour nous : les souffrances furent ta part, cher Sauveur !... afin que nous, nous héritions la bénédiction !...

 

Après être rentrés, le frère S. et moi, nous avons été prendre la douche, ce qui est bon pour la santé. Quel bienfait ! je prends la douche et me revêts de linge propre ; ainsi je puis me garantir contre les petites bêtes, car je t’assure qu’il n’est pas difficile d’en prendre pendant le séjour aux tranchées. Par ces opérations, douche et linge propre, répétées tous les huit jours, je peux fort bien m’en garantir.

 

À 4 heures nous avions revue d’armes, puis demi-heure après la revue, la soupe. Cela fini, nous nous sommes rassemblés une seconde fois, ces amis et moi, dans mon cantonnement. La journée, comme tu le vois, fut bien remplie. — Les bons soins du Seigneur sont grands à mon égard car, en vérité, je suis si bien soutenu corporellement, que je supporte les fatigues inhérentes à la guerre, tout en ayant des moments pénibles. C’est ainsi que l’autre jour, en allant aux tranchées, j’eus beaucoup de peine, je n’en pouvais plus. Alors je suis venu aux pieds du Seigneur et lui ai tout dit. Il m’a donné la force pour arriver et dit de bonnes choses, en me montrant cet homme lassé du chemin, assis sur le puits de Sichar. J’en ai pleuré à cause de la tendresse avec laquelle il parlait à mon cœur : «Je t’aime, m’a-t-il dit ; l’affection de mon cœur est pour toi ; je comprends tes peines...». Je pouvais reposer ma tête sur son cœur tendre et bon. Je l’ai fait avec un indicible rafraîchissement, et cela m’a fait beaucoup de bien : «Ah ! Jésus, le fils de Dieu, Toi, l’Homme de douleurs, lassé du chemin, assis sur la fontaine de Sichar, dépendant d’une pauvre femme pour un peu d’eau pour apaiser ta soif... quelle grâce que ta grâce ! C’est toi qui donnes de la force à celui qui est las ! Oui, ton Nom est merveilleux.» Tel est mon Bien-aimé, mon suprême ami, mon fidèle et bon Berger ! Oui, quel cœur ! Oui, grâces à Dieu pour son don inexprimable !...

 

32               Les tranchées, le 27 mars 1915

 

À Mlle P.V.

 

Chère Mademoiselle et sœur en Christ,

 

C’est avec une grande joie que je viens causer un moment avec vous. Encore une fois je puis parler de Lui avec une de celles qui l’aiment, parler de Celui qui s’est livré lui-même pour vous, pour moi.

 

Merci beaucoup de vous souvenir de moi ; pour ma part, je suis heureux de pouvoir vous présenter à Jésus, vous, sœur tant aimée de mon Seigneur, mais qui êtes aussi éprouvée depuis si longtemps par la maladie et par la souffrance.

 

En pensant à vous, comme jadis Marthe et Marie, aujourd’hui, je lui dis aussi : «Seigneur, celle que tu aimes est malade». Je le lui dis, car Jésus, l’homme de douleurs, qui allait de lieu en lieu faisant du bien, est le même Jésus, glorifié, sur le trône de Dieu. — Vous êtes, chère sœur, la malade qu’il aime, et à moi, il a dit aussi : «Cette maladie n’est pas à la mort, mais pour la gloire de Dieu».

 

Vous me dites de demander à Dieu que vous soyez prête à partir comme je le suis, moi ; mais en lui demandant que vous soyez prête, je ne lui dirai pas : «comme moi je le suis»... Vous oubliez un peu, je le crains, que je l’ai, moi aussi, cette chair de péché qu’il faut mortifier ; je m’aperçois que «mon âme est attachée à la poussière» et j’en ai des attaches !... mais je lui ai demandé de les couper et «de me faire vivre selon sa parole» (Ps. 119:25). Ainsi donc, demandons-lui de nous donner d’être prêts, comme Il le veut, n’est-ce pas ?

 

Ma santé est bonne, vous, vous n’avez pas ce privilège. Je ne ressens aucune souffrance, et vous, beaucoup. Mais Lui sait donner à chacun selon les besoins de sa position. Ses ressources ne sont pas limitées ; elles sont inépuisables, et toujours au-delà du besoin chez les siens. Ézéchiel 34:15, 16 renferme une grande bénédiction : «... et la malade, je la fortifierai». Et, n’est-ce pas, que vous avez ses visites ?... Au-dessous de nous sont les bras éternels ! Quelle sécurité ! ses bras ne se retireront que lorsqu’Il nous aura déposés... «à la maison» (Luc 15:5, 6), dans le rassasiement de joie de sa face.

 

Au revoir donc, près de Jésus ; c’est le seul rendez-vous certain ; c’est celui que je vous donne. Votre jeune frère,

 

J. D.

 

33               Montzéville, le 29 mars 1915

 

Chers parents bien-aimés,

 

Nous sommes arrivés de bonne heure, environ minuit (et non 3 heures du matin comme précédemment). Nous étions bien heureux de nous arrêter ici. Il y a un revers à la médaille : nous ne verrons plus tant d’amis, mais je vois toujours Jésus, mon Seigneur et Sauveur. Ô, chers parents tendrement aimés, que faut-il de plus... et que ferait-on sans lui ?

 

J’ai été frappé de ce qui est dit en Jean 20:20 : «Les disciples se réjouirent donc quand ils virent le Seigneur». En effet, ce n’est qu’en le voyant, Lui, que nous pouvons nous réjouir. Comme jadis les circonstances de Pierre, en Matthieu 14:28-30, nos circonstances ne sont pas propres à nous réjouir, si nous ne l’avons pas, Lui, devant les yeux, car «le vent et les eaux nous sont contraires». Mais «l’a-t-on regardé, on est illuminé». Passant par la vallée des pleurs, ses bien-aimées en font une fontaine, et la bénédiction de Dieu couvre cette sombre vallée. Oui, «contemplant la gloire du Seigneur à face découverte, nous sommes transformés de gloire en gloire», à sa ressemblance moralement et les conséquences en sont grandes pour l’éternité : «un poids éternel de gloire». Oui, bientôt nous verrons sa face, nous le verrons tel qu’Il est !...

 

Le cher S. C. m’écrivait, en me parlant de l’Étoile du matin : «Que de fois je l’ai regardée les yeux pleins de larmes, et je lui ai demandé la grâce de fixer mes regards sur lui, Jésus, l’étoile brillante du matin, sans jamais les en détacher». Moi aussi je le lui ai demandé. Les hommes se battent pour la possession de la terre ; le Seigneur dans ses voies d’amour a voulu que nous soyons sous les effets de cette guerre, mais qu’ils fassent ce qu’ils voudront, nous leur laissons la terre : le Ciel est notre patrie.

 

Attendons le Seigneur Jésus, Lui, rien que Lui : ma grâce te suffit. Que d’exercices pour arriver à pouvoir dire : «J’ai appris à être content en moi-même dans les circonstances où je me trouve». Cher apôtre Paul !

 

Il y a un petit vallon entre nous et l’ennemi. Au fond du vallon se trouve un petit bois, puis, derrière, un champ dans lequel se trouve une faucheuse-lieuse, puis un autre bois, double du premier en étendue. Le régiment que nous avons relevé avait envoyé une patrouille de 12 hommes, commandée par un sergent, jusqu’au second bois. Pendant que le sergent et 9 hommes allèrent fouiller le bois, 3 restèrent près de la lieuse pour s’assurer qu’aucune faction ennemie ne contournerait la patrouille. Leur mission terminée, les neuf revinrent, mais voilà qu’ils ne retrouvèrent pas les trois autres, et n’aperçurent plus aucune trace d’eux : ont-ils été surpris, enlevés ? On ne sait rien..

 

Pendant le jour, lors même que l’infanterie qui est en face de nous est calme, il ne faut pas se montrer, ni surtout travailler à se retrancher : si les balles n’arrivent pas, en revanche les obus ne tardent pas à éclater ; nous restons dans nos abris, sauf les sentinelles. La plus grande partie du temps est employée à dormir pour remplacer le temps perdu la nuit ; puis nous restons le plus possible enveloppés dans notre couverture, afin d’avoir chaud, car sans qu’il fasse très froid, il n’y a cependant pas de chaleur à revendre, et cela d’autant moins que les aliments nous arrivent toujours à la glace : ceux qui aimaient les glaces sont servis à souhait. Cette nuit il a neigé, mais elle a fondu en partie.

 

Je viens de dîner : un peu de viande, conservée du matin, un morceau d’oignon (car ainsi je la mange avec plus d’appétit), un morceau de chocolat (de celui que vous m’avez envoyé). Ensuite j’ai fait une tasse de chocolat. Je vous assure que le réchaud à alcool me rend de grands services.

 

Quant au lard dont vous me parlez, que dirai-je ? vaut-il la peine de l’envoyer ? car avant qu’il arrive qui sait ce qui sera arrivé !... Nous voilà à la fin de mars. Il me semble voir se préparer de tout ; mais sûrement il se prépare de terribles journées ! Mais nos yeux sont sur notre Dieu, de Lui vient la délivrance. C’est lui qui dissipe le conseil des nations et met à néant les desseins des peuples (Ps. 33:10). Ainsi, en s’attendant à lui, le cœur est gardé dans la paix, heureux, même quant aux jours à venir : jour après jour, heure après heure, Il est pour nous et prévient nos besoins

 

 

34                

 

Bien chers parents,

 

... En ce jour, son jour, le Seigneur m’accorde d’être un peu tranquille, de pouvoir, par la pensée, être réuni avec vous. Par la pensée, hélas oui. Pour être plus libre, je suis sorti de l’abri, ainsi j’ai pu lire. Puis me voilà de nouveau rentré, car il fait un vent froid du midi.

 

Nous sommes loin, bien loin les uns des autres ; mais en un clin d’œil ma pensée a franchi cette distance et je me promène parmi vous, allant de l’un à l’autre, vous qui êtes tout ce que j’ai de plus cher sur la terre. Mais ce n’est qu’en pensée, et, de cette façon, ma visite ne donne guère de satisfaction, ni à vous, ni à moi. Il n’en est pas ainsi avec Jésus, celui qui nous aime d’un amour infini, Il est partout, avec nous tous. Sa présence est une réalité pour les siens.

 

L’Étoile du matin ! Cet astre si tranquille, solitaire, précède l’arrivée du jour ; c’est à la dernière veille de la nuit qu’elle apparaît. Brillante dans la voûte azurée, elle illumine aussi notre cœur, pleine d’espérance, avant coureur du jour. Et cependant, avant que le jour arrive, nous nous en irons vers Lui, comme les colombes vers leurs colombiers, selon la touchante expression d’Ésaïe 60:8 : «Qui sont ceux-ci, qui volent comme une nuée, et comme les colombes vers leurs colombiers ?» Pas un ne manquera !

 

Lorsque les chefs du peuple devaient se rassembler, on sonnait d’une seule trompette ; lorsque toute l’assemblée devait se réunir, on sonnait des trompettes, mais lorsque l’assemblée devait partir, on sonnait avec éclat (Nombres 10). Bientôt toutes sonneront, mes chers parents, avec éclat, car l’assemblée de Dieu va partir de la terre pour se trouver avec Christ, dans la nuée. Lorsque, parfois, le matin, le ciel est bien clair, je me dis, peut-être le rassemblement aura lieu aujourd’hui ? Ceignons nos reins, tenons nos lampes prêtes, la main sur la poignée de la porte et nos oreilles attentives pour entendre le cri : «Voici l’Époux !» et lui ouvrir aussitôt. Alors nous connaîtrons à fond, comme nous aussi nous avons été connus ! Et lui étant semblables, nous le verrons tel qu’il est. «Et quiconque a cette espérance en Lui, se purifie, comme Lui est pur». Oui, veillons comme la sentinelle.

 

En avant de nous tranchées, il y a plusieurs rangées de fils de fer barbelé, et, en avant de ce réseau se trouvent les petits-postes, qui ne se relèvent que deux fois par nuit. Aussi, croyez que ceux qui y viennent à minuit attendent le matin avec anxiété ; avoir l’ennemi à quelques mètres de soi, un ennemi qui cherche par tous les moyens imaginables à s’emparer des sentinelles, et souvent y réussit... De plus, il fait froid, il gèle ou il pleut et l’on est dans la boue. Il faut être là immobile comme une statue. On comprend avec quelle ardeur la sentinelle attend le matin pour sortir de cette position si critique, pleine de dangers, de périls, de souffrances. Et cependant, le Psalmiste dit : «Mon âme attend le Seigneur, plus que les sentinelles attendent le matin, que les sentinelles attendent le matin» (Ps. 130:6). Attendre ainsi est une attitude bénie ! (Luc 12:37). Être avec lui, le posséder, lui, le voir enfin tel qu’il est, celui que, sans avoir vu, nous aimons, et dans lequel, bien que nous ne le voyions pas encore, nous nous réjouissons d’une joie ineffable et glorieuse ! Oui, «c’est la fête éternelle qui va s’ouvrir aux cieux, fête toujours nouvelle, repos délicieux !» Oh ! quelle faveur ! quelle grâce que celle dans laquelle nous sommes, «la vraie grâce de Dieu», si l’heure actuelle est très sombre, nous avons une porte d’espérance, une bonne espérance par grâce et une consolation éternelle.

 

35               Lundi, le 19 avril 1915

 

Chers et bien-aimés,

 

Sans être tout à fait guéri de la plaie causée par la brûlure, je suis bien ; elle est presque disparue, ne nécessitant qu’un faible et petit pansement, un peu de glycérine iodée que le major met sur la plaie. — Je suis encore occupé à empierrer les fosses à fumier des villageois, car ici tous mettent le fumier devant leur porte. Le médecin a vu mon travail et a paru tout satisfait. Il a dit qu’il demanderait que la prochaine fois les deux maçons que j’ai (deux éclopés) me soient laissés pour continuer ce travail, car, a-t-il dit, «je n’avais jamais eu quelqu’un qui s’en occupât aussi sérieusement». De jour, la compagnie fournit 10 hommes pour arracher les pierres et seconder les maçons. Nous avons aussi une voiture pour apporter les pierres. Il me semble être dans un chantier ; mais la paye n’est pas forte...

 

J’ai vu S., de T., il est au train de combat et conduit les voitures. Ce pauvre homme m’a fait pitié, tant il a l’air découragé. C’est avec peine que j’ai pu le trouver, et j’espère le revoir aujourd’hui, afin de lui parler et de lui remettre quelques traités. Ce n’est pas étonnant, s’il est abattu, quand il pense à sa femme, seule avec une ferme comme la leur ! il a quitté le 25 mars. On le comprend : sans Sauveur, sans ami, par conséquent, sans Dieu et sans espérance, sans un cœur vers qui se tourner pour trouver de la sympathie, et ne point voir d’avance dans les hostilités présentes ; au contraire, la tempête se lève de plus en plus terrible, sans nom ! Ah ! je les comprends et sympathise de tout cœur à leurs peines. Moi-même, que ferais-je ? que ferions-nous ? si nous ne connaissions pas la sollicitude, la tendre bonté de Jésus, de Celui qui a mis sa vie pour les siens !

 

Il fait à présent un temps splendide, et malgré soi, on ne peut s’empêcher de soupirer, ayant vaguement caressé la pensée qu’au retour du beau temps, les hostilités cesseraient. Comme tu le disais, hélas ! il ne faut pas s’étonner qu’elles continuent, car nous sommes lents à apprendre ce que notre Dieu veut nous enseigner. Mais que tout doit être triste dans le pays !

 

Il ne nous faut pas trop attendre la fin de la guerre comme délivrance, car alors que de tristesses, de deuils, de ruines ! et je doute fort que revienne jamais la tranquillité dont nous avons joui auparavant. Dieu soit béni ; nous ne sommes pas sans ressource. Attendons patiemment la délivrance, savoir la venue du Seigneur pour nous introduire chez nous, où est Jésus, dans l’heureuse maison du Père...

 

36               Le 28 mars 1915

 

... Hier j’ai distribué environ deux cents évangiles, traités et poésies. Tous les ont acceptés, et parmi eux, il y a des incrédules ou des moqueurs. Dieu, qui a dit que sa parole ne retournera pas à Lui sans effet, est puissant pour briser ces cœurs, même les plus endurcis ; «ma parole, dit-il n’est-elle pas comme un feu, et comme un marteau qui brise le roc ?» (Jérémie 23:29).

 

Je comprends ta douleur, chère tante, à la vue de tant de blessés. Tu sèmes, c’est bien. Chaque fois que je puis le faire, moi-même je m’en réjouis ; ce qui reste à faire, je le laisse aux soins du Seigneur. Ce que je demande, c’est de pouvoir semer, car alors mon cœur brûle : annoncer l’Évangile par n’importe quel moyen, mais toujours sous son œil et dans sa dépendance... mais ma faiblesse est grande ! Un passage qui me fait du bien, c’est Juges 6:14, au sujet de Gédéon : «L’Éternel le regarda, et lui dit : Va avec cette fore que tu as, et tu sauveras Israël...». Où était sa force, vu qu’il n’en avait point ? (v. 15). Mais l’Ange de l’Éternel ne lui avait-il pas dit : «L’Éternel est avec toi, fort et vaillant homme» ? (v. 12). C’est comme l’apôtre l’exprime lui-même en 2 Cor. 12:7-10, quand le Seigneur répond à ses supplications : «Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans l’infirmité». C’est pourquoi il dit à ceux qui étaient capables de le comprendre, et désiraient achever la course : «Fortifiez-vous dans le Seigneur et dans la puissance de sa force» (Éph. 6:10), et à son cher Timothée : «Toi donc, mon enfant, fortifie-toi dans la grâce qui est dans le Christ Jésus» (2 Tim. 2:1). Même dans un bon état spirituel, il nous faut sa force pour le glorifier. Que 2 Tim. 4:17, 18 est beau à ce sujet ! — Donc, rien d’étonnant que nous soyons si faibles, le Seigneur Jésus ayant peu de prix pour nos cœurs ; nous avons beaucoup de confiance en nous-mêmes et peu dans le Seigneur, en sa parole. Et pourtant lui seul est «notre Force», «notre Confiance», «notre Lumière» (Ps. 22:19 ; 71:5 ; 27:1). Le Seigneur n’a-t-il pas dit : «Celui qui demeurera en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruits ; car, séparés de moi, vous ne pouvez rien faire ?» (Jean 15:5). Dans presque toutes ses prières, un vieux frère, qui a blanchi au service du Maître, disait : «Seigneur, fais-nous la grâce d’avoir toujours moins de confiance en nous-mêmes, mais toujours plus de confiance en Toi, pour continuer avec ta parole»...

 

37               Les tranchées, le 1° mai 1915

 

Ma chère sœur en Christ,

 

Votre position est difficile, seule avec votre famille, votre cher Daniel se trouvant sur le front, exposé à ce qu’on y rencontre. Outre cela, vous êtes fatiguée, votre cher petit Jean, a été bien malade, mais, par la grâce de notre Dieu, l’une et l’autre êtes mieux. Depuis la lettre de maman, ma pensée est davantage avec vous tous, et je sympathise vivement à votre épreuve : étant une même famille spirituelle, votre épreuve est aussi la mienne, et notre Dieu m’accorde la faveur de vous porter tous sur mon cœur au trône de la grâce, votre cher Daniel, vous et vos enfants bien-aimés. En pensant à votre position exerçante, le Seigneur m’a donné plusieurs passages qui m’ont consolé, et je tiens de vous en faire part.

 

Les événements présents ont fait saigner nos cœurs. Parfois la douleur en est si vive que les larmes coulent. Reconnaissons — et que Dieu nous donne de le comprendre toujours mieux — que nous nous sommes attirés cette discipline : «Voici, au lieu de paix, j’avais amertume sur amertume ; mais toi, tu as aimé mon âme, la retirant de la fosse de la destruction, car tu as jeté tous mes péchés derrière ton dos» (Ésaïe 38:17).

Tout ce qu’il fait envers nous, il le fait en amour, en bonté, en sagesse, en grâce. Mais parfois, en considérant l’épreuve présente, en voyant tant de cœurs à consoler, de plaies à bander, de besoins à satisfaire ; en voyant tant de positions pénibles, difficiles, le cœur s’écrie : «Et qui est suffisant pour ces choses ?»

 

Les hommes cherchent à remédier aux difficultés de la situation présente, les uns d’une façon, les autres d’une autre ; et nous, enfants de Dieu, allons-nous faire comme eux ? Nous, tracasserons-nous, nous abîmerons-nous pour nous garantir au mieux contre les ennuis divers et multiples de la situation de chacun de nous ?… Est-ce à dire qu’il n’y ait rien à faire ? Dans une situation difficile, nous entendons le Seigneur dire à son peuple : «C’est en revenant et en vous tenant en repos que vous serez sauvés ; dans la tranquillité et dans la confiance sera votre force. Mais vous ne le voulez pas». Ils s’obstinent à mal faire : «Et vous avez dit : Non, car nous nous enfuirons sur des chevaux ; c’est pourquoi vous vous enfuirez, et : Nous monterons sur des chevaux rapides ; c’est pourquoi ceux qui vous poursuivent seront rapides» (Ésaïe 30:15, 16). S’obstinant à mal faire, ils s’engagent sur une voie de chagrin et d’amères déceptions. Et nous, qu’allons-nous faire ?...

 

Une autre chose m’a frappé, c’est la manière de faire du pieux Ézéchias, dans de grandes difficultés. L’ennemi fait rage contre lui ; dans son insolence, il outrage même l’Éternel, le Dieu d’Ézéchias. Celui-ci vient dans la maison de l’Éternel, et déploie la lettre de Sankhérib devant l’Éternel» (Ésaïe 37:8-13, 14-20). Quel spectacle ! il réalise ce qui avait été dit au peuple : «dans la tranquillité et dans la confiance sera votre force». Mais aussi, quelle délivrance !

 

Venons, nous aussi, disons-lui tout, rejetant sur lui tout notre souci, car il a soin de nous (1 Pierre 5:7). L’exhortation de l’apôtre à ses chers Philippiens est pleine de sollicitude ! «Ne vous inquiétez de rien, mais en toutes choses, exposez vos requêtes à Dieu...» (Phil. 4:6, 7). Il arrive parfois que la douleur remplit tellement le cœur que nous ne pouvons rien dire, pas même pleurer ; mais un soupir inexprimable, d’une indicible douceur, s’échappe de notre cœur oppressé, et Celui qui sonde les cœurs comprend la pensée de l’Esprit ; car il intercède pour nous selon Dieu. Avec la tendresse d’une mère, notre Dieu nous secourt. Le Ps. 40:1 dit : «J’ai attendu patiemment l’Éternel ; et il s’est penché vers moi, et a entendu mon cri». Il se penche vers nous, il entend notre cri ! Quelle grâce ! Ah ! bien des fois je me suis trouvé à bout de tout et sans rien pouvoir faire : je suis venu à lui disant, comme Ézéchias, écoute... regarde... vois, et je puis dire qu’il m’a toujours répondu, même quant à mes besoins matériels, d’une manière digne de Lui, faisant bien au delà de ce que j’avais demandé ou même pensé. Il s’occupe aussi des petits détails, insignifiants, et qui font souffrir quand même. Certainement notre voie ne lui est pas cachée, et notre cause ne passe pas inaperçue de notre Dieu (Ésaïe 40:27). Jamais il ne délaisse les siens, et rien de ce qui les touche n’est insignifiant pour lui, pas même un cheveu. «Il donne de la force à celui qui est las, et il augmente l’énergie à celui qui n’a pas de vigueur» (Ésaïe 40:29). Touchante grâce, il dit : «Ne crains point, car je suis avec toi ; ne sois pas inquiet, car moi je suis ton Dieu. Je te fortifierai ; oui, je t’aiderai ; oui, je te soutiendrai par la droite de ma justice... car moi, l’Éternel, ton Dieu, je tiens ta droite, moi qui te dis : Ne crains point, moi, je t’aiderai» (Ésaïe 41:10 et 13).

 

Quel Dieu que le nôtre ! Nous lui avons coûté trop cher pour qu’il nous délaisse ; il connaît les siens et les siens le connaissent ; il n’y a que sa voix qui puisse donner du repos ; c’est une voix connue, la voix du bon Berger, qui met sa vie pour ses brebis. Il n’a pas besoin de dire son nom pour ramener le calme dans le cœur. Il suffit qu’il dise : «C’est moi ! Celui qui t’aime, tu connais ma voix...». À cet égard, une pensée m’a fait beaucoup de bien : le Seigneur vous avait donné votre cher Daniel ; seul Il connaît le vide et la souffrance que son départ a laissés dans votre cœur, chez les enfants et dans la maison comme soutien. Maintenant il est loin, très loin même. Mais que dit la foi : «quand mon père et ma mère m’auraient abandonné, mon Dieu me recueillera» (Ps. 27:10). Et lui, qui n’est pas homme pour mentir, répond. : «Dieu, dans sa demeure sainte, est le père des orphelins, et le juge des veuves» (Ps. 68:5). C’est donc, lui, le Seigneur, qui va prendre la place de l’absent et s’acquitter à la perfection de sa tâche à l’égard de tout, de tous et de chacun. Et si plus tard quelqu’un vous demande : «Avez-vous manqué de quelque chose ?» — «De rien», répondrez-vous avec joie et reconnaissance. Oh ! quel Seigneur que le nôtre ! Quel Ami que celui que nous possédons, «plus attaché qu’un frère» ! (Prov. 18:24), «l’ami qui aime en tout temps, et dans lequel un frère est né dans la détresse»  (Prov. 17:17).

 

Alors, en présence de tant de grâces, de tant de ressources que nous possédons en Lui, nous dirons, pleins de confiance : «Le Seigneur est mon aide ; je ne craindrai point» (Hébr. 13:5, 6), et avec le Psalmiste : «La délivrance qui vient de l’homme est vaine. En Dieu reposent mon salut et ma gloire : le rocher de ma force, mon refuge est en Dieu» (Ps. 60:11 ; 62:5-7). Oui, «celui qui se confie en l’Éternel, la bonté l’environnera» (Ps. 32:10), et «rien ne manque à ceux qui Le craignent» (Psaume 34:9, 10). Donc tenons-nous près, toujours tout près de Lui, n’est-ce pas, chère sœur, nous ne serons pas confus, et si nous croyons, «nous verrons la gloire de Dieu». Laissons-le faire : il veut user richement de grâce envers nous (Ésaïe 30:18). Il ne faut pas que nous l’en empêchions, n’est-ce pas ?

 

Allons, vous m’excuserez si je me suis tant étendu sur ce sujet. Vous comprenez bien que je ne veux pas vous exhorter, car je suis trop faible pour le faire. En outre, je suis de beaucoup plus jeune que vous, qui connaissez mieux que moi l’amour du bon Berger, ayant eu l’occasion d’expérimenter ses soins bons et fidèles, tant de fois déjà ; mais il dit : «Consolez-vous l’un l’autre», et ainsi j’étais heureux de parler avec vous sur ce sujet.

 

Mais nos bénédictions ne se limitent pas à cela, car il vient, joie indicible, le jour où nous allons arriver à l’autre rive : «Le soir étant venu, il leur dit : Passons à l’autre rive..». Et en dépit de tout, «ils arrivèrent à l’autre rive» (Marc 4:15 ; 5:1). «À la maison». Alors plus d’exercices, d’ennuis, de larmes. Ainsi donc courons avec patience la course qui est devant nous, fixant les yeux sur Jésus..» (Hébr. 12:1-3).

 

Je suis bien dans ma santé et possède de bonnes nouvelles de votre cher Daniel. Que notre Dieu le garde et le ramène dans sa chère famille, si le Seigneur n’est pas venu.

 

Il fait bon ici à présent ; c’est plus agréable que par le froid, la neige, la pluie, et tout ce qui s’en suit. Que notre Dieu nous tienne près de Lui. J’embrasse bien fort la grande Lydie et Joël, qui doit sensiblement vous aider, Berthe, la petite Jeannette et le cher petit Jean. Saluez mes parents, les chers bien-aimés de la M., et recevez pour vous-même la sympathie et l’affection de votre frère en Christ.

 

38               Le 2 mai 1915

 

Chère tante aimée,

 

C’est dimanche, mon cœur s’envole vers toi, peut-être aussi privée du rassemblement des chers enfants de Dieu. — Aujourd’hui, je suis assez tranquille. J’en ai profité, à l’heure où les saints sont rassemblés, pour me recueillir, prier, lire et méditer, dans le fond de mon petit abri. Je suis alors bienheureux et reçois une bénédiction spéciale, lorsque je puis ainsi, à l’heure du culte, avoir mon cœur et ma pensée libres, et m’envoler vers ceux qui sont rassemblés ; ne serait-ce qu’une pensée qui, pour un instant, me porte vers eux, à l’heure venue, elle me fait toujours du bien. Et voilà qu’aujourd’hui, dès les 10 heures, je suis libre. Maintenant il est plus de 11 heures, et beaucoup de ceux qui le peuvent sont encore rassemblés — part heureuse et bénie ! — Patience ! bientôt, nous le serons aussi ! Ce ne seront plus des blessés qui nous retiendront dans une salle d’hôpital, ni les obus au fond d’une tranchée. Non, le Seigneur a dit : «Je rassemblerai ceux qui se lamentent à cause des assemblées solennelles» (Sophonie 3:16). En attendant, nous avons besoin de patience jusqu’à la venue du Seigneur, n’oubliant pas que nous lui sommes précieux à ce point qu’il nous a acquis par le sang de son propre fils. As-tu remarqué le contraste saisissant entre le v. 11 : «Ceux qui s’égayent dans l’orgueil d’être Juifs», selon Romains 2:17-24, et le v. 18 : «Ceux qui se lamentent à cause des assemblées solennelles» ? Quel contraste ! On le trouve encore en Ésaïe 66:2, 5, 10, 11, 12 à 14 et les v. 3, 4, 6, 15 à 17, au Psaume premier, et d’autres passages des Écritures..

 

Au chap. 40 d’Ésaïe, Israël dit que «sa voie est cachée à l’Éternel et que sa cause a passé inaperçue de son Dieu» (v. 27). Par la grâce de Dieu, nous ne tiendrons point un tel langage. Notre Seigneur, Dieu sur toutes choses, béni éternellement, Lui, «Il compte le nombre des étoiles ; à elles toutes il donne un nom. Oui, Il est grand et d’une grande puissance ; son intelligence est sans borne» (Ps. 147:4, 5). «Levez vos yeux en haut, dit-il, et voyez ! Qui a créé ces choses, faisant sortir par nombre leur armée ? Il les appelle toutes par nom. Par la grandeur de son pouvoir et de sa force puissante, pas une ne manque» (Ésaïe 40:26). C’est lui, ce tout-puissant Créateur et conservateur de tout ce vaste univers qui «guérit ceux qui ont le cœur brisé, et qui bande leurs plaies»... «Il donne de la force à celui qui est las, et il augmente l’énergie à celui qui n’a pas de vigueur» (Ps. 147:3 ; Ésaïe 40:29). Oui, le louer est une «bonne chose. Chantons les louanges de notre Dieu ! car c’est une chose agréable. La louange est bienséante» (Ps. 147:1).

 

C’est une personne connue, n’est-ce pas, chère tante, sa voix nous est familière, afin que dans la tempête même, le calme demeure dans notre cœur. Il n’est pas nécessaire qu’Il dise : «Je suis Jésus»... etc., ou «Je Suis celui qui Suis». Non. «Ayez bon courage, c’est moi». Il est cette Personne connue, aimée, Jésus ! puis il ajoute : «N’ayez point de peur». Cher Sauveur, si ce n’était pas ta voix, ta voix connue, elle ne nous tranquilliserait pas ? Mais, Jésus, tu l’as dit, et quel bonheur : «Mes brebis connaissent ma voix». Tenons-nous donc près, tout près de Lui, afin que chacune de ses paroles nous soutienne.

 

Dans les Écritures, on voit souvent des contrastes à ce sujet. Je veux dire que parlant à une personne qui le connaît, il n’est pas nécessaire qu’il se nomme par son nom, pour que le cœur soit tranquillisé. Adam eut peur à la voix de l’Éternel Dieu, ce qui implique qu’il avait été dans une relation d’une certaine intimité avec Lui ; mais après sa chute cette voix ne le rassurait pas, vu qu’il avait péché ; mais il la connaissait. Daniel est fortifié par cette voix si compatissante : «Ne crains point, homme bien-aimé ; paix te soit ! sois fort, oui, sois fort !» C’est aussi le cas des disciples, de Marie (Jean 20:15, 16), de Jean, (Apoc. 1:17, 18), de l’Esprit et de l’épouse en Apoc. 22:16, 17, 20. — Il en est autrement pour celui ou ceux qui ne vivaient pas dans son intimité. Par exemple, Israël en Égypte ; Moïse devra dire : «Je Suis» m’a envoyé (Exode 3:14), et faire les signes (4:30). Puis, au Pharaon, Jéhovah se fera connaître comme l’Éternel, le Dieu d’Israël (4 et 5). Ensuite, quand le peuple a manqué, l’Éternel les invite à revenir. Il ne leur dit pas : «C’est moi», mais «Ainsi dit l’Éternel». Étant dans de telles relations bénies, intimes avec lui, exprimées par Jean (Jean 13:25) et par Marie (Luc 10:39), sachons reposer nos têtes fatiguées sur son sein, et nous tenir aussi à ses pieds pour écouter sa parole, sa douce voix. Ce verset troisième, du cantique 73 m’a souvent fait pleurer, à cause de l’intimité qu’il respire : «Nous connaissons ta douce voix, Jésus, Berger fidèle», etc. Il connaît les siens, et il est connu des siens, comme, dit-il, le Père me connaît, et moi, je connais le Père» (Jean. 10:14, 15). Plus nous le connaîtrons, plus notre cœur sera tranquille, car nous verrons mieux alors l’étendue insondable de son amour, de sa grâce, de ses compassions, de sa miséricorde, de sa tendresse, de sa sollicitude, de sa sainteté et de sa bonté. Du reste, à l’heure présente, c’est Lui et lui seul, qui nous donne du repos. Un de ses rachetés a plus de prix pour lui que beaucoup de peuples ; Ésaïe 53:3 et 4. Si cela est vrai pour Israël, bien davantage pour nous. Pour nous avoir à Lui, les siens, il n’a pas dû donner des peuples, mais tout ce qu’il avait (Matt. 13:45, 46), et plus que cela, il s’est donné lui-même pour nous (Éph. 5:25). Quel amour que son amour ! Qu’avons-nous donc à craindre ? Il me tarde d’être arrivé pour le connaître à fond... Allons, je te quitte, tante chérie. J’ai été bien long sur ce sujet, mais il n’y a rien de si précieux pour nous maintenant que de connaître l’amour du Christ, qui surpasse toute connaissance. Pleine paix, n’est-ce pas ? Patience ! Il dit : «Ayez bon courage ; c’est moi ; n’ayez point de peur» (Marc 6).

 

39               Le 8 mai 1915

 

Mes chers parents,

 

Deux jours après notre arrivée ici, nous sommes partis pour une destination inconnue. Abraham aussi, «étant appelé, obéit... et il s’en alla, ne sachant où il allait» (Hébr. 11:8). Mais que son chemin était différent du nôtre ! Lui, il obéit pour s’en aller «au lieu qu’il devait recevoir pour héritage» ; nous, nous obéissons pour aller à la souffrance et peut-être à la mort !

 

Le premier jour, je fus exempt du sac, ayant un peu de peine à aller en avant, car, depuis plusieurs jours, je souffrais de la tête, de la gorge, puis de tout. Le même jour nous repartions, moi en autobus, le major me jugeant trop fatigué pour faire à pied une telle marche. Arrivés à un petit village, à l’ouest de Bar-de-Duc (du village je voyais bien cette dernière ville) où le bataillon devait nous rejoindre ; un contre-ordre arrive, le bataillon va ailleurs, et nous voilà repartis aussitôt en autobus pour le rejoindre, ce qui eut lieu dans la nuit. Tous ces voyages ont aggravé ma fatigue. Ce matin j’ai vu le major (il est très gentil avec moi). Il m’a ausculté avec soin, car je souffre un peu du côté droit et m’a dit que je n’avais rien, que les poumons fonctionnaient normalement. Pouvant prendre quelque nourriture, me voilà mieux. Béni soit le Seigneur ! Comme il m’a soutenu ! Quel Dieu que notre Dieu ! Il est notre Dieu pour le temps et pour l’éternité. «Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à la fin !»

 

Je suis toujours sans nouvelle de mon cher Élie S., et voilà deux jours qu’il est parti : ne savez-vous rien ? Si j’étais mieux, j’avertirais sa femme, et lui dirais dans quel état était son cher mari, quand il m’a quitté. Jusqu’ici cela m’a été impossible. — Le frère Si. a été évacué dans la Haute-Garonne. Il m’a écrit il y a quelques jours. Il va au mieux, vu la gravité de son cas. Dieu a eu pitié de lui et l’a gardé. Le médecin qui le soigne lui répète sans cesse : «Vous l’avez échappé belle !» Je pense souvent et beaucoup à chère sœur Emma. Quel coup ! le plus douloureux qu’un cœur humain puisse recevoir. Que le Seigneur la soutienne ! Seul, il peut soigner une telle plaie ; tout autre qui le tente, si bien intentionné soit-il, a la main trop lourde et fait souffrir. J’ai fortement à la pensée de lui écrire, mais jusqu’à présent, c’est impossible ; je ne sais même pas quand je pourrai le faire. En lui exprimant toute mon affection, ainsi qu’à ses parentes, dites-lui que je sympathise vivement à sa profonde et intime douleur. Hélas, ma sympathie donne peu ; mais celle de Jésus, comme elle réconforte, rafraîchit, encourage ! Comme je l’ai dit, le Seigneur seul a la main assez délicate pour bander un cœur brisé d’une telle manière. Oui, à Lui toute la gloire !

 

40               Le 10 mai 1915

 

La journée d’hier fut bonne ; nous étions au repos, un repos relatif toutefois. L’après-midi et le soir, plusieurs amis et moi, nous avons pu nous rassembler pour lire quelques versets de cette parole, de laquelle il est écrit : «L’entrée de tes Paroles illumine, donnant de l’intelligence aux simples» (Ps. 119:130). Ah, que je suis heureux d’avoir ma Bible ! C’est ma meilleure compagnie, chère Bible ! Elle en a déjà bien vu ! Lors de ma blessure, elle me fut merveilleusement conservée. Dans ma dernière carte, je te disais n’être pas bien. J’ai passé, en effet, quelques jours un peu pénibles. Je ne mangeais pas, et le peu que je prenais, je le rejetais et souffrais assez, et avec tout cela il nous fallait fournir des marches assez longues. Nous devions nous arrêter six jours à Montzéville, mais le troisième jour nous partions déjà. Quoiqu’exempté de porter le sac, j’eus assez de peine d’arriver. Malgré cela, le même jour je dus repartir en autobus pour le village où le bataillon devait arriver le lendemain. Maintenant nous sommes dans ce village, au repos, en attendant la concentration des troupes. Selon toute probabilité, le corps d’armée en entier change de secteur ; mais aucun de nous ne sait où nous allons. Il se peut donc que mes lettres subissent du retard. Il ne faut pas t’en étonner, aussi longtemps que nous ferons des mouvements.

 

Par la grâce de notre Dieu, je suis en pleine paix et bienheureux. Un moment, craignant que j’eusse à me servir de mes armes, j’en fus très exercé. À aucun prix, dut-il m’en coûter la vie, je ne le ferai. C’est pourquoi je ne cesse de crier à mon Dieu, de me préserver d’en venir là. Et si sa volonté était de pousser l’épreuve de ma foi jusqu’à ce point, qu’il me fasse la grâce de ne pas défendre ma personne, puis «être avec Christ est de beaucoup meilleur». Pardonne-moi de t’écrire des choses si tristes. J’ai tort ; mais si je ne te revoyais pas, crois fermement, chère tante, que je ne me serai pas rendu meurtrier pour me défendre. C’est ce que je demande instamment à mon Dieu, la grâce de ne pas me servir de mes armes ; et si je devais arriver à l’affreux corps à corps, d’avoir de Lui la force morale de me laisser transpercer. Il me délivrera, et Il sait de quelle manière.

 

41               Le 12 mai 1915

 

Mes bien chers parents

 

Hier nous avons changé de cantonnement. Au lieu de continuer vers le sud, nous sommes remontés vers le nord : nous étions près de Bar-le-Duc, et maintenant nous ne sommes pas éloignés de Sainte Ménéhould et de la voie ferrée allant de ce village à Dombasle. Le village où nous sommes se nomme Butteau. Vous le trouverez sans doute sur la carte.

 

Le premier jour, étant partis de Montzéville, nous passâmes à Dombasle, Rampon, Juvécourt, jusqu’à Ipécourt. De là nous fûmes à Boulainville, puis ici. Je n’ai pas fait la marche à pied, mais en auto-camion. Ce fut la bonne main du Seigneur, car cela se fit sans que je l’eusse demandé. C’est le major qui m’a désigné pour être transporté. Ce repos pendant ces quelques jours a été béni par mon Dieu, qui m’a guéri et l’appétit est revenu. Ah ! mes chers parents, que de petits détails dans lesquels je vois sa main miséricordieuse. Il veille sur son faible enfant.

 

C’est aussi par un effet de cette même miséricordieuse bonté et sollicitude que je n’avance pas en grade. N’ayant pas à diriger des hommes, je n’aurai surtout pas à le faire sur le champ de bataille, si je dois y retourner. Ne pouvant pas faire usage moi-même de mes armes contre mes ennemis, comment commander à d’autres de le faire ? Eh bien, aussi longtemps que je conserve ces galons, je n’ai pas à le faire. À plus de cinq ou six reprises, peu s’en est fallu que je ne montasse en grade. Une fois même un de mes lieutenants voulait me faire citer à l’ordre (non pas pour ma bravoure dans le combat, mais pour lui avoir porté des dépêches au travers d’un terrain balayé par la mitraille ennemie) ; mais le Seigneur ne le permit pas : il ne l’a pas voulu. Dès mon retour ici, j’ai failli avancer à trois ou quatre reprises. Même mon commandant, comme mon lieutenant, n’y comprend plus rien. Si mes chefs ne le comprennent pas, moi, par contre, je le comprends fort bien. Que de fois j’en ai remercié mon Dieu et Père, de s’occuper de moi ainsi en bien, et aujourd’hui plus que jamais.

 

Au commencement, mon amour-propre en souffrait, par rapport à mes camarades. Aujourd’hui, que son nom en soit béni, je suis plus qu’indifférent à de telles gloires. Il y a une autre considération importante : gradé, on peut se soigner, tandis que tel que je suis, je suis astreint à toutes les fatigues, à toutes les privations. Il me donne de le supporter, même avec joie, et cela fortifie l’homme intérieur, si l’homme extérieur dépérit.

 

Il permit parfois que je fusse là, à bout de tout ; mais moi aussi, dans ma petite mesure et malgré toute mon indignité, je fis l’expérience que «sa grâce suffit, car sa puissance s’accomplit dans l’infirmité» (2 Cor. 12:9). C’est ainsi qu’à la dernière relève, pour venir des tranchées, de Montzéville à Esnes, mon aspirant m’a pris mon sac. À la marche suivante, je n’eus pas de sac et toutefois je restai en arrière. Alors j’ai pensé à Jésus, à mon Seigneur, à lui qui a tant souffert pour moi. Et pourquoi ? Pour me sauver de la perdition éternelle, et me rendre propre pour être avec lui dans la gloire et le repos de notre Dieu et Père !... C’est ainsi que je vais en avant un jour après l’autre.

 

Ce matin je fus de bonne heure au petit ruisseau, et là il me fit la grâce de penser à la scène d’Actes 16:13-15 : «Et nous étant assis, nous parlâmes aux femmes qui étaient assemblées». «Et une femme, nommée Lydie, marchande de pourpre de la ville de Thyatire, qui servait Dieu, écoutait ; et le Seigneur lui ouvrit le cœur, pour qu’elle fût attentive aux choses que Paul disait». Cette pensée m’a frappé ; elle est riche en bénédiction. Ce sont les yeux de son cœur qui furent ouverts (Éph. 1:18), ces yeux que le Seigneur lui-même appelle «bienheureux» (Matt. 13:16). «Bienheureux sont vos yeux, car ils voient...» et «bienheureux sont les yeux qui voient ce que vous voyez» (Luc 10:23). Et que voient-ils, ces yeux bienheureux ? «les choses qui ne se voient, pas», lesquelles sont éternelles (2 Cor. 4:16-18).

 

Je n’ai encore rien reçu d’Élie S., et n’y comprends plus rien. Il doit être très fatigué quelque part. Ne savez-vous rien ? J’ai bien remercié le Seigneur quand j’ai su S. C. à Privas. — Envoyez-moi de l’argent par les voies les plus rapides, car nous resterons au moins huit jours ici, la plupart de nos officiers sont en permission. Ils sont partis hier...

 

42               Le 15 mai 1915

 

Allons, me voilà de retour au village où nous avons cantonné après avoir quitté Montzéville, quand je fus si fatigué : Depuis, nous avons fait plusieurs étapes pour revenir enfin sur nos pas.

Je ne comprends encore rien à ses déplacements ; mais une chose que je vois et comprends, c’est la bonne main de notre Dieu avec moi pour m’aider, me protéger. Après l’étape que je fis pour arriver ici la première fois, je n’ai plus marché, mais fus transporté en autobus, et cela, aujourd’hui encore, et cependant je suis délivré de mon indisposition : le Seigneur est bon ; il m’environne de bontés et de compassions. Il répond aux prières de tous ceux qui m’aiment et toutes choses travaillent ensemble pour mon bien.

 

Aujourd’hui, je ne sais où je vais et cependant je sais où je vais, dans l’heureuse maison du Père. Placé dans sa main toute-puissante (voir Ésaïe 40:12) — et sa main n’est pas devenue trop courte pour qu’il ne puisse racheter, et il y a de la force en Lui pour délivrer (voir Ésaïe 50) — placé dans cette main, rien et personne ne peut m’en ravir, ni même m’ôter un cheveu sans sa permission. Confiant en son amour inaltérable, je suis donc tranquille, en parfaite sécurité.

 

En toute chose, on peut voir sa bonne main. Mon capitaine voulait me faire nommer sergent : Alors, comment feras-tu, pour commander à tes hommes de faire feu ?... puis voilà que je n’ai pas été nommé, mon Dieu ayant vu ma détresse. À trois reprises, on m’a annoncé ma nomination ou que j’allais être nommé, et je ne l’ai pas été, de sorte que mon lieutenant disait : «Je n’y comprends, rien !..». Je le comprends : mon Seigneur a voulu m’épargner cette détresse, et je l’en bénis. Il continuera à me laisser là. Et qu’il me préserve d’avoir jamais à me servir de mes armes, même au péril de ma vie. S’il le fallait, il vaut mieux mourir que de devenir meurtrier.

 

Je ne sais rien encore d’Élie S. ; je suis fort inquiet à son sujet, car il doit être très fatigué, sans cela il m’aurait écrit certainement. J’ai écrit à Madame S. ; elle, je l’espère, me dira ce qui en est de son mari, mais il me faut avoir patience pendant quelques jours.

 

43               Laudrécourt, le 20 mai 1915

 

Bien-aimés parents !

 

Lorsque vous m’enverrez un colis, ajoutez-y un peu de camphre, placé comme suit : faites un petit sac, ayant à l’extrémité une petite courroie ; mettez dans le petit sac une certaine quantité de camphre, et le cousez un peu partout, dans tous les sens, comme une couverture piquée. La petite courroie sert à le suspendre au cou ; le petit sac tombe ainsi sur la poitrine ou derrière le dos, mais sur la peau. L’odeur du camphre éloigne la vermine. Plusieurs camarades en portent et s’en trouvent bien. Ce n’est pas que j’aie beaucoup de ces hideuses petites bêtes, car je me tiens propre ; cependant il ne m’arrive que trop fréquemment d’en prendre, et si je m’en délivrais à si bon compte, ce serait fort heureux.

 

J’ai reçu une lettre de Mme S. et suis par elle renseigné sur le sort d’Élie. Je lui ai écrit. Il est mieux, paraît-il. Cette séparation est exerçante, car depuis qu’il est parti, jamais nous n’aurions eu tant d’opportunité d’être ensemble ! Je commence à me faire à mon isolement, toutefois Élie me manque beaucoup, et cependant, en ceci encore, je dois dire que tout est bien, car j’éprouve davantage encore le besoin de la présence du Seigneur, n’ayant plus que lui... Le cher Élie et moi, nous nous comprenions si bien, et je l’aimais d’un amour particulier à cause de sa piété. Il n’en est pas de même avec les autres amis, et de plus avec ces derniers, nous nous voyons moins souvent.

 

Que de faiblesses le Seigneur supporte chez nous ! Quelle patience ! C’est une cause de vive douleur que de devoir constater que cette grande discipline du Seigneur porte si peu de fruit chez moi ! Je le possède si peu, lui, Jésus, pour le tout de mon cœur ! Hélas, que d’afflictions, de coups il faut pour nous former ! Ce passage d’Ésaïe 30:18, m’a frappé : «C’est pourquoi l’Éternel attendra pour user de grâce envers vous», et pourquoi ? parce que nous ne sommes pas revenus à lui de tout notre cœur et en vérité. Il lui en coûte pourtant de devoir tarder autant «d’avoir compassion de nous». Ah ! que je désire, dans une mesure complète, tirer mon tout de lui, comme le sarment du cep ! Patience ! bientôt nous aurons revêtu nos corps spirituels, et nous ne marcherons plus en gémissant. Tendons vers ce but, comme l’apôtre quand il écrit : «Si en quelque manière que ce soit je puis parvenir à la résurrection d’entre les morts» (Phil. 3:11). Le Seigneur lui-même, à cause de la joie qui était devant lui, a enduré la croix, ayant méprisé la honte, et s’est assis à la droite du trône de Dieu» (Hébr. 12:2).

 

Je reviens encore à Ésaïe 30. Il y a là tant de patiente grâce en l’Éternel. À cause de leur obstination dans le mal, ils seront réduits à être «Comme une perche au sommet d’une montagne, et comme un étendard sur une colline» (v. 17). Mais «l’Éternel est un Dieu de jugement : bienheureux tous ceux qui s’attendent à lui ! Car le peuple habitera en Sion, dans Jérusalem. Tu ne pleureras plus ; à la voix de ton cri, il usera richement de grâce envers toi ; aussitôt qu’il entendra il te répondra» (v. 18, 19).

 

Que notre Dieu, après nous avoir donné «le pain de la détresse» nous donne de jouir sans faiblesse du rassasiement de joie de sa face, en haut, là «où nous ne serons que joyeux». Le jour est peut-être près, bien près de  nous ! Que son Nom soit à jamais béni ! Tout est grâce, pure et souveraine grâce. Il est amour, et tout ce qu’il fait procède de cette unique source, l’amour ! Quel moment lorsque nous connaîtrons à fond comme aussi nous avons été connus. Oui, à Lui toute la gloire.

 

44               Mardi, 28 mai 1915

 

Cher ami,

 

Ta lettre du 18 courant m’est arrivée avant-hier et je m’empresse d’y répondre. Par elle, j’apprends, que vous êtes tous bien de santé, et, grâces à Dieu, je puis dire qu’il en est de même de moi, quoique j’aie la tête fatiguée, et me trouve souvent comme dans un cauchemar, au sein de tous ces bruits, de toutes ces choses étranges.

 

On est heureux au milieu de ces horreurs, de pouvoir, avec le Psalmiste, «élever les yeux vers les montagnes d’où nous vient le secours (Ps. 131:1), et pour nous, notre seul secours efficace vient de Lui, comme l’exprime si clairement le v. 11 du Ps. 60. Quel contraste entre l’état d’esprit de ceux qui cherchent leur secours dans l’homme, et ceux qui le cherchent en leur Dieu seul. On voit cela dans bien des passages de la Parole : Ps. 34:9, 10 ; 59:16, 17 ; 146:3-7 ;  Jérémie 17:5, 6, 7, 8, etc).. Et au milieu de cette fournaise, de toutes ces calamités, on sent le besoin de crier à Dieu de garder et de soutenir les siens, autant ceux qui ne sont pas encore manifestés à Lui, que ceux qui le sont déjà, tous engagés dans cette terrible guerre des peuples.

 

J’ai été sérieusement exercé par toutes ces choses, et je sens, qu’il est pénible, humiliant au possible, de voir des frères, se réclamant du même Dieu et Père, rachetés par le même précieux sang de Jésus, invoquant le même Seigneur ; des frères qui jadis, sans même s’être vus, se connaissaient en Christ et s’aimaient, et s’aiment encore malgré tout ; des frères qui se trouvent maintenant, par la force et la fatalité des circonstances, armés les uns contre les autres, et cela certainement de part et d’autre à contre-cœur.

 

Les brochures que tu m’as envoyées, surtout la dernière, n’ont pas diminué ce douloureux exercice d’âme. Depuis longtemps déjà j’avais senti la responsabilité du chrétien dans les circonstances dont elle parle ; j’avais prié et supplié le Seigneur de me préserver d’avoir à me servir de mes armes, et c’est ce qu’Il a fait jusqu’à maintenant, par sa fidèle bonté. C’est même ce que j’avais en vue, en grande partie, quand je me plaçai comme conducteur de mulets. Dieu n’a pas permis que j’y restasse. Il ne se trompe pas ; ses voies ne sont pas les nôtres. En outre, je suis très heureux et soutenu à la pensée que les frères prient beaucoup pour nous, et que de ferventes prières et des supplications montent devant Dieu pour nous, combats fort différents de ceux que nous livrons ici !

 

Pendant les quelques jours que j’ai passés à Privas, j’eus l’occasion d’étudier un article qui me parut de toute beauté, sur les attributs ou conditions de la prière pour être exaucée. Ayant pris note des passages cités et les ayant médités, je vais te les exposer brièvement. Tu pourras, ou plutôt, vous pourrez les examiner ensemble. C’est avant tout l’accord dans la prière : Matt. 18:18-19 : «Si deux d’entre vous sont d’accord pour une chose quelconque» ; 2° la foi, la confiance : Matthieu 21:22. «Et quoique vous demandiez en priant, si vous croyez, vous le recevrez», et aussi Jacques 1:6 : «... mais qu’il demande avec foi, ne doutant nullement» ; 3° La précision dans la prière : Luc 11:6 : «Donne-moi trois pains» ; 4° la persévérance même jusqu’à l’importunité : Luc 18:1-8 (Messager évangélique 1875, n° 3 et 4).

 

La lecture de ces passages et les éclaircissements qui les accompagnent dans l’article cité, furent particulièrement bénis pour moi, et m’encouragèrent. Oui, bien chers frères, ne cessez pas de prier pour tous les enfants de Dieu sur la terre tout entière, afin que dans la position difficile où ils se trouvent personnellement, ils soient gardés de l’ennemi et de ses ruses, soutenus, encouragés dans leurs âmes, et rendus capables d’exercer cette sacrificature royale de 1 Pierre 2:9, envers leurs frères et envers ceux qui les entourent et les écoutent, et plus encore leur sainte sacrificature devant Dieu, «pour offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus-Christ» (1 Pierre 2:5).

 

L’attitude du roi Josaphat et de son peuple, en 2 Chron. 20, est fort belle et consolante, en un temps de grande détresse, comme celle où se trouvent actuellement les enfants de Dieu. Ce passage fut placé souvent devant nous à L. P., sans que j’y trouvasse le même à-propos qu’aujourd’hui. Il est dit de Josaphat qu’il «craignit (v. 3), et tourna sa face pour rechercher l’Éternel, et proclama un jeûne par tout Juda». Ensuite, après avoir reconnu et exalté les droits, la grandeur, l’incontestable autorité de son Dieu, il place devant Lui la cause du peuple, Son peuple : Ce peuple n’est-il pas la semence d’Abraham, Son ami ? — Et de Juda il est dit : «Et tout Juda se tenait devant l’Éternel, avec leurs petits enfants, leurs femmes et leurs fils» (v. 13). Spectacle touchant et de toute beauté ! Quel sentiment des besoins du moment et quel cœur pour rechercher l’Éternel ! Quelle confession de leur néant, mais de Sa grandeur ! «Ô, notre Dieu, ne les jugerais-tu pas ? car il n’y a point de force en nous devant cette grande multitude qui vient contre nous, et nous ne savons ce que nous devons faire, mais nos yeux sont sur toi !» Quelle abondante grâce l’Éternel a répandue sur eux tous !

 

Une telle humiliation, un tel recueillement ne seraient-ils pas de saison de nos jours chez les enfants de Dieu ? Et tout d’abord, nous humilier de l’abaissement moral où nous sommes descendus, lui confesser nos infidélités sans nombre, puis implorer son secours et sa délivrance sur nous et tous ceux qui, avec nous, sont dans la fournaise.

 

Peut-être serons-nous amenés à lui demander, non qu’il retire l’épreuve, mais nous garde du mal et la sanctifie de manière à ce qu’elle produise les fruits à sa gloire et au bien éternel des siens, pour lesquels il l’a permise ? Oui, puissions-nous être capables de le glorifier, comme les trois jeunes Hébreux, au sein même de la fournaise «chauffée sept fois plus qu’on avait coutume de la chauffer» (Daniel 3:19, 21, 22, 23, 24-30). Puis, «c’est lui qui arrête la tempête, la changeant en calme» (Ps. 107:29). Oui, Seigneur ! accorde-nous la grâce de te glorifier, soit que nous passions par les eaux ou que nous marchions dans le feu, et d’attendre ton glorieux retour, adorable Seigneur et Sauveur, pour nous introduire dans la maison du Père ! Amen.

 

J’ai lu le passage d’Habakuk 1:16 que tu me cites, et trouve le rapprochement que tu fais parfaitement juste. Souvent j’avais pensé à ce verset 16 : «C’est pourquoi il sacrifie à son filet, et brûle de l’encens à son rets, parce que par leur moyen sa portion est grasse et sa nourriture succulente». Je l’avais vu s’exaltant, lui et son ouvrage, mais ne m’étais pas arrêté à la prophétie du commencement du passage, que j’ai trouvée, en effet, d’une surprenante coïncidence.

 

Bien souvent j’ai eu des salutations de bon nombre d’amis de la contrée. J’aurais aimé répondre à chacun d’eux personnellement ; mais il m’est pénible à l’excès d’écrire ici, tellement abasourdi par les choses qui m’entourent, les obus qui éclatent et les mille bruits divers que l’on entend sans cesse. — Veuille, je t’en prie, m’excuser auprès d’eux, et leur présenter à tous mes bien affectueuses et fraternelles salutations dans le Seigneur. Souvenons-nous qu’ayant un même point de départ, la croix de Christ, nous avons un même point d’arrivée, Christ dans la gloire ! Nos chemins peuvent être fort divers, s’être rapprochés parfois, confondus même ; peut-être s’écarteront-ils pour le temps sur la terre, mais nous nous retrouverons au même lieu, ensemble, avec Christ, dans le repos, la félicité, la gloire de Dieu et pour l’éternité !...

 

45               Mercredi, 29 mai 1915

 

Cette fois me voilà de retour dans les tranchées de première ligne. Ce secteur sera peut-être aussi calme que celui de Bettincourt, quoique nous soyons bien plus près des tranchées allemandes et que certaines positions y soient l’objet d’attaques répétées de leur part. Ils voudraient s’emparer d’une petite hauteur, de laquelle ils nous mettraient dans l’impossibilité presqu’entière de conserver d’autres positions secondaires. C’est là que les 15 et 16 mai ils eurent un complet échec. Ayant attaqué cet ouvrage important de défense, ce fut, paraît-il, une effroyable hécatombe, «l’affaire de Ville-sur-Tourbe». — C’est mon secteur, en Champagne, dans la Marne, près de Beau-Séjour, entre Ste-Menehould et Reims.

 

Quant à ma santé, grâces à Dieu, je suis très bien, sans ressentiment de ma dernière indisposition. En outre, je partage un petit abri avec mon chef de section, et sous ce rapport aussi, je suis favorisé : l’abri est confortable. Nous y avons deux chaises, une large planche, fixée dans l’une des parois, nous sert de table, une bonne couche de paille. Même au cantonnement, je fus rarement si bien. L’abri a environ 1 m. 20 de haut.

 

Étant dans l’embrasure de la porte pour t’écrire, chère tante, ma vue se porte sur la petite hauteur convoitée par l’ennemi. En ce moment elle est fortement canonnée, ainsi que le village de Ville-sur-Tourbe, situé de deux à trois cents mètres plus en arrière. Ce village est entièrement démoli : la guerre est un terrible fléau, un redoutable jugement de Dieu sur notre génération !...

 

Hier, j’eus une lettre du cher Élie S. Il va mieux et commence à se lever. Il a beaucoup souffert, m’écrit-il ; il eut jusqu’à 40 et même 41° de fièvre. Il pensait que le Seigneur allait le prendre à Lui et s’en réjouissait.

 

Ce moment de l’année rappelle de douloureux souvenirs, et ma chère mère doit en avoir le cœur bien serré ! Mes deux sœurs sont beaucoup mieux auprès du Seigneur, dans le paradis de Dieu, absentes du corps, qu’ici-bas, dans ce triste, sombre et lugubre monde ; mais, hélas, nous ne les avons plus ! Tout est parfait du côté de Dieu et dans les Écritures. Les affections sont légitimes : «Et Jésus pleura». Les Écritures ne nous donnent pas comme consolation à l’égard des bien-aimés que nous pleurons, leur bonheur présent avec le Seigneur, mais bien plutôt le fait que nous les retrouverons à notre rassemblement avec Jésus, à sa venue. Il ne dit pas que nous ne devons pas être affligés, mais «pas affligés comme ceux qui n’ont point d’espérance». D’ailleurs nous sommes exhortés «à oublier les choses qui sont derrière pour tendre avec effort vers celles qui sont devant et à courir droit au but pour le prix de l’appel céleste de Dieu dans le Christ Jésus» (Phil. 3:14). Alors, nous lui serons semblables, car nous le verrons tel qu’il est, et nous serons de nouveau tous réunis dans le repos, la félicité, la gloire de Dieu et pour l’éternité.

 

Étant donnés les événements actuels, qu’elles eussent souffert, surtout Dorcas, au cœur si aimant, si tendre ! C’est la bonté de notre Dieu envers elle, ainsi que cela est écrit : «... les hommes de bonté sont recueillis sans que personne comprenne que le juste est recueilli de devant le mal. Il est entré dans la paix : ils reposent sur leurs couches, ceux qui ont marché dans leur droit chemin» (Ésaïe 57:1, 2)....

 

46               Dimanche, 16 mai 1915

 

Chère sœur,

 

Ayant appris que le Seigneur a repris à Lui votre bien-aimé mari, j’ai beaucoup pensé à vous, frappée ainsi dans vos plus chères affections. Je saisis un moment de repos, car, nous sommes arrivés de bonne heure de la marche, pour vous exprimer ma sympathie, faible sans doute, en présence de l’intensité de votre douleur, mais réelle dans le Seigneur. Unis en un seul corps, lorsqu’un membre souffre, tous souffrent avec lui — pas assez sans doute, mais tout de même, à cause des liens de l’Esprit qui nous unissent en Christ, je souffre un peu de la douleur de votre cœur, saignant par la grande blessure qu’il a reçue. — J’ai cherché les consolations de la Parole ; cela m’a fait du bien, et maintenant je désire vous les communiquer, car Dieu nous dit de nous consoler l’un l’autre par Ses paroles ; et ce n’est qu’à lui seul qu’il appartient de le faire. Il le fera certainement, en son temps, par sa parole, je le sais ; mais présentement j’aimerais vous faire profiter, en quelque mesure, du baume que m’ont fourni ces passages des Écritures.

 

Quel changement pour votre cher mari, quittant presque subitement la scène de cette pauvre terre, d’être introduit tout à coup dans la présence de son Seigneur et Sauveur, qui l’a aimé et s’est donné lui-même pour lui ! Cette heure bénie arrivera aussi pour nous ; nous aussi nous serons avec Jésus. Une joie éternelle remplira tous nos cœurs ; une couronne d’allégresse ceindra tous nos fronts (Ésaïe 35:10). C’est le repos parfait, parce que c’est le repos acquis par notre Sauveur, le repos de l’amour. Plus de larmes dans la céleste patrie, et quant à celles que nous versons, notre Dieu lui-même les aura toutes essuyées avec une tendresse infinie : «Moi, dit-il, je vous consolerai» (Ésaïe 66:13 ; Apoc. 21:4). Ce sera le séjour de la paix et de la félicité !

 

C’est là, chère sœur, que votre bien-aimé se trouve. Il jouit maintenant de ces bénédictions. Un homme qui fut ravi jusqu’au troisième ciel, dans le paradis, et qui en est revenu, y a entendu des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme d’exprimer. C’est là, dans l’heureuse maison du Père, que se trouve Jésus, et, avec Lui, l’ami que vous pleurez ; et, selon le témoignage de Jésus lui-même, il y est «consolé» (Luc 16:25).

 

Pour être consolé il faut pouvoir comprendre et recevoir les consolations données, capacité qui nous manque encore quant aux choses célestes ; c’est pourquoi, l’apôtre estime qu’il est de beaucoup meilleur de déloger pour être avec Christ. On jouit là, sans entrave, dans ce lieu de délices, de la Personne adorable du seigneur Jésus. Ce n’est pas la gloire dans sa plénitude ; celle-ci nous l’aurons quand, ayant revêtu nos corps spirituels conformes à son corps glorieux, nous vivrons ensemble avec Lui. Ce sera alors l’activité parfaite, incessante, de tous les saints, dans la perfection. Aujourd’hui ce n’est pas encore la gloire, c’est le repos, repos calme et béni de la présence du Sauveur, le rassasiement de joie de Sa face. Le brigand y fut introduit le jour même qu’il quittait cette triste scène, oui, ce jour-là, il entrait dans le paradis avec Jésus.

 

C’est un lieu de délices que le Paradis de Dieu, et cela, parce qu’on y est avec Celui qui nous a tant aimés. Le bon Berger, qui chérissait sa brebis, bien autrement que vous et moi — car il a donné sa vie pour elle — l’a prise auprès de Lui, là où son amour la voulait. En considérant ainsi la part de notre bien-aimé, ne pouvons-nous pas dire, chère sœur, que c’est une grande bénédiction pour lui ? Quel changement ! Quitter cette terre de détresse, de misères et de larmes, pour être avec Jésus, là où Dieu se repose dans son amour !... sûrement et pour rien au monde, il ne voudrait revenir ; et nous, lors même que nous le pourrions, voudrions-nous le rappeler ? Non, absolument, n’est-ce pas ? Le rappeler dans ces tristes lieux, au sein de toutes ces désolations, de toutes ces ruines, dans ce monde qui gît dans le méchant ? loin de nous une telle pensée que de troubler son repos, dans lequel nous-mêmes nous allons entrer incessamment, peut-être ce soir ou demain. Dût-elle être différée, notre espérance se réalisera sans faute : «Si elle tarde, attends-la, car elle viendra sûrement» (Habakuk 2:3). C’est pourquoi nous allons tendre vers cette heure où nous retrouverons, où vous retrouverez celui que vous aimez, bien plus, où nous verrons Jésus : il n’y aura plus de séparation, plus de larmes ; nos cœurs sont ainsi réconfortés.

 

Pour le présent, chère sœur, la réalité est que vous n’avez plus votre cher mari : solitaire, il vous faut continuer la route ; mais, pour nous, chrétiens, le désespoir de la mort n’existe plus ; non, votre mari n’est pas perdu ; les yeux, qui voient ce qui ne se voit pas, le voient avec Jésus. Quelle espérance que la nôtre ! Qu’elle est propre à nous soutenir, à nous encourager, à nous réjouir même tout en pleurant, car nous ne sommes pas affligés comme ceux qui n’ont point d’espérance..

 

Désormais, chère sœur, vous n’êtes pas laissée seule, ni votre enfant. Dieu, le Dieu que nous connaissons en Jésus, a promis d’être votre soutien, et sa parole est la fermeté même. Que de déclarations il donne dans sa Parole concernant la veuve et l’orphelin ! «Laisse tes orphelins, et moi je les garderai en vie, et que tes veuves se confient en moi» (Jérémie 49:11). «Dieu, dans sa demeure sainte, est le père des orphelins et le juge des veuves» (Ps. 68:5). «Je connais ses douleurs» (Exode 3:7). «C’est lui qui guérit ceux qui ont le cœur brisé, et qui bande leurs plaies» (Ps. 147:3). Et si ses voies sont parfois insondables, retenons fermement qu’Il nous aime, comme Il a aimé son propre Fils (Jean 17:23). Aimés d’un tel amour, pleurons sur son sein en Jésus ; avec une tendresse infinie, dont son cœur de Père est seul capable, il «compte vos allées et vos venues», et vous aussi, vous pouvez lui dire : «mets mes larmes dans tes vaisseaux ; ne sont-elles pas dans ton livre ?» (Ps. 56:8). Pas un soupir de votre cœur oppressé ne passe inaperçu de lui ; il répondra à tous vos besoins. Ah ! chère sœur, quand nous connaîtrons ses voies, les pensées qu’il a eues à notre égard, nous le bénirons, car ce sont des pensées de paix et non de mal (Voyez Jér. 29:11). Actuellement, nous ne pouvons pas toujours les comprendre ; mais elles sont sûrement pour notre bien ; si maintenant nous ne savons pas ce qu’il fait, nous le saurons dans la suite ; puis, s’il afflige, il a aussi compassion, et ses compassions sont grandes, car il est «le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation, qui nous console à l’égard de toute notre affliction» (2 Cor. 1:3, 4). Le Seigneur Jésus nous a promis d’être avec nous tous les jours ; quel ami que notre ami ! Il n’est pas un ami, mais l’ami ; «il aime en tout temps, et un frère est né pour la détresse» (Prov. 17:17, 18, 24). Ses brebis connaissent sa voix ; il va devant elles ; il les connaît nom par nom. Comme jadis aux disciples, il vous dit : «Aie bon courage ; c’est moi ; n’aie point de peur» (Marc 6:50). Cette voix fait brûler nos cœurs au milieu de nos larmes. Daniel dit : «Tu m’as fortifié», après que le Seigneur lui eut dit : «Ne crains pas... paix te soit !  sois fort, oui, soit fort !» (Daniel 10:19). Vous êtes sa brebis chérie ; le fidèle et bon Berger vous a mise sur ses épaules ; il veut vous conduire doucement, selon vos circonstances ; il veut lui-même panser la plaie brûlante de votre cœur. Voyez son amour ! (Ézéchiel 34:15, 16). Ah ! quel Ami !... Au Ps. 40, le Psalmiste dit : «J’ai attendu patiemment l’Éternel ; et il s’est penché vers moi, et a entendu mon cri». Dites, vous qu’il appelle sa brebis bien-aimée, le voyez-vous se pencher vers vous pour mieux vous soutenir ? C’est ce que je désire pour vous. Comme jadis les sœurs de Béthanie, je lui dis : «Seigneur, celle que tu aimes est malade ; son cœur est déchiré ; la charrue de l’affliction y a creusé de profondes sillons. Soutiens-la, oui, soutiens-la» ! Il le fera, je le sais. Il veut que la douleur soit sentie, et même il le faut. Il sait qu’elle a rempli nos cœurs, et vient pleurer avec nous : «Et il dit : Où l’avez-vous mis ? Ils lui disent : Seigneur, viens et vois. Jésus pleura» (Jean 11:34). Pleurez près de son cœur, et dites-lui tout ; comme le disciple que Jésus aimait, ayez la liberté de reposer votre tête, pesante de douleur, sur son sein, et demeurez là...

 

Je vous quitte, chère sœur, en vous donnant rendez-vous en Haut, à la Maison. Donc toujours au revoir. Recevez encore, avec ma sympathie chrétienne, mes bonnes et affectueuses salutations dans le Seigneur, étant en Christ votre frère.

 

Joël Delarbre.

 

47               Le 24 février 1915

 

... J’éprouve qu’il y a une grande bénédiction quand un passage vient à l’esprit, de le chercher et de le lire, étant admis que notre Dieu nous parle par sa parole, laquelle est comme sa bouche pour nous consoler, nous enseigner, nous reprendre. Maintenant, sans préambule, je tiens à vous exprimer ce qui m’a occupé et m’occupe encore depuis longtemps, car je suis brisé, et je désire l’être encore davantage, en considérant le jour actuel.

Le chrétien doit garder un jugement sain sur les événements des jours qu’il traverse, où tout doit lui parler. En Romains 13:11, il est dit : «Et encore ceci : connaissant le temps». Le temps présent est on ne peut plus sérieux, et cette exhortation est tout à fait de saison : «c’est déjà l’heure de nous réveiller». Nous avons oublié de la réaliser, et le résultat en a été désolant. La force nous a manqué pour rejeter les œuvres des ténèbres.

Sans nous en apercevoir, nous nous étions laissé envelopper par les désirs qui remplissent le cœur des hommes aujourd’hui : la recherche du bien-être, de la satisfaction de nos goûts, de nous-mêmes et de notre propre importance personnelle ; ces choses, et d’autres encore, nous caractérisaient. Il est étroit le chemin qui mène à la vie, oh ! comme nous l’avions élargi, comme nous l’avons fait élastique !

 

Nous appartenons à Dieu : «notre Seigneur Jésus Christ s’est donné lui-même pour nos péchés, en sorte qu’il nous retirât du présent siècle mauvais, selon la volonté de notre Dieu et Père». C’est à ce prix, par le précieux sang de Christ, que nous : avons été achetés et rachetés. Nous avons été introduits dans une douce relation avec lui : Il est notre Père, nous sommes ses enfants. Mais il n’y a pas de position sans responsabilité, et Pierre nous dit : «comme des enfants d’obéissance, ne vous conformant pas à vos convoitises d’autrefois pendant votre ignorance ; mais comme celui qui vous a appelés est saint, vous aussi soyez saints dans toute votre conduite ; parce qu’il est écrit : soyez saints, car moi je suis saint» (1 Pierre 1:14-16).

 

Pour être dans cet état, nous avions la vivante et permanente parole de Dieu, par laquelle nous avons été engendrés et qui est aussi notre nourriture. Cette parole nous dit ce que Dieu est, et ce que nous sommes par grâce, et devons être pratiquement. Hélas, nous l’avons négligée cette précieuse Parole, et cependant ce n’est que par elle que nous pouvons croître à salut et rendre pure notre voie (1 Pierre 2:2 ; Ps. 119:9). Si nous l’avons lue, ce n’a pas toujours été comme Esdras ; nous ne sommes pas demeurés dans l’amour du Seigneur. Son amour (et quel amour ! ) touchait peu nos cœurs, ou bien nous aimions de parole et de langue, mais, hélas ! peu en action et en vérité. Étant donc dans un tel état de faiblesse, ayant abandonné les points vitaux de notre christianisme, nous n’avons pas répondu au cœur de Dieu, nous avons foulé sa gloire sous nos pieds. Mais il a dit : «Je ne donnerai pas ma gloire à un autre» (Ésaïe, 48:11). Il demeure fidèle, car il ne peut se renier lui-même (2 Timothée 2:13). S’il ne permet pas à l’ennemi de toucher à ses oints (Ps. 95:15), il exerce néanmoins son jugement envers ceux qui lui appartiennent : «Mais si nous nous jugions nous même, nous ne serions pas jugés. Mais quand nous sommes jugés, nous sommes châtiés par le Seigneur, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde» (1 Cor. 11:31, 32). Un père châtie, un juge condamne. De tout temps, ceux qui se sont trouvés en relation avec Dieu, ont été d’une façon particulière sous les effets de son gouvernement : «le jugement de Dieu commence par sa maison» (Amos 3:1, 2), sans vouloir dire que les autres y échappent (Jérémie 25:29). Grâces soient rendues à Dieu, notre position devant Lui n’est pas basée sur notre conduite, mais sur Christ notre Justice ; mais il y a aussi son gouvernement envers les siens, quoique tout repose sur sa parfaite et pure grâce. C’est pourquoi «conduisons-nous avec crainte, car aussi notre Dieu est un feu consumant.» (Hébr. 12:29). Oh ! chers parents bien-aimés, nous n’avons pas marché selon le désir de son cœur ; nous ne vivions pas pour celui qui, pour nous, est mort et a été ressuscité (2 Cor. 5:15). Nous avons obligé notre Dieu à nous frapper, affligeant ainsi son cœur et le cœur du Seigneur Jésus.

 

Lorsque l’Éternel châtiait son peuple, il le lui annonçait par ses serviteurs, les prophètes, l’exhortant à revenir, et lui se repentirait du mal annoncé : «Et maintenant amendez vos voies et vos actions, et écoutez la voix de l’Éternel votre Dieu, et l’Éternel se repentira du mal qu’il a prononcé contre vous» (Jérémie 26:13). Il agit de la même manière envers les nations (voyez Jérémie 18:7, 8). Ce principe se trouve partout dans les Écritures. Ninive en est une brillante et touchante illustration (Jonas 3:1-4, 5-10). — Dans le prophète Jérémie, ces paroles reviennent souvent, «mais moi je me suis levé de bonne heure, me levant et vous parlant... et je vous ai envoyé mes serviteurs, les prophètes». En cela, nous voyons que ce n’est qu’à la dernière extrémité que Dieu frappe les siens. Il en est de même avec sa chère assemblée maintenant. Avant de dire : «Je reprends et je châtie», il dit : «Je te conseille» (Apoc. 3:18, 19). Quelle douceur ! quelle grâce ! quelle tendresse ! quelle patience en présence d’un tel état spirituel ! Je te conseille — «moi, je reprends et je châtie tous ceux que j’aime ; aie donc du zèle et repens-toi. Voici je me tiens à la porte et je frappe».

 

Nous avions sa parole «qui est utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice» (2 Timothée 3:16), et nous n’y avons pas pris garde ! Et alors, oh ! quelle douleur ! N’y a-t-il pas sujet de verser des larmes, à cause de l’affliction par laquelle la chère Assemblée de Dieu passe en ce moment ? Mais n’y a-t-il plus de remède, plus «de baume en Galaad», comme dit le prophète Jérémie (8:22). Eh bien, oui, il y en a un, il se trouve dans la parole. En Apoc. 2:5 et 3:19, il est dit : «Repens-toi». L’avons-nous fait ? Je ne veux pas répondre pour d’autres, mais, quant à moi, je suis brisé en voyant qu’il a fallu que le châtiment se prolonge jusqu’à ce jour pour être amené à faire un retour sur moi-même, et être humilié de cœur et sincèrement devant notre Dieu.

 

Cela m’a donné à considérer l’état de ceux qui s’humiliaient lorsqu’ils étaient sous le jugement de Dieu ; mais je passerai là-dessus rapidement. Nous voyons, en Juges, quand il s’agit d’un retour collectif, d’une humiliation générale, l’état de ceux qui revenaient : il faut que le peuple soit amené à pleurer amèrement et à jeûner. Et ceci est d’autant plus remarquable qu’ils avaient dit au commencement : «Dites comment ce mal est arrivé ?» (Juges 20:3), tandis que plus tard, sous les effets terribles du châtiment du mal, «ils élèvent leur voix et pleurent amèrement» (ch. 21:3), et dirent : «Pourquoi ceci est-il arrivé à Israël, qu’il manque aujourd’hui à Israël une tribu ?» — Salomon, dans sa prière (1 Rois, 8:47, 48), dit : «S’ils rentrent en eux-mêmes, et reviennent à toi et te supplient... disant : nous avons péché, et nous avons commis l’iniquité... et s’ils reviennent à toi de tout leur cœur et de toute leur âme..». Voilà le chemin du retour de la bénédiction : «Écoute, dit-il, leur prière et leur supplication, et fais-leur droit, et pardonne à ton peuple..» (v. 49). Nous voyons en Esdras 9:4, l’état de ceux qui se repentaient et tremblaient aux paroles du Dieu d’Israël.

 

Citons encre quelques cas individuels, David (2 Sam. 12:13 ; 24:10-17) ; Ézéchias (2 Chron. 32:26) ; Josias (2 Chroniques 34:19, 26, 28) ; Esdras, Daniel, qui se tiennent devant Dieu, leurs robes déchirées, s’humiliant et pleurant et confessant les manquements du peuple comme étant les leurs. C’est le seul chemin de la restauration, lorsque nous avons manqué et mérité un châtiment de la part de Dieu. Osée 5:15 est fort important. Ils disent bien : «Venez, retournons à l’Éternel, car lui a déchiré, et il nous guérira», etc. ; mais que dit l’Éternel aux v. 4, 5 ? «Que te ferai-je, Éphraïm ? que te ferai-je, Juda ? Votre piété est comme la nuée du matin est comme la rosée qui s’en va de bonne heure..» (v. 5, 6, 7). Dieu veut la vérité dans le cœur. En Osée 14:1 à 3, c’est bien différent, c’est pourquoi nous lisons au v. 4 : «Je guérirai leur abandon de moi, je les aimerai librement, car ma colère s’est détournée d’eux». C’est ce que l’on trouve aussi en Jérémie 3:21-25 et 4:1 à 2.

Oui, chers parents, notre place, à nous aussi, est à ses pieds, nous humiliant dans les larmes de ce que nous avons été et sommes encore à tant d’égards. Plus je considère les Écritures, plus je vois que c’est le seul chemin pour être restaurés et bénis. Oui, venons à lui et pleurons à ses pieds comme la pécheresse chez Simon. C’est notre place.

 

Je ne veux donner de direction en aucune manière, car je sens un peu ma grande faiblesse ; puis il ne s’agit pas de parler ou d’écrire, mais je désire de tout mon cœur revenir, moi, et m’humilier le premier, demandant à Dieu de me donner de prendre ma vraie place devant Lui. — Il a fallu que je vous envoie ces quelques pensées, car ces derniers temps, elles m’ont beaucoup occupé, et cela me fait du bien de vous dire ce qui oppresse mon cœur, car le besoin de vous écrire ceci grandissait avec ma douleur. Une chose encore m’a empêché de le faire plus tôt : je considère qu’il faut commencer par soi-même, et si maintenant je vous dis ces choses, ce n’est pas afin de vous enseigner, mais afin que nous ayons ensemble communion de pensées.

 

Néanmoins je vous demande, si vous le jugez bon et à propos, de faire part de ma lettre à l’assemblée. Oui, à vous, mes chers parents, et aussi à mes chers frères et sœurs de l’assemblée, je dirai : Humilions-nous avec larmes aux pieds de Celui qui pardonne. En Osée, chap. 6:2 et 3, après avoir dit : «Venez, retournons», il ajoute : «Dans deux jours, il nous fera vivre ; au troisième jour, il nous mettra debout, et nous connaîtrons, et nous nous attacherons à Le connaître. Sa sortie est préparée comme l’aube du jour ; et il viendra à nous comme la pluie, comme la pluie de la dernière saison arrose la terre».

 

Notre Dieu ne parlera pas à notre égard selon ce qu’il a dit à Israël : «Tu as oublié la loi de ton Dieu, et moi j’oublierai tes fils» (Osée 4:6), car Il nous a aimés d’un amour éternel, lui, le même hier, et aujourd’hui, et éternellement. C’est parce qu’Il nous aime, qu’Il nous a frappés et que l’épreuve continue.

 

Oui, nous pouvons bien le dire qu’Il nous aime d’un amour éternel, et c’est pourquoi, après le châtiment, Il nous attirera à Lui de nouveau avec bonté (Voir Jérémie 31:1-6). C’est pourquoi le prophète peut dire : «Ô Éternel, j’ai entendu ce que tu as déclaré, et j’ai eu peur», puis il ajoute : «Dans la colère, souviens-toi de la miséricorde !» (Habakuk 3:2). Dans cette tempête, Il est près des siens pour les soutenir et les encourager. Comme jadis avec les jeunes Hébreux dans la fournaise, le fils de Dieu est là : Celui qui nous aime, notre fidèle et suprême Ami, notre bon Berger, ne nous quitte pas, et la tendre sollicitude du Père se montre envers nous chaque jour. Il y a cependant une différence entre notre affliction et la fournaise où furent jetés les trois jeunes Hébreux : eux y étaient à cause de leur fidélité à leur Dieu, et nous... ? Mais son amour est tel qu’il ne nous abandonne pas un seul instant. Je pense souvent à ces vers :

 

Quoi, je te trouve ici, sur la terre accroupie,

Tes cheveux déliés, couverte de haillons ;

Et par les voluptés d’une coupable vie,

Ton visage est marqué de précoces sillons !

 

Quel ennemi menteur, t’amorçant par ses charmes,

Sut te pousser au mal, et t’en cacher l’effroi ?

Est-ce le repentir qui t’arrache ces larmes ?

Réveille-toi !

 

 — Coulez, mes pleurs, aux pieds de Celui qui pardonne !

Tu m’as aimé... C’est moi qui causais tes douleurs !

En te déshonorant j’ai perdu ma couronne,

J’ai péché contre Toi ! — Laisse couler tes pleurs !...

 

Une humiliation, réelle, sincère, ne consiste pas, en effet, à dire, en passant : «Nous avons manqué», mais à prendre, en vérité, notre place devant Lui, dans l’humiliation et la confession de nos iniquités. Alors ce ne sera pas la joie qui se montrera, mais les larmes, à cause du déshonneur jeté sur le nom de Christ. Notre inconséquence, notre infidélité sont bien plus grandes que l’épreuve que nous traversons.

 

Chère assemblée, tant aimée du Seigneur, où est notre place ? Les paroles contenues dans le chapitre 3 des Lamentations de Jérémie, à partir du v. 40, sont à propos pour nous. Rappelons-nous ce que David dit au Ps. 51:17 : «Ô Dieu ! tu ne mépriseras pas un cœur brisé et humilié».

 

L’épreuve augmente d’intensité chaque jour ; toutefois, comme le dit Jérémie : «Je rappellerai ceci à mon cœur, c’est pourquoi j’ai espérance : ce sont les bontés de l’Éternel que nous ne sommes pas consumés, car ses compassions ne cessent pas ; elles sont nouvelles chaque matin, grande est ta fidélité !» (v. 31-33).

 

Il nous aime, et l’épreuve ne dépassera pas la mesure assignée : «Je te corrigerai, mais avec mesure» (Jérémie 30:11). Comme jadis à son peuple Israël, Dieu nous a parlé. Il est entré en conseil avec lui-même dans le secret de son cœur, il a vu qu’il fallait qu’il nous réveillât. Il veut avoir un peuple de franche volonté (Ps. 110), et nous sommes son peuple. Oui, «c’est l’heure de nous réveiller».

 

J’envoie à tous les chers amis mes bonnes salutations. Je me souviens de tous, nom par nom, et j’exprime à chacun d’eux, personnellement, mon affection, mon souvenir dans le Seigneur. J’aimerais beaucoup vous revoir ici-bas, mais ne désirons rien, regardons En-Haut, d’où vient notre secours. Que nos reins soient ceints de la vérité et ne défaillons pas en faisant le bien. Bon courage ! Pleine paix ! Au revoir, chers bien-aimés, auprès du Seigneur !

 

Je suis très bien dans ma santé, jouissant à cet égard encore, des bons soins du Seigneur. Je m’étonne parfois de ne pas me ressentir de ma blessure, surtout que lorsque je suis parti, je ne pouvais porter le sac sans en éprouver une douleur, tandis qu’à présent, je ne sens absolument rien. Oh ! quel Dieu, que notre Dieu ! À tous égards je suis bien, étant comblé de toute manière par les tendres soins du Seigneur.

 

Je vous écris n’ayant pas du temps bien à moi, car je suis souvent dérangé, interrompu. Autour de moi, on chante, on rit, on danse : c’est un vacarme à ne rien entendre, mais qu’il est doux d’entendre dans ce tourbillon où je suis bien à contre-cœur, la voix de Jésus : «Venez à l’écart... et reposez-vous» (Marc 6:31).

 

Je vous embrasse, chers parents bien-aimés, et vous prie de ne jamais m’oublier et de demander que je puisse parler de Jésus.

 

Joël D.

 

48               Le 4 juin 1915

 

Mes bien chers parents, frères et sœur !

 

Nous sommes au repos complet, hier et aujourd’hui. Dès que j’ai pu le faire, je me suis levé, et, après m’être nettoyé, je suis venu à l’écart, sur l’herbe, sous un pommier, où je suis depuis assez longtemps. J’ai pu lire et prier, éprouvant qu’il fait bon «à l’ombre du pommier». Oui, «j’ai pris plaisir à son ombre et je m’y suis assis», et, comme la Sulamithe, je dis : «Comme le pommier entre les arbres de la forêt, tel est mon bien-aimé entre les fils» (Cantique des cantiques 2:3).

 

En présence de toute la tendresse dont Il me comble, j’ai pensé à ce cantique :

 

Ô Seigneur, dans la nuit sombre,

Mes désirs volent vers Toi,

Car tes compassions sans nombre,

Jésus, reposent sur moi.

Devant ta miséricorde,

Qui m’entoure à chaque pas,

Mon cœur attendri déborde ;

Pourtant je ne te vois pas !...

 

En voyant sa grâce illimitée, j’en ai pleuré, et Lui ai demandé la faveur de le voir toujours mieux, d’un œil toujours plus simple jusqu’au moment inexprimablement béni où je le verrai face à face.

 

Que le verset 18 du chap. 4 des Proverbes est merveilleusement riche et précieux : «Mais le sentier des justes est comme la lumière resplendissante qui va croissant jusqu’à ce que le plein jour soit établi».

 

Je vous remercie beaucoup de Lui demander que je sois gardé pour sa gloire, rendant honorable le beau nom de Christ «qui a été invoqué sur nous». Comme je vous l’ai dit, je le redis encore, mes bien chers parents, votre fils ne sera jamais un meurtrier. Il m’en donne l’assurance par sa grâce. Moi aussi, je serai «délivré de toute mauvaise œuvre et conservé pour son royaume céleste» (2 Pier. 4:18). Une fois «au port désiré», plus d’orage ; parfaite paix, bonheur sans fin. ! «Consolez-vous donc l’un l’autre par ces paroles» (Ps. 107:28-32 ; Ésaïe 26:3 ; 1 Thess. 4:15-18).

 

 

Et, cinq jours après avoir écrit cette dernière lettre, le 9 juin 1915, notre frère, comme nous l’avons déjà rappelé, tombait foudroyé par des éclats d’obus : «il était absent du corps et présent avec le Seigneur». Oui, «la mémoire du juste est en bénédiction» ; oui, notre jeune ami est un de ceux qui «étant morts, parlent encore».