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À propos de l’oecuménisme
par André GIBERT
Table des matières
1 L’unité des chrétiens existe, malgré leur défaillance à la montrer
1.1 Unité de la famille de Dieu
1.2 Unité de l’Église, corps de Christ
1.3 Infidélité des chrétiens et fidélité de Christ
1.4 «Garder l’unité de l’Esprit» et exprimer qu’«il y a un seul corps»
2 Cette unité n’a rien à voir avec les efforts de l’oecuménisme
2.1 Désirs légitimes et desseins inconséquents
2.2 Membre du corps de Christ et membre d’une église, deux notions très différentes
3 Positions différentes en faee des tentatives de rassemblement des églises
3.3 Où est la place des fidèles ?
3.4 Quelques dangereuses illusions
4 Ce que dit l’Écriture du sort de la chrétienté
4.1 Le manquement de l’Église à son témoignage, conséquence de l’oubli de sa vocation céleste
4.2 L’apostasie consommée après l’enlèvement de l’Église
5.1 Babylone — origine (Babel)
5.2 Babylone (la ville historique)
ME 1963 p. 253, 281, 309
L’unité des chrétiens est à l’ordre du jour. Mais il est visible que la plupart de ceux qui en parlent n’ont pas saisi ce qu’en dit l’Écriture, si même ils reconnaissent l’autorité de celle-ci. Les efforts multipliés en vue de porter remède aux divisions de la chrétienté tendent, en dépit de tout ce que leur intention peut avoir de louable, à promouvoir une confusion qui sera consommée dans la Babylone apocalyptique.
Rien n’est pourtant plus précieux que cette unité. Mais ce n’est nullement une vue idéale dont nous aurions à nous rapprocher le plus possible, c’est un fait positif, qu’il appartient aux croyants de mettre en évidence en rejetant tout ce qu’on a bâti ou qu’on veut bâtir en dehors.
L’unité des chrétiens existe. Elle englobe tous les vrais croyants et eux seuls. Si mêlés qu’ils soient à des professants sans vie dans le monde dit chrétien, «le Seigneur connaît ceux qui sont siens» (2 Tim. 2:19). Ne laissons pas entamer la certitude réconfortante que donne au fidèle, dans les temps les plus fâcheux, cette première face du sceau apposé sur le solide fondement de Dieu, qui demeure.
Dieu a des enfants au sein des grandes masses comme dans les fractions les plus émiettées de la chrétienté, et «ils sont un», en réponse à la prière de Jésus en Jean 17, parce qu’ils possèdent, étant «nés de nouveau», la même vie que Christ, une même nature avec Lui. Leur unité sera manifestée en gloire aux yeux du monde (v. 23), mais elle est effective dès maintenant, «afin que le monde croie» que Jésus est l’envoyé du Père (v. 21), et nous avons non à la créer mais à donner au monde la preuve de son existence. Cette unité de la famille de Dieu est en effet extérieure à ce monde. Celui-ci est sollicité de croire, et comme il refuse de le faire, il devra connaître, au jour où les croyants seront «consommés en un», ce qu’il n’aura pas voulu croire auparavant ; leur unité est donc, dans son principe même, le fait de ceux qui «ne sont pas du monde, comme moi, dit Jésus, je ne suis pas du monde» (v. 14, 16). Ainsi, contrairement à ce qui est couramment affirmé, c’est seulement comme étrangers au monde, tout en étant dans le monde, que les croyants peuvent apporter le message divin au monde.
À un autre point de vue ils constituent l’Église (ou Assemblée) de Dieu, qu’Il s’est acquise au prix du sang de son Fils (Actes 20:28) ; cette Église est constituée sur la terre depuis la Pentecôte, où le Saint Esprit est descendu du ciel baptiser les croyants «pour être un seul corps» (1 Cor. 12:13), et elle y séjourne jusqu’à ce que le Seigneur vienne la prendre avec lui au ciel. Cette unité du corps de Christ, comme celle de la famille du Père, est parfaite et inaltérable. «Il y a un seul corps et un seul Esprit» (Éph. 4:4). Tous les croyants sont liés par le Saint Esprit à la Tête glorifiée, Christ dans le ciel.
Eh bien, vouloir faire une unité qui existe, n’est-ce pas nier qu’elle existe ? Travailler à faire l’unité des chrétiens, c’est méconnaître le travail de Dieu. Elle est à vivre et à manifester par ceux qu’elle englobe.
Car il est trop évident, hélas, que cette unité n’est pas apparente, par la faute des croyants, et cela depuis bien longtemps, pour ne pas dire depuis les tout premiers temps de l’histoire de l’Église ici-bas. Si l’Assemblée était dans son état normal, telle qu’on la voit au début des Actes, tous les croyants (et eux seuls) montreraient la même vie, exprimeraient à la table du Seigneur l’unité du corps de Christ, et l’Esprit agirait avec puissance au milieu d’eux. Ce temps n’est plus. Les chrétiens ont failli au témoignage qu’ils devaient rendre. Il n’en reste pas moins que, chacun d’eux étant porteur ici-bas d’un témoignage qu’il rendra dans la mesure où il sera vivant, tous, membres de la famille de Dieu, membres du corps de Christ, sont solidaires et sont exhortés à «garder l’unité de l’Esprit» parce qu’«il y a un seul corps».
«Le corps de Christ, qui est l’assemblée»... [voir Éph. 4:3, 4 ; 5:22, 27 ; Col. 1:24] Il l’aime comme son Épouse, il s’est livré pour cette Église une, il la chérit, il la nourrit, il la purifie. Rien n’est plus rafraîchissant, alors que le cœur se dessècherait vite dans les travaux et les combats, que cette pensée de l’amour de Christ pour l’Église. Il est constant, fidèle, plein de sollicitude et de vérité. L’Église ne subsiste qu’en vertu de cet amour immuable. «D’où vient, disait il y a plus d’un siècle un cher serviteur de Dieu, qu’on demande de tant de côtés : Où est l’Église ? — De ce que Christ ne l’a pas oubliée» (G. V. W.). Pour elle il a vaincu la mort, Satan, le monde, et les portes du hadès ne prévaudront pas contre elle. Il la voit telle qu’il va se la présenter. Soyons remplis de l’Esprit de Christ de telle manière que nous discernions en tout croyant un enfant de Dieu, un membre du corps de Christ, et que nous l’aimions comme tel.
Ainsi garderons-nous «l’unité de l’Esprit dans le lien de la paix». Cela entraîne non point que nous puissions nous prêter mutuellement appui pour mal faire, mais au contraire pour nous encourager à obéir ensemble. Cela n’entraîne pas davantage que nous reconnaissions comme chrétiens ceux qui manifestement n’ont ni la vie ni l’Esprit. Les apôtres, Pierre, Jean, Jude, aussi bien que Paul, dénoncent avec force les faux chrétiens, les «faux frères, furtivement introduits» (Gal. 2:4), «glissés parmi les fidèles» (Jude 4). Seulement, dans la confusion présente, il n’est pas toujours aisé de les démasquer. C’est ici qu’intervient la seconde inscription du sceau : «Qu’il se retire de l’iniquité, quiconque prononce le nom du Seigneur» (2 Tim. 2:19). La certitude que le Seigneur connaît ceux qui sont siens ne peut autoriser à mettre sous le couvert de «l’unité de l’Esprit» l’union entre le bien et le mal, la vérité et l’erreur. La séparation du mal est individuelle («quiconque»), mais le fidèle est invité à «poursuivre la justice, la foi, l’amour, la paix, avec ceux qui invoquent le Seigneur d’un coeur pur». L’amour souffrira de ne pouvoir marcher avec des personnes qui, quoique certainement chrétiennes, n’obéissent pas à l’injonction de se séparer du mal, mais ce serait renier cet amour même que de les encourager dans «l’iniquité» dont il faut se séparer. Prenons garde à 1 Jean 5:2.
Il n’y a pas d’autre chemin parce que Dieu ne veut pas de communion entre la lumière et les ténèbres (2 Cor. 6:14). Ceux qui obéissent se trouvent ensemble sur le fondement qui demeure ; ils auront à leur disposition les ressources et les instructions de la Parole, données de tout temps à l’Église. Qu’ils soient deux ou cent ou des millions ne change rien aux privilèges et aux responsabilités de cette Église dont ils ont, même en faible nombre, à témoigner qu’elle existe. L’expression de l’unité du corps se trouve essentiellement dans le «seul pain», à la table du Seigneur (1 Cor. 10:17) : ceux qui y participent témoignent par là de l’existence du corps de Christ, bien qu’ils aient conscience de ne pas en être les seuls membres. Ils ont la responsabilité de marcher en conséquence, dans l’obéissance à la Parole. Ils traduisent par ce symbole cette unité qui est faite, qui n’est pas à faire : il leur appartient de la montrer en pratique, dans l’amour et la vérité.
Les vérités que nous venons de rappeler sont familières, nous aimons à le penser, à la plupart de nos lecteurs. Elles sont à retenir avec une vigilance accrue au moment où se développent les efforts dont nous parlions, en vue de regrouper les nombreux corps entre lesquels se fractionne la chrétienté. Le grand courant du «Mouvement oecuménique» entraîne la majorité des églises et congrégations protestantes, les anglicans, les églises orthodoxes d’Orient, tous adhérant à un Conseil oecuménique des églises chrétiennes, fondé en 1927, et, sans qu’il y ait encore collaboration effective, il attire l’attention, intéressée et inquiète à la fois, de l’église romaine.
Ces efforts ont une belle apparence. Ils veulent répondre au besoin d’union ressenti par le grand nombre, besoin qui s’accompagne d’un sentiment sincère de confusion et de peine devant le morcellement de la chrétienté (*). Les promoteurs se réfèrent à des passages de l’Écriture, notamment à la «prière sacerdotale» de Jean 17. Beaucoup ont une certaine notion de l’unité existante qui englobe tous les vrais croyants et eux seulement, ce qu’ils appellent, à tort du reste, l’Église invisible, et ils reconnaissent volontiers que toutes les églises particulières sont «coupables du péché de division».
(*) On répète en bien des milieux la prière de l’abbé Couturier : «Que vienne l’unité visible du royaume de Dieu, telle que Christ la veut, par les moyens qu’Il voudra». Le pape Jean XXIII, annonçant la réunion du concile de Vatican II, parlait «des efforts généreux et croissants faits de plusieurs côtés afin de reconstituer l’unité visible de tous les chrétiens, suivant les voeux du divin rédempteur» (Bulle Humanae salutis, 25 déc. 61).
Allons plus loin. Ce mouvement profite des effets d’un incontestable travail de l’Esprit de Dieu pour donner aux croyants conscience que la venue du Seigneur est imminente et les pousser à l’attendre. Les échos du cri de minuit se prolongent. «Que celui qui entend dise : Viens». L’unité de l’Église va être consommée dans la gloire, et nous pouvons bien nous associer à la prière de ce chrétien qui demandait à Dieu qu’il y eût, dans ces temps de la fin, une puissante action de son Esprit en vue de la venue du Seigneur, ajoutant : «Il faut, pour la gloire de ton Fils, qu’il trouve ici-bas, quand il viendra, un peuple qui l’attende» (*). Comment ne pas désirer que les vrais enfants de Dieu se trouvent effectivement unis comme des étrangers sur la terre, mais prêts à entrer dans leur patrie, et vivant leur ineffable destin dans l’amour, la foi et l’espérance ?
(*) Échos des Conférences de Vevey de nov. 1902, p. 157.
Il semble que la seule chose à dire serait : «Nous sommes un, laissons tomber toutes les séparations édifiées par les hommes entre croyants, et gardons au contraire soigneusement, ensemble, la vérité divine, dans la séparation entre les croyants et le monde». Or voici qu’apparaissent les plus étranges inconséquences.
La première est qu’on dit : «Cherchons à être un, tout en conservant notre individualité respective comme groupe, qu’il mêle ou non croyants et simples professants». On proteste du désir d’union, mais en tant que réformés, orthodoxes, anglicans, méthodistes, etc., et catholiques romains s’ils y consentent. Cela est si vrai qu’on s’élève avec force contre tout «prosélytisme», entendant par là toute tentative pour faire passer quelqu’un d’un groupe dans un autre. Une myopie obstinée empêche de voir que l’existence des églises contredit l’unité de l’Église. Ceux qui parlent le plus d’abaisser les barrières entre les groupes ne cessent de mettre en avant leurs églises, chacune avec sa «foi» propre, sans parler de ses rites.
Jamais il n’a été plus nécessaire de bien distinguer entre les personnes (laïques, ou ministres et prêtres de tout rang) et les systèmes dans lesquels elles sont engagées. Reconnaissons l’oeuvre puissante du Saint Esprit pour vivifier des âmes, et les effets bénis de la grâce pour en faire marcher dans un chemin de dévouement actif et de sainteté personnelle. Dieu n’est pas injuste pour oublier ce qui est fait pour Lui. Mais la notion de «membres du corps de Christ» («Vous êtes le corps de Christ et ses membres chacun en particulier»), échappe (*), les individus ne sont considérés que comme «membres d’une église», ou, si l’on va jusqu’à les considérer comme membres de ce corps de Christ, c’est par l’intermédiaire d’une église. Ce sont les églises qui ont à s’entendre entre elles. L’objectif, selon le propos d’un oecuménisant des plus autorisés, serait que «chaque église reconnaisse dans les communautés dont elle est séparée de véritables églises du Christ». Autrement dit, on cheminerait vers l’unité en consacrant — au sens fort du mot — d’abord la division. Sans doute, les dirigeants du Mouvement oecuménique espèrent à la longue fusionner entre elles les dénominations protestantes et les unir ensuite dans un vaste ensemble avec les églises orthodoxe et romaine, mais dans la tolérance mutuelle de leurs différentes vues, ce qui revient à perpétuer les divisions tout en supprimant les étiquettes ou bien, et c’est une autre inconséquence, à présenter comme unité le mélange d’éléments inconciliables.
(*) «Le corps n’est pas un seul membre, mais plusieurs», est-il dit (1 Cor. 12:14). Plusieurs membres, mais non plusieurs corps ! Ce serait un non-sens.
D’où viennent en effet les divisions, sinon du fait que l’esprit de l’homme a supplanté l’action de l’Esprit de Dieu ? La «foi chrétienne» a été interprétée par les uns d’une manière, par les autres d’une autre, chaque dénomination la confessant selon sa conception particulière. Et maintenant, semblant «mettre», comme l’écrit un publiciste catholique, «autant d’ardeur à se réconcilier qu’elles en ont mis jadis à se diviser», ces églises disent : «Rapprochons-nous, mettons en commun le plus possible de nos convictions, tout en conservant les particularités qui présentement nous séparent». Or ces particularités touchent le plus souvent aux fondements du christianisme : peu importe, pourvu que les différents groupes collaborent à l’unification extérieure !
Les plus éclairés, il est vrai, admettent bien qu’il y a une vérité, et qu’il faut la garder en commun. Mais la vérité, c’est Christ tel que le Saint Esprit le fait connaître par la Parole de Dieu. Or on consentirait, pour permettre le rapprochement, à faire coexister des opinions divergentes sur la divinité de Christ, sur son humanité, sur son existence historique même, aussi bien que sur la réalité de sa résurrection, sur la rédemption, sur l’inspiration des Écritures, sur la signification de la croix, sur le jugement éternel. Ou encore, on s’évertuera à «présenter la vérité d’une façon accessible à tous», ce qui est légitime, mais qui expose au danger de la déformer. En réalité, qu’on le veuille ou non, tout se fait par compromis sur la vérité scripturaire. Citons ici un militant de l’oecuménisme, un orthodoxe : «Ceux qui cherchent la communion dans la prière et l’unité dans l’amour... deviennent des frères unis dans l’amour bien que divisés dans leur foi» (*). Nous répondons avec l’Écriture, dans sa lettre et dans son esprit : «le Christ est-il divisé ?» (1 Cor. 1:13), et encore : «... jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu» (Éph. 4:13). N’avons-nous donc plus à «combattre pour la foi qui a été une fois enseignée aux saints» (Jude 3) ? La Parole de Dieu n’est-elle plus la vérité (Jean 17:17) ?
(*) C’est nous qui soulignons.
«Aimer tous les frères, honorer tous les hommes» (1 Pierre 2:17), oui, certes ; que Dieu nous l’accorde ; cet oecuménisme-là est permanent. Toujours il a été prescrit «que toutes choses parmi vous se fassent dans l’amour», mais aussi, et même d’abord : «tenez ferme dans la foi» (1 Cor. 16:14, 13). Mettre la foi en morceaux pour unir les hommes sur ses ruines, prétendre mieux vivre en tarissant les sources de la vie, mettre les spéculations des hommes au rang de la vérité de Dieu, discuter et disséquer sa Parole au lieu de se soumettre à elle, est-ce à cela qu’un vrai chrétien voudrait souscrire ?
Sans doute, on déclare hautement vouloir unir «tous ceux qui invoquent le seul Seigneur d’une Église universelle», mais que d’équivoques dans cette invocation même ! L’apôtre Paul enjoint à Timothée de rallier «ceux qui invoquent le Seigneur d’un coeur pur» : non que leur coeur soit meilleur que les autres et qu’ils se prétendent supérieurs, mais ce sont ceux qui obéissent simplement à la Parole en se séparant de l’iniquité manifestée. L’équivoque est d’autre part, revenons-y, dans la signification même de l’Église, cette Église universelle dont on parle de façon très vague et où l’on ne voit en réalité que le corps extérieur se réclamant du nom de Christ dans le monde, mais que Lui ne saurait reconnaître comme son corps à Lui, qui est un corps céleste. On dit bien qu’il y a une Église invisible et des églises visibles et on veut rassembler celles-ci, mais pour faire quoi ? Cette Église invisible ? Nous voilà en pleine contradiction, et loin, en tout cas, de l’Église véritable. Les uns parlent d’églises à fédérer, perpétuant la division tout en affirmant cette «Église invisible», les autres tendent à grouper les églises dans une super-église autoritaire, d’autres enfin à tout fondre en une vaste synthèse sans qu’il soit plus question d’Église invisible, mais toujours l’unité effective, actuelle, est obstinément laissée de côté. C’est comme si, tout en se lamentant d’avoir laissé une eau se corrompre diversement dans des canaux multiples, envahis par des déchets de toute provenance, on faisait toutes sortes de plans pour retrouver l’eau pure en combinant ces eaux polluées, au lieu de revenir à la source.
En face de ce mouvement, deux positions contraires apparaissent dans la chrétienté.
Un certain nombre d’églises ou dénominations repoussent ces tendances mais pour se résigner à l’état de choses présent, tenu pour fâcheux sans doute, mais auquel elles restent associées en se maintenant comme groupements particuliers. Elles se rencontrent pour certaines activités, l’évangélisation surtout, mais elles tiennent pour nécessaire que chacune garde son organisation propre, en un corps séparé. Que les chers croyants qui s’y rattachent veuillent bien réfléchir sur la gravité du propos de l’un d’eux : rendant compte d’un congrès de l’Union des chrétiens évangéliques, qui groupe la plupart des dénominations en question, il dépeint cette «vision émouvante de l’Église de Jésus Christ, diverse dans son organisation humaine et ses formes cultuelles (*), mais une et fraternelle autour de son Chef incontesté, Jésus Christ, Seigneur et Sauveur des croyants». Sommes-nous donc autorisés à donner à l’Église de Jésus Christ «une organisation humaine et des formes cultuelles» particulières ? La Parole et ses enseignements ne suffisent-ils donc plus et faut-il des arrangements et des traditions ?
(*) C’est nous qui soulignons.
L’autre position est celle de Rome. L’Église romaine se définit une, catholique et apostolique (*). Elle s’estime le «seul corps», elle seule. L’illusion est immense, de ceux qui pensent garder leurs doctrines et leurs formes tout en s’unissant à Rome, ou qui espèrent que Rome se transformera pour se mettre à leur unisson. L’Église romaine a son oecuménisme à elle. Elle se proclame l’Église-mère, seule héritière et continuatrice de l’Église des apôtres : elle s’affirme indispensable pour qu’une âme trouve Dieu ; elle reconnaît dans son chef, le pape, le vicaire de Jésus Christ, infaillible quand il proclame un dogme en cette qualité ; elle forme un édifice grandiose, supérieurement administré, et appelé, pense-t-elle, à dominer le monde ; elle s’adore véritablement elle-même et prescrit comme premier devoir l’obéissance absolue à ce qu’elle ordonne. Une telle église ne peut concevoir l’unification que par le ralliement de son bercail — «la maison paternelle», comme vient de le dire après d’autres son nouveau pontife — par tous ceux qu’elle appelle maintenant les «frères séparés» après les avoir impitoyablement combattus comme hérétiques. Elle sait s’adapter, elle modifiera s’il le faut telles de ses structures, mais pour consolider l’ensemble aussi bien que pour pouvoir «être présentée aux chrétiens séparés d’elle sous un aspect attrayant et faciliter ainsi leur réintégration sincère, dans la vérité et la charité, au corps mystique de l’unique Église catholique» (**). Mais malgré les avantages pris par ce que l’on appelle le progressisme, c’est-à-dire un certain accommodement avec les idées modernes, sur l’intégrisme, c’est-à-dire l’attachement irréductible aux dogmes, elle se renierait si elle abandonnait sa tradition, sa hiérarchie, ses dogmes, celui de l’infaillibilité pontificale comme celui de la présence réelle dans le «sacrifice de la messe», l’intercession des saints, le culte marial, l’immaculée conception et l’assomption de la Vierge, Marie médiatrice des grâces, la réversibilité des mérites, etc.
(*) L’Église orthodoxe, répartie en églises nationales autonomes situées en presque totalité en Orient, a la même conception de son unicité, de sa catholicité, de son apostolicité, que l’Église romaine, et elle revendique une tradition plus solide et une liturgie supérieure. Elle refuse de reconnaître la suprématie de l’évêque de Rome (le pape). Au demeurant, elle invoque Marie et les saints. Sa prétention à représenter la seule Église est singulièrement contradictoire avec sa présence dans le Conseil oecuménique des églises.
(**) Homélie du pape Paul VI le jour de son couronnement (1er juillet 1963).
Si encore, face à cette puissance, l’autre moitié du monde christianisé, celle qu’entraîne le courant oecuménique, avait à opposer une «saine doctrine» ! Mais nous l’avons vu, plutôt que s’accorder pour jeter bas tout ce qui n’est pas le fondement du christianisme, se flatter de faire vivre ensemble sur des formules ambiguës les conceptions les plus diverses de ce qu’on peut appeler à peine des vérités chrétiennes, mais des notions religieuses aussi larges que possible. Elle infléchit même doctrines et pratiques vers le catholicisme, comme en témoignent les communautés religieuses protestantes et le «renouveau liturgique». Comment, sans une doctrine saine et sûre, résister à l’absorption par Rome ? Ne voit-on pas déjà celle-ci mettre la main, grâce au concile, sur l’oecuménisme, comme un bâtiment puissant aspire dans son sillage une embarcation plus légère ?
Ainsi, ou des églises qui admettent que la vérité est quelque chose de relatif, et qui contredisent par leur existence l’unité de l’Église, ou une église qui se prétend la seule, tous les autres chrétiens étant réputés par elle schismatiques (orthodoxes, anglicans) ou hérétiques (protestants en général) sous peine d’accepter l’erreur ou le mensonge la place des fidèles n’est pas plus ici que là, mais dehors, vers Christ et Christ seul. Béni soit Dieu de ce que le Seigneur reconnaisse des esclaves à Lui dans Thyatire, qu’il y ait dans Sardes «ceux qui n’ont point souillé leurs robes», et que des coeurs lui ouvrent la porte, au sein de Laodicée ; mais quel que soit le nombre de ces fidèles, cela ne change rien à la condition de ces assemblées, représentant autant de systèmes qui vont être jugés.
Ne nous y trompons pas, du reste. Vouloir une unité de tous les croyants visible ici-bas se heurte à deux écueils insurmontables : le premier est que, les véritables croyants n’étant connus que du Seigneur, il en est qui seront laissés dehors ; l’autre est que, pour la même raison, de simples professants seront nécessairement englobés. Ou vous ne reconnaissez que les adeptes d’une doctrine particulière, ceux qui prononcent Shibboleth comme vous, et c’est la secte ; ou vous acceptez tous les baptisés, et c’est l’église de multitude. En fait, il est significatif que l’on n’entend pour ainsi dire jamais parler, dans les propos oecuméniques, de la nouvelle naissance, par une affligeante et grandissante méconnaissance des vérités fondamentales du salut (*). Hélas, que de gens abusés, qui se tiennent pour entrés dans le royaume de Dieu et que l’on traite comme tels, sans qu’ils soient «nés d’eau et de l’Esprit» ! Comment, dans ces conditions, le culte selon la Parole pourrait-il être connu ?
(*) La base de toute l’action oecuménique est, selon une expression employée dans la conférence d’introduction de la réunion du Conseil oecuménique des églises à Montréal, le 12 juillet 1963, «l’existence d’une communauté de baptisés».
Le trait probablement le plus marquant qui, caractéristique de Rome, s’étend peu à peu à toutes les organisations ecclésiastiques, si diverses qu’elles soient, est le souci de leur influence terrestre. Partout l’homme s’élève et frustre Christ de sa seigneurie. L’église, comme qu’on la conçoive, passe avant Christ. Et l’église universelle visible dont on rêve plus qu’on ne la définit (et pour cause), on la voit comme une grande institution de la terre. Il est patent que les églises sont toujours davantage préoccupées par les problèmes du jour, aussi bien économiques que sociaux et politiques, comme si leur tache était d’y fournir des réponses, ce qui est proprement mettre de côté l’Écriture et refuser la qualité d’étrangers. «Faire du bien à tous les hommes» n’est pas s’immiscer dans leurs démêlés. Si les croyants, où qu’ils se trouvent, ne peuvent que ressentir douloureusement les divisions entre chrétiens, ne se mêle-t-il pas souvent à ce sentiment celui que ces divisions sont un facteur dangereux de faiblesse pour la chrétienté en tant que puissance mondiale ? C’est le seul d’ailleurs qui puisse animer les chrétiens de nom ; ils ne voient dans l’église qu’un organisme de ce monde et dans le christianisme un élément moral utile. La chrétienté est envahie par l’irréligion alors qu’on la veut plus forte encore que dans le passé, et on essaie de parer à cette menace en s’unissant.
Il est juste de relever que bien des âmes pieuses mais mal instruites sont enflammées par l’espoir de voir le monde entier converti à l’Évangile de la grâce, l’Église élargie aux dimensions de l’humanité et le royaume de Dieu ainsi instauré. C’est une idée séduisante qui malheureusement ignore l’enseignement de l’Écriture : celle-ci montre clairement l’Église comme associée à un Christ actuellement rejeté, qui l’enlèvera auprès de Lui lorsqu’il sera sur le point de prendre en mains le pouvoir pour établir le royaume de justice et de paix sur la terre, mais par le jugement. Il est présentement assis à la droite de Dieu, attendant jusqu’à ce que ses ennemis soient mis pour marchepied de ses pieds. Jusque-là la grâce est offerte. Le monde n’en veut pas. Les rachetés sont «retirés du présent siècle mauvais», comme dit Paul aux Galates (1:4) ; ils «échappent à la corruption qui est dans le monde» (2 Pierre 1:4). «Ils ne sont pas du monde» (Jean 17:16).
Nous venons par là de toucher à la raison profonde de l’état dans lequel se trouve la chrétienté : l’Église a oublié que sa vocation est céleste et exclusivement céleste. Celle qui, par appel et par rachat, est étrangère à ce monde, s’est établie sur la terre, y a placé tout ou partie de son espérance, perdant de vue «l’espérance de votre appel» (Éph. 4:4). Elle a laissé le monde la pénétrer. Elle s’est liée à lui. L’ivraie a poussé avec le froment, le levain a fait fermenter la pâte, le grain de moutarde est devenu le grand arbre servant de repaire aux oiseaux du ciel. Toutes sortes de fausses doctrines sont écloses ; des multitudes s’appellent chrétiennes sans avoir la vie de Dieu, et la chrétienté mondanisée, épanouie en ses diverses formes, usurpe le nom d’Église. Elle sera jugée par le Seigneur d’après ce titre dont elle se pare, mais elle n’est pas l’Église : celle-ci, qui a tristement manqué à sa mission, se trouve toujours au milieu d’elle, connue seulement de son Chef, qui s’en occupe avec fidélité et sollicitude.
«Un ennemi a fait cela», parce que les serviteurs ont dormi. Où trouver un remède ? «Laissez-les croître tous deux ensemble jusqu’à la moisson». Il est impossible de rétablir ce que l’homme a gâté. Mais il est toujours possible d’agir en accord avec ce qui demeure. Il ne peut être question de refaire l’Église primitive, mais bien de vivre comme l’Église permanente, avec le secours de Dieu et selon que l’enseigne sa grâce.
Nous n’avons pas à nous étonner de l’état des choses. Il a été annoncé par les apôtres, le mal ayant commencé dès leur époque et n’ayant cessé d’empirer. L’abandon du premier amour (Éphèse), la mondanisation, retardée par les persécutions (Smyrne), l’emportant ensuite (Pergame), l’idolâtrie associée à la profession chrétienne au sein d’un vaste système religieux corrompu et dominateur (Thyatire), le formalisme mort gagnant ceux qui étaient sortis de ce système (Sardes), le peu de force d’un témoignage fidèle et méprisé (Philadelphie), l’orgueil spirituel excluant Christ (Laodicée), autant de chapitres d’une histoire profondément triste à ne considérer que le travail de l’homme, mais merveilleuse à considérer la patience et la constance de Celui qui marche au milieu des sept lampes d’or. Il est prêt à venir, jugeant Jésabel et les siens, surprenant Sardes comme un voleur, vomissant de sa bouche Laodicée, mais chargé de promesses pour les vainqueurs.
Il vient ; Il n’est pas venu encore, la chrétienté n’est pas encore mise de côté par Dieu ; si grave que soit son état, si grande que soit sa responsabilité, elle est encore l’objet de son support, et les avertissements sont donnés pour la pousser à se repentir. Mais sa ruine ne fait que s’accentuer malgré les apparences, les hautes prétentions et les activités multipliées ; le témoignage philadelphien participe à la ruine, ce qui n’autorise en aucune façon à l’abandonner, au contraire. Écoutons Celui qui dit : «Je viens bientôt ; tiens ferme ce que tu as, afin que personne ne prenne ta couronne».
Quel sera le terme ? Le lecteur attentif du Nouveau Testament se convaincra que le dénouement se fera non point par le triomphe sur la terre d’une Église restaurée, mais par la venue du Seigneur, d’abord pour enlever les siens, ensuite pour juger «ceux qui habitent sur la terre». Ce sera «le jour du Seigneur» de 2 Thess. 2, et il «ne viendra pas que l’apostasie ne soit arrivée auparavant» (id., 3), c’est-à-dire le reniement de la foi chrétienne par ce qui gardera encore, pendant quelque temps, la forme grandiose de l’édifice de la chrétienté. Parallèlement aura lieu le reniement de leur Dieu par les Juifs rentrés dans leur pays. «Et alors sera révélé l’inique» (v. 8), «l’homme de péché» (v. 3), autrement dit l’Antichrist.
L’apostasie est présentement en marche, elle progresse avec rapidité mais elle n’est pas encore ouvertement arrivée. Elle aura lieu quand la véritable Église aura été enlevée. Le développement d’une profession religieuse sans vie n’est pas encore complet, il le sera quand «celui qui retient maintenant» (le Saint Esprit) «sera loin», de même que «ce qui retient» (tout ce que Dieu, dans son gouvernement, emploie pour freiner ce développement) (id., 6, 7). Mais «le mystère d’iniquité», qui opérait dès le temps de l’apôtre, est prêt à surgir au grand jour. Tout se prépare activement pour l’entrée en scène de ceux qu’on a appelé les grands acteurs de la crise finale, crise que résoudra l’apparition glorieuse du Seigneur. Parmi eux, «Babylone la grande».
Comme nous venons de le rappeler, une fois l’Église véritable enlevée au ciel, la «grande maison» laissée vide sur la terre aura pour un temps la plus splendide mais la plus trompeuse apparence. L’unité du monde dit chrétien se fera, oui, mais dans cette Babylone orgueilleuse, opulente, intrigante, que décrit symboliquement le chapitre 17 de l’Apocalypse et dont le chapitre 18 évoque les richesses et l’influence sans égales. Le grandiose édifice romain, «l’organisme le plus imposant du monde contemporain, solide sur sa base, difficile à entamer», au dire d’un historien compétent, subsistera avec tout son imposant appareil. C’est au sein de ce système bien des fois séculaire que s’accomplira, dans une Babel (confusion) religieuse totale, l’apostasie de la chrétienté. Orthodoxes, protestants, catholiques, ces mots ne compteront plus. Sur le front de la «grande prostituée» il y aura «un nom écrit : Babylone la grande». Cette Babylone, contrefaçon de l’Épouse de l’Agneau, sera étroitement associée au renouveau de l’Empire romain, contrefaçon de l’Agneau Lui-même ; elle détiendra un instant cette domination sur le pouvoir temporel dont la recherche a formé la trame de l’histoire de la Papauté. Elle sera «assise sur une bête écarlate» (la Rome impériale), comme «la grande ville qui a la royauté sur les rois de la terre». Elle l’a eue par moments et plus ou moins, dans le passé ; elle l’a perdue pour un temps, mais sa puissance religieuse s’est renforcée de ce repliement sur elle-même et elle a plus que jamais mis ses valeurs spirituelles au service de son prestige dans le monde. On la voit maintenant prête à reprendre cette «royauté», et les nouvelles attitudes comme le nouveau langage de son chef sont propres à attirer le monde moderne et à reconquérir les masses. Nous ne parlons évidemment que du système, non des personnes, ni du travail de Dieu qui emploie les instruments qu’il veut et comme il le veut, de sorte que les points capitaux du christianisme demeurent jusqu’ici enseignés, si déformés et étouffés qu’ils soient par des traditions mises au rang et au-dessus de l’Écriture. Il n’en subsistera rien quand Babylone régnera et que sous la crosse de Rome l’unité de la chrétienté apostate sera réalisée.
Mais bientôt il sera dit : «En une seule heure, elle a été désolée» (18:19), «en une seule heure son jugement est venu» (id., 10). Le pouvoir civil («les dix cornes de la bête») la détruira : «celles-ci haïront la prostituée et la rendront déserte et nue, et mangeront sa chair et la brûleront au feu» (17:16, 17).
«Sortez du milieu d’elle, mon peuple». Il n’en sera plus temps quand le jugement fondra. La chose est dite à l’avance, comme toutes les choses dont l’ange envoyé par Jésus «rend témoignage dans les assemblées» (22:16), pour que celui qui a des oreilles et qui entend, instruit par les paroles prophétiques, prenne maintenant la position à laquelle le Seigneur l’appelle. L’injonction à se séparer du mal, en 2 Tim. 2, est individuelle, mais elle est donnée pour que celui qui se sépare se retrouve avec d’autres sur le vrai et seul fondement ; l’appel à sortir de Babylone s’adresse à un peuple, celui que le Seigneur désire trouver L’attendant.
Seulement, que ce ne soit pas là, à son tour, une simple profession : elle serait plus coupable que toutes les autres. Affirmer être «ceux qui invoquent le Seigneur d’un coeur pur» risque de devenir une prétention sans réalité, la pire vanterie laodicéenne, et ce serait ajouter simplement un nom à l’affligeante liste des sectes que le Seigneur vomira. Il ne s’agit pas de dire seulement, mais de montrer que l’on poursuit «la foi, la justice, l’amour, la paix», d’un coeur non partagé.
En est-il ainsi de nous ? Je parle à ceux qui ont lieu de bénir Dieu pour leur avoir ouvert les yeux sur ce qu’est l’Église selon la Parole. Reconnaissons, en nous en humiliant, que nous n’avons pas rendu ce témoignage simple et droit auquel nous avions le privilège d’être conviés. Puisque le Seigneur veut bien encore nous faire entendre sa voix pour nous rappeler sa promesse et pour nous avertir, ne fermons pas nos oreilles. «Je viens bientôt», dit-il. L’attendons-nous ?
Prenons garde — et il est à désirer que ceci soit particulièrement médité par la jeunesse tentée de vendre son droit de premier-né — que si nous écoutions les voix parfois émouvantes de chrétiens en quête de l’unité, nous ne ferions pas, nous, de progrès vers cette unité illusoire, mais nous reviendrions en arrière, aux sentiers incertains où ces chrétiens peinent encore, et nous nuirions aux âmes sincères au lieu de les aider.
Veuille le Seigneur nous garder de nous considérer soit comme une église soit comme l’Église, et nous tenir attachés à Lui, dans la dépendance et la soumission, pour porter le caractère de ceux qui l’invoquent d’un coeur pur, retiennent la précieuse vérité de sa présence personnelle dans le rassemblement (Matth. 18:20), réalisent là l’unité, jouissant d’un avant-goût de ce qui sera bientôt manifesté dans la gloire, et qui «poursuivent» vers Lui, le Christ glorifié, l’espérance de l’Église — et non vers Babylone.
Babel (ou Babylone, forme hellénisée du nom sémitique), en Chaldée (ou Shinhar), a été «le commencement du royaume de Nimrod», lequel «commença à être puissant sur la terre» après le déluge (Genèse 10:8, 10). Le premier caractère de Babel est cette affirmation orgueilleuse de puissance, «devant l’Éternel». Un second, qui en procède, est la volonté humaine dressée ambitieusement contre celle de Dieu : une association exclut l’Éternel pour contrecarrer son injonction (comp. Genèse 11:4 et 9:1), d’où le châtiment, par la confusion (Babel, interprétation donnée expressément par l’Écriture elle-même), et la dispersion forcée (11:9). Enfin viendra l’idolâtrie, dont Babylone est un centre originel (Josué 24:2).
Ces caractères marquent la Babylone historique, celle de Nébucadnetsar. Après avoir participé en tant que sujette de l’Assyrien (2 Rois 17:24), au châtiment d’Israël par ce dernier, elle est devenue, une fois émancipée et conquérante, l’instrument du châtiment de Juda. Elle ouvre les temps des nations, qui durent encore, pendant lesquels Dieu, ôtant le royaume à son peuple, confie le gouvernement aux Gentils, qui l’exercent sans pouvoir établir une domination stable. Babylone est la tête d’or de la grande statue de Daniel 2, qui symbolise la succession des quatre empires des nations. Les prophètes mettent en évidence le luxe de la grande ville, son idolâtrie (Jérémie 50 et 51), la violence des Chaldéens (Habakuk 1), l’orgueil des rois et leur élévation contre le Dieu des cieux dont ils profanent le temple et ce qu’ils en ont tiré (Daniel 5:18-23). Sa chute, par le moyen des Mèdes et des Perses, met un terme à la captivité de Juda, mais les empires qui suivent, quels que soient leurs traits respectifs, restent solidaires du caractère initial, car la statue est une.
Voilà pour le passé. Dans l’avenir, l’Apocalypse reprend le nom de Babylone la grande (cf. Daniel 4:30) pour l’appliquer symboliquement à la «femme assise sur une bête écarlate pleine de noms de blasphème» (Apoc. 17:3). Nous sommes là dans la période des «choses qui doivent arriver après celles-ci», mais où «celles-ci» aboutisssent, une fois close l’ère de l’Église (laquelle n’appartient pas à la prophétie). L’Agneau glorifié a pris le livre et en rompt successivement les sceaux. Le quatrième empire, l’empire romain, revit : c’est «la bête» qui «était et qui n’est pas, et va monter de l’abîme et aller à la perdition» (17:8, 11). Babylone la grande, la «grande prostituée», lui est associée pour un temps, avec des traits moraux de la tête d’or de jadis (orgueil, idolâtrie, persécution des saints) ; mais il s’agit là d’un «mystère», d’une puissance qui prétendra exercer la domination au nom d’une religion, en réalité dans l’apostasie complète, de sorte que la bête qui la porte est «pleine de noms de blasphème». Elle est installée sur les «sept montagnes» qui désignent sans erreur possible Rome, et elle «a la royauté sur les rois de la terre» (v. 9, 18). Elle s’attribue mensongèrement la place de l’Épouse qui régnera avec Christ, alors qu’elle n’est qu’une prostituée entretenant des relations impures avec les potentats séduits par ses dehors et asservis par sa magie (17:4 ; 18:23). Elle mettra son étonnante organisation ecclésiastique et son emprise spirituelle sur les masses (elle est «assise sur plusieurs eaux») à la disposition du pouvoir civil, mais elle utilisera celui-ci, en retour, pour accroître encore ses richesses et son prestige. Bref, elle portera à son apogée une profession religieuse rassemblant sous la pourpre et l’écarlate romaines les confessions entre lesquelles la chrétienté d’aujourd’hui se partage, et dont tout christianisme aura alors disparu, sombré dans l’apostasie commune.
Ce système corrompu et corrupteur sera bientôt trouvé tyrannique par ceux mêmes qui en auront profité, et le pouvoir politique, «les dix rois et la bête», le haïra, finira par le dépouiller de ses richesses et de son influence et enfin le détruira (Apoc. 17:16). Sa chute, déplorée par tous ceux qui vivaient de son luxe et plus généralement par tous les tenants de la civilisation qu’elle régissait, sera célébrée avec joie dans le ciel, comme le signal des noces de l’Agneau et de sa manifestation en gloire (18 et 19:1-5).
Mais, une fois la chrétienté disparue, le nom et l’esprit de Babylone se retrouvent au cours des événements prophétiques qui suivront, et qui convergeront dans le «grand jour de l’Éternel», où se succèderont les jugements finaux sur les ennemis de Christ et de son peuple (le Résidu fidèle). Ces jugements, différents selon les ennemis, seront tous exécutés sur le territoire d’Israël ou ses confins (Édom), objet de convoitise et de compétition où les peuples et leurs chefs seront rassemblés pour être détruits. Or la prophétie peut-être la plus remarquable à cet égard est l’Oracle sur Babylone, en Ésaïe 13 et 14 : s’il traite du jugement de la Babylone historique, encore futur quand le prophète écrivait, ce jugement lui-même n’est qu’une figure de l’avenir, et nous avons là un grandiose tableau synthétique de la crise dernière, quand aura lieu, dans le tumulte et la confusion de Babel, le rassemblement dont nous venons de parler. Assemblés, pour être forts (Joël 3:9-12), en grandes confédérations rivales, mais en réalité tous dressés contre Christ, les peuples groupés se croiront invincibles ; ils diront : «Paix et sûreté», et voici, «une subite destruction viendra sur eux, comme les douleurs sur celle qui est enceinte, et ils n’échapperont point» (1 Thess. 5:3).
Trois grands ennemis sont placés sous les malédictions prononcées contre Babylone dans cet Oracle.
1° Le chef de l’empire romain et ses armées, dont Apoc. 19:11-21 montre la défaite à Armagédon, par le Roi des rois sortant du ciel avec ses armées et jetant la Bête (avec le faux prophète) dans l’étang de feu et de soufre. Son association antérieure avec la chrétienté apostate l’a fait participer au caractère de Babylone. D’autre part ce qui est détruit alors ce sera, frappée par la pierre détachée sans mains, la statue dont, ne l’oublions pas, Babylone est la tête d’or. La chute de la Babylone historique et le retour de la captivité grâce à Cyrus n’ont que très partiellement accompli Ésaie 14:3-11 : c’est à Armagédon que «sera brisé le bâton des méchants, le sceptre des dominateurs», de façon totale et définitive. Ainsi sera clos le temps des empires des nations, babyloniens dans leur principe même.
2° En même temps sera détruit l’Antichrist, l’inique, l’homme de péché, le fils de perdition, le roi en Judée, le faux prophète qui aura exercé la puissance de Satan au profit du pouvoir impérial romain. On a pu penser qu’ «il y aura quelque étrange union, sous l’influence séculière agissant de concert avec le faux Messie (voir Apoc. 13 et 2 Thess. 2) entre le romanisme idolâtre et le judaïsme idolâtre» (J. N. D.). Il se peut aussi que l’Antichrist ne se démasque pleinement comme faux prophète qu’après la fin de la chrétienté (il n’est appelé faux prophète qu’en Apoc. 19:20 et 20:10) ; il exerce alors la «séduction d’injustice», d’origine diabolique, aussi bien dans l’Empire romain (Apoc. 13:12-16) qu’en Judée (Daniel 11:36-39 ; 2 Thess. 2:4). Il bénéficiera de l’apostasie aussi bien chrétienne (il nie le Père et le Fils) que judaïque (il nie que Jésus soit le Christ) selon 1 Jean 2:22. On ne peut manquer de le reconnaître, en Ésaïe 14:12-20, dans cet «astre brillant, fils de l’aurore», qui prend faussement la place de Christ (v. 13, 14) comme la grande prostituée a pris celle de l’Église, et dont l’image se superpose pour ainsi dire à celle de la Bête et à celle de Babylone dont le roi est évoqué aux v. 16 et 17.
3° Enfin, dans le même oracle sur Babylone, l’Assyrien et «toutes les nations», associées à lui, qui ont asservi Israël, apparaissent aussi. On sait que l’Assyrien est le grand ennemi du peuple de Dieu, et le dernier, après avoir été le premier, avant que le gouvernement eût été confié aux Empires des nations. Il pensera disputer «le pays de beauté» à la Bête romaine, et se le soumettre. La puissance occidentale détruite, il poussera ses avantages et assiégera Jérusalem, mais pour être anéanti là par Christ, quand «ses pieds se tiendront, en ce jour-là, sur la montagne des Oliviers» (Zach. 14:4). Un peu plus tard les nations associées seront détruites dans le pays d’Édom. Tout cela est évoqué en Ésaïe 13 et 14:24-27. La Chaldée fera partie de cette Confédération assyrienne, comme autrefois elle fit partie du royaume de Ninive, mais surtout elle lui conférera son caractère fondamental de confusion (13:2-8) lors de ce conflit final avec le Messie rédempteur de son peuple. Babylone enfin sera, comme Édom, définitivement détruite, alors que les autres nations, soumises, revivront dans le règne millénaire (Jér. 50:26-32 ; Ésaïe 13:19, 20).
Ne nous y trompons pas. Tout ce que les hommes essaient de mettre sur pied en s’unissant comme autrefois les gens de la plaine de Shinhar afin de se faire un nom et n’être pas dispersés, prépare en réalité cette ultime confusion des peuples qui se manifestera toujours davantage quand il n’y aura plus «ce qui retient». Elle aboutira à la subversion de toutes les puissances terrestres. Babel est le sceau commun qui leur est appliqué par Dieu. Elles se dresseront, diversement et toutes ensemble, «contre l’Éternel et contre son Oint : Rompons leurs liens, et jetons loin de nous leurs cordes ! Celui qui habite dans les cieux se rira d’eux, le Seigneur s’en moquera. Alors il leur parlera dans sa colère, et, dans sa fureur, il les épouvantera : Et moi, j’ai oint mon roi sur Sion, la montagne de ma sainteté… Et maintenant, ô rois, soyez intelligents…» (Psaume 2).