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L’ÉTERNITÉ des PEINES

 

par André Gibert

 

1986

 

 

Aucun sujet n’est plus propre à faire reculer. Il apparaît cependant nécessaire de le considérer une fois de plus. Faut-il regarder la doctrine des peines éternelles comme l’héritage de traditions religieuses inacceptables et périmées, ou, au contraire, est-elle fondée dans l’Écriture ? Les serviteurs de Dieu à qui nous devons tant, les J. N. Darby, W. Kelly, C. H. Mackintosh, A. Ladrierre, H. Rossier, W. J. Lowe, et bien d’autres, ont invariablement conclu dans le second sens. Les «frères» se sont jusqu’ici conformés à leur manière de voir. Cette attitude devrait-elle être révisée ?

En réalité, la question n’est pas nouvelle. Il y a bien longtemps que, en divers points de la chrétienté mais surtout dans le protestantisme libéral, on conteste l’affirmation de l’éternité des peines. Les ouvriers dont il vient d’être question combattaient pour elle il y a plus d’un siècle et d’autres l’avaient fait avant eux. Mais de nos jours l’orthodoxie évangélique — en renouveau à certains autres égards, béni soit Dieu — est largement envahie par la négation de ces peines éternelles. Elle rejoint en cela bien des sectes plus ou moins nouvelles, et l’on voit cette négation gagner du terrain jusque dans les milieux que l’on aurait pensés les mieux défendus contre elle. Elle n’utilise guère pourtant d’autres arguments que ceux qui ont été réfutés par nos devanciers.

L’autorité reconnue de ces conducteurs, si fortement qu’elle s’impose à nous, si convaincus que nous soyons non seulement de la probité et de la compétence mais encore de la spiritualité avec lesquelles ils ont étudié ces questions, ne saurait à elle seule être déterminante. C’est rendre ce que nous devons à leur mémoire et imiter leur foi que de faire ce à quoi ils nous convient toujours, savoir d’examiner soigneusement les Écritures comme les Béréens, pour voir si les choses sont bien ainsi. Faisons-le ici en toute simplicité, sans prétendre verser au débat quoi que ce soit de nouveau, mais pour nous assurer dans «ce que dit l’Écriture».

 

Écartons préalablement quelques causes d’obscurité comme l’esprit humain en produit toujours quand il s’ingère dans les choses divines.

Un mot suffirait pour nous débarrasser, si besoin était, du fatras d’inventions dont on a peuplé l’enfer. Ce sont des restes des mythologies les plus variées, ou des produits de la superstition, ou des élucubrations d’artistes et d’écrivains, des fables et rien que des fables ! La Parole ignore tout des supplices variés qu’elles dépeignent, aussi bien que des cris et des blasphèmes de damnés révoltés (au contraire, les êtres infernaux «ploieront le genou» au nom de Jésus). Bien loin de montrer Satan et les démons régissant l’enfer et torturant les créatures humaines, elle nous apprend que c’est «pour le diable et ses anges» que le feu éternel «a été préparé». La sobriété de la Parole sur ces sujets est plus solennelle que ces débordements de l’imagination, par lesquels on a prétendu frapper l’esprit des hommes mais qui en fait ne sont qu’un moyen diabolique de les détourner de la vérité.

 

Tout autant que l’imagination, il y a lieu de récuser la sentimentalité humaine. «Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos voies ne sont pas mes voies», dit l’Éternel. Nos sentiments, aussi respectables qu’on les veuille, ne fournissent pas plus que nos pensées — et même bien moins qu’elles — une base valable pour juger de ce qui convient à Dieu. L’idée d’un jugement illimité fait horreur à la nature humaine ; des coeurs faiblissent à la pensée qu’un être cher, mort inconverti, serait voué à des tourments sans espoir et sans fin ; cela leur semble contredire la bonté et l’amour de Dieu. Mais c’est là la mesure humaine des choses, et rien de plus.

Nous sommes incapables, en effet, de nous détacher de ce qui appartient à l’ancienne création. Nous le sommes encore davantage de nous faire une idée exacte de la bonté de Dieu, pas plus que de sa justice et de sa sainteté. Nous sacrifierions l’une de ces qualités à l’autre, alors qu’elles se fondent dans son Être, qui ne serait pas éternel s’il n’était à la fois lumière et amour. Dieu est amour. Il est infiniment plus sensible que nous ne pouvons l’être aux souffrances de ses créatures, et à leur cause profonde, le péché (rappelons, en passant, que le diable et les autres anges déchus, pour qui le feu éternel est préparé, sont aussi des créatures !). Mais Il est amour dans la lumière, dans l’harmonie parfaite d’un univers dont Il n’est pas seulement le souverain mais l’ordonnateur. C’est à Lui, non à nous, qu’il appartient de savoir comment les choses doivent être pour que «Dieu soit tout en tous». Nous nous inclinerons devant sa sagesse, que dis-je, nous l’adorerons. Nous n’aurons plus égard à nous-mêmes, mais à Dieu seul, en Christ. Nous serons dégagés de tous les liens d’ici-bas, non dans l’égoïsme qui les accompagne si souvent, mais dans l’amour vrai. Nous serons mus par d’autres affections que celles de cette terre. Nos sentiments d’aujourd’hui auront pris leur vraie place. Même les plus légitimes quant à la vie d’ici-bas se rapportent à des relations qui alors auront été dénouées ; ce qu’elles auront comporté de pur se sera pour ainsi dire sublimé dans ces affections éternelles. Et nous comprendrons ce que nous ressentons si peu tant que nous sommes sur la terre, savoir la grandeur de l’offense faite à Dieu par les hommes qui refusent sa grâce et ne veulent pas être réconciliés quand Il les en supplie.

Du moins savons-nous dès maintenant combien Dieu a aimé le monde, jusqu’à donner «son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas». Si nous voulons contempler l’amour de Dieu, c’est à la croix qu’il faut aller. Comment parler de nos sentiments humains (même s’ils sont un reflet, bien lointain et combien altéré, de l’image divine), quand nous voyons Dieu traitant ainsi, à la place des coupables, son Fils bien-aimé, et que nous voyons ce Fils de Dieu subissant des souffrances comme celles des trois heures sombres ?

 

Nous sommes, d’autre part, foncièrement incapables de concevoir l’éternité, tant que nous sommes dans ces corps où notre existence se déroule en une succession d’événements. Quand nous parlons de peines éternelles, aussi bien que de vie éternelle, nous les voyons comme se continuant indéfiniment, dans une telle succession temporelle, avec le temps prolongé encore et toujours. Sans disserter inutilement sur l’éternité, il suffit de marquer l’inexactitude totale d’une telle vue. Le temps, qui a été créé et qui a commencé en se détachant de l’éternité, finira en se fondant dans ce qui n’a ni commencement ni fin. Le temps ne sera plus. L’éternité est la durée intemporelle, la durée pure. Tout sera fixé, ce qui ne veut pas dire inerte et immobile, mais simultané, sans la discontinuité de tout ce qui a un passé, un présent et un futur. Dieu, l’Éternel, s’appelle le Même, Il ne saurait changer quelles que soient ses activités et ses voies. Celui qui, par rapport au temps, était et qui est et qui vient, est Celui auquel il est dit : «Mais toi, tu es le Même», c’est pourquoi «tes ans ne cesseront point» (Hébr. 1:12).

 

Défions-nous donc et de nos sentiments et de nos raisonnements. Une vue correcte de ce grand sujet de l’éternité des peines ne dépend pas de ce que nous éprouvons ou de ce que nous concevons, mais de ce que Dieu nous en fait connaître par sa Parole et son Esprit. L’homme naturel est toujours enclin à juger Dieu en prétendant juger des choses de Dieu. La foi accepte simplement ce que Dieu dit.

 

Cette Parole apprend elle-même au lecteur tant soit peu attentif que les termes du langage qu’elle emploie ou qu’elle met dans la bouche des hommes, peuvent revêtir des acceptions différentes selon les moments de la révélation divine et les phases des voies de Dieu. C’est ainsi qu’il ne faut pas confondre les déclarations relatives à Israël avec celles qui s’appliquent à l’Église, les promesses faites à Abraham avec celles faites à David, et les unes et les autres avec celles qui sont faites aux chrétiens, etc. Il en est ainsi du sujet qui nous occupe.

Dans l’Ancien Testament, le mot éternel — et ceux qui en dérivent, éternité, éternellement, ou qui lui sont analogues, comme à toujours, à jamais — ne prend son plein sens que lorsqu’il se rapporte à Dieu : par exemple «les bras éternels» (Deut. 33:27), «le Roi d’éternité» (Jér. 10:10) ; «Je vis éternellement» (Deut. 32:40), «d’éternité en éternité» (Ps. 90:2 ; Néh. 9:5), «un amour éternel» (Jér. 31:3), et pardessus tout, cela va sans dire, le nom même que Dieu prend, celui d’Éternel (Jéhovah).

 

Mais ailleurs dans cet Ancien Testament, quand ce même mot se rapporte aux créatures et aux choses créées, son sens immédiat et habituel ne va pas au-delà de la création visible, la première création, et s’applique à une durée temporelle, avec commencement et fin. Ce n’est pas qu’il soit sans relation avec l’éternité divine dans son absolu. Mais même les croyants les plus éclairés de ces «jours d’autrefois» — sans que nous puissions discerner à quel point leur foi était enseignée à passer de ces choses visibles aux invisibles — étaient appelés à se mouvoir dans le cadre de promesses et de prophéties concernant la terre. Leur pensée avait essentiellement pour objet le royaume de Dieu ici-bas, dans le temps, «tant que dureront le soleil et la lune» (Psaume 72:5, 7).

Ainsi, quand il est parlé d’Israël sauvé par l’Éternel «d’un salut éternel» (És. 45:17), ou au contraire quand «un opprobre éternel» et «une confusion éternelle» sont appelés sur les ennemis de l’Éternel (Jér. 23:40 ; 20:11) ; quand nous lisons qu’«un royaume éternel» s’établira (Dan. 4:3 ; 7:14-27), qu’«une joie éternelle» sera sur la tête du peuple restauré (És. 35:10 ; 51:11 ; 61:7), qu’«une alliance éternelle» est conclue avec lui (És. 61:8), tout cela est vu d’abord, à n’en pas douter, dans les limites temporelles du règne, autrement dit, du millénium (*). Si «les nouveaux cieux et la nouvelle terre que je fais, subsisteront devant moi, dit l’Éternel» (És. 66:22), c’est d’abord au long de ce règne qu’ils sont considérés comme subsistant ; ils sont encore les cieux et la terre de cette création périssable, bien qu’ils aient été rénovés et que la gloire de Dieu les remplisse. C’est pourquoi on peut ne pas trouver un argument décisif dans les «flammes éternelles» d’Ésaïe 33:14, ni même dans le ver qui ne meurt point et le feu qui ne s’éteint point d’Ésaïe 66:24, si claire que paraisse leur allusion à une géhenne proprement éternelle. D’autre part il est bien admis que le verset 2 de Daniel 12 : «Plusieurs qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, et les autres pour l’opprobre, pour être un objet d’horreur éternelle», signifie non une résurrection d’individus, mais le retour d’Israël ramené d’entre les nations où il gisait comme mort, et rentrant dans son pays, où les uns seront bénis, les autres réprouvés (cf. És. 26:19 et Éz. 37).

(*) Encore faut-il ici prendre garde que le Nouveau Testament agrandit l’horizon de ces prophéties : le royaume de Christ, qualifié d’éternel, et sa domination, qualifiée d’éternelle, concernent bien, directement, l’ancienne création, appelée à passer ; mais «à la fin», après que toutes choses lui auront été assujetties, il remettra le royaume à Dieu le Père, en éternité (1 Cor. 15:24, 25).

Il suit de là aussi que nous ne trouvons pas grand-chose de précis dans l’Ancien Testament à l’égard de la survie de l’âme et de la résurrection du corps, sinon des figures, quelques faits exceptionnels comme l’enlèvement d’Énoch et celui d’Élie, et comme l’évocation de Samuel à En-Dor (1 Sam. 28), ou encore des paroles comme celles de Job (19:25). Mais la vie y est essentiellement considérée comme terrestre. Elle a son terme quand l’Éternel reprend le souffle qu’Il a mis dans les narines de l’homme. «L’esprit retourne à Dieu qui l’a donné», et le corps à la poussière d’où il avait été pris (Éccl. 12:7). «L’homme expire, et où est-il ?» (Job 14:10). D’où l’effroi du shéol, même si la foi pouvait saisir que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ne peut être le Dieu des morts mais des vivants, et si «ceux-ci sont morts dans la foi». Ésaïe 38:10-20, traduit particulièrement cet effroi, et maints passages des Psaumes. Si l’homme voit un avenir devant lui, c’est sur la terre, dans sa descendance. Et la rétribution des méchants, en jugement, n’est pas présentée plus loin qu’une descente ignominieuse au shéol, «dans la fosse», si impressionnantes que soient des évocations comme celles d’Ésaïe 14:9-20, ou d’Ézéchiel 32:17-32.

 

Mais avec le Nouveau Testament tout change. Le second homme vient du ciel, la mort est vaincue, un nouveau commencement apparaît, celui de la nouvelle création. «La vie éternelle, qui était auprès du Père», «nous a été manifestée». Elle est «annoncée» ; elle ne l’avait pas été jusque-là. Elle est déjà la part du chrétien, par le Saint Esprit, en Christ, en attendant qu’il en jouisse dans un corps glorifié semblable au sien (1 Jean 3:2 ; Phil. 3:21). L’évangile de la gloire et de la grâce est prêché, mais son point de départ est la révélation de la colère de Dieu, «la colère qui vient» (Rom. 1:18 ; 1 Thess. 1:10).

Alors les perspectives s’ouvrent. Elles vont bien au-delà du règne millénaire où la terre aura été bénie après avoir été purifiée par le jugement. Elles atteignent l’état éternel. Les nouveaux cieux et la nouvelle terre, où la justice habite, n’ont plus rien de la première création : celle-ci aura été détruite par le feu (2 Pierre 3 ; Apoc. 20).

La vie éternelle avec le Seigneur sera le partage de tous les rachetés. Ce sont les croyants de tous les âges, auxquels s’ajoutent les irresponsables, dont, en nombre incalculable, les petits enfants. Tous auront eu part, à titre soit de ressuscités soit de transmués, à la «première résurrection», la «résurrection de vie», en ses diverses phases : venue du Seigneur selon 1 Thess. 4, et résurrection des morts de la grande tribulation (Apoc. 20:4). Il faut certainement y joindre, à «la fin», après le règne, une transmutation des croyants milléniaux.

«Bienheureux et saint celui qui a part à la première résurrection : sur eux la seconde mort n’a point de pouvoir» (Apoc. 20:6). Ce ne sont donc pas tous les hommes qui «auront part» à cette première résurrection ; cette vie éternelle ne sera pas le lot de tous. L’illusion d’une réconciliation de tous les hommes, autrement dit la doctrine du salut universel, est pourtant fort répandue chez ceux qui veulent ignorer l’Écriture. C’est une erreur fatale. Il est parfaitement vrai que Christ est «mort pour tous», mais le bénéfice de son oeuvre est pour «quiconque croit». La rédemption du genre humain, comme on dit, est faite, mais ceux qui, en quelque temps que ce soit, auront refusé la grâce, s’en seront exclus eux-mêmes. «Si vous ne croyez pas que c’est moi», disait Jésus à ses adversaire, «vous mourrez dans vos péchés» (Jean 8:24). Pour ceux qui seront ainsi «morts dans leurs péchés», il y aura la «résurrection de jugement». «Le reste des morts ne vécut pas jusqu’à ce que les mille ans fussent accomplis» (Apoc. 20:5) est-il dit après l’annonce de la première résurrection, celle des «bienheureux» ; et ces «morts» se réveillent pour comparaître devant le grand trône blanc, «les morts, les grands et les petits», et ils sont «jugés d’après les choses... écrites dans les livres, selon leurs oeuvres» (Apoc. 20:12). L’Écriture est positive : on ne peut être sauvé sans propitiation, et pour ceux qui rejettent Christ il ne reste plus de sacrifice pour le péché. Parler de salut universel, c’est nier la justice de Dieu en raison de l’idée imparfaite qu’on prétend se faire de son amour. C’est renverser l’Évangile. Allez donc prêcher l’Évangile à des gens auxquels vous direz en même temps que finalement ils peuvent être sauvés tout en refusant Christ !

Il ne saurait pas davantage être question d’une cessation de toute existence, pour les inconvertis, avec la mort corporelle. C’est ce que souhaiterait l’homme naturel. «Mangeons et buvons, car demain nous mourrons». Là encore la Parole est formelle : «il est réservé aux hommes de mourir une fois, —  et après cela le jugement» (Hébr. 9:27). La résurrection de jugement, le grand trône blanc, la sentence finale, ce sont là des réalités redoutables sans doute, mais des réalités.

Le lecteur sincère de l’Écriture ne peut échapper à la conviction que, de même qu’il y a la vie éternelle pour les croyants, il y a une «colère» divine qui vient sur les autres, un jugement terrible pour les «morts dans leurs péchés», qu’ils aient péché sans loi, sous la loi, ou qu’ils aient refusé l’Évangile de la grâce. Chacun d’eux sera jugé selon ses oeuvres, et recevra un châtiment mesuré à la grandeur de son offense, selon la parfaite-sagesse de Dieu.

 

Quelle est la portée de ce jugement ? Nous voici amenés à la question posée au début de ces pages.

Il n’est que temporaire, si terrible soit-il, affirme-t-on de divers côtés ; c’est une peine à purger, après quoi, pour ces condamnés, toute existence cessera, ils seront annihilés.

Nous ne pouvons, et cela en plein accord avec ceux qui nous ont enseignés, que trouver dans l’Écriture l’obligation de rejeter catégoriquement une telle affirmation.

Salut et perdition, vie éternelle et colère de Dieu, sont à maintes reprises, pour ne pas dire constamment, associés dans cette Écriture, en un parallélisme tel que nier le caractère de l’un revient à nier celui de l’autre. Ainsi en Marc 16:16 ; Jean 3:36 ; 5:29 ; Romains 2:5-16 ; 1 Corinthiens 1:18 ; 1 Jean 5:12 ; Philippiens 1:28. Si le salut est éternel, la perdition l’est de la même manière.

On objectera qu’il s’agit là d’une analogie simplement suggérée par ce parallélisme. Mais elle se renforce d’une identité littérale. Le même terme, dans l’original comme en traduction, s’applique, pour les déclarer éternels, à la fois à la vie et aux tourments (Matt. 25:46), à la destruction (2 Thess. l, 9), au jugement (Marc 3:29 ; Héb. 6:2), au feu (Matt. 25:41 ; 18:8 ; Jude 7). Et c’est le même mot qui qualifie en 2 Cor. 4:18 les choses qui ne se voient pas par opposition à celles qui se voient et qui ne sont que pour un temps — en 2 Cor. 5:1 notre maison céleste par opposition avec cette tente éphémère — en 1 Pierre 5:10 la gloire de Dieu — en 1 Timothée 6:16 sa force, etc. Ce terme d’éternel (aiônios) est dans tous ces cas et d’autres encore en contraste avec temporel. Lui donner des acceptions différentes serait faire violence au texte.

Il n’est pas moins significatif qu’une même expression, savoir «aux siècles des siècles» (eis tous aiônas tôn aiônôn) s’applique à l’éternité de Dieu d’une part, aux tourments de ses ennemis d’autre part (Apoc. 4:10 et 14:11 ; 20:10).

Que conclure sinon que, dans le cas où les tourments qualifiés d’éternels ne seraient en fait que temporaires, la vie éternelle ne durerait pas non plus à toujours ? Nous ne trouverions en aucun passage de garantie pour une telle éternité de vie.

Il est vrai que nous sommes incapables de déterminer en quoi consistent ces tourments. L’«étang de feu et de soufre» est un symbole, admettons-le sans difficulté ; mais que dire alors de la réalité ainsi symbolisée ! Nous entrevoyons quelle terrible chose, la pire qui puisse se formuler, doit être, pour une créature consciente, la séparation sans espoir d’avec son Créateur ! C’est ce qui est appelé la «seconde mort». Observons ici avec soin qu’il nous est dit que la mort (la première) — le dernier ennemi qui sera aboli — sera, avec le hadès, jetée «dans l’étang de feu : c’est ici la seconde mort, l’étang de feu» (Apoc. 20:14). Qu’est-ce à dire, sinon que les «morts», jugés devant le grand trône blanc, passeront de la mort temporelle et temporaire à la mort éternelle ? Redisons-le, l’éternité dépasse notre conception présente, mais à coup sûr la seconde mort ne peut pas plus que la première signifier l’annihilation, immédiate ou différée, peu importe.

Nous nous abstenons à dessein de discuter le point de savoir s’il convient de qualifier ou non d’immortelle l’«âme vivante» qu’Adam «devint» par le souffle de Dieu (Genève 2:7 ; 1 Cor. 15:45), estimant que l’on tombe là dans une question de mots, alors que ce sont les faits qui importent. «Détruire et l’âme et le corps, dans la géhenne» (Matt. 10:28) est sans contredit l’équivalent de la seconde mort, mais cela ne signifie en aucune manière l’annihilation : destruction n’est pas anéantissement, et «destruction éternelle» encore moins, car le terme implique la durée sans fin de la destruction. La mort, que ce soit la première ou la seconde, n’est pas la cessation de l’existence. Moralement nous étions tous morts dans nos fautes et dans nos péchés, mais nous existions bien, vivants au péché ; les morts qui attendent le jugement existent ; les morts jugés existeront, mais privés de la vie éternelle, sous la «colère de Dieu». Pourquoi le feu serait-il qualifié d’éternel, s’il consumait tout en un instant ? Le feu inextinguible, le ver qui ne meurt point, sont des figures, assurément ; mais ces figures sont chargées de traduire ce que nous ne pourrions concevoir autrement : comment nous parleraient-elles d’un feu inextinguible qui n’aurait plus rien à brûler, d’un ver qui ne meurt point et qui n’aurait plus rien à ronger ? Ces figures sont reprises par le Nouveau Testament à l’Ancien, mais elles se trouvent dans la bouche de Jésus et dans le langage du Saint Esprit par les apôtres, et sont appliquées par eux à d’autres durées que celles, temporelles, de la première création.

 

Éternité des peines, doctrine effrayante. Soit. Qu’elle le soit assez pour faire trembler à salut les pécheurs : Félix était «tout effrayé» d’entendre Paul discourir sur le jugement à venir, et il a pour son malheur résisté à cet effroi. Qu’elle le soit assez pour que les croyants prennent à coeur le salut des pécheurs ! Mais comment oublier que pour nous «délivrer de la colère qui vient» il n’a rien moins fallu que la mort du Fils de Dieu ? Il a connu la première et la seconde mort, sans quoi nous en serions encore passibles. Il a éprouvé toute l’horreur de la seconde mort quand elle étendit sur Lui, fait péché pour nous, son ombre terrible pendant les trois heures sombres de Golgotha, avant qu’il n’entre dans la première, mais en vainqueur, ayant payé le salaire du péché. Il a connu à notre place l’abandon de Dieu. Il nous faut toujours revenir à la croix : elle est le fait central de la foi chrétienne, mais inséparable de la résurrection. Après d’autres, nous ne pouvons que répéter : nier l’éternité du jugement, c’est attenter à l’oeuvre de Christ. Ce n’est pas seulement, comme on l’a dit, couper le nerf à la prédication, c’est ôter de sa substance à la prédication de Jésus Christ crucifié, et cela vis-à-vis de l’inconverti comme du croyant. L’oeuvre expiatoire, selon cette façon de voir, se serait limitée à porter les peines limitées encourues par les élus ; si Jésus n’était pas venu, l’humanité aurait disparu tout entière après une période de châtiment, sans plus. La gravité du péché s’amoindrit jusqu’à disparaître, elle n’est plus à la mesure de l’infinie sainteté de Dieu ; la propitiation perd de son excellence, les trois heures sombres de leur horreur. Non, non, notre précieux Sauveur a été fait péché pour nous, fait malédiction pour nous. Il a connu l’abandon de Dieu comme seul pouvait le connaître Celui qui était véritablement homme et véritablement Dieu. Et c’est à jamais que devant Lui se ploiera tout genou, des êtres célestes et terrestres, mais aussi infernaux — les non-réconciliés, hélas !

Chers frères et soeurs, continuons à dire, avec une solennité et une reconnaissance accrues :

... Ton coeur infini, sous ce poids d’un moment,

Porta l’éternité de notre châtiment.