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Solennel avertissement à ceux qui font profession de piété.

 

Charles Haddon Spurgeon — Sermon

Date antérieure à 1857

 

 

«Car plusieurs marchent, dont je vous ai dit souvent et dont maintenant je le dis même en pleurant, qu’ils sont ennemis de la croix de Christ, dont la fin est la perdition, dont le Dieu est le ventre et dont la gloire est dans leur honte, et ont leurs pensées aux choses terrestres» (Phil. 3:18, 19)

 

Mes chers auditeurs,

Saint Paul nous offre le modèle accompli d’un ministre chrétien. Pasteur vigilant, il se préoccupait sans cesse du troupeau confié à ses soins. Il ne se bornait pas à prêcher l’Évangile et ne croyait pas avoir rempli tout son devoir en annonçant le salut ; mais ses yeux étaient toujours ouverts sur les Églises qu’il avait fondées, suivant avec un intérêt jaloux ou leurs progrès ou leur déclin dans la foi. Lorsqu’il dut aller proclamer ailleurs l’Évangile éternel, il ne cessa pas de veiller au bien-être spirituel de ces brillantes colonies chrétiennes de la Grèce et de l’Asie Mineure, qu’il avait semées au milieu des ténèbres du paganisme, et tandis qu’il allumait de nouvelles lampes au flambeau de la vérité, il n’avait garde de négliger celles qui brûlaient déjà. C’est ainsi que dans notre texte il donne à la petite Église de Philippes une preuve de sa sollicitude, en lui adressant des conseils et des avertissements.

Et l’apôtre n’était pas moins fidèle que vigilant. Lorsqu’il voyait du péché dans les Églises, il n’hésitait pas à le leur signaler. Il ne ressemblait point au plus grand nombre de nos modernes prédicateurs, qui se vantent de n’avoir jamais été personnels ou blessants, et qui mettent ainsi leur gloire dans ce qui est leur confusion ; car eussent-ils été fidèles, eussent-ils exposé sans ménagements tout le conseil de Dieu, ils auraient infailliblement, une fois ou l’autre, blessé la conscience de leurs auditeurs. Paul agissait tout différemment ; il ne craignait pas d’attaquer de front les pécheurs, et non seulement il avait le courage de déclarer la vérité, mais il savait même au besoin insister sur cette vérité : «Je vous l’ai dit souvent et je vous le dis maintenant encore, que plusieurs parmi vous sont ennemis de la croix de Christ».

Mais si, d’une part, l’apôtre était fidèle, de l’autre, il était plein de tendresse. Il aimait véritablement, comme tout ministre de Christ devrait le faire, il aimait véritablement les âmes dont il avait charge. S’il ne pouvait souffrir qu’aucun membre des Églises placées sous sa direction, s’écartât de la vérité, il ne pouvait non plus les reprendre sans verser des larmes. Il ne savait pas brandir la foudre d’un oeil sec, ni dénoncer les jugements de Dieu d’un ton froid et indifférent. Des pleurs jaillissaient de ses yeux, tandis que sa bouche prononçait les plus terribles menaces, et quand il censurait, son cœur battait si fort de compassion et d’amour, que ceux-là mêmes auxquels il s’adressait ne pouvaient douter de l’affection qui lui dictait ces censures : «Je vous l’ai dit souvent, et je vous le dis maintenant encore en pleurant».

Mes bien-aimés, l’avertissement solennel que Paul adressait autrefois aux Philippiens dans les paroles de mon texte, je viens vous le faire entendre aujourd’hui à vous-mêmes. Et cet avertissement, je le crains, est non moins nécessaire de nos jours que du temps de l’apôtre, car de nos jours comme alors, il y en a plusieurs dans les Églises dont la conduite témoigne hautement qu’ils sont ennemis de la croix de Christ. Que dis-je ? Le mal, bien loin de diminuer, me semble gagner chaque jour du terrain. Il y a dans notre siècle un plus grand nombre de personnes qui font profession de piété que dans celui de Saint Paul ; mais il y a aussi plus d’hypocrites. Nos Églises, je le dis à leur honte, tolèrent dans leur sein des membres qui n’ont aucun droit à ce titre, des membres qui seraient fort bien placés dans une salle de festin ou dans tout autre lieu de dissipation et de folie, mais qui jamais ne devraient tremper leurs lèvres dans la coupe sacramentelle ou manger le pain mystique, emblèmes des souffrances de notre Seigneur. Oui, en vain chercherait-on à se le dissimuler, il en est plusieurs parmi nous — (et si tu revenais à la vie, ô Paul ! combien ne te sentirais-tu pas pressé de nous le dire, et quelles larmes amères ne verserais-tu pas en nous le disant, !…) —  il en est plusieurs parmi nous qui sont ennemis de la croix de Christ, et cela, parce qu’ils ont leur ventre pour Dieu, qu’ils attachent leurs affections aux choses de la terre, et que leur conduite est en complet désaccord avec la sainte loi de Dieu.

Je me propose, mes frères, de rechercher avec vous la cause de la douleur extraordinaire de l’apôtre. Je dis : douleur extraordinaire, car l’homme que mon texte nous représente comme versant des larmes, n’était pas, vous le savez, un de ces esprits faibles, d’une sensibilité maladive et toujours prêts à s’émouvoir. Je ne lis nulle part dans l’Écriture que l’apôtre pleura sous le coup de la persécution. Lorsque, selon l’expression du Psalmiste, l’on traçait des sillons sur son dos, lorsque les soldats romains le lacéraient de leurs verges, je ne sache pas qu’une seule larme se soit échappée de ses yeux. Était-il jeté en prison ? Il chantait et ne gémissait pas. Mais si jamais Paul pleura par suite des souffrances auxquelles il s’exposait pour l’amour de Christ, il pleura, nous le voyons, en écrivant aux Philippiens. La cause de ses larmes était triple : il pleurait d’abord à cause du péché de certains membres de l’Église ; en second lieu, à cause des fâcheux effets de leur conduite, et enfin, à cause du sort qui les attendait.

 

1                     

 

D’abord, avons-nous dit, Paul pleurait à cause du PÉCHÉ de ces formalistes qui, bien que faisant extérieurement partie d’une Église chrétienne, ne marchaient pas droit devant Dieu et devant les hommes. Et remarquez l’accusation  qu’il porte contre eux : Ils ont leur ventre pour Dieu, écrit-il. Leur sensualité : telle est donc le premier péché que leur reproche l’apôtre. Il y avait, en effet, dans l’Église primitive, des gens qui après s’être assis à la table du Seigneur, allaient participer aux banquets des païens, et là se livraient sans contrainte aux excès du manger et du boire. D’autres, s’abandonnant aux abominables convoitises de la chair, se plongeaient dans ces plaisirs (faussement ainsi nommés), qui non-seulement perdent l’âme, mais qui infligent au corps lui-même son juste châtiment. D’autres encore, sans tomber dans d’aussi honteux débordements, se préoccupaient beaucoup plus de la parure du dehors que de celle du dedans, de la nourriture de l’homme extérieur que de la vie de l’homme intérieur ; en sorte que tout autant que les précédents, quoique d’une autre manière, ils se faisaient un Dieu de leur ventre. — Eh bien ! mes chers auditeurs, je vous le demande, ce grave reproche de l’apôtre nous est-il moins applicable qu’à l’Église de Philippes ? Nous serait-il impossible de trouver parmi les membres de nos troupeaux des personnes qui déifient en quelque sorte leur propre chair, qui se rendent à elles-mêmes un culte idolâtre, qui s’inclinent devant la partie la plus grossière, la plus matérielle de leur être ? N’est-il pas notoire, n’est-il pas incontestable, au contraire, qu’il est des hommes faisant profession de piété qui caressent leur chair, qui flattent leurs appétits sensuels tout autant que des mondains déclarés pourraient le faire ? N’y en a-t-il pas qui sont amateurs des plaisirs de la table, qui se délectent dans le bien-être, dans le luxe, dans les voluptés de la vie présente ? N’y en a-t-il pas qui dépensent sans scrupule toute une fortune pour l’ornement de leur corps périssable, sans songer qu’en se parant ainsi eux-mêmes, ils déparent la cause du Sauveur qu’ils prétendent servir ? N’y en a-t-il pas dont l’affaire de tous les instants consiste à rechercher leurs aises, et dont la chair et le sang n’ont jamais eu lieu de se plaindre, car non seulement ils en sont esclaves, mais encore ils en font leur Dieu ?… Ah ! mes frères, il y a de grandes taches dans l’Église, il y a de grands scandales.  Des brebis tarées se sont introduites dans le troupeau. De faux frères se glissent parmi nous, comme des serpents sous l’herbe, et le plus souvent on ne les découvre que lorsqu’ils ont infligé une douloureuse blessure à la religion et occasionné un sérieux dommage à la glorieuse cause de notre Maître. Je le répète avec une profonde tristesse, mais avec une intime conviction, il y en a plusieurs dans nos Églises (et je parle autant des Églises dissidentes que de l’Église établie) — auxquels ne s’appliquent que trop bien ces sévères paroles de l’apôtre : Ils ont leur ventre pour Dieu.

Un second reproche que Paul adressait aux prétendus chrétiens de Philippes était qu’ils attachaient leurs affections aux choses de la terre. Mes bien-aimés, il se peut que l’accusation précédente n’ait pas atteint vos consciences ; mais, en présence de celle-ci, il me semble bien difficile que vous puissiez trouver un échappatoire. Il y a plus : j’affirme que le mal signalé ici par l’apôtre, a envahi de nos jours la majeure partie de l’Église de Christ. Pour s’en convaincre, il suffit d’ouvrir les yeux à l’évidence. Ainsi, par exemple, c’est une anomalie, mais c’est un fait, qu’il existe aujourd’hui des chrétiens ambitieux. Le Sauveur a déclaré, il est vrai, que celui qui veut être élevé doit s’abaisser lui-même ; aussi, pensait-on autrefois que le chrétien était un homme simple, modeste, s’accommodant aux choses basses ; mais dans notre siècle il n’en est plus ainsi. Parmi les prétendus disciples de l’humble Galiléen, il est, au contraire, des gens qui aspirent à parvenir au dernier échelon des grandeurs humaines, et dont l’unique pensée est, non de glorifier Christ, mais de se glorifier eux-mêmes à tout prix. — C’est ainsi encore — (honte à vous, ô Églises !) — que nous comptons dans nos rangs des personnes qui, tout en ayant certaines apparences de piété, ne sont pas moins mondaines que les plus mondains, et qui ne savent pas plus ce qu’est l’Esprit de Christ que les plus charnels des gens du dehors. — C’est ainsi également qu’il y a des chrétiens avares. Sans doute, c’est encore un paradoxe : autant vaudrait parler, semble-t-il, de la souillure des sépharins ou de l’imperfection de la perfection que de l’avarice d’un disciple de Jésus ; et pourtant — (j’en appelle à chacun de ceux qui m’entendent) — ne rencontre-t-on pas tous les jours des soi-disant chrétiens dont les cordons de la bourse ne se délient que difficilement au cri du pauvre, qui décorent leur amour de l’argent du nom de prudence, et qui, au lieu de faire servir leurs biens à l’avancement du règne de Christ, ne pensent qu’à thésauriser ? — Je vais plus loin, et je dis que si l’on veut trouver des hommes inflexibles en affaires, avides de s’enrichir, durs envers leurs créanciers, des hommes rapaces, sordides, déloyaux, qui, à l’exemple des pharisiens d’autrefois, ne se font pas scrupules de dévorer les maisons des veuves, je dis que si l’on veut trouver de tels hommes, il faut souvent aller les chercher au sein de nos Églises ! Mes frères, cet aveu, je rougis de le faire, mais je le dois, car c’est la vérité. Oui, parmi les membres les plus considérés de nos troupeaux, parmi ceux-là même qui occupent des charges ecclésiastiques au milieu de nous, vous en trouverez qui attachent leurs affections aux choses de la terre, et qui ne possèdent absolument rien de cette vie cachée avec Christ en Dieu, sans laquelle il n’existe point de vraie piété. — Ai-je besoin de l’ajouter ? ces grands maux ne sont pas les fruits d’une saine religion, mais bien ceux d’un vain formalisme. Dieu en soit béni, le résidu des élus est préservé de ces funestes tendances, mais la masse des chrétiens de nom qui envahit nos Églises, en est atteinte d’une manière déplorable.

Un dernier trait par lequel l’apôtre caractérise les faux frères de Philippes est celui-ci : Ils mettent leur gloire dans ce qui est leur confusion. C’est bien là en effet, une disposition naturelle au formaliste. Il tire vanité de ses péchés mêmes ; bien plus : il les appelle des vertus. Son hypocrisie est de la droiture ; son faux zèle, de la ferveur. Les subtils poisons de Satan, il les revêt de l’étiquette des salutaires remèdes de Christ. Ce qu’il nommerait vice chez les autres, il le nomme qualité chez lui-même. S’il voyait son prochain commettre la même action qu’il vient d’accomplir tout-à-l’heure, si la vie de celui-ci offrait l’image parfaite de la sienne propre, oh ! comme il tonnerait contre lui ! Son empressement à s’acquitter des devoirs extérieurs de la religion est exemplaire ; il est le plus strict des sabbatistes, le plus scrupuleux des pharisiens, le plus austère des dévots. S’agit-il de relever la moindre faiblesse dans la conduite d’autrui, nul ne le dépasse en habileté ; et tandis qu’il caresse tout à son aise son péché favori, il ne regarde les fautes de ses frères qu’à travers un verre grossissant. Quant à sa conduite à lui, elle n’est du ressort de personne. Il peut pécher avec impunité ; et si son pasteur se hasardait à lui adresser quelques observations, il s’indignerait et crierait à la calomnie. Les remontrances pas plus que les avertissements ne l’atteignent. N’est-il pas un membre de l’Église ? N’en accomplit-il pas exactement les rites et les ordonnances ? Qui oserait mettre en doute sa piété ? — Oh !  mes frères, mes frères, ne vous faites point illusion ! Beaucoup de prétendus membres de l’Église, seront un jour membres de l’enfer. Beaucoup d’hommes admis dans l’une ou l’autre de nos communions chrétiennes, qui ont reçu les eaux du baptême, qui s’approchent de nos tables sacrées, qui peut-être même ont la réputation d’être vivants, n’en sont pas moins, sous le rapport spirituel, aussi morts que des cadavres dans leur sépulcre. Il est si facile aujourd’hui de se faire passer pour un enfant de Dieu ! En fait de renoncement, d’amour pour Christ, de mortification de la chair, on est peu exigeant ; apprenez seulement quelques cantiques, débitez quelques banalités pieuses, quelques phrases de convention, et vous en imposerez aux élus mêmes. Attachez-vous à une Église quelconque ; conduisez-vous extérieurement de telle sorte qu’on puisse vous dire respectable, et si vous ne parvenez pas à tromper les clairvoyants, du moins vous aurez une réputation de piété assez bien établie, pour vous permettre de marcher, le coeur léger et la conscience à l’aise, dans le chemin de la perdition… Je le sais, mes bien-aimés, je dis des choses dures, mais ce sont des choses vraies, c’est pourquoi je ne puis les taire. Mon sang bouillonne quelquefois dans mes veines, lorsque je rencontre des hommes dont la conduite me fait honte, à côté desquels j’oserais à peine m’asseoir, et qui pourtant me traitent avec assurance de «Frère». Quoi ? ils vivent dans le péché, et ils nomment un chrétien leur frère ! Je prie Dieu de leur pardonner leur égarement ; mais, je le déclare, je ne puis en aucune façon fraterniser avec eux ; je ne le veux même pas, jusqu’à ce qu’ils se conduisent d’une manière digne de leur vocation.

Assurément, tout homme qui se fait un Dieu de son ventre et qui met sa gloire dans ce qui est sa confusion, est bien coupable ; mais lorsque cet homme se drape du manteau de la religion, lorsqu’il connaît la vérité, qu’il l’enseigne même au besoin, qu’il fait ouvertement profession d’être un serviteur de Christ, combien n’est-il pas plus coupable encore ! Concevez-vous, mes frères, un crime plus épouvantable que celui de l’audacieux hypocrite qui, mentant à Dieu et à sa conscience, déclare solennellement qu’il appartient au Seigneur, et que le Seigneur lui appartient, puis qui s’en va vivre comme vit le monde, marche suivant le train du présent siècle, commet les mêmes injustices, poursuit les mêmes buts, use des mêmes moyens que ceux qui ne se sont jamais réclamés du nom de Christ ?… Ah ! s’il y avait dans cette assemblée quelqu’un qui dût s’avouer que ce péché est le sien, qu’il pleure, oui, qu’il pleure des larmes de sang, car l’énormité de son forfait est plus grande qu’on ne saurait dire.

 

2                     

Mais si l’apôtre pleurait, comme nous venons de le voir, à cause du péché de ces hommes qui n’avaient de chrétien que le nom, il pleurait plus encore peut-être à cause DES FÂCHEUX EFFETS DE LEUR CONDUITE, car il ajoute ce mot si énergique dans sa brièveté : Ils sont ennemis de la croix de Christ. Oui, tu dis vrai, ô Paul ! Sans doute, le sceptique, l’incrédule sont des ennemis de la croix de ton Maître ; le blasphémateur, le profane, le sanguinaire Hérode le sont aussi ; mais les ennemis par excellence de cette croix sacrée, les soldats d’élite de l’armée de Satan, ce sont ces chrétiens pharisaïques, blanchis au-dehors d’une couche de piété, mais remplis au-dedans de toute sorte de pourriture. Oh ! il me semble qu’à l’exemple de l’apôtre, tout enfant de Dieu devrait verser des larmes brûlantes, à la pensée que les plus rudes coups portés à l’Évangile lui viennent de ceux-là même qui s’en disent les disciples. Il me semble qu’il devrait éprouver une douleur à nulle autre pareille en voyant Jésus blessé chaque jour par ceux qui prétendent être à lui. — Regardez ! Voici mon Sauveur qui s’avance, les pieds et les mains ensanglantés… Oh ! mon Jésus, mon Jésus ! Qui a fait couler de nouveau ton sang ? Que signifient ces blessures ? Pourquoi as-tu l’air si triste ? — «J’ai été blessé, répond-il, et où penses-tu que j’aie reçu le coup» ? — Sûrement, Seigneur, tu as été blessé dans la maison d’intempérance ou de débauche, tu as été blessé au banc des moqueurs ou dans l’assemblée des impies. — « Non, dit Jésus ; j’ai été blessé dans la maison de mes amis [Zach. 13:6] ; ces plaies m’ont été faites par des hommes qui portent mon nom, s’assoient à ma table et parlent mon langage. Ce sont eux qui m’ont percé, qui m’ont crucifié de nouveau, qui m’ont livré à l’ignominie… ».

Percer Christ, le livrer à l’ignominie tout en faisant profession d’être à lui ! ne semble-t-il pas, mes frères, qu’un péché si odieux ne devrait pas exister ? toutefois, hélas, il est plus commun qu’on ne pense. L’histoire rapporte que César expirant sous les coups de ses meurtriers ne perdit son empire sur lui-même, que lorsqu’il vit son ami Brutus s’avancer pour le frapper à son tour. «Et toi, Brutus» ! s’écrie-t-il alors, et se couvrant la tête de son manteau, il pleura. De même, mes frères, si Christ apparaissait au milieu de cette assemblée, ne pourrait-il pas dire à plusieurs d’entre vous, en se voilant la face de tristesse, ou plutôt en faisant éclater sa juste indignation : «Et toi, qui t’es introduit dans mon Église, et toi qui te dis mon disciple, me frappes-tu aussi…» ?

Si je dois être vaincu dans la bataille, que ce soient mes opposants qui me vainquent, mais que du moins mes alliés ne me trahissent pas. Si la citadelle que je suis prêt à défendre jusqu’à mon dernier soupir doit être prise, que l’ennemi y entre en marchant sur mon cadavre, mais encore une fois, que mes amis ne me trahissent pas. Ah ! si le soldat qui combat à mon côté me vendait à mes adversaires, mon cœur serait deux fois brisé ; il le serait d’abord par la défaite et ensuite par la trahison.

Lors des guerres religieuses que nos frères d’Helvétie eurent à soutenir pour le maintien de leurs libertés, une poignée de Protestants défendait vaillamment un défilé contre un corps d’armée considérable. Quoiqu’ils eussent vu leurs frères, leurs amis, tomber à leurs côtés, quoique eux-mêmes fussent épuisés de fatigue et prêts à défaillir, ils n’en continuaient pas moins à combattre avec une intrépidité héroïque. Mais soudain, un cri se fait entendre, — un cri perçant, un cri terrible ! L’ennemi gravit une éminence, et va envelopper la petite bande des réformés. À cette vue, leur chef frémit d’indignation ; il grince des dents, il frappe du pied, car il a compris qu’un traître, qu’un lâche Protestant a dû vendre ses frères à leurs implacables ennemis. Se tournant alors vers ses gens : «En avant» ! s’écrie-t-il, du ton d’un homme qui n’espère plus. Et comme des lions qui fondent sur leur proie, ces braves s’élancent au-devant de leurs ennemis, prêts maintenant à mourir, puisqu’un des leurs les a trahis. Mes frères, c’est un sentiment de cette nature qui s’empare du courageux soldat de la croix quand il voit un de ses compagnons de service déshonorer le drapeau de son divin Chef et trahir sa sainte cause. Pour ma part, je n’hésite pas à le dire, ce que je crains ce ne sont pas les ennemis déclarés, ce sont les faux amis. Qu’il y ait mille démons hors de l’Église, plutôt qu’un seul dans son sein ! Ne nous inquiétons pas des attaques de ceux du dehors, mais prenons garde, oh ! Prenons garde à ces loups ravissants qui viennent à nous en habits de brebis. C’est contre eux que les ministres de la Parole doivent dénoncer avec une sainte colère les terribles jugements de Dieu ; c’est sur eux qu’ils doivent verser les plus amères de leurs larmes, car ils sont les plus dangereux ennemis de la croix de Christ.

Mais précisons davantage et indiquons sommairement quelques-uns des fâcheux effets qui résultent de la présence des formalistes dans l’Église.

En premier lieu, ils contristent et affligent singulièrement le corps de Christ, c’est-à-dire l’ensemble des fidèles. Ils sont la cause, sans contredit, des gémissements les plus douloureux qui se soient jamais échappés du coeur des enfants de Dieu. Qu’un incrédule m’insulte et me couvre de boue dans la rue, je crois que je le remercierai de l’honneur qu’il me fait, si je sais qu’il m’injurie pour le nom de Christ ; mais si un soi-disant chrétien faisait rejaillir sur la cause de mon Maître la souillure d’une vie déréglée, mon cœur serait navré au-dedans de moi, car je sais que de tels scandales sont plus préjudiciables à l’Évangile que les bûchers et les tortures. Que tout homme qui hait le Seigneur Jésus, m’accable de malédictions, je ne verserai pas une seule larme ; mais quand je vois un de ses prétendus disciples le renier et le trahir, comment pourrais-je ne pas affliger mon âme et quel est le chrétien qui ne s’affligerait pas avec moi ?

En second lieu, les faux frères amènent infailliblement à leur suite des divisions dans l’Église. Je dis ceci avec la plus entière persuasion : si l’on remontait à la source de nos discordes ecclésiastiques, l’on trouverait que toutes ou presque toutes doivent être mises sur le compte des formalistes, qui, par leur conduite inconséquente, ont obligé les chrétiens vivants à se séparer d’eux. Il y aurait plus d’unité parmi nous si des hypocrites ne se glissaient pas dans nos rangs ; il y aurait plus de cordialité, plus d’abandon, plus d’amour fraternel, si ces habiles séducteurs ne nous avaient appris à nos dépens à nous montrer réservés et soupçonneux. De plus, ils sont toujours les premiers à parler mal des véritables croyants et à semer entre eux des querelles. Et de tout temps il en a été ainsi. Ce qui a fait essuyer à l’Église de Dieu les plus graves dommages dont elle ait jamais eu à souffrir, ce ne sont pas les traits meurtriers de ses ennemis avoués ; non, ce sont des incendies secrètement allumés dans son propre camp par des hommes, parés, il est vrai, de masque de la piété, mais qui n’en étaient pas moins des espions et des traîtres.

Remarquons, en outre, que de telles gens font un mal incalculable aux inconvertis. Que de pauvres pécheurs qui commencent à se tourner vers Christ, sont retenus loin de lui par le scandaleux désaccord existant entre la conduite et les principes de certains chrétiens ! Que des piétés naissantes qui vont se briser chaque jour contre cette pierre d’achoppement ! — Et ici, permettez-moi, mes frères de vous raconter un fait qui confirme, d’une manière saisissante, la vérité de ce que j’avance. J’espère sentir moi-même tout ce qu’il y a de sérieux et je prie Dieu de vous le faire sentir également. Un jeune ministre, de passage dans une église de village, y donna une prédication qui parut faire une profonde impression sur l’auditoire. Un jeune homme en particulier fut tellement remué par les paroles solennelles du prédicateur, qu’il résolut d’avoir un entretien avec lui. À cet effet, il l’attendit à la sortie de l’église et offrit de l’accompagner à la maison où il logeait. Chemin faisant, le ministre parla de tout, excepté de l’Évangile. Grande était l’angoisse du jeune homme. Il se hasarda bien à poser à son compagnon une ou deux petites questions concernant le salut de son âme, mais celui-ci y répondit froidement et d’une manière évasive, comme si le sujet était de peu d’importance. Enfin, on arrive à la maison ; plusieurs personnes s’y trouvaient réunies, et aussitôt notre prédicateur entame une conversation des plus légères, qu’il assaisonne de force bons mots et de force bouffonneries. Bientôt même, encouragé sans doute par les rires approbateurs qui ont accueilli ses premières facéties, il s’oublie au point de prononcer des paroles qu’on pourrait presque appeler licencieuses. Indigné, hors de lui, le jeune homme se lève brusquement ; il quitte sur-le-champ la maison, et lui, qui une heure auparavant pleurait en entendant parler du Seigneur, s’écrie maintenant avec rage : «La religion est un mensonge ! Dès ce moment, je ne crois plus ni en Christ ni en Dieu. Si je suis damné, que mon âme soit redemandée à cet homme, car c’est lui qui l’aura perdue ! Se conduirait-il comme il le fait, s’il était convaincu lui-même des choses qu’il enseigne aux autres ? Non ! il est un vil hypocrite, et désormais je ne veux plus écouter ni lui ni son Évangile». Le malheureux tint parole ; toutefois, lorsque, quelque temps après, il se vit couché sur son lit de mort, il demanda à voir le jeune ministre. Par une coïncidence remarquable, ce dernier, qui habitait d’ordinaire une paroisse éloignée, se trouvait actuellement dans le village, où Dieu l’avait reconduit, n’en doutons pas, afin qu’il y reçût la peine de son péché. Sa Bible à la main, il entre dans la chambre du moribond, et s’apprêtait à lire et à prier lorsque celui-ci l’arrête : «Je vous ai entendu prêcher une fois, monsieur, lui dit-il en le regardant fixement. — Dieu soit béni ! répond le ministre, croyant sans doute avoir affaire à une âme convertie par son moyen. — Il n’y a pas lieu de bénir Dieu, que je sache, continue froidement le malade ; vous souvenez-vous d’avoir prêché ici, tel jour, sur tel texte ?  — Oui, je m’en souviens parfaitement. — Eh bien, monsieur, je tremblais en vous écoutant ; je frémissais, j’étais éperdu. Je quittai l’église avec l’intention ferme de fléchir le genou devant Dieu et de chercher son pardon en Christ. Mais vous rappelez-vous certains propos que vous tîntes, ce même soir, dans telle maison ? — Non, dit le ministre. — Il faut donc que j’aide votre mémoire, monsieur, reprend le moribond ; mais avant tout, notez bien ceci : à votre conduite de ce soir là, mon âme doit d’être damnée, et aussi vrai que j’ai encore un souffle de vie, aussi vrai, je vous accuserai devant le tribunal de Dieu d’être la cause de ma condamnation» ! Ayant dit cela, le malheureux ferma les yeux et mourut. — Je crois qu’il vous serait difficile, mes frères, de concevoir ce qui se passait dans le cœur du ministre en s’éloignant de ce lit funèbre… Toute sa vie, il devra traîner après lui cet horrible, cet épouvantable remords : «Il y a une âme en enfer qui m’accuse de sa perte…» !

Et un remords semblable, je le crains, pèsera un jour sur la conscience de bien des membres de nos Églises. Combien de jeunes gens, en effet, ont été détournés de la sérieuse recherche de la vérité par les censures âpres et amères de nos modernes Pharisiens ! Combien d’âmes droites et sincères ont été prévenues contre la saine doctrine par la conduite peu édifiante de ceux qui faisaient hautement profession d’y adhérer ! Ah ! malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites ! Car, non seulement vous n’entrez point vous-mêmes au royaume des cieux, mais vous empêchez d’y entrer ceux qui voudraient le faire ; vous vous emparez de la clef de la connaissance ; vous fermez à double tour par vos infidélités la porte du salut, et vous chassez, par votre flagrante hypocrisie, les âmes qui étaient disposées à s’en approcher !

Un autre déplorable effet de la conduite des chrétiens formalistes, c’est qu’elle cause une grande joie au démon et à son parti. Peu m’importe ce que disent les incrédules dans leurs livres ou leurs discours : quelque habiles qu’ils soient — (et certes, ils ont bien besoin de l’être, pour prouver l’absurde et donner à l’erreur un semblant de vérité), quelque habiles qu’ils soient, je le répète, peu m’importe leurs attaques, aussi longtemps qu’elles ne s’appuient que sur des mensonges. Mais quand ils peuvent nous adresser des reproches mérités ; quand les accusations qu’ils intentent à l’Église de Dieu sont fondées, oh ! c’est alors qu’ils sont à craindre, et c’est alors aussi que Satan triomphe. Qu’un homme se conduise en chrétien droit et intègre, il désarmera bientôt la critique ; qu’il mène une vie sainte et irrépréhensible, et on se lassera bientôt de rire à ses dépens ; mais s’il cloche des deux côtés, s’il agit tantôt en chrétien, tantôt en mondain, qu’il ne l’oublie pas, il fournit des armes aux adversaires et leur donne occasion de blasphémer contre l’Évangile. Ah ! qui pourrait dire les immenses avantages que le démon a remportés sur l’Église à cause des infidélités de ceux qui prétendaient en être membres ? «Vous dites et ne faites point, votre vie n’est pas en accord avec vos principes» : telle est la plus redoutable machine de guerre avec laquelle Satan bat en brèche la muraille de l’Église. Soyez donc sur vos gardes, mes chers auditeurs ; veillez constamment sur vous-mêmes, afin de ne pas déshonorer la cause que vous faites profession d’aimer. Et ici, je me sens pressé de m’adresser en particulier à ceux d’entre vous, qui, comme moi, ont des vues très arrêtées sur l’élection de la grâce. Vous le savez, parce que nous croyons à un salut purement gratuit, parce que nous disons avec Saint Paul : Ce n’est pas de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde [Rom. 9:16] en d’autres termes, parce que nous exaltons la grâce souveraine de notre Dieu, on nous traite d’ultra-calvinistes, d’antinomiens, on nous regarde comme le rebut de toute la terre, on accuse nos doctrines d’encourager le vice et l’immoralité. Voulons-nous donc, mes bien-aimés, réfuter victorieusement la calomnie ? Efforçons-nous de vivre d’une manière de plus en plus digne de notre vocation ; craignons, par nos chutes et par nos faiblesses, de donner prise aux attaques de nos adversaires ; en un mot, prenons garde de ne pas jeter de la défaveur sur ces saintes vérités qui nous sont aussi chères que la vie, et auxquelles nous espérons rester fidèles jusqu’à la mort.

 

3                     

Mais il est temps que nous passions à la troisième cause de la profonde douleur que Paul éprouvait en écrivant notre texte. Cette cause, nous vous l’avons déjà dit, était le sort réservé aux faux frères de Philippes ; c’est ce que nous apprennent ces mots : Leur fin est la perdition. Entendez-vous, mes frères ? La fin des formalistes, sera la perdition — et j’ose ajouter, la pire des perditions. Oui, s’il y a en enfer des chaînes plus lourdes que les autres, s’il y a des prisons plus sombres, des flammes plus brûlantes, des angoisses plus cruelles, des tourments plus intolérables, assurément ils seront le partage de ceux dont la profession de piété n’a été qu’un indigne mensonge ! En vérité, pour ma part, je préfèrerais mourir pécheur scandaleux, que chrétien hypocrite. Oh ! quel réveil que celui d’une âme qui, après avoir eu le bruit de vivre dans ce monde, est jetée avec les menteurs dans l’autre, qui, après s’être élevée jusqu’aux cieux ici-bas, se voit abaissée jusqu’en enfer dans l’éternité !… Et plus le formaliste a réussi à se séduire lui-même, plus terrible sera son désillusionnement. Il avait pensé porter à ses lèvres la coupe pleine de délices du paradis, et au lieu de cela, il se voit condamné à boire jusqu’à la lie l’amer breuvage de l’enfer ! Il comptait entrer sans difficulté par les portes de la nouvelle Jérusalem, et voilà qu’il les trouve fermées ! Il s’imaginait que pour être admis dans la salle des noces, il lui suffirait de crier : Seigneur, Seigneur, et voilà qu’il entend prononcer contre lui, non pas simplement la malédiction générale adressée à la masse des pécheurs, mais cette sentence mille fois plus terrible et plus amère, parce qu’elle est plus directe et plus personnelle : «Retirez-vous de moi, je ne vous ai jamais connu ! Quoique vous ayez mangé et bu en ma présence, quoique vous soyez entré dans mon sanctuaire, vous êtes un étranger pour moi et je le suis pour vous» ! — Mes frères, un tel sort, plus lugubre que le sépulcre, plus horrible que l’enfer, plus désespérant que le désespoir, un tel sort deviendra inévitablement le partage de ces prétendus chrétiens qui ont leur ventre pour Dieu, qui mettent leur gloire dans ce qui est leur confusion, et qui placent leurs affections dans les choses de la terre.

Et maintenant, mes chers amis, permettez-moi, avant de finir, de répondre à diverses pensées que peut vous avoir suggérées ce que vous venez d’entendre. Si je ne me trompe, quelques-uns d’entre vous se disent en ce moment même : «Voilà certes, un prédicateur qui n’épargne pas les Églises, et il a raison. Il leur a fait entendre de dures vérités. Quant à moi, je partage complètement son avis : ces gens qui font profession de piété, qui se donnent des airs de saints, sont tous des hypocrites et des imposteurs. Je l’ai toujours cru, il n’y en a pas un de sincère». Arrêtez, mon ami. À Dieu ne plaise que j’aie dit rien de semblable à ce que vous avancez là ! je serais bien coupable si je l’avais fait. Il y a plus : je soutiens que le fait seul qu’il existe des hypocrites est une preuve irrécusable qu’il existe aussi des chrétiens sincères. «Comment cela» ? me répondez-vous. Eh ! c’est bien simple, mon cher auditeur. Croyez-vous qu’il y eût de faux billets de banque dans le monde s’il n’y en avait pas de bons ? Croyez-vous qu’on cherchât à mettre de la fausse monnaie en circulation, s’il n’y en avait de bon aloi ? Évidemment non. La contrefaçon présuppose nécessairement l’existence de la chose contrefaite. Si donc il n’existait pas de vraie piété, il n’y en aurait pas non plus de fausse. Et de même que c’est la valeur du billet de banque qui engage le faussaire à le reproduire, de même c’est l’excellence du caractère chrétien qui donne l’idée à certaines gens de l’imiter. N’ayant pas la réalité, ils veulent du moins avoir l’apparence ; n’étant pas d’or pur, ils se plaquent de façon à en avoir l’air. Je le répète, et le plus simple bon sens suffit à nous le faire comprendre : puisqu’il y a de faux chrétiens il doit nécessairement y en avoir de véritables.

«Bien dit» ! pense peut-être un autre de mes auditeurs ; «Oui, grâces à Dieu, il existe des sincères, de véritables chrétiens, et j’ai le bonheur d’être du nombre. Jamais je n’ai eu ni doute, ni crainte à cet égard ; je sais que je suis un élu de Dieu, et quoique, il est vrai, je ne me conduise pas toujours comme je pourrais le désirer, j’ose dire que si je ne vais pas au ciel, peu de personnes iront ; Ainsi prédicateur de l’Évangile, à d’autres tes avertissements ! Depuis plus de 20 ans je suis membre de l’Église, depuis plus de dix j’ai l’honneur de siéger au conseil des anciens ; je jouis de la considération de mes frères, rien ne saurait ébranler ma confiance. Quant à mon voisin que voilà, c’est autre chose. Je crois qu’il fera bien de s’assurer de la réalité de sa conversion ; mais, encore une fois, pour ce qui me concerne, tout est bien ; je suis parfaitement tranquille».

Ah ! mon cher auditeur, me pardonnerez-vous si je vous dis que votre excès d’assurance m’inspire les plus graves inquiétudes ? Si vous n’avez jamais eu de craintes sur la valeur de votre piété, je commence à en avoir ; si vous ne doutez pas quelquefois de vous-même, je ne puis que trembler ; car, vous le dirai-je, j’ai observé que tous les enfants de Dieu sont d’une extrême méfiance à leur propre égard, et qu’ils craignent plus que qui que ce soit de se faire illusion. Jamais encore je n’ai rencontré un vrai croyant qui fût content de son état spirituel : puis donc que vous vous déclarez si particulièrement satisfait du vôtre, excusez-moi, mais je ne puis en vérité apposer ma signature au certificat de piété que vous vous délivrez à vous-même. Il se peut que vous soyez très bon ; toutefois, souffrez que je vous conseille de vous examiner pour voir si vous êtes dans la foi, de peur qu’étant enflé dans votre sens charnel, vous ne tombiez dans les pièges du malin. jamais trop sûr, est une devise qui convient parfaitement au chrétien. Étudiez-vous,tant qu’il vous plaira, à affermir votre vocation et votre élection ; mais, de grâce, n’ayez jamais une trop haute opinion de vous-même. Gardez-vous de la présomption. Combien d’hommes excellents à leurs propres yeux, qui sont des démons aux yeux de Dieu ! Combien d’âmes très pieuses dans l’opinion de l’Église, qui ne sont que souillure devant le Saint des saints ! Que chacun de nous s’éprouve donc soi-même, et disons avec le Psalmiste : «Sonde-moi, ô Dieu ! et connais mon coeur ; éprouve-moi et connais mes pensées. Et regarde s’il y a en moi quelque voie de chagrin, et conduis-moi dans la voie éternelle» [Ps. 139:23, 24]. Mes bien-aimés, si les avertissements que vous venez d’entendre avaient pour résultat de faire naître en vous de telles pensées, de vous inspirer une semblable prière, je bénirais Dieu du fond de mon âme de m’avoir permis de vous les adresser.

Enfin, il y a sûrement ici quelques-uns de ces esprits légers et insouciants auxquels il importe peu, disent-ils, d’appartenir ou non à Christ. Ils comptent vivre comme par le passé dans l’oubli de Dieu, méprisant ses menaces et se moquant de son nom. Insensés et aveugles ! un jour viendra, sachez-le, où votre rire sera changé en pleurs, où vous sentirez le besoin de cette religion que vous dédaignez aujourd’hui ! À bord du vaisseau de la vie, naviguant sur une mer paisible, vous vous moquez à présent de la chaloupe de sauvetage ; mais attendez que la tempête gronde, et vous voudrez vous y précipiter à tout prix. Maintenant vous ne faite aucun cas du Sauveur, parce qu’il vous semble que vous n’avez nul besoin de lui ; mais lorsque la mort se saisira de vous, lorsque viendra l’orage de la colère divine — (retenez bien ceci, ô pécheurs !), — vous qui maintenant ne voulez pas prier Christ, vous hurlerez après lui ! vous qui maintenant refusez de l’appeler, vous le poursuivrez alors par vos cris de désespoir ! votre cœur qui maintenant n’éprouve aucun désir de le posséder, se pâmera après lui, dans une inexprimable angoisse !….Retournez, retournez ! convertissez-vous ; et pourquoi mourriez-vous, ô maison d’Israël ?

Ô veuille le Seigneur vous amener à lui, et faire de vous ses sincères, ses véritables enfants, en sorte que votre fin ne soit pas la perdition, mais que vous soyez sauvés dès à présent, et sauvés pour l’éternité !