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Introduction à l’étude des Évangiles

 

 

Évangile de Luc

 

par William Kelly

 

1° édition Lausanne, 1883 ; les sous-titres entre crochets ont été ajoutés par Bibliquest

Table des matières :

1     Chapitres 1 à 8

1.1          [Chapitre 1]

1.2          [Chapitre 2]

1.3          [Chapitre 3]

1.4          [Chapitre 4]

1.5          [Chapitre 5]

1.6          [Chapitre 6]

1.7          [Chapitre 7]

1.8          [Chapitre 8]

2     Chapitres  9  à  16

2.1          [Chapitre 9]

2.2          [Chapitre 10]

2.3          [Chapitre 11]

2.4          [Chapitre 12]

2.5          [Chapitre 13]

2.6          [Chapitre 14]

2.7          [Chapitre 15]

2.8          [Chapitre 16]

3     Chapitres 17 à 24

3.1          [Chapitre 17]

3.2          [Chapitre 18]

3.3          [Chapitre 19]

3.4          [Chapitre 20]

3.5          [Chapitre 21]

3.6          [Chapitre 22]

3.7          [Chapitre 23]

3.8          [Chapitre 24]

 

1                    Chapitres 1 à 8

1.1   [Chapitre 1]

La préface de l’Évangile de Luc est aussi instructive que l’introduction de chacun des deux Évangiles qui précèdent. Bien que tout y soit divinement inspiré, il est évident, pour tout lecteur sérieux, que nous entrons sur un terrain nouveau, où les motifs et les sentiments humains sont particulièrement mis en relief. Un homme de Dieu, divinement inspiré, écrit à un autre homme qui avait besoin d’en apprendre davantage sur Jésus ; il le fait sans attirer une attention particulière sur son inspiration, et agit de la sorte comme toute l’Écriture qui, sans déclaration expresse, se donne cependant pour être la parole de Dieu. L’intention de Luc est de placer devant un de ses condisciples, homme de rang, mais chrétien comme lui, un récit complet, exact, méthodique, de la vie du Seigneur Jésus, tel que le pouvait transmettre une personne qui connaissait minutieusement ce qu’elle entreprenait de raconter, et en vérité tel que le pouvait seul transmettre un homme inspiré de Dieu à cet effet. Luc nous apprend qu’il existait plusieurs mémoires fondés sur le récit de ceux qui, dès le commencement, avaient été les témoins oculaires et les serviteurs de la Parole. Ces oeuvres ont disparu ; elles étaient humaines. Il ne s’agit point ici d’hérétiques pervertissant la vérité, mais de personnes entreprenant dans leur propre sagesse d’exposer ce qu’il n’appartenait qu’à Dieu seul de donner à connaître comme il le fallait. En même temps, l’écrivain de cet Évangile nous instruit de ses motifs : «Il m’a semblé bon à moi aussi», etc., est en contraste avec ces autres qui avaient entrepris précédemment de rédiger une histoire de la vie de Jésus. Ils l’avaient fait à leur façon, lui d’une autre manière, ainsi qu’il va l’expliquer. Luc évidemment ne parle pas ici des narrations de Matthieu et de Marc, mais d’autres récits de la vie de Jésus, qui avaient alors cours parmi les chrétiens. Rien de plus naturel que plusieurs eussent essayé de publier une relation de faits aussi importants et extraordinaires, qu’ils n’avaient pas vus eux-mêmes, mais qu’ils avaient au moins recueillis de la bouche de ceux qui avaient vécu avec le Seigneur. Si, à un point de vue, le Saint Esprit met Luc sur le même rang que ces compilateurs, à un autre point de vue, il le distingue de ces mêmes personnes d’une manière évidente. Luc constate que les écrivains en question dépendaient de ceux qui avaient été témoins oculaires de la vie de Jésus ; mais il ne dit rien de pareil quant à lui-même, ainsi qu’on l’a trop légèrement conclu des paroles : «à moi aussi», qui indiquent, au contraire, quoique indirectement, une source toute différente d’informations. Il ne donne pas à entendre que son récit repose sur les paroles de témoins oculaires, et néanmoins il affirme sa parfaite connaissance du tout, dès le commencement, sans nous dire d’où elle provient. Quant aux récits des autres, il ne les taxe point de supercherie, loin de là ; mais il ne leur attribue pas non plus un caractère divin, et donne à entendre qu’il est besoin d’une garantie plus solide pour la foi et l’instruction des chrétiens. Une telle garantie, voilà ce que notre auteur prétend fournir dans son Évangile ; il se croit qualifié pour cela par la connaissance parfaite de toutes ces choses dès leur origine, et il écrit à Théophile afin que celui-ci connaisse la certitude des choses dont il a été instruit. Par cette expression «depuis le commencement», Luc nous signale encore une autre différence entre sa narration et les récits mentionnés plus haut ; il nous donne en effet un exposé détaillé des événements, en racontant les circonstances qui précédèrent la naissance de Jésus et celles qui eurent lieu durant sa vie, jusqu’à son ascension au ciel.

Or, comme je l’ai déjà dit, Luc, pas davantage que les autres écrivains inspirés, ne cherche à nous persuader du cachet divin de son Évangile, ou à nous en expliquer la provenance divine. Il ne nous dit point comment il est arrivé à cette connaissance exacte des choses qu’il se propose de narrer, et jamais auteur inspiré n’en a agi autrement ; ceux-ci parlent avec autorité, comme notre Seigneur lui-même enseignait avec autorité, et non comme les scribes ou les colporteurs de traditions. Le fait qu’il se prévaut d’une connaissance particulière des événements, est un trait distinctif de Luc, qui ne conviendrait aucunement au caractère des autres évangélistes, car, bien qu’inspiré de la même manière que ces derniers, il s’adresse ici spécialement à un ami et frère en Christ. Comme règle générale, l’inspiration n’est en aucune façon incompatible avec l’individualité humaine ; elle l’est ici moins que jamais, puisque Luc s’apprête à écrire, pour un homme, l’histoire de la vie du Fils de Dieu en tant qu’homme, né de femme ici-bas. Aussi, dans sa préface, nous fait-il part de ses réflexions, et de ses sentiments personnels ; des matériaux dont il dispose, et du but béni qu’il a en vue.

L’Évangile de Luc étant le seul qui soit adressé à un homme, ce fait même nous prépare, dès l’abord, à la manière particulière dont il présente la personne de Christ, puisque nous y apprenons à connaître le Seigneur surtout sous sa figure humaine, et comme étant réellement un homme ici-bas, mais moins que dans d’autres Évangiles, en rapport avec son titre de Messie ou au point de vue de son ministère, comme étant le Serviteur de Dieu. Sans doute, même comme homme, Jésus est le Fils de Dieu, et il est ainsi nommé dès le premier chapitre de cet Évangile. Il était le Fils de Dieu entré dans le monde par sa naissance ; et non seulement avant d’entrer dans le monde, mais encore de toute éternité. L’être saint qui naîtrait de la vierge serait appelé Fils de Dieu ; tel est ici son titre comme étant né de femme, comme ayant un corps préparé pour Lui. Or cela même indique clairement, dès l’origine, la prépondérance que cet Évangile donne au côté humain de la personne du Seigneur. Dans chacune de ses paroles, chacun de ses actes, Jésus a manifesté ce qui était divin ; mais en même temps, il était homme, et c’est à ce point de vue qu’il est envisagé dans l’Évangile de Luc. De quelle importance, de quel intérêt n’était il donc pas de connaître d’une manière indubitable les circonstances qui accompagnèrent l’entrée dans le monde de cet homme merveilleux, ainsi que celles qui, pendant le cours de sa vie, ont manifesté les pensées de son coeur.

Une autre raison toutefois nous explique aussi la manière particulière dont Luc commence son récit. D’entre tous les évangélistes, c’est lui qui approche le plus du grand apôtre des gentils, dont il fut en quelque mesure le compagnon, étant compté par Paul entre ses collaborateurs ; aussi voyons-nous que, sous la direction du Saint Esprit, il traite les choses précisément de la manière qui distingua le service et le témoignage de l’apôtre, lequel s’adressa aux Juifs premièrement et ensuite aux nations. Notre Évangile donc, bien qu’écrit par un gentil, et adressé à un gentil, s’ouvre d’une façon plus directement appropriée au peuple juif, que ne le fait aucun des trois autres. Paul s’adressa d’abord aux Juifs ; mais ceux-ci ne tardèrent pas à rejeter la parole et à se montrer indignes de la vie éternelle ; alors il se tourna vers les nations. La même chose apparaît à nos yeux dans cet Évangile-ci ; il offre tant de points de contact avec les écrits de l’apôtre Paul, que quelques-uns d’entre les plus anciens écrivains chrétiens n’ont pas hésité à le lui attribuer, en s’appuyant sur des passages tels que 2 Cor. 4:3 ; 2 Thess. 2:14, où il parle de mon (ou notre) Évangile. Cette supposition, quoique parfaitement erronée, montre que, malgré leur extrême ignorance, ces hommes n’avaient pu s’empêcher d’apercevoir qu’il existe dans les pensées et les sentiments, qui caractérisent l’Évangile de Luc, des traits généraux de ressemblance avec le témoignage de Paul. Nous comprenons tout autrement aujourd’hui les paroles de ce dernier, lorsqu’il parle de son Évangile ou du mystère de l’Évangile ; mais il n’en reste pas moins vrai que celui de Luc a été le grand fondement moral sur lequel s’est basé plus tard le témoignage rendu par l’apôtre des nations. Ce n’est qu’après avoir présenté Christ avec des richesses de grâce au résidu pieux d’entre les Juifs, que Luc aborde le récit détaillé de la naissance de Jésus, de l’introduction du Premier-né dans le-monde, Dieu se proposant de mettre la race humaine tout entière en relation avec Lui-même, et préparant l’accomplissement de ses desseins grandioses en faveur des gentils. Mais avant tout, Dieu se justifie dans ses voies, montrant qu’il était prêt à exécuter chacune des promesses faites au peuple juif. Les deux premiers chapitres nous présentent par conséquent le Seigneur Jésus, comme Celui par lequel Dieu se disposait à remplir tous ses engagements d’autrefois envers Israël, et la scène entière qui nous est rapportée, concorde avec cette intention de Dieu à l’égard de son peuple. Un prêtre juif y apparaît d’abord, juste selon la loi ; mais sa femme était stérile ; elle n’avait pas reçu ce que les Juifs étaient habitués à considérer comme un signe de la faveur divine à leur égard. Mais Dieu alors visitait la terre en grâce, et, tandis que Zacharie exerçait la sacrificature, un ange, être étranger à ces lieux, n’y apparaissant qu’en de rares circonstances, afin de porter secours à quelque infirme, comme nous le lisons au cinquième chapitre de Jean, mais invisible depuis longtemps comme témoin des glorieuses voies de Dieu, — un ange vint annoncer à Zacharie la naissance d’un fils, le précurseur du Messie. La conduite de ce sacrificateur est un exemple du manque de foi qui régnait même chez les Juifs pieux d’alors, et Dieu l’en punit, sans faillir pour cela à sa grâce. Mais l’ange avait encore de meilleures choses à annoncer : l’accomplissement de la plus ancienne et de la plus grande de toutes les promesses, faite à l’homme aussitôt après la perte du paradis, promesse qui embrassait par son importance et par son étendue toutes celles que Dieu avait faites aux pères et révélées aux prophètes : la naissance surnaturelle d’un homme, à la fois homme et Fils du Très-Haut, qui devait prendre en possession le trône de David son père, resté vacant depuis tant d’années. Cette naissance du Fils de Dieu allait être, sans aucun doute, le fondement sur lequel reposeraient des vérités encore plus précieuses et plus profondes que le rétablissement de la royauté en Israël dans la personne du Fils de David ; mais je me borne à constater ici, que nous trouvons au commencement de cet Évangile, d’une part dans la naissance du précurseur du Messie, d’autre part dans celle du Messie lui-même, toutes les preuves de la faveur de Dieu envers Israël et de sa fidélité aux promesses faites antérieurement. Marie éclate en louanges, et Zacharie de même ; après que sa langue a été déliée, il commence par louer le Seigneur de sa grâce infinie.

1.2   [Chapitre 2]

Le chapitre 2 poursuit les mêmes vérités, mais en y ajoutant de nouveaux détails. Dieu déployait sa bonté envers Israël et sa fidélité, non point en rapport avec la loi, mais avec ses promesses. Quel esclavage pesait sur le peuple de Dieu ! Les gentils, ses ennemis, le tenaient assujetti ; le dernier grand empire prédit par Daniel, la bête romaine, était alors au pouvoir. «Or il arriva en ces jours-là, qu’un décret fut rendu de la part de César Auguste, portant que tout le monde fût enregistré (l’enregistrement lui-même se fit seulement lorsque Cyrénius eut le gouvernement de la Syrie) ; et tous allaient pour être enregistrés, chacun en sa propre ville». Telle était la pensée du monde, du pouvoir impérial d’alors. Mais en face du décret de César, il y avait le plan de Dieu en grâce. Celui-là, dans son orgueil, pouvait se servir du style exagéré qui satisfait l’ambition humaine, et considérer le monde entier, comme lui appartenant ; mais — quel contraste ! — Dieu, de son côté, allait manifester ce qu’il était. C’est par suite de ce décret impérial que, selon les voies providentielles de Dieu, son Fils même apparaît en ce monde à Bethléem, suivant la prédiction du prophète. Il y apparaît d’une manière bien différente de ce qu’on aurait pu supposer d’après le récit de Matthieu, où Bethléem est cependant mentionné particulièrement comme étant la ville choisie de Dieu pour la naissance du Messie, de sorte que les scribes eux-mêmes purent l’indiquer au roi Hérode ; car ce n’est point même dans une hôtellerie, mais dans une crèche, qu’est placé le Fils de Dieu au moment de sa naissance. Rien n’est omis de ce qui peut servir de preuve à la naissance et à l’existence vraiment humaines de cet être humain qui était en même temps le Christ, le Seigneur, le témoin de la grâce de Dieu en salut, en guérison, en pardon et en bénédiction. Sous ce dernier rapport, ce n’est pas seulement sa croix, mais aussi sa naissance qui est significative, puisque, l’endroit même où elle a eu lieu, les circonstances qui l’accompagnèrent, tout avait été évidemment prévu et préparé d’avance. Plus que cela ; quoique nous ne voyions point apparaître ici les Mages avec leur or et leur encens, nous trouvons quelque chose de moralement supérieur encore : «Et aussitôt avec l’ange (car le ciel n’est pas si loin qu’on le pense) il y eut une multitude de l’armée céleste louant Dieu et disant : Gloire à Dieu dans les lieux très-hauts ; et sur la terre paix et bon plaisir dans les hommes».

Impossible d’intervertir ces deux récits sans en affaiblir la valeur. On ne saurait placer la scène des Mages dans l’Évangile de Luc, tandis que celle des bergers visités par la grâce de Dieu ne serait pas aussi à propos dans celui de Matthieu. Cette visitation des bergers nous manifeste, d’une manière frappante, avec quelle classe d’hommes le coeur de Dieu est en rapport ; il est constaté dès le début que c’est aux pauvres que l’Évangile a été annoncé, et cela en harmonie parfaite avec le caractère de la narration que nous avons sous les yeux. La même chose a eu lieu, je ne dirai pas quant à la gloire que Saul a vue et enseignée, mais quant à la grâce de Dieu que Paul a prêchée. Cela n’empêche point qu’il n’y ait eu en même temps un complet témoignage de grâce adressé à Israël, quoique certains signes extraordinaires, la mention spéciale de la puissance des gentils, rendent évident qu’il s’agissait d’autre chose encore que d’Israël et de son Roi. Les paroles du verset 10 : «N’ayez point de peur, car voici je vous annonce un grand sujet de joie qui sera pour tout le peuple», ne dépassent pas les limites d’Israël, ainsi que le prouve le reste du passage : «car aujourd’hui, dans la cité de David ; vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur» ; ici Jésus est envisagé seulement comme Celui qui devait apporter en sa personne l’accomplissement des promesses faites à Israël. Mais les anges vont plus loin, lorsqu’ils disent : «Gloire à Dieu dans les lieux très-hauts, et sur la terre paix et bon plaisir dans les hommes» (non point seulement envers les hommes). Il n’est pas dit précisément : en l’homme, comme s’il ne s’agissait que de l’homme Christ, en qui, sans doute, le plaisir de Dieu reposait dans le sens le plus élevé possible, le Fils de Dieu étant devenu non un ange, mais un homme ; or ce n’est pas la cause des anges, mais celle des hommes, dont il est venu se charger (Héb. 2:16). Toutefois les paroles citées en Luc impliquent encore davantage ; car il s’agit ici, à la fois du plaisir de Dieu en l’homme, depuis que son Fils est devenu tel, prouvé par ce miracle même, et du plaisir de Dieu dans les hommes, parce que l’incarnation du Fils de Dieu a été le premier pas immédiat et personnel dans l’oeuvre destinée à révéler la justice de Dieu, en justifiant des hommes pécheurs au moyen de la mort et de la résurrection de Christ qui allaient avoir lieu. En vertu de cette personne toujours agréable devant ses yeux, et de l’efficacité de l’oeuvre rédemptrice accomplie par elle, Dieu peut trouver le même plaisir en ceux qui, de pécheurs coupables qu’ils étaient autrefois, sont devenus les objets éternels de sa grâce. Il est évident que la personne elle-même et l’état de la personne, par le moyen de laquelle toute cette bénédiction devait être rendue possible, sont considérés dans ce passage comme présents à la pensée de Dieu. Quand je dis l’état de la personne, j’entends parler naturellement de l’incarnation du Fils de Dieu, preuve et garantie évidentes du bon plaisir de Dieu en l’homme.

L’offrande qui accompagne la circoncision de Jésus, nous dépeint encore mieux que tout ce qui précède les circonstances où se trouvaient ses parents : leur profonde pauvreté.

Vient ensuite la scène touchante dans le temple, où le vieillard Siméon prend le petit enfant dans ses bras ; car «il avait été averti divinement par l’Esprit Saint qu’il ne verrait pas la mort, que premièrement il n’eût vu le Christ du Seigneur. Et il vint par l’Esprit dans le temple ; et comme les parents apportaient le petit enfant Jésus, pour lui faire selon l’usage de la loi, lui aussi le prit entre ses bras et bénit Dieu et dit : Seigneur, tu laisses maintenant aller ton esclave en paix selon ta parole ; car mes yeux ont vu ton salut». Il est évident que l’oeuvre du salut n’était pas encore accomplie, et néanmoins il y avait virtuellement en Christ «le salut de Dieu», expression bien appropriée à l’Évangile de celui qui fut le compagnon de l’apôtre, dont les écrits se basent principalement sur la «justice de Dieu». L’Esprit Saint pouvait ne pas encore dire par la bouche de Siméon «la justice de Dieu», mais bien «le salut de Dieu», la personne du Sauveur étant là présente qui, envisagée selon l’esprit prophétique, accomplirait au temps déterminé toute chose quant à Dieu et à l’homme. Siméon ajoute : «lequel tu as préparé devant la face de tous les peuples, une lumière pour la révélation des nations et la gloire de ton peuple d’Israël». Je ne considère pas le premier de ces deux prédicats comme ayant rapport au temps millénial, puisqu’alors la gloire d’Israël viendra en premier lieu et que Dieu assignera aux gentils la seconde place ; l’ordre sera donc inverse. L’Esprit fait entrevoir à Siméon un peu plus que ce qui est révélé par le témoignage prophétique de l’Ancien Testament : la révélation des gentils dont il parle, devait être la conséquence et l’effet du rejet de Christ. Au lieu de rester cachées dans l’obscurité, d’être passées sous silence dans les voies de Dieu, comme aux temps de l’ancienne alliance, au lieu d’être même subordonnées à Israël, comme elles le seront lors du Millénium, les nations étaient dorénavant appelées à occuper le premier rang, tandis que la gloire d’Israël aura lieu plus tard, pendant la période milléniale. La lumière brille incontestablement sur les nations d’une manière bien plus frappante qu’elle ne le fera alors, par le fait de la place privilégiée qui leur est assignée maintenant, depuis le retranchement des branches juives de l’olivier (Rom. 11). Les dernières paroles prononcées par Siméon ne laissent aucun doute à cet égard. Il ne prétend pas à bénir l’enfant Jésus, mais il bénit les parents et dit à Marie : «Voici, celui-ci est mis pour la chute et le relèvement de plusieurs en Israël, et pour un signe que l’on contredira» ; l’Esprit lui fait entrevoir le retranchement du Messie et le résultat que produira ce retranchement. «Et même une épée transpercera ta propre âme», parole accomplie dans le sentiment que Marie éprouva en présence du Seigneur crucifié. Puis il ajoute : «En sorte que les pensées de plusieurs coeurs soient révélées». L’opprobre de Christ agit moralement comme une sonde pour éprouver les coeurs. Où trouver, je le demande, un langage pareil ailleurs qu’en Luc ? Pas chez un seul des autres écrivains de l’Évangile auquel il conviendrait, ne fût-ce qu’un instant.

Ce ne sont pas ces paroles seulement qui m’apparaissent comme toutes particulières au récit de Luc. Les deux traits principaux et distinctifs de ses écrits sont, d’une part, la grâce toute-puissante de Dieu révélée en Christ, de l’autre, l’action exercée sur le coeur des hommes, comme étant le résultat moral de la croix. En conséquence, nous voyons que la louange de la grâce ayant été entonnée par Siméon, comme elle l’avait été auparavant par Marie, Zacharie, les bergers, elle continue de s’étendre, et Anne la prophétesse vient mêler sa voix dans ce concert joyeux, autre exemple du renouvellement de l’Esprit prophétique en Israël, de même qu’auparavant il y avait eu un renouvellement de l’apparition et du message des anges. Anne avait attendu bien des années, mais sa foi, comme toujours, fut enfin exaucée, et Dieu, qui prépare la louange dans les coeurs, prépare aussi les circonstances où elle doit se produire : «Elle survint en ce même moment, et louait le Seigneur, et parlait de Lui à tous ceux qui, à Jérusalem, attendaient la délivrance».

Ce chapitre se termine par une description du Sauveur, qui concorde admirablement avec le caractère de notre Évangile, car à quel autre conviendrait-il de parler du Seigneur à l’époque de son adolescence, de nous présenter une esquisse morale de cet Être merveilleux, non plus le nouveau-né de Bethléem, mais à l’âge de douze ans, dans l’humble compagnie de Joseph et de Marie ? Il se trouve avec ses parents à Jérusalem pour la fête de Pâque, selon l’ordonnance de la loi, et à cet âge déjà il montre la valeur qu’a pour Lui la parole de Dieu, et une intelligence de cette parole qui dépasse celle des docteurs de la loi. En Jésus envisagé comme être humain, il y avait un développement graduel, mais parfait en même temps ; il était aussi véritablement homme qu’il était réellement Dieu : «Il avançait en sagesse et en stature, et en faveur auprès de Dieu et des hommes». L’écrivain inspiré nous apprend que Jésus fut repris par ses parents, peu capables de comprendre ce que signifiait pour Lui, déjà alors, de trouver sa nourriture dans l’accomplissement de la volonté de Dieu. L’ayant cherché en vain, ils retournent à Jérusalem, et le trouvent assis au milieu des docteurs, place peu convenable, semble-t-il, pour un garçon de douze ans ; mais combien tout était beau et bienséant en Lui ! «Les écoutant et les interrogeant». Le Seigneur lui-même, quoique rempli de la connaissance divine, ne prend point alors la place d’enseigner avec autorité ; quoique sciemment le Fils de Dieu et le Seigneur Dieu, il était encore l’enfant Jésus, et Celui qui daignait être tel dans ce monde, montre au milieu d’hommes plus âgés, bien qu’ils en sussent infiniment moins que Lui, la plus douce et la plus décente humilité. Quelle grâce dans les questions de Jésus ! Quelle infinie sagesse vis-à-vis de l’obscurité de ces docteurs juifs ! Et pourtant lequel d’entre ces orgueilleux rabbins put lui reprocher la moindre infraction aux convenances les plus délicates ? Sa mère lui dit : «Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait ainsi ? Voici, ton père et moi nous te cherchions, étant en grande peine» ; et il répondit : «Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être aux affaires de mon Père ?» Le mystère se dévoile de bonne heure ; cet enfant n’avait pas besoin qu’une voix du ciel lui annonçât qu’il était le Fils de Dieu, ni que le Saint Esprit descendit sur lui pour l’assurer de sa gloire ou de la mission qui lui était confiée. Ces signes eurent lieu, sans doute, et je ne conteste point leur importance ; mais je répète que Jésus avait en lui-même la conscience qu’il était le Fils du Père, et que cette notion ne dépendait en aucune façon d’une révélation extérieure. Une telle révélation eut lieu plus tard, lorsque l’homme Jésus-Christ fut scellé du Saint Esprit, ainsi qu’il le dit lui-même : «Lui que le Père, Dieu, a scellé» (Jean 6:27). Mais j’insiste sur le fait qu’à l’âge de douze ans, Jésus avait la conscience intime qu’il était le Fils de Dieu, comme aucun autre homme quelconque ne pouvait l’être, et cela sans que personne le lui eût enseigné. En même temps, nous le voyons agir aussi parfaitement comme Fils de l’homme que comme Fils de Dieu ; il retourne avec ses parents à Nazareth «et leur était soumis». Telle fut dès son enfance cette personne divine, tel fut cet homme, parfait dans toutes les relations qui pouvaient être compatibles avec sa divinité.

1.3   [Chapitre 3]

Le chapitre 3 ouvre une scène nouvelle. «En la quinzième année du règne de Tibère César (les hommes passent, et légère est la trace laissée par les grands de la terre), Ponce Pilate étant gouverneur de Judée, et Hérode tétrarque de Galilée, et Philippe, son frère, tétrarque de l’Iturée et de la contrée de Trachonite, et Lysanias tétrarque d’Abilène, du temps d’Anne et de Caïphe, souverains sacrificateurs, la parole de Dieu vint à Jean, fils de Zacharie, au désert». Quel étrange état de choses ! Le pouvoir impérial est passé en d’autres mains ; l’Édomite est dans le pays — confusion politique ; — puis confusion dans l’ordre religieux. Deux souverains sacrificateurs à la fois ! Mais aucun changement quelconque survenu dans le monde ne pouvait arrêter les conseils de la grâce, qui se plaît au contraire à prendre les hommes et les choses dans leur pire état, afin de montrer ce que Dieu est envers les misérables. Jean-Baptiste apparaît ici avec le caractère particulier attribué à sa personne, selon le plan de l’Évangile de Luc : «Il alla dans tout le pays des environs du Jourdain, prêchant le baptême de la repentante en rémission de péchés». Son témoignage est remarquablement étendu : «Toute vallée sera comblée», dit-il, «et toute montagne et toute colline sera abaissée .... et toute chair verra le salut de Dieu». Cette citation d’Ésaïe le met virtuellement en contact avec les gentils, et indique que la grâce élargit sa sphère d’action. La manière dont Jean s’adresse à la foule est caractéristique sous ce rapport : point de reproches spécialement adressés, comme en Matthieu, aux Pharisiens et aux Sadducéens qui viennent à son baptême ; c’est la multitude qu’il tance, mais en avertissant chaque classe en particulier. C’était absolument comme au temps des prophètes ; ils n’étaient point devenus meilleurs ; l’homme restant pécheur et éloigné de Dieu, qu’importaient les privilèges juifs lorsque manquaient la repentance et la foi ? À quelle corruption leur incrédulité ne les avait-elle pas conduits ? «Race de vipères, qui vous a avertis de fuir la colère qui vient ? Faites donc des fruits dignes de la repentance, et ne vous mettez pas à dire en vous-mêmes : Nous avons Abraham pour père». Cela nous explique les détails qui suivent, et pourquoi Jean s’occupe des devoirs de chacune des classes d’hommes qui se présentent devant lui ; chose importante à noter, car Dieu pense aux âmes, et partout où s’exerce une véritable discipline morale selon la pensée de Dieu, elle s’occupe des hommes tels qu’ils sont, dans les circonstances de leur vie journalière. Publicains, soldats, le peuple en général, tous reçoivent la réponse qui sied à leur condition. En parlant de cette repentance, qui doit accompagner nécessairement la réception de l’Évangile, il est indispensable de ne pas oublier que, tandis que tous se sont égarés, chacun en particulier est allé son propre chemin.

Vient ensuite le témoignage rendu au Messie : «Et comme le peuple était dans l’attente, et que tous raisonnaient dans leurs coeurs à l’égard de Jean, s’il ne serait point le Christ, Jean répondait à tous, disant : Pour moi, je vous baptise avec de l’eau, mais il en vient un plus puissant que moi, duquel je ne suis pas digne de délier la courroie des sandales ; celui-ci vous baptisera de l’Esprit Saint et de feu. Il a son van en sa main, et il nettoiera entièrement son aire et assemblera le froment dans son grenier ; mais il brûlera la paille au feu inextinguible. Et en faisant plusieurs autres exhortations, il évangélisait le peuple». Ici encore un trait distinctif et frappant de la manière de Luc. Après avoir fait entrer Jean-Baptiste en scène, il poursuit l’histoire de ce dernier avant de reparler du Seigneur Jésus. «Et Hérode le tétrarque, étant repris par lui au sujet d’Hérodias, la femme de son frère, et à cause de toutes les méchantes choses que Hérode avait faites, ajouta encore à toutes les autres, celle de mettre Jean en prison». Évidemment Luc s’écarte en cet endroit de l’ordre chronologique des faits qu’il rapporte. Quantité d’historiens, tant anciens que modernes, et des plus exacts, en ont agi de même. Au lieu de se borner rigoureusement à l’ordre des dates, à la façon des chroniqueurs et des annalistes, ils groupent divers faits ensemble de manière à en faire ressortir les causes secrètes, les conséquences cachées, et à mettre en relief ce qui, au milieu d’une multitude d’événements, mérite de fixer l’attention du lecteur. Après avoir parlé de Jean-Baptiste, Luc n’interrompt plus le récit de la vie de Jésus qu’au chap. 7, où le message des disciples de Jean entre dans l’exposé d’un sujet spécial. L’esquisse rapide qu’il nous donne de la conduite fidèle de Jean, du commencement à la fin de sa carrière, et des conséquences qui en résultèrent pour lui, est aussi claire que possible ; de sorte que, sans donner lieu à aucune équivoque, Luc peut mentionner le baptême de Jésus par Jean, aussitôt après avoir parlé de son arrestation. L’ordre chronologique cède évidemment ici à des motifs d’un ordre supérieur.

L’insertion de la généalogie de Jésus à cet endroit-ci : «Et Jésus lui-même commençait d’avoir environ trente ans, étant, comme on l’estimait, fils de Joseph», etc., semble étrange au premier abord. Mais la Parole a toujours raison, et la sagesse est justifiée par ses enfants. La scène juive est terminée ; ce que le Seigneur était pour Israël a été pleinement révélé au résidu pieux ; la grâce de Dieu et sa fidélité à ses promesses ont été prouvées d’une manière d’autant plus admirable, que cela s’est passé en face du dernier grand empire des gentils. L’ange avait visité Zacharie, Marie, les bergers ; Emmanuel était né de la vierge, Jean-Baptiste, plus grand que tous les prophètes, avait précédé le Christ. Témoignages inutiles, Israël n’était qu’une race de vipères, comme Jean lui-même l’avait dit aux foules. Toutefois, de la part de Christ, nous voyons que sa grâce ineffable se manifeste dès qu’il y en a quelques-uns qui écoutent l’appel de Jean ; dès la moindre manifestation de la vie divine dans les âmes. La confession qu’ils sont pécheurs, le fait qu’ils admettent la vérité de Dieu à l’égard de leur état, leur attire le coeur de Jésus. En Lui pas l’ombre même de péché, pas la plus légère trace de souillure, et pourtant il s’associe à ceux qui se font baptiser par Jean. Ce baptême était de Dieu ; et la grâce, la pure grâce divine en Jésus, le poussa seule à cet acte. Lui qui n’avait rien à confesser, rien dont il pût se repentir, il était précisément l’expression même de la grâce de Dieu, et ne pouvait se séparer de ceux dans le coeur desquels surgissait la moindre réponse à cette grâce. Aussi, pour le moment, Jésus ne prend-il pas des individus soit d’entre Israël, soit d’entre les hommes en général, pour les mettre à part et en relation avec Lui, mais il s’associe à ceux qui reconnaissent la vérité de leur condition morale aux yeux de Dieu ; il prend cette place avec eux, non qu’il ait besoin personnellement de faire quelque aveu semblable au leur, mais il s’unit à eux dans sa grâce. Or ce même principe apparaît pendant le cours entier de la carrière de Jésus ; et, quels que soient les changements survenus à sa mort, ou auparavant, ils n’en ont que révélé davantage la puissance et les vastes conséquences.

Qui donc était cet homme sur lequel, après son baptême et tandis qu’il priait, le ciel s’ouvrit, et le Saint Esprit vint descendre ? Sa généalogie remontait à Adam et à Dieu ; il était «Fils d’Adam et Fils de Dieu». Il allait être mis à l’épreuve comme Adam, ou plutôt comme Adam ne l’avait jamais été ; car ce n’était pas dans un paradis, mais dans un désert, que ce second Adam devait trouver son tentateur. Au milieu de la ruine de ce monde, dans la scène de la mort, au-dessus de laquelle était suspendu le jugement de Dieu, dans des circonstances telles qu’il ne s’agissait plus d’innocence, mais de la puissance divine en sainteté, entourée du mal, là même où il n’y avait ni nourriture, ni breuvage, ce second Adam, réellement homme, resta dépendant de Dieu et vécut de la parole de Dieu. Tel a été, et bien davantage encore, l’homme Jésus-Christ. Aussi la généalogie de Jésus me paraît-elle se trouver ici précisément à l’endroit où elle devait être dans l’Évangile de Luc (ce qui a lieu à coup sûr, quand même nous ne le remarquerions pas), tandis qu’en Matthieu, son insertion après le récit du baptême, eût été étrange et hors de place, parce que la première des choses qu’il importait de faire connaître à un Juif, c’était la naissance du Christ selon les prophéties de l’Ancien Testament, du Fils qui avait été donné, de l’enfant qui était né, selon que l’avaient annoncé Ésaïe et Michée. Ici, au contraire, nous voyons le Seigneur dans son humanité, manifestant la grâce parfaite en un homme, l’absence totale de péché, et néanmoins se mettant sur le même pied que ceux qui confessaient leurs péchés ; un homme qui, quoique fils d’Adam, prouva qu’il était le Fils de Dieu.

1.4   [Chapitre 4]

Le chapitre 4 part de ce point de vue. La tentation y est envisagée sous son aspect moral, au lieu que Matthieu considère Jésus comme tenté en sa qualité d’homme, de Messie, et de Fils de l’homme. Là, dans la première tentation, le Seigneur parle de Lui-même comme d’un homme qui ne vit pas seulement des ressources de la nature, mais encore de la parole de Dieu ; dans la seconde, il est tenté comme Messie, et sa réponse est conforme à ce caractère ; dans la dernière, il s’agit évidemment de la gloire du Fils de l’homme. L’ordre suivi par Matthieu est, sans aucun doute, celui dans lequel la tentation a eu réellement lieu. Dans la première, il s’agissait de savoir si Jésus abandonnerait sa position d’homme. Or, pour l’homme, garder la parole de Dieu vaut mieux que la vie ; et la seule manière de vivre que Jésus estimât, c’était de vivre «de toute parole qui sort de la bouche de Dieu». Telle est pour l’homme la perfection. La foi est assurée que Dieu sait avoir soin de nous. Quant à l’homme, son devoir est de garder la parole de Dieu, et Dieu, de son côté, ne manquera point de le protéger. Par la réponse du Seigneur, Satan était battu. Alors il le tenta d’une autre manière, en citant le Psaume 91, qui parle clairement du Messie. Jésus ne pouvait démentir ces paroles, puisqu’il agissait d’après elles. Mais s’il était vraiment le Messie, pourquoi ne pas éprouver Dieu en s’appuyant sur la promesse contenue dans ce Psaume ? Satan fut battu pour la seconde fois. La dernière tentation enfin s’adresse à Jésus en sa qualité de Fils de l’homme, auquel écherront en partage tous les royaumes de la terre. Le diable Lui offre la possession et la jouissance immédiate de cette gloire ; mais Jésus ne voulait la recevoir que de Dieu seul, comme le rejeté des hommes et Celui qui aurait souffert à cause du péché ; non point en sa qualité de Messie vivant alors sur la terre, ni comme pressé de voir les promesses accomplies en sa faveur. Quoique les royaumes du monde dépendissent du Prince de ce monde, il n’appartenait cependant qu’à Dieu de les donner ; enfin, comment Jésus eût-il pu les accepter au prix de rendre hommage à Satan ? De toute manière les efforts du diable devaient nécessairement échouer, et il se retira sur le commandement de Jésus : «Va arrière de moi, Satan, car il est écrit : Tu rendras hommage au Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul». Tel est l’ordre historique de la tentation, et en même temps le point de vue spécial de Matthieu, parfaitement approprié au dessein que le Saint Esprit s’est proposé dans son Évangile.

Marc ne consacre à la tentation que quelques traits rapides, mais énergiques : «Et aussitôt l’Esprit le pousse dans un désert. Et il fut là au désert quarante jours, tenté par Satan ; et il était avec les bêtes sauvages ; et les anges le servaient».

Quant à Luc, il ne se contente pas d’une simple mention, mais en revanche il intervertit l’ordre des faits, chose d’autant plus grave, en apparence, qu’il agît sciemment ; car je ne doute pas qu’il n’eût connaissance du récit antérieur de Matthieu. J’espère démontrer néanmoins qu’en s’écartant de l’ordre chronologique, Luc, sous la direction évidente du Saint Esprit, nous présente la tentation du Seigneur au point de vue qui, seul, était conforme au caractère de son Évangile. Ici, de même qu’en Matthieu, Jésus est d’abord tenté comme homme, car c’est par là que doit commencer nécessairement tout récit de la tentation : dès que même le Fils de Dieu devait être tenté par Satan, cela n’était possible, à coup sûr, qu’en sa qualité d’homme. Mais aussitôt après, l’ordre est interverti, et Satan offre à Jésus les royaumes du monde. Tandis qu’en Matthieu, cette tentation, la dernière, met en relief le changement de dispensation qui devait résulter du rejet de Jésus par les Juifs, les tentations sont ici graduées selon leur importance morale et augmentent en intensité à mesure qu’elles se succèdent. Telle me paraît être l’explication du changement contenu dans le récit de Luc. La première tentation y a trait aux besoins corporels. Dieu avait-il ordonné à Jésus qu’il se passât de nourriture, et Jésus n’avait-il pas le droit et le pouvoir de transformer des pierres en pain ? Mais la foi maintient les droits de Dieu, reste dépendante de Lui et assurée qu’il interviendra au moment opportun. La seconde tentation contient l’offre la plus séduisante possible pour un homme de bien, qui désire répandre le bien autour de lui. Mais Jésus ne voulait donner gloire qu’à Dieu, l’adorer, le servir Lui seul. L’adoration de Dieu, l’obéissance à sa volonté, c’est le bouclier contre toutes les séductions semblables de la part de Satan. Dans la dernière tentation enfin, le diable se sert des paroles de Dieu, faisant appel aux sentiments spirituels de Celui qu’il voulait séduire. Une tentation spirituelle est bien plus subtile et dangereuse pour une personne sainte, que tout autre genre de tentation s’adressant soit à des besoins corporels, soit à des désirs en rapport avec ce monde. Luc nous présente donc ici, au point de vue moral, trois degrés différents : une tentation corporelle, une tentation mondaine et une tentation spirituelle. À cet effet, il intervertit leur ordre historique, tandis que Matthieu le conserve avec soin, lui qui, dans d’autres cas et selon les desseins spéciaux que le Saint Esprit s’est proposé dans son Évangile, s’en écarte plus souvent que ne le font même Luc ni Jean. Dans le récit que nous étudions, la portée morale de la tentation de Jésus ressort d’une manière frappante et instructive par le fait même que Luc nous la rapporte dans un ordre différent de celui où elle a eu lieu. Aussi les meilleurs manuscrits ne contiennent-ils point les paroles du verset 8 : «Va arrière de moi Satan, car ...» omission indispensable, dès que la dernière tentation remplace la seconde ; mais les copistes ayant ajouté dans le récit de Luc ces paroles empruntées à celui de Matthieu, il en résulte dans le texte reçu, comme aussi dans toutes les traductions faites d’après ce texte, que Satan, loin d’obéir à l’ordre de Jésus, Lui tient tête et continue à l’éprouver, tandis que le premier Évangile nous rapporte au contraire qu’il s’est retiré aussitôt devant l’expression de l’indignation de Jésus. Il y a donc une preuve interne plus décisive encore que celle des manuscrits les plus importants, qui nous empêche d’admettre l’interpolation citée plus haut. Le récit de Luc se termine par ces paroles parfaitement appropriées à la manière dont il nous a rapporté l’histoire de la tentation : «Et ayant accompli toute tentation, le diable se retira d’avec Lui pour un temps». Les mots «arrière de moi, Satan», ne pouvaient être placés ici à la fin, comme en Matthieu, puisqu’ils n’avaient pas été prononcés à cette occasion. De plus, Luc nous annonce que le diable devait revenir à une autre époque, ce qui eut lieu, en effet, vers la fin de la vie de Jésus, afin de le tenter d’une manière bien plus sérieuse encore, et dont nous trouvons dans cet Évangile un récit particulièrement détaillé ; car c’est Luc qui avait la mission spéciale de présenter à nos yeux la portée morale de l’agonie de Jésus en Gethsémané.

Au verset 14, il nous est dit que «Jésus s’en retourna en Galilée, dans la puissance de l’Esprit». L’homme était vainqueur de Satan. Le second Adam sort de la lutte avec une force qui s’était prouvée, et avait triomphé dans l’obéissance. Quel usage fait-il de cette puissance ? Il se rend dans sa province méprisée et y enseigne. «Sa renommée se répandit dans tout le pays d’alentour, et il enseignait dans leurs synagogues, étant glorifié par tous. Et il vint à Nazareth où il avait été élevé». Le fait mentionné ensuite, vers. 16, etc., n’est raconté en détail que dans l’Évangile de Luc. Lui seul nous a fourni par l’Esprit de Dieu cette peinture vivante et caractéristique du commencement du ministère de Jésus au milieu des hommes, selon les desseins et les voies de la grâce divine. Les actes de puissance n’étaient que des rayons de sa gloire. Tandis que Marc nous raconte que le Seigneur enseignait comme aucun des scribes, et nous le montre ensuite chassant un démon devant la foule émerveillée (1:21-28) ; tandis que Matthieu fait inaugurer le ministère de Jésus par une quantité de miracles qui mettent le sceau de Dieu sur sa doctrine (4:23, 24) ; et que Jean enfin nous le montre s’occupant des âmes en particulier, attirant à Lui les coeurs de quelques individus, qu’il appelle à devenir ses disciples (1:35, etc), le commencement du ministère de Jésus nous est présenté en Luc, à un point de vue tout différent. «Il entra dans la synagogue le jour du sabbat, selon sa coutume, et se leva pour lire. Et on lui donna le livre du prophète Ésaïe, et ayant déployé le livre, il trouva le passage où il était écrit : L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a oint pour annoncer de bonnes nouvelles aux pauvres ; il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le coeur froissé ; pour publier aux captifs la délivrance, et aux aveugles le recouvrement de la vue ; pour mettre en liberté ceux qui sont foulés, et pour publier l’an agréable du Seigneur. Et ayant ployé le livre, et l’ayant rendu à celui qui était de service, il s’assit ; et les yeux de tous ceux qui étaient dans la synagogue étaient arrêtés sur lui. Et il se mit à leur dire : Aujourd’hui cette écriture est accomplie, vous l’entendant». Celui qui parlait ainsi est Dieu, mais c’est de Lui comme homme qu’il était dit : L’Esprit du Seigneur est sur moi ; c’était l’homme Jésus-Christ, que l’Esprit du Seigneur avait oint pour annoncer de bonnes nouvelles aux pauvres. En cet homme était contenue alors la grâce de Dieu sur la terre, et c’est ainsi qu’il était désigné par l’Écriture. Cette application du passage d’Ésaïe convient admirablement à l’Évangile de Luc, et à lui seul ; car, du commencement à la fin, il développe le contenu de ces paroles, et nous présente la personne de Jésus en accord avec elles. «Et tous lui rendaient témoignage, et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche». Mais aussitôt l’incrédulité s’en mêle : «Et ils disaient : Celui-ci n’est-il pas le fils de Joseph ? Mais il leur dit : Assurément vous me direz ce proverbe : Médecin, guéris-toi toi-même ; fais ici aussi dans ton pays toutes les choses que nous avons ouï dire qui ont été faites à Capernaüm». Jésus avait déjà été à l’oeuvre dans la ville que Matthieu nomme «sa cité», mais l’Esprit passe cela complètement sous silence, afin de mettre pleinement en relief «la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ qui, étant riche, à vécu dans la pauvreté pour nous, afin que par sa pauvreté nous fussions enrichis». Au vers. 24, Jésus ajoute : «En vérité, je vous dis, qu’aucun prophète n’est reçu dans son pays ; et en vérité, je vous dis, qu’il y avait plusieurs veuves en Israël, aux jours d’Élie, lorsque le ciel fut fermé, trois ans et six mois, de sorte qu’il y eut une grande famine par tout le pays ; mais Élie ne fut envoyé vers aucune d’elles, sinon à Sarepta de Sidon vers une femme veuve». Plus tard seulement (chap. 5 et 7), Jésus appelle un publicain et exauce un gentil ; mais ici il parle de la grâce de Dieu contenue dans ces Écritures mêmes, que les Juifs lisaient et entendaient sans les comprendre. Telle est sa réponse à l’incrédulité de ceux qui étaient ses frères selon la chair. Qu’ils sont solennels les avertissements de la grâce ! Une veuve païenne, non pas une Juive, avait été l’objet de cette grâce divine, durant les jours de l’apostasie d’Israël ; «il y avait aussi plusieurs lépreux en Israël du temps d’Élisée le prophète, mais aucun d’eux ne fut rendu net, sinon Naaman le Syrien». Ces paroles de Jésus excitent sur-le-champ la colère et la jalousie de ceux qui, peu d’instants auparavant, s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. «S’étant levés, ils le chassèrent hors de la ville, et le menèrent jusqu’au bord escarpé de la montagne sur laquelle leur ville était bâtie, pour l’en précipiter. Mais lui, passant au milieu d’eux, s’en alla. Et il descendit à Capernaüm, ville de Galilée, et il les enseignait les jours de sabbat, et ils s’étonnaient de sa doctrine, parce que sa parole était avec autorité». C’est toujours la Parole qui, en Luc, a une importance particulière, parce qu’elle est l’expression de ce qu’est Dieu par rapport à l’homme et, en même temps, la pierre de touche qui met le coeur de l’homme à l’épreuve. Cet Évangile révèle donc essentiellement, d’une part ce que Dieu est vis-à-vis de l’homme, de l’autre ce qu’est l’homme, pleinement manifesté par la parole de Dieu. Ainsi, d’un côté, c’est la grâce de Dieu mise en lumière, de l’autre, la méchanceté de l’homme prouvée moralement, non plus seulement par la loi, mais davantage encore, par la parole de Dieu et la personne de Christ. Toutefois l’homme hait cette parole. Comment s’en étonner ? Quoique pleine de miséricorde, elle ne laisse aucune place à l’orgueil, à la vanité, à la propre justice ; elle exclut et annule tout ce qui donne de l’importance à l’homme. Il n’y a qu’un seul bon, c’est Dieu.

Mais outre ces deux points capitaux, nous voyons encore ici une chose essentielle : la puissance de Satan est active ici-bas ; elle l’était alors d’une manière si générale, si évidente, qu’on ne pouvait le nier, et si l’incrédulité des hommes les empêchait de comprendre la gloire de Jésus, Satan au moins en sentit la puissance. «Il y avait dans la synagogue un homme qui avait un esprit de démon immonde ; et il s’écria à haute voix, disant : Qu’y a-t-il entre nous et toi, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous détruire ? Je te connais, et je sais qui tu es : le Saint de Dieu». Remarquez à ce propos comment Jésus, à la fois l’accomplissement de la loi et des prophètes et Celui qui les accomplit, d’abord l’Oint du Seigneur selon la prédiction d’Ésaïe, est ici reconnu par les démons comme le Saint de Dieu, plus tard (vers. 41) comme le Christ (l’oint), le Fils de Dieu (au chap. 5, il agit plutôt sous le caractère d’Éternel). «Et Jésus le tança, disant : Tais-toi, et sors de lui ; et le démon, l’ayant jeté au milieu de tous, sortit de lui, sans lui avoir fait aucun mal». Il y avait donc en Christ, outre la grâce pour les besoins de l’homme, la puissance directe sur Satan ; ayant remporté la victoire, c’est maintenant en faveur de l’homme qu’il use de son pouvoir sur le diable. Vient ensuite la guérison de la belle-mère de Pierre ; puis il est ajouté au vers. 40 : «Comme le soleil se couchait, tous ceux qui avaient des malades de diverses maladies, les lui amenèrent ; et ayant imposé les mains à chacun d’eux, il les guérit. Et les démons aussi sortaient hors de plusieurs, criant et disant : Tu es le Christ, le Fils de Dieu. Mais il les tança fortement ; et il ne leur permettait pas de parler, parce qu’ils savaient qu’il était le Christ». Nous retrouvons ce même trait dans les Évangiles précédents. Au lieu de chercher à exercer de l’influence et d’en profiter, Jésus s’en va dès qu’il aperçoit que ses miracles attirent l’attention de la foule. Lui, le Saint de Dieu, il marche dans le chemin de la foi, refusant tous les hommages qui, s’adressant à Lui comme homme, eussent pu ternir sa gloire. Lorsque la foule le suit jusque dans le lieu désert où il s’est retiré, il déclare qu’il lui faut annoncer le royaume de Dieu aux autres villes aussi, ayant été envoyé pour cela ; «et il prêchait dans les synagogues de la Galilée».

1.5   [Chapitre 5]

Le chapitre 5 commence par un incident, que Luc nous rapporte en contradiction complète avec l’époque où il s’est réellement passé, c’est l’appel des premiers apôtres, celui de Simon en particulier ; car c’est lui qui nous est présenté ici comme l’objet spécial de la grâce du Seigneur, quoique d’autres aussi, appelés en même temps, aient tout laissé pour suivre Jésus. Ainsi, en d’autres occasions, nous avons observé que l’attention est attirée soit sur un seul démoniaque, soit sur un seul aveugle, tandis qu’en réalité il y en avait plusieurs. Or nous savons, par le récit de Marc, que l’appel de Simon a eu lieu avant la guérison de sa belle-mère, tandis que Jean nous a consigné dans son Évangile la première entrevue de Simon avec Jésus (1:35, etc.). Luc a d’abord présenté la grâce de Jésus au milieu des hommes et en leur faveur, depuis son apparition dans la synagogue de Nazareth jusqu’à l’époque où, après avoir passé par Capernaüm, il est dit qu’il prêchait dans toutes les synagogues de la Galilée, chassant les démons et guérissant les malades sur sa route. C’est donc essentiellement le déploiement en Lui de la puissance de Dieu par la Parole, contre Satan et toutes les infirmités humaines. Or Luc nous fournit d’abord une esquisse complète de la manifestation de cette puissance divine, au lieu de l’interrompre par l’appel de Simon qui méritait en outre, vu l’importance même de la manière dont le Seigneur agit en cette occasion, une mention distincte et spéciale. Telle est la méthode de Luc ; il classe les événements selon leur valeur morale, au lieu de les énumérer dans leur ordre historique.

«Or il arriva, comme la foule se jetait sur lui pour entendre la parole de Dieu, qu’il se tenait sur le bord du lac de Génézareth ; et il vit deux nacelles qui étaient au bord du lac, mais les pêcheurs en étaient descendus, et lavaient leurs filets. Et montant dans l’une des nacelles qui était à Simon, il le pria de s’éloigner un peu de terre ; et s’étant assis, il enseignait les foules de dessus la nacelle. Or, quand il eut cessé de parler, il dit à Simon : Mène en pleine eau, et lâchez vos filets pour la pêche. Et Simon, répondant, lui dit : Maître, nous avons travaillé toute la nuit, et nous n’avons rien pris ; mais sur ta parole, je lâcherai le filet». La parole de Jésus est la première chose qui met Simon à l’épreuve. Il avait déjà travaillé toute la nuit en vain ; mais la parole du Seigneur lui suffit. «Et ayant fait cela, ils enfermèrent une grande quantité de poissons, et leur filet se rompait. Et ils firent signe à leurs compagnons dans l’autre nacelle de venir les aider ; et ils vinrent et remplirent les deux nacelles, de sorte qu’elles enfonçaient». Nous voyons ensuite l’effet moral produit par la parole de Jésus dans le coeur de Simon : «Quand Simon Pierre eut vu cela, il se jeta aux genoux de Jésus, disant : Seigneur, retire-toi de moi ; car je suis un homme pécheur». Rien de plus naturel pour une âme saisie non point seulement par l’oeuvre miraculeuse qui venait d’être opérée, mais encore par une preuve aussi éclatante qu’on pouvait se confier implicitement en la parole du Seigneur, et que la puissance divine accompagnait aussitôt la parole de l’homme Jésus-Christ. La conscience de Pierre est tout à coup éclairée sur son état de péché ; la parole de Christ a fait pénétrer la lumière divine dans son âme : «Retire-toi de moi, car je suis un homme pécheur». Ces mots exprimaient un sentiment réel du péché et le confessaient sans réserve ; toutefois, l’attitude de Pierre aux pieds de Jésus nous montre que le Seigneur, en se retirant de lui, eût été bien loin d’exaucer le désir de son coeur, quoique Pierre sentît dans sa conscience qu’il ne méritait pas autre chose. C’est que jamais encore, il n’avait été aussi profondément convaincu de son état de péché. Déjà son coeur avait été lié à Christ par un attrait véritable ; d’après ce qui nous est raconté autre part, nous pouvons présumer que Pierre était né de Dieu avant cet incident ; il avait déjà connu et entendu la voix de Jésus (Jean 1:43). Mais maintenant la Parole l’a tellement pénétré et sondé, que les mots qu’il adresse au Seigneur, quoique contredisant en apparence le fait qu’il se jette à ses genoux, expriment véritablement le sentiment de son âme. Car il y avait à la fois ces deux choses en Pierre : d’une part, un attachement profond pour la personne de Jésus, un besoin impérieux de sa présence pour la joie de son coeur ; de l’autre, une conviction si intime et profonde de son indignité d’être avec le Seigneur, qu’elle le força à prononcer sa propre condamnation, dans un sens directement opposé à tous ses désirs. Plus il découvrait ce qu’était Jésus, plus Pierre sentait en même temps combien il était indigne de se trouver dans la compagnie d’une personne telle que Lui. Voilà toujours l’effet produit par la grâce dans les commencements de son oeuvre ; je dis : dans les commencements, ce qui ne signifie point que la grâce produise cet effet dès qu’elle agit en l’homme, car l’oeuvre de Dieu dans l’âme n’est point aussi accélérée qu’on s’imagine qu’elle doit l’être.

La réponse du Seigneur est pleine de grâce et d’encouragement : «Ne crains pas, dorénavant tu prendras des hommes». En m’arrêtant sur ce commencement du chapitre 5, j’ai voulu faire ressortir la force morale de notre Évangile. Nous voyons ici, en Christ, une personne divine qui, en déployant la connaissance et la puissance de Dieu, se révélait elle-même en grâce, mais aussi moralement à la conscience, quoique la grâce dissipât toute frayeur, qui devait nécessairement résulter de cette révélation morale.

Après cela, Jésus guérit un lépreux, et pardonne les péchés du paralytique, nouvelles preuves de la présence de l’Éternel, et accomplissement partiel de ce qui est annoncé au Ps. 103, touchant le peuple juif. Mais Jésus était aussi le Fils de l’homme. Tel était le mystère de sa personne présente en grâce. La puissance de Dieu se trouvait et se déployait en un homme qui vivait dans une dépendance absolue de Lui. Après l’appel de Lévi, vient la réponse du Seigneur à ceux qui lui demandent pourquoi ses disciples ne jeûnent pas comme ceux de Jean et des Pharisiens. Jésus montre qu’il n’ignorait nullement l’effet que la réalité de la grâce devait produire sur le coeur humain, lorsqu’elle était introduite au milieu de personnes accoutumées à la loi. Impossible de mettre le vin nouveau de la grâce dans les outres usées des ordonnances humaines. Il ajoute ici une vérité qui ne se trouve dans aucun des autres Évangiles, c’est qu’en présence des choses nouvelles qui lui sont offertes de la part de Dieu, l’homme préfère l’ancien système religieux avec ses sentiments, ses pensées, ses doctrines, ses habitudes, sa manière de vivre : «Il n’y a personne qui ait bu du vieux, qui veuille aussitôt du nouveau, car il dit : le vieux est meilleur». Oui, l’homme préfère la loi avec son obscurité, son incertitude, la distance qu’elle met entre Dieu et lui, à cette grâce divine infiniment plus précieuse, qui en Christ manifeste Dieu à l’homme, et par le sang de la croix amène l’homme à Dieu.

1.6   [Chapitre 6]

Ce même sujet nous est présenté dans deux incidents qui se terminent au verset 12 du chapitre 6, et qui ont lieu le jour du sabbat. Le Seigneur n’arrache pas lui-même des épis de blé comme ses disciples, mais il prend leur défense au point de vue moral. Au chap. 12 de Matthieu, où les mêmes faits nous sont rapportés, mais avec quelques différences dans les paroles de Jésus, il s’agit plutôt de mettre en relief le changement de dispensation qui allait avoir lieu (vers. 6, 7), tandis qu’en Luc c’est toujours le point de vue moral qui prédomine. La même remarque s’applique à la guérison de l’homme qui avait une main sèche, où Jésus défie pour ainsi dire les Pharisiens et les scribes venus pour l’accuser. Le sabbat, sceau de l’ancienne alliance, n’avait jamais été donné de Dieu afin de limiter sa bonté envers les affligés et les malheureux ; mais l’homme en avait abusé. Or le Fils de l’homme était Seigneur du sabbat, et rien ne saurait empêcher la grâce de bénir l’homme et de glorifier Dieu. Le seul résultat de cette guérison est, pour Jésus, la haine déclarée de ses adversaires qui dès lors complotent de le tuer.

«Or il arriva, en ces jours-là, qu’il s’en alla sur une montagne pour prier, et qu’il passa toute la nuit à prier Dieu ; et quand le jour fut venu, il appela ses disciples, et en choisit douze d’entre eux». Cet appel des douze apôtres, c’est-à-dire de ceux d’entre ses disciples qui devaient surtout le représenter après son départ, nous amène à ce qu’on nomme communément le sermon sur la montagne. Il y a des différences notables dans la manière dont Luc et Matthieu nous rapportent les discours de Jésus à cette occasion ; elles font ressortir d’une manière frappante le caractère et le but spécial de chacun de ces deux Évangiles. Luc met en contraste les malheurs et les bénédictions, tandis que Matthieu ne mentionne que ces dernières, et il est même évident que les malheurs cités par lui au chap. 23, n’ont point été prononcés lors du sermon sur la montagne. En mentionnant la partie solennelle du discours de Jésus, Luc introduit ici à côté de la grâce qui en appelle au coeur, un sérieux avertissement pour la conscience. Voici une autre différence : en Matthieu, Christ est plutôt représenté comme le législateur, d’autant supérieur à Moïse qu’il est l’Éternel, Emmanuel ; outre qu’il renchérit sur les commandements de la loi judaïque, il révèle des principes nouveaux d’une telle importance, qu’ils éclipsent ce qui avait été autrefois communiqué à Israël. Tout en maintenant l’autorité de la loi et des prophètes, Jésus introduit un changement immense, en harmonie avec la gloire de Celui qui parlait alors du haut de la montagne et avec la révélation du nom du Père. Plus tard, lors de la présence du Saint Esprit en puissance sur la terre, bien d’autres choses encore furent communiquées aux apôtres, ainsi que le Seigneur le leur avait annoncé Lui-même (voyez Jean 16). Ici, en revanche, dans l’Évangile de Luc, le point de vue est autre : Christ n’est pas représenté comme établissant de nouveaux principes par rapport à la loi, ni comme décrivant les diverses classes de personnes qui peuvent avoir part au royaume ; mais il s’adresse exclusivement à ses disciples, comme à ceux qui prenaient place avec Lui dans l’affliction et la persécution. Aussi n’est-il pas dit : «Bienheureux les pauvres», mais : «Bienheureux, vous pauvres, car le royaume de Dieu est à vous ; bienheureux, vous qui maintenant avez faim, car vous serez rassasiés ; bienheureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez». Il s’agissait de souffrances et d’afflictions qui avaient déjà lieu, car Celui qui accomplissait les promesses, les Psaumes, les prophètes, était rejeté, et il fallait encore qu’il souffrît beaucoup (Matth. 16:21), avant que le royaume pût apparaître en gloire et en puissance. Tandis qu’en Matthieu le discours du Seigneur avait une portée générale, il s’adresse ici directement au coeur des disciples, et les promesses s’appliquent à eux personnellement.

C’est entre autres aussi pour cette raison, que Luc ne mentionne point les souffrances à cause de la justice. Matthieu cite deux sortes de souffrances : «Bienheureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux». «Vous serez bienheureux, quand on vous injuriera et qu’on vous persécutera, et quand, à cause de moi, en mentant, on dira contre vous toute espèce de mal. Réjouissez-vous et tressaillez de joie, car votre récompense est grande dans les cieux». Dans ce dernier cas, la bénédiction est particulièrement signalée. En Luc, il ne s’agit que d’une seule cause de persécution : «Vous êtes bienheureux, quand les hommes vous haïront, et vous retrancheront, et vous insulteront, et rejetteront votre nom comme mauvais, à cause du Fils de l’Homme. Réjouissez-vous en ce jour-là, et tressaillez de joie, car voici votre récompense est grande dans le ciel». Qu’il est précieux d’entendre ici le grand témoin de la grâce parler Lui-même, dans l’esprit de cette grâce, et signaler la souffrance à cause de Lui, comme le trait distinctif de la persécution. Ceux qui souffrent pour la justice sont aussi sûrs de la bénédiction que les autres, et chacun de ces deux genres de persécution est précieux à sa place ; mais la part la moins heureuse n’est, dans tous les cas, pas celle que mentionne spécialement le discours du Seigneur dans cet Évangile-ci, qui nous a tout particulièrement en vue, nous qui étions autrefois des pécheurs d’entre les nations.

Ici, les différents sujets traités dans le sermon sur la montagne, n’apparaissent point comme autant de contrastes avec la loi, ainsi que les présente Matthieu ; il n’est pas question non plus de la valeur de la justice faite en secret devant Dieu (Matth. 6:2, 3), ni de la confiance en sa tendre sollicitude (Matth. 6:24, etc.), mais de la grâce pratique, laquelle recevra sa récompense : «Aimez vos ennemis, et faites du bien, et prêtez sans en rien espérer ; et votre récompense sera grande, et vous serez les fils du TrèsHaut... Soyez donc miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux». Les deux paraboles qui terminent le chapitre, ont trait, l’une à l’aveuglement des conducteurs de la religion traditionnelle et mondaine, l’autre à la nécessité de mettre les paroles du Seigneur en pratique, parce que celui qui se contente d’enseigner les autres, sans obéir pour son propre compte, va au-devant d’une ruine certaine.

Nous verrons, dans le chapitre suivant, que le Seigneur montre, d’une manière encore plus évidente, que la grâce ne pouvait se borner aux limites de la nation juive, et que sa puissance était absolument souveraine, indépendante non seulement des liens naturels qui le rattachaient à Israël, mais encore de la mort elle-même. Auparavant, je voudrais encore en quelques mots attirer l’attention sur un autre trait particulier au récit de Luc. Il est curieux de voir que cet écrivain a passé sous silence diverses parties du sermon sur la montagne, afin de les insérer ailleurs, soit comme commentaire des incidents qu’il raconte, soit à cause des rapports qu’elles offrent avec eux. C’est donc toujours la même méthode que nous avons constatée plus haut. Luc groupe les conversations du Seigneur selon leur caractère moral, tandis que Matthieu, partant d’un autre point de vue, a au contraire encadré dans le sermon sur la montagne, plusieurs discours du Seigneur qui furent prononcés en d’autres occasions. Nul doute qu’il n’y ait eu diverses questions adressées à Jésus pendant qu’il enseignait alors, et il a plu au Saint Esprit de nous en donner des exemples dans ces morceaux détachés du sermon sur la montagne, que nous rencontrons à diverses reprises dans toute la partie centrale de l’Évangile de Luc, laquelle se compose principalement de faits rattachés les uns aux autres, selon leur caractère moral, accompagnés des remarques qui en ont résulté ou bien qui s’y adaptent, et que l’auteur a alors insérées en les détachant de leur milieu primitif.

1.7   [Chapitre 7]

Nous trouvons, au commencement du chapitre 7, la guérison du serviteur d’un centurion, racontée avec des détails qui diffèrent singulièrement de ceux qui sont contenus dans le récit de Matthieu (8:5, etc.). Luc nous dit que le centurion envoya vers Jésus des anciens des Juifs. Quelqu’un qui ne comprendrait pas le dessein spécial de cet Évangile, et aurait seulement entendu dire que Luc écrivit particulièrement pour les gentils, aurait lieu d’être fort surpris de cette mention particulière. Matthieu ne dit rien de l’envoi des anciens, lui qui s’adresse précisément aux Juifs, tandis que c’est au contraire dans son Évangile, et non dans celui de Luc, que cette indication semblerait devoir trouver sa place. La personne dont je parle en tirerait la conclusion, bien simple à première vue, qu’il n’existe pas d’Évangile adressé soit aux Juifs, soit aux gentils, et que c’est une pure fantaisie que d’attribuer à tel ou tel récit inspiré de la vie du Seigneur, un but distinct et spécial. Or j’estime, au contraire, que l’omission de ce détail par Matthieu et sa mention dans l’Évangile de Luc, sont une nouvelle preuve évidente des buts différents que poursuivent ces deux écrivains. Luc, en sa qualité de gentil, appuie sur l’hommage rendu par le centurion aux Juif, selon la place particulière que Dieu leur avait assignée, ce qui nous rappelle le chap. 11 de l’épître aux Romains, où l’apôtre de l’incirconcision exhorte sérieusement les gentils à ne point s’enfler d’orgueil à cause de la bonté de Dieu à leur égard et de sa sévérité envers les Juifs, de peur qu’eux aussi ne fussent retranchés, s’ils étaient sages à leurs propres yeux et ne persévéraient pas dans la bonté de Dieu. Ici, le centurion fait preuve de sa foi et de son humilité par la considération qu’il témoigne au peuple de Dieu, au lieu de parler arrogamment de sa confiance en Dieu seul. Je touche ici à un principe bien important à plus d’un point de vue. Il y a souvent une grande dose d’incrédulité orgueilleuse cachée sous la profession de ne dépendre que de Dieu seul, et de se passer complètement de tout secours humain. J’admets qu’il est nécessairement des cas, où Dieu seul doit agir, convaincre, satisfaire ; mais celui dont il est question ici nous fournit dans le sens contraire un utile enseignement. Dieu avait alors un peuple sur la terre, et le centurion romain reconnaît ce peuple comme étant, malgré son indignité, celui que Dieu a choisi entre tous ; il montre sa soumission aux voies et à la volonté de Dieu en s’adressant aux anciens des Juifs, afin qu’ils plaident la cause de son serviteur auprès de Jésus. Je vois dans cette action bien plus de foi et de cette vraie humilité qui en est le fruit, que si le centurion se fût adressé personnellement au Seigneur, sans tenir compte des hommes ; or cette humilité que produit la foi est un fait précieux partout où il se rencontre. Les anciens font à Jésus un éloge très véridique de celui qui les avait envoyés, mais ils l’ajoutent évidemment de leur propre chef : «Et étant venus à Jésus, ils le prièrent instamment, disant : Il est digne qu’on lui accorde cela, car il aime notre nation et nous a bâti une synagogue». La déférence que le centurion témoigna aux Juifs en cette occasion-là, n’était qu’une preuve nouvelle de l’affection qu’il leur portait à cause de sa piété. Ainsi que nous l’avons déjà constaté, Matthieu garde sur ce fait un silence absolu, signe évident de l’inspiration du Saint Esprit, puisque tout autre écrivain, s’adressant à des Juifs, se fût empressé au contraire de raconter un détail aussi flatteur pour eux, tandis que Matthieu ajoute même à l’adresse du peuple d’Israël un avertissement solennel qui est omis dans le récit de Luc : «Et je vous dis que plusieurs viendront d’Orient et d’Occident, et s’assiéront avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux ; mais les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres du dehors ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents» (Matth. 8:11, 12). En revanche, les deux Évangiles nous rapportent, presque dans les mêmes termes, les paroles d’admiration prononcées par Jésus en trouvant une pareille foi chez un gentil : «Et Jésus, avant entendu ces choses, l’admira, et se tournant vers la foule qui le suivait, il dit : Je vous dis que je n’ai pas trouvé, même en Israël, une si grande foi». Exhortation pour les Juifs croyants, dans l’Évangile de Matthieu, et encouragement pour les gentils, dans celui de Luc. La sagesse et la grâce de Dieu ressortent ainsi avec une grande beauté de la comparaison de ces deux Évangiles. Dans celui qui s’adresse aux Juifs, nous avons la bénédiction des gentils et l’avertissement d’Israël ; dans celui qui s’adresse aux gentils, le respect des Juifs et l’omission du jugement qui les concerne, parce que l’orgueil des gentils aurait pu s’en prévaloir.

La scène suivante (versets 11-17) n’est racontée que par Luc. Outre qu’il guérit, le Seigneur rend aussi la vie aux morts, à la fois avec une grâce et une majesté dignes de Lui, et en montrant, d’une manière frappante, qu’il comprend la douleur et l’affection humaines ; car non seulement Jésus ramène le mort à la vie par la puissance vivifiante qu’il possède, mais encore il est ému de compassion envers la mère, parce que c’est son fils unique qu’elle vient de perdre. «Ne pleure pas», lui dit-il, «et s’approchant, il toucha la bière, et ceux qui la portaient s’arrêtèrent ; et il dit : Jeune homme, je te dis, lève-toi ; et le mort se leva sur son séant, et commença à parler ; et il le donna à sa mère». On ne saurait concevoir une scène plus en rapport avec l’esprit et le but de cet Évangile. Après cela, Luc nous rapporte le message des disciples de Jean, dont j’ai déjà dit quelques mots en parlant du chap. 3. Il le fait dans le but spécial d’indiquer ici d’avance la crise qui se préparait. Le Messie répondait si peu à ce qu’on attendait de Lui, que son précurseur même paraît avoir été ébranlé, en voyant qu’il n’usait de sa puissance, ni pour son propre compte, ni en faveur de ceux qui le suivaient ; que loin de faire luire une aurore nouvelle de liberté et de bonheur pour le peuple d’Israël, il ne couvrait même pas de sa protection les hommes pieux qui en faisaient partie. Cependant un gentil venait d’avouer la suprématie absolue de Jésus ; qu’il fût présent ou non, une parole de sa bouche suffisait pour chasser les maladies. Impossible de nier le caractère d’une telle puissance. Que pouvait-elle être sinon celle de Dieu agissant en grâce sur la terre ? Or Jean-Baptiste lui-même n’était qu’un homme. Le Seigneur répond non seulement avec la dignité qui accompagnait toutes ses paroles, mais il montre aussi que sa grâce ne pouvait que déplorer l’incertitude de Jean, et il réfute du même coup l’incrédulité de ceux qui l’interrogeaient ; car si leur maître avait des doutes, leur faiblesse devait être encore plus grande.

Après cela, Jésus prononce son jugement moral sur toute cette génération (verset 31). La fin du chapitre présente un contraste étonnant entre la sagesse divine, produite par la grâce là où l’on s’attendrait le moins à la trouver, et la folle perversité de ceux qui s’estimaient être sages. «Mais la sagesse a été justifiée par tous ses enfants», peu importe qui ils ont été, comme elle le sera également par la condamnation de tous ceux qui auront rejeté le conseil de Dieu quant à eux-mêmes. Dans la scène qui se passe chez Simon le pharisien, le Saint Esprit nous a fourni, au moyen du récit de Luc, un commentaire des plus frappants sur la folie de la propre justice et sur la sagesse de la foi. Le Pharisien fait apparaître à nos yeux ce que vaut la sagesse humaine, tandis que la vraie sagesse divine, laquelle vient d’en haut, se révèle là où, seule, la grâce de Dieu l’a produite ; car enfin où penserait-on moins rencontrer cette sagesse que chez une femme corrompue et avilie, qui n’est même pas nommée par le Saint Esprit ? D’autre part, ce silence est à mes yeux une preuve de la grâce merveilleuse de Dieu. Si le nom de cette femme, trop connue alors dans la ville qu’elle habitait, ne valait pas la peine de nous être transmis, il valait la peine pour Dieu de manifester en elle les richesses de sa grâce. Or si, d’un côté, la valeur de la grâce apparaît d’autant mieux là où la nécessité s’en fait le plus sentir, de l’autre, la puissance de transformation qui lui est inhérente éclate aussi d’une manière d’autant plus merveilleuse dans les cas désespérés. Si quelqu’un est en Christ, c’est une nouvelle création (2 Cor. 5:17). La grâce ne change pas, n’améliore pas le vieil homme selon le modèle de Christ, mais elle crée une vie nouvelle avec un caractère nouveau. Cette femme, objet de la grâce, était entrée dans la maison du Pharisien, attirée par la grâce du Sauveur, vraiment repentante, remplie d’amour pour Lui, mais sans avoir la connaissance du pardon de ses péchés ; voilà ce qui lui manquait encore et ce que Jésus voulait lui donner. Le coeur de cette femme n’était pas attiré parce qu’elle avait reçu l’Évangile ou compris les privilèges du croyant, puisque Jésus n’était pas encore mort et ressuscité ; il était captivé par quelque chose de plus profond que la connaissance de bénédictions conférées, c’était la grâce de Dieu en la personne de Christ. Elle sentait instinctivement que toute la pureté et l’amour de Dieu n’existaient pas en Christ d’une manière plus réelle que la miséricorde dont elle avait besoin pour elle-même, et en dépit du sentiment de tous ses péchés, elle était sûre de pouvoir s’abandonner sans réserve à la grâce illimitée qu’elle voyait en Lui. Ce mobile l’emportait sur la crainte bien naturelle qu’elle pouvait éprouver, en songeant à l’accueil que devait nécessairement lui faire le maître de la maison où elle se rendait afin d’y trouver le Seigneur. Quelle excuse présenter ? Cette femme n’en cherchait plus ; elle était dans la vérité maintenant ; elle avait affaire à Jésus, le Seigneur de gloire, dont la grâce avait tellement pris possession de son âme, que rien au monde n’eût pu la détourner de son dessein. Sans demander la permission du Pharisien, sans personne pour l’introduire, elle va droit à Jésus, apportant un vase d’albâtre plein de parfum, «et se tenant derrière à ses pieds, et pleurant, elle se mit à les arroser de ses larmes ; et elle les essuyait avec les cheveux de sa tête, et couvrait ses pieds de baisers, et les oignait avec le parfum». Cette action fit naître dans le coeur de Simon une indignation religieuse qui n’était que de l’incrédulité, comme tous les raisonnements de l’homme naturel touchant les choses divines : «Et le pharisien qui l’avait convié, voyant cela, dit en lui-même : Si celui-ci était prophète, il saurait qui et quelle est cette femme qui le touche, car c’est une pécheresse». Quel hypocrite que ce Pharisien ! Lui qui avait invité Jésus, il ne lui témoignait qu’un semblant d’estime ; le Seigneur n’avait au fond nulle valeur à ses yeux ; loin de voir Dieu lui-même, le Fils du Très-Haut, en l’humble personne qu’il avait conviée à sa table, il doute que Jésus soit même un prophète. C’est donc lui qui avait tort et qui est pris en défaut, non pas la pécheresse, puisque, méconnaissant la personne de Jésus, il se trompait sur le point essentiel. En répondant aux pensées de son coeur, Jésus lui donne la preuve qu’il est non seulement prophète, mais plus encore, le Dieu des prophètes.

Cette scène concorde en tous points avec le caractère du récit de Luc, qui seul nous la raconte, et le choix du Saint Esprit est admirable, en manifestant ici Jésus en harmonie complète avec tout ce qui nous a été rapporté de Lui, depuis le commencement de cet Évangile. Le Seigneur déclare que les péchés de cette femme lui sont pardonnés ; preuve qu’elle ne le savait pas auparavant, et que ce n’était point cela qui l’avait amenée à Jésus. Dès qu’on admet le contraire, cet épisode perd, à mon avis, son sens véritable ; mais ainsi, quelle assurance la grâce de Jésus donne à quiconque s’adresse directement à Lui ! Il parle avec autorité et garantit le pardon. Avant d’avoir entendu cette déclaration de sa bouche, ç’aurait été alors de la présomption que d’agir comme si les péchés eussent déjà été pardonnés. Le but spécial de ce récit me paraît donc être de présenter à nos regards une pauvre pécheresse pleine d’un véritable repentir, attirée par la grâce de Jésus, laquelle a touché son coeur, et apprenant directement de sa bouche : «Tes péchés te sont pardonnés». Ses nombreux péchés lui étaient pardonnés ; l’étendue des besoins de son âme n’est point dissimulée, puisqu’elle avait beaucoup aimé. Son amour était aussi réel avant qu’après le pardon ; elle avait été ravie par la grâce divine et l’amour qui se trouvaient en la personne de Jésus, et qui lui avaient inspiré cet amour par l’enseignement du Saint Esprit ; mais il est évident que son amour pour le Seigneur a dû être augmenté, lorsqu’elle eut appris de sa bouche le pardon de ses péchés. Jésus nous est présenté ici comme Celui qui sonde jusqu’au fond l’incrédulité du coeur, qui apprécie, aussi bien qu’il l’a opérée, l’oeuvre de la grâce chez le croyant, et lui donne la paix de l’âme par le pardon de ses péchés.

1.8   [Chapitre 8]

Ici, tout en prêchant et en annonçant le royaume de Dieu, le Seigneur est suivi d’une foule d’hommes et de femmes, enfants de la sagesse, humbles mais vrais témoins des richesses de sa grâce, et attachés à sa personne : «Et les douze étaient avec lui, et des femmes aussi qui avaient été guéries de mauvais esprits et de maladies, Marie, qu’on appelait Madeleine, de laquelle étaient sortis sept démons, et Jeanne, femme de Chuzas, l’intendant d’Hérode, et Susanne, et plusieurs autres, qui l’assistaient de leurs biens». Ce trait si étonnamment caractéristique de la vie du Seigneur, ne se trouve que dans cet Évangile. Entièrement au-dessus de tout le mal des hommes, Jésus, marchait dans le calme parfait de la présence de son Père, mais en même temps comme l’exigeait l’activité de la grâce de Dieu ici-bas. Aussi, en exposant la parabole du semeur, parle-t-il de ce qu’il faisait Lui-même, répandant la semence de la parole de Dieu. En Matthieu (13:18), où cette même parabole se rapporte au royaume des cieux, la semence est nommée la parole du royaume, tandis qu’en Luc il ne s’agit pas du royaume ; voilà la simple raison de cette différence. Remarquez à ce propos que l’Esprit de Dieu, dans les discours qu’il nous a transmis, ne se borne pas aux seules paroles que Jésus a prononcées, chose que je crois fort important de ne jamais oublier, pour acquérir une saine intelligence des Écritures. Dans leur zèle en faveur de l’inspiration plénière, des commentateurs orthodoxes ont supposé un genre d’inspiration tout à fait machinal, prétendant que le Saint Esprit doit avoir uniquement dicté aux évangélistes les paroles littérales que Christ a prononcées dans chacun de ses discours. À mes yeux, au contraire, il n’existe pas la moindre raison en faveur d’une explication pareille. Assurément, le Saint Esprit nous a transmis la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, de sorte que les différences signalées entre tel et tel Évangile ne sont pas dues à la faiblesse humaine, mais au but spécial qu’il avait en vue ; or, ce que le Saint Esprit a dicté, vaut incomparablement mieux qu’un récit littéral écrit par quatre personnes différentes, qui auraient eu chacune l’intention de nous rapporter les mêmes faits et les mêmes paroles. Reprenons la parabole du semeur : Matthieu, comme je viens de le dire, nomme la semence : la parole du royaume ; Luc, au contraire : la parole de Dieu. Le Seigneur peut avoir employé ces deux termes à la même occasion ; je ne le conteste point ; mais une chose est évidente, c’est que l’Esprit de Dieu, selon sa divine et souveraine volonté, ne nous les a point transmises ensemble dans le même Évangile. Il n’a point abaissé les évangélistes au rôle de simples rapporteurs, dont le but et l’habileté consistent à transmettre littéralement toutes les paroles qu’un personnage célèbre a prononcées ; l’Esprit de Dieu avait la puissance d’agir plus librement, et de dicter telle partie d’un discours de Jésus à un évangéliste, telle partie à un autre. On voit ainsi que le système littéral dont j’ai parlé plus haut, n’arrivera jamais à expliquer l’inspiration ; il est entièrement mis en défaut par le simple fait irréfutable, que les Évangiles ne nous rapportent pas tous les mêmes paroles de Jésus. Je cite un autre exemple mentionné précédemment : en Matthieu, il est dit : «Bienheureux les pauvres» ; en Luc : «Bienheureux, vous pauvres», difficulté inextricable pour les partisans du littéralisme, tandis qu’elle disparaît pour ceux qui estiment que le Saint Esprit avait l’autorité et la puissance d’employer différents écrivains, selon les buts divers qu’il se proposait. Pas un seul des Évangiles n’a le dessein de fournir un récit détaillé de toutes les oeuvres et de toutes les paroles du Seigneur, et quoique chacun d’eux ne nous transmette que l’exacte vérité, nous chercherions en vain dans l’ensemble même de ces quatre narrations tous les faits relatifs à la vie de Jésus. Malgré cela, la méthode employée par l’Esprit a précisément pourvu à notre instruction de la manière la plus complète possible. Disposant absolument de la vérité tout entière, il nous transmet les paroles qui nous étaient utiles, à la place qui leur convient le mieux, et par le moyen d’un écrivain spécialement choisi à cet effet, afin de présenter d’autant mieux à nos regards la gloire du Seigneur.

Cette parabole est suivie d’une seconde, qui n’est nulle part mentionnée dans l’Évangile de Matthieu, où, en revanche, celle du semeur en précède une autre également relative au royaume des cieux, car Matthieu nous rapporte au chapitre 13, un ensemble complet de paraboles ayant trait au royaume et au changement de dispensation dont il s’occupe. Ici, c’est de la prédication et de la réception de la parole de Dieu qu’il s’agit ; aussi la parabole du verset 16 occupe-t-elle en cet endroit une place importante, parce qu’une fois que la Parole a pénétré dans le coeur, il faut un témoignage. Aux disciples, non pas à la nation juive, était donné de connaître les mystères du royaume de Dieu ; éclairés eux-mêmes, il s’agissait dès lors de répandre la lumière pour les autres : «Personne, après avoir allumé une lampe, ne la couvre d’un vase, ni ne la met sous un lit ; mais il la place sur un pied de lampe, afin que ceux qui entrent voient la lumière. Car il n’y a rien de secret qui ne devienne manifeste, ni rien de caché qui ne se connaisse et ne vienne en évidence. Prenez donc garde comment vous entendez ; car à quiconque a, il sera donné, et à quiconque n’a pas, cela même qu’il parait avoir, lui sera ôté». La responsabilité, quant à l’usage de la lumière reçue, est mise pleinement en relief.

Après cela, lorsqu’on rapporte à Jésus que sa mère et ses frères désirent le voir, il répond : «Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique». Dans les choses divines, il ne s’agit plus des liens naturels, mais de nouvelles liaisons basées sur la mise en pratique de la Parole qu’on a écoutée. C’est donc encore de la parole de Dieu qu’il est ici question, de l’approbation de Dieu sur ceux qui estiment et gardent sa Parole ; en lui attribuant la valeur morale qu’elle mérite, on se rencontre avec Jésus. Dans l’Évangile de Matthieu (12:46, etc.), il s’agit de nouvelles relations remplaçant la nation juive abandonnée à son apostasie.

Mais Jésus n’exempte pas ses témoins d’épreuves pendant qu’ils sont ici-bas. La scène qui se passe sur le lac de Génésareth nous montre l’incrédulité des disciples au milieu de la tourmente, la grâce et la puissance de Jésus en leur faveur.

«Et ils abordèrent au pays des Gadaréniens, qui est vis-à-vis de la Galilée ; et quand il fut descendu à terre, un homme de la ville vint à sa rencontre, qui depuis longtemps avait des démons, et ne se vêtait pas, et ne demeurait pas dans une maison, mais dans les sépulcres». En dépit de cette terrible possession, une profonde oeuvre divine est opérée dans le coeur de cet homme. Marc nous rapporte le même miracle (chap. 5), en y ajoutant à la fin quelques détails qui, selon le caractère de son Évangile, présentent le démoniaque comme appelé à devenir un serviteur de Dieu. Ici, après avoir été l’objet de la grâce et de la puissance de Jésus, puis captivé par Celui qui de cette manière lui avait fait connaître Dieu, il nous apparaît plutôt comme un homme de Dieu. Comment s’étonner que, délivré des démons, il ait supplié Jésus de pouvoir rester avec Lui ? C’était là un sentiment pour ainsi dire naturel à la grâce et aux relations toutes nouvelles établies entre Dieu et lui. «Mais Jésus le renvoya, disant : Retourne-t’en en ta maison, et raconte quelles grandes choses Dieu t’a faites. Et il s’en alla, publiant par toute la ville quelles grandes choses Dieu lui avait faites».

Le chapitre se termine par l’histoire de la fille de Jaïrus. Tandis que le Seigneur est en chemin pour aller guérir cette fille israélite, une femme, mue par la foi, vient toucher le bord de son vêtement, et trouve une guérison instantanée, car personne ne s’approchait de Jésus en vain. Quoique Jésus pourvoie de même aux besoins de toute âme quelconque qui s’adresse à Lui maintenant, il ne manquera point au temps déterminé d’accomplir les desseins de Dieu pour le réveil du peuple d’Israël. La jeune fille était morte lorsqu’il entra dans la maison, néanmoins il dit à ses parents qui se lamentaient : «Elle n’est pas morte, mais elle dort». Le Seigneur, un jour, restaurera Israël qui, selon Dieu, n’est pas mort, mais endormi.

 

2                    Chapitres  9  à  16

2.1   [Chapitre 9]

Le chapitre 9 commence par la mission des douze disciples, oeuvre toute nouvelle du Seigneur, qui communique de la puissance en grâce à des hommes choisis par Lui, afin qu’ils prêchent le royaume de Dieu et guérissent les infirmes ; car dans cet Évangile, il s’agit de l’oeuvre de la grâce divine, destinée à étendre sa sphère d’action bien au delà des limites d’Israël, et à atteindre un but à la fois plus vaste et plus élevé que les bénédictions accordées à ce peuple. Dans l’Évangile de Matthieu (10:5, 6), la mission des douze est considérée exclusivement au point de vue judaïque, et les messagers du royaume y sont représentés comme poursuivant leur oeuvre jusqu’à l’arrivée du Fils de l’homme, de sorte que l’appel des gentils est passé sous silence. Ici, au contraire, quoique ayant lieu au milieu du peuple juif, auquel Dieu s’adressait encore exclusivement, cette même mission des disciples perd son caractère judaïque et révèle Dieu dans sa bonté et sa miséricorde en faveur de l’homme. Voilà ce qui dans l’Évangile de Luc est mis en pleine lumière. Il est parlé ici du royaume de Dieu, ce qui signifie essentiellement l’intervention de la puissance divine en contraste avec l’état de l’homme abandonné à lui-même. À la place de l’homme, livré à ses propres ressources et à sa sagesse pour maintenir sa suprématie dans le monde par la providence de Dieu, comme s’il était investi d’un droit sur la nature, c’est Dieu lui-même qui prendra possession de la terre, afin d’y manifester sa puissance et sa bonté en la personne de Christ, avec lequel l’Église sera unie visiblement. De cette manière, l’homme sera réellement exalté et béni plus qu’il ne le fut jamais ; toutefois cette bénédiction n’aura lieu qu’à l’époque du millénium. Pour le moment, les disciples devaient être les messagers de Christ ; car Dieu établit toujours un témoignage relatif aux choses qu’il entend exécuter plus tard. À cette mission se rattachait le pouvoir de chasser les démons et de guérir les maladies ; mais ces oeuvres miraculeuses, mentionnées avec plus de détails en Matthieu, cette force dont étaient revêtus les messagers du royaume, pour défier la puissance de Satan, n’étaient point le but principal de leur mission ; il s’agissait avant tout de manifester la bonté et la compassion de Dieu envers l’homme, pour les besoins de son âme et pour ceux de son corps. Voilà ce que le Saint Esprit met particulièrement en relief dans l’Évangile de Luc, tandis que Matthieu, nous l’avons déjà vu, présente la mission des douze comme étant adressée aux Juifs jusqu’à la fin des temps, de sorte qu’il omet complètement ce qui concerne les gentils.

En présence du témoignage de Christ, l’homme est responsable de la manière dont il le reçoit (vers. 5), chose tout aussi vraie et solennelle aujourd’hui, bien que l’Évangile n’annonce pas seulement le royaume, mais encore la grâce de Dieu. Prêcher l’Évangile, en omettant de parler des conséquences terribles pour quiconque refuse de l’accepter, c’est, à mon avis, en perdre une partie. Prêcher l’amour seul n’est pas assez, quoique l’amour soit essentiel à l’Évangile, puisque ce dernier est le message d’un amour qui a donné le Fils unique de Dieu et ne l’a point épargné sur la croix, afin de sauver des pécheurs. L’Évangile est assurément la manifestation la plus éclatante possible de la grâce de Dieu envers l’homme en la personne de Christ. Mais prêcher l’amour seul, c’est un Évangile différent qui n’en est pas un autre (Gal. 1:6). Si l’on cache aux hommes les terribles conséquences auxquelles ils s’exposent infailliblement, je ne dis pas en rejetant l’Évangile, mais même en y restant indifférents, on commet une fatale erreur. Ce n’est point témoigner un amour réel pour eux, que de leur taire qu’ils sont déjà perdus et qu’ils iront dans les peines éternelles, à moins d’être sauvés en croyant à l’Évangile. Occuper les hommes d’autres choses, quelque bonnes qu’elles paraissent ou qu’elles puissent être à leur place, n’est qu’une preuve qu’on est insensible à la grâce et à la gloire de Dieu, au mal provenant du péché, aux besoins les plus pressants de l’homme, au jugement inévitable, et au bonheur de l’Évangile. Ces choses négligées, c’est en vain qu’on parlera de la bonté de Dieu. Ici, malgré la différence que j’ai signalée plus haut entre le caractère que revêt la mission des disciples dans l’Évangile de Luc et celui de Matthieu, il s’agit directement d’un témoignage rendu aux Juifs de la part du Seigneur en vue de son rejet, les disciples étant investis des puissances du siècle à venir. Le roi Hérode entend parler de ce témoignage, et nous voyons en lui les mouvements de la conscience chez un homme méchant. Il s’en émeut et cherche à savoir par la puissance de qui tant de miracles s’accomplissent. Il avait connu Jean-Baptiste comme un personnage célèbre qui attirait l’attention de tout le peuple d’Israël ; mais Jean n’existait plus ; Hérode le savait bien. C’est parce que sa conscience était mauvaise, qu’il était ainsi troublé en apprenant ce qui se passait, surtout lorsqu’on prétendait que Jean était ressuscité des morts, supposition qui toutefois ne le satisfait pas. Il n’a aucune idée de la puissance de Dieu, qui peut ressusciter les morts, et pourtant sa conscience ne lui laisse pas de repos.

Les apôtres, revenus de leur mission, racontent à Jésus tout ce qu’ils ont fait. Il les prend à l’écart dans un lieu désert, suivi des foules auxquelles il parle du royaume de Dieu, et dont il guérit les malades. Puis les disciples ayant montré leur incapacité de saisir ce qu’était réellement le Christ, il se manifeste à eux non seulement comme un homme qui est le Fils de Dieu, mais encore comme le Dieu d’Israël, l’Éternel en personne sur la terre. Tel Jésus apparaît dans chacun des Évangiles, bien qu’il ait encore d’autres choses en vue, et qu’il ne se manifeste pas toujours à ce même degré d’élévation ; aussi ce miracle de la multiplication des pains, qui a le but évident de nous montrer que Dieu était alors présent sur la terre en bénédiction pour son peuple, nous est rapporté d’un commun accord par les quatre évangélistes (Matth. 14, Marc 6, Jean 6) ; Jean lui-même ne l’omet pas, contrairement à son habitude de nous raconter des miracles d’un ordre différent de ceux qui sont contenus dans les trois autres récits de la vie du Seigneur. Celui qui jadis avait fait pleuvoir la manne dans le désert, rassasie ses pauvres de pain (Ps. 132:15), les Juifs en première ligne, mais avec eux aussi tous ces pauvres, tous ces méprisés qui l’avaient suivi et qui manquaient de nourriture. Ce miracle, tout en étant en complète harmonie avec le caractère particulier de l’Évangile de Luc, ne s’adapte pas moins, d’une manière ou d’une autre, à chacun des Évangiles. Matthieu nous indique, me semble-t-il, le grand changement d’économie qui allait arriver ; là (14:22), Jésus renvoie les foules, se rend sur une montagne à l’écart pour y prier, et pendant ce temps les disciples sont ballottés par la tempête. La foi réelle manquait totalement à ces Juifs ; ils recherchaient Jésus à cause du profit qu’ils pouvaient en tirer, non point pour l’amour de Lui. La vraie foi, au contraire, reçoit Dieu en la personne de Jésus ; elle voit la gloire suprême d’un Christ rejeté ; elle le reconnaît, quelles que puissent être les circonstances extérieures. Ces foules ne le reconnaissaient pas ; elles auraient aimé un Messie tel que Jésus apparaissait à leurs yeux dans sa puissance et sa bonté, un Messie se chargeant de les délivrer et de les enrichir ; mais quant à la gloire de Dieu en sa personne, elles n’en avaient pas la moindre perception. Aussi le Seigneur, après leur avoir témoigné sa miséricorde, les renvoie et se sépare d’elles. Pendant ce temps, les disciples sont exposés à la tempête ; puis le Seigneur les rejoint sur la mer et provoque l’énergie de Pierre, type de ceux qui, appartenant au Résidu pieux d’Israël dans les derniers jours, témoigneront le plus de courage au milieu de l’épreuve, car tous ne posséderont pas la foi au même degré. Il y avait chez Pierre de l’affection pour le Seigneur et assez de confiance en Lui pour tout abandonner et aller à sa rencontre, mais en même temps Pierre se préoccupa du danger qu’il courait. Eux aussi, marchant avec courage à la rencontre du Messie, seront troublés à la vue des épreuves et près de succomber ; mais le Seigneur, dans sa miséricorde, interviendra et les délivrera. Matthieu présente donc à nos yeux le changement d’économie survenu plus tard par l’ascension du Seigneur, séparé des siens, afin de les représenter comme souverain sacrificateur dans les lieux célestes, jusqu’à l’époque où il touchera le coeur de son peuple et apparaîtra de nouveau sur la terre afin de le délivrer. Autre était le but que Marc et Luc se sont proposé dans leurs récits, quoique le premier mentionne les mêmes détails que Matthieu, sauf l’épisode de Pierre ; le changement d’économie n’entrait pas dans leur point de vue, ni le retour du Seigneur sur la terre au milieu du peuple d’Israël. Dans l’Évangile de Jean, le miracle de la multiplication des pains donne lieu à l’admirable discours de Jésus qui termine le chapitre 6, et dont je parlerai plus loin. Ainsi, chaque Évangile nous le présente à un point de vue différent et spécial, selon les intentions diverses du Saint Esprit.

Après cela, Jésus appelle ses disciples à l’écart et leur demande ce que les foules pensent de Lui (Matth. 16:14 ; Marc 8:27 ; comp. Jean 6:67). Il avait montré ce qu’il était, ainsi que toutes les bénédictions réservées pour Israël, mais ce peuple n’avait pas de foi ; ces foules éprouvaient bien jusqu’à un certain degré le besoin que Jésus leur vînt en aide, elles étaient disposées à accepter de sa part les choses concernant la vie présente ; mais là s’arrêtaient leurs désirs. C’est ce que le Seigneur prouve par les réponses qu’il provoque de la part de ses disciples, en leur demandant : «Qui disent les foules que je suis ?» Les uns prétendaient qu’il était Jean-Baptiste, d’autres Élie, d’autres enfin quelqu’un des anciens prophètes ressuscité ; quantité de suppositions, mais pas l’ombre de foi ; que ce soit Hérode et sa cour, ou Jésus et ses disciples, la réponse est la même ; toujours l’incertitude et l’incrédulité. Mais dans ce petit groupe qui entourait le Seigneur, il se trouvait des coeurs auxquels Dieu avait dévoilé la gloire de Christ, et Jésus dans son amour divin se plaisait à entendre cette confession de sa gloire, non pas à cause de Lui, mais à cause de Dieu et de ceux qui la faisaient. Il en était digne assurément, mais son amour préférait donner que recevoir, se plaisait à confirmer la bénédiction accordée par Dieu à ses disciples et à en prononcer une nouvelle. Quel moment aux yeux de Dieu que cette confession de la gloire de Christ ! Jésus ayant ajouté : «Et vous, qui dites-vous que je suis ?» Pierre répondit aussitôt : «Le Christ de Dieu». On s’étonne, à première vue, en songeant que dans l’Évangile juif de Matthieu, la confession de Pierre est rapportée d’une manière plus complète qu’ici, puisqu’il répond : «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant» ; aussi Luc ne mentionne-t-il pas non plus les paroles de Jésus en rapport avec cette déclaration de la gloire divine de sa personne : «Sur ce roc je bâtirai mon assemblée», puisque ce n’est point sur la gloire du Messie, quoique reconnu comme l’Oint de Dieu, mais sur la gloire divine de Jésus que l’Église a été fondée. Après la confession de Pierre, Jésus s’adressa à ses disciples avec force et leur commanda de ne dire à personne qu’il était le Christ. Prophéties, miracles, prédication de Jésus et de ses disciples, tout avait été inutile ; à quoi bon désormais proclamer qu’il était le Messie d’Israël, puisque, sauf ces quelques disciples, la nation entière le rejetait ? En Matthieu, Jésus fait la même défense ; mais le point de vue des deux Évangiles est très différent. Là où Pierre confesse que Jésus est le Fils du Dieu vivant, il s’agit du changement d’économie qui devait résulter de l’incrédulité des Juifs ; la fin du système juif et l’établissement de l’Église, chose toute nouvelle, sont annoncés d’avance. Ici, au contraire, dans l’Évangile de Luc, ce n’est point du contraste entre l’économie judaïque et l’Église qu’il est question, mais du fait lui-même considéré au point de vue moral, que Christ a été rejeté par son peuple ; c’est la cause morale de l’impossibilité du royaume, que Luc offre à nos regards. La manière dont Jésus s’était présenté comme le Messie, offusquait les Juifs dans leurs pensées, leurs sentiments, leurs conceptions et leurs préjugés ; son humilité, sa grâce, sa vie de souffrance et de mépris ne leur inspirait que haine, et ils n’avaient que faire d’un Messie qui ne satisfaisait ni leur ambition nationale, ni leurs désirs charnels. Ils voulaient une gloire terrestre, et c’est le contraire que Jésus apportait ; leurs pensées étaient aux choses de ce monde, et c’est de Dieu, de ses voies, de sa bonté, de sa grâce, du jugement qu’il devait nécessairement exécuter sur le péché, de ce que Dieu révélait pour la foi et qui seul pouvait avoir une durée éternelle, c’est de cela que Jésus venait rendre témoignage, toutes choses en contraste absolu avec les désirs et les besoins de leurs coeurs. Aussi Jésus annonce-t-il dès lors qu’il ne s’agit plus pour le moment du Messie venant accomplir les promesses en faveur d’Israël, mais d’un Christ rejeté, d’un homme méprisé et mis à mort, du Fils de l’homme cloué à la croix. Rejeté en sa qualité de Messie des Juifs, c’est comme Fils de l’homme que Jésus va mourir : «Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, et qu’il soit rejeté des anciens et des principaux sacrificateurs et des scribes, et qu’il soit mis à mort, et qu’il ressuscite le troisième jour». Il est évident que cette mort et cette résurrection sont non seulement le fondement de l’Église de Dieu, mais encore le seul moyen par lequel les pécheurs puissent être amenés à Lui. Ici toutefois, la mort de Jésus n’est nullement présentée au point de vue de l’expiation, mais comme la souffrance du Fils de l’homme de la part de son peuple qui l’a rejeté.

Gardons-nous bien d’oublier que, par la mort de Christ, dont la valeur est infinie, divers résultats immenses ont été atteints, et que celui qui se borne à en envisager un seul côté, se prive volontairement de la connaissance des richesses inépuisables de la grâce de Dieu, tandis que l’importance suprême de l’expiation n’est nullement amoindrie à nos yeux, lorsque nous considérons cette mort sous les aspects variés qu’elle comporte. Je comprends fort bien qu’une âme qui n’est pas complètement affranchie et heureuse, s’occupe exclusivement de la seule chose qui puisse lui procurer la paix ; c’est pourquoi tant de chrétiens envisagent la croix de Christ uniquement au point de vue de l’expiation ; ils n’y cherchent que le moyen d’être pardonnés, parce que leur âme n’est pas encore satisfaite, parce qu’il y a encore un vide dans leur coeur, et qu’ils sont aussi plus ou moins sous la loi au lieu d’avoir saisi la grâce. La justification leur est si absolument inconnue, que tout ce qui dépasse la simple rémission des péchés, ils sont obligés de le chercher ailleurs que dans la mort de Christ ; le fait que le Fils de l’homme a été glorifié ou que Dieu a été glorifié en Lui, les laisse indifférents. Mais cette manière de comprendre l’oeuvre de Jésus est fausse sous tous les rapports, sauf un seul, grâce à Dieu, c’est qu’elle admet au moins l’expiation.

Dans le passage qui nous occupe, le Seigneur ne parle nullement de l’abolition du péché, mais de son rejet et de ses souffrances comme conséquence de l’incrédulité des hommes, ou d’Israël, tandis que son sacrifice sur la croix concerne l’oeuvre que Dieu Lui avait donnée à accomplir. Les chefs de la religion terrestre le mettent à mort, mais il ressuscite le troisième jour. Puis, toujours en rapport avec le caractère de l’Évangile de Luc, Jésus expose ici, au verset 23, non point les résultats bénis de son oeuvre en faveur des pécheurs, mais le grand principe moral qui se rattache à son rejet et à sa mort : «Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce soi-même, qu’il prenne sa croix chaque jour, et me suive». Jésus veut la réalité de la croix non seulement pour l’homme, mais en l’homme. Heureux sommes-nous de savoir ce que Dieu a accompli pour nous en la croix de Christ ; mais il nous faut aussi apprendre ce qu’elle enseigne touchant le monde et la nature humaine. Le Seigneur insiste là-dessus en ajoutant : «Car quiconque veut sauver sa vie, la perdra ; et quiconque perdra sa vie pour l’amour de moi, celui-là la sauvera ; car que servira-t-il à un homme de gagner le monde entier, s’il se détruit lui-même et se perd lui-même ? Car quiconque aura honte de moi et de mes paroles, le Fils de l’homme aura honte de lui quand il viendra dans sa gloire et dans celle du Père et des saints anges». En contraste avec l’amour du monde et la crainte d’encourir son mépris, quelle plénitude de gloire Jésus met ici devant nos yeux, lorsqu’il parle du grand jour où les choses éternelles commenceront à apparaître !

Au verset. 27, le Seigneur annonce sa transfiguration. Ici elle semble avoir lieu beaucoup plus tôt que dans le récit de Matthieu (ch. 16) qui attend, pour ainsi dire, jusqu’au dernier moment, avant d’en parler. Cette différence résulte du caractère même de chacun de ces deux Évangiles et du but particulier qu’ils poursuivent. En Matthieu, il s’agissait de démontrer que le témoignage avait été complet, que Dieu avait épuisé tous les moyens possibles d’avertir et de convaincre son peuple, qu’il avait entassé preuves sur preuves avant la crise si fatale pour les Juifs. Luc, au contraire, nous présente, dès le commencement de son Évangile, un tableau tout particulier de la grâce de Dieu «aux Juifs premièrement», puis, cette grâce rejetée, il aborde aussitôt des principes d’une portée générale, parce que de fait, bien que Dieu se soit servi de la responsabilité de l’homme, tout était arrêté d’avance dans les conseils de sa sagesse. Jean ne mentionne même pas l’offre de la grâce faite aux Juifs, car, dès le premier chapitre de son Évangile, la question est considérée comme résolue, et Jésus rejeté ; aussi les témoignages particuliers de la grâce de Dieu envers son peuple y sont passés sous silence, ainsi que la transfiguration. Le seul passage qui offre quelque analogie avec cette dernière, et qu’on puisse considérer peut-être comme faisant allusion à la gloire révélée aux disciples sur la sainte montagne, se trouve intercalé incidemment dans le chap. 1, où il est dit : «Et nous vîmes sa gloire, une gloire comme d’un fils unique de la part du Père», car le but de ce chapitre n’est point de nous présenter la gloire du royaume, mais de nous révéler une gloire bien plus excellente en la personne même de Jésus. Deux grands principes forment le thème de l’Évangile de Jean : l’indignité absolue de l’homme, dès le début ; la bénédiction suprême du Fils, de toute éternité. Or le récit de la transfiguration appartient à un autre ordre d’idées. Luc, qui s’attache surtout aux causes morales, nous signale de bonne heure le rejet de Jésus et les résultats solennels qui en découlent, au lieu d’accentuer, comme Matthieu, les preuves innombrables de la grâce de Dieu envers Israël. Jésus vient d’annoncer sa mort ; les Juifs l’ont ouvertement rejeté ; impossible d’établir le royaume en Israël, inutile de parler dorénavant du Messie, il va mourir et non régner. Aussi diverses paraboles prophétiques annoncent-elles progressivement une nouvelle manière d’après laquelle le royaume de Dieu sera momentanément établi, et la transfiguration fait apparaître aux regards des disciples une image anticipée de la gloire qu’il revêtira un jour selon les conseils de Dieu. Jusque-là Christ lui-même était présenté à l’homme au point de vue de sa responsabilité, je veux dire que les Juifs étaient responsables de le recevoir, Lui et le royaume, qu’il avait un titre à établir au milieu d’eux ; mais chaque fois que l’homme est soumis à une épreuve morale de la part de Dieu, il est trouvé en défaut : il a failli sous la loi, et il a rejeté le Messie. Désormais Jésus annonce sa mort. Entre les mains de l’homme, tout est perdu ; le royaume offert aux Juifs aboutit à la mort du Messie ; mais alors Dieu révèle la gloire de ce royaume telle qu’elle aura lieu infailliblement selon les conseils de sa grâce.

«Et il arriva, environ huit jours après ces paroles, qu’il prit avec lui Pierre, et Jean, et Jacques, et qu’il monta sur une montagne pour prier». Dans cet Évangile, l’Esprit de Dieu nous présente le royaume à un point de vue particulier, et déjà les premiers versets renferment une différence de date qui a paru être, à quelques personnes, en contradiction flagrante avec les récits de Matthieu et de Marc où il est parlé de six jours, tandis que Luc dit : «Environ huit jours après» ; mais la moindre réflexion suffit, me semble-t-il, à faire comprendre que ces deux indications peuvent être vraies l’une et l’autre, puisque la première précise l’espace de temps, tandis que la seconde le mentionne en termes généraux. C’est toutefois, à mon avis, suivant une intention spéciale de l’Esprit, que Luc nous fournit ici une date différente, plus en rapport avec la portée de son Évangile ; ces huit jours environ, pris dans leur signification spirituelle et biblique, indiquent une période qui dépasse la semaine terrestre du temps, si je puis m’exprimer ainsi, ou même le royaume au point de vue essentiellement juif, puisque le huitième jour amène la résurrection et la gloire qui s’y rattache. Or, nous allons voir que cette manière d’envisager le royaume en rapport avec la gloire de la résurrection, bien que sous entendue dans les deux premiers Évangiles, n’est clairement exprimée que dans celui de Luc.

«Comme il priait (expression de la perfection humaine de Jésus, dans sa dépendance de Dieu, souvent mentionnée dans cet Évangile), l’apparence de son visage devint tout autre, et son vêtement devint blanc et resplendissant comme un éclair». Le Seigneur a été envoyé sur la terre en ressemblance de chair de péché (Rom. 8) ; mais ce n’est point ainsi qu’il pouvait apparaître sur la sainte montagne, représenté comme ressuscité d’entre les morts et reçu dans la gloire. Sa transfiguration nous le montre glorifié, tel qu’il apparaîtra une seconde fois et pour toujours à ceux qui l’attendent ; tels aussi les saints seront transformés au moment de sa venue. «Et voici deux hommes, qui étaient Moïse et Élie, parlaient avec lui, lesquels apparaissant en gloire, parlaient de sa mort qu’il allait accomplir à Jérusalem». Plus le caractère de la résurrection est clairement attesté, plus elle est distinctement présentée à nos regards, et plus aussi la valeur immense de la mort de Jésus se dresse devant nous ; c’est pourquoi Satan, afin d’atténuer la grâce de Dieu en la mort de Christ, cherche à soustraire à nos yeux la puissance de sa résurrection, et ce moyen lui réussit toujours. N’oublions pas toutefois que celui qui parle de la gloire de la résurrection, sans avoir senti et compris que la mort de Christ a été, devant Dieu, l’unique moyen pour nous d’y parvenir et d’avoir part avec Lui dans sa gloire, celui-là n’a saisi qu’un côté de la vérité, et il lui manque la foi simple et vivante d’un enfant de Dieu, laquelle seule nous inspire le sentiment réel de la sainteté de Dieu et de ce qui était indispensable pour nous délivrer du péché et pour expier nos fautes. La résurrection glorieuse de Jésus ne pouvait nous assurer la moindre bénédiction, si auparavant la justice de Dieu n’eût été satisfaite à notre égard par cette mort qu’il allait accomplir à Jérusalem. Ici, au moment même où le résultat glorieux de la mort de Jésus est dévoilé à nos regards, c’est de cette mort encore plus glorieuse, que les saints hommes s’entretiennent avec Jésus. Quel bonheur ineffable de savoir que cette mort nous appartient maintenant ; que cette mort est la chose la plus précieuse pour nos coeurs, parce qu’elle est l’expression parfaite de son amour qui a souffert pour nous, parce qu’elle forme le point central de notre culte, et que toute joie de notre espérance, toute faveur actuelle, tout privilège céleste, loin d’obscurcir le sentiment que nous avons de la grâce contenue dans cette mort, ne font que le rehausser, puisqu’ils en sont la conséquence. Luc, qui nous présente toujours le côté moral de l’homme, n’oublie pas de mentionner que les disciples dormaient en cette heure solennelle, eux choisis d’entre les douze pour contempler la gloire de Jésus. Elle était trop brillante pour eux. Les mêmes disciples, qui dormirent en Gethsémané, furent aussi accablés de sommeil sur la sainte montagne. Insensibilité ou indifférence, peu importe ; elles produisent les mêmes effets ; celui qui reste insensible aux souffrances de Christ est incapable de comprendre sa gloire.

Cependant les disciples se réveillent : «Et ils virent sa gloire et les deux hommes qui étaient avec lui. Et il arriva, comme ils se séparaient de lui, que Pierre dit à Jésus : Maître, il est bon que nous soyons ici ; et faisons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie ; ne sachant ce qu’il disait». Combien peu le simple respect humain pour Christ est-il capable, même chez un enfant de Dieu, de Lui rendre l’honneur qui Lui est dû ! Mais le Dieu de gloire intervient, et une parole de sa bouche remet l’homme à sa place. Avec la sincère intention d’honorer le Seigneur, Pierre ne sait faire mieux que de le placer au même rang que Moïse et Élie ! Auparavant, quand Jésus parlait de sa mort prochaine, ce même disciple lui avait répondu : «Dieu t’en préserve, cela ne t’arrivera pas» (voyez Matth. 16:22). De nos jours encore, nombre de personnes prétendent honorer le Seigneur en Lui attribuant ce qui, en réalité, le priverait d’une partie essentielle de sa gloire. La parole de Dieu seule juge véritablement de toutes choses, mais les préjugés et les sentiments humains ne comprennent ni la croix de Christ ni sa gloire. Ici c’est Dieu lui-même qui parle depuis cette nuée bien connue aux Juifs et qui révélait Sa présence : «Il y eut une voix de la nuée, disant : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le». Quelque place élevée que pussent avoir Moïse et Élie, dès que Christ était présent, c’était à Lui qu’appartenait l’honneur, Lui seul qu’il fallait écouter. Moïse et Élie disparaissent devant le témoignage de Celui dont ils avaient été jadis les témoins ; ils étaient de la terre, Lui du ciel et au-dessus de tout. Ils avaient rendu témoignage au Christ, comme aussi les disciples venaient de le faire ; mais ce Christ étant rejeté, il en résulte, selon la grâce et la sagesse de Dieu, la révélation d’une gloire plus excellente, celle de sa personne tel qu’il était connu du Père, celle du Fils de Dieu, sur laquelle est fondée l’Église, et au moyen de laquelle l’homme participe à la gloire céleste. C’est désormais le Fils de Dieu qui seul a le droit d’être écouté ; ses propres paroles sont seules capables de révéler ce qu’il est et de révéler le Père ; il était ici-bas, afin de faire connaître le vrai Dieu, car il est le vrai Dieu et la vie éternelle. C’est une chose précieuse pour nous d’entendre ici le Père communiquant aux disciples tels qu’ils étaient sur la terre, ses pensées à l’égard de son Fils. «Notre communion est avec le Père et avec son Fils, Jésus-Christ». Dieu ne pouvait permettre à ces disciples de négliger ce qui était dû à son Fils ; aucune gloire des saints ressuscités ne saurait diminuer la gloire personnelle infinie de Celui qui est le Fils de Dieu. «Et la voix s’étant fait entendre, Jésus se trouva seul».

Il y a encore, dans le récit de la transfiguration, un point important sur lequel je désire attirer notre attention. Tandis que Pierre parlait encore et avant que la voix du Père se fit entendre, une nuée vint qui couvrit les disciples de son ombre, et ils eurent peur en entrant dans la nuée. Ni la gloire de Moïse et d’Élie, ni celle de Jésus, ne leur avaient inspiré de la frayeur, car il s’agissait là d’une vue anticipée du royaume, et tout Juif s’attendait au règne glorieux du Messie, auquel les saints hommes d’autrefois devaient nécessairement avoir une part quelconque. Mais lorsque les disciples virent la gloire de la présence de l’Éternel les enveloppant dans une nuée de lumière (voyez Matth. 17:5), et qu’ils y entrèrent ainsi que Moïse et Élie, ce fut là quelque chose qui dépassait toutes les notions juives. L’homme dans la même gloire que Dieu, voilà ce que révèle le Nouveau Testament ; c’est une partie principale de ce mystère caché dès les siècles en Dieu, laquelle ne pouvait être naturellement manifestée qu’après l’entrée dans ce monde et le rejet de Jésus-Christ, et qui fait la joie et l’espérance du chrétien dans le Fils de Dieu. C’est là tout autre chose que la bénédiction promise du royaume établi sur la terre. Comme une étoile diffère d’une autre étoile en gloire (1 Cor. 15:41), de même aussi il y a une gloire terrestre, et une gloire céleste qui surpasse de beaucoup celle du royaume, gloire fondée sur la révélation de la personne du Fils, et dont nous jouissons d’avance dans la communion du Père et du Fils, par la puissance du Saint Esprit descendu du ciel. Aussi, à peine les disciples sont-ils entrés dans la nuée, la voix de Dieu annonce la présence de son Fils ; car il n’y a pour l’homme qu’un seul moyen d’entrer dans la lumière de la gloire divine, c’est le nom de Jésus, c’est son oeuvre expiatoire. Si Jésus n’eût été que le Messie, cette nuée glorieuse restait inaccessible à l’homme ; mais il était le Fils ; et c’est parce qu’il était Lui-même sorti de la gloire céleste de la demeure du Père, qu’il Lui appartenait d’y introduire l’homme, bien que, pour cela, la croix fût indispensable à cause du péché.

Au bas de la montagne, nous retrouvons le monde et un tableau saisissant de sa condition morale : Voici, un homme de la foule s’écria, disant : Maître, je te supplie, jette les yeux sur mon fils, car il est mon unique ; et voici, un esprit le saisit, et soudain il crie, et il le déchire en le faisant écumer, et c’est à peine s’il se retire de lui après l’avoir broyé». L’homme, en butte aux assauts continuels de Satan, est assujetti toute sa vie à la servitude. Sous une forme, ou sous une autre, c’est toujours Satan qui le possède. Mais quelle est l’attitude des disciples, en présence du pouvoir que le diable exerçait ici d’une manière si terrible ? «J’ai supplié tes disciples de le chasser, et ils ne l’ont pas pu». Dès qu’une difficulté se présentait, leur foi se trouvait en défaut ; ils croyaient en Christ, mais faisaient si peu de cas de sa puissance, ils se confiaient si peu en Celui qui seul était capable de leur aider ! Quelle tristesse pour Jésus qu’une pareille incrédulité chez ceux-mêmes qu’il avait revêtus d’autorité pour chasser les démons et guérir les malades ! Cette même incrédulité causera la ruine de la chrétienté, comme elle a causé l’abandon du peuple juif de la part du Seigneur : «Quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il de la foi sur la terre ?» Que voyons-nous aujourd’hui chez la masse de ceux qui se nomment chrétiens ? On est baptisé au nom de Christ, sa gloire et sa puissance sont reconnues de tous, sauf des incrédules avoués ; mais la vraie foi, où se trouve-t-elle ? La consolation, au milieu de cet état de choses, est de savoir que Christ ne faillit pas à son oeuvre et que, si l’Évangile même est prostitué de toute manière, afin de servir la vanité, l’orgueil, l’ambition des hommes, Dieu n’en poursuit pas moins les desseins qu’il s’est proposés. Des âmes sont converties, bien que la vérité soit enchaînée et corrompue ; loin d’approuver l’état de la chrétienté, Dieu persiste néanmoins dans sa grâce ; il rassemblera ses élus hors du monde, hors même de ses ténèbres les plus profondes. Le Seigneur, après avoir montré que l’incrédulité des disciples se manifestait par le fait qu’ils ne savaient pas avoir recours à la grâce qui était en Lui, afin de l’utiliser («Ô génération incrédule et perverse, jusqu’à quand vous supporterai-je ?»), chasse le démon et rend l’enfant à son père.

Et tous furent étonnés de la grandeur de Dieu. Et comme tous s’étonnaient de tout ce que Jésus faisait, il dit à ses disciples : Vous, gardez bien ces paroles que vous avez entendues ; car le Fils de l’homme va être livré entre les mains des hommes». Jésus venait d’accomplir un miracle bien propre à l’élever dans l’admiration des disciples ; il venait de montrer qu’il était Celui qui délivre de la puissance de Satan, tandis qu’eux avaient prouvé leur faiblesse en présence de l’Ennemi. Mais que dire alors en apprenant que ce même Jésus devait être livré entre les mains des hommes ? Quel mystère pour l’incrédulité ! Comment concilier ces deux choses : être le plus puissant des libérateurs et le plus faible des mortels, livré entre les mains des hommes, ses propres créatures ? Mais si des pécheurs devaient obtenir un salut éternel, si Dieu devait pouvoir justifier des impies, il fallait que Jésus, le Fils de l’homme, fût livré entre les mains de l’homme ; bien davantage encore, il Lui fallait subir tout le poids du jugement divin, en devenant péché pour nous, de la part de Dieu. Tout ce que l’homme, tout ce que Satan, tout ce que Dieu même put exécuter de plus terrible, fut concentré sur sa personne.

En contraste avec cette humiliation de Jésus, les disciples sont occupés de savoir lequel d’entre eux serait le plus grand. Ils s’étaient montrés bien petits devant la puissance de Satan, et ils voulaient être grands malgré l’abaissement de leur Maître. Jésus les reprend, en leur disant que celui qui reçoit un petit enfant en son nom, le reçoit, Lui, et Dieu même qui l’a envoyé. Au verset 50, la réponse de Jésus à Jean n’est pas mentionnée ici dans ses détails, comme en Marc (9:39, etc.), avec le dessein particulier de nous fournir l’important enseignement que nous devons reconnaître la puissance de Dieu chez ceux qui le servent, sans être «avec nous». Ici il s’agit plutôt du principe moral : «Ne le lui défendez pas, car celui qui n’est pas contre vous, est pour vous». Le même égoïsme se montre, sous une autre forme, chez Jacques et Jean (v. 54). Jésus les censure fortement, en leur disant qu’ils ne savent de quel esprit ils sont animés ; car le Fils de l’homme n’était pas venu pour détruire, mais pour sauver. Toutes les leçons que Jésus donne ici à ses disciples, portent, pour ainsi dire, l’empreinte morale de la croix, vers laquelle il se dirigeait.

La fin du chapitre contient une autre série d’enseignements, en rapport aussi avec la croix : le jugement moral de ce qui ne devrait pas agir dans les coeurs de ceux qui prétendent suivre le Seigneur, et l’indication de ce qui, au contraire, devrait en être le mobile. D’abord quelqu’un se présente et dit à Jésus : «Je te suivrai partout où tu iras». Cette belle apparence de franchise et de dévouement n’avait aucune valeur quelconque aux yeux de Celui qui connaissait le fond des coeurs. Quel est l’homme véritablement décidé à suivre le Seigneur ? Celui qui a tout trouvé en Jésus ne cherche pas à satisfaire, par son moyen, les désirs ambitieux de ce monde. Le Fils de l’homme allait mourir, il n’avait même pas où reposer sa tête ; que pouvait-il procurer d’agréable à la chair ? «Et il dit à un autre : Suis-moi ; mais celui-ci répondit : Permets-moi premièrement d’aller ensevelir mon père. Et Jésus lui dit : Laisse les morts ensevelir leurs morts ; mais toi, va et annonce le royaume de Dieu». Dans ce second cas, il y avait une foi réelle, aussi les difficultés apparaissent sur-le-champ. Cet homme-là est attiré d’un côté par la parole de Jésus, retenu, de l’autre, par les obstacles du chemin ; sa conscience est réellement touchée ; il sent qu’il lui faut renoncer à bien des choses pour suivre Jésus, et cela l’arrête ; aussi allègue-t-il un devoir impérieux, qui lui paraît sans réplique. Le Seigneur lui répond que ces choses-là, concernent ceux qui n’ont pas reçu d’appel de sa part. Dans le dernier cas, enfin, quelqu’un se présente encore pour suivre Jésus, mais il ajoute : «Permets-moi de prendre premièrement congé de ceux qui sont dans ma maison». À celui-ci, Jésus répond que lorsqu’il s’agit du royaume de Dieu, tout le reste disparaît, et qu’on ne doit plus regarder derrière soi. C’est ainsi que le Seigneur juge le coeur et manifeste ce qu’est la nature humaine, malgré ses apparences. Quelle abnégation de soi-même, lorsqu’on veut être au service de Christ ! Autrement, c’est l’incrédulité qui se fait jour, la confiance en ses propres forces, et l’on risque d’édifier du chaume sur le fondement de la maison de Dieu ou de corrompre son temple (1 Cor. 3).

2.2   [Chapitre 10]

Le chapitre suivant commence par la mission des soixante-dix, mentionnée seulement dans cet Évangile. Ce message solennel et final, adressé par la grâce de Celui dont le coeur désirait une moisson abondante de bénédictions, contient un appel plus pressant encore que la mission des douze, au chap. 9. Le Seigneur termine ses injonctions aux disciples, en prononçant des malheurs sur les villes où il avait travaillé en vain, et un avertissement particulièrement sérieux, conforme au caractère moral de notre Évangile : «Celui qui vous écoute, m’écoute ; et celui qui vous rejette, me rejette ; et celui qui me rejette, rejette celui qui m’a envoyé». Remarquons que lorsque les soixante-dix revinrent en disant : «Seigneur, les démons mêmes nous sont assujettis», signe précurseur de la chute finale de Satan par la même puissance de Christ qui s’exerçait alors, Jésus leur répond : «Ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont assujettis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms sont écrits dans les cieux». La puissance sur le mal, même lorsqu’elle manifestera toute la gloire de Dieu, ne peut être comparée à la joie de sa grâce, celle de voir non seulement Satan chassé pour toujours, mais Dieu à la place de Satan, ni à la jouissance actuelle de la communion avec le Père et avec le Fils. C’est une bénédiction céleste qui devient de plus en plus le partage des disciples, et Luc nous le montre d’une manière beaucoup plus saillante que les deux Évangiles précédents. Ce n’est pas encore l’Église, mais au moins un trait bien caractéristique de la position chrétienne : Réjouissez-vous parce que vos noms sont écrits dans les cieux. «En cette même heure, Jésus se réjouit en esprit et dit : Je te loue, ô Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et que tu les as révélées à de petits enfants. Oui, Père, car ainsi il a été agréable à tes yeux». Ces paroles ne sont pas mentionnées ici, comme en Matthieu 11, en rapport et en contraste avec l’abandon des Juifs et le jugement du judaïsme. Non seulement Jésus voit apparaître devant ses yeux la destruction entière et finale de la puissance de Satan, par le moyen du Fils de l’homme et pour l’homme ; mais, plongeant ses regards plus loin que le royaume, il déploie les conseils du Père en la personne du Fils, auquel toutes choses ont été remises, et dont la gloire était impénétrable à l’homme, conseils qui seuls donnent l’explication de son rejet, et sont le secret de ceux qui croient en Lui et la source de leurs bénédictions : Ce n’est pas comme étant rejeté en sa qualité de Christ, et au point de vue de ses souffrances, comme étant le Fils de l’homme, que Jésus s’adresse ici à Dieu, en présence de ses disciples, mais en sa qualité de Fils qui révèle le Père et que le Père seul connaît. Aussi, avec quelle joie Jésus félicite les disciples de ce qu’ils ont vu et entendu !

Après ceci, nous trouvons en Matthieu (ch. 12) deux incidents qui eurent lieu pendant le jour du sabbat, et au moyen desquels le Seigneur démontra aux Juifs que le lien de l’ancienne alliance était rompu entre Dieu et son peuple. Ici, Luc, selon le point de vue qui domine dans son Évangile, nous montre le jugement moral prononcé par Jésus sur une personne instruite dans la connaissance de la loi. «Et voici, un docteur de la loi se leva pour l’éprouver, et lui dit : Maître, que dois-je faire pour hériter de la vie éternelle ?» Mais c’est Jésus qui le met à l’épreuve, en prenant la loi même pour base. «Qu’est-il écrit dans la loi ? Comment lis-tu ? Et répondant, il dit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, et de toute ton âme, et de toute ta force, et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même». Jésus réplique : «Tu as bien répondu, fais cela, et tu vivras». Le premier de ces commandements était clair, nulle ambiguïté possible ; mais quant au second, on pouvait chercher à discuter le sens du mot prochain. Sur la base de la loi, l’homme cherche toujours à se justifier : «Qui est mon prochain ?» Pour tout homme intelligent, la signification de ce terme ne pouvait être difficile à établir ; mais les conséquences morales qui en résultaient étaient graves, et les docteurs de la loi n’avaient pas jugé bon de s’expliquer à ce sujet. Il s’agissait pour eux d’échapper à un devoir évident, à un devoir qui exigeait de l’amour avant tout, la dernière chose au monde dont l’homme soit capable. La difficulté gisait donc dans l’homme lui-même ; aussi le scribe cherche-t-il à se justifier, chose impossible pour un pécheur. Un pécheur doit confesser ses péchés. Aussi longtemps qu’on n’a pas appris à se connaître et à rendre justice à Dieu contre soi-même, impossible de rien comprendre aux choses de Dieu, et sa Parole n’est qu’obscurité. Dans l’admirable parabole du Samaritain, nous voyons l’exemple de Jésus, l’homme parfait, dont l’oeil était simple, dont le coeur comprenait ce qu’est Dieu et en jouissait, et pour lequel il n’y avait par conséquent aucune difficulté à découvrir qui était son prochain ; car la grâce trouve son prochain chez quiconque a besoin d’amour. Celui qui a besoin de sympathie, celui qui a besoin du témoignage de la bonté divine, celui-là est mon prochain. Or Jésus est le seul qui ait jamais marché ici-bas dans la puissance entière de l’amour divin, quoique son humanité parfaite ne fût qu’un faible côté de sa gloire. Chez ce docteur juif, le coeur, la volonté de l’homme naturel, se servant de la loi pour se justifier et pour échapper à une obligation péremptoire, sont ainsi mis à découvert par le Seigneur. Pas trace d’amour chez lui, précisément la chose qui, en l’homme, au milieu d’un monde pervers, devait répondre au caractère de Dieu. Quel contraste avec ce Samaritain, au moyen duquel Jésus représente les sentiments de toute sa vie, la réalisation parfaite de la volonté de Dieu, dans l’amour du prochain ! Quelle grâce que, par notre moyen, nous qui sommes en Jésus, il existe un amour réel et actif sur cette terre, la seule chose, après tout, qui accomplisse la loi ! Il est très important de voir, en effet, que la grâce accomplit réellement la volonté de Dieu sous ce rapport : «Afin que la justice de la loi», est-il écrit, «soit accomplie en nous qui marchons, non selon la chair, mais selon l’Esprit» (Rom. 8:4). Le docteur juif marchait selon la chair ; il n’y avait en lui nulle conception de la grâce, et par conséquent point de vérité. Triste vie ! Il enseignait la loi de Dieu, et ignorait, ou feignait d’ignorer, qui était son prochain !

Là où la grâce se trouve, au contraire, chaque chose est mise à sa place, et cela se montre de deux manières : par l’importance attribuée à la parole de Jésus, et par l’importance attribuée à la prière. Nous voyons d’abord, à la fin de ce chapitre, comment la grâce apprécie la parole de Jésus au-dessus de tout. Entre deux personnes, également l’objet de l’amour du Seigneur, quelle différence en faveur de celle dont le coeur jouit le plus de la grâce ! C’est aux pieds de Jésus qu’est la vraie position morale de celui qui a le mieux compris la grâce, et c’est là que Marie était assise, afin d’écouter sa parole ; elle avait jugé justement, elle avait choisi la bonne part, comme le fait toujours la foi (je ne dis pas toujours les croyants). Marthe se donnait beaucoup de souci, ne pensant qu’à ce qu’elle pouvait faire pour Jésus, tel qu’il lui était connu selon la chair, et non sans songer, en même temps, à ce qui lui était dû à elle-même. Son intention était bien d’honorer le Seigneur, mais cela n’avait lieu que d’une manière extérieure et mondaine, elle cherchait à Lui témoigner de la déférence en sa qualité d’homme et de Messie, et tirait sans doute aussi quelque vanité des apprêts qu’elle faisait pour le recevoir convenablement. La conduite de Marie ne lui semblait que de l’indifférence pour toutes les peines qu’elle se donnait, et elle espérait que le Seigneur, en voyant cela, lui rendrait justice. Mais celle qui était à ses pieds pour écouter sa parole avait la bonne part ; une seule chose était nécessaire, et c’est Marie qui la faisait. Quand la grâce opère, elle ne produit pas des choses en rapport avec la durée passagère d’un moment, mais ce qui assure une bénédiction éternelle. Ici donc, l’importance attachée à la parole de Jésus est suivie de la révélation et de la communication de ce qui est éternel, la part qui ne sera pas ôtée.

2.3   [Chapitre 11]

Après avoir vu le prix que la grâce, dans un coeur qui en jouit, attache à la parole de Jésus, et cela en contraste avec l’abus de la loi chez l’homme naturel qui aurait dû en connaître la signification, puisqu’il l’enseignait, nous trouvons, au commencement du chapitre 11, l’importance de la prière et la place qu’elle occupe. Avant que mon coeur puisse s’adresser à Dieu, il faut évidemment que j’aie d’abord reçu de Lui la première chose qu’il communique : la révélation de Jésus à mon coeur. Aucune foi possible, sans la parole de Dieu (Rom. 10:17). Mes propres pensées à l’égard de Jésus ne peuvent que m’être nuisibles, et si je n’en ai pas d’autres, je suis dans le mensonge, la déception et la ruine. Mais il ne suffit pas de recevoir la Parole, même aux pieds de Jésus ; il faut encore que le coeur soit exercé devant Dieu. C’est ce dernier point que le Seigneur enseigne ici à ses disciples.

D’abord, nous trouvons la prière dictée par Jésus, appropriée à l’état et aux besoins des disciples, tels qu’ils étaient alors. Ici les allusions milléniales de la prière citée en Matthieu 6 sont omises, et les diverses requêtes qu’elle contient sont mentionnées, soit sous le rapport de leur signification générale, soit à leur point de vue moral. Ensuite le Seigneur insiste sur la persévérance dans la prière, et sur la bénédiction attachée à la ferveur de celui qui s’adresse à Dieu. Enfin il mentionne, et dans cet Évangile seul, le don du Saint Esprit comme exaucement de la prière : «Si donc vous, qui êtes méchants, savez donner à vos enfants de bonnes choses, combien plus votre Père qui est du ciel, donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent» ; c’est-à-dire non pas seulement aussi de bonnes choses, mais la meilleure de toutes. La grande bénédiction caractéristique conférée aux gentils sur le principe de la foi (Gal. 3:1-7), et par conséquent aussi aux Juifs croyants, était ce don de l’Esprit que le Seigneur enseigne ses disciples, à demander. Ils étaient nés de Dieu, mais ils n’avaient pas encore reçu le Saint Esprit ; tel était l’état des croyants pendant que Jésus vivait ici-bas. Jésus ne dit pas seulement aux disciples qu’il priera le Père, et que le Père leur enverra le Saint Esprit, comme en Jean 14:16, mais qu’eux aussi doivent le demander au Père, qui ne manquera pas de les exaucer. Je suis pleinement persuadé qu’il est encore aujourd’hui des cas, qu’on taxerait peut-être d’anomalie, où telles personnes, réellement convaincues de péché, n’ont point encore la paix assurée que procure infailliblement le don du Saint Esprit ; et, tout au moins en principe, cet enseignement du Seigneur peut leur être appliqué. Il est donc important, sous ce rapport, de le trouver en Luc d’une manière aussi claire ; puisqu’il ne s’agit point ici d’une instruction ayant trait au changement de dispensation qui allait avoir lieu, mais d’un enseignement pénétré de principes moraux d’une portée plus vaste, bien qu’ils dussent être influencés dans la suite par la manifestation des résultats immenses de l’oeuvre de Christ. Ainsi, la descente du Saint Esprit, au jour de la Pentecôte, modifia essentiellement cette dernière partie de l’enseignement de Jésus ; car, dès ce moment-là, la présence de l’Esprit impliquait, sans aucun doute, des faits plus importants que le don, de la part du Père, à ceux qui, individuellement, s’adresseraient à Lui pour le recevoir. Le premier fait capital qui découlait de la présence de l’Esprit sur la terre, c’était le témoignage du prix que Dieu attachait à l’oeuvre de Jésus, puisque l’envoi du Saint Esprit était la réponse donnée par le Père à cette oeuvre accomplie. Il en résulte que quelqu’un pouvait être en même temps converti, et recevoir aussitôt le Saint Esprit. Toutefois, dans le cas des disciples, ces deux choses étaient nécessairement encore séparées l’une de l’autre ; ils étaient déjà nés de l’Esprit, mais le don de l’Esprit leur manquait encore, privilège que le Seigneur leur enseigne à demander du Père, et qu’ils reçurent plus tard comme exaucement de leur prière. La tradition évangélique est aussi fausse, en ce qui concerne l’Esprit, que la tradition catholique, par rapport à l’oeuvre de Christ et à ses glorieuses conséquences actuelles pour le croyant. Il faut comprendre les Écritures par la puissance de Dieu, et non selon les pensées de l’homme.

Après avoir ainsi enseigné ses disciples, Jésus, chassa un démon qui était muet, et le démon étant sorti, le muet parla. Ce miracle enflamme la colère des Juifs ; ne pouvant nier la puissance miraculeuse de Jésus, ils l’attribuent au chef des démons. En même temps, d’autres, pour l’éprouver, demandent un signe du ciel. Le Seigneur annonce les terribles conséquences d’une incrédulité qui attribuait au diable la puissance de Dieu en Lui. Dans l’Évangile de Matthieu (ch. 12), la sentence prononcée par le Seigneur s’applique directement à la génération juive ; ici, à l’homme en général, en quelque circonstance qu’il se trouve ; car c’est toujours des principes moraux qu’il est question dans l’Évangile de Luc. Toutefois, comme Jésus s’adressait effectivement aux Juifs, il leur montre que le royaume de Dieu est parvenu à eux, mais qu’au lieu de le reconnaître, ils le rejettent par leurs blasphèmes. Puis il ajoute ces mots : «Quand l’esprit immonde est sorti d’un homme, il va par des lieux arides, cherchant du repos ; et n’en trouvant point, il dit : Je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti ; et y étant venu, il la trouve balayée et ornée. Alors il s’en va, et prend avec lui sept autres esprits plus méchants que lui ; et ils entrent et demeurent là. Et la condition de cet homme est pire que la première». Ici point d’allusion directe aux Juifs, comme en Matthieu ; aussi les mots : «Ainsi en sera-t-il de cette génération méchante», sont omis par Luc. Cette différence est d’autant plus frappante, et le point de vue particulier de l’Esprit d’autant plus évident, que le Seigneur adressa ce discours directement aux Juifs rebelles, leur prédisant le sort qui leur était réservé. Il eût donc semblé tout naturel que Luc fût resté dans les mêmes limites que Matthieu, tandis qu’il ne mentionne, au contraire, que ce qui peut s’appliquer d’une manière générale à tous les hommes. L’état dont nous trouvons ici la description, est celui d’une personne que l’esprit malin a quittée pour un temps, mais dans le coeur de laquelle la grâce divine n’a point opéré. Le caractère de cette personne peut-être changé, comme on dit ; sa conduite est meilleure, avec une apparence même de piété ; mais est-elle réellement née de nouveau ? Là est toute la question. Sans nouvelle naissance, le dernier état de cette personne sera encore pire que le premier. Sans la révélation du Saint Esprit à l’âme, et la vie de Christ dans l’âme, tout privilège, toute bénédiction accordée par Dieu, les meilleurs sentiments, les plus belles apparences, tout cela s’évanouira tôt ou tard, et Satan reprendra plus que jamais possession de sa victime. Le Seigneur poursuit le même enseignement moral au verset 28, lorsqu’il répond : «Mais plutôt, bienheureux sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent». Aucune liaison extérieure avec Lui, même la plus intime, ne pouvait être comparée avec la connaissance de la parole de Dieu et la valeur de la jouissance qu’elle procure, lorsqu’on la garde. Ensuite, Jésus ajoute : «Cette génération est méchante ; elle recherche un signe ; mais il ne lui sera pas donné de signe, sinon le signe de Jonas le prophète». La condition morale des Juifs n’était même pas à la hauteur de celle des habitants de Ninive, qui s’étaient repentis à la prédication de Jonas ; car ici, «le signe de Jonas» ne signifie pas la mort et la résurrection, mais la prédication de Jonas. Les hommes de Ninive avaient eu un signe en la parole de Jonas, afin qu’ils échappassent à la destruction. La reine du Midi, ayant entendu parler de la sagesse de Salomon, vint du bout de la terre pour l’entendre. Or, Jésus prêchait maintenant, Lui, la sagesse et la puissance de Dieu ; mais malgré tout ce qu’ils avaient vu et entendu, au lieu de croire, ils demandaient encore un signe. L’attitude donc de ces gentils, en contraste avec celle des Juifs incrédules d’alors, sera la preuve de la juste condamnation de ces derniers, au jour du jugement.

Après cet enseignement moral, qui se rattache à ce qui précède et montre encore une fois qu’il s’agit de croire à la Parole, le Seigneur fait un appel direct à la conscience. La lumière qui se trouvait en sa personne, n’était point cachée, elle brillait pour tous ; Dieu, à cet égard, avait pris tous les soins possibles. Mais pour voir la lumière, il ne suffit pas qu’elle soit placée sur un pied de lampe ; il faut encore que l’oeil soit en état de voir, il faut qu’il soit simple. S’il est mauvais, la lampe brille en vain ; tandis que si la lumière est reçue avec simplicité, non seulement on en jouit, mais encore elle éclaire toute la personne.

Jésus annonce ensuite malheur sur malheur, d’abord aux scribes et aux Pharisiens, qui, tout en observant certaines pratiques extérieures, négligeaient tous les devoirs moraux ; puis aux docteurs de la loi, qui chargeaient sur les autres des fardeaux difficiles à porter, mais ne les touchaient eux-mêmes pas du bout des doigts, et qui, n’étant point entrés dans la connaissance, en enlevaient la clef aux autres, de peur qu’ils n’y parvinssent. Se mêler des choses saintes, sans la foi dans le coeur, mène directement à la ruine et provoque le jugement de Dieu. Le sort qui attendait alors Jérusalem, atteindra aussi Babylone dans les derniers jours (Apoc. 18).

2.4   [Chapitre 12]

Au chapitre 12, le Seigneur indique aux disciples le sentier de la foi au milieu du mal caché des hommes, leur haine déclarée et leur mondanité. Lui étant rejeté, c’est de Lui qu’ils doivent rendre témoignage. En premier lieu, ils ont à se garder de l’hypocrisie des Pharisiens, et à prendre leur plaisir dans la conscience de la lumière divine à laquelle appartiennent ceux qui croient ; cette lumière est la puissance qui préserve, parce que Satan agit contre nous, tout autant par ruse que par des moyens violents. Mais Dieu agit en notre faveur, par la lumière qui révèle et juge les pensées secrètes du coeur, puis par son amour, par la confiance en Lui, dont il nous engage à ne jamais nous départir. D’abord Jésus dit aux disciples : «Je vous montrerai qui vous devez craindre. Craignez celui qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la géhenne ; oui, vous dis-je, craignez celui-là». Toutefois, de peur qu’on n’abuse de cette crainte, indispensable, il est vrai, bien qu’elle soit, pour ainsi dire, le degré le plus inférieur de la vérité et de la vie chrétienne, il ajoute aussitôt, en rappelant l’amour du Père : «Ne vend-on pas cinq passereaux pour deux sous ? Et pas un seul d’entre eux n’est oublié devant Dieu. Mais les cheveux mêmes de votre tête sont tous comptés. Ne craignez donc pas ; vous valez mieux que beaucoup de passereaux».

Le Seigneur parle ensuite de l’importance de confesser son nom, et de ce qui arrivera nécessairement à quiconque le renie devant les hommes ; il parle du blasphème contre le Saint Esprit, chose qui ne sera jamais pardonnée, quelle que soit la grâce de Dieu envers ceux qui auront blasphémé contre le Fils de l’homme, et promet, en contraste avec cela, le secours du Saint Esprit à ceux qui auront à rendre compte de leur foi en présence d’une religion mondaine et hostile à Christ.

Sur ces entrefaites, quelqu’un s’approche de Jésus et lui dit : «Maître, dis à mon frère qu’il partage avec moi l’héritage». Lorsqu’il reviendra sur la terre pour y régner, le Seigneur s’occupera des circonstances terrestres et mettra toutes choses en ordre. Telle n’était pas alors la tâche qu’il s’était proposée ; il ne s’agissait pas de la terre, mais des choses éternelles, d’un autre monde ; il s’agissait du ciel ou de l’enfer, du salut ou de la perdition des âmes ; aussi Jésus répond-il : «Homme, qui est-ce qui m’a établi juge sur vous et pour faire vos partages ?» L’incrédulité des hommes les empêchait de porter leurs regards au delà des choses terrestres ; de même, aujourd’hui encore, nombre de chrétiens oublient que leur part est dans le ciel, non dans les biens d’ici-bas. Le Seigneur saisit cette occasion pour montrer la folie de l’homme, qui cherche les richesses de ce siècle et se repose sur elles : «Insensé, cette nuit même ton âme te sera redemandée ; et ces choses que tu as préparées, à qui seront-elles ? Il en est ainsi de celui qui amasse des trésors pour lui-même et qui n’est pas riche quant à Dieu». D’autre part, il enseigne à ses disciples quelle espèce de trésor doit occuper leurs coeurs, quelles sont les richesses dont on ne se sépare jamais. La foi sèvre le coeur des convoitises, le délivre des soucis de ce monde, et rend l’homme content de son sort, qu’il remet entre les mains de Dieu. Le travail et les soucis pour les choses de cette terre, à quoi aboutissent-ils ? «Considérez les lis, comme ils croissent : ils ne travaillent, ni ne filent ; et je vous dis que Salomon même, dans toute sa gloire, n’était point vêtu comme l’un d’eux. Et si Dieu revêt ainsi l’herbe qui est aujourd’hui au champ et qui demain est mise au four, combien plus vous vêtira-t-il, gens de petite foi !» Les préoccupations du monde ne sont pas dignes de ceux qui connaissent Dieu : «Recherchez le royaume de Dieu, et toutes ces choses vous seront données par-dessus», car nous avons affaire au Père céleste, qui sait ce dont nous avons besoin.

Cet amour ineffable est témoigné envers nous non seulement par le Père, mais aussi par le Fils, et cela sous deux formes indiquées dans ce chapitre : l’amour du Fils pour ceux qui l’attendent et pour ceux qui travaillent pour Lui. Son attente est mentionnée aux versets 35, 36 : «Que vos reins soient ceints et vos lampes allumées ; et vous-mêmes, soyez semblables à des serviteurs qui attendent leur seigneur, quand il reviendra des noces, afin que quand il viendra et qu’il heurtera, ils lui ouvrent aussitôt. Bienheureux sont ces serviteurs-là que le Maître, quand il viendra, trouvera veillant ; en vérité, je vous dis, qu’il se ceindra et les fera mettre à table, et s’avançant il les servira». Le coeur de Christ va au-devant de ceux dont le coeur est rempli de Lui ; même dans la gloire, il les entoure de ses tendres soins. Jésus ajoute au verset 42 : «Qui donc est l’économe fidèle et prudent que le maître de la maison établira sur tous ses serviteurs, pour leur donner leur ration de blé dans le temps convenable ? Bienheureux cet esclave-là que son maître, quand il viendra, trouvera faisant ainsi : en vérité, je vous dis qu’il l’établira sur tous ses biens». Ici ce n’est plus l’attente, mais le service, chose nécessaire et précieuse ; toutefois l’attente va en première ligne. La personne de Christ est toujours l’objet principal qui doit posséder nos coeurs. Dans l’Évangile de Marc, où il s’agit du service, nous avons vu que Jésus rattache, d’une manière pleine de grâce, les souffrances à cause de l’Évangile, aux souffrances pour l’amour de son nom ; mais Luc, qui présente toujours le côté moral des choses, nous montre ici comment Jésus distingue, par rapport à sa venue, entre les sentiments du coeur et le travail qu’on aura fait pour Lui. Heureux celui qui sera trouvé à l’oeuvre, lorsque le Seigneur arrivera ; mais il y a une différence en faveur de l’attente persévérante d’un coeur qui l’aime. Le serviteur fidèle sera établi sur tous les biens de son seigneur ; le serviteur qui attend son seigneur, sera uni à lui dans son repos, son amour et sa gloire.

En contraste avec les bénédictions qui seront le lot de ceux qui appartiennent à Jésus, il est parlé, verset 46, du jugement du serviteur infidèle, lequel n’attend pas son maître, ni ne travaille pour lui. Mais les versets 47, 48, ajoutent ici une remarque toute particulière à l’Évangile de Luc, et qui s’adresse encore plus directement à la conscience ; car il y a une différence entre le serviteur qui a connu la volonté de son maître et celui qui ne l’a pas connue. Luc, en nous citant ici des paroles de Jésus que nous ne trouvons nulle part ailleurs, met en complète évidence la responsabilité du gentil greffé sur l’olivier (voyez Rom. 11:17), et celle des païens qui ne connaissent pas le christianisme. Il y a, d’un côté, dans la chrétienté, le serviteur qui connaît la volonté du maître, mais indifférent ou rebelle, de l’autre, en dehors de la chrétienté, le serviteur qui ignore la volonté du maître, et conséquemment pervers. Ce dernier, ayant «fait des choses qui méritent des coups», sera battu, mais bien moins que celui qui connaissait la volonté de Dieu. Être baptisé et faire profession du nom de Christ, voilà ce qui, au jour du jugement, fera peser sur les hypocrites la plus sévère condamnation possible. Il est curieux de voir ici comment les paroles de Jésus contredisent une opinion qui avait déjà cours dans la chrétienté avant le troisième siècle, et selon laquelle le baptême constituait une différence entre les pécheurs. Les Pères de l’église admettaient bien que ceux qui mouraient dans leurs péchés devaient être condamnés, mais ils pensaient que les peines de l’enfer seraient singulièrement allégées en faveur de ceux qui avaient reçu le baptême.

Quelle que fût l’immensité de l’amour de Jésus, l’effet en devait être que le feu serait jeté sur la terre, parce que cet amour était accompagné de la lumière divine qui jugeait l’homme ; or, comme celui-ci la haïssait, le feu était déjà allumé, bien avant l’exécution finale du jugement de la part de Dieu. L’amour de Christ, non plus que celui de Dieu, n’a certes pas été produit par ses souffrances ; cet amour était éternel ; mais il attendait encore l’expression complète de la haine de l’homme, avant de déborder et de s’épancher, sans limites, au secours de toutes les misères et de toutes les nécessités.

L’état de l’homme était désespéré, et la présence de Christ l’avait mis en lumière. Comment les foules ne discernaient-elles pas ce temps-là, comment ne jugeaient-elles pas ce qui était juste ? La haine des adversaires de Jésus ne laissait rien à désirer, son amour non plus ; donc, pas de doute possible. Quant aux Juifs particulièrement, ils se trouvaient dans un péril extrême ; Dieu allait les juger ; il était temps encore de s’arranger, pour ainsi dire, avec Jésus, tandis qu’il était là sur le chemin avec eux ; mais Israël n’a point écouté, et il porte aujourd’hui les terribles conséquences d’avoir rejeté la parole de Dieu.

2.5   [Chapitre 13]

Le commencement du chapitre 13 se rattache au même ordre d’idées, et montre combien il était futile de leur part de s’occuper de quelques jugements partiels, lorsqu’ils allaient eux-mêmes à la rencontre d’un jugement général, inévitable, s’ils ne se repentaient point : «Si vous ne vous repentez, vous périrez tous de la même manière». L’homme se sert volontiers du jugement d’autrui pour atténuer à ses propres yeux, ou pour oublier entièrement son état coupable devant Dieu. Le Seigneur répète son avertissement : «Si vous ne vous repentez, vous périrez tous pareillement». Un temps de répit leur a été accordé ; Lui-même l’avait plaidé en leur faveur ; mais si, après une nouvelle année de patience et de sollicitude, le figuier continuait à ne point porter de fruit, alors il devait être retranché. Ainsi la grâce a attendu, et ce n’est qu’après la grâce que le jugement final est arrivé.

Cette grâce qui non seulement patiente, mais qui agit encore, malgré l’incrédulité et la haine, et quoique le jugement soit à la porte, se montre dans la guérison de la femme qui avait un esprit d’infirmité depuis dix-huit ans. Naturellement, le chef de la synagogue s’indigne d’une guérison faite pendant le jour du sabbat ; Jésus lui prouve son hypocrisie ; «et comme il disait ces choses, tous ses adversaires furent couverts de honte, et toute la foule se réjouissait de toutes les choses glorieuses qui étaient faites par Lui». Ici, comme dans tout l’Évangile de Luc, c’est encore le coeur de l’homme qui se manifeste : d’un côté, les adversaires de la vérité et de la grâce, de l’autre, ceux dont la grâce a fait des amis de Jésus, ou des objets de sa bonté.

Aussitôt après, Jésus parle de la forme que doit revêtir le royaume de Dieu. Ce royaume devait commencer d’une manière inaperçue, s’agrandir peu à peu, et arriver enfin à une immense extension. Telle a été effectivement son histoire jusqu’à nos jours. Jésus ne traite pas ici la question du bien et du mal ; il ne s’agit pas de bonne ou de mauvaise semence, mais de l’extension de la doctrine qui porte le nom de chrétienne. Pour savoir si ce progrès extérieur du christianisme est conforme aux pensées de Dieu, il suffit de comparer les faits que nous voyons autour de nous, avec la parole de Dieu. Si Israël courait alors au-devant d’un jugement inévitable, qu’en sera-t-il donc du royaume de Dieu, tel qu’il apparaît actuellement dans sa forme extérieure de piété ?

Quelqu’un ayant demandé : «Seigneur, ceux qui doivent être sauvés (les Juifs pieux) sont-ils en petit nombre ?» Jésus montre qu’il vaut mieux s’occuper de la seule manière dont on peut être sauvé soi-même. Il s’agit pour cela de lutter pour entrer par la porte étroite ; impossible d’entrer sans être né de nouveau, car il est ajouté : «Beaucoup chercheront à entrer et ne le pourront pas». Je ne pense pas, en effet, que le Seigneur nous indique ici un contraste entre lutter pour entrer, et chercher à entrer, parce que, dans ce cas, l’entrée dépendrait de l’énergie de l’homme ; mais il met en garde contre toute tentative d’entrer autrement que par la porte étroite. Combien de personnes ne cherchent-elles pas à entrer par le baptême ; par l’observation de la loi ; par la prière ; par quelque vaine confiance en la miséricorde de Dieu ? Tous ces moyens, imaginés par l’incrédulité du coeur, déshonorent simplement Christ et son oeuvre, car l’homme invente tout au monde plutôt que d’y avoir recours. La lutte dont parle Jésus, pour entrer par la porte étroite, signifie donc, à mon avis, qu’on est arrivé à un sentiment réel du péché, à la repentance devant Dieu, à s’abandonner à la grâce de Dieu en Christ, et à accepter Jésus par la foi. Jésus lui-même, reçu par un coeur croyant et repentant, est ainsi la porte étroite. Le jugement annoncé ici à Israël, s’applique d’une manière générale à quiconque voudrait jouir des bénédictions célestes tout en rejetant le seul moyen que Dieu ait offert à l’homme pour y avoir part, savoir la foi en la personne et en l’oeuvre de Christ. Le Seigneur termine en montrant Israël jeté dehors, et des gentils venant d’Orient et d’Occident, du Nord et du Midi, pour s’asseoir dans le royaume de Dieu ; de sorte que ceux-ci qui étaient les derniers deviendront les premiers.

Des Pharisiens, feignant du zèle pour Lui, avertissent Jésus qu’Hérode veut le tuer. Mais il leur répond que rien ne l’arrêtera dans son service, avant que son heure ne soit venue, et que, du reste, ce n’est pas d’Hérode et de la Galilée qu’il s’agit, mais bien de Jérusalem. Car s’il était faux de dire qu’aucun prophète n’était jamais sorti de la Galilée, il était incontestable, en revanche, qu’aucun prophète ne pouvait être tué hors de Jérusalem. Cette fière cité de la religion mondaine et incrédule, avait seule l’honneur de préparer des tombeaux aux témoins de Dieu ; aussi devait-elle être abandonnée jusqu’au jour où le coeur du résidu juif se tournerait vers le Messie (2 Cor. 3:16), en disant : «Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur». Quel contraste entre l’abandon de Jérusalem et la lumière céleste devenue désormais la part des disciples !

2.6   [Chapitre 14]

Au commencement du chapitre 14, Jésus montre, encore une fois, qu’en dépit de ceux qui préféraient le signe de l’ancienne alliance au Messie lui-même venu dans la grâce de la nouvelle alliance, le jour du sabbat lui fournissait une occasion de manifester la bonté de Dieu. Les Pharisiens l’épiaient ; mais Jésus leur ferme la bouche d’avance, d’abord en leur demandant s’il est permis de guérir en un jour de sabbat ; puis, par un appel direct à leur conscience. En effet, l’homme qui a soin de tout ce qui lui appartient et n’oublie jamais ses propres intérêts, ne peut disputer à Dieu le droit d’agir en amour vis-à-vis de ceux qui ont besoin de Lui.

À la même occasion, Jésus enseigne un principe important qu’il mettait Lui-même en pratique : l’humilité, au lieu de l’orgueil ou de la vanité qui poussent les hommes à s’élever eux-mêmes. Le seul moyen, selon Dieu, d’être exalté, c’est de s’abaisser ; voilà l’esprit qui sied au royaume de Dieu. La récompense aura lieu au jour de la résurrection des justes, car quiconque s’élève sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera élevé.

Encore à la même occasion, quelqu’un de ceux qui étaient à table, s’écrie : «Bienheureux celui qui mangera du pain dans le royaume de Dieu !» Jésus montre, au moyen d’une parabole, que c’est précisément l’opinion contraire qui prévaut, puisque Lui, il n’a fait autre chose que d’inviter les hommes au festin de ce royaume, pour ainsi dire, tandis qu’eux ont unanimement refusé l’appel de la grâce. La parabole racontée ici, diffère en quelques points de celle rapportée en Matthieu 22. D’abord, il n’y est pas fait mention du premier message adressé aux invités, puis ceux-ci présentent leurs excuses individuellement, chacun à son point de vue, image frappante des raisons diverses et plausibles en apparence, que l’homme allègue pour ne se point soumettre à la justice de Dieu, et différer l’acceptation de sa grâce. Enfin, la persistance de cette grâce apparaît ici d’une manière admirable. L’esclave envoyé dans les rues et les ruelles de la ville, pour chercher les pauvres, les estropiés, les boiteux, les aveugles, étant de retour, dit qu’il y a encore de la place ; alors le maître ajoute : «Va dans les chemins, le long des haies, et contrains les gens d’entrer, afin que ma maison soit remplie». Matthieu omet ce dernier appel ; en revanche, il parle auparavant des troupes envoyées par le roi, pour brûler la ville, et il ajoute, à la fin de la parabole, le jugement de celui qui était entré sans avoir une robe de noce, image de quiconque s’appuie sur ses propres mérites, au lieu d’avoir revêtu Christ. Ces deux dernières différences nous prouvent, une fois de plus, la merveilleuse sagesse de Dieu dans toutes les nuances variées qui distinguent les récits des Évangiles. En Matthieu, il s’agissait de montrer la grâce remplaçant le judaïsme non seulement par son action intérieure, mais aussi en jugement contre ceux qui la mépriseraient.

Après avoir montré que l’obstacle qui empêche l’homme de venir à Dieu, se trouve dans son propre coeur, Jésus s’adresse aux foules qui le suivent, et les avertit sérieusement des difficultés morales qui se trouvent sur le chemin de ceux qui veulent aller après Lui. «Si quelqu’un vient vers moi, et ne hait pas son père et sa mère, et sa femme et ses enfants, et ses frères et ses soeurs, et même aussi sa propre vie, il ne peut être mon disciple ; et quiconque ne porte pas sa croix et ne vient pas après moi, il ne peut être mon disciple». Il s’agit, avant tout, de réfléchir si, avec ses propres forces, l’on est à même de lutter contre des forces infiniment supérieures ; pour être vraiment disciple de Christ, les ressources humaines, la volonté, l’énergie naturelle, ne sont d’aucun secours, puisqu’il faut être prêt à tout quitter. On peut commencer bien et finir mal, suivre Jésus quelque temps, en apparence, puis le quitter dès que les difficultés se présentent : «Le sel est bon, mais si le sel est devenu insipide, avec quoi l’assaisonnera-t-on ? Il n’est propre ni pour la terre, ni pour le fumier ; on le jette loin. Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende».

2.7   [Chapitre 15]

En contraste avec l’impossibilité pour l’homme en la chair, de devenir disciple de Christ, le chapitre 15 nous présente la grâce de la manière la plus complète et la plus touchante. Si les hommes ne peuvent réussir à devenir des disciples de Jésus, comment Dieu s’y prend-il pour en former ? La bonté de Dieu envers les pécheurs est manifestée ici sous trois formes différentes : la première parabole parle du berger qui cherche la brebis perdue, et qui, l’ayant trouvée, la met joyeux sur ses épaules ; c’est Christ, le Fils de l’homme, venu pour chercher et sauver ce qui était perdu ; le bon berger qui a laissé sa vie pour ses brebis ; le grand pasteur des brebis, ramené d’entre les morts, dans la puissance du sang de l’alliance éternelle (Hébr. 13:20). Il n’y a qu’un seul Sauveur, Jésus-Christ ; et c’est Lui, par conséquent, qui est mentionné ici en première ligne. Toutefois le Saint Esprit a aussi sa part glorieuse dans le salut d’une âme amenée à Dieu, et la seconde parabole nous représente son action sous l’image d’une femme qui allume sa lampe, balaie sa maison, et cherche diligemment jusqu’à ce qu’elle ait retrouvé l’objet qu’elle avait égaré. En contraste avec l’action extérieure de Jésus, qui sauve et porte sa brebis perdue, nous voyons ici l’action intérieure de l’Esprit dans l’âme d’un pécheur, sa puissance cachée au dedans du coeur. Il agit en secret dans l’homme intérieur et opère au moyen de la lumière de la Parole, car c’est toujours sous l’action directe de l’Esprit de Dieu que la Parole pénètre dans le coeur et l’illumine. Nous savons, il est vrai, par d’autres passages, que la Parole devenue chair, que le Berger lui-même, que Jésus est considéré comme la vraie lumière, mais ici, où il est parlé d’une chandelle allumée, impossible de l’appliquer à la personne de Christ, tandis que j’y vois au contraire l’action évidente de l’Esprit. La parole de Dieu peut avoir été prêchée et lue des centaines de fois, sans avoir produit le moindre effet, ou bien son influence n’a été que passagère ; puis, tout d’un coup, elle devient une lumière dans le coeur. Comme la femme qui cherche diligemment, l’Esprit de Dieu aussi condescend à tous les efforts, à tous les soins, pour appliquer la Parole à la conscience et au coeur, et pour faire briller la lumière au milieu des ténèbres qui les obscurcissaient. En rapport avec cette oeuvre intérieure de l’Esprit, il ne s’agit pas, dans la seconde parabole, d’un être vivant qui s’est égaré, mais pis que cela, d’une chose inanimée. La Parole nous décrit le pécheur sous deux faces, à la fois comme vivant dans ce monde et marchant loin de Dieu (Rom. 3), et comme mort dans ses fautes et ses péchés (Éph. 2). Impossible de se faire une juste idée de l’état de l’homme naturel, sans l’envisager de ces deux manières différentes ; aussi la première parabole nous le représente-t-elle comme égaré, c’est-à-dire préoccupé des affaires de ce monde, sans songer à Dieu, l’autre comme inanimé, c’est-à-dire mort dans ses péchés.

Comme complément de ces deux paraboles, celle du fils prodigue retrace l’histoire morale de l’homme éloigné de Dieu et qui retourne vers Lui ; elle le prend à son départ, raconte sa vie de plus en plus misérable, sa repentance, puis sa paix et sa joie en la présence de Dieu, qui lui-même éprouve la plus grande joie à le recevoir. C’est en réalité l’histoire de tout pécheur ; on cède d’abord un peu au péché, au désir d’être indépendant de Dieu et de suivre sa propre volonté, puis on cède davantage et l’on enfonce de plus en plus dans le mal. Mais je suis persuadé que cette parabole ne représente en aucune façon l’éloignement et la chute d’un enfant de Dieu, bien que, dans ce cas aussi, l’âme soit ramenée à Dieu et restaurée de la même manière. Cette interprétation, commune à beaucoup de personnes qui connaissent mieux la doctrine que l’Écriture, est facile à réfuter. D’abord elle ne cadre en aucune façon avec le sens des deux paraboles précédentes, dont cette dernière me semble former le complément nécessaire ; mais, plus que cela, elle contredit absolument les expressions des versets 24 et 32 : «Il était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé» ; car qui oserait affirmer qu’un chrétien soit perdu, lorsqu’il s’est éloigné de Dieu, ou même qu’il est tombé ? Celui qui croit, est une brebis perdue et retrouvée ; il ne marchera peut-être pas comme il le devrait, mais jamais l’Écriture ne le considérera pour cela comme étant de nouveau perdu, après avoir été retrouvé. Le fils prodigue, au contraire, n’était nullement un croyant infidèle ; il était perdu et mort, expressions inapplicables à quiconque est devenu un enfant de Dieu par la foi, mais parfaitement appropriées au contraire à l’état d’Adam et de ses descendants, considérés, en un certain sens, comme enfants de Dieu, c’est-à-dire de sa race, ainsi que le disait Paul aux Athéniens (Act. 17). Les hommes sont, en effet, la race de Dieu, parce qu’ils ont une âme et une responsabilité morale vis-à-vis de Dieu, qu’ils sont créés selon sa ressemblance et à son image ici-bas ; tandis que les animaux, bien que doués d’un esprit, sans lequel ils ne pourraient vivre, n’ont qu’une vie terrestre et cessent d’exister, esprit et corps, après leur mort. L’esprit de l’homme, au contraire, étant venu de Dieu, retourne à Dieu, soit pour le salut, soit pour la perdition ; il est immortel, puisqu’il a été soufflé directement par Dieu dans les narines de l’homme. D’entre tous les évangélistes, c’est Luc surtout qui nous présente l’homme à ce point de vue solennel que nous retrouvons dans les Actes, approprié à l’importance morale que Luc donne à l’homme dans ces deux livres, comme étant l’objet de la grâce divine. Dans cette parabole donc, l’homme est pris, pour ainsi dire, dès son origine, et nous le voyons s’éloignant de Dieu par degrés, jusqu’à l’abjection la plus complète ; alors la grâce intervient : Dieu lui inspire un sentiment réel, sinon profond peut-être, de son éloignement de Lui, de son péché, de sa ruine totale ; la misère, la souffrance, la honte, lui font faire un retour sur lui-même, et comprendre qu’il est perdu ; car Dieu, dans sa grâce, daigne se servir de tous les moyens pour ramener l’homme à Lui. Pourquoi perdu ? Parce qu’il a quitté Dieu. Aussi la première pensée du fils prodigue se tourne-t-elle vers la maison de son père ; la grâce lui inspire à la fois la conviction de la bonté qui est en Dieu, et de l’iniquité qui est en lui. La vraie repentance devant Dieu est ainsi opérée dans son coeur ; non point seulement le jugement de sa conscience sur lui-même et sa conduite passée, mais un jugement auquel il est conduit par Dieu, la bonté de Dieu l’ayant ramené à Lui par la foi : «Je me lèverai et je m’en irai vers mon père, et je lui dirai : Mon père, j’ai péché contre le ciel et devant toi». Outre l’histoire morale de l’homme, qui nous est présentée dans cette parabole, nous voyons encore les voies de Christ et la grâce de Dieu ; celles-là se montrent dans l’accueil fait au fils prodigue, celle-ci dans la joie et l’amour du Père, ainsi que dans la communion du fils avec cet amour, après qu’il a été reçu : «Son père,... courant à lui, se jeta à son cou et le couvrit de baisers,... et il dit à ses esclaves : Apportez la plus belle robe et l’en revêtez» ; tout ce qui est digne du père, doit être fait en l’honneur du fils repentant. Puis, ce dernier étant entré dans la maison, la joie de Dieu est partagée par tous ceux qui s’y trouvent. Cette scène ne se rapporte pas à la joie du ciel, mais au caractère céleste de l’adoration ici-bas chez ceux qui ont été amenés à Dieu. Tout s’y concentre autour de la perfection de l’oeuvre de Christ et de la joie du Père ; tel est le caractère de la communion chrétienne nécessaire pour l’adoration ; la pensée de ce que nous étions comme pécheurs, ne sert qu’à rehausser la position où la grâce nous a placés.

D’autre part, il est évident que la joie de la grâce est insupportable au propre juste ; la bonté de Dieu envers ceux qui sont perdus ne touche point son coeur. Le frère du fils prodigue, apprenant ce qui se passe, se met en colère et ne veut pas entrer ; il s’oppose aux sentiments et à la volonté de Dieu, et Lui reproche sa bonté, image frappante de ces Juifs qui condamnaient Jésus, parce qu’il mangeait avec des pécheurs, et de leur propre justice opposée à chaque manifestation de la grâce. Bien que le légalisme soit en principe de la propre justice, un chrétien sous la loi est dans une position toute différente de celle qui nous est dépeinte ici ; il est dans la maison, au lieu de n’y point vouloir entrer, il a le sentiment de ses fautes, éprouve le besoin de la miséricorde divine, et se réjouit de l’oeuvre de la grâce partout où elle s’opère.

2.8   [Chapitre 16]

Au chapitre 16, Jésus communique à ses disciples, par rapport aux choses terrestres, des instructions d’une grande importance. Il leur annonce d’abord que tout titre à la jouissance des biens de cette terre est désormais perdu pour l’homme : Israël, comme administrateur des richesses terrestres remises entre ses mains, est jugé, parce qu’il a été infidèle ; impossible à lui de recouvrer sa position antérieure. La seule chose qu’il reste à faire, c’est d’agir prudemment en vue de l’avenir. La conduite de l’économe infidèle, mais prudent, est racontée afin de nous apprendre à calculer en vue de l’éternité et non de la vie présente. Voyant qu’il va perdre son administration, il songe à l’avenir et au meilleur parti qu’il peut tirer de sa position actuelle ; il agit sagement avec les biens de son maître, avant qu’ils lui soient ôtés. Le Seigneur avertit ses disciples de suivre cet exemple, et d’en user pareillement avec les richesses terrestres qui appartiennent à notre maître, non pas à nous. Tout ce que nous possédons ici-bas est à Dieu ; n’y attachons point notre coeur, comme les Pharisiens dont il est parlé au verset 14, et comme le fait l’incrédulité à toute époque, mais regardons avec foi vers l’avenir, agissons en vue des demeures célestes. Tel est le point capital qui ressort de tous les enseignements de notre Évangile, principalement depuis l’époque de la transfiguration. Les disciples devaient, par leur foi, imiter la prudence de l’économe ; en cela consiste la fidélité dont parle le Seigneur. Pour agir ainsi, il faut considérer comme appartenant à Dieu, ce que nous sommes disposés, par nature, à envisager comme n’étant qu’à nous. Or, comme il est facile d’être généreux du bien d’autrui, suivons le modèle qui nous est donné dans cette parabole, distribuons les biens de notre maître, sans crainte de son déplaisir, et regardons aux choses célestes qui sont notre partage : «Faites-vous des amis avec les richesses injustes, afin que, quand vous viendrez à manquer, vous soyez reçus dans les tabernacles éternels». La terre n’est pas de longue durée, le ciel est pour toujours. Le Seigneur ajoute : «Celui qui est fidèle en ce qui est très petit, est fidèle aussi dans ce qui est grand» ; les choses terrestres et actuelles ne sont rien en comparaison des choses futures et éternelles. «Si donc vous n’avez pas été fidèles dans les richesses injustes, qui vous confiera les vraies ? Et si, dans ce qui est à autrui, vous n’avez pas été fidèles, qui vous donnera ce qui est vôtre ?» Quel admirable et divin enseignement ! Ce que l’homme naturel appelle sien, nous devons le considérer comme appartenant à autrui, c’est-à-dire à Dieu, et ce que nous considérerions plutôt comme n’appartenant qu’à Dieu seul, cela même est à nous. La vraie manière de nous servir des richesses terrestres, c’est de n’y point attacher notre coeur ; la fidélité consiste à en faire part aux autres ; alors un jour les choses éternelles, les vraies richesses qui nous appartiennent, seront largement confiées entre nos mains.

La parabole du riche et de Lazare (*) nous montre à la fois, en apparence et en réalité, le côté sombre et le côté brillant du présent et de l’avenir. «Il y avait un homme riche qui se vêtait de pourpre et de fin lin, et qui faisait joyeuse chère, chaque jour, splendidement ; et il y avait un pauvre, couché à sa porte, tout couvert d’ulcères, et qui désirait d’être rassasié des miettes qui tombaient de la table du riche». Tout d’un coup, la scène change ; ils meurent tous les deux ; le pauvre n’a même pas de sépulture ; mais étant dans le hadès et dans les tourments, le riche lève les yeux et voit le bonheur de celui qu’il avait méprisé durant sa vie. La valeur des choses, aux yeux de Dieu, apparaît tout à coup, en contraste avec leur apparence terrestre ; mais il est trop tard de connaître la vérité dans le hadès, lorsqu’on s’est laissé tromper et qu’on a refusé d’y croire ici-bas. Cet homme, qui jamais ne s’était soucié des choses éternelles, est dans l’angoisse en songeant à ses frères ; quoiqu’il n’ait jamais connu ce que c’est que l’amour des âmes, il est saisi de terreur en pensant au sort inévitable de ses plus proches. La réponse que le Seigneur met ici dans la bouche d’Abraham, est solennelle et décisive : «S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne seront pas persuadés non plus, si quelqu’un ressuscitait d’entre les morts». Or Jésus lui-même est ressuscité plus tard ; mais ceux qui avaient rejeté Moïse et les prophètes nièrent cette résurrection et inventèrent un mensonge à sa place (Matth. 28:11-15). Un autre Lazare aussi est ressuscité en témoignage de la gloire de Jésus, comme Fils de Dieu, et ces mêmes hommes cherchèrent à le tuer, afin d’annuler ce témoignage qu’ils haïssaient.

(*) Note Bibliquest : un commentaire complémentaire de cette parabole et de sa portée figure plus loin, à propos du chapitre 20 (2° moitié).

 

3                    Chapitres 17 à 24

3.1   [Chapitre 17]

Après avoir déployé, au chapitre 15, devant les yeux de ses disciples, les voies de la grâce divine en faveur de l’homme, Jésus leur a enseigné, au chap. 16, comment ils devaient juger les choses de ce monde-ci à la lumière des choses éternelles, en leur révélant le bonheur et le malheur qui auront lieu dans un autre monde ; ils devaient savoir que la seule manière d’estimer les choses terrestres à leur valeur réelle, c’est de les considérer au point de vue de l’avenir éternel.

Ici, le Seigneur communique encore d’autres enseignements à ses disciples. Il est impossible qu’il n’arrive pas de scandales, mais malheur à celui par qui ils arrivent ! D’autre part, s’il est urgent de prendre garde à soi, afin de ne pas faire tomber les autres en leur étant en piège, il est non moins nécessaire de pardonner à ceux qui ont péché contre nous. Il faut être ferme contre soi-même, et tenir ferme en faveur de son frère, même lorsqu’il nous a fait tort. Aussi les disciples, sentant l’impossibilité, pour la nature humaine, d’agir de la sorte, disent au Seigneur de leur augmenter la foi, et il leur indique, dans sa réponse, que la foi est une chose qui grandit en raison des difficultés ; elle cherche non ce qui est de la nature humaine, mais ce qui est de Dieu. Au surplus, quels que soient les services rendus à Dieu, quand bien même, loin de faillir à notre devoir, nous aurions fait toutes les choses qui nous ont été commandées, nous ne sommes que des serviteurs inutiles. Tels sont le sentiment et le langage qui conviennent à un disciple de Jésus.

Après que le Seigneur a ainsi enseigné le devoir de la foi en diverses occasions et de plusieurs manières, nous voyons, dans les versets 11-19, que c’est toujours auprès de Dieu, et en dehors de toutes les formes religieuses, que la foi cherche sa bénédiction. Or Dieu ne peut être trouvé qu’en Jésus. Les dix lépreux avaient tous été guéris au même degré ; mais il est une puissance supérieure à celle qui produit la guérison corporelle et qui nettoie de la lèpre la plus invétérée ; bien que cette puissance de guérison n’appartienne qu’à Dieu, elle est toutefois peu de chose, comparée avec la connaissance de Dieu lui-même, qui, seule, en esprit, amène l’homme à Dieu. Le lépreux, chez qui se montre cette action de la grâce divine, est précisément celui des dix qui n’appartenait pas à une religion traditionnelle et ne pouvait se vanter, comme les autres, de privilèges particuliers. C’est un Samaritain que le Seigneur a choisi pour manifester la puissance de la foi. Lui seul revient sur ses pas, voyant qu’il est guéri, et glorifie Dieu à haute voix ; mais la manière dont il le fait, ne consiste pas seulement à attribuer la bénédiction à Dieu ; il se jette sur sa face aux pieds de Jésus, Lui rendant grâces. En apparence, cet homme n’obéissait pas à la volonté de Jésus ; mais la foi réelle a toujours raison en dépit des apparences (je ne parle pas des caprices et des suggestions du coeur humain qu’on cherche souvent à faire passer sous ce nom) ; la foi que Dieu donne ne se trompe jamais, et celui qui, au lieu de se montrer au sacrificateur, reconnaît ici en Jésus la puissance et la bonté de Dieu sur la terre, lui seul agit dans un esprit conforme à la bénédiction qu’il a reçue, et conforme à Celui qui la lui a accordée ; car c’est la foi, venant de Dieu, qui opérait dans son coeur et le ramenait ainsi à la source d’où il avait tiré sa bénédiction. Aussi le Seigneur donne raison à ce Samaritain : «Les dix n’ont-ils pas été rendus nets ; et les neuf où sont-ils ? Il ne s’en est point trouvé qui soient retournés pour rendre gloire à Dieu, si ce n’est cet étranger». La foi découvre toujours le moyen de glorifier Dieu ; qu’il s’agisse d’Abraham ou du lépreux samaritain, son sentier gît toujours en dehors des voies de la nature, mais elle ne manque pas de le discerner. La foi reçoit le sceau de Dieu sur tout ce qu’elle entreprend, et la grâce lui vient en aide pour surmonter les obstacles de la route. Par cet acte, le système juif était jugé en principe, puisque la puissance de la foi, l’abandonnant, pour ainsi dire, à lui-même, remontait, en Jésus, à la source de la loi et de la grâce. La foi ne détruit rien, ce n’est pas son affaire ; les anges auront un jour cette mission ; mais elle trouve dès maintenant la délivrance, abandonnant à la loi, qui les condamne, ceux qui haïssent et repoussent la grâce. Elle découvre pour elle-même le bonheur d’être délivrée de la loi, bien qu’elle ne soit point sans loi quant à Dieu, mais, au contraire, légitimement et dûment soumise à Christ (ennomoV 1 Cor. 9:21), précisément parce qu’elle n’est plus sous la loi. Le Samaritain retournant vers Jésus, était mû par la simple action de la grâce qui dirigeait son coeur et conduisait ses pas. Ce récit concorde d’une manière admirable avec le caractère de l’Évangile de Luc, dans lequel seul il nous est raconté, et complète l’enseignement donné par Jésus dans les versets qui précèdent.

En réponse à une question que lui posent les Pharisiens, Jésus leur donne à entendre que le royaume de Dieu ne vient pas de manière à attirer l’attention. En effet, le royaume de Dieu révélé en la personne de Christ, bien qu’accompagné de signes extérieurs, servant à confirmer le message que Dieu adressait aux hommes, faisait appel à la foi plutôt qu’à la vue, et l’action du Saint Esprit dans l’âme était indispensable pour qu’un pécheur fût à même de le voir et d’y entrer. Ici, toutefois, il ne s’agit pas, comme dans l’Évangile de Jean (chap. 3), du moyen par lequel on entre dans le royaume, mais plutôt du caractère moral de ce royaume au milieu des hommes : il ne s’adresse pas aux sens ni même à l’esprit, et ne porte avec lui son évidence que pour la conscience et pour le coeur. Néanmoins, ce royaume étant celui de Dieu, impossible qu’il vienne au milieu des hommes sans des manifestations extérieures de l’amour de Dieu pour eux ; mais l’homme, dont la conscience est mauvaise et le coeur dépravé, méprise et la parole et le royaume de Dieu, ne désirant que des choses qui satisfassent ses sentiments charnels, son esprit ou ses convoitises. Le Seigneur établit donc tout d’abord ce principe fondamental, que le royaume est au milieu d’eux, puisque Lui-même, le Roi de la part de Dieu, il était alors sur la terre ; voilà, touchant le royaume, la vérité morale et importante pour les âmes. Après cela, il s’adresse aux disciples et leur dit : «Les jours viendront que vous désirerez de voir un des jours du Fils de l’homme ; mais vous ne le verrez pas. Et on vous dira : Voici, il est ici ; ou : Voilà, il est là. Mais n’y allez point, et ne les suivez point ; car comme l’éclair qui brille, luit de l’un des côtés de dessous le ciel jusqu’à l’autre côté de dessous le ciel, ainsi sera le Fils de l’homme en son jour. Mais auparavant, il faut qu’il souffre beaucoup, et qu’il soit rejeté de cette génération». Le royaume sera visible, un jour, aux yeux de tous ; mais auparavant, les souffrances de Jésus étaient nécessaires : «Les souffrances qui devaient arriver à Christ, et les gloires qui suivraient», comme le dit Pierre, parce que Dieu, toujours, avant de mettre l’homme à l’épreuve, fait précéder l’oeuvre de sa grâce. Avant la gloire arrivera le jugement, auquel est destiné ce monde indifférent pour Dieu et préoccupé uniquement de ses convoitises ; tel il était aux jours de Noé et de Lot, tel il sera aussi lorsque le Fils de l’homme le surprendra, revenant dans sa gloire et sa puissance. À cet enseignement prophétique, Jésus ajoute un avertissement solennel : «Souvenez-vous de la femme de Lot. Quiconque cherchera à sauver sa vie, la perdra». La femme de Lot, sauvée par la puissance des anges et arrachée à la destruction de Sodome, devint ainsi un signe d’autant plus frappant du jugement de Dieu auquel rien n’est caché : en dépit de cette délivrance miraculeuse, son coeur restait affectionné à ce qui méritait la colère et le châtiment divins. Le sort du monde en général nous est encore indiqué dans les versets qui terminent. C’est alors qu’aura lieu le jugement des vivants, et rien n’en pourra exempter ; ni les liens les plus intimes, ni sexe, ni occupation quelconque ; le choix dépendra de Dieu seul, qui discerne les coeurs : l’un sera pris et l’autre laissé. Les disciples demandent : «Où sera-ce, Seigneur ?» et il leur répond : «Là où est le corps, là aussi s’assembleront les aigles». Les jugements atteindront infailliblement ce qui est mort et ce qui, par conséquent, offense moralement la vue de Dieu.

3.2   [Chapitre 18]

En rapport avec l’établissement du royaume en gloire, le commencement du chapitre 18 contient une nouvelle exhortation à la prière ; non point seulement, comme au chap. 11, pour y exposer les besoins de l’âme et comme conséquence de ce que la parole de Dieu a été reçue dans le coeur, mais en vue du jugement divin qui interviendra pour délivrer les élus d’entre les Juifs de la tribulation des derniers jours. Néanmoins, bien que la remarque finale du Seigneur s’applique ici au résidu juif, Luc, dans ce qu’il nous rapporte, ne se borne jamais à une allusion particulière ; les circonstances dont il est question, sont limitées à une époque précise, mais l’exhortation est générale : «Il leur dit aussi une parabole, pour montrer qu’il faut toujours prier et ne pas se lasser». C’est un précepte moral applicable à tous les temps, à toutes les occasions ; prier, sans se lasser, tel est le devoir de quiconque connaît le Seigneur. La parabole elle-même, considérée à ce point de vue, nous enseigne, par conséquent, à avoir une entière assurance que le Seigneur écoute les prières qu’on Lui adresse au milieu de l’épreuve, et qu’il ne manquera pas de les exaucer ; comment n’interviendrait-il pas en faveur de ceux qui sont à Lui ? Il ne s’agit point seulement de la bonté de Dieu, en contraste avec le juge inique, mais de la valeur qu’ont, à ses yeux, tous ceux qui Lui appartiennent.

La parabole suivante nous présente la condition morale de l’homme à deux points de vue différents d’une part, un esprit contrit, avec peu de connaissance, mais un sentiment profond du péché ; de l’autre, quelqu’un de parfaitement satisfait de lui-même en la présence de Dieu : «Et il dit aussi cette parabole à quelques-uns qui se confiaient en eux-mêmes, comme s’ils étaient justes. Deux hommes montèrent au temple pour prier, l’un pharisien et l’autre péager». Ce pharisien ne représente pas un incrédule, ou un homme qui ne soit pas religieux ; bien au contraire, c’est précisément sa religion qui est son pire côté. Ce ne sont point ses péchés seulement qui le condamnent devant Dieu, mais sa religion même, parce qu’elle l’aveugle, lui et ceux qui l’entourent, et déshonore Dieu plus que tout autre chose au monde. Quant au péager, la complète intelligence de Dieu et la paix lui font défaut, mais il met au moins en pratique le commencement de la vraie intelligence ; il connaît Dieu suffisamment pour se condamner lui-même : «La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse» (Prov. 9:10). Aussi, malgré son peu de lumière, était-il le seul des deux qui jugeât justement de son état, et qui fût donc moralement capable de faire des progrès dans la connaissance, à mesure que Dieu lui en fournirait l’occasion. Avant la croix et l’ascension de Jésus, le privilège de pouvoir adorer Dieu, sans conscience de péché, n’existait pas ; c’est évident ; aussi le péages se tient-il loin, n’osant pas lever les yeux au ciel et se frappant la poitrine. Cette position était convenable alors pour quiconque avait le sentiment de ses péchés devant Dieu ; agir autrement eût été, non point de la foi, mais de la présomption ; puisque l’oeuvre de Christ n’étant pas encore accomplie, il était impossible de se l’appliquer et d’en jouir. En revanche, si Dieu invite aujourd’hui les croyants à s’approcher jusqu’au dedans du sanctuaire, n’est-ce pas également de la présomption que de se permettre de discuter la valeur de l’oeuvre rédemptrice de Jésus, et d’élever des doutes touchant les conséquences de la grâce de Dieu déployée de cette manière en notre faveur ? Dieu, dans sa patience, supporte cette atteinte portée à sa grâce, et il a sa manière à Lui de redresser un pareil tort. Mais nous devons à Christ, de ressentir toute fausse interprétation de la Parole tendant à annuler l’oeuvre qu’il a accomplie sur la croix. Le péager ne représente en aucune façon un croyant en pleine possession des bénédictions de l’Évangile ; et, par conséquent, son état n’est point indiqué comme un exemple à suivre par les chrétiens ; mais le but de cette parabole est de signaler le contraste entre un homme enseigné de Dieu à sentir son néant devant Lui comme pécheur, et un autre satisfait de lui-même ; puis enfin le jugement de Dieu à leur égard : «Je vous dis que celui-ci descendit en sa maison justifié plutôt que l’autre, car quiconque s’élève lui-même, sera abaissé ; et celui qui s’abaisse lui-même, sera élevé».

Si le péager représente l’humilité fondée sur le sentiment de notre indignité devant Dieu comme pécheurs, les versets suivants parlent de l’humilité comme conséquence du néant de l’homme en comparaison de Dieu. Bien des personnes ont la conscience de leur indignité, sans avoir encore le sentiment réel de leur néant, et sans donner, par conséquent, à Dieu et à l’homme la place qui leur convient.

Après cet enseignement si nécessaire aux disciples, Jésus montre au chef du peuple, venu pour l’interroger touchant ce qu’il faut faire pour hériter de la vie éternelle, qu’on est dans l’erreur aussi longtemps qu’on n’a pas appris que Dieu seul est bon. Si cet homme eût connu ce que c’est que la bonté de Dieu, il aurait découvert Dieu en Jésus. Mais ne connaissant ni Dieu, ni le bien, il ne voyait dans le Seigneur qu’une bonté qui ne dépassait pas les notions humaines. Or, si Jésus n’était qu’un homme, il n’y avait aucun bien en Lui (parce que nul n’est bon que Dieu seul), et il n’avait par conséquent aucun titre à être nommé : «bon maître». Le Seigneur, en sondant le coeur de ce chef du peuple, lui prouve deux choses auxquelles il n’avait jamais songé : d’abord il estimait, en réalité, le monde infiniment plus que Dieu et que la vie éternelle ; ensuite, se confiant en sa position honorable, ses richesses, les avantages que lui procurait cette terre, il ne s’imaginait pas qu’il pût y avoir, en fait de bien, des exigences au-dessus de sa portée ; mais dès qu’il s’agit de renoncer à toutes les choses qu’il aimait, sans s’en douter, il se trouve que le bien est trop difficile pour lui. Non, l’homme n’est pas bon, mais Dieu seul ; et Jésus, qui était Dieu, Lui, a renoncé à tout, par amour, pour un être tel que l’homme. Son abnégation n’a pas été la moindre des preuves de sa divinité. Ayant entendu ce que le Seigneur répondait au jeune homme, les disciples découvrent le fond de leurs pensées, en réclamant quelque louange de sa part pour avoir tout quitté afin de le suivre. Jésus ne les loue pas, mais leur donne l’assurance que Dieu n’oublie jamais un renoncement opéré par la foi.

Après cela, il les prend à part et leur dit : «Voici, nous montons à Jérusalem, et toutes les choses qui sont écrites par les prophètes touchant le Fils de l’homme, seront accomplies ; car il sera livré aux nations, il sera moqué et injurié, et on lui crachera au visage ; et après qu’ils l’auront fouetté, ils le mettront à mort ; et le troisième jour, il ressuscitera. Mais ils ne comprirent rien de ces choses, et le sens de ce discours leur était caché, et ils ne comprirent pas les choses qui étaient dites». On ne saurait trop le répéter, lorsque nous ne comprenons pas les Écritures, la cause n’en est point qu’elles soient écrites d’une manière obscure (je ne parle pas ici des points de détail), mais que notre volonté s’oppose à la vérité qu’elles renferment. Voilà la vraie raison des difficultés qui y abondent. Lorsqu’on a été amené à vouloir accepter la vérité de Dieu, l’oeil est simple et tout le corps éclairé. L’intelligence ne manquera pas, pourvu que le coeur et la conscience soient en ordre ; car dès que le croyant a eu sa propre volonté brisée par Dieu, et qu’il a été introduit dans la liberté par laquelle le Fils affranchit, sa conscience est purifiée et son coeur tourné vers Dieu ; il est amené dans la lumière de Dieu, et toute obscurité a disparu. Or tel n’était point alors l’état des disciples. Ils étaient encore attachés à leurs espérances messianiques, à leur espérance chérie d’un royaume terrestre ; aussi Jésus avait beau leur parler de la manière la plus claire possible, ils ne pouvaient le comprendre ; jamais homme n’avait parlé comme Lui, mais leur entendement était fermé. Pourquoi ce défaut d’intelligence ? C’est que leur coeur se refusait à saisir le sens des paroles de Jésus ; c’est que leur volonté était en jeu, et qu’elle ne pouvait accepter ce qui anéantissait leurs espérances secrètes ; par conséquent, «ils ne comprirent rien de ces choses». La cause de l’obscurité et des difficultés reste toujours la même, aujourd’hui comme alors, chez le croyant comme chez l’incrédule : on ne comprend pas la vérité, parce qu’elle ne nous convient pas.

Au verset 35, commence la dernière section historique des trois Évangiles synoptiques, l’arrivée de Jésus à Jéricho, avant d’entrer pour la dernière fois à Jérusalem. Ici toutefois, dans nos traductions, Luc semble contredire les récits de Matthieu 20 et de Marc 10, en racontant que, lorsque Jésus fut venu dans le voisinage de Jéricho, un aveugle était assis près du chemin et mendiait, tandis que, dans les autres Évangiles, la guérison de cet aveugle a lieu comme Jésus sortait de Jéricho. Mais l’expression grecque employée par Luc indique simplement que Jésus était près de Jéricho, ce qui signifie dans le voisinage de cette ville, car on est près d’une ville soit qu’on y entre, ou qu’on en sorte. Or Luc n’a aucunement l’intention de préciser la chose ; il ne pouvait affirmer le contraire de ce qui nous est raconté autre part, et cependant nous savons qu’il a, comme Matthieu, la coutume d’intervertir tacitement l’ordre historique des faits, afin d’en faire ressortir d’autant mieux la connexion morale. L’appel de Zachée, où Jésus déploie sa grâce d’une manière admirable, est mis en contraste avec la seconde arrivée de Jésus à Jérusalem, dans les derniers jours, dont il parle aux versets 12 et suivants, époque où aura lieu le jugement de ses ennemis, les Juifs incrédules (verset 27). Maintenant, il est clair que si Luc avait placé la guérison de l’aveugle après l’appel de Zachée, ce contraste dont je viens de parler eût été effacé. Luc, mentionnant les faits selon leur importance interne et morale, se contente d’indiquer vaguement l’époque de la guérison de l’aveugle, tandis que les deux Évangiles précédents nous en fournissent la date précise, ce qui nous permet de saisir d’autant mieux l’intention du Saint Esprit dans le récit qu’il nous donne en cet endroit. Cette guérison était encore un dernier témoignage de la présence du Messie, non comme jadis, dans la puissance du jugement, lorsque les murs de Jéricho s’écroulèrent, mais dans celle de la grâce qui à la fois mettait en évidence l’état d’Israël et était capable d’y porter remède. Eussent-ils seulement eu la foi de recourir au Messie afin qu’il les guérît de leur aveuglement ! Il était encore là pour les exaucer.

3.3   [Chapitre 19]

Comme Jésus entrait dans la ville de Jéricho, Zachée, chef des publicains, ne pouvant résister au désir de voir cet homme merveilleux, surmonte tous les obstacles pour atteindre son but. Jésus, connaissant le désir de son coeur et la foi qui y agissait, bien que faiblement, lui enjoint aussitôt de descendre et s’invite dans sa maison. Zachée est au comble de la joie, mais les autres se mettent à murmurer : toujours le même sentiment, du commencement à la fin ! Jésus étant entré, Zachée lui dit : «Voici, Seigneur, je donne la moitié de mes biens aux pauvres ; et si j’ai fait tort à quelqu’un par une fausse accusation, je lui rends le quadruple». Il avait raison, sans doute, et disait la vérité ; ce n’était certes pas une petite vertu pour un chef des péagers que d’être riche et de faire preuve de probité en même temps. Mais Jésus coupe court à ces paroles. Zachée s’efforçait d’avoir une bonne conscience dans la position difficile où il se trouvait, il avait atteint ce que l’homme appelle la justice ; qu’était-ce auprès de ce que le Seigneur apportait ? «Et Jésus lui dit : Aujourd’hui le salut est venu à cette maison, vu que lui aussi est fils d’Abraham ; car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu». C’est bien de justice humaine qu’il s’agissait ! L’homme, malgré toute son honnêteté, est perdu, c’est donc le salut qu’il lui faut atteindre. Or Jésus s’est chargé de tout pour le pécheur ; Lui, il apporte le salut ; et la présence du Sauveur dans cette maison, venu pour chercher ce qui était perdu, refoulait dans l’ombre les plus belles oeuvres que l’homme pût accomplir.

En rapport avec la grâce de Dieu en salut, apportée par Jésus, lors de sa première venue, puis en contraste avec son entrée à Jérusalem pour y mourir et non pour y régner, la parabole suivante (verset 11) montre que Christ allait d’abord monter au ciel, afin d’y recevoir plus tard le royaume des mains de Dieu, mais que sa seconde venue sur la terre serait alors le jugement de ses adversaires. Ceux qui pensaient que l’entrée de Jésus à Jérusalem devait être le moment de la manifestation du royaume, se trompaient complètement (verset 11) : «Un homme noble s’en alla dans un pays éloigné, pour recevoir un royaume et revenir». Ce n’était pas des hommes, mais de Dieu, que Christ devait recevoir le royaume ; au reste : «ses concitoyens le haïssaient ; et ils envoyèrent après lui une ambassade, disant : Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous». Toutefois, outre le jugement dont parle la fin de cette parabole, il y aura encore la rémunération des serviteurs responsables d’utiliser, pendant l’absence du roi, les dons qu’il a confiés entre leurs mains. Au chapitre 25 de Matthieu, le Seigneur, avant de partir, est représenté comme un homme qui, s’en allant hors de son pays, remet à ses serviteurs différentes sommes d’argent, selon leur capacité, afin qu’ils les mettent à profit jusqu’à son retour. Ici, chaque serviteur reçoit la même somme ; les privilèges sont égaux, l’épreuve morale est la même pour tous, et le résultat d’autant plus facile à constater. «Et il arriva, à son retour, après qu’il eut reçu le royaume, qu’il commanda qu’on lui appelât ces esclaves auxquels il avait donné l’argent, afin qu’il sût combien chacun aurait gagné par son trafic. Et le premier vint vers lui, disant : Seigneur, ta mine a produit dix mines. Et il lui dit : Bien, bon esclave, parce que tu as été fidèle en très peu de chose, aie autorité sur dix villes. Et le second vint, disant : Seigneur, ta mine a produit cinq mines. Et il dit aussi à celui-ci : Et toi, sois établi sur cinq villes. Et un autre vint, disant : Seigneur, voici ta mine que j’ai gardée, déposée dans un linge ; car je t’ai craint, parce que tu es un maître sévère : tu prends ce que tu n’as pas mis, et tu moissonnes ce que tu n’as pas semé». Ce dernier n’avait aucune confiance en la grâce de son maître, il le considérait comme un maître sévère, et il est traité en conséquence. L’incrédulité trouve, aussi bien que la foi, la récompense qu’elle mérite ; s’il est dit, d’une part : Qu’il te soit fait selon ta foi, de l’autre aussi : Méchant esclave, je te jugerai par ta propre parole. Il y a encore une autre différence entre ce récit et celui de Matthieu : la récompense ne consiste pas à entrer dans la joie du Seigneur, mais l’un reçoit dix villes, l’autre cinq ; tandis qu’en Matthieu il est dit : «Tu as été fidèle en peu de chose, je t’établirai sur beaucoup, entre dans la joie de ton Seigneur». Le terrible jugement du serviteur infidèle n’est pas mentionné dans Luc, tandis qu’il est parlé au contraire du jugement des ennemis déclarés du roi : «Ceux-là, mes ennemis, qui n’ont pas voulu que je régnasse sur eux, amenez-les ici, et tuez-les devant moi».

Après cette parabole, vient le récit de l’entrée de Jésus à Jérusalem, avec quelques détails qui ne se trouvent que dans cet Évangile. Il est dit au verset 37 : «Et lorsqu’il était déjà proche, à la descente de la montagne des Oliviers, toute la multitude des disciples, se réjouissant, se mit à louer Dieu à haute voix, pour tous les miracles qu’ils avaient vus, disant : Béni soit le roi qui vient au nom du Seigneur ! Paix au ciel, et gloire dans les lieux très-hauts !» Ces paroles impliquent bien davantage que ce que les anges avaient prononcé au commencement. Lors de la naissance de Jésus, une multitude de l’armée céleste avait loué Dieu, en disant : «Gloire à Dieu dans les lieux très-hauts, et sur la terre paix, et bon plaisir dans les hommes !» Ici, au contraire, les paroles «Gloire dans les lieux très-hauts» viennent en dernier lieu, comme conséquence de ce qui précède, et au lieu de la «paix sur la terre», qui résultera effectivement un jour de la présence de Christ sur la terre, et que Dieu fait annoncer, par anticipation, dès la naissance même de Jésus, les disciples s’écrient : «Paix au ciel». Ce n’est pas de paix sur la terre qu’il s’agissait alors : la terre qui allait juger Jésus, loin d’être prête pour la paix, l’était pour le jugement de Dieu (Jean 16:8, 9) ; Jésus, déjà rejeté moralement par les hommes, allait être mis à mort sur la croix. Le résultat immédiat de ses souffrances et de sa mort, n’était donc pas la paix sur la terre, mais bien certainement la paix dans le ciel. Le Saint Esprit avait inspiré aux anges, l’expression des desseins de Dieu, d’une manière générale, des effets moraux qui résulteraient de la naissance et de la mort du Fils de Dieu ; aux disciples, il fournit, en ce moment-là, l’expression des résultats directs et immédiats de la mort de Jésus, parce qu’il était rejeté.

La scène qui suit est profondément touchante, et caractérise encore d’une manière toute particulière la narration de cet Évangile. Dans celui de Jean, nous voyons Jésus pleurer sur le tombeau de Lazare, pleurer en présence de la mort, dont il sentait la puissance en raison de celle qu’il possédait Lui-même pour détruire la mort et amener la vie, et en raison de sa grâce parfaite comme homme ici-bas. Personne n’a jamais senti, plus profondément que Jésus, ce que c’est que la mort, parce qu’en Lui se trouvaient à la fois et la puissance de la vie et la perfection de l’amour. Pour comprendre réellement et sentir ce qu’est la mort pour l’homme, il fallait être la vie, il fallait que l’homme Jésus fût Dieu en même temps. Ici, c’est sur Jérusalem que Jésus verse des pleurs, sur cette ville qui le rejetait et allait le crucifier. Quelle grâce divine que cette tristesse du Seigneur en songeant au jugement qui devait fondre sur Jérusalem, parce qu’elle rejetait la miséricorde en la personne de son Dieu : «Si tu eusses connu, toi aussi, au moins en cette tienne journée, les choses qui appartiennent à ta paix !»

Ici, la visite de Jésus au temple, pour chasser ceux qui y vendaient et y achetaient, est mentionnée en peu de mots, puis il est simplement ajouté qu’il enseignait tous les jours dans le temple, et que les principaux du peuple cherchaient en vain de le faire mourir, parce que tout le monde était suspendu à ses lèvres pour l’entendre.

3.4   [Chapitre 20]

Au chapitre 20, diverses classes d’hommes influents, représentants de la religion mondaine et juive, s’assemblent autour de Jésus, pour chercher à le prendre en défaut et pour trouver ainsi une occasion de l’accuser. Mais en présence du Seigneur de la gloire, ce sont eux qui tombent dans le piège, étant obligés de se condamner eux-mêmes. D’abord (versets 1-8), ce sont les sacrificateurs, les scribes et les anciens qui lui demandent par quelle autorité il agit. Jésus, après leur avoir adressé Lui-même une question qui les embarrasse, manifeste devant le peuple l’histoire des voies de Dieu envers eux, leur affreuse condition morale et leur jugement inévitable (vers. 9-19). Apparaissent ensuite les agents secrets des sacrificateurs et des scribes, feignant d’être justes, pour le surprendre en paroles, afin de le livrer au magistrat et au pouvoir du gouverneur (vers. 20-26). Enfin, les Sadducéens s’avancent à leur tour, qui niaient la résurrection. Je m’arrête un instant sur cette portion du chapitre, parce qu’elle contient quelques traits importants et instructifs que Luc seul nous mentionne. Aucun des autres évangélistes n’emploie ici, comme lui, pour désigner les hommes occupés des affaires de cette vie, l’expression caractéristique : «Les fils de ce siècle» (voyez aussi 16:8) ; ce sont des personnes qui vivent exclusivement pour la terre, sans s’inquiéter de l’avenir : «Les fils de ce siècle se marient et sont donnés en mariage ; mais ceux qui seront estimés dignes d’avoir part à ce siècle-là et à la résurrection d’entre les morts, ne se marient ni ne sont donnés en mariage, car aussi ils ne peuvent plus mourir ; car ils sont semblables aux anges, et ils sont fils de Dieu, étant fils de la résurrection». L’objection imaginée par les Sadducéens n’existait que pour l’incrédulité, sans cesse occupée à faire surgir des difficultés en face des vérités divines les plus certaines et les plus indubitables. Jamais elle ne réussit qu’à rendre les choses de Dieu incompréhensibles. Or, la résurrection est précisément la vérité capitale vers laquelle tout converge, manifestée par Jésus en sa propre personne, lorsqu’il fut ressuscité d’entre les morts. Les hommes qui alors y étaient surtout opposés, appartenaient à la secte juive la plus active, la plus intellectuelle et la plus savante. Jésus ajoute dans sa réponse un autre détail remarquable : non seulement Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants, mais encore «tous vivent pour lui» (v. 38). Voilà donc deux grandes vérités : vie pour Dieu après la mort, et résurrection future, lorsque Jésus reviendra pour introduire le siècle à venir. Ainsi, dans l’Évangile adressé aux gentils, la résurrection du corps est prouvée d’une manière incontestable, chose dont ils n’avaient aucune idée ; puis l’existence de l’âme après la mort, problème qu’ils cherchaient inutilement à résoudre ; enfin la vie des hommes pendant l’espace intermédiaire qui sépare la mort de la résurrection, sont directement données à entendre par les paroles du Seigneur. Les Juifs orthodoxes ne doutaient naturellement d’aucune de ces vérités.

Ces vérités touchant l’avenir sont encore mentionnées autre part. Dans la parabole du riche et de Lazare, nous en apprenons même davantage. Là, l’existence de l’âme, séparée du corps, est heureuse pour l’un, malheureuse pour l’autre, de sorte que le bonheur et le malheur à venir ne dépendent pas seulement de la résurrection ; mais en l’état final de l’homme incrédule, après la seconde résurrection et le jugement devant le trône de Dieu (Apoc. 20:11-15), le corps et l’âme à la fois sont voués aux tourments éternels. La parabole du chap. 16 nous fournit, au moyen de figures empruntées à la vie physique, une description des tourments de l’âme séparée du corps. L’Esprit de Dieu, s’adressant à l’intelligence humaine, est obligé, pour être compris, d’employer un langage qui lui soit adapté, car comment pourrait-il nous dépeindre un état entièrement inconnu à l’homme, sauf en se servant d’images empruntées à la vie actuelle ? La réponse de Jésus au brigand sur la croix nous fournit aussi le même enseignement touchant l’existence et l’état de l’âme séparée du corps. Le brigand pensait à la résurrection, en demandant à Jésus de se souvenir de lui quand il viendrait dans son royaume ; mais le Seigneur lui promet davantage, la bénédiction et le bonheur immédiats : «En vérité, je te dis qu’aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis». Nous ne saurions maintenir trop fermement l’importance de la résurrection et de l’état de bonheur ou de misère qui commence, pour l’âme, aussitôt après la mort. Céder sur ce dernier point, c’est ouvrir la porte au matérialisme qui conduit directement à abandonner la vérité et la grâce de Dieu, et à nier l’affreuse réalité du péché de l’homme et de la puissance de Satan.

Au verset 40, Jésus, à son tour, pose une question aux scribes, touchant sa personne et la position qu’il allait prendre, non sur le trône de David, mais sur le trône de Dieu. N’était-il pas le fils de David, et pourtant reconnu par David comme son Seigneur ? Le christianisme dépend tout entier de la personne et de la position de Christ ; le judaïsme, abaissant la personne de Christ, ne voit pas, ou nie sa position ; le christianisme n’est point seulement basé sur l’oeuvre, mais encore sur la gloire personnelle et la place de Celui qui est glorifié en Dieu. C’est comme homme que Christ prend cette place ; Lui qui s’est humilié comme homme dans la souffrance, est aussi exalté comme homme dans la gloire suprême de Dieu.

3.5   [Chapitre 21]

En contraste avec les scribes et leur hypocrisie égoïste, qui dévorent les maisons des veuves et, pour prétexte, font de longues prières, mais qui recevront un jugement d’autant plus terrible, le commencement du chapitre 21 nous raconte l’offrande de la pauvre veuve dont Jésus dit qu’elle a mis plus que tous les autres au trésor, parce qu’elle y a mis de sa pénurie. Marc cite ce fait au point de vue du service de la foi ; Luc au point de vue de l’état du coeur et de la confiance en Dieu.

À propos du temple, les disciples prouvent que leur coeur est encore attaché aux choses de la terre et à la religion juive ; Jésus, dans sa réponse, ne décrit pas la gloire et la beauté qui seront un jour le partage de Jérusalem, mais, au contraire, la destruction du temple et le jugement des Juifs et de leur ville. Cette prophétie mentionne des détails que nous ne trouvons ni en Matthieu, ni en Marc, et qui résultent d’un point de vue tout différent. En effet, le tableau contenu dans le milieu de ce chapitre, nous, représente la destruction de Jérusalem par les Romains, tandis que Matthieu l’omet, pour fixer exclusivement l’attention du lecteur sur les événements des derniers jours. Luc parle aussi du jugement final, mais, dans son récit, c’est le jugement de la Jérusalem d’alors qui occupe la première place. Au verset 20, le Seigneur dit expressément : «Quand vous verrez Jérusalem environnée d’armées, sachez, alors que sa désolation est proche» ; il n’est point dit : lorsque vous verrez l’abomination de la désolation. Pas un mot de la grande tribulation (Matth. 24:21). «Ce sont là les jours de la vengeance, afin que toutes les choses qui sont écrites soient accomplies», rétribution terrible, mais non point des malheurs comme il n’y en eut jamais depuis le commencement du monde : «Il y aura une grande détresse sur le pays, et de la colère contre ce peuple ; et ils tomberont sous le tranchant de l’épée, et seront menés captifs parmi toutes les nations». Cette prédiction a été accomplie à la lettre lors de la prise de Jérusalem sous le règne de Titus, et il est aussi faux d’appliquer ces paroles à ce qui arrivera dans les derniers jours, que de vouloir éluder la prophétie de Matthieu, en l’expliquant par les événements historiques. Ceux qui, dans ce dernier cas, s’efforcent, de nier la vérité, verront un jour, mais trop tard, qu’il n’y a pas d’hyperbole dans la parole de Dieu. Un dernier trait clôt cette prophétie : «Et Jérusalem sera foulée par les nations, jusqu’à ce que les temps des nations soient accomplis». Jérusalem a été saccagée, ses habitants ont été égorgés ou menés en captivité, et enfin elle n’a cessé d’être sous la domination des gentils jusqu’à nos jours ; elle le sera aussi longtemps que durera la période pendant laquelle Dieu permet aux nations d’avoir la suprématie sur Israël.

Au verset 25, commence la prophétie relative aux derniers temps : «Et il y aura des signes dans le soleil et dans la lune, et dans les étoiles, et sur la terre une angoisse des nations en perplexité,... les hommes rendant l’âme de peur et à cause de l’attente des choses qui viennent sur la terre habitable, car les puissances des cieux seront ébranlées. Et alors on verra le Fils de l’homme venant sur une nuée, avec puissance et grande gloire. Et quand ces choses commenceront à arriver, regardez en haut, et levez vos têtes, car votre rédemption approche». Il est à peine nécessaire d’insister sur le fait que tout cela n’est point arrivé lors de la prise de Jérusalem par les Romains, et qu’il s’agit là de choses qui auront lieu lorsque les temps des nations seront accomplis.

Ensuite le Seigneur ajoute la parabole du figuier, mais non point du figuier seul, comme en Matthieu, car le champ de Luc est plus vaste et comprend toutes les nations. Ici il est dit : «Voyez le figuier et tous les arbres». Matthieu, qui ne s’occupe que des Juifs, ne mentionne que le figuier, symbole d’Israël, tandis que l’évangéliste des gentils parle aussi des «autres arbres», dont il n’est question nulle part ailleurs. Le Seigneur rattache à cette prophétie sur les derniers jours, un enseignement moral qui cadre avec le caractère de tout notre Évangile : «Prenez garde à vous-mêmes, de peur que vos coeurs ne soient appesantis par la gourmandise et l’ivrognerie, et par les soucis de cette vie, et que ce jour-là ne vous surprenne inopinément ; car il viendra comme un filet sur tous ceux qui habitent sur la surface de toute la terre».

Quant à Jésus, loin d’être occupé des choses de cette terre, qui influencent si aisément ceux qui sont ses disciples : «Il passait les jours dans le temple à les enseigner,... et dès le point du jour ; tout le peuple venait à Lui dans le temple pour l’entendre». Son amour ne se lassait pas.

3.6   [Chapitre 22]

Le chapitre 22 nous montre le Seigneur au milieu de ses disciples, non plus comme prophète leur dévoilant l’avenir, mais sur le point d’être offert en sacrifice et leur donnant, avant sa mort, le gage le plus précieux de son amour. De la part du monde, rien que la haine ; chez les disciples, la faiblesse ; Pierre va le renier ; Judas le trahit ; le prince de ce monde, qui avait la puissance de la mort, va l’entourer de ses fourberies et de ses terreurs. «Il leur dit : J’ai fort désiré de manger cette Pâque avec vous, avant que je souffre ; car je vous dis que je n’en mangerai plus jusqu’à ce qu’elle soit accomplie dans le royaume de Dieu». C’est là le dernier acte de communion entre Jésus et ses disciples ; toutefois, s’il mange avec eux, il ne boit pas avec eux à la même coupe, car une autre Lui était réservée, une coupe bien différente, que son Père lui donnerait à boire, l’antitype de la Pâque, et celle sur laquelle est fondée la cène que nous célébrons aujourd’hui. La coupe dont il est parlé au verset 17, était celle de la Pâque juive, à propos de laquelle Jésus leur dit : «Prenez ceci et le distribuez entre vous, car je vous dis que je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu». Le royaume de Dieu allait venir moralement, c’est là l’idée présentée en Luc : l’établissement du royaume sous la forme de la chrétienté, de ce qu’on peut nommer le système chrétien ; il ne s’agit nullement ici d’un état de choses futur, soit dans le ciel, soit sur la terre, mais de l’établissement immédiat et réel du royaume de Dieu ici-bas : «La justice, et la paix, et la joie, dans le Saint Esprit» (Rom. 14:17), tandis que Matthieu et Marc en parlent au point de vue de l’avenir millénial. Après le repas de la Pâque (vers. 19, 20), Jésus, «ayant pris un pain et ayant rendu grâces, le rompit et le leur donna, en disant : Ceci est mon corps qui est donné pour vous, faites ceci en mémoire de moi. De même il prit la coupe aussi, après le souper, en disant : Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang qui est versé pour vous». Dans cette institution de la cène, Luc dit chaque fois : pour vous ; tandis que Matthieu et Marc, en parlant de la coupe, citent ainsi les paroles de Jésus : «Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance qui est répandu pour plusieurs». Là, en effet, il s’agissait du point capital de l’efficace du sang de Christ, non pas pour les Juifs seulement, mais aussi pour les nations ; l’ancienne alliance de condamnation était limitée, la nouvelle alliance (ou plutôt le sang de Christ, du Fils de l’homme rejeté, sur lequel elle était fondée) ne connaissait pas de limites. Ici, le point de vue de Luc est tout à fait conforme à celui que nous avons appris à connaître antérieurement dans son récit du sermon sur la montagne ; c’est un point de vue personnel, où il s’agit, d’une manière plus directe et plus intime, du coeur et de la conscience de chaque croyant en particulier. Combien de personnes, en effet, acceptent la justification par la foi, comme thèse générale, mais refusent d’y croire pour eux-mêmes, ne pouvant admettre que Dieu puisse leur accorder un privilège pareil, et cependant il est impossible de marcher en la présence de Dieu, comme il le faut, aussi longtemps qu’on n’a pas pris, par la grâce, la place d’homme justifié devant Lui. C’est d’un fait personnel qu’il s’agit : «Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang qui est versé pour vous».

Le Seigneur ajoute, après cela : «Le Fils de l’homme s’en va bien, selon ce qui est déterminé ; mais malheur à cet homme par qui il est livré !» Un terrible contraste moral se présente ici à son esprit (voyez aussi Jean 13:21). On est trop peu habitué à penser aux sentiments qui surgirent dans le coeur du Seigneur à cette occasion, et, en général, à ses souffrances morales ; impossible de saisir l’expiation sous son vrai jour, en négligeant ce côté des souffrances de Christ, ce qui, au fond, provient d’un manque de foi en son humanité réelle. On a beau maintenir que le Seigneur a enduré la colère de Dieu sur la croix, c’est une chose bien triste et sérieuse que de négliger ou de nier la moindre partie de sa gloire morale ; or c’est en nier une partie, que d’exclure ce genre de souffrances qui manifestent l’étendue et le caractère de son humiliation, qui l’exaltent d’autant plus à nos yeux ; qui nous le rendent d’autant plus précieux, et sont pleines de consolation et d’encouragement pour nos coeurs ; car nous ne saurions nous passer d’aucune de ses sympathies. Oui, Jésus a profondément senti la trahison de celui qui avait été son disciple (voyez Ps. 109), et nous, de notre côté, nous devrions la considérer à ce point de vue au lieu d’y voir simplement une chose nécessaire, prévue par les Écritures, et dont la bonté de Dieu s’est servie pour accomplir ses conseils de grâce. Sont-ce là les seules pensées dont nous puissions nous contenter en présence du trouble qui s’empara de l’esprit de Jésus ? Ou le sentiment de ses souffrances ne devrait-il pas remplir notre coeur, en songeant à cet ineffable amour qui a tout supporté en faveur des élus ? Oui, le Seigneur a tout supporté et de la part de tous ; non seulement les disciples en sont à se demander qui d’entre eux le livrera, mais, malgré la droiture de leurs coeurs, quelle ignorance, quel égoïsme ! «Il arriva une contestation entre eux pour savoir lequel d’entre eux serait estimé le plus grand». Luc seul mentionne cette vanité des disciples aussitôt après que le Seigneur a institué la cène, et qu’ils ont appris qu’un traître est au milieu d’eux. La question lequel d’entre eux serait le plus grand, les a souvent préoccupés ; mais ici, quel douloureux contraste avec la mort de leur maître, son corps donné, son sang versé pour eux ! «Les rois des nations les dominent, et ceux qui exercent l’autorité sur elles, sont nommés bienfaiteurs ; mais il n’en sera pas ainsi de vous ; mais que le plus grand parmi vous soit comme le plus jeune, et celui qui conduit comme celui qui sert. Car lequel est le plus grand, celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Or moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert». Quelle grâce et quel exemple ! N’oublions pas l’enseignement qui précède : il ne s’agit pas pour les disciples de Christ d’exercer de l’influence en répandant le bien autour d’eux, mais de servir comme leur Maître l’a fait.

À ces paroles, le Seigneur ajoute : «Or vous êtes ceux qui avez persévéré avec moi dans mes tentations ; et moi, je vous confère un royaume, comme mon Père m’en a conféré un, afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon royaume, et que vous soyez assis sur des trônes, jugeant les douze tribus d’Israël». Encore un trait admirable et touchant de la grâce. Les trois autres Évangiles ne laissent aucun doute sur l’abandon des disciples ; il est dit en Marc que tous l’abandonnèrent et s’enfuirent ; Luc seul, en revanche, nous cite ces paroles de Jésus. C’est au point de vue de ce qu’il avait fait pour eux, — car c’est Lui qui avait persévéré, et soutenu leurs pas chancelants, — que le Seigneur peut leur dire : «Vous êtes ceux qui avez persévéré avec moi dans mes tentations». Voilà toujours comment la grâce agit et juge ; elle regarde à ce qu’elle a opéré ; tandis qu’au point de vue de leur responsabilité, il n’en était pas moins vrai qu’au moment décisif, les disciples, loin de prouver leur affection, abandonnèrent Jésus, comme tous les autres, de sorte que les Écritures furent accomplies à la lettre. Luc est aussi le seul des évangélistes qui mentionne les paroles suivantes : «Simon, Simon, voici, Satan vous a demandés pour vous cribler comme le blé ; mais moi j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas ; et toi, quand tu seras revenu, fortifie tes frères». Que les voies de la grâce sont puissantes, sages et parfaites dans la manière dont elle juge les expériences qu’elle permet, la solution qu’elle procure ! Tous les évangélistes mentionnent ici la chute de Pierre, celui-ci seul parle de l’intercession du Seigneur en grâce et du dessein qu’il se propose en ramenant son disciple.

En rapport avec la mort de Jésus, nous voyons enfin le contraste entre la position future des disciples et celle qu’ils avaient eue pendant le ministère du Seigneur. Ce changement résultait de celui qui commençait dès lors pour Jésus lui-même. Le sentiment de son rejet et de sa mort prochaine, ne pesait pas seulement sur son esprit, mais affectait aussi plus ou moins ses disciples, qui y voyaient surtout la victoire des hommes sur Celui qui les avait protégés jusque-là. Il leur dit : «Quand je vous ai envoyés sans bourse, sans sac et sans sandales, avez-vous manqué de quelque chose ? Et ils dirent : De rien. Il leur dit donc : Mais maintenant, que celui qui a une bourse la prenne, et de même celui qui a un sac, et que celui qui n’a pas d’épée, vende sa robe et achète une épée. Car je vous dis qu’il faut encore que ceci qui est écrit, soit accompli en moi : Et il a été compté parmi les iniques. Car les choses qui me concernent vont avoir leur fin. Et ils dirent : Seigneur, voici deux épées ; et il leur dit : C’est assez». Il n’est pas surprenant que les disciples n’aient point saisi alors le sens de ces paroles, bien que tous les enseignements du Seigneur, depuis qu’il était avec eux, eussent dû leur faire comprendre qu’il ne s’agissait point de se défendre les armes à la main. Le Seigneur se sert apparemment de ce langage, pour leur indiquer qu’au lieu de compter dorénavant sur un pouvoir surnaturel qui les protège sans cesse, ils doivent employer, selon la mesure de leur foi, tous les moyens naturels que Dieu leur fournirait pour son service. Nous lisons, il est vrai, dans les Actes, que les apôtres opérèrent des miracles, mais toujours en faveur d’autrui. Pendant leur mission précédente, ils avaient été continuellement protégés par la puissance divine ; ni les douze, ni les soixante et dix ne furent persécutés ou emprisonnés ; ils parcoururent le pays en annonçant le royaume, sans courir le moindre danger ; aucun miracle particulier n’intervenait en leur faveur ; ils étaient gardés, sans interruption, comme leur Maître lui-même, par la puissance de Dieu. Désormais tout était changé, et le disciple encore devait être comme son Maître. Jésus allait souffrir ; comment pouvaient-ils prétendre eux-mêmes à un sort meilleur ? Mais ils devaient regarder à Dieu et se servir, avec foi, de tous les moyens qu’il mettrait à leur disposition. Voilà la cause, selon moi, de la contradiction entre ces paroles du Seigneur et celles qu’il adressa précédemment à ses disciples (chap. 10). Le Messie allait être retranché ; le bras qui les avait soutenus, le bouclier qui les avait protégés, sont retirés, pour eux comme pour Lui. Il allait à la rencontre de la mort, et, avant de la subir corporellement, il l’envisageait en esprit ; car jamais le Seigneur n’a été surpris par les événements. Il n’agissait pas comme les hommes, qui évitent tout ce qu’ils peuvent éviter ; songent, aussi peu que possible, à ce qui leur est pénible ou désagréable ; regimbent jusqu’à la dernière extrémité ; et, s’il n’y a plus d’issue, s’arment enfin de courage pour traverser l’épreuve. Ce n’est pas de l’héroïsme qu’il faut chercher en Jésus ; bien que le vrai Dieu, il était homme dans toute l’acception du terme, sauf le péché ; et son coeur, sensible à tout, connaissait saintement toutes les souffrances. Dans la perfection de son humanité, il les prenait de la main de Dieu et les subissait pour la gloire de Dieu.

Nous voyons cela d’une manière frappante dans la scène de Gethsémané. C’est là, pour la première fois, que Jésus dit à ses disciples de prier, afin qu’ils n’entrent pas en tentation. La tentation peut survenir et mettre le coeur à l’épreuve ; mais y entrer est autre chose. «Et il s’éloigna d’eux, environ d’un jet de pierre ; et s’étant mis à genoux, il priait, disant : Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe ! Toutefois que ce ne soit pas ma volonté qui soit faite, mais la tienne». La tentation trouvait Jésus dans une communion parfaite avec son Père, mais il en sentait tout le poids, et, pour nous montrer jusqu’à quel point cela avait lieu, l’Esprit nous raconte qu’un ange du ciel Lui apparut, le fortifiant ; qu’étant dans l’angoisse du combat, il priait plus instamment, et que sa sueur devint comme des grumeaux de sang découlant sur la terre. Le chemin de la foi est si difficile pour l’homme, dans un sens ou dans un autre, qu’à une époque où, malgré la plus profonde superstition, on craignait encore tout ce qui avait l’apparence de ternir la gloire du Fils de Dieu, des écrivains orthodoxes, afin de la sauvegarder vis-à-vis des incrédules, eurent la témérité de retrancher les versets 43 et 44 ; rien n’est plus téméraire, en effet, que cette anxiété d’Uzza pour l’arche de Dieu (2 Sam. 6:6). Il n’était pas possible, à leurs yeux, que le Seigneur Jésus eût souffert pareillement, parce qu’ils avaient une bien faible idée des profondeurs insondables de la croix, où Dieu Lui cacha sa face. Avec une foi simple en l’humanité de Christ, telle que l’Écriture nous la présente, et s’ils avaient mieux discerné ce que la croix était pour Lui, ils auraient aussi accepté les angoisses qui la précédèrent, lorsque la puissance de Satan et le jugement de Dieu pesaient d’avance sur son âme. De nos jours, on procède d’une manière plus prudente et plus efficace : on ne retranche rien de cette scène, mais on n’y croit pas ; on passe sur ces moments d’angoisse, de trouble, de combat, tels que jamais coeur d’homme n’en a connu, ni avant ni après Lui, comme si le Fils de Dieu se fût contenté d’une sorte de comédie, et qu’il n’eût absolument rien ressenti dans son âme. Tout chez Jésus a été réel. Mais, durant les jours de sa chair, aucun des moments qu’il traversa ne fut plus douloureux, aucun ne nous représente ses souffrances d’une manière plus évidente, plus solennelle, plus instructive, aucun, sauf la croix, n’a glorifié Dieu lui-même davantage que cette scène où Jésus, loin d’éviter l’épreuve ou de la repousser, se soumet à chacune de ses étreintes, parce qu’il y voit la main de Dieu appesantie sur Lui.

C’était maintenant leur heure et le pouvoir des ténèbres ; jusque-là les hommes n’avaient pu mettre les mains sur Jésus ; mais l’oeuvre de sa vie terminée, Lui-même définitivement rejeté, il accepte toute humiliation, toute honte, toute espèce de souffrance. Cependant, loin d’y voir simplement l’action de l’homme, des Juifs où des gentils, instruments de Satan, Jésus y reconnaît la main de son Père. Il savait parfaitement que Dieu, si telle avait été sa volonté, eût pu retourner le coeur des Juifs et anéantir le dessein des gentils ; mais il fallait que les uns le haïssent, que les autres le couvrent de leur opprobre et le mettent à mort : «Contre ton saint serviteur Jésus que tu as oint, se sont assemblés et Hérode, et Ponce Pilate, avec les nations et les peuples d’Israël, pour faire toutes les choses que ta main et ton conseil avaient à l’avance déterminé devoir être faites» (Actes 4:27). Jésus voyait, dis-je, le conseil de Dieu au-dessus de la volonté des hommes et de Satan ; il voyait sa main dirigeant toutes choses, et s’inclinait en la bénissant, tandis qu’il offrait, avec larmes, des prières et des supplications à Celui qui pouvait le sauver de la mort (Hébr. 5:7). Peser en la présence de Dieu tout le fardeau de son affliction, et anticiper les souffrances qui allaient fondre sur Lui, ne faisait qu’en accroître l’intensité, aussi le Seigneur priait-il instamment que, si possible, cette coupe fût éloignée de Lui. Mais Dieu la lui avait destinée ; aussi ajoute-t-il : «Toutefois, que ce ne soit pas ma volonté qui soit faite, mais la tienne». La perfection de Jésus se montre dans la terreur qu’il éprouve devant cette coupe, car comment eût-il pu traiter avec indifférence la colère de Dieu qu’elle contenait ? C’eût été de la dureté de coeur et non de l’amour ; comment eût-il pu la désirer ? Sa perfection se montre également dans le fait qu’il se soumet à la volonté de son Père et la préfère à la sienne, parce qu’elle est la volonté de Dieu. Pour peu qu’on sache qui était Jésus et quelle était la gloire de sa personne, impossible de douter de sa perfection. Mais il ne s’agit point seulement de croire qu’il était Dieu ; l’on annule la valeur de ses souffrances, en se refusant à voir l’homme en Lui à côté de la divinité. Toutefois, le fait qu’il était Dieu n’a nullement, atténué le sentiment de la douleur qu’il ressentait comme homme, autrement l’état de Jésus eût été un milieu entre la divinité et l’humanité, un composé des deux à la fois, au détriment de l’une et de l’autre. La notion d’un Christ, insensible à la souffrance est une vieille erreur, une chimère inventée par Satan, aussi funeste que la négation de sa divinité, puisque, dans ce cas, il ne peut point avoir souffert pour la gloire de Dieu et à la place du pécheur. Ses souffrances ont eu, aux yeux de Dieu, une valeur trop réelle, trop importante, pour que nous puissions, sans danger, en retrancher la plus petite partie ; et, que nous les comprenions ou non, il s’agit de ce que Dieu nous en dit dans sa Parole et du prix qu’il y attache. Nous ne comprenons que bien peu, il est vrai, tout ce qui ne se rapporte pas directement à nos besoins personnels immédiats, mais nous sommes responsables de nous soumettre à Dieu, de croire ce qu’il nous affirme, bien qu’il nous soit si difficile de sonder les profondeurs de tout ce qu’il nous a révélé sur la personne de Jésus. Dans tous les cas, quiconque avoue ne point comprendre une chose, n’a certes pas le droit de la discuter, et ce serait à la fois plus sage de sa part, plus humble, plus convenable, de se taire et d’apprendre.

Jésus est trahi par un de ses disciples et renié par un autre. Pierre est impuissant vis-à-vis de la difficulté où sa propre confiance l’a entraîné ; lui qui avait dormi auparavant, au lieu de veiller et de prier avec son Maître, a maintenant, loin de son Maître, si peur même d’une servante qu’il le renie devant elle. Quant aux autres, ils s’étaient enfuis. Jésus est seul, personne ne témoigne en sa faveur, et l’homme triomphe : moqueries, soufflets, blasphèmes, il fait ce qu’il lui plaît du Christ livré désormais entre ses mains. Cependant ce n’est point sa volonté qu’il accomplit, mais celle de Dieu et les conseils de sa grâce. Les anciens, les principaux sacrificateurs et les scribes demandent à Jésus s’il est le Christ ; question inutile, puisqu’ils avaient prouvé surabondamment qu’ils ne voulaient pas croire. «Désormais, répond Jésus, le Fils de l’homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu», telle est la conséquence de son rejet comme Messie des Juifs, indiquée dans les trois premiers Évangiles. «Tu es donc le Fils de Dieu ?» «Vous le dites vous-mêmes que je le suis». Il n’en fallait pas davantage pour le condamner à mort.

3.7   [Chapitre 23]

Luc seul nous raconte que Pilate et Hérode, ennemis auparavant, se réconcilièrent à propos de Jésus. Le rejeter, le couvrir d’opprobre, c’était bien là une chose, en effet, sur laquelle tout le monde tombait d’accord, quoique sa mort même ait été décidée par Pilate, malgré la voix de sa conscience, pour complaire aux Juifs. Il est dit, au verset 27, que pendant que Jésus montait à Golgotha, une grande multitude du peuple et de femmes le suivait, et que celles-ci se frappaient la poitrine et le pleuraient. Mais, malgré leur émotion et la pitié qu’elles témoignaient, ces femmes, sans foi et sans amour réel pour Jésus, étaient loin de comprendre les conséquences de sa mort : «Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ; mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants ; car voici, les jours viennent auxquels on dira : Bienheureuses les stériles, et les ventres qui n’ont pas enfanté, et les mamelles qui n’ont pas nourri. Alors ils se mettront à dire aux montagnes : Tombez sur nous, et aux coteaux : Couvrez-nous ; car si ces choses sont faites au bois vert, que sera-t-il fait au bois sec ?» Jésus était le bois vert, mais eux, qui étaient les branches stériles, quel sort ne devaient-ils pas attendre ? Israël, qui aurait dû être l’arbre vert de la promesse, n’était qu’un arbre sans sève, prêt pour le jugement. Jésus, en qui se trouvait toute la vigueur de la sainteté et de l’obéissance, avait alors la croix devant Lui ; c’est ainsi que l’homme l’a traité, aussitôt que Dieu l’a livré entre ses mains ; mais alors, que le jugement de l’homme sera terrible !

«Et deux autres, qui étaient des malfaiteurs, furent menés avec Lui, pour être mis à mort. Et quand ils furent venus au lieu appelé Crâne, ils le crucifièrent là, et les malfaiteurs aussi, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche .... Et l’un des malfaiteurs qui étaient pendus, l’injuriait : N’es-tu pas le Christ, toi ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi. Mais l’autre, répondant, le reprit, disant : Et tu ne crains pas Dieu, toi, car tu es sous le même jugement !» Avant de mourir, Jésus opère encore l’oeuvre du salut dans le coeur de cet homme crucifié à ses côtés. Nulle âme ne pourrait être sauvée sans l’oeuvre parfaite de Jésus accomplie pour elle, aucun pécheur n’est sauvé que par les souffrances et la mort de Christ. Mais lorsque le coeur a saisi cette oeuvre faite pour l’âme, une oeuvre est opérée en même temps dans l’âme elle-même ; or il est très important de ne pas oublier que l’oeuvre intérieure est tout aussi nécessaire que l’oeuvre extérieure. Ici, quoique les effets de cette oeuvre intérieure se produisent presque instantanément, l’Esprit de Dieu nous en fait cependant connaître les grands traits moraux. D’abord, la haine du péché, comme conséquence de la crainte de Dieu ; le malfaiteur repentant reproche à son compagnon l’outrage qu’il fait à Jésus, au moment même où il devrait avoir peur du péché plus que jamais, en présence de la mort et du jugement de Dieu. Puis il ajoute : «Et pour nous, nous y sommes justement, car nous recevons ce que méritent les choses que nous avons commises ; mais celui-ci n’a rien fait qui ne se dût faire». En s’exprimant ainsi, cet homme n’avait pas seulement le sentiment de la justice, mais, en face du péché, entrevoyait encore la grâce et la volonté de Dieu dans la mort de ce juste. La sainteté de Jésus, faisait une telle impression sur lui, qu’en dépit de toutes les haines, de toutes les accusations et du jugement de hommes, il pouvait en parler avec autant d’assurance que s’il en eût été le témoin durant toute sa vie. Qu’elles sont grandes, la simplicité et l’assurance de la foi ! Celui qui dément ainsi la condamnation prononcée par les principaux des Juifs et le gouverneur romain, n’est qu’un malfaiteur sur la croix : «Celui-ci n’a rien fait qui ne se dût faire». Après avoir compris qui était Jésus, il se tourne vers Lui et lui dit : «Seigneur, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume». Quelle est la réponse ? «En vérité, je te dis qu’aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis». Impossible à Jésus de ne pas exaucer cette prière ; jamais il n’a repoussé une âme qui s’adressait à Lui, ni une prière fondée sur sa gloire et qui exprimait le désir d’être avec Lui. Il est descendu sur la terre afin d’entrer en rapport avec les pauvres, les faibles, les misérables, et il est monté au ciel, pour y mettre en rapport avec Lui, dans sa gloire, ceux-là mêmes qui étaient peut-être ici-bas les plus abjects de tous, mais désormais purifiés par l’eau et par le sang. Les paroles du brigand sont une preuve qu’il n’avait aucune angoisse concernant ses péchés, car il ne dit point : Seigneur, ne te souviens pas de mes péchés, mais : Souviens-toi de moi. Comment concilier la pensée du royaume de Christ avec le sentiment des péchés ! Il se confie tellement en la grâce, qu’aucun doute ne trouve place en son coeur, et qu’il peut demander à Jésus de penser à lui lorsqu’il viendra prendre possession du royaume que la foi de ce brigand attribue au rejeté et au méprisé des hommes, condamné, comme lui, à la mort de la croix. Le brigand ne se trompait pas, et Jésus lui répond avec cette grâce ineffable, si digne de Dieu (voyez Ps. 132) qui, non contente d’exaucer la prière de la foi, accorde encore bien plus qu’on ne lui a demandé. Dans la manière dont il reconnaît la foi, Dieu montre ce qu’il est, comme en toute autre chose. Nous avons vu dans la scène de la transfiguration, qu’il y a une bénédiction plus élevée que celle du royaume, et où il ne s’agit pas de l’exercice de la royauté que les prophètes ont annoncée, mais d’une gloire plus excellente qui dépend uniquement de la personne de Jésus et à laquelle sa grâce seule fait participer. C’est cette gloire que Jésus promet au brigand sur la croix, en récompense de sa foi, et qui dépasse de beaucoup l’objet de sa requête : «Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis». En vertu du sang de Christ, ce pécheur allait être avec Lui dans le lieu des joies et des délices divines.

Luc, ainsi que Marc, nous raconte deux événements miraculeux qui se passèrent lors de la mort de Jésus : le soleil fut obscurci et le voile du temple se déchira par le milieu ; la lumière naturelle disparaît, et le système judaïque s’évanouit, afin de faire place à la vraie lumière nouvelle qui donne, à celui qui la voit, l’accès du sanctuaire. Mais Luc met surtout en relief les faits moraux qui se groupent autour de la mort de Jésus, et mentionne, à cet effet, les deux miracles en même temps. Une différence capitale entre le récit de cet Évangile et les deux précédents, consiste dans les paroles de Jésus mentionnées ici, au verset 46 : «Jésus, criant à haute voix, dit : Père, entre tes mains je remets mon esprit». Matthieu et Marc ne les rapportent pas, tandis qu’au contraire, ils nous montrent Jésus s’adressant à Dieu dans le sentiment qu’il est abandonné de Lui, parce que son âme est mise en offrande pour le péché. Jean, de son côté, cite ces seules paroles : «C’est accompli», parce qu’il nous présente la personne divine de Jésus, le Fils venu ici-bas pour accomplir l’oeuvre que le Père Lui avait donnée à faire. Jésus, comme Fils de Dieu, descendu du ciel, déclare que son oeuvre est terminée sur la terre. Ici, Luc nous présente le Seigneur, dans sa perfection humaine, remettant son esprit entre les mains de son Père avec la confiance qui ne l’avait jamais quitté (Ps. 16 et 31). C’est assurément sur la croix seule qu’a été accomplie l’expiation ; c’est là que le sang de Christ a été versé, c’est là qu’est mort Celui qui ne considérait pas comme une chose à ravir, d’être égal à Dieu, et qui néanmoins a connu ce que c’était que d’être abandonné de Dieu, en jugement à cause du péché, de notre péché, qu’il avait pris sur Lui. C’est ainsi, comme buvant la coupe de la colère de Dieu, que Matthieu et Marc nous le représentent, Lui, le vrai Messie, mais rejeté par son peuple, Lui, le fidèle serviteur qui avait travaillé en grâce sur cette terre. Luc, en revanche, nous montre, sur la croix, la dépendance de Dieu, la confiance en Lui qui caractérisèrent le Seigneur, comme homme ici-bas, d’une manière non moins absolue, au moment de sa mort que durant toute sa vie ; tandis que Jean nous le fait connaître, même alors et malgré l’expiation, dans sa gloire personnelle, au-dessus de toutes les circonstances. En Luc, c’est le côté humain, quoique parfait, de la personne du Seigneur que nous apprenons surtout à connaître du commencement à la fin : il est le Fils de Dieu, aussi bien que le fils de David, mais c’est comme Fils de l’homme qu’il apparaît principalement à nos yeux, jusque dans les moindres détails de sa carrière terrestre.

Dans son récit de la mort de Jésus, Luc omet une foule de circonstances relatées par Matthieu qui s’adressait spécialement aux Juifs, circonstances pleines d’un profond intérêt pour eux, lorsque la grâce les rend humbles et obéissants, et pleines d’avertissements solennels, quelle que soit l’incrédulité qui ferme leurs coeurs et leurs oreilles à la vérité. Il n’est rien dit du songe de la femme de Pilate et du message qu’elle adresse à son mari ; rien du remords et du désespoir de Judas qui jette, dans le sanctuaire même, le prix du sang innocent, puis s’étrangle ; rien de ces paroles terribles prononcées par le peuple : «Que son sang soit sur nous et sur nos enfants» ; rien touchant l’accomplissement des prophéties (Matth. 27:9, 35) ; nulle mention enfin ni du tremblement de terre, ni des rochers qui se fendirent, ni des sépulcres ouverts, et de l’apparition des saints ressuscités. Mais Luc met en relief les détails qui concernent les gentils, ce qui s’adresse au coeur de l’homme en général, à ses besoins, à ses affections : le peuple et les gouverneurs regardent, et se raillent de Jésus ; les soldats se moquent de Lui ; mais le Seigneur agit, selon sa grâce ineffable, en faveur d’un malfaiteur justement crucifié à ses côtés. Quant à Lui, ses souffrances, bien que non limitées à la croix, y atteignirent toute leur intensité, puisque là seulement fut exercé le jugement de Dieu sur le péché, et que toute l’horreur qu’il inspire à Dieu fut démontrée, pour la première fois, en la personne de Jésus fait péché pour l’homme. Mais Lui, le seul homme parfait qui ait jamais existé, le second Adam, rejeté et méprisé, criant à haute voix (preuve que sa mort n’était pas le résultat d’un affaiblissement de ses forces sur la croix), remit son esprit entre les mains de son Père, avec une confiance illimitée, une paix parfaite, bien qu’il ait bu jusqu’à la lie la coupe de la colère. Il était venu pour accomplir la volonté de Dieu. Il l’avait faite malgré la haine croissante des hommes, et Dieu, loin de le protéger, l’abandonna au contraire entre leurs mains, afin d’amener, par sa mort, des résultats que sa délivrance n’eût jamais effectués.

L’entière vérité touchant la personne de Jésus est contenue dans l’ensemble des quatre Évangiles, tandis que chacun d’eux s’attache à nous la présenter surtout sous une de ses faces particulières.

Celui qui éprouva sur la croix, comme victime expiatoire, les souffrances indicibles dont parlent Matthieu et Marc, c’est le même Jésus dont la confiance en Dieu, aussi illimitée que son obéissance, s’exprima sur la croix par ces dernières paroles : «Père, entre tes mains je remets mon esprit».

C’est en rapport avec cette perfection de l’homme Jésus, que le centurion s’écrie ici : «Certainement cet homme était juste», tandis que Matthieu et Marc rapportent d’autres paroles de lui. Quant aux foules qui s’étaient assemblées à ce spectacle, voyant les choses qui étaient arrivées, elles s’en retournaient se frappant la poitrine. Elles semblent avoir eu conscience qu’un pareil dénouement comportait des conséquences terribles pour les ennemis de Jésus. Dieu ne laisse jamais l’homme sans un témoignage ; mais aussi longtemps que sa lumière ne s’est pas révélée dans le coeur, le péché commis a beau inquiéter la conscience, parce qu’on a le sentiment d’avoir fait le mal, cette inquiétude est de courte durée, et la conscience s’endort de nouveau. Voici toutefois qu’en contraste avec la trahison de Judas, le reniement de Pierre, l’abandon des disciples, la peur de ceux qui, bien qu’affligés, se tenaient loin (vers. 49), Dieu enhardit Joseph d’Arimathée qui avait aussi été disciple de Jésus, mais en secret, par crainte des Juifs, et le pousse à une confession devant laquelle la peur de se compromettre eût dû bien naturellement le faire reculer plus que jamais : où la faiblesse de l’homme est la plus apparente, c’est là que Dieu se glorifie par sa grâce. Qui est-ce qui eût pu s’attendre à un pareil acte de courage de la part d’un homme tel que Joseph d’Arimathée, que la haute position qu’il occupait signalait d’autant plus à la haine et au mépris de ceux qui avaient crucifié Jésus ? La grâce inspire la force de tout surmonter. Au reste, si la mort de Jésus laisse le coeur insensible et ne provoque pas un témoignage en sa faveur, qu’y a-t-il au monde qui puisse le faire ? Cet homme haut placé renonce désormais à sa prudence accoutumée ; ajoutant à la foi la vertu, il s’adresse directement à Pilate et lui demande le corps de Jésus pour l’ensevelir et le mettre dans un sépulcre taillé dans le roc, où personne n’avait jamais été déposé. Jean nous raconte que le craintif Nicodème, lui aussi, prend part à ce tardif témoignage d’affection pour Jésus.

Les femmes dont il est parlé, versets 55, 56, montrent de l’affection, mais peu d’intelligence ; occupées de la mort et du sépulcre, elles avaient oublié les paroles de Jésus et ne songeaient en aucune manière à la vie qui allait apparaître si glorieuse dans sa résurrection.

3.8   [Chapitre 24]

«Et le premier jour de la semaine, de très grand matin, elles vinrent au sépulcre, et quelques autres avec elles, apportant les aromates qu’elles avaient préparés. Et elles trouvèrent la pierre roulée de devant le sépulcre. Et étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. Et il arriva que, comme elles étaient en grande perplexité à ce sujet, voici deux hommes se trouvèrent avec elles, en vêtements éclatants de lumière. Et comme elles étaient épouvantées et baissaient le visage contre terre, ils leur dirent : Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? Il n’est point ici, mais il est ressuscité. Souvenez-vous comment il vous parla, quand il était encore en Galilée, disant : Il faut que le Fils de l’homme soit livré entre les mains des pécheurs, et qu’il soit crucifié, et qu’il ressuscite le troisième jour. Et elles se souvinrent de ses paroles». Ce dernier trait concorde avec la valeur particulière que Luc, en tout son Évangile, rattache sans cesse à la parole de Dieu et à celle de Jésus. Les femmes ayant raconté toutes ces choses aux apôtres, ils ne les crurent pas, et pourtant les anges avaient cité les paroles mêmes du Seigneur touchant sa mort et sa résurrection. Néanmoins Pierre et Jean (voyez son Évangile) se lèvent et courent au sépulcre. Convaincus par les faits eux-mêmes, ils s’étonnent encore.

La scène suivante, indiquée par Marc, est racontée ici en détail. Jésus ayant joint deux de ses disciples sur la route d’Emmaüs, mais sans qu’ils le reconnussent, apprend de leur bouche la tristesse qui les accable à son sujet, et, après leur avoir fourni l’occasion de lui manifester les pensées de leur coeur, il s’écrie : «Ô gens sans intelligence et lents de coeur à croire toutes les choses que les prophètes ont dites ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrit ces choses, et qu’il entrât dans sa gloire ? Et commençant par Moïse, et par tous les prophètes, il leur expliquait, dans toutes les Écritures, les choses qui le regardent». Il importe de remarquer ici que le Seigneur, au lieu de répondre d’une manière directe, afin de convaincre ses disciples par le récit des faits qui viennent de se passer, commence au contraire par leur expliquer ce que les Écritures ont dit autrefois touchant sa personne ; il s’en sert comme du témoignage le plus véritable et le plus important, bien que sa présence même eût suffi pour démontrer sa résurrection. Ainsi que Paul, dans ses épîtres, Luc, dans son Évangile, prouve à cette occasion la valeur immense des Écritures. La parole de Dieu, la Parole écrite, dans ce cas-ci l’Ancien Testament expliqué par Jésus, est le seul moyen infaillible de connaître la pensée de Dieu : «Toute écriture est inspirée de Dieu, et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice, afin que l’homme de Dieu soit accompli et parfaitement accompli pour toute bonne oeuvre» (2 Tim. 3:16), elle peut «rendre sage à salut par la foi qui est dans le Christ Jésus» (vers. 45). Quel modèle du chemin de la foi le Seigneur donne ainsi à ces deux disciples ! Il ne s’agissait plus désormais d’un Messie vivant sur la terre, mais de Celui qui était mort et ressuscité, compris et vu par la foi en la parole de Dieu. — Mais de quelle manière Jésus doit-il être connu ? Quel est le seul et sûr moyen de le connaître véritablement ? Nombre de personnes, dans la chrétienté, discourent sur Lui avec la même ignorance de sa gloire qu’un Juif ou un mahométan ; on a beau parler de Jésus ou écrire à son sujet avec la plus grande éloquence, ceux qui le font, en reniant son nom, sa personne, son oeuvre, sans la moindre foi en sa gloire ou en sa grâce, et croyant l’honorer, comme ces femmes qui pleuraient sur son passage au Calvaire, ne sont que des instruments dans la main de Satan qui les emploie à son service. Il était par conséquent de la première importance que Jésus nous indiquât Lui-même la seule manière dont il peut être réellement connu, la seule qui puisse inspirer de la confiance, et sur laquelle Dieu met le sceau de son Esprit : «Et il arriva que comme il était à table avec eux, il prit le pain et il bénit ; et l’ayant rompu, il le leur distribua ; et leurs yeux furent ouverts, et ils le reconnurent». Ce n’était pas la cène ; mais Jésus se servit de l’acte même qui a lieu dans la cène, et qu’il leur avait montré auparavant (22:19), afin de se révéler aux yeux de ses disciples ; c’est par l’acte de rompre le pain, symbole de sa mort, qu’il se fit reconnaître d’eux. Impossible de connaître véritablement Jésus et d’être scellé du Saint Esprit, avant d’avoir accepté sa mort avec la soumission de la foi. S’étant manifesté de cette manière aux disciples d’Emmaüs, le Seigneur devint invisible et disparut à leurs regards : après avoir cru en sa mort, nous marchons par la foi, non par la vue. Nous apprenons donc que, bien que les Écritures eussent été parfaitement expliquées par Lui, et que leurs coeurs brûlassent au dedans d’eux, tandis qu’il leur ouvrait l’intelligence de la parole de Dieu, toutefois les disciples n’ont reconnu Jésus que par l’acte qui rappelait sa mort. La seule connaissance de Christ, selon Dieu, à laquelle on puisse se fier, c’est lorsqu’il est connu dans sa mort, seul fondement du salut pour un pécheur ; tout autre connaissance de Christ qui ne repose pas sur cette vérité fondamentale, n’est qu’erreur et mensonge. Toutefois Jésus est aussi ressuscité ; sa résurrection est inséparable de sa mort reconnue par la foi : «De sorte que nous, désormais, nous ne connaissons personne selon la chair ; et, si même nous avons connu Christ selon la chair, toutefois maintenant nous ne le connaissons plus ainsi» (2 Cor. 5). Luc relie ensemble (vers. 30, 31) les deux faits de la mort et de la résurrection de Jésus ; l’une, plus que tout autre chose, maintient la gloire de Dieu en Christ, l’autre est ce qu’il y a actuellement de plus réel pour le coeur de l’homme.

«Le Seigneur est réellement ressuscité», disent les disciples (vers. 34), «et il est apparu à Simon». Pas un mot ici de la Galilée, tandis qu’en Matthieu et en Marc, Jésus donne rendez-vous à ses disciples en Galilée, où ils le rencontrent (Matthieu 28:16). Dans le premier Évangile, la Galilée est mentionnée après comme avant la résurrection, en rapport avec le rejet du Messie, qui y renoue ses anciennes relations avec ses disciples ; c’est là que le résidu fidèle d’entre les Juifs devait retrouver et reconnaître son Messie, parce que sa résurrection ne changeait en rien leur position de méprisés et de rejetés. L’Église connaît Jésus comme Celui qui, étant monté aux cieux, l’a unie avec Lui dans la gloire ; d’où il résulte que le rejet de l’Église par le monde est encore plus assuré. Selon l’Évangile de Matthieu, la Galilée indique la position du résidu juif converti, jusqu’au retour du Messie en gloire et en puissance. Ce résidu des derniers jours saura ce que c’est que d’être rejeté hors de Jérusalem ; dans cette position, leur foi sera fortifiée par l’épreuve et leurs coeurs seront préparés à recevoir le Seigneur lorsqu’il apparaîtra sur les nuées du ciel. Dans l’Évangile de Marc, c’est aussi la Galilée qui joue un rôle prépondérant pendant la vie de Jésus, parce que ce fut là, de fait, qu’il exerça principalement son ministère. Par conséquent aussi Marc, qui nous le présente comme le Serviteur de Dieu ici-bas, dirige notre attention sur la Galilée, après la résurrection, bien que d’une manière moins exclusive que ne le fait Matthieu. Luc, en revanche, ne dit pas un mot de la Galilée, et je me l’explique par le fait qu’il voulait nous montrer l’état moral des disciples, la manière dont agit la grâce de Jésus, le sentier de la foi pour le chrétien, la place qu’occupe la parole de Dieu, et la mort de Christ, comme étant le seul moyen de le connaître véritablement.

Ainsi que nous venons de le voir, une autre vérité qui devait être prouvée, et aussi indispensable à accepter que la mort de Jésus, c’est sa résurrection fondée sur sa mort. Il apparaît au milieu de ses disciples à Jérusalem, d’une manière qui ne laisse aucun doute sur la résurrection de son corps : «Voyez mes mains et mes pieds, que c’est moi-même ; touchez-moi, et voyez ; car un esprit n’a pas de la chair et des os, comme vous voyez que j’ai» ; puis il ajoute une autre preuve : «Et comme, de joie, ils ne croyaient pas encore, et s’étonnaient, il leur dit : Avez-vous ici quelque chose à manger ? Et ils lui donnèrent un morceau de poisson cuit et quelque peu d’un rayon de miel ; et l’ayant pris, il en mangea devant eux». Luc ne parle pas de l’incrédulité de Thomas et de la réponse du Seigneur ; son but ici est de prouver la réalité de la résurrection et l’identité de Jésus.

La valeur de la parole de Dieu est de nouveau indiquée, par l’emploi qu’en fait Jésus, en s’adressant à ses disciples ; il se base sur ce qu’ont prédit de Lui et Moïse et les prophètes, puis il leur ouvre l’intelligence pour comprendre les Écritures.

La mission dont le Seigneur charge ses disciples, avant de les quitter, n’est pas indiquée de la même manière qu’en Matthieu, où il est dit : «Allez et faites disciples toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, leur enseignant à garder toutes les choses que je vous ai commandées». Le Messie ayant été rejeté, il étend son action, comme Fils de l’homme ressuscité, sur toute la surface de la terre, bien en dehors des limites d’Israël. Au lieu que les gentils viennent voir la gloire de l’Éternel en Sion, ils doivent être baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, pleinement révélés ; et les commandements de Moïse sont remplacés par ceux de Jésus. Dans l’Évangile de Marc, les disciples sont envoyés en qualité de serviteurs destinés à continuer le service du Seigneur, qui fait accompagner leur oeuvre de signes miraculeux. Luc envisage la mission des disciples à un point de vue différent : les besoins moraux de l’homme, et la grâce de Dieu qui proclame la repentance et la rémission des péchés à toutes les nations au nom d’un Sauveur, le second Adam, mort et ressuscité selon les Écritures. En rapport avec ce point de vue, leur message doit commencer à Jérusalem, où aussi le Seigneur vient de se montrer à eux dans son corps ressuscité ; tandis qu’en Matthieu, la mission confiée aux disciples leur est donnée au contraire en Galilée, où Jésus leur est apparu, et d’où ils sont censés partir, puisque Jérusalem a rejeté son Messie. C’est qu’en Luc, tout autre considération disparaît devant la grâce seule, en présence du péché et de la misère morale de l’homme. Cette grâce, sans réserve, commence par conséquent sa mission à l’endroit même où elle est le plus indispensable, dans la ville qui a crucifié Jésus ; car ayant, en sa mort, aboli le péché par le sacrifice de Lui-même, la grâce et la bénédiction sont complètement assurées désormais, pourvu qu’on le reçoive, Lui et son oeuvre. L’homme, certes, était coupable au delà de toute expression, et sans excuse, mais en même temps Dieu avait des desseins à accomplir d’une portée incalculable : il fallait que le Christ souffrît, il fallait qu’il ressuscitât d’entre les morts le troisième jour, et il fallait aussi que la repentance et la rémission des péchés fussent prêchées en son nom : l’une indique l’oeuvre morale qui a lieu au dedans de l’homme, l’autre, les trésors de grâce qui se trouvent par devers Dieu, au moyen de la rédemption, pour purifier la conscience. Quiconque croit en la croix de Christ et la comprend, ne peut plus songer aux mérites de l’homme, car la repentance n’est autre chose que la compréhension et la confession, opérées par la grâce, qu’il n’y a en nous aucun bien quelconque. La repentance et la foi sont inséparables : on s’abandonne soi-même, comme étant absolument incapable, et l’on se repose sur Dieu, à cause de sa bonté absolue pour les méchants. La méchanceté de l’homme et la bonté de Dieu sont démontrées ensemble dans la rémission des péchés par Jésus, que les hommes, gentils et Juifs, ont crucifié et mis à mort.

Nous voyons donc que ce chapitre pose, pour ainsi dire, les bases véritables du système chrétien, en faisant ressortir avec une grande beauté les points divers qui le caractérisent. D’autres faits s’y ajoutent encore, mentionnés vers la fin : en particulier, le privilège conféré aux disciples de comprendre les Écritures, leur intelligence ayant été ouverte pour cela, et la puissance du Saint Esprit, laquelle, il est vrai, ne devait leur être communiquée qu’à la Pentecôte : «Et voici moi, j’envoie sur vous la promesse de mon Père. Mais vous, demeurez dans la ville de Jérusalem, jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la puissance d’en haut». Cette puissance était une chose essentielle pour le christianisme et distincte de l’intelligence spirituelle. En l’Évangile de Jean, où la personne de Jésus brille d’un éclat si intense, le Saint Esprit, Lui aussi, apparaît à nos yeux, dans les chap. 14 et 16, au point de vue de son existence distincte et personnelle ; tandis qu’en Luc, bien que l’Esprit dût habiter personnellement dans les apôtres, c’est de sa puissance qu’il s’agit, ainsi que de la promesse touchant l’action de cette puissance en l’homme. Comme Jésus lui-même (Act. 10:38), les disciples, à leur tour, devaient être oints du Saint Esprit et de puissance.

«Et il les mena dehors jusqu’à Béthanie, et levant ses mains en haut, il les bénit ; et il arriva qu’en les bénissant, il fut séparé d’eux et élevé au ciel». Béthanie, que le Seigneur affectionnait particulièrement avant sa mort, est aussi l’endroit d’où il quitte la terre pour monter au ciel. Ses affections n’ont pas changé par le fait qu’il est ressuscité d’entre les morts ; Jésus restait homme, bien qu’il fût le Seigneur de gloire et dans un corps de résurrection. On voit que si, d’une part (vers. 39-43), la résurrection du corps a été prouvée en la personne du Seigneur, d’autre part, les corps ressuscités sont aussi bien capables d’affections qu’ils l’ont été auparavant ; seulement, chez Jésus, toujours parfaites, elles furent les mêmes, après comme avant sa mort.

Le Seigneur n’avait cessé de combler de bénédictions ceux qui l’avaient suivi pendant les jours de sa vie terrestre, et il ne pouvait se séparer d’eux sans les bénir encore ; c’est en les bénissant qu’il monte au ciel. Le résultat de cette grâce apparaît aussitôt : les disciples l’adorent. «Et eux lui ayant rendu hommage, s’en retournèrent à Jérusalem avec une grande joie. Et ils étaient continuellement dans le temple, louant et bénissant Dieu». Celui qui nous bénit, nous donne en même temps une puissance qui fait remonter la bénédiction à Dieu ; telle est la puissance de la vraie adoration, communiquée à des coeurs d’hommes ici-bas, par le Seigneur Jésus ressuscité d’entre les morts. Il existait désormais des rapports de vie et d’amour entre les disciples et Celui dont la gloire était au-dessus de toute compréhension humaine ; ils allaient bientôt être un avec Lui, et devenir les instruments de sa puissance, par l’énergie du Saint Esprit.

Que le Seigneur daigne bénir sa Parole et faire que ceux qui l’aiment s’en approchent avec plus de confiance encore. Lui seul, il est vrai, peut la bénir pour l’âme ; mais c’est un grand point déjà qu’au lieu de la considérer, à la manière des incrédules, comme une scène de ténèbres et d’incertitude qui a besoin d’être éclairée par la raison humaine, on l’apprécie comme étant elle-même, au contraire, une lumière qui pénètre dans les ténèbres les plus profondes et y répand sa clarté, au moyen de la révélation de Christ par la puissance du Saint Esprit. Puissions-nous faire toujours davantage l’expérience qu’elle est effectivement, comme Christ lui-même dont elle nous parle, la vraie lumière de nos âmes, la seule dont elles aient besoin, l’unique témoignage irréfragable de la sagesse et de la grâce divines, parce qu’elles y sont révélées en Christ et par Lui. Il est heureux de voir que, de nos jours, comme au temps des apôtres, la personne de Jésus est devenue toujours davantage le point de ralliement de ceux qui sont restés fermes et fidèles au milieu des épreuves et des humiliations. Alors, c’était à la personne de Christ que les apôtres rendaient témoignage, c’est autour de Lui qu’ils ont lutté contre le flot montant de l’hérésie, c’est en présentant la personne de Christ, en première ligne, que le Saint Esprit opéra dans les âmes cette jouissance de la grâce et de la vérité de Dieu, qu’une doctrine, à elle seule, ne saurait jamais procurer ; car plus on jouit de la grâce, plus aussi la conscience est en éveil, et l’énergie, la vitalité de l’âme, s’accroissent en proportion. La lutte engagée contre les erreurs de toute espèce répandues dans l’Église, a été importante et nécessaire, et je me souviens de l’époque où l’on était contraint, par la force des choses, à s’occuper d’une foule de sujets, essentiels assurément, mais qui n’étaient pas de nature à influer d’une façon directe sur l’âme, et ne concernaient pas immédiatement la personne même de Christ. Aujourd’hui, c’est elle qui entre en première ligne, c’est autour d’elle que se concentre la lutte. Dieu a montré que le nom de Jésus reste toujours une pierre d’achoppement pour l’incrédulité, mais le fondement le plus solide et le plus précieux pour quiconque est simple de coeur et préoccupé de sa gloire. Nous ne pouvons que gagner en apprenant à connaître toujours davantage et d’une manière toujours plus intime, Celui qui est dès le commencement.