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FAIS-TU BIEN DE T’IRRITER ? — Jonas 4:4, 9
André Gibert
Les sous-titres ont été ajoutés par Bibliquest
ME 1975 p. 253
Tables des matières :
2 Être objet de la grâce renforce l’égoïsme
3 Un prophète qui se désiste de sa mission
4 Dieu fait grâce à cause de Lui-même
6 Un Dieu fidèle à ses promesses
7 Le jugement pour ceux qui méprisent la bonté de Dieu
Étrange Jonas ! Son comportement est déroutant pour qui ignorerait encore de quelles inconséquences est capable le coeur d’un homme, fût-il homme de Dieu.
On le voit successivement
· s’enfuyant de devant la face de l’Éternel, dont il était le prophète, pour ne pas avoir à s’acquitter du message menaçant pour Ninive ;
· conscient, quand il est réveillé au fort de la tempête, qu’elle a été provoquée par son infidélité — car il «craint l’Éternel» ; il parle de Lui aux marins effrayés, il les enseigne, leur indique le moyen de leur salut («Jetez-moi à la mer»), de sorte que, délivrés, ils rendront hommage à l’Éternel ;
· criant pour lui-même dans sa détresse, des entrailles du poisson, et, soumis par Dieu à une sévère discipline, mais préservé par Sa bonté, rendant grâces pour la grande délivrance dont il est assuré alors qu’il se trouve encore «au sein du shéol» ;
· allant à Ninive une fois sa volonté brisée et y annonçant le renversement prochain de la grande ville ;
· spectateur de la repentance opérée chez les Ninivites parce qu’ils ont cru Dieu, et de la miséricorde divine qui s’étend sur ces repentis ;
· et le voilà irrité que Ninive soit épargnée, d’une irritation qui s’avive encore lorsque Dieu frappe, après l’avoir fait croître, le kikajon en lequel le prophète aigri avait trouvé quelque joie.
Est-il possible que le même personnage ait traversé les circonstances relatées dans les deux premiers chapitres pour «trouver mauvais» ce que l’Éternel fait ensuite et s’en irriter jusqu’à l’insolence ?
C’est bien le même, hélas, avec le coeur de tout descendant d’Adam, le coeur «trompeur par-dessus tout et incurable» (Jér. 17:9). Le croyant le plus privilégié, aujourd’hui le chrétien, doté d’avantages bien supérieurs à ceux de Jonas, le chrétien scellé et affranchi, garde ici-bas les mêmes racines mauvaises qu’avant sa conversion, et des exemples comme Jonas lui sont donnés pour qu’il soit attentif à mortifier ces racines.
Jonas était bien un «prophète de l’Éternel». Il avait même été précédemment un prophète de grâce pour son peuple coupable dans la détresse, comme nous l’apprenons en 2 Rois 14:25-27. Il savait et pouvait dire avec plus de vérité que quiconque que l’Éternel est miséricordieux (Jonas 4:2), Lui qui, ému par l’affliction d’Israël, avait eu compassion et lui avait envoyé des sauveurs (2 Rois 13:4, 22 et 23). Et depuis, Jonas englouti avait expérimenté pour lui-même, de façon insigne, cette miséricorde (Jonas 2).
Or, et il n’est pas de constatation plus humiliante, le fait d’avoir été l’objet de la grâce de Dieu après en avoir été le héraut pour son peuple, renforce en Jonas l’orgueilleux égoïsme qui nous est naturel.
Quand, la première fois, l’Éternel l’a chargé d’aller crier contre Ninive, il a osé juger ce message, et il prétendra l’avoir fait à la lumière même de la miséricorde de Dieu (4:2) ! Au lieu de se prêter avec empressement à la volonté de ce Dieu ainsi connu, il a raisonné : Dieu menace Ninive, il lui donne un délai pour se repentir, et si elle se repent il pardonnera à cette ville impie, dangereuse pour Israël, tandis que je passerai, moi, ma prédiction ne s’étant pas vérifiée, pour un faux prophète !
Et quand, après avoir connu les profondeurs du shéol et loué l’Éternel son sauveur, il va à Ninive, c’est par contrainte et de mauvais gré qu’il obéit. Il met toujours ses propres pensées au-dessus de celles du Maître qui l’envoie, et critique ses voies comme si elles n’étaient pas réglées. Il est au fond de lui aussi rebelle que lorsqu’il s’enfuyait à Tarsis. Sa volonté a été réduite à l’impuissance, mais son coeur n’a pas été changé.
Israélite, il est pénétré de la supériorité et des privilèges de sa nation, oubliant que l’Éternel l’avait choisie non pour ses mérites mais par amour gratuit, et l’avait maintenue par fidélité à Son serment (Deut. 7:7 ; 9:7). Il ne veut pas de la grâce divine pour les nations, qu’il méprise. Il est bien le porte-parole de ces Juifs qui ne se sont jamais résignés à ce que leur Dieu soit le Dieu de tous ; au reste l’histoire d’Israël se trouve figurée par ces scènes de la vie de Jonas (*). La conscience d’être le peuple élu s’est faite orgueil national ; ce qui aurait dû être humilité reconnaissante s’est changé en satisfaction de soi, donnant une religion formaliste éloignée de Dieu. Quel abîme que nos coeurs, que le déploiement de la grâce puisse y exciter ainsi le moi rebelle ! Prenons garde que, ayant été mis à part du fait de cette même grâce, ce ne soit pas pour nous, chrétiens, l’occasion d’un pharisaïsme tel que celui que Jésus rencontra. L’Église responsable avait à sa portée les bénédictions célestes, elle s’en est prévalue, et en est arrivée à prétendre détenir elle-même le monopole du salut. Le jour vient où la Babylone dite chrétienne dira : Je suis assise en reine...
(*) Notre propos n’est pas le sens typique et prophétique du livre de Jonas, si important que soit ce sujet. Nous engageons le lecteur à se reporter à l’étude H.R., Le livre de Jonas le prophète. Voir aussi Le livre de Jonas (ME 1890).
Mais de plus cet intraitable Israélite était pénétré de sa dignité de prophète. Non seulement il reporte sur lui l’importance du message dont il est chargé, mais il se met au-dessus de ce message et donc de Celui qui le lui confiait. Un siècle auparavant Élie se désistait de son ministère parce qu’il n’avait pas, malgré son obéissance, réussi à ramener le peuple à l’Éternel. Jonas se désiste avant d’obéir, par crainte de voir son ministère de jugement démenti, pense-t-il, par la miséricorde. Il aurait considéré à honneur d’aller crier contre Ninive et de signifier leur destruction à ces méchants s’il avait été convaincu qu’au bout des quarante jours cette destruction tomberait bien sur eux. Mais, comme un autre l’a dit, «pressentant que si Ninive se repentait Dieu lui ferait miséricorde, Jonas craignait que Dieu soit trop bon ! Il estimait les hommes de Ninive indignes de tout pardon, et il ne voyait pas qu’il était plus indigne qu’eux, lui qui rapetissait à sa propre mesure le dessein de Dieu, qui jugeait Dieu, étant plus jaloux de sa réputation que de la volonté divine. Tout adoucissement de la sentence représentait un déshonneur pour lui. Il le ressent lorsqu’il voit effectivement cette sentence révoquée après qu’il l’a signifiée. Qu’importent ces milliers d’âmes au regard de sa renommée ? Ce misérable attachement au moi trahit toute sa petitesse quand l’irritation de l’orgueil s’accompagne de celle causée par la perte du kikajon. Élie découragé avait bien d’autres raisons pour dire : «Prends ma vie» !
Jonas se connaissait peu lui-même. C’est pourquoi, sans doute, il n’avait pas l’idée que Ninive pût se repentir : il ne savait pas ce que c’est que la vraie repentance, et il ne savait pas davantage que Dieu y pousse l’homme de par Sa bonté.
Car Jonas, au fond, avait à apprendre, et nous avec lui, que Dieu agit non pas tant d’après ce que nous sommes, mais selon ce qu’Il est. Et que son amour surpasse tout ce que nous pouvons en concevoir.
Sans doute, Jonas parle de la grâce, dans sa prière du chapitre 2. Il réprouve ceux qui, regardant aux vanités mensongères, «abandonnent la grâce qui est à eux». Mais dans sa pensée elle est à eux seuls, leur propriété exclusive : il s’agit de ceux de son peuple qui se détournent vers les idoles, des privilégiés inexcusables d’oublier l’alliance que Dieu a conclue avec eux. Il ne sait pas que Dieu seul peut être fidèle à son alliance, et qu’il l’est parce qu’à l’origine de cette alliance, il y a la pure, immuable, mais souveraine grâce de Dieu, et que cette grâce dépasse les limites du peuple qui ne demeure le peuple de Dieu que par elle.
Quel homme tout autre eût été Jonas s’il était entré dans les sanctuaires de Dieu ! Loin de s’irriter devant la sentence non exécutée, il se serait réjoui de ce que son message avait été cru comme étant de Dieu (3:5) et de ce que Ninive s’était repentie. Il se serait réjoui avec Dieu, alors que, tel le fils aîné de la parabole refusant de s’associer à l’allégresse de la maison du père, il se met en colère contre Dieu.
Remontons plus haut. Sa première pensée, lorsque le message lui fut confié, n’aurait-elle pas pu être d’intercéder pour Ninive, de prier, comme Abraham se tenant devant l’Éternel lorsqu’il eut appris ce qui attendait Sodome, de demander que la ville coupable se repente et que des pécheurs soient sauvés ? L’important n’est pas que Ninive soit ou non détruite — un souffle des lèvres de l’Éternel y suffirait (És. 11:4) — mais que le méchant se repente et que Dieu lui fasse grâce. Voilà où Dieu met sa gloire. Il lui appartient de trouver la propitiation nécessaire, et nous savons où et en qui elle a été trouvée, de sorte que le plein salut est maintenant offert à tous par la prédication de Jésus Christ crucifié.
Tout cela doit nous parler, à nous qui connaissons l’amour de Dieu manifesté en Christ, qui sommes mis en relation avec Lui comme avec un Père, qui possédons sa nature, la vie, son amour versé dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. Nous sommes laissés sur la terre comme des porteurs de la parole de vie, cet Évangile qui parle de la colère révélée du ciel, mais pour que des pécheurs repentants soient amenés au salut.
Veillons donc pour être gardés de mal user de la grâce. On le peut à des degrés bien divers. C’en est un que le mépris ou la simple indifférence à l’égard de ceux que nous devons avoir à coeur, pour les avertir et prier pour eux. «Nous ne faisons pas bien. Ce jour est un jour de bonnes nouvelles, et nous nous taisons», disent, repris dans leur conscience, les lépreux de Samarie rassasiés (2 Rois 7:9). «Malheur à moi si je n’évangélise pas», disait Paul (1 Cor. 9:16). Souvenons-nous, d’autre part, de la parabole du serviteur impitoyable (Matt. 18:24-35). Quant aux apostats dont Jude fait le tableau, non seulement ils changent la grâce en dissolution, mais en prennent prétexte pour se séparer orgueilleusement eux-mêmes, en murmurant contre les autres et contre Dieu. Les hommes des temps fâcheux des derniers jours, qui gardent la forme de la piété, mais en ont renié la puissance, sont, entre autres caractères, «implacables», «cruels», «égoïstes» (2 Tim. 3:2, 3).
Si vraiment nous savons, et bien mieux que Jonas, que notre Père céleste est miséricordieux, soyons miséricordieux comme Lui, réjouissons-nous de ce qu’Il pardonne, louons-le, Lui qui, s’élevant comme seul il peut le faire au-dessus du mal, a trouvé dans l’oeuvre de son Fils le moyen de pardonner. Aimons parce que Lui nous a aimés.
Nous voudrions encore souligner l’admirable patience dont Dieu a usé envers Jonas. Entendons-Le lui parler lorsqu’il s’irrite. «Fais-tu bien de t’irriter ?»... Fais-tu bien ?... À quelle expérience toute simple Il le soumet pour le convaincre ! Il fait pousser le kikajon bienfaisant, puis l’enlève. Un Jonas humble de coeur s’écrierait : Insensé que je suis ! sans la providence divine je dépéris, et une de ses plus infimes productions suffit à me rendre la vie ! — Mais au contraire, il se cabre : Je fais bien de m’irriter ; si je n’ai pas plus d’importance à tes yeux, prends ma vie ! — Et Dieu de le placer en face de Sa bonté pour ces créatures dont Jonas, tout prophète qu’il est, fait partie, ne possédant pas d’autre titre à la faveur de Dieu que n’en possède la plus petite ou la plus vile de ces créatures : être un objet de pitié.
C’est sur cette sereine et souveraine déclaration de Dieu daignant justifier ses voies, que s’arrête l’histoire de Jonas. Elle laisse le prophète dans son insatisfaction irritée. Ainsi en est-il tout au long de l’histoire d’Israël dont Jonas, rappelons-le, est un type, Israël qui est allé de phase en phase, chacune marquant une expérience nouvelle, toujours plus triste, de ce qu’est la nature humaine et se terminant sur un grand point d’interrogation du côté de l’homme, mais chacune aussi s’achevant sur l’affirmation toujours plus lumineuse de la fidélité de Dieu à des promesses que l’amour a dictées tant envers le peuple qu’envers l’humanité entière. La foi regarde à ces promesses inchangées, en voit l’accomplissement en Christ (2 Cor. 1:20), à la gloire de Dieu et pour le bien de ceux qui croient sa parole. Le jugement est son oeuvre étrange ; sa joie, comme sa gloire, est de faire grâce.
Et si nous passons au Nouveau Testament, n’est-il pas touchant de constater que Jonas est, de tous les prophètes et hommes de Dieu de l’Ancien, le seul que Jésus désigne comme une figure de Lui-même dans sa mort, et de lui-même aussi comme prédicateur (Matt. 12:40, 41) ? Le «plus grand que Jonas» met ainsi en lumière le résultat de son témoignage à Ninive. Il en évoque le retentissement jusqu’au jour du jugement futur. Alors sera vu ce que Jonas n’a pas su apercevoir en son jour, savoir la miséricorde inséparable de l’avertissement solennel. Il y a eu repentance et par conséquent miséricorde, mais il y aura aussi, et rien n’est plus sérieux, jugement sans miséricorde pour ceux qui auront méprisé la bonté de Dieu.
«Mais vous, bien-aimés, vous édifiant vous-mêmes sur votre très-sainte foi, priant par le Saint Esprit, conservez-vous dans l’amour de Dieu, attendant la miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ pour la vie éternelle» (Jude 20, 21).