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HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE

 

 

 

ET FRAGMENTS RELATIFS À L'HISTOIRE GÉNÉRALE DE LA BIBLE

 

Daniel LORTSCH, Agent général de la Société Biblique Britannique et Étrangère

 

Préface de M. le pasteur Matthieu LELIÈVRE

 

1910

Le texte publié par Bibliquest contient tout le livre original, hormis quelques illustrations, la partie relative au colportage, des remerciements et un sonnet de R.S. ; les errata, corrections et additions publiés à part et séparément, ont été pris en compte. Bibliquest partage la plupart des opinions de l’auteur, mais pas toutes.

 

Partie 2 : Versions protestantes, de Olivétan à Ostervald

 

Table des matières :

Retour à la table des matières générale de l’Histoire de la Bible de D. Lortsch

13       Chapitre 10 — Notre vieil OSTERVALD

13.1     Le Synode de Chanforans

13.2     Le «maître d'école» et ce qu'il fit

13.3     La Bible d'Olivétan

13.3.1      Pièces liminaires

13.3.2      Le texte

13.4     Révisions de la Bible d'Olivétan jusqu'à Ostervald,

13.5     Ostervald et sa révision

13.5.1      J.-F. Ostervald

13.5.2      Ostervald et le capucin — Ostervald et Louis XIV — Ostervald et Fénelon

13.5.3      Réflexions et notes

13.5.4      Révision du texte

13.5.5      Révisions d'Ostervald

14       Chapitre 11 — Versions Protestantes Originales parues depuis la version d’Olivétan

14.1     Seizième siècle

14.2     Dix-septième siècle

14.3     Dix-huitième siècle

14.4     Dix-neuvième et vingtième siècles

15       Chapitre 12 — Le Psautier Huguenot

 

 

13                  Chapitre 10 — Notre vieil OSTERVALD

13.1                      Le Synode de Chanforans

Le 12 septembre 1532 se réunissait à Chanforans, dans le val d'Angrogne, au Piémont, un synode général des Églises vaudoises. Les Vaudois, «ces chrétiens, dit Merle d’Aubigné, qui appartenaient à la Réformation sans avoir jamais été réformés», avaient compris, à la suite d'un voyage d'enquête de deux de leurs barbes, que les réformateurs professaient sur divers points, soit de doctrine, soit de pratique ecclésiastique, des vues plus strictes qu'eux-mêmes. Ils avaient résolu de convoquer à Chanforans un synode de toutes leurs églises, et d'inviter les réformateurs à exposer leur point de vue. Deux barbes arrivèrent, en juillet 1532, à Grandson, où plusieurs ministres, parmi lesquels Farel, étaient en conférence. Ils les invitèrent à se rendre à Chanforans pour aider le synode de leurs lumières. L'invitation fut acceptée avec joie. Farel et Saunier se rendirent au val d'Angrogne, accompagnés, pensent quelques-uns, d'un troisième personnage dont nous parlerons tout à l'heure. Devant cette immense assemblée (*) qui comptait, outre des représentants des contrées voisines, des délégués venus de la Bourgogne, de la Lorraine, de la Calabre, de la Bohême, et où l'on voyait siéger, à côté des pasteurs et des paysans, les seigneurs de Rive-Noble, de Mirandole, de Solaro, Farel plaida pour la stricte doctrine et la stricte pratique de l'Évangile, et le synode se rangea à son avis. «Dominée par les foudres de Farel, dit M. Comba, la discussion fut rapide comme le feu roulant qui précède une victoire décisive». Une déclaration nettement évangélique fut adoptée.

 

(*) En un site ombragé, sur le versant de la montagne, entouré comme un amphithéâtre de pentes rapides et de pics lointains, le barbe Martin Gonin, le pasteur d'Angrogne, avait préparé des bancs rustiques, où devaient prendre place les membres de cette assemblée chrétienne (MERLE D'AUBIGNÉ, Réformation au temps de Calvin, III, 340).

 

Les barbes montrèrent à Farel et à Saunier les exemplaires manuscrits de l'Ancien et du Nouveau Testament en langue vulgaire, qu'ils conservaient précieusement. Les deux réformateurs représentèrent à l'assemblée de Chanforans que ces exemplaires, en petit nombre, ne pouvaient servir qu'à peu de gens, et qu'une traduction ou une révision des livres saints sur l'original, une «Bible repurgée», s'imposait pour l'honneur de Dieu, pour le bien des chrétiens de langue française, en même temps que comme la meilleure arme contre l'erreur. Les barbes, qui venaient de visiter la France, racontèrent de leur côté qu'ils avaient trouvé les fidèles de ce pays mal pourvus de la parole de vie.

La proposition de Farel et de Saunier fut votée avec enthousiasme (*).

 

(*) Ceci est le résumé de l'Apologie du translateur, que l'on trouvera plus loin.

 

«La Bible des Vaudois, dit M. Petavel, fut pour les Églises de France, nouvellement fiancées à Jésus-Christ, comme le présent de noces donné par un frère aîné, le peuple des Vallées, à ses soeurs cadettes».

«La réunion du val d'Angrogne, dit le même auteur, rencontre momentanée des Réformés d'avant la Réforme avec les enfants de la Renaissance littéraire et biblique, fut pour Rome comme le rapprochement de deux nuages chargés d'électricité. Il en sortit des foudres divines qui, en fondant sur la cité pontificale, purifièrent l'atmosphère morale du seizième siècle» (*).

 

(*) Op. cit. p. 86.

 

Déjà, plusieurs années auparavant, dans l'hiver de 1525 à 1526, plusieurs disciples de Lefèvre : Farel, Gérard, Roussel, Michel d'Arande, Simon Robert et Vadasta, avaient entrepris une traduction de la Bible d'après l'original. Gérard Roussel avait traduit le Pentateuque. Puis, l'entreprise avait été interrompue (*).

 

(*) O. DOUEN, article Olivétan, dans l'Encyclopédie des sciences religieuses.

 

 

13.2                      Le «maître d'école» et ce qu'il fit

L'homme qui devait exécuter la décision prise à Chanforans, fut Pierre Robert Olivétan.

Aucun nom ne devrait être plus populaire parmi les protestants que celui de l'homme modeste, consciencieux et savant, qui, traduisant le premier les Écritures en français sur l'original, donna à nos ancêtres la Parole de Dieu «repurgée», ainsi qu'il s'exprime lui-même. Si quelqu'un mérite le titre de Père de l'Église, c'est Olivétan. Et, chose étrange, son nom même est resté inconnu jusqu'à nos jours. On ne savait si Olivetanus (c'est ainsi qu'il est désigné dans les lettres de Calvin) était la traduction d'un nom français ou un surnom. On sait maintenant, par une lettre récemment découverte dans les archives de la ville de Neuchâtel, et qui nous reproduisons plus bas, que son nom était Louis Olivier (*).

 

(*) On ne sait pourquoi il échangea son prénom de Louis contre ceux de Pierre-Robert.

 

Boniface Wolfhard, dans une lettre de 1529 à Farel, s'exprime ainsi sur le compte d'Olivétan -

 

Ce jeune homme, qui aime d'un amour ardent les saintes lettres, et chez lequel on trouve une piété et une intégrité (innocentia) extrêmes, se dérobe pour le moment à la charge de prédicateur, comme étant au-dessus de ses forces, soit qu'il use en cela de modestie, soit qu'il ait une parole peu facile.

 

Ce dernier trait doit être exact, car Farel écrivait à Bucer, en 1529:

 

Guillaume du Moulin nous a dit que, pour la parole, il n'est pas fort (voce parum valere).

 

Mais cela ne l'empêchait pas d'inspirer à tous une vive sympathie. Andronicus, en effet, écrivait à Bucer, en 1533 :

 

Olivétan, qui n'est pas tant ton Olivétan que notre Olivétan à tous (non tam tuus quant omnium) a été envoyé au Piémont, dans une moisson du Seigneur, la plus dangereuse de toutes.

 

C'est Olivétan qui, le premier, initia son cousin Jean Calvin à l'Évangile. Il lui fit «goûter quelque chose de la pure religion», dit Théodore de Bèze. Il lui conseilla de lire l'Écriture. «Calvin, ayant suivi ce conseil, commença à se distraire des superstitions papales».

«Quand Olivétan, a dit M. Doumergue, n'aurait fait qu'initier Calvin à la Réforme, il mériterait un souvenir et une reconnaissance impérissables» (*).

 

(*) Doumergue, Calvin, I, 119.

 

On sait peu sur Olivétan, mais le peu qu'on sait, d'après ces témoignages, est bien propre à le faire aimer. Nous verrons plus loin que ce maître d'école était un savant de premier ordre.

En 1528, la persécution l'oblige à s'expatrier. Il quitte Noyon, sa ville natale, et se réfugie à Strasbourg. Là, avec Bucer et Capiton pour maîtres, il étudie le grec et l'hébreu.

En 1531, on le trouve à Neuchâtel, maître d'école, comme naguère Farel à Aigle. Il avait été appelé à ces fonctions par les autorités de la ville. Voici la lettre qu'il leur écrit au commencement de l'hiver. C'est le seul autographe qu'on ait de lui. L'écriture en est lisible, fine, distinguée (*).

 

(*) Documents inédits sur la Réformation dans le pays de Neuchâtel, par Arthur PIAGET.

 

À mes très honorés et prudens Seigneurs, messieurs le Baudret, les quatre ministraulx, conseil et commun, etc.

Messieurs,

Entendu vostre bon et honneste vouloir et mandement, ainsi que sçavés suys ci venu par devers vous à votre instance pour enseigner et endoctriner vos enfans, comme par raison et commandement de Dieu appartiendra. Dont par la grâce d'iceluy, espérons mectre telle peine et diligence que ce sera à sa digne gloire, et de vous aultres, Messieurs, et generallement aussi de toute la conté de Neuchâtel, me submectant toujours à votre bon conseil et ordonnance.

Mais pour autant que ja longtemps avec grandz frais et despenz, suy chés honneste et bon bourgeois Henry Bonvespre, ne sachant sur qui seront faictz lesdits despens, attendu que telz ma pauvreté ne pourrait porter, et, davantage désirant sçavoir par quel moien et condition me voulés icy avoir, veu aussy que je suys pour le présent de toute chose destitué et que l'yver approche, auquel temps chascun appete estre ja retiré et logie, nous suplions humblement votre seigneurie et humanité d'avoir regart et mectre ordre et fin à notre estat et condition.

Ainsy que par vostre bonté et prudence sçairés bien faire. À ce prierons Dieu, le Créateur, le Roy des Roys, par lequel estes constitués, vous garder et maintenir en sa saincte volunté et ordonance en tout honneur et prospérité. Ainsy soit-il!

Louys OLIVIER.

 

Farel, qui savait combien Olivetan était savant en hébreu et en grec, le pressa de se charger de la traduction de la Bible décidée à Chanforans (*1). Saunier joignit ses instances à celles de Farel. Mais Olivétan, qui était d'une modestie rare, excessive même (*2), allégua son insuffisance, quoiqu'il se fût déjà occupé pour son compte personnel de la traduction de la Bible. L'importunité de ses amis ne put le vaincre.

 

(*1) Olivétan avait-il accompagné Farel et Saunier aux Vallées? Reuss, Douen, Herminjard l'admettent ; Merle d'Aubigné et Comba ne le croient pas. M. Herminjard l'infère d'une lettre écrite des Vallées, le 5 novembre 1532, par Saunier à Farel. Saunier dit des Vaudois: Fratres... habentes gratiam vel maximam quod ad te nos remiseris (les frères te sont extrêmement reconnaissants de ce que tu nous as renvoyés auprès d'eux). Ce nos, dit M. Herminjard, ne peut désigner que Saunier et Olivétan, puisque les deux barbes revenus avec eux devaient revenir dans tous les cas. Donc, si Olivétan est renvoyé par Farel aux Vallées, c'est qu'il y avait déjà été, c'est qu'il avait assisté au Synode. L'argument est plausible. Toutefois, on peut se demander si, venu avec trois frères, n'ayant fait qu'un corps et qu'une âme avec eux pendant un long et pénible voyage, Saunier n'a pas été amené tout naturellement à dire «nous» même si, strictement, il était le seul «renvoyé», d'autant plus que les deux Vaudois, en fait, revenaient avec lui. On se le représente difficilement disant moi tout court. Certaines circonstances font parfois perdre aux mots leur précision mathématique. Et si Olivétan avait été à Chanforans, les Vaudois ne l'eussent-ils pas pressé, eux-mêmes, de traduire la Bible, vu sa réputation d'hébraïsant ? Or, il ne parle jamais que des instances de Farel, Saunier et Viret.

Ce qui nous semblerait trancher la question, c'est que dans les extraits de son Apologie que l'on trouvera plus loin, le langage d'Olivétan ne laisse guère supposer qu'il ait accompagné les réformateurs au Synode de Chanforans.

 

(*2) Voir la fin de l'épitre de Calvin en tête de la Bible d'Olivétan, citée plus loin, et ce qu'Olivétan dit de lui-même dans son Apologie.

 

Cependant on était décidé à ce que, d'une manière ou de l'autre, cette Bible vît le jour. Si on n'avait pas une traduction originale, on aurait une révision de la Bible de Lefèvre d'Étaples. Aussitôt après le synode, deux barbes vaudois, Martin Gonin et Guido, vinrent pour préparer les voies à la publication et s'entendre avec l'imprimeur, Pierre de Wingle. En mars 1533, cet imprimeur sollicitait du conseil de Genève l'autorisation d'imprimer une Bible française.

En octobre 1532, Gonin et Guido se remirent en route, emmenant avec eux Saunier et Olivétan. Ce dernier se rendait aux Vallées pour y annoncer l'Évangile. Mais ce voyage avait aussi pour but de recueillir auprès des Vaudois les dons nécessaires pour l'impression de la Bible. Ce fut donc, au point de vue de l'histoire de la Bible française, un voyage historique, puisqu'il rendit possible, matériellement, l'impression de cette Bible. Les voyageurs affrontaient un danger réel. Les Vaudois étaient persécutés. C'était la «moisson du Seigneur la plus dangereuse de toutes», disait Andronicus, à propos de ce voyage même, dans une lettre que nous avons citée plus haut. De plus, pour se rendre aux Vallées, il fallait traverser les terres du duc de Savoie. On les traversa de nuit. Mais le danger n'empêche pas les voyageurs d'être dévorés, tout le temps, par le besoin d'annoncer l'Évangile. À Vevey, ils «parlent de Christ» à leur hôte et à leur hôtesse (*1), «femme d'un esprit très vif». Au-dessus de Martigny, avant de passer le Saint-Bernard, ils entreprennent, dans une auberge, un moine du célèbre couvent, auquel «ils parlent beaucoup de Christ» (*2), et qui promet à Saunier de suivre tous ses conseils et tout d'abord de rompre avec l'Antéchrist. Quels hommes! Et combien dignes de travailler à la publication de la Bible, dont l'esprit les pénètre et les inspire à un si haut degré! Dans la montagne, les voyageurs tombèrent tous malades, et eurent de mauvais moments à passer. Enfin, ils arrivèrent aux Vallées, où ils reçurent, avec un accueil chaleureux, les ressources nécessaires pour l'impression de la Bible «repurgée». Ces pauvres montagnards remirent entre les mains de Gonin, le pasteur d'Angrogne, la somme de 500 écus d'or, soit 5.000 francs (qui équivaudraient à environ 60.000 francs, valeur actuelle) (*3) «pour qu'on imprimât le plus tôt possible». En même temps, des instructions étaient envoyées à Farel pour diriger et hâter le travail.

 

(*1) De Christo locuti sumus cum hospite et hospita. Tous ces détails sont empruntés à la relation de ce voyage que Saunier envoya à Farel dans sa lettre du 5 novembre 1532. On trouve ce très pittoresque récit dans d'Aubigné (Op. cit., t. III, p. 395-400).

(*2) Quocum multa de Christo locuti sumus. Ibid.

(*3) À cette époque, le gage d'une servante était de 3 à 4 livres faibles, c'est-à-dire de 3 à 4 francs par an, plus deux chemises et une paire de souliers (PETAVEL).

 

Un an après, rien n'était encore fait, et Saunier, dans un nouveau voyage, essuyait les reproches des Vaudois, et les transmettait à Farel.

D'où venaient ces retards? Probablement de ce que Farel, anxieux de donner aux Églises de France non une révision, mais une traduction, et persuadé qu'Olivétan pourrait mieux que personne mener l'entreprise à bonne fin, ne perdait pas l'espoir de décider ce dernier à s'en charger. Et c'est, en effet, ce qui arriva. Viret joignit ses importunités à celles de Farel, et, quatre ou cinq mois plus tard, les deux réformateurs triomphaient, à eux deux, des scrupules d'Olivétan. C'est par lettre qu'ils réussirent à le persuader, car Olivétan était resté aux Vallées. Vers la fin de 1533, ou vers le commencement de 1534, Olivétan se mit à l'oeuvre. Un an plus tard, il était prêt (*1). Il date sa préface «des Alpes» (c'est ainsi qu'il désigne le théâtre de ses labeurs), le «12 février 1535». Le volume fut imprimé à Serrières, près  (*2) Neuchâtel, par Wingle, un imprimeur de premier ordre, qui était missionnaire au moins autant qu'imprimeur (*3). Olivétan se rendit à Neuchâtel, probablement en mars, pour surveiller au moins la fin de l'impression. Il retourna aux Vallées en juillet, afin d'y reprendre ses travaux missionnaires.

 

(*1) «Après avoir travaillé toute l'année», dit-il, dans son Apologie. Cette rapidité s'explique par le fait qu'Olivétan, reprenant peut-être le travail de Gérard Roussel, avait déjà travaillé pour son compte personnel à la traduction de l'Ancien Testament. Quand il consentit à se charger du travail, ses matériaux, en ce qui concerne l'ancien Testament, devaient être prêts. «On ne se serait pas adressé à lui, dit M. Reuss (Op. cit., nouvelle série, t. IV), si le public, si ses amis n'avaient pas été au courant de ses études. Et l'on n'acquiert pas la réputation d'être un fort hébraïsant avant d'avoir approfondi les textes de la Loi et des Prophètes. Il était prêt dès l'époque de son voyage aux Vallées». Ceci d'ailleurs ressort clairement des lignes suivantes de l'Apologie : «Ayant jà longuement trainé ce joug tout seul, ai été contraint entre ces montagnes et solitudes, user tout seulement des maitres muets c'est-à-dire livres, vu que ceux de vive voix me défaillaient». En parlant d' «une année», il s'adresse, ne l'oublions pas, à Farel, Saunier, Viret, qui savaient à quoi s'en tenir. Le travail de l'«année», ce fut sans doute une mise au point de l'ancien Testament, la préparation du Nouveau Testament, des Apocryphes et des notes. L'effort accompli n'en était pas moins colossal.

 

(*2) Voir Doumergue, Jean Calvin, II, 770, et Quartier la Tente, le Canton de Neuchatel, I, 415

 

(*3) En 1534, Wingle avait imprimé à Neuchâtel un Nouveau Testament, reproduction de celui de Lefèvre. qu'il avait fait précéder d'une préface remarquable, tout enflammée de l'amour des Écritures. Elle est introduite par ces mots : L'imprimeur aux lecteurs. En voici quelques lignes :

«Entre toutes les choses que le Seigneur Dieu a données aux hommes, il n'y a rien de plus précieux, plus excellent ni plus digne que la Sainte et vraie Parole qui est contenue es livres de la Sainte Écriture...

«..... à l'étude et leçon des Saintes Écritures nous sommes exhortés par notre bon Père céleste quand il nous commande de ouïr son cher fils Jésus-Christ...

«Même le fait de l'eunuque de la reine de Candace nous y admoneste, lequel jà soit qu'il fût barbare et payen détenu d'infinies occupations et de toutes parts environné de négoces et affaires forains, aussi non entendant la lecture, il lisait la Sainte Écriture, assis en son chariot. Que s'il a été diligent de lire par les chemins, que penses-tu qu'il fit en sa maison? S'il n'entendait pas encore la leçon d'Ésaïe, que penses-tu qu'il fit après qu'il l'entendit?..».

Le seul exemplaire connu de ce Nouveau Testament se trouve à la Bibliothèque publique de Neuchâtel.

 

En 1536, il vint à Genève et y occupa une place de professeur dans le collège récemment institué. Il fut aussi, d'après Froment, précepteur des enfants de Chautemps, conseiller de la ville. Il figure sur les registres de Genève, toujours comme «maître d'école». Il s'occupa de la révision et de la réimpression du Nouveau Testament et de quelques livres de l'Ancien. En 1538, il partit pour l'Italie. Il ne devait pas en revenir. La nouvelle de sa mort, survenue en août de la même année, peut-être à Rome, parvint à Genève en janvier 1539. On n'a sur sa fin aucun détail. «Le voile qui enveloppe cette vie cachée en Dieu, dit M. Comba, nous dérobe même sa tombe». Il circula des bruits d'empoisonnement, mais on n'a aucune preuve. Tout ce qu'on peut dire, c'est que, s'il mourut empoisonné, l'ennemi, ce jour-là, sut viser à la tête. La nouvelle de sa mort frappa Calvin et ses amis comme un coup de foudre. Dans la préface d'une révision de la Bible d'Olivétan, Calvin appelle ce dernier un «fidèle serviteur de l'Église chrétienne, de bonne et heureuse mémoire».

Rappelant le mot de Bucer, cité plus haut, nous dirons, comme conclusion : Celui qui a donné aux Églises de la Réforme leur première traduction de la Bible, est bien «notre Olivétan à tous».

 

 

 

13.3                      La Bible d'Olivétan

13.3.1    Pièces liminaires

On ne saurait accorder une attention trop minutieuse à cette Bible qui a fourni la nourriture spirituelle de nos pères pendant plus de trois siècles. Ce volume est pour les protestants français une vraie relique de famille. Cette Bible, d'ailleurs, dès qu'on la regarde de près, a quelque chose de vivant. Elle rappelle le mot de Luther au sujet de l'Écriture : «On dirait qu'elle a des mains et des pieds». Quand on en tourne les feuilles, on voit que tout y respire et l'amour de la Bible, et l'amour des âmes.

Le format est un petit in-folio.

En tête de la page qui sert de titre à l'Ancien Testament, on lit, dans une banderole, en hébreu : La parole de notre Dieu demeure éternellement (Ésaïe XL). Puis:

 

 

LA BIBLE

Qui est toute la Saincte escripture

En laquelle sont contenus le Vieil Testament

et le Nouveau translatés

en Francoys. Le Vieil de Lebrieu et le Nouveau

du Grec.

 

Aussi deux amples tables, l'une pour l'interpretation

des propres noms, l'autre en forme Dindice

pour trouver plusieurs sentences

et matières.

 

Dieu en tout

 

Au bas de la page:

 

Isaiah 1.

Ecoutez cieulx et toy terre preste laureille

car Leternel parle.

 

 

Cette page de titre suffit pour montrer avec quel sentiment de la valeur de la Bible et quel sentiment du droit de Dieu cette publication a été entreprise.

Au verso du titre se trouve une épître latine de Calvin (alors âgé de vingt-cinq ans) : À tous empereurs, rois, princes et peuples soumis à l'empire de Christ. Dans cette épître, Calvin revendique pour chacun le droit de lire l'Écriture. En voici quelques lignes :

 

Cette oeuvre sacrée n'a pas une origine récente, elle ne date pas d'aujourd'hui. Aussi ne nous semble-t-il pas qu'elle ait besoin de l'approbation des hommes... Notre brevet de privilège, c'est l'oracle, c'est l'éternelle vérité du Roi souverain, du Seigneur du ciel, de la terre et de la mer, du Roi des rois... Tout ce que je demande, c'est qu'il soit permis au peuple fidèle d'écouter parler son Dieu, de se laisser instruire par lui. Ne veut-il pas être connu de tous, du plus grand jusqu'au plus petit? Ne promet-il pas que tous seront enseignés de Dieu? N'enseigne-t-il pas la science aux enfants sevrés, à ceux qu'on vient d'ôter du sein? Ne leur fait-il pas comprendre ce qu'ils entendent? Ne donne-t-il pas la sagesse aux petits? N'ordonne-t-il pas d'annoncer l'Évangile aux pauvres? Et quand nous voyons des hommes de toute condition profiter en l'école de Dieu, nous reconnaissons que Dieu a dit vrai, lorsqu'il a promis de répandre son esprit sur toute chair. Nos adversaires murmurent et s'indignent. Qu'est-ce à dire, sinon qu'ils reprochent à Dieu sa générosité? Oh! s'ils avaient vécu au temps où Philippe avait six filles qui prophétisaient, comme ils auraient eu de la peine à les supporter, si même ils ne les eussent pas maltraitées...

 

Après cela, Calvin en appelle à l'exemple des Pères et tance encore, avec toute sa verve de polémiste, ceux qui veulent garder pour eux les trésors de l'Écriture. Puis il présente au lecteur la traduction, et le traducteur,

 

...qui, distingué par beaucoup d'autres qualités, se surpasse pourtant lui-même par sa modestie, si toutefois c'est de la modestie, et non une timidité démesurée (immodicus pudor) qui l'a presque empêché d'entreprendre un si saint labeur. Il ne l'eût pas fait, si Cusemeth et Chlorotes (*1), ces saints hommes, ces témoins et ces défenseurs de l'invincible Parole de Dieu, ne l'eussent vaincu par leurs exhortations et leurs vives sollicitations, et enfin contraint de rendre les armes...

 

Il est, je n'en doute point, des endroits qui, soit par suite de la grande diversité des opinions, soit parce que, dans un ouvrage de longue haleine, on a parfois des absences (quia opere in longo interdum somnus irrepit) (*2), ne plairont pas à tout le monde. Mais si le lecteur rencontre de ces endroits, je l'invite à ne pas attaquer et à ne pas incriminer un savant qui a bien mérité des études sacrées, mais bien plutôt à relever ses fautes avec modération... Quant à ceux dont aucune considération ne saurait contenir la langue, je les prie de se souvenir qu'il est très facile de faire assaut de médisances, et que, sous ce rapport, les commères des carrefours elles-mêmes l'emporteront toujours sur les plus habiles rhéteurs... Ils ont affaire à un homme que l'on peut attaquer impunément, sans craindre la réprocité d'un langage sans retenue, mais qu'ils n'attendent pas grande gloire de leur éloquence venimeuse, car ce dicton est aussi vrai qu'il est commun : Railler est facile, essayer de faire mieux l'est moins.

 

(*1) Cusemeth, mot hébreu qui signifie épeautre, en latin far, pseudonyme de Farel. Chlorotes, mot grec qui signifie verdure, pseudonyme de Viret (viretus).

(*2) Calvin ne se doutait pas qu'il fournissait lui-même, dans cette page (à moins que ce ne fût l'imprimeur), une preuve de la justesse de cette réflexion, si finement énoncée, en parlant des six filles du diacre Philippe, qui, d'après la Vulgate comme d'après le texte, n'en avait que quatre (Act. 21, 9).

 

Le second feuillet contient la dédicace du traducteur, en français, avec cette suscription : P. Robert Olivetanus lhumble et petit Translateur a Leglise de Jesus-Christ.

Voici quelques extraits de cette préface. C'est un des plus beaux morceaux de notre littérature religieuse protestante. Il est plein d'amour et d'humour (*). Il nous transporte en des temps singulièrement tragiques. On voit, en le lisant, que la traduction d'Olivétan a été faite en plein champ de bataille.

 

(*) Cet humour naïf, dit M. Doumergue, a fait d'Olivétan un des fondateurs de la langue française, entre Rabelais et Calvin, plus près de Rabelais pour le style, plus près de Calvin pour la pensée... Cette page devrait être, dans les anthologies de notre vieux français, à une place d'honneur (Calvin, I, p. 121).

 

La bonne coutume a obtenu de toute ancienneté que ceux qui mettent en avant quelque livre en public le viennent à dédier et présenter à quelque Prince, Roy, Empereur ou Monarque, ou s'il y a majesté plus souveraine... Aucuns ont bien telle prudence et égard que leurs inventions ne seraient pas bien reçues du peuple, si elles ne portaient la livrée de quelque très illustre, très excellent, très haut, très puissant, très magnifique, très redouté, très victorieux, très sacré, béatissime et sanctissime nom. Pourquoi avoir eu le tout bien considéré et vu courir et trotter tous les autres écrivains et translateurs, l'un deçà, l'autre delà, l'un à son Mecénas libéralissime, l'autre à son Patron colendissime, l'autre à son je ne sais quel Révérendissime : je ayant en main cette présente translation de la Bible, n'ay pas tant fait pour icelle dame coutume... que je me sois voulu asservir et assujettir au droit qu'elle exige et requiert..... Aussi ne lui appartient-il point (à ce livre) faire du parasite quelque glorieux Thraso qu'il rencontre. Car il est bien d'autres étoffes que tous autres livres quels qu'ils soient, les auteurs desquels en font offrandes si profitables et méritoires et si cauteleux échanges contre riches dons et plantureux octrois. Après lesquelles bêtes je ne chasse point, car je me passe bien de tel gibier, la grâce à Dieu qui me fournit de contentement et suffisance.

 

Ce n'est donc pas à un grand personnage, dit M. Reuss, mais à la paoure Église que l'auteur dédiera son travail.....

 

Car Jésus, dit-il, voulant faire fête à celle-ci de ce que tant elle désire et souhaite, m'a donné cette charge et commission de tirer et déployer icelui thrésor hors des armoires et coffres hébraïques et grecs, pour après l'avoir entassé et empaqueté en bougettes (boites) françaises le plus convenablement que je pourrai, en faire un présent à toi, ô pauvre Église. à qui rien l'on ne présente. Vraiment cette parole t'était proprement due, en tant qu'elle contient tout ton patrimoine, à savoir cette parole par laquelle, par la foi et assurance que tu as en icelle, en pauvreté tu te réputes très riche; en malheureté, bienheureuse; en solitude, bien accompagnée; en doute, acertainée; en périls, assurée; en tourments, allégée; en reproches, honorée; en adversités, prospère; en maladie, saine; en mort, vivifiée. Tu accepteras donc, o pauvrette (paourette) petite Église, cestuy présent, d'aussi joyeuse affection que de bon coeur il t'est envoyé et dédié... Christ ne s'est-il pas donné à telle manière de gens abjects, petits et humbles; ne leur a-t-il pas familièrement déclaré les grands secrets du royaume qu'il proteste leur appartenir? C'est sa petite bande invincible, sa petite armée victorieuse, à laquelle, comme un vrai chef de guerre, il donne courage et hardiesse par sa présence, et chasse toute frayeur et crainte par sa vive et vigoureuse Parole...

Ce bien est le tien et toutefois il demeure entièrement à celui qui te le donne. O la bénigne possession de grâce, qui rend au donnant et à l'acceptant une même joie et délectation! Quelque beau semblant que les hommes fassent et quelque propos qu'ils aient en la bouche, pour vouloir colorer et faire entendre de combien bon coeur ils donnent, toujours y a-t-il en quelque anglet de ce coeur une prudence peureuse qui crie : «Prends garde à ce que tu fais, que tu n'aies faute de ce dont tu es prodigue!» Or il n'en va pas ainsi de ce don, car il n'est fait que pour être donné et communiqué à un chacun; et ceux qui le donnent se tiennent pour avoir fait un grand gain et bonne emplette quand ils ont trouvé occasion de te le présenter et le mettre en ta possession.

Quant au pauvre peuple qui te fait le présent, il fut il y a plus de trois cents ans banni de ta compagnie. Épars aux quatre parties de la Gaule il est (à tort toutefois et pour le nom de Christ) réputé le plus méchant que jamais fût, tellement que les autres nations emploient son nom pour injure et reproche. C'est le vrai peuple de patience..... Ton frère donc, auquel ta vie tant misérable faisait pitié, s'est souventes fois ingéré, en passant et repassant, de t'appeler par le nom de soeur, s'efforçant de te donner le mot du guet de parfaite et heureuse liberté. Mais toi, toute hébétée de tant de coups, tu passais outre et allais ton chemin..... Or avant donc pauvre (paoure) petite Église qui es encore en état de chambrière sous les furieuses trongnes et magistrales menaces de tant de maîtres renfrognés et rébarbatifs, va décrotter tes haillons tout poudreux et terreux d'avoir couru, viré et tracassé, par le marché fangeux de vaines traditions : va laver tes mains toutes sales d'avoir fait l'oeuvre servile d'iniquité : va nettoyer tes yeux tout chassieux de superstition et d'hypocrisie. Veux-tu toujours être ainsi à Maître? N'est-il pas temps que tu entendes à ton époux Christ?... Ne prendras-tu pas égard aux précieux joyaux que lui-même (si tu sais comprendre) t'envoie en loyauté de mariage?... Lui veux-tu point donner ton amour et ta foi? Qu'attends-tu? Ne veux-tu pas te fier en lui? N'y a-t-il pas assez de bien en la maison de ton Père pour t'entretenir?... As tu doute qu'il te traite mal, lui qui est tant doux et tant de bonne sorte?... Ne te chaille! (Courage!) Prends congé de tes maîtres et de cette traître marâtre que tu as si longtemps appelée mère. Mets leur en avant qu'il est temps que tu suives la volonté de Christ ton Époux, lequel te demande. Quitte leur tout ce que tu pourrais avoir gagné et mérité avec eux. Car le tien Époux n'a que faire de ces biens là, qui lui feraient déshonneur. Il est bien vrai que de ta part tu ne lui pourrais apporter en acquit chose qui vaille. Mais qu'y ferais-tu? Viens hardiment avec tous les plus braves et mignons de ta cour tous faits exécration pour Christ, non pour leurs méfaits, desquels les titres sont ceux-ci, asçavoir: Injuriés, Blamés, Chassés, Decriés, Désavoués, Abandonnés, Excommuniés, Anathématisés, Confisqués, Emprisonnés, Géhennés, Bannis, Eschellés, Mitrés, Décrachés, Chaffaudés, Exoreillés, Tenaillés, Flétris, Tirés, Traînés, Grillés, Rôtis, Lapidés, Brûlés, Noyés, Décapités, Démembrés, et autres semblables titres glorieux et magnifiques du Royaume des Cieux. Tous lesquels il n'a point à dédain, lui qui est tout au contraire des autres princes et rois, lesquels ne veulent personne à leur cour et service s'il n'est noble, bien accoutré, gorgias (coquet), miste (élégant), sain et en bon point. Mais il les veut tels comme lui-même a été en ce monde, et il les appelle amiablement pour les soulager, les enrichir, les avancer et les faire triompher avec lui dans sa cour célestielle.

 

Maintenant donc, ô noble et digne Église, heureuse Épouse du Fils du Roi, accepte et reçois cette Parole, promesse et Testament..., où tu pourras voir la volonté de Christ, le tien Époux, et de Dieu son Père... lequel ô pauvre (paoure) petite Église, te maintienne en sa grâce! Des Alpes ce 12° de Février (Feburier) 1535.

 

Ne craingniez point petit tropeau car il a pleu à vostre père vous donner le royaume.

En Dieu tout.

Je te eusse escrit plus amplement : mays tu voys ici le destroict ou je suis de papier et d'autres choses.

 

Après la préface, vient une Apologie du translateur qui occupe trois feuillets. Dans cette apologie, Olivétan raconte comment il a été amené à entreprendre son travail, et parle de ses labeurs avec une extrême et touchante modestie.

 

Je suis assez records que toi Cusemeth et toi Almeutes (*1), menés de l'esprit de Dieu pour les grâces qui lui a plu vous donner (quant à l'intelligence de l'Ecriture), allates (*2) trois ans y a visiter les Eglises chrétiennes nos bons frères. Et vous étant assemblés (comme est de coutume) pour conférer et traiter de l'Ecriture Sainte... advisates que tant de sectes et hérésies, tant de troubles et tumultes sordaient en ce temps au monde, et que tout cela venait pour l'ignorance de la parole de Dieu. Voyant aussi les exemplaires du Vieil et Nouveau Testament en langue vulgaire qui étaient entre nous (*3) écrits à la main depuis si longtemps qu'on n'en a point de souvenance ne pouvoir servir sinon à peu de gens, admonestates tous les autres frères pour l'honneur de Dieu (*4) et bien de tous les chrétiens ayant connaissance de la langue française, et pour la ruine de toute fausse doctrine répugnante à vérité : qu'il serait grandement expédient et nécessaire de repurger la Bible selon les langues hébraïques et grecques en langage français. À quoi iceux nos frères se sont joyeusement et de bon coeur accordés, eux employants et évertuants à ce que cette entreprise vînt à effet.

 

(*1) Mot grec qui signifie vendeur de sel, pseudonyme de Saunier.

(*2) Si Olivétan était allé au Synode de Chanforans avec Farel et Saunier, se serait-il exprimé ainsi ?

(*3) Olivétan s'identifie avec le peuple qu'il a évangélisé et au milieu duquel il a traduit l'Écriture.

(*4) On remarquera qu'à la base de cette entreprise se trouve la grande préoccupation, on peut dire la sublime obsession calviniste, de l'honneur de Dieu.

 

Or pour ce faire, vous ayant quelque estime de moi autre que ne pensais, m'avez tant prié, sollicité, importuné et quasi adjuré, qu'ai été contraint à entreprendre cette si grande charge. Laquelle certes toi Cusemeth et Chlorotes eussiez pu faire trop mieux que moi, si Dieu vous eût voulu permettre et donner le loisir et qu'il ne vous eût appelé à plus grand choses : asçavoir pour semer le pur grain de sa parole en son champ fructueux et arroser et faire verdoyer son délicieux jardin de Eden. Si vos persuasions (desquelles j'ai bonne souvenance) n'eussent été plus puissantes que mes excuses, je ne devais jamais accepter telle charge vu la grande difficulté de la besogne et la débilité et faiblesse de moi, laquelle ayant bien connue, avais jà par plusieurs fois fait refus de me adventurer à tel hasard ; vu aussi qu'il est autant difficile (comme vous savez) de pouvoir bien faire parler à l'éloquence hébraïque et grecque le langage français (lequel n'est que barbarie au regard d'icelles) si que on voulait enseigner le doux rossignol à chanter le chant du corbeau enroué (*). Attendu aussi que comme il va d'un édifice qui se fait en public, dont chacun devise à sa propre fantaisie, ainsi est-il d'une telle entreprise environnée de toutes parts de repreneurs, corrigears et calomniateurs, non pas domestiques (j'en suis bien assuré) mais étrangers et aliénés de charité. Chrétiens philosophans sur la pointe d'un omicron et étant munis de mille petites calomnies et mécontentements.

 

(*) C'est nous qui soulignons, ici et plus bas.

 

Partant à vous qui m'avez mis en oeuvre et estes cause de tout cet affaire, qui m'avez si bien donné à entendre et fait accroire par vive raison que j'en viendrais à bout et le ferais si bien, je viens maintenant, après avoir travaillé toute l'année (*), rendre compte de la besogne faite, rendant grâce et donnant la gloire à Dieu seul, si elle est si bien achevée et parfaite que vous l'entendiez... J'ai fait du mieux que j'ai pu, comme vous voyez. J'ai labouré et foui le plus profondément qu'il m'a été possible en la vive mine de pure vérité pour en tirer offrande que j'apporte pour la décoration et ornement du saint temple de Dieu... Il est licite à un chacun de pouvoir autant apporter et offrir. Aussi en un même corps tels que nous sommes en Jésus-Christ il n'y a nulle envie ni reproche entre les membres. L'œil net qui voit clair adresse le pied qu'il ne choppe et fasse un faux pas sans lui reprocher sa cécité ni souillure. Aussi le pied sale et fangeux marche par les mauvais passages sans avoir envie de la netteté des délicats yeux qui n'endureraient pas la moindre ordure qui soit. J'espère que les clairs et lumineux yeux ne dédaigneront, ne blâmeront point les petits labeurs de moi, qui suis comme l'un des plus petits orteils des bas et humbles pieds de ce corps, fouillans et quérans ce qui nous a été si longtemps caché aux étranges terroirs hébraïques et grecs... Aux bien accordantes orgues de l'Église universelle de Christ, desquels les vifs (vivants) tuyaux sont épars par tous les côtés du monde, les petits tuyaux, quelque menus qu'ils soient, ce néanmoins ils servent à la mélodie et les gros plus résonnants attempèrent aussi leur hautesse à la petitesse et tendre ton d'iceux. Ainsi ai-je espérance qu'il me sera fait, et que le petit et faible son que je jette ne troublera point l'accord, mais plutôt fournira et remplira la plaisante et douce harmonie de la seule et unique foi que nous avons en Jésus-Christ...

 

(*) Nous expliquons plus haut cette expression.

 

Je n'ai point honte, comme la veuve évangélique, d'avoir apporté devant vous mes deux petits quadrains en valeur d'une maille qui est toute ma substance...

 

Après l'Apologie, on lit:

 

Paul. 1 Corinthiens xiv.

Je veulx certes que tous vous parliez langaiges: mais

encore plus que vous prophetiziez

Item au mesme

Pourtant freres taschez a prophetizer et ne empeschez

point de parler langaiges (*).

 

(*) Tous ces préliminaires sont semés de citations de la Bible, bien mises en saillie. On voit combien le traducteur, lorsqu'il parlait lui-même, était impatient de laisser parler Dieu.

 

Suit une autre dédicace (sixième feuillet) avec cette inscription : V. F. C (*) a notre allie et confedere le peuple de l'alliance de Sinai salut.

 

(*) Viret, Farel, Calvin. Le morceau a cependant été rédigé par Olivétan, d'après M. Reuss, qui base son opinion sur le style. Olivétan exprime la pensée des réformateurs et leur sert de porte-parole.

 

C'est une épître au peuple juif, destinée à montrer que Jésus est le Messie. Ici encore on retrouve l'amour des âmes, l'esprit missionnaire. Ce morceau est le premier de ce genre que l'on trouve dans la littérature protestante. Il est suivi de cette citation :

 

Paul aux Romains 12.

Gloire honneur et paix a ung chascun qui fera bien

au juif premierement aussi au grec.

 

Le verso du septième feuillet contient une poésie latine d'un collaborateur d'Olivétan, Des Périers (*), qui recommande la traduction au lecteur.

 

(*) En sa qualité de grammairien, dit M. Reuss, il retouchait, corrigeait les rudesses de style du traducteur hébraïsant. Des Périers fut valet de chambre chez Marguerite de Navarre, dont il mettait au net les oeuvres poétiques. Olivétan l'appelle dans son Apologie «notre loyal frère et bon ami».

 

Plus nimio quondam rerum studiosa novarum,

Eloquii dives Gallica lingua fuit.

Tot sibi librorum cum scripserit agmina, (mirum est)

Raro, vel nunquam, Biblia sacra refert (*1).

Vana refert : Domini spernens oracula vatum,

Seria futilibus posthabet illa jocis.

Ridiculas autem, Christo revotante, jocandi

Optabit tandem ponere blanditias.

Blanditias sed nacta novas, monimenta salutis,

En habet, et fidei pignora certa suae.

Relligionis habet nunc pura fluenta beatae,

Trita sur Ausonio quae latuere luto (*2).

Viderat ante suas haec Gallica lingua sorores

Scribere veracis verba retecta Dei.

Otia dum captat, tandem perfusa recenti

Luce Dei, voluit tam pia facta sequi.

Immo jam sequitur non inferiore loquendi

Utilitate, eadem quotquot in orbe ferunt.

En igitur faxis, gens Gallica, cordis apertas

Trajiciant aures, quae tua lingua canit.

Accipe, volve diu noctuque volumina sancta,

Non sine sollicito versa labore tibi.

Vana decent vanos. Tu non ignota recantes.

Sat, tua (cum polis es) non aliena colas.

 

Ad Candidum Lectorem.

 

Quisquis es, o Lector, primores carminis hujus

Tu ne sperne notas. Qui tibi vertit, is est.

 

(*1) Exagération manifeste, à moins que l'auteur ne veuille dire que la langue française manquait de traductions bibliques faites sur le texte original.

(*2) Allusion au texte corrompu de la Vulgate (Ausonius veut dire latin).

 

Ce dernier distique avertit le lecteur qu'il trouvera en acrostiche dans la poésie le nom du traducteur. En effet, en réunissant les premières lettres de ces vers, on forme (le u ayant alors la valeur du v, et réciproquement) le nom de Petrus Robertus Olivetanus.

Le huitième feuillet contient la table des matières, qui est suivie de ces mots : Toutes ces choses sont le livre de vie, et le pact du Souverain, et la connaissance de la verite (citation de l'Ecclésiastique, ch. 24, d'après la Vulgate).

Au verso de ce huitième feuillet on lit :

 

Au lecteur des deux Testaments contenant la volonté et parole de Dieu :

 

Le divin Testateur qui en testant ne ment

Et ne vouldroit frauder nullement sa partie :

Veult que de tous soit leu son double Testament

Et qua chascun en soit la teneur departie.

Veu donc que la copie en est dejia sortie

Aux autres nations : pour toy peuple françoys

En ton languaige aussi a este assortie

Afin que de ton droict plus asseure tu sois.

Non seulement en liure escrit lauras aincois

En ton coeur lescrira par diuine practique

(Ainsi qu'il a promis) si tu oys et receois

Du loyal Testateur le Testament publicque.

 

Après les livres canoniques de l'Ancien Testament viennent les livres apocryphes. Ils sont précédés d'une préface qui leur refuse la canonicité. La voici :

 

Entendu que les livres précédens se trouvent en langue hébraïque reçus d'un chacun et les suivans qui sont dits apocryphes... ne se trouvent ni en hébreu ni en chaldéen, et aussi ne sont point reçus ni tenus comme légitimes tant des hébreux que de toute l'Église, ainsi que profère Saint-Jérôme, nous les avons séparés et réduits à part pour les mieux discerner et connaître, afin qu'on sache desquels le témoignage doit être reçu ou non (Suivent quelques témoignages historiques).

Pourquoi donc, quand tu voudras maintenir aucune chose pour certaine rendant raison de ta foi, regarde d'y procéder par vive et puissante Ecriture en ensuivant saint Pierre qui dit : Celui qui parle, qu'il parle comme parole de Dieu. Il dit parole de Dieu comme très véritable et très certaine manifestée par les prophètes et apôtres divinement inspirés, desquels nous avons témoignage plus clair que le jour. Les juristes aussi, ayant grand soin de confirmer et établir leurs opinions par la loi humaine, disent qu'ils ont honte de parler sans loi. Combien donc plus grande horreur et vergogne doit avoir celui qui se dit chrétien, ne se attend et ne se arrête ès lois du Dieu vivant, mais aux humaines, jugeant toutes choses selon sa fantaisie et jugement incertain. Par ainsi, nous édifiés sur le fondement des saints prophètes et apôtres (sur lequel ils se sont fondés et lequel ils ont annoncé qui est Jésus-Christ, la ferme pierre), délaisserons les choses incertaines pour suivre les certaines, nous arrêtant et nous appuyant en icelles, et là fichant notre ancre comme en lieu sûr, car notre foi chrétienne ne consiste point ès choses douteuses, mais en pleine et très certaine assurance et très vraie persuasion prise et confirmée par vérité qui est infaillible. En laquelle Dieu nous doit cheminer perpétuellement afin que selon icelle (acceptant eu nous sa sainte volonté et déjetant toute autre intention à lui contraire) puissions vivre à son honneur et édification de son église. Ainsi soit-il.

 

En tête de la page de titre du Nouveau Testament, on lit, en grec, dans une banderole : Ils seront tous enseignés de Dieu.

 

Puis

 

Le Nouveau Testament

De nostre Seigneur et seul Sauveur

Jesus Christ

Translate de Grec en Francoys.

 

En Dieu tout.

 

Matthieu XVII.

Cestuy est mon fils bien ayme auquel

ay pris mon. bon plaisir

escoutez le.

 

Suit une nouvelle préface de Calvin, traduite en français par Olivétan, d'après Reuss (trois pages), qui retrace l'histoire de la révélation. Elle est trop belle pour ne pas en citer au moins la fin. CHRIST ET LES ÉCRITURES, voilà le thème de ce morceau.

 

Sans l'Évangile, nous sommes inutiles et vains; sans l'Évangile, nous ne sommes chrétiens; sans l'Évangile, toute richesse est pauvreté; sagesse est folie devant Dieu; force est faiblesse; toute justice humaine est damnée. Mais par la connaissance de l'Évangile, nous sommes faits enfants de Dieu, frères de Jésus-Christ, combourgeois des saints, citoyens du royaume des cieux, héritiers de Dieu avec Jésus-Christ, par lequel les pauvres sont faits riches, les faibles puissants, les fous sages, les pécheurs justifiés, les désolés consolés, les douteurs certains, les serfs affranchis. C'est la puissance de Dieu en salut à tout croyant...

Ô chrétiens et chrétiennes, entendez ceci et apprenez! Où est donc votre espérance, si vous méprisez et dédaignez d'ouïr, voir, lire et retenir ce saint Évangile? Ceux qui ont leurs affections fichées en ce monde pourchassent par tous moyens ce qu'ils pensent appartenir à leur félicité, sans épargner ni labeur, ni corps, ni vie, ni renommée. Et toutes ces choses se font pour servir à ce malheureux corps, duquel la vie est si vaine, misérable et incertaine... Ceux qui s'adonnent aux arts mécaniques, quelque bas ou vils qu'ils soient, mettent si grande peine à les apprendre et savoir, et ceux qui veulent être réputés les plus vertueux se tourmentent l'esprit nuit et jour pour comprendre quelque chose aux sciences humaines, qui ne sont que vent et fumée. Combien, au prix, nous devons nous employer et efforcer en l'étude de cette sagesse céleste qui outrepasse tout le monde et pénètre jusqu'aux mystères de Dieu qu'il lui a plu de révéler par sa sainte Parole!

Quelle chose donc sera-ce qui nous pourra détourner et aliéner de ce saint Évangile? Seront-ce injures, malédictions, opprobre, privation des honneurs mondains? Mais nous savons bien que Jésus-Christ a passé par ce chemin que nous devons suivre, si nous voulons être ses disciples... Seront-ce bannissements, proscriptions, privations des biens et richesses? Mais nous savons bien que quand nous serons bannis d'un pays, la terre est au Seigneur, et quand nous serons jetés hors de toute la terre, nous ne serons pas toutefois hors de son règne, que quand nous serons dépouillés et appauvris, nous aurons un Père assez riche pour nous nourrir, et même que Jésus-Christ s'est fait pauvre afin que nous le suivions en pauvreté. Seront-ce afflictions, prisons, tortures, tourments? Mais nous connaissons par l'exemple de Jésus-Christ que c'est le chemin pour parvenir en gloire. Sera-ce finalement la mort? Mais elle ne nous ôte pas la vie qui est à souhaiter. Bref, si nous avons Jésus-Christ avec nous, nous ne trouverons chose si maudite qui ne soit bénie par lui, chose si exécrable qui ne soit sanctifiée, chose si mauvaise qui ne nous tourne en bien. Ne nous décourageons pas quand nous verrons contre nous toutes les puissances et forces mondaines; ne soyons donc pas désolés comme si toute espérance était perdue quand nous verrons mourir devant nos yeux les vrais serviteurs de Dieu...

Or puisque vous avez entendu que l'Évangile vous présente Jésus-Christ en qui toutes les promesses et grâces de Dieu sont accomplies, et vous déclare qu'il a été envoyé du Père, est descendu en terre, a conversé avec les hommes, a parfait tout ce qui touchait à notre salut, il vous doit être très certain et très manifeste que les trésors du Paradis vous y sont ouverts et les richesses de Dieu déployées et la vie éternelle révélée. Car ceci est la vie éternelle, connaître un seul vrai Dieu, et celui qu'il a envoyé, Jésus-Christ. C'est lui qui est Isaac, le Fils bien-aimé du Père, qui a été offert en sacrifice et toutefois n'a point succombé à la puissance de la mort. C'est lui le vigilant pasteur Jacob ayant si grand soin des brebis qu'il a en garde. C'est lui le bon et pitoyable frère Joseph qui en sa gloire n'a point pris honte de reconnaître ses frères, quelque méprisables et abjects qu'ils fussent. C'est lui le grand sacrificateur et évêque Melchisédec ayant fait sacrifice éternel une fois pour toutes. C'est lui le souverain législateur Moïse écrivant sa loi sur les tables de nos coeurs par son Esprit. C'est lui le fidèle capitaine et guide Josué, pour nous conduire en la terre promise. C'est lui le noble et victorieux roi David, assujettissant à sa main toute puissance rebelle. C'est lui le magnifique et triomphant roi Salomon, gouvernant son règne en paix et prospérité. Et même tout ce qui se pourrait penser ou désirer de bien est trouvé en un seul, Jésus-Christ. Car il s'est humilié pour nous exalter; il s'est asservi pour nous affranchir; il a été vendu pour nous racheter; captif, pour nous délivrer; condamné, pour nous absoudre; il a été fait malédiction pour notre bénédiction; oblation de péché pour notre justice; il a été défiguré pour nous figurer ; il est mort pour notre vie, tellement que par lui rudesse est adoucie, courroux apaisé, ténèbres éclaircies, injustice justifiée, faiblesse vertueuse, déconfort consolé, péché empêché, mépris méprisé, crainte assurée, dette quittée, labeur allégé, tristesse réjouie, malheur bien heuré, difficulté facile, désordre ordonné, division unie, ignominie anoblie, rébellion assujettie, menace menacée, embûches débuchées, assauts assaillis, effort efforcé, combat combattu, guerre guerroyée, vengeance vengée, tourment tourmenté, damnation damnée, abime abimé, enfer enferré, mort morte, mortalité immortelle. Bref, miséricorde a englouti toute misère, et bonté toute malheureté. Car toutes ces choses qui solaient être armes du diable pour nous combattre et aiguillon de la mort pour nous poindre, nous sont tournées en exercice, desquels nous pouvons faire notre profit..... Et de là il advient que par son Esprit promis à ses élus, nous ne vivons plus, mais Christ vit en nous, et nous sommes par esprit assis aux lieux célestes, en tant que le monde ne nous est plus monde, bien que nous continuions à y vivre. Mais nous sommes contents en tous pays, lieux, conditions, habillements, viandes et telles autres choses; nous sommes consolés en tribulations ; joyeux en tristesse, glorieux en outrage, abondants en pauvreté, patients dans les maux, vivants en la mort.

 

Repentez-vous et croyez à l'Évangile

Marc I.

 

Après l'Apocalypse, on lit:

 

Tout en Dieu.

Paul aux Romains 10.

L'accomplissement de la loy est Christ.

 

(Ces derniers mots d'abord en grec, puis en français).

 

Le volume se termine par deux tables, dont la première donne l'explication des noms propres de la Bible (87 colonnes). Elle est précédée de ces deux distiques le premier, de H. Rosa, le second, de Des Périers :

 

Nomina perfacili distinximus indice lector

Ut collecta tuis usibus apta forent.

 

Ne mirere novo prodire vocabula cultu,

Sed verum in tenebris delituisse diu.

 

et suivie de la citation du passage suivant :

 

1 Jean I

Si nous disons: Nous navons point de peche

Nous decevons nous mesmes et verite

Nest point en nous.

 

L'autre table est un Indice des principales matieres contenues en la Bible, une table de concordance par sujets (66 colonnes).

 

Cet indice est précédé de l'intéressante petite préface qui suit (*1):

 

Matthieu Gramelin (*2) aux lecteurs chrestiens:

La grace et paix de Dieu vous soit donnee par Jesus Christ. Comme les avettes songneusement recueillent les fleurs odorantes pour faire par naturel artifice le doulx miel: aussi ay ie les principales sentences contenues en la Bible. Lesquelles pour la consolation de ceulx qui ne sont point encore exercitez et instruictz en la Sainete escripture sont ordonnées par forme de Indice. Auquel sont exposez, collationnez, concordez, et lung a lautre confrontez plusieurs difficiles passages tant du vieil que du nouveau testament : affin que le prudent Lecteur par lesperit de Dieu en puisse rapporter naisve et claire intelligence. Dont chascun (comme est tenu) pourra estre appreste muny et garny de response a tous ceulx qui demanderont raison de sa foy. Ce aussi est utile pour les particuliers et generales exhortations quon faict a certains personnages ou commun populaire ; et pour véritablement respondre aux heretiques et confondre les adversaires de la parolle de Dieu. En quoi aussi on pourra trouver ce qui soulage grandement lestude des Lecteurs lexplication daucuns tropes hébraïques translations similitudes et facons de parler (que nous disons idiotismes) contenues en la Bible. Mais pour plus facilement trouver les matieres desirees (à cause que desordre produit confusion) iay procede jouxte lordre Alphabetique: affin que nul ne soit prive dung si precieux thresor : duquel vous userez a lhonneur et gloire de Dieu et a ledification de son eglise.

 

(*1) Dans ce court morceau, nous maintenons telle quelle. comme dans les morceaux en vers, à titre de spécimen, l'orthographe du temps, qu'ailleurs nous avons sacrifiée, pour faciliter la lecture.

(*2) Anagramme de Malingre, ancien dominicain qui fut un des premiers ouvriers de la Réformation dans la Suisse romande. Il devint pasteur à Neuchâtel en 1535. C'est lui qui est l'auteur de l'«indice», qu'il avait déjà publié, mais moins développé, dans le Nouveau Testament de Wingle de 1534.

 

À la dernière page du volume on lit,

 

Acheve d'imprimer en la ville et conte de

Neufchastel par Pierre Wingle dicit

Pirot Picard l'an M.D.XXXV

le IVe jour de juing

 

Puis, en latin, dans une gravure au centre de laquelle se trouve un coeur surmonté d'une couronne

 

Dieu ne dédaigne pas un coeur humilié et contrit (Psaume 51)

 

Puis vient le curieux morceau suivant:

 

Au lecteur de la Bible

 

Lecteur entends si Verite addresse

Viens donc ouyr instamment sa promesse

et vif parler : lequel en excellence

veult asseurer notre grelle espérance.

lesprit Jesus qui visite et ordonne

nos tendres moeurs icy sans cry estonne

tout haut raillart escumant son ordure.

Remercions éternelle nature

prenons vouloir bienfaire librement

Jesus querons veoir Eternellement

 

Ces vers renferment une énigme dont la clef se trouve dans la

citation suivante d'Ézéchiel qui clot la page et le livre (*):

 

Et leur ouvrage estoit comme si une

roue eust este au milieu de lautre

roue. Jehezek 1.

 

(*) Il serait fort désirable que toutes les pièces liminaires de cette Bible fussent publiées in-extenso en un volume. Il n'y aurait dans notre littérature protestante rien de plus beau, rien de plus prenant.

 

Si on joint ensemble les lettres initiales de tous les mots de ces dix vers, on obtient les deux vers suivants:

 

Les Vaudois, peuple évangélique,

Ont mis ce thrésor en publicque.

 

13.3.2    Le texte

D'abord la forme. Jamais Bible ne fut imprimée avec plus d'amour et plus de goût. Les versets ne sont pas indiqués (ils n'existaient pas encore). Le texte est divisé en paragraphes, une disposition que l'on croit toute moderne. Dans les psaumes et dans les proverbes, il est séparé en courtes divisions, évidemment destinées à mettre en relief le parallélisme. Ces divisions devinrent plus tard les versets.

 

 

 

Le titre et les cinq premiers versets de la Genèse dans la Bible d'Olivétan de 1535.

 

D'abondantes notes marginales éclairent le texte. Elles sont géographiques, historiques, d'histoire naturelle, exégétiques, isagogiques, critiques même, et donnent l'indication des variantes (*1). Elles abondent en citations de toutes sortes d'auteurs, soit Pères de l'Église, soit classiques. «Le commentateur, dit M. Reuss, étale ici un véritable luxe d'érudition» (*2). Ces notes ne sont, sauf quelques exceptions, ni théologiques, ni polémiques. Celles de l'Ancien Testament sont plus nombreuses et ont encore plus de valeur que celles du Nouveau. Plusieurs sont destinées à indiquer les passages parallèles (*3).

 

 

 

Titre du Nouveau Testament d'Olivétan. Genève 1536. Format du volume : 134 x 76 millimètres. Ce titre ressemble beaucoup au titre de la Bible d'Olivétan (1535). En haut, on lit, en grec : Ils seront tous enseignés de Dieu.

 

(*1) . Nous tiendrons compte à Olivetan, dit M. Reuss, de ce qu'il n'a pas voulu négliger cette partie de la science à peine naissante. Les théologiens protestants n'ont que trop tôt répudié cet héritage et proscrit les études critiques qui auraient dû être estimées comme étant de première nécessité pour une Église qui prétendait édifier sa foi et son enseignement sur les seuls textes authentiques de l'Écriture. .

(*2) Quand on lit la savante étude de M. Reuss sur ces notes (op. cit., 3e série, IV, 1866), on est confondu de la connaissance de l'hébreu et de la science étendue et de bon aloi qu'elles dénotent. Olivétan connaissait, en matière biblique, tout ce qu'on pouvait connaître de son temps, y compris les commentateurs juifs du moyen âge. Voici une remarque curieuse de M. Reuss sur une note d'Olivétan à propos de Job XL. Elle montre que l'affranchissement de la pensée allait de pair avec la libération des consciences.

«S'il reconnaît dans le Béhémoth et le Léviathan l'éléphant et la baleine, l'exégèse moderne peut ne pas être de son avis; mais un appréciateur impartial commencera par se rappeler que l'exégèse ancienne, représentée encore par une note marginale très explicite de la Bible d'Anvers, n'y voyait que le diable en personne».

(*3) Les parallèles , on le voit, ne sont pas une invention moderne. «II y en avait dans la Bible d'Anvers. On les trouve pour la première fois, pour l'ancien Testament, dans une Bible imprimée par Froben, à Bâle, en 1491. Antérieurement, il y en avait déjà dans le Nouveau Testament» (REUSS).

 

Voici maintenant quant au fond.

«Je n'hésite pas à déclarer, a dit M. Reuss, que l'Ancien Testament d'Olivétan est non seulement une oeuvre d'érudition et de mérite, mais un véritable chef-d'oeuvre, bien entendu quand on a égard aux ressources de l'époque et surtout quand on compare cette traduction à ce qui existait antérieurement dans ce genre» (*).

 

(*) Voici une appréciation aussi élogieuse qu'impartiale de la traduction de l'Ancien Testament dans la «Bible de La Rochelle de 1516», qui est la réimpression d'une des révisions d'Olivétan. Elle est d'un auteur qui a lui-même traduit la Bible, en faisant surtout oeuvre de littérateur.

«Pour faire passer dans notre langue toute l'ardente littérature juive, les connaissances philologiques ne suffisent pas. Qui les possède seules ne peut fournir qu'une traduction pâle et tout à fait infidèle. Comment redire les paroles d’Isaïe et d'Ézéchiel sans avoir eu ses lèvres touchées comme les leurs par les vifs charbons de l'inspiration poétique? À ce point de vue, ce qu'il y a de préférable, c'est peut-être encore, malgré la multitude des faux-sens, la vieille Bible protestante de La Rochelle de 1616» (Eug. LEDRAIN, La Bible, traduction nouvelle, I, viii).

 

Voici deux spécimens de cette traduction

 

PSAUME 23 : Le Seigneur est mon pasteur, je n'aurai faute de rien. Il me faict reposer es pasquiers herbeux, il me meine auprès des eaues quoyes. Il refectionne mon ame, il me conduict par les sentiers de justice pour son nom.

Quand aussi je chemineroye par la vallée de lombre de mort, je ne craindroye nul mal: car tu es avec moy : ta verge et ta houlette mont console. Tu appareilleras la table devant moy, present ceulx qui me tormentent : tu engraisseras mon chef de oingnement, et ma couppe est remplie a comble. Toutefois ta bonte et benignité me suyvront tous les jours de ma vie : et habiteray long temps en la maison du Seigneur.

 

ÉSAIE 53 : Qui est celuy qui croit à notre publication, et le bras du Seigneur a qui est il revele : Aussi cestuy montera comme le vergeon devant luy et comme la racine de la terre qui a soif. Il ny a en luy ne facon ne beaulte. Et lavons veu qui ny avoit pas de forme : et ne lavons point desire. Il est mesprise et deboute des hommes, homme languoreux et accoustume a douleurs : dont avons cache nostre face de luy, tant estoit mesprise et ne lavons de riens estime. Vrayment iceluy a porte noz langueurs : et a chargé noz douleurs. Touteffoys nous lavons estime divinement estre frappe de playe et afflige. Or cestuy est il navre pour noz forfaictz. Il a ete blece pour noz iniquitez. La correction de notre payement est sus luy : et par sa playe nous avons guerison. Nous tous avons erre comme brebis : nous nous sommes tonrnez ung chascun en sa propre voye : et le Seigneur a me sus luy liniqnite de nous tous. Il est harcele et afflige, touteffoys il ne ouvre point sa bouche. Il est mene a loccision comme laigneau : et a este muet comme la brebis devant celui qui la tond, touteffois il ne ouvre pas sa bouche. Il est oste hors de destresse et de condamnation. Qui est celui qui recitera sa generation. Car il est arrache hors de la terre des vivans : et est deplaye pour le peche de mon peuple. Et permet avoir son sepulcre avec les meschans et son monument avec les richardz. Combien quil ne ayt point faict d'injure : et que fraude ne soit pas en sa bouche. Le Seigneur la voulu debriser par doleur. Sil met son ame pour le peche, il verra sa posterité et prolongera ses jours, et la volunte du Seigneur sera adressee en sa main. Pour le labeur de son ame il en aura jouissance. Et mon juste serviteur rendra plusieurs justes par sa science : et luy mesme chargera leurs iniquitez. Pourtant luy en partiray plusieurs, et divisera les despouilles avec les puissans pource qu'il a baille son ame a la mort et qu'il a este compte avec les transgresseurs. Iceluy mesme a porte les pechez de plusieurs et a prie pour les transgresseurs.

 

La traduction du Nouveau Testament ne mérite pas les mêmes éloges que celle de l'Ancien. Olivétan savait mieux l'hébreu que le grec, et il se borna à revoir, en s'aidant de l'original et surtout de la traduction latine d'Érasme, la traduction de Lefèvre d'Étaples, faite sur le texte de la Vulgate. Pour avoir été faite à la lueur des bûchers, et malgré les progrès accomplis, l'oeuvre de Lefèvre, nous l'avons dit, n'en était pas moins défectueuse, ne fût-ce qu'à cause du texte imparfait de la Vulgate, qu'elle suit. Le Nouveau Testament d'Olivétan constitue néanmoins, somme toute, un progrès sur celui de Lefèvre (*).

 

(*) Dans quatre chapitres (Matth. v, Actes xvii, Philémon, I Pierre I). M. Reuss a relevé 194 variantes d'Olivétan d'avec Lefèvre, soit 14,7 pour dix versets (56 de style, peu importantes, 123 d'après Érasme, 15 d'après le grec). On voit par là que si Olivétan n'a pas fait oeuvre originale. il a pourtant sérieusement retravaillé le texte de son prédécesseur, bien que, d'après M. Reuss, ses corrections ne constituent pas toujours un progrès.

 

Et puis, qui jettera la pierre à Olivétan pour avoir voulu se hâter de donner la Parole de Dieu aux Églises persécutées qui en étaient privées ? «À Neuchâtel, dit M. Petavel, la Réforme était faite depuis cinq ans, et on n'avait pas de Bible !»

«N'oublions pas, dit M. Reuss, que nous avons affaire à un auteur placé dans des conditions très défavorables pour mener à bonne fin une si grande entreprise, à un auteur réduit à bien peu de secours littéraires et ayant à lutter avec les difficultés d'une langue qui se formait à peine pour l'usage littéraire et savant, et que cet auteur, dans son extrême modestie, ne réclame guère d'autre gloire que celle de ne point s'être laissé rebuter par tous ces obstacles. Qu'on soit sévère envers ceux auxquels les progrès de la science ont rendu la besogne facile... Mais quand il s'agit d'un de ces infatigables pionniers de la science, qui suppléaient par l'héroïsme de leur volonté à l'insuffisance de leurs moyens, et qui bien souvent ne jouissaient pas même de la sécurité personnelle et des loisirs domestiques sans lesquels nous autres, aujourd'hui, nous ne ferions plus rien du tout, ce serait le comble de l'injustice que de vouloir leur appliquer la mesure d'une critique telle que nous aurions à l'exercer à l'égard des ouvrages contemporains» (*)

 

(*) REUSS, op. cit., nouvelle série, IV, 1866

 

«Loin de compter avec une complaisance à la fois peu généreuse et pleine de vanité, les fautes, nombreuses, sans doute, qui peuvent être signalées dans un livre comme celui qui nous occupe, et qui pour nous n'est plus une ressource ou une autorité, mais un monument vénérable et digne de l'attention de l'historien, nous arriverons à constater que son auteur, avec une érudition vraiment prodigieuse pour son temps, tout insuffisante qu'elle nous parait aujourd'hui, a eu le courage d'aborder une pareille tâche, l'ambition de ne pas se la rendre trop facile, et la gloire de s'en acquitter noblement» (*).

 

(*) Ibid., V, 1876.

 

Voici dans la traduction d'Olivétan la parabole de l'enfant prodigue :

 

Ors tous les fermiers et pecheurs sapprochoient de luy pour le ouyr... Puis dist : ung homme avoit deux filz : et le plus ieune diceulx dist au pere : mon pere donne moy la portion de la substance qui m'appartient. Et il leur partit la substance. Et peu de iours apres quand le plus ieune filz eut tout assemblé il sen alla dehors en region loingtaine et la dissipa sa substance en vivant dyssolument. Et apres qu'il eut tout consommé : une grande famine aduint en icelle region. Et commencea a auoir necessite. Il sen alla et se ioingnit a ung des citoyens dicelle region lequel l'enuoya a sa metayrie pour paistre les pourceaux. Et desyroit de remplir son ventre des escosses que les pourceaux mangeoient, mais nul ne luy en donnoit. Dont estant revenu a soimesme dist: Combien de mercenaires y a il en la maison de mon pere qui ont abondance de pains et moi je pery de faim. Je me leueray et men iray a mon pere et luy diray : Mon pere iay peche au ciel et devant toy et ne suis point maintenant digne destre appelé ton fils : fais moy comme ung de tes mercenaires. Lors se leva et vint a son pere. Et comme il etoit encore loing son pere le veit et fut meu de compassion : et accouru et cheut sur le col diceluy et le baisa. Et le fils lui dist : Mon pere iay peche contre le ciel et devant toy : et ne sui point maintenant digne destre appelle ton filz. Et le pere dist à ses serviteurs : apportez la robbe longue premiere et le vestez : et lui donnez ung aneau en sa main et des souliers en ses pieds. Et amenez ung veau gras et le tuez et le mangeons et menons ioye : car cestuy mon filz estoit mort et il est retourne a vie : il estoit perdu mais il est retrouve. Et commencerent a mener ioye.

 

Olivétan se rendait compte des imperfections de son oeuvre. Il publia en 1536 le Nouveau Testament revu par lui; en 1537, une révision des psaumes qui inaugure l'emploi du terme l'Éternel pour traduire l'hébreu Jahveh. Dans sa première édition il s'était servi du terme Seigneur, selon l'usage des rabbins et de la Vulgate. Les traducteurs israélites Cahen et de Woguë ont adopté la traduction l'Éternel.

En 1538, Olivétan publia une nouvelle révision du Nouveau Testament, en même temps qu'une révision de l'Ecclésiaste, du Cantique et des Proverbes, dont les sentences sont, dans cette édition, numérotées au moyen de chiffres arabes. C'est le plus ancien exemple de l'emploi de chiffres pour la division en versets.

Dans ces dernières éditions, Olivétan avait pris le pseudonyme tout à la fois modeste, savant et humoristique, de Belishem de Belimâkôm, deux mots hébreux qui signifient Sans nom de Sans lieu ou Anonyme de nulle part. «Ainsi, Olivétan, dit M. Reuss, avait assez le goût et l'usage de l'hébreu, langue très peu cultivée par les savants de ce temps-là, pour le faire servir, de préférence au latin, à des plaisanteries littéraires».

Qui sait jusqu'à quel point Olivétan eût perfectionné son travail? Mais la mort le prit, comme nous l'avons dit, en 1538.

La traduction d'Olivétan était, pour l'époque, tellement bonne, que quelques exilés anglais pensèrent rendre un service éminent à leur pays en faisant paraître une traduction anglaise nouvelle calquée sur celle d'Olivétan, révisée, il est vrai, par Calvin. Ce fut la Bible dite de Genève (1562). Le Hollandais Hackius se servit aussi de la Bible d'Olivétan pour réviser la Bible hollandaise.

Voilà la traduction, nombre de fois révisée, comme nous le verrons, dont nos églises de langue française ont vécu pendant plus de trois siècles, sous le feu de la persécution, dans les cachots, sur les galères, au désert, et aux jours du réveil du dix-neuvième siècle. Il convient de saluer avec vénération la mémoire du modeste, consciencieux, et savant Olivétan, qui fut loin, assurément, de prévoir le succès de son oeuvre.

Depuis lors, toutes les traductions protestantes françaises de la Bible entière, sauf celles de Martin (1707), de Roques (1736), d'Ostervald (1744), (qui ne furent que des révisions d'Olivétan), de Lecène (1741) et celle de Reuss dans son commentaire, ont été faites par des étrangers: La France a eu au moins l'honneur de donner à l'Église le premier traducteur qui ait traduit la Bible entière en français d'après les textes originaux.

 

 

 

 

Portrait de Calvin, par Pierre 'Woeiriot, dédié au poète Louis des Mazures, avec le sceau du réformateur (la main qui offre le coeur à Dieu) et sa devise : Prompte et sincere. Portrait conservé au cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale (Ed. 5 B. Réserve).

 

 

 

13.4                      Révisions de la Bible d'Olivétan jusqu'à Ostervald,

«La Bible d'Olivétan, dit M. Reuss, doit être considérée comme la base de toutes les éditions, recensions ou versions, comme on voudra les appeler, reçues depuis dans les Églises protestantes de langue française... C'est de cette première édition ou traduction protestante en langue française que dérivent par une longue série de transformations, quelquefois radicales, toutes les autres qui ont été en usage, bien que celles-ci, dans leurs différentes formes actuelles, ne conservent plus guère de traces de leur origine» (*).

 

(*) M. Reuss écrivait ceci en 1866 (Op. cit., IV).

 

La Bible d'Olivétan fut révisée une première fois par Calvin, ou sous sa direction (1560). Calvin trouvait la traduction de son cousin «rude et aucunement éloignée de la façon commune et reçue». Dans la préface de cette Bible, Calvin écrit ceci : «Mon désir serait que quelqu'un ayant bon loisir et étant garni de tout ce qui est requis à une telle oeuvre, y voulût employer une demi-douzaine d'ans, et puis communiquer ce qu'il a fait à gens entendus et experts, tellement qu'il fût bien revu de plusieurs yeux». Malheureusement, ni cet homme ayant bon loisir, ni cette demi-douzaine d'ans, ne se sont trouvés pendant trois siècles et demi.

La Bible d'Olivétan fut révisée une seconde fois par Théodore de Bèze, en 1558. Les modifications des révisions de 1560 et de 1588 sont souvent des retouches malheureuses qui trahissent d'une manière trop évidente des préoccupations de controverse (*)

 

(*) Voir le fragment : Inexactitudes dans les traductions protestantes du Nouveau Testament.

 

La Bible de 1588 fut réimprimée pendant cent ans, à Lyon, à Caen, à Paris, à La Rochelle, à Sedan, à Niort, en Hollande, à Bâle, et dans la Suisse française. Elle survécut telle quelle, malheureusement, à la modification profonde que subit la langue française dans la seconde moitié du dix-septième siècle. Déjà alors son langage était suranné, preuve en soit le trait suivant, raconté par Bayle. C'était en 1675.

«Un conseiller de Sedan, catholique, fort honnête homme et fort savant, me contait, il y a environ un mois, que M. l'archevêque de Reims, ayant envoyé quelques-uns de son clergé à Sedan pour des affaires ecclésiastiques, ils furent curieux d'entendre prêcher M. Jurieu, un jour d'imposition des mains. Ils furent fort satisfaits de sa science et de son langage en général, mais ils trouvèrent des expressions insupportables, comme guerroyer le bon combat — l'iniquité d'Ephraïm est enfagottée — c'est un enfant qui n'est pas sage — il ne tient pas le temps en la brèche des enfants — offrir les bouveaux de nos lèvres (C'étaient des citations bibliques : 2 Tim. 3, 6; Osée 8, 12, 13; 14, 2). Ils le trouvèrent incompréhensible, voyant d'un côté qu'il avait un style fort pur et fort éloquent, et de l'autre qu'il avait de si méchantes phrases».

En 1676, le grand Claude prit l'initiative d'une version nouvelle. Il comprenait que la Bible des protestants devait enfin parler la langue du grand siècle. Claude, chose remarquable, pour assurer l'impartialité de l'oeuvre, demanda le concours du savant Richard Simon, prêtre à l'Oratoire, qui, chose non moins remarquable, accepta. La traduction était assez avancée quand la Révocation de l'édit de Nantes arrêta net l'entreprise. «Le crime de Louis XIV, dit M. Stapfer, fut fécond en conséquences secondaires, toutes plus néfastes les unes que les autres. En voilà une et des plus graves. Si nous portons encore aujourd'hui le joug des révisions, nous le devons à la Révocation de l'édit de Nantes» (*).

 

(*) Revue chrétienne, 1900, p. 433, 434.

 

Les ravisions reprirent de plus belle et, malheureusement, se firent, comme par le passé, à l'étranger. À la fin du dix-septième siècle, le Synode des Églises wallonnes confia à David Martin la tâche de mettre au point la Bible française, devenue presque illisible.

David Martin, né à Revel (Haute-Garonne) en 1639, avait fait ses humanités à Montauban et à Nimes, et sa théologie à Puylaurens (Tarn). Il était très fort en hébreu et sur les questions bibliques. Consacré à Mazamet, en 1633, il fut pasteur à Espérausses, puis à Lacaune (Tarn). Très modeste, comme son prédécesseur Olivétan, il refusa successivement l'église de Millau et une chaire de théologie à Puylaurens. Quand, à la Révocation, le temple de Lacaune fut fermé, David Martin, au lieu de passer à l'étranger, essaya de continuer son ministère, malgré les dragons. Il allait être arrêté, quand des catholiques lui fournirent le moyen de s'enfuir et cachèrent sa famille, qui le rejoignit plus tard. En 1685, il fut nommé pasteur à Utrecht et refusa plus tard la chaire de théologie la plus importante des Pays-Bas, celle de La Haye. Il fut correspondant de l'Académie française et enseigna chez lui la philosophie et la théologie à des fils de princes. Il mourut en 1721, frappé en chaire, à quatre-vingt-deux ans, du mal qui l'emporta deux jours après.

Tel fut l'homme pieux, modeste et savant, qui donna son nom à l'une des révisions les plus consciencieuses et les plus durables du travail d'Olivétan. Le Nouveau Testament parut en 1696, et la Bible entière en 1707. Martin, craignant sans doute de dérouter ses lecteurs par trop de changements, écrasé par ce que M. Stapfer appelle le joug des révisions, ne corrigea pas assez. Voici comment il rend le passage Éphésiens 4, 16 :

 

Christ, duquel tout le corps bien ajusté et serré ensemble par toutes les jointures du fournissement, prend l'accroissement du corps selon la vigueur qui est dans la mesure de chaque partie, pour l'édification de soi-même en charité.

 

«Le mot de galimatias, dit M. Stapfer, est le seul qu'on puisse ici prononcer, et il est vraiment étrange qu'en 1696, c'est-à-dire au moment où la langue française était parlée avec une incomparable pureté, au lendemain du français de Bossuet et à la veille du français de Voltaire, on ait osé imprimer des phrases pareilles. Il est pénible de penser que nos pères n'avaient pas de Bibles plus correctes et plus françaises à étudier et à lire».

La traduction de Martin était accompagnée de notes abondantes et excellentes, où se retrouve toutefois la préoccupation de justifier les personnages bibliques. Ainsi, à propos du mariage de Salomon avec une princesse égyptienne, nous apprenons que la défense d'épouser des femmes païennes ne s'appliquait qu'aux Cananéennes et à celles qui ne se feraient pas prosélytes, et que la fille de Pharaon dut très probablement embrasser la religion israélite en épousant Salomon.

Le besoin d'une révision se fit bientôt sentir, surtout en Suisse. En 1736 parut une révision de la Bible de Martin, par Pierre Roques, pasteur à Bâle, natif de Lacaune (Tarn), et en 1746 une autre, par Samuel Scholl, pasteur à Bienne. Mais la révision d'Ostervald fit oublier les révisions de Roques et de Scholl.

 

 

13.5                      Ostervald et sa révision

13.5.1    J.-F. Ostervald

 

Ostervald, né à Neuchâtel en 1663, acheva ses études classiques à seize ans, étudia la théologie et la philosophie à Saumur, à Orléans et à Paris, et fut consacré à Neuchâtel à dix-neuf ans. Neuf ans après, il devenait, sans abandonner le ministère, professeur de théologie. Il eut beaucoup de succès comme prédicateur. Il prêchait moins le dogme que la morale. Il était pieux et croyait au surnaturel chrétien, mais il appartenait à la tendance «libérale» de l'époque. Il ne croyait pas au dogme calviniste de la corruption totale de l'homme. Son biographe, M. le pasteur R. Gretillat, signale son indécision dogmatique et le caractère rationaliste de certaines de ses interprétations. Ainsi, Marc 12, 62, il voit dans la destruction des Juifs et dans l'avancement du règne de Dieu la réalisation de la promesse de Jésus-Christ relative à son retour. Il était opposé à la confession de foi obligatoire. Il prêcha et professa jusqu'en 1746. Son ministère dura soixante-trois ans. Comme Martin, il fut frappé en chaire, au moment où il commençait un sermon sur Jean 20, 1-8. C'était son deux cent vingt et unième sermon sur l'Évangile de Jean. Le deux cent vingt-deuxième, pour le mercredi suivant, était déjà écrit. Mais il traîna plus longtemps que Martin. Frappé d'apoplexie en août 1746, il vécut jusqu'en avril 1747.

 

13.5.2    Ostervald et le capucin — Ostervald et Louis XIV — Ostervald et Fénelon

 

Le récit suivant est emprunté aux Pages Neuchâteloises de Philippe GODET. Il fait revivre la figure de l'homme sympathique qui a attaché son nom à la version biblique dont nos Églises ont vécu si longtemps.

 

Un bon capucin des frontières de la France, qui connaissait M. Ostervald de longue date et qui l'estimait jusqu'à lui rendre visite régulièrement une fois par an à Neuchâtel même, tant par un principe de piété que par un principe de reconnaissance, comme il le disait à tout le monde, arriva à Neuchâtel le jour même des funérailles. Il alla voir le corps comme les autres, dans la chambre où on l'avait exposé, et y donna des marques de l'attendrissement le plus sincère, mais il ne voulut point troubler le convoi ni l'oraison funèbre par son habit. Seulement, vers le soir, quand tout le monde se fut retiré, il se glissa dans l'église encore ouverte, et, s'étant mis à genoux devant la tombe où le corps avait été déposé, il l'arrosa de ses larmes, y fit ses dévotions à sa manière, mais mentalement, pour ne choquer personne; après quoi il se retira, satisfait de la consolation qu'il avait eue, se louant toujours des bontés qu'il avait reçues du défunt, et pour le temporel et pour le spirituel. Ce bon religieux était connu de diverses personnes qui lui faisaient civilité, mais dès qu'il avait vu et entretenu M. Ostervald, il s'en retournait aussitôt vers son monastère, comme si tout le reste lui eût été indifférent.

Ce religieux n'était pas le seul, parmi les catholiques, qui rendit justice à M. Ostervald. Tout ce qu'il y avait de plus éclairé dans cette communion lui appliquait unanimement le caractère de Conrart : il ne lui manque que l'orthodoxie romaine. M. l'abbé Bignon a reconnu le mérite du Traité des Sources de la corruption et du Catéchisme, et leur a donné place dans la Bibliothèque de Louis XIV. M. Colbert, évêque de Montpellier, M. Fléchier, évêque de Nimes, et quantité d'autres, possédaient ses ouvrages et ne l'ont point dissimulé dans l'occasion à des protestants étrangers.

Mais personne ne s'est déclaré avec plus de candeur que l'illustre Fénelon, toutes les fois que l'occasion s'en est présentée. M. Ostervald partageait les vues qu'il exprime dans Télémaque au sujet du mariage des jeunes gens. M. de Cambrai partageait celles de M. Ostervald quant aux premiers linéaments de la religion, et, quoiqu'il n'eût jamais vu notre pasteur, il l'estimait et l'aimait, d'après la manière unanime dont tant d'officiers suisses, admis tous les jours à sa table, lui avaient dépeint son caractère.

Ces sentiments furent mis au jour, assez singulièrement, par de longs entretiens qu'eut Fénelon avec un jeune homme de Neuchâtel, durant la guerre de 1702. Ce dernier était maçon de son métier; comme il se trouvait sans ouvrage à Cambrai, l'archevêque, touché de sa position, lui en donna et l'occupa pendant quelques semaines à des réparations qu'il avait projetées dans son jardin; il prenait plaisir, entre temps, à l'interroger sur son pays, sur sa profession, sur ses aventures. La conversation ne tarda pas à tomber sur M. Ostervald, et elle y revint plus d'une fois. Voici quelques lambeaux de ces entretiens.

«Connaissez-vous ce digne pasteur?

- Si je le connais? je n'en connais pas d'autre.

- Mais est-il vrai, ce qu'on dit de lui, qu'il prêche si bien et qu'il vit comme il prêche?

- Holà, oui! Monsieur (notre Neuchâtelois ne disait pas Monseigneur); quand vous auriez un coeur de pierre, sous votre respect, il vous toucherait.

- Et comment est-il fait de sa personne?

- Ah! Monsieur il est fait comme un ange; il est plus grand que vous et moi; mais quand il se fâche, il fait trembler tout le monde.

- Est-il possible?

- Oui, certes.

- Apparemment, c'est tout comme ici : le peuple n'en devient pas meilleur?

- Ah! vous pouvez bien le dire; c'est leur faute.

- Prêche-t-il souvent?

- Oh! Monsieur, il prêcherait tous les jours, si on le voulait.

- N'a-t-il point donné au public quelques ouvrages?

- Oh! que si! nous avons son Catéchisme, où les réponses sont bien déduites et bien belles; quand je les lis, il me semble que je le vois en chaire.

- N'a-t-il point publié d'autre livre, que vous sachiez?

- Holà! oui, il en a fait un contre les paillards, qui est bien bon.

- J'espère, mon ami, que ce n'est pas là votre cas?

- Dieu m'en préserve!

- Et si la tentation s'en présentait, que feriez-vous?

- Je lui dirais comme j'ai toujours fait : «Va arrière de moi, Satan!»

- C'est très bien, mon ami; tenez, voilà un pourboire».

 

Toutes ces ingénuités étaient si fort du goût du prélat, que le lendemain c'était à recommencer. Quelquefois même, il faisait venir une demi-pinte pour animer le babil aussi bien que le travail de son ouvrier, mais, qu'il y eût du vin ou qu'il n'y en eût pas, il était toujours sûr de recevoir la pièce blanche, outre le salaire convenu. Enfin, quand il eut tout réparé et garni sa valise, il ne songea plus qu'à revoir le pays. M. de Cambrai le combla de bénédictions, l'exhorta à ne pas détruire sa foi par ses oeuvres, «Et n'oubliez pas, ajouta-t-il, de faire mes compliments à M. Ostervald; dites-lui que je l'estime, que je l'honore, et que j'ai tous ses ouvrages».

Aussi, dès qu'il fut de retour à Neuchâtel, notre homme ne manqua-t-il point de s'acquitter de sa commission. On le reçut fort amicalement et tout le voisinage en fut informé.

 

13.5.3    Réflexions et notes

Ostervald composa plusieurs ouvrages, dont un Catéchisme. Mais l'ouvrage de sa vie, qu'il refit et réédita plusieurs fois pendant vingt-quatre ans, fut un recueil d'Arguments et Réflexions sur l'Ecriture sainte. En 1709, la vénérable classe (consistoire) l'avait chargé de composer des exhortations pour être lues en chaire après la Bible. Il rédigea, pour figurer en tête de chaque livre, un argument; pour figurer en tête de chaque chapitre, un sommaire, et pour servir de conclusion à chaque chapitre, des «Réflexions» ou exhortations. Il rédigea donc onze cent quatre-vingt-neuf exhortations. En 1713, un pasteur anglais lui demanda son manuscrit, et le publia. Il le publia lui-même en 1720, refondu. En 1724, des libraires de Hollande le tourmentèrent pour leur permettre de publier ses exhortations dans une Bible qu'ils allaient éditer. Modeste comme ses prédécesseurs, Olivétan et Martin, Ostervald ne céda que sur la menace des libraires de faire traduire l'ouvrage d'anglais en français. Lui répugnait-il que ses exhortations fussent intercalées dans le texte sacré?

On voit par ces détails de quelle vogue, dès le début, jouit cet ouvrage qui pourtant était loin d'être un chef-d'oeuvre. Une des lacunes de ces Réflexions c'est que jamais elles ne s'attachent à montrer l'enchaînement et le développement des idées chez l'auteur sacré. Chaque passage est expliqué comme s'il était tout seul, sans lien avec ce qui le précède et avec ce qui le suit. Ce genre d'explication était sans doute dans le goût du temps.

Autre trait à noter. Les Réflexions cherchent continuellement à disculper les personnages bibliques.

 

Ce que Moïse fit en tuant un Égyptien est une action extraordinaire qui ne doit point être tirée à conséquence puisque Moïse était un homme envoyé de Dieu. — Dans la persuasion où cette femme (Rahab) était que Dieu avait résolu de donner le pays de Canaan aux enfants d'lsrael, elle put faire innocemment ce qu'elle fit, sans quoi sa conduite envers son roi et sa patrie aurait été blâmable, et elle ne devrait pas être imitée. — Si David parle en des termes qui semblent marquer qu'il demandait la punition de ses ennemis, ce ne sont pas proprement des imprécations qu'il fait contre eux : ce sont des prédictions plutôt que des souhaits.

 

«Dans ce seul fait, dit M. Gretillat, nous constatons qu'il y a un abîme entre les auteurs inspirés de l'Ancien Testament et leurs commentateurs les plus pieux. Les premiers sont véridiques, les seconds sont bien intentionnés. Ceux-là réveillent la conscience, ceux-ci la froissent... » (*)

 

(*) Jean-Frédéric Ostervald, p. 239.

 

Et que penser d'une réflexion comme celle-ci, à propos de Romains 7 ?

 

C'est un chapitre qui doit être bien entendu, et dont il ne faut pas abuser.

 

Les Réflexions renferment aussi des fadeurs, des lieux communs, et même des naïvetés. Ainsi, à propos de Josué 23 :

 

Les magistrats doivent apprendre d'ici que leur principal soin doit être d'établir la Piété et la Religion pendant qu'ils sont au monde.

 

Ostervald fit aussi des notes, dans lesquelles, souvent, il affaiblit, énerve, et même contredit positivement le texte.

 

Le gobelet par lequel il (Joseph) devine infailliblement. Note : il reconnaîtra infailliblement que vous l'avez emporté (Ostervald luttait contre la divination). — Rahab la prostituée devient une hôtelière. — La fille de Jephthé sera à l'Éternel, «ou» je l'offrirai en holocauste. — Tout ce qui sort de la bouche de Dieu signifie : tout ce que Dieu ordonnera pour lui servir de nourriture. — Autrefois, j'étais sans loi, je vivais, signifie : j'étais plus tranquille. — Quand le Fils de l'homme viendra, pensez-vous qu'il trouve de la foi sur la terre? C'est-à-dire dans ce pays, parmi les Juifs, quand il viendra pour les détruire. — Tu lui amasseras des charbons de feu sur la tête. Note : tu ôteras des charbons de dessus sa tête. — Je voudrais être anathème (Rom. 9, 3). Note : Pardonne-leur, sinon, Seigneur, retranche-moi plutôt du monde, je consens de mourir. Voilà un sens qui paraît simple, clair, naturel.

 

13.5.4    Révision du texte

Ce n'est qu'à l'âge de quatre-vingts ans qu'Ostervald se mit à réviser le texte même de la Bible. Il avait plusieurs des qualités nécessaires à cette entreprise. En particulier, il connaissait très bien l'hébreu et le grec. Debout tous les jours à quatre heures du matin, il consacrait les premières heures de la journée à son travail de révision. Il n'interrompit pas une seule de ses fonctions pastorales, et en deux ans il eut achevé son oeuvre. Il faut admirer sans réserve cette vaillance.

La révision d'Ostervald parut en 1744: Elle eut une fortune inouïe, prodigieuse, et ce qui fit cette fortune, ce fut l'extrême popularité des Arguments et Réflexions qui avaient précédé la révision. Grâce aux Arguments et Réflexions, le règne d'Ostervald commença presque immédiatement. «Cette fortune, dit M. Stapfer, dure encore. Ostervald est passé au rang des traducteurs de la Bible, ce qu'il n'a jamais été, et il fait autorité, ce qu'il n'a jamais mérité. Simple réviseur, aussi pieux que distingué, il eût été aussi surpris et confus qu'Olivétan lui-même s'il avait pu prévoir le succès qu'on lui ferait» (*).

 

(*) Revue chrétienne, 1900, p. 436.

 

On pourrait dire, sans trop d'exagération, que la «version d'Ostervald» n'a jamais existé. On n'en a jamais vu le manuscrit. Ostervald écrivit simplement ses corrections au moyen de ratures et de surcharges, sur un exemplaire de la révision de Genève de 1724 (*1) qui est précieusement conservé à la bibliothèque des pasteurs de Neuchâtel. Plus de la moitié de l'ancien texte subsiste. Quand on étudie ce document on voit que si la traduction a été modifiée en certains endroits, notamment dans Job et dans les épîtres, néanmoins la très grande majorité des corrections indique non la préoccupation de mieux rendre le sens de l'original, mais celle de moderniser le style (*2). Voici quelques-unes de ces corrections:

 

(*1) Cette Bible de 1724 contient dans une de ses premières pages une liste des livres de la Bible, avec le nombre des versets et chapitres de chaque livre, et au bas de la liste les chiffres totaux. Nous apprenons ainsi que l'Ancien Testament contient 23.209 versets, le Nouveau Testament 7.958 versets, la Bible entière 31.167 versets.

(*2) C'est d'ailleurs le but exprès que, d'après la préface de la Bible de 1744, Ostervald s'est proposé. Cette préface explique que les exemplaires de la Bible de 1724 étaient devenus rares. Il fallait une nouvelle édition. Ostervald revit ses Arguments et Réflexions, et quant au texte, «en conservant la version qui est reçue dans nos Églises, il y a fait les corrections qui paraissaient nécessaires, et changé des expressions et des manières de parler qui ne sont plus en usage et qui pouvaient causer de l'obscurité.

 

 

Édition de 1724

Révision d'Ostervald

Psaume 23, 2 : Eaux coies

... Eaux tranquilles.

Psaume 49, 6 : L'iniquité de mes talons (!) (*) m'environnait

... La malice de ceux qui me talonnent.

Ésaïe 53 : Qui a cru à notre publication et à qui le bras de l'Éternel a-t-il été découvert?

... prédication

... révélé.

Romains 5, 8 : Recommande du tout

... fait éclater.

Éphésiens 2, 7 : Sa bénignité

... la bonté dont il a usé.

 

(*) Olivétan avait dit : la malice de celui qui est à mes talons.

 

Ainsi, Ostervald a remis au point, en une mesure, et surtout au point de vue du style, la version en usage de son temps, qui était elle-même une révision d'Olivétan. Ostervald a révisé une révision, rien de plus. Et cette révision de révision a été, depuis, révisée à l'infini.

 

Il ne faut point déprécier l'oeuvre d'Ostervald. La préface du Nouveau Testament de Mons, publié en 1667, par les solitaires de Port-Royal, dit excellemment :

 

Les défauts de nos versions ne diminuent rien de l'obligation qu'on a à ceux qui les ont faites. Ils ont servi l'Église de la meilleure manière qu'ils le pouvaient et ils n'ont pu écrire que comme ils ont fait. Si nous avions été de leur temps, nous aurions parlé comme eux, et s'ils étaient du nôtre, ils parleraient comme nous.

 

Et puis il ne faut pas oublier qu'Ostervald n'a voulu qu'améliorer le révision de 1724, et qu'il l'a améliorée considérablement. Il ne faut pas lui imputer des incorrections et des faiblesses «qui, dit M. Gretillat, ne sont pas de lui, et qu'il s'est borné à laisser subsister, pour des raisons qui ne nous sont pas connues». Lui aussi, sans doute, a voulu ménager les lecteurs. Lui aussi portait le «joug des révisions». Quand on voit à quel point ses successeurs ont subi l'influence de la version qui porte son nom, comment pourrait-on lui reprocher d'avoir subi, lui, l'influence de ceux qui l'ont précédé?

Néanmoins, la critique ne perd pas ses droits. À prendre l'oeuvre en elle-même, il est permis de regretter l'autorité exagérée dont elle a joui pendant si longtemps. Ostervald a fait en deux ans ce qui, d'après Calvin, en demandait six, et son travail n'a pas été, selon le voeu du réformateur, «revu par plusieurs yeux». Voici un exemple de ce qu'est par endroits la traduction qu'il a adoptée ou conservée

 

Ta vie sera comme pendante devant toi (Deut. 28, 66).

 

Tous tiraient des pierres avec une fronde à un cheveu (Juges 20, 16).

 

Faites-moi revenir le coeur par du vin et faites-moi une couche de pommes (Cant. 2, 5) (*).

 

(*) Olivétan avait dit : Sustentez-moi de flacons et confortez-moi de pommes.

 

Quand le Tout-Puissant dissipa les rois dans ce pays, il devint blanc comme la neige.. (Ps. 68, 15).

 

Il n'y a point eu d'obscurité épaisse pour celle qui a été affligée, au temps que le premier se déchargea légèrement vers le pays de Zabulon et vers le pays de Nephtali, et que le dernier s'appesantit sur le chemin de la mer, au delà du Jourdain, dans la Galilée des Gentils (Ésaïe 8, 23).

 

Mes entrailles font du bruit sur Moab, comme une harpe, et mon ventre sur Kirheres (Ésaïe 16, 11).

 

Ostervald sacrifie donc étrangement, par endroits, la langue. De plus, il affaiblit le texte. «Ostervald, dit M. Louis Bonnet, l'ancien pasteur de Francfort, auquel manquait, comme à toute son époque, le sens et le tact exégétiques, n'a produit qu'une pâle paraphrase des Écritures». Adolphe Monod préférait la version de Martin à celle d'Ostervald «dont l'élégance relative, nous écrit M. William Monod, ne rachetait pas à ses yeux un certain manque de force et de simplicité. Il trouvait chez Martin plus de saveur et d'énergie, et c'est de Martin qu'il se servait habituellement. Il en avait toujours un exemplaire en chaire».

De plus, Ostervald a conservé des erreurs manifestes. Ainsi, Hébreux 13, 4 : Le mariage est honorable entre tous, au lieu de Respectez tous le mariage. Ici c'est une préoccupation de controverse qui a fait fléchir la traduction. Voici une erreur imputable à la préoccupation dogmatique. Matthieu 28, 17, la révision d'Ostervald porte: Ils l'adorèrent, même ceux qui avaient douté (*). Or le texte dit : Ils l'adorèrent, mais quelques-uns doutèrent. Ajoutons à l'honneur d'Ostervald qu'il rétablit dans une note la vraie traduction, précédée du mot ou. C'était un commencement de retour vers la vérité.

 

(*) C'est dans la Bible revue qui fut publiée en 1693 à Genève, chez Antoine Chouet, que la leçon : Même ceux qui avaient douté, fait son apparition. Les réviseurs de 1693 n'admettaient pas qu'en eût pu douter en présence du Christ ressuscité. C'était d'un trop mauvais exemple.

 

On se demande, dit M. Stapfer, si, après tout, la moins mauvaise traduction n'est pas (abstraction faite des versions faites de nos jours) le premier travail d'Olivétan... Olivétan est le seul traducteur protestant français qui ait été vraiment impartial» (*)

 

(*) Revue chrétienne, 1900, p. 286, 287.

 

 

13.5.5    Révisions d'Ostervald

Au siècle dernier parurent diverses révisions d'Ostervald. Une révision de l'Ancien Testament parut en 1805 à Genève. À Lausanne, une révision de la Bible parut en 1822. Plusieurs des éditions de la Société biblique de Paris furent plus ou moins retouchées, sans que le titre en fasse mention.

En 1835, parut une nouvelle révision dont l'initiative fut prise, en Angleterre, par la Société pour la propagation des connaissances chrétiennes, surtout en vue de pourvoir aux besoins des Églises françaises de Jersey, de Guernesey et du Canada. Cette Société s'adressa à M. Jacques Matter, ancien élève de la Faculté de théologie de Strasbourg, qui occupait dans l'Université la haute position d'inspecteur général des études, et qui fut père de M. Albert Matter, président de la Société biblique de France. M. Matter, avec l'aide du pasteur luthérien R. Cuvier (cousin du naturaliste du même nom) et de plusieurs jeunes savants, fit paraître la révision du Nouveau Testament en 1842 et celle de l'Ancien en 1849. Le format de cette Bible est immense et incommode. Ce travail, malgré ses mérites, passa à peu près inaperçu.

Une révision du Nouveau Testament qui eut plus de succès fut celle du pasteur Charles Frossard (1869), faite sur le texte dit reçu, que la Société biblique de France publia en 1872, sur le voeu de la Conférence pastorale de Paris.

La Société biblique de France entreprit, en 1868, la révision de l'Ancien Testament. Cette révision, oeuvre de cinq réviseurs, parut en 1881. La traduction de certains livres, Job par exemple, était entièrement nouvelle. À cet Ancien Testament révisé fut joint le Nouveau Testament Frossard.

Le Synode officieux de Nantes (1889) décida de confier une nouvelle révision à une «commission des versions bibliques». Cette commission, dont le premier président fut M. Bersier, prépara la révision du Nouveau Testament sur un texte critique. Ce Nouveau Testament révisé parut en 1894, et fut soumis à l'examen des Églises et des synodes particuliers. Ceux-ci ayant demandé de nombreuses retouches, le synode de Sedan (1896) chargea divers réviseurs, qu'il désigna, de revoir minutieusement le texte du Nouveau Testament de 1894.

En 1903, la Société biblique de France publia la Revision synodale du Nouveau Testament, et en 1905 le Nouveau Testament avec les psaumes révisés. Cette révision du Nouveau Testament a une grande valeur. Elle représente dix-sept ans de travail (la première révision en prit dix, la seconde sept), et elle est le fruit des travaux d'une centaine de collaborateurs, dont une trentaine réguliers. Parmi ceux-ci, les principaux ont été M. le professeur A. Matter et MM. les pasteurs Ernest Bertrand, Elisée Lacheret, William Monod, Jacot. Les autres collaborateurs appartenaient à toutes les Églises évangéliques et à tous les pays de langue française. Cette traduction est donc une oeuvre oecuménique. La révision synodale du Nouveau Testament fut accueillie dans les Églises avec enthousiasme (*1). Le comité de révision achève en ce moment la préparation de l'Ancien Testament. Les principaux réviseurs de l'Ancien Testament ont été MM. les pasteurs Ernest Bertrand, Philémon Vincent et William Monod. C'est aux deux premiers qu'on doit l'excellente révision du psautier publiée en 1905. La révision du Psautier publiée en 1875 était l’œuvre de M. William Monod. La révision synodale de la Bible sera en fait une traduction entièrement nouvelle, dans laquelle il faut nous préparer à saluer la meilleure version protestante française de la Bible (*2).

 

(*1) Le Nouveau Testament in-16 a eu trois éditions (1903, 1905, 1907. — 18.000 exemplaires). Le Nouveau Testament in-24 a eu deux éditions (1906, 1908. — 50.000 exemplaires). Le Nouveau Testament in-8 avec psaumes de 1905 a été publié à 3.000 exemplaires.

 

(*2) Le psautier est la seule partie de l'Ancien Testament qui ait encore paru au moment où ces pages sont écrites. Cette traduction des psaumes nous parait extrêmement remarquable. Elle a été encore révisée depuis. Voici, dans le texte définitif, le psaume 87

 

1 Des enfants de Coré. — Psaume. Cantique.

Les fondements de Jérusalem reposent sur les montagnes saintes :

2 L'Éternel aime les portes de Sion;

Il la préfère à toutes les demeures de Jacob.

3 Un avenir de gloire t'est destiné,

O cité de Dieu! — (Sélah).

4 Je mentionnerai l'Égypte et Babylone parmi ceux qui me connaissent,

Ainsi que les Philistins et Tyr, et l'Ethiopie :

C'est ici que sera leur lieu de naissance!

5 Oui, on dira de Sion : Chacun d'eux est né dans cette ville;

Et le Très-Haut lui-même l'a fondée.

6 L'Éternel passe les peuples en revue, et il écrit

Celui-là aussi est enfant de Sion! — (Sélah).

7 Alors chanteurs et joueurs de flùte disent de concert

Tu es la source où nous allons tous puiser!

 

Voici le psaume 131

1 Cantique des pèlerinages. De David.

Éternel, mon coeur ne s'est pas enflé d'orgueil;

Je n'ai pas porté trop haut mes regards,

Je ne recherche pas les grandeurs,

Et je n'aspire pas aux choses trop élevées pour moi.

2 J'impose plutôt à mon âme le calme et le silence,

Comme l'enfant sevré dans les bras de sa mère :

Tel un enfant sevré, telle est mon âme.

3 Israël, espère en l'Éternel,

Dès maintenant et à toujours!

 

Depuis que ces lignes ont été écrites, le 12 juin 1910, au temple du Saint-Esprit, dans une séance qu'on peut appeler une séance historique, vraie fête chrétienne qui couronnait quarante-deux années de travaux, la nouvelle Bible a été présentée à une assemblée émue, par M. le pasteur Camille Soulier, président de la Société, et par M. le pasteur Ernest Bertrand, son agent général.

 

 

14                  Chapitre 11 — Versions Protestantes Originales parues depuis la version d’Olivétan

14.1                      Seizième siècle

 

Castalion, disciple de Servet, fit deux traductions de la Bible, une latine et une française. Dans sa traduction française (1555), «il essaie, dit M. Reuss, de plier la Bible au génie de la langue française, mais le génie de celle-ci au sien propre». M. Stapfer (*) confirme ce jugement. Castalion traduit les mots d'après leur étymologie. Au lieu d'holocauste, il dit brûlage. Il met flairement au lieu d'odorat (1 Cor. 12, 17); songe-malices au lieu d'inventeurs de méchancetés (Rom. 1, 30). Pour petits enfants, il forge le barbarisme enfantons. Cette oeuvre n'eut qu'une seule édition, et ne méritait pas davantage.

 

(*) La traduction française du Nouveau Testament, ix (Revue chrétienne, 1900, p. 96-106). Les appréciations de M. Stapfer qu'on trouvera dans ce chapitre sont toutes empruntées à cette source.

 

14.2                      Dix-septième siècle

En 1644, Jean Diodati, le même qui fit une excellente traduction de la Bible en italien, publia une version française à Genève. «essai louable, dit M. Stapfer, de rajeunir le vieux français du dix-septième siècle. Mais Diodati fut accusé d'avoir paraphrasé plutôt que traduit, et on lui préféra la vieille version à laquelle on était habitué».

 

14.3                      Dix-huitième siècle

Deux traductions, dans ce siècle, parurent en Hollande. D'abord une traduction du Nouveau Testament de Leclerc (1703), qui fut accusée de socinianisme. L'opposition qu'on lui fit, l'interdiction dont elle fut frappée à Berlin, la rendirent momentanément célèbre, mais elle tomba dans l'oubli.

 

Puis, la traduction de la BIBLE de Lecène (1741), qui mérite plus que la précédente le reproche de rationalisme. Elle fait souvent violence au texte, et, de plus, est bizarre et inexacte. Lecène voulait réagir contre les versions littérales, mais le remède parait avoir été pire que le mal. Au lieu de Dieu vit que la lumière était bonne, il met : car le Souverain voyait que cette lumière serait utile. Au lieu de faisons l'homme à notre image : faisons l'homme sur le dessein et sur l'idée que nous en avons formés. Au lieu de ceci est mon corps : ceci représente mon corps. Au lieu de la Parole a été faite chair: cet oracle était un corps humain.

 

En 1718, parut à Berlin une traduction excellente du NOUVEAU TESTAMENT, celle de Beausobre et Lenfant.

«Beausobre et Lenfant, dit M. Stapfer, étaient des pasteurs du Refuge, établis à Berlin. Ces deux hommes distingués firent une version extrêmement remarquable. Après avoir examiné très consciencieusement la question de la possibilité d'une révision de la version (révisée) de 1588, ils s'arrêtèrent, comme Claude, à la nécessité d'une version nouvelle, ce que ne comprenaient, à la même époque, ni Martin ni Ostervald... Ils publièrent leur oeuvre en deux volumes in-8, avec des notes abondantes et fort bien faites. Le texte est divisé en paragraphes. Si cette version est restée inconnue en France même, c'est que les portes de notre pays lui restaient rigoureusement fermées. Elle eut un grand succès en Suisse et en Allemagne, où elle parut avec le texte allemand en regard. Un seul exemplaire pénétra en France, celui qui fut envoyé à la duchesse d'Orléans, appelée la Palatine, princesse allemande et ex-protestante, seconde femme de Monsieur, frère de Louis XIV, et mère du Régent».

 

14.4                      Dix-neuvième et vingtième siècles

 

LE LIVRE DE JOB, NOUVELLEMENT TRADUIT D'APRÈS LE TEXTE ORIGINAL non ponctué et les anciennes versions, notamment l'arabe et le syriaque, avec un commentaire imprimé à part, par Louis Bridel, professeur de langues orientales et de l'interprétation des Livres saints à l'Académie de Lausanne. Paris, Didot, 1818.

Le traducteur a reproduit la coupe des vers hébreux.

Cette traduction est la première traduction protestante originale d'un fragment des Écritures au siècle dernier. On voit que c'est un Suisse qui a ouvert la voie. 'M. Louis Bridel, frère du doyen Bridel, était l'arrière-grand-oncle du professeur Ph. Bridel.

 

JOB, LES PSAUMES, LES PROVERBES, L'ECCLÉSIASTE DE LA PAROLE DE DIEU, traduits de l'hébreu par Louis Vivien, ministre de l'Évangile, à Montbéliard. Imprimé à Montbéliard. Paris, chez Risler, 1831. Une deuxième édition (Arras, chez l'auteur. Paris, chez Grassart) ne porte pas de date. D'après l'apparence, le volume pourrait être d'environ 1850 ou 1860.

C'est le premier essai protestant d'une traduction personnelle des Écritures qui ait été imprimé en France. Il convient de signaler cette tentative modeste, inspirée par une piété profonde.

 

«Les trois livres de la Parole de Dieu qui suivent, dit l'auteur dans la préface de la première édition, ont toujours présenté à mon âme, depuis que la .grâce du Seigneur m'a été révélée, une nourriture exquise, et une source féconde d'enseignements et de consolations; j'ai été tout naturellement conduit à les étudier dans l'original. Plus tard, frappé des nombreuses incorrections que présentent nos versions françaises, j'ai pensé faire une oeuvre utile et agréable à mes frères, en publiant dans ce petit volume les Psaumes, les Proverbes et l'Ecclésiaste, dans une version plus correcte que celle de nos Bibles. Ce n'est point que j'aie voulu faire une traduction nouvelle et qui m'appartint. J'ai seulement désiré d'en présenter une qui fût fidèle, et en conséquence, je me suis librement servi de toutes les versions que j'ai été à portée de connaître».

 

Le traducteur a pourtant fait, en une mesure, oeuvre originale.

Le texte n'est pas coupé en versets, et ceux-ci sont indiqués en marge. Innovation remarquable pour l'époque.

 

En 1835, le NOUVEAU TESTAMENT, version nouvelle, dite de Genève, parce qu'elle fut faite par un Genevois et parce qu'elle eut l'approbation de la Compagnie des pasteurs de Genève (Marc Aurel, Valence). Le traducteur était le professeur Munier. C'est la première version originale protestante en français du Nouveau Testament qui ait paru au dix-neuvième siècle, ou qui ait été imprimée en France. Deux éditions furent publiées la même année. C'est cette version qui fut l'occasion de vifs débats au sein de la Société biblique protestante de Paris (Voir chapitre XIII).

 

LE NOUVEAU TESTAMENT DE NOTRE-SEIGNEUR .JÉSUS-CHRIST, TRADUIT EN SUISSE PAR UNE SOCIÉTÉ DE MINISTRES DE LA PAROLE DE DIEU. Version dite de Lausanne. Chez Georges Bridel, Lausanne. Première édition, 1839. Réédité en 1849, puis, sous le même titre, sauf les mots en Suisse, en 1859, 1872 et 1875. Les deux dernières éditions contiennent des variantes de texte et de traduction, celle de 1872 en appendice, celle de 1875 au bas des pages. La traduction est faite sur le texte reçu.

La traduction de l'ANCIEN TESTAMENT suivit celle du Nouveau. Les psaumes parurent en 1854, et furent réédités en 1862. Les autres livres parurent (y compris une seconde réimpression des psaumes) de 1861 à 1872.

Dans la traduction du Nouveau Testament, les deux hommes dont l'influence a été prépondérante furent, au début, Gaussen, et, à la fin, Louis Burnier. Les auteurs de cette version, partant de la conviction que le texte des Écritures nous donne la pensée même de Dieu, se sont attachés à le rendre littéralement, traduisant toujours, autant que possible, le même mot par le même mot, et évitant de rendre la traduction plus claire que le texte, de peur d'ajouter à celui-ci. De plus, ils se sont proposé de traduire de telle façon que le Nouveau Testament français fût aujourd'hui pour les lecteurs français ce que, au premier siècle, le Nouveau Testament grec était pour des Grecs. Ils ont dépouillé certains mots du sens convenu, technique, qu'ils ont pris en passant par le latin. Ils ont dit Bonne Nouvelle et non Évangile, envoyé et non apôtre, assemblée et non église, voie et non doctrine ou secte, etc.

Quoi qu'on puisse penser des principes adoptés et de leur application, parfois arbitraire, parfois excessive (*1), cette version n'en est pas moins une oeuvre intéressante et remarquable. Elle met en une mesure le texte original, dont elle est une sorte de décalque, sous les yeux de ceux qui n'y ont pas accès. Elle a enrichi le vocabulaire du Nouveau Testament de quatre cent trente mots environ, étrangers à la version d'Ostervald (*2).

 

(*1) Maris, pareillement, cohabitez pour la connaissance comme avec un vase plus faible, le féminin. (1 Pierre 3, 7).

Et quant à la cour qui est hors du temple, jette-la dehors (Apoc. 11, 2).

Tout hommage qui sera cuit au four et qui sera apprêté à la poêle... tout hommage pétri à l'huile et sec... (Lévit. 7, 9-10).

Ces bizarreries — on pourrait dire ces énormités — ont jeté sur cette version un ridicule que, dans son ensemble, elle est loin de mériter.

Il nous paraît intéressant de noter à ce propos l'opinion de Vinet en fait de traduction. Après avoir condamné le littéralisme absolu, il s'exprime ainsi :

Il y a entre deux langues, à quelque distance qu'on aille les prendre, une masse de rapports suffisants pour nous autoriser, nous obliger même, à essayer d'abord de la littéralité : toutes les fois qu'elle est possible, elle est nécessaire; mais à quelle condition est-elle possible, si ce n'est à la condition de rendre, avec la pensée de l'écrivain, l'écrivain lui-même, je veux dire son intention, son âme, ce qu'il a mis de soi dans sa parole, et ensuite de satisfaire, par la pureté du langage, sinon les méticuleux puristes, du moins les hommes d'une oreille exercée et d'un goût délicat ?...

Pour nous résumer, le système de fidélité est bon et vrai sauf l'excès. Tous les faits bien examinés, il est rationnel de partir des mots et de la phrase de l'original, comme de l'hypothèse la plus vraisemblable; ainsi procède celui qui cherche à se rendre compte des phénomènes naturels; et il en est d'une hypothèse qui explique toutes les parties d'un fait comme d'une forme qui conserve toutes les parties de la pensée et toutes les intentions de l'écrivain. Cette hypothèse et cette forme se vérifient à cette épreuve (Études sur la littérature française. t. 1, p. 559, 572. Toute cette remarquable étude sur ce que doit être une traduction est à lire).

 

(*2) Voir: La version du Nouveau Testament dite de Lausanne, son histoire et ses critiques (1866), et Les mots du Nouveau Testament dans les versions comparées d'Ostervald et de Lausanne (1871), par Louis Burnier, deux brochures qui traitent avec une grande compétence des questions relatives à la traduction du Nouveau Testament.

 

La traduction de l'Ancien Testament est supérieure à celle du Nouveau, ce qui s'explique par la construction plus simple de l'hébreu. M. Segond disait que de toutes les traductions qu'il consultait après avoir étudié le texte, celle de Lausanne venait la dernière, et qu'il était presque toujours d'accord avec elle.

 

La TRADUCTION DE L'ANCIEN TESTAMENT de Perret-Gentil. Cette version reproduit essentiellement la version allemande de de Wette, fort prisée encore aujourd'hui par les théologiens allemands. Sa valeur scientifique est donc réelle. Quoiqu'elle présente des expressions malheureuses, parfois pédantes, des tournures tourmentées et déconcertantes, elle se distingue par un parfum archaïque qui lui donne de la saveur et même de la beauté. Elle révèle à chaque ligne, chez le traducteur, le savant et l'humble croyant, rempli du scrupuleux respect de la vérité en même temps que de l'esprit d'adoration et d'amour.

 

Hagiographes et Prophètes, chez Wolfrath, Neuchâtel (1847, seconde édition, 1866); Pentateuque et livres historiques (1861). Ancien Testament complet (Société biblique de Paris, 1866), édité par la même Société, la même année, avec le Nouveau Testament de Genève de 1835, d'une part, et avec le Nouveau Testament d'Arnaud d'autre part, puis, en 1874, avec le Nouveau Testament d'Oltramare.

 

La TRADUCTION DU NOUVEAU TESTAMENT de Rilliet. Paris, Cherbuliez (1858). Rilliet est, avec Arnaud, le premier qui ait rompu avec le texte reçu. Il traduisit sur le texte du Vaticanus. Sa version est remarquable et par l'admirable connaissance du grec qu'elle dénote et par sa grande valeur exégétique. «Elle abonde, dit M. Stapfer, en expressions incroyablement justes et bien choisies». «Je ne le tiens pas pour infaillible, nous écrit M. Léopold Monod, mais j'ai été plus d'une fois frappé, en recourant à lui, du soin minutieux qu'il apportait à son grand travail. Sous les termes qu'il a adoptés, on sent le résultat d'une étude exégétique personnelle, d'une délibératon consciente et mûrie». Elle est accompagnée de l'indication des variantes du texte et de notes explicatives, notes historiques, géographiques, archéologiques, et précédée d'une préface savante sur l'histoire du texte, les variantes du texte reçu, etc. Cette traduction a été réimprimée en 1860, sans la mention seconde édition. Elle a été revue néanmoins, preuve en soit la modification suivante, qui n'est pas sans importance. En 1858, Rilliet avait traduit ainsi la question de Jésus à Judas: «Camarade, qu'est ce qui t'amène ?» En 1860, il traduit ainsi: «Camarade, sois à ce qui t'amène» (*).

 

(*) Cette traduction est aussi celle de la version révisée anglaise (Friend, do that for which thou art come) de la version Segond revue (mon ami, ce que tu es venu faire, fais-le), de B. W'eiss, dans son commentaire (il dit en note que le relatif hos n'étant jamais employé en interrogation directe, l'interprétation interrogative habituelle est inexacte), et elle a pour elle l'opinion de M. le pasteur Babut.

 

La TRADUCTION DU NOUVEAU TESTAMENT d'Arnaud. Paris, Grassart (1858). Arnaud rompit en même temps que Rilliet avec le texte reçu. Sa traduction fut réimprimée avec commentaire en 1863, en 1872 avec l'Ancien Testament de Perret-Gentil, et en 1880 avec l'Ancien Testament de Segond. «Arnaud, dit M. Stapfer, fut le premier, en France, à secouer le joug d'Ostervald». Cette traduction n'est pas exempte d'expressions lourdes et incorrectes, dues au désir de serrer le texte de près.

C'est la première traduction originale du Nouveau Testament publiée en France par un protestant français.

 

Les LIVRES SAINTS CONNUS SOUS LE NOM DE NOUVEAU TESTAMENT. Version nouvelle. Pau-Vevey (1859). Elle fut rééditée en 1872, 1875, 1878. La Bible complète parut en 1885. C'est la traduction dite de Darby.

La traduction du Nouveau Testament n'a pas été faite sur le texte reçu. Elle est accompagnée de notes indiquant des variantes de texte. La préface de l'édition de 1885 dit que dès la première édition, et surtout dans les suivantes, «nous avons abandonné le texte appelé par les Elzévirs, sans aucun fondement acceptable, texte reçu». La préface de 1872 contient de longs développements sur les manuscrits et la critique du texte. En fait, le traducteur est resté conservateur. Mais il retranche le passage des trois témoins (1 Jean 5, 8).

L'Ancien Testament renferme un grand nombre de notes marginales très intéressantes au point de vue de la traduction.

Faite d'après les mêmes principes que la version de Lausanne, elle a largement profité de cette version et elle a su en éviter bien des défauts. Elle est d'un littéralisme plus habile, plus scientifique, et souvent plus heureux. Dans la préparation de sa version, M. Darby a eu pour collaborateur M. Schlumberger, de Mulhouse, ce qui explique la supériorité du style sur celui des écrits de M. Darby lui-même. «Au fond, nous écrit M. le professeur Ch. Porret, c'est cette traduction qui me parait répondre le mieux à ce que désirent ceux qui cherchent la reproduction aussi exacte que possible de l'original sans que la langue soit trop sacrifiée». M. Porret ajoute : «M. Frédéric Godet, avec lequel je parlais un jour de traductions, me dit: «Je ne les pratique pas. Mais en voici une avec laquelle «je suis presque toujours d'accord quand je la consulte», et il me montra un petit volume avec l'indication Pau-Vevey, dont il fut très étonné d'apprendre que c'était la traduction de M. Darby».

 

LA SAINTE BIBLE, OU L'ANCIEN ET LE NOUVEAU TESTAMENT, TRADUCTION NOUVELLE D'APRÈS LES TEXTES HÉBREU ET GREC, par une réunion de pasteurs et de ministres des deux églises nationales de France. Sept livraisons, parues de 1864 à 1868 (1. La Genèse; 2. Saint-Matthieu, Ruth; 3. L'épître aux Romains, l'Ecclésiaste; 4. Ésaïe; 5. Esdras, Néhémie, Esther; 6. Saint Marc; 7. Les deux épîtres aux Corinthiens). Le secrétaire du comité de traduction était M. Étienne Coquerel. Cette traduction aurait été, si la publication n'en était pas restée inachevée, la première version originale française de la Bible faite (depuis Olivétan) par des protestants français.

 

LES PSAUMES TRADUITS DE L'HÉBREU, par Charles Bruston (1865). Paris, Ch. Meyrueis. Version qui «est en grande partie le résultat de recherches personnelles sur le texte des psaumes», et où le traducteur s'est efforcé «de faire disparaître des plus belles productions de la poésie hébraïque les détails insignifiants ou étranges qui les déparent..».

 

LA TRADUCTION DU NOUVEAU TESTAMENT d'Oltramare. Genève, Cherbuliez (1872). Due à l'initiative de la Compagnie des pasteurs de Genève. Rééditée par la Société biblique de Paris en 1874, à 56.500 exemplaires (in-32); en 1876, à 49.000 exemplaires (in-8) ; puis (revue) en 1900, à 27.000 exemplaires (in-8), et en 1901 à 30.000 exemplaires (in-32).

«Fort belle oeuvre, dit M. Stapfer, pleine de vie, serrant le texte de près, en rendant les nuances avec science et habileté». Et M. Ch. Porret apprécie ainsi cette version : «Elle est précieuse pour une lecture d'ensemble, rapide. Par exemple, la seconde épître aux Corinthiens semble sortie toute fraîche de la plume de l'auteur. Malheureusement, elle est trop libre dans les détails, surtout pour tout ce qui tient au vocabulaire psychologique. Âme, coeur, esprit, c'est tout un pour lui. Il a l'air de choisir uniquement d'après l'euphonie ou les convenances du français». Cette version se prête fort bien à une lecture publique (*).

 

(*) Une des trouvailles d'Oltramare, c'est le «éminentissimes apôtres» de 2 Cor. 11, 5.

 

LA TRADUCTION DE LA BIBLE, par Louis Segond. C'est à la requête de la Compagnie des pasteurs de Genève que M. Segond a fait sa version de l'Ancien Testament.

«De toutes nos versions protestantes, a écrit M. le pasteur Koenig, Segond reste encore le chef, malgré de nombreuses, de trop nombreuses faiblesses de traductions et surtout des amollissements du texte».

Quelques réserves que l'on ait à faire sur cette version, qui a certainement une tendance à affaiblir l'original, et à laquelle manque la saveur du langage des vieilles versions, on doit reconnaître qu'elle a ouvert une ère nouvelle dans l'histoire des versions françaises. Elle a été pour plusieurs comme une révélation de l'Ancien Testament, surtout des Prophètes, et plus particulièrement des petits Prophètes, que nombre de chrétiens ne lisaient jamais. Ce qu'on a gagné à cette version et en exactitude et en clarté a compensé, et au delà, croyons-nous, ce qu'on a pu y perdre en énergie de style. Il vaut mieux être clair et exact sans énergie, qu'énergique sans clarté et sans exactitude.

Segond a été beaucoup utilisé et même reproduit par l'abbé Crampon.

La version du Nouveau Testament par Segond ne vaut pas sa traduction de l'Ancien. Elle équivaut à une révision moyenne d'Ostervald (*).

 

(*) BIBLIOGRAPHIE DE LA BIBLE SECOND, — Avant 1873, il parut des fragments. Les Proverbes, sans date (réédités en 1884), sous ce titre: Aux jeunes gens et aux jeunes hommes, un père et un roi. — Une chrestomathie (extraits de l'Ancien Testament), en 1864. — Ésaïe, en 1866, — En 1873, cent vingt psaumes.

L'ANCIEN TESTAMENT, traduit sous les auspices de la Compagnie des pasteurs de Genève, a paru pour la première fois à Genève, chez Cherbuliez, en 1873 (avec la date de 1874), en deux volumes, in-8, dont 500 exemplaires furent livrés au public, et un certain nombre d'autres, sans doute, gardés par la Compagnie des pasteurs.

L'Évangile selon saint Matthieu parut en 1878, à Genève, en petit in-12. L'Évangile selon saint Jean parut en 1879 à Genève, in-16.

Le NOUVEAU TESTAMENT parut en 1880, in-8, chez Cherbuliez.

L'Ancien Testament a été réimprimé par la Société biblique de Paris, en 1878. in-8, à 35.000 exemplaires. Cette édition a servi pour la publication d'une Bible Segond-Oltramare (Segond pour l'Ancien, Oltramare pour le Nouveau Testament), d'une Bible Segond-Arnaud, et d'une Bible Segond-Segond (1880).

Une Bible Segond-Oltramare, in-12, a paru en 1879, sous les auspices de la Compagnie des Pasteurs de Genève, tirée à 20.000 exemplaires.

Une Bible Segond-Segond, in-12, a paru en 1880, à Oxford, tirée à 50.000 exemplaires. Il en a été réimprimé 10.000 exemplaires en 1884, 10.000 en 1885, 10.000 en 1886, 10.000 en 1892. 10.000 en 1894. 10.000 en 1898, 20.000 en 1901, 10.000 en 1906, 10.000 en 1909, 10.000 en 1910. En tout, de 1880 à 1910, 160.000 exemplaires.

L'Ancien Testament, avec les livres se suivant dans l'ordre du canon hébreu, a été publié en 1900, par la Société biblique de Paris, à 2.000 exemplaires.

Une Bible Segond-Segond illustrée a été publiée en 1902, à Neuchâtel, par Zahn. Un second tirage a eu lieu depuis. Nous estimons que ces deux tirages ont dû s'élever à environ 5.000 exemplaires.

L'Ancien Testament a été réimprimé en grand in-8, en 1900, par la Société biblique de Paris (il y a eu quatre tirages, — dont le dernier en 1908 — de 9.000, 5.000, 5.000, et 20.000 exemplaires), et a servi à la publication d'une Bible Segond-Oltramare, d'une Bible Segond-Stapfer et d'une Bible de mariage Segond-Segond.

Une édition illustrée de la Bible Segond-Segond d'Oxford a été publiée en 1909 sous les auspices de la Scripture gift Society, de Londres. À Paris, chez Bargon, 25, rue Sainte-Isaure.

En 1910, la Société biblique britannique et étrangère a publié une édition revue et à parallèles de la Bible Segond, à 5.000 exemplaires, dont le succès a été tel, qu'il a fallu procéder presque immédiatement à un nouveau tirage (7.500). Cette Bible est actuellement la seule version moderne de la Bible pourvue de parallèles.

Le NOUVEAU TESTAMENT a été imprimé à part, plusieurs fois, outre l'édition de 1880, ci-dessus mentionnée :

En 1881, à Oxford, à 15.000 exemplaires. Il en a été réimprimé 5.000 exemplaires en 1884 et 5.000 en 1901, donc 25.000 exemplaires de 1881 à 1901. Ce Nouveau Testament est celui de la Bible d'Oxford de 1880.

En 1881, en Angleterre, parut une édition brochée, imprimée pour un particulier et destinée à être vendue dix centimes. Sur la dernière page se trouve une gravure représentant l'île de Chypre, et, au-dessous, ces mots: «Chypre, île dans la Méditerranée, visitée fréquemment par les apôtres et par d'autres (!) Cette île est à présent (1881) la possession de la nation britannique». Cette édition étrange est (heureusement) unique en son genre.

En 1885 (Lyon, Marseille). 80.000 exemplaires de cette édition ont été envoyés aux instituteurs de France avec une dédicace spéciale au verso du titre. Elle a été réimprimée en 1886.

En 1895 (Lyon-Marseille), édition illustrée.

En 1897. une autre édition illustrée (Lyon, date non indiquée), dont les divers tirages se sont élevés à 69.000 exemplaires, (un tiers avec Psaumes).

En tout 38 éditions ou réimpressions, 21 de la Bible (y compris les Bibles Segond-Arnaud, Segond-Oltramare, Segond-Stapfer), 8 du Nouveau Testament, 2 de l'Ancien, 7 de fragments, et pour les 25 éditions ou réimpressions dont le tirage nous est connu, 443.000 exemplaires (256.500 pour la Bible entière, 2.500 pour l'Ancien Testament, 174.000 pour le Nouveau Testament). Donc, au total, peut-être 500.000 exemplaires.

 

 

LA TRADUCTION DE LA BIBLE d'Édouard Reuss, dans son commentaire monumental sur la Bible (1874-1880, 16 volumes). Paris, Fischbacher. «Traduction médiocre comme français, dit M. Stapfer, mais d'une précision presque impeccable».

 

LA TRADUCTION DU NOUVEAU TESTAMENT de L. Bonnet, dans son commentaire sur le Nouveau Testament (Première édition 1846-1855, 1er vol. Paris, Delay; 2e vol. Paris, Grassart; et Genève, Béroud). Il y eut une nouvelle édition (originale pour les tomes I et 11) (Bridel, Lausanne, 1876-1885) et une troisième, revue par M. le professeur A. Schroeder (Bridel, 1892-1905).

«Travail très consciencieux, dit M. Ch. Porret, visant plus à la fidélité (sans littéralisme) qu'à l'élégance. Quand le traducteur use de quelque liberté, il indique toujours en note la traduction littérale. Cette traduction repose sur une critique minutieuse du texte et tient compte de toutes les variantes importantes».

 

LA TRADUCTION DE L'ANCIEN TESTAMENT DE LA BIBLE ANNOTÉE, par une société de théologiens et de pasteurs, faite sous la direction et avec la collaboration de Frédéric Godet, auquel on doit en particulier l'Introduction sur la Bible (Tome I). Attinger, Neuchâtel 1878-1898.

Traduction excellente, qui observe un juste milieu entre la liberté et le littéralisme. Au point de vue du mouvement, de la coloration du style, il y a un progrès réel sur Segond. Les éditeurs de la Bible Crampon, sinon l'abbé Crampon lui-même, ont rendu à cette traduction un éclatant hommage en en reproduisant purement et simplement des passages entiers, et quantité de notes, surtout dans les Prophètes. Ainsi s'est trouvé réalisé en une mesure, et sous une forme inattendue, le voeu de beaucoup de personnes qui auraient souhaité de voir cette version publiée à part.

 

LE PROPHÈTE ZACHARIE, par J. Walther, ministre de la Parole de Dieu (Beroud, Genève, 1882), avec commentaire.

 

JOEL, par le Savoureux (Paris, 1888), avec commentaire.

 

LES PSAUMES DES MAALOTH (Psaumes 120 à 134), par Félix Bovet avec commentaire (Neuchâtel, Attinger, 1889).

 

LA TRADUCTION DU NOUVEAU TESTAMENT de Stapfer, publiée en 1889 chez Fischbacher (*), et rééditée, avec plus ou moins de retouches, en 1894 chez Fischbacher, puis par la Société biblique de Paris en 1899, à 24.000 exemplaires (in-16), et en 1904 à 13.000 exemplaires (in-8).

 

(*) Avec une introduction au Nouveau Testament et une liste des principaux manuscrits grecs du Nouveau Testament en lettres onciales, et des principaux manuscrits des anciennes versions.

 

Cette traduction est très littéraire, d'un style très moderne. Les Écritures ont rarement été traduites avec autant d'élégance. Il faut que l'Évangile ait une singulière puissance d'adaptation à tous les milieux et à toutes les époques pour avoir inspiré une traduction d'allure aussi française et aussi moderne.

Plus encore que celle d'Oltramare, la version Stapfer se prête à une lecture cursive et d'ensemble. Mais on peut se demander si la recherche de l'élégance, de l'expression moderne, recherche excessive, selon nous, n'a pas plus nui à la traduction qu'elle ne l'a servie.

Si la traduction doit refléter le style de l'auteur, elle n'est plus, dès qu'il s'agit de la Bible, fidèle à son but, lorsqu'elle sacrifie non seulement la saveur d'archaïsme, mais la sobriété qui caractérise le style biblique, lorsqu'elle ajoute des oh! des ah ! ou même d'autres mots dont l'auteur s'est passé (*1), ou lorsqu'elle rend les phrases longues, enchevêtrées, de l'apôtre Paul, par une série de phrases courtes et détachées. En lisant les épîtres de Paul dans cette traduction, on ne peut se défendre de l'impression que c'est un peu comme du Pascal transposé en langage courant du dix-neuvième siècle (*2). Il n'est que juste d'ajouter que ces défauts ne sont pas partout également saillants. L'auteur, d'après la préface, s'est imposé la règle de traduire littéralement les passages obscurs, et a usé de plus de liberté dans les passages clairs et faciles (*3).

 

(*1) Voir Rom. 6, 16; 14, 13 (jamais ajouté); 1 Cor. 1, 25; 2 Cor. 9, 15.

 

(*2) Citons encore ici Vinet (c'est nous qui soulignons) :

Je crois devoir déclarer que je préfère ce système (le littéralisme), tout impossible qu'il est, à celui que nous avons vu en faveur il 'y a peu d'années encore, système de corrections et d'amendements, de suppressions même, en un mot d'aplanissement de tout ce qui, soit en bien, soit en mal, faisait saillie chez l'écrivain, bien réellement alors trahi par son traducteur, selon l'expressif proverbe des Italiens..... Nous voulons, nous, que la traduction soit fidèle aux défauts mêmes de son original, quand ces défauts font partie de son caractère; qu'elle soit bizarre où il est bizarre, et qu'elle ne se pique pas d'être claire où lui-même a voulu être obscur..... Quoique chaque locution irrégulière ne soit pas une partie de Milton, toutes ensemble, ou par leur caractère, ou par leur fréquence, appartiennent au portrait de son génie : et vous demande-t-on autre chose qu'un portrait ? (Études sur la littérature française au dix-neuvième siècle, p. 560, 561).

Voir aussi pages 95, 215.

 

(*3) Voir sur la version Stapfer les articles de M. Aug. Sabatier dans les Annales de Bibliographie théologique (avril, mai, juin 1889), et la réponse de M. Stapfer (Fischbacher, 1889).

Cette traduction a ses lourdeurs, comme les autres. Voir saint Jean, 14, 21 :

... celui-là est celui qui m'aime. 16, 9: ... le péché en tant qu'ils ne croient pas en moi: la justice, en tant que je m'en vais... le jugement, en tant que le Prince de ce monde est jugé.

 

Le DEUTÉRONOME, par Montet (Paris, 1891), avec commentaire.

 

L'ÉVANGILE DE LUC OU LA BONNE NOUVELLE DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, SELON LE RÉCIT DE LUC, VERSION POPULAIRE AVEC EXAMEN DES VARIANTES, par Paul Passy, docteur ès lettres, en écriture phonétique (1893) et en écriture usuelle (1894).

 

Du même traducteur, l'ÉVANGILE DE JEAN, en phonétique (1895); l'ÉPITRE AUX PHILIPPIENS, en phonétique (1896); LUC ET LES ACTES publiés ensemble en phonétique (1894), puis en orthographe usuelle (1903), sous ce titre : Les Origines du cristianisme, d'après des documents autentiques et des souvenirs personels, par un contemporain, Luc, médecin du premier siècle, traduit du grec et accompagné de notes explicatives. Le but du traducteur a été de mettre «la Parole de Dieu à la portée du peuple de nos campagnes en employant, au lieu du français d'il y a trois siècles, celui que nous parlons aujourd'hui». Il vise à rendre tout ce qu'il y a de naïf, de populaire, de primesautier, dans le texte. Ainsi : Et un des malfaiteurs pendus en croix l'insultait : «Est-ce que ce n'est pas toi le Messie?» (Luc 23, 39). — Si je veux qu'il reste jusqu'à ce que je vienne, qu'est-ce que ça te fait? (Jean 21, 22). — Mais en filant sous le vent .... on a dessendu les agrès, et comme ça on s'est laissé emporter (Actes 28, 16, 17».

 

 

La SULAMMITE, (le Cantique des Cantiques) par Charles Bruston (Paris, 1894), avec commentaire (*).

 

(*) Mentionnons le Sublime Cantique (Cantique des cantiques), drame sacré exposé selon la plus récente exégèse et mis en vers français, par Eug. RÉVEILLAUD (Paris, Fischbacher, 1895).

 

AGGÉE, par T. André (Paris, 1895), avec commentaire.

 

LES HUIT PREMIERS CHAPITRES DE LA LETTRE DE PAUL AUX ROMAINS, avec commentaire, par F. H. Krüger (Bridel, 1899).

 

Les TRADUCTIONS PARTIELLES de Frédéric Godet, dans ses commentaires, traductions de l'Évangile selon saint Luc, de l'Évangile selon saint Jean, de l'épître aux Romains et de la première épître aux Corinthiens (*).

 

(*) Les traductions de Frédéric Godet ont été réunies, sauf celle de l'épître aux Romains, dans l'excellente et très utile paraphrase de trois livres du Nouveau Testament conformément aux conclusions de Frédéric Godet, par ERNEST MONOD.

M. le pasteur DECOPPET a fait paraître en 1903 un Nouveau Testament avec notes explicatives, des préfaces, et une Introduction générale, dont il a établi le texte «sans s'astreindre, dit-il, à aucune version française». «Je me suis servi, ajoute-t-il, pour les Évangiles et les Épîtres de saint Paul, de celle d'Ostervald, admirablement révisée par la commission synodale, et de celle d'Oltramare pour les autres épîtres. J'ai mis souvent aussi à contribution la belle traduction de M. le doyen Stapfer, bien que je la trouve d'un style un peu trop moderne».

 

Ainsi, au dix-neuvième siècle, il a paru en français, si toutefois rien ne nous a échappé, 24 traductions protestantes originales des Écritures, soit 4 Bibles (Lausanne, Segond, Reuss, Darby), 2 Anciens Testaments (Perret-Gentil, Bible annotée), 6 Nouveaux Testaments (Munier, Rilliet, Arnaud, Oltramare, Bonnet, Stapfer), et 12 versions fragmentaires (*1) (L. Bridel, Vivien, Coquerel (*2), Bruston, Walther, le Savoureux, Félix Bovet, Montet, P. Passy, André, P. Krüger, Fréd. Godet).

 

(*1) Nous comptons comme une version fragmentaire les divers fragments traduits par un même auteur.

(*2) Pour plus de brièveté, nous désignons cette version par le nom de M. Coquerel, secrétaire du comité de traduction.

 

12 sont dues à des Suisses: 2 Bibles entières (Lausanne, Segond), 2 Anciens Testaments (Perret-Gentil, Bible annotée), 4 Nouveaux Testaments (Munier, Rilliet, Oltramare, Bonnet), et des fragments (L. Bridel, Walther, Félix Bovet, Fréd. Godet).

11 sont dues à des Français : 1 Bible entière (Reuss), 2 Nouveaux Testaments (Arnaud, Stapfer), et des fragments (Vivien, Coquerel, Bruston, le Savoureux, Montet, Passy, André, P. Krüger).

Une est due à un Anglais : la Bible de Darby.

On voit que les Suisses ont fait plus de la moitié du travail biblique original accompli au siècle dernier.

 

 

 

15                  Chapitre 12 — Le Psautier Huguenot

 

Le psautier a joué un trop grand rôle dans l'histoire des Églises réformées pour que nous ne retracions pas, au moins brièvement, ses destinées.

Clément Marot, né à Cahors en 1497, valet de chambre de François 1er, gagné à la Réforme à Blois en 1525, dut quitter la France pour échapper à la persécution, y rentra en 1537 sur l'autorisation du roi, mais au prix d'une rétractation, et y devint le poète de la cour.

Il suivit au collège royal les leçons du savant Vatable, qui y expliquait le texte hébreu de l'Ancien Testament. «De tous les livres de la Bible, c'est celui des psaumes que Vatable paraît avoir étudié avec le plus de prédilection, et ce fut lui, dit Florimond de Roemond, qui engagea Marot à les mettre en vers. Il les lui expliqua lui-même mot à mot, lui faisant comme toucher au doigt la beauté et l'énergie des expressions originales, et l'initiant à cette grande poésie, qui, depuis tant de siècles, selon la belle expression de M. Villemain, «a défrayé de sublime l'imagination des hommes» (*). Marot avait eu l'idée et commencé l'exécution d'une traduction des psaumes dès 1533, ce qui n'exclut pas l'intervention de Vatable, soit pour lui conseiller de reprendre son travail, soit pour lui faire comprendre les beautés de l'original.

 

(*) Félix Bovet, Histoire du psautier des Églises réformées, p. 5.

 

Marot traduisit trente psaumes (*1), les dédia, manuscrits, à François 1er, en 1540 (*2), l'année du passage de Charles-Quint en France. Sur l'ordre de François 1er, il présenta sa traduction à ce monarque, et celui-ci, dit un contemporain (*3),

...reçut bénignement ladite translation, la prisa et par parole et par présent de 200 doublons qu'il donna audit Marot, lui donnant aussi courage de traduire le reste des dits psaumes et le priant de lui envoyer le plus tôt qu'il pourrait Confitemini Domino quoniam bonus (*4), d'autant qu'il l'aimait. Que voyant et entendant, les musiciens de ces deux princes, voire tous ceux de notre France, mirent à qui mieux mieux les dits psaumes en musique, et chacun les chantait.

 

(*1) C'étaient les psaumes 1-15, 19, 22, 24, 32, 37, 38, 51, 103, 104, 113-115, 130, 137, 143.

(*2) Douze psaumes de Marot avaient paru à Strasbourg, en 1539, dans un recueil publié par Calvin en vue du culte public. Ces psaumes circulaient donc parmi les réformés à l'état de manuscrit, même avant leur publication par l'auteur. Cet usage et cette publication «avant la lettre» montrent quel écho ces psaumes trouvaient dans le coeur des réformés.

(*3) Villemadon, un des intimes de Marguerite de Navarre, dans une lettre de 1559 à Catherine de Médicis.

(*4) Le psaume 118, d'après M. Félix Bovet.

 

«Il est curieux, dit M. Félix Bovet (*), de voir en cette occasion les deux puissants rivaux qui se partageaient alors le monde, les deux redoutables ennemis de la Réformation, servir ensemble de parrains au futur bréviaire de l'Église réformée».

 

(*) Op. cit., p. 6.

 

Ces psaumes parurent, imprimés, en 1541, en deux éditions, à Paris, avec «la certification de trois docteurs en théologie», de la Sorbonne, et à Anvers «reconnus et corrigés» par un carme. La Sorbonne se ravisa : elle s'aperçut sans doute que Marot ne s'était pas assujetti à la Vulgate. En 1542, le Parlement de Paris décréta Marot de prise de corps, et celui-ci se réfugia à Genève. François 1er lui fit savoir sous main qu'il le verrait avec plaisir continuer son oeuvre (*1). Marot traduisit dix-neuf nouveaux psaumes (*2), qui furent publiés avec les trente premiers, précédés d'une préface de Calvin, en 1543. Marot ne s'entendit pas longtemps avec Calvin, quitta Genève, et mourut, dit-on, à Turin en 1544.

 

(*1) François 1er, continuait à faire grand cas des psaumes, et, sur son lit de mort, se les fit apporter au dire de Jean de Serres, et s'en fit lire quelques-uns pour sa consolation. Henri II, encore dauphin, les chantait et les faisait chanter par ses musiciens. Diane de Poitiers avait le choisi le 131. Catherine de Médicis, qui gémissait de n'avoir pas d'enfants, donnait sa préférence au psaume 6 et au 142, qui expriment la tristesse et la plainte (Mat. LELIÈVRE, Portraits et Récits huguenots, p. 336).

(*2) Les psaumes 18, 23, 25, 33, 36, 43, 45, 46, 50, 72, 79, 86, 91, 101, 107, 110, 118, 128, 138. Marot comptait comme vingtième psaume le Cantique de Siméon. De là vient qu'on parle toujours des cinquante psaumes de Marot.

 

Marot eut bientôt un successeur.

Comme Calvin allait un jour voir Théodore de Bèze et ne le trouvait pas chez lui, il aperçut un brouillon sur sa table à écrire. C'étaient des vers français, une traduction du psaume XVI : Sois-moi, Seigneur, ma garde et mon appui. Il emporta cette feuille, à l'insu de l'auteur, et la fit lire à ses collègues. Les vers de Bèze leur plurent tellement qu'ils engagèrent celui-ci à ne pas tarder de traduire les autres psaumes (*).

 

(*) Félix BOVET, Histoire du Psautier, p. 25.

 

Théodore de Bèze publia trente-quatre psaumes en 1551. En 1562, son travail était achevé, et le premier psautier complet parut cette même année à Lyon, avec un privilège de Charles IX, accordé peu de jours après le colloque de Poissy. À ce moment, la cour avait intérêt à ménager les huguenots.

Le succès du psautier complet fut prodigieux. Vingt-cinq éditions connues parurent cette même année (1562), neuf à Genève, sept à Paris, trois à Lyon, une à Saint-Lô, et cinq sans indication de lieu d'origine. Il y eut quatorze éditions en 1563, dix en 1564, treize en 1565, donc soixante-deux éditions en quatre ans, sans compter celles que l'on ne connaît pas (*).

 

(*) Matthieu LELIÉVRE, Le Psautier huguenot et son histoire (Portraits et Récits huguenots, p. 345). DOUEN, Clément Marot, I, 562.

 

Le psautier huguenot n'eut pas une moindre fortune à l'étranger. Les psaumes de Marot et de Théodore de Bèze ont été retraduits du français en dix-sept langues: en allemand, 1573; en quatre idiomes des Grisons (romanche, 1683, dialecte de la Haute-Engadine, 1661, dialecte de la Basse-Engadine, 1666, tous deux nommés ladin, — dialecte des vallées italiennes de Poschiavo et de la Bregaglia, 1573) ; en danois, 1596; en vers latins, 1596; en hollandais, 1566 (en deux siècles, on vit paraître trente psautiers composés en hollandais sur le rythme des psaumes français) ; en italien, 1603 ; en gascon, 1565; en béarnais, 1583 ; en espagnol, 1606; en bohème, en turc (la traduction sur le français est probable) ; en hongrois, 1624; en anglais, 1596 ; et, chose curieuse, quelques-uns des psaumes de Marot ont été traduits du français en hébreu, 1623. «L'évolution était complète, dit M. Félix Bovet. La langue sainte elle-même avait dû se plier à la mesure des vers français, la harpe de David avait fini par être accordée sur le flageolet de Clément Marot» (*).

 

(*) Félix BOVET, op. Cit., p. 110.

 

Au point de vue de la traduction, voici comment M. Félix Bovet, un hébraïsant qui s'y connaissait, apprécie le psautier de Marot et de Théodore de Bèze

«Un incontestable mérite de notre psautier, tant sous sa forme primitive que sous sa forme actuelle, c'est la fidélité de la traduction. Peut-être est-il tel passage dont Marot et Bèze ne possédaient pas le sens aussi bien que peuvent le faire d'habiles hébraïsants de notre siècle; mais leur travail est pleinement à la hauteur des connaissances de leur temps. Jamais surtout les exigences de la versification ne les ont entraînés à modifier le sens du texte ou à le développer outre mesure. On peut, comme on l'a fait jadis dans un grand nombre d'éditions, placer une traduction en prose en marge de leur traduction en vers, sans que l'une soit la condamnation de l'autre. Tout en ne négligeant aucune des pensées du texte, et sans affecter une concision contraire au génie de la poésie lyrique, ils ont su toujours éviter la paraphrase, et à ce point de vue leur oeuvre peut être considérée comme un vrai modèle de ce que doit être une traduction» (*).

 

(*) Histoire du Psautier, p. 46.

 

Au point de vue littéraire, l'oeuvre de Marot et de Théodore de Bèze a été jugée sévèrement. «Ils ne sont bons, a écrit Laharpe, qu'à être chantés dans les églises protestantes». «Ce jugement hostile et dédaigneux, dit M. Félix Bovet, qu'il ne tiendrait qu'à nous néanmoins de considérer comme une éloge, a été répété par la plupart des critiques (*1), et il peut paraître téméraire d'en appeler». M. Félix Bovet lui-même est moins sévère. Il regrette certaines trivialités, il reconnaît que c'est dans les passages mélancoliques, tendres et gracieux (*2), que Marot et même Théodore de Bèze sont le plus heureusement inspirés, «mais il n'y a pas à aller bien loin, ajoute-t-il, pour trouver dans Marot la vigueur du ton et l'élévation du style» (*3).

 

(*1) Il serait vain, dit M. Lelièvre, de vouloir contester le verdict qui relègue cette oeuvre parmi les moins réussies de Marot. Cette insuffisance tient à deux causes. L'une est l'époque même où il composa son oeuvre. Le seizième siècle, qui a excellé dans la poésie badine, a complètement échoué dans la poésie lyrique ou épique; les cordes graves manquaient à sa lyre, et la langue elle-même se refusait à la grande poésie. L'autre raison tient à l'individualité intellectuelle et morale de Marot, à qui faisaient défaut à la fois l'intensité de vie religieuse qui lui eût permis de sympathiser pleinement avec la pensée du psalmiste, et le genre lyrique nécessaire pour la traduire (Portraits et Récits huguenots, p. 343).

 

(*2) Dessus et près de ces ruisseaux courans

Les oiselets du ciel sont demeurans,

Qui du milieu des feuilles et des branches

Font résonner leurs voix nettes et franches (Ps. 104).

 

(*3) Pourquoi font bruit et s'assemblent les gens?

Quelle folie à murmurer les mène?

Pourquoi sont tant les peuples diligens

À mettre sus une entreprise vaine?

Bandés se sont les grands rois de la terre,

Et les primats ont bien tant présumé

De conspirer et vouloir faire guerre

Tous contre Dieu et son roi bien-aimé (Ps. 2).

 

Les psaumes de Théodore de Bèze sont inférieurs à ceux de Marot. On a relevé chez lui de la contrainte, de la rudesse, des négligences de langage, des chevilles. «La tournure même de son esprit, critique et satirique, dit M. Lelièvre à sa décharge, s'opposait à ce qu'il comprit et rendit le mysticisme élevé du roi prophète. S'il réussit à mettre de l'énergie et de la vie dans sa traduction, ce fut dans un psaume comme le soixante-huitième, par exemple, où il rencontra un thème en rapport avec son talent».

C'est de lui aussi, il ne faut pas l'oublier, qu'est le plus beau de tous nos psaumes, le seul peut-être qui soit resté vraiment populaire : Comme un cerf altéré brame (*).

 

(*) Félix BOVET, op. Cit., p. 38. M. Bovet ajoute : On a mis, depuis, ce psaume en langue moderne, mais tout le mouvement lyrique est de Théodore de Bèze, et même il y a dans ses vers une sorte d'harmonie imitative que le nouveau traducteur n'a pas su conserver et qui peint à merveille le brâmement du cerf altéré:

 

Ainsi qu'on oit le cerf bruire

Pourchassant le frais des eaux,

Ainsi mon coeur qui soupire,

Seigneur, après tes ruisseaux,

Va toujours criant, suivant,

Le grand, le grand Dieu vivant.

Hélas! donques quand sera-ce

Que verrai de Dieu la face?

 

Et à la fin du second verset

 

Je fons en me souvenant,

Qu'en troupe j'allais menant,

Priant, chantant, grosse bande

Faire au temple son offrande.

 

Le psautier réformé se trouva de bonne heure vieilli, à cause des changements de la langue. Il fut révisé prématurément, en 1646, par Diodati, à Genève, et, plus tard, par Conrart, dans le salon duquel naquit l'Académie française et qui fut dès l'origine le secrétaire perpétuel de ce corps.

Voici quelle fut, d'après Ancillon (*), l'origine de cette révision «Tout le monde sait que M. Conrart était extrêmement incommodé de la goutte; elle l'obligeait très souvent à garder la chambre. Un jour de communion, ne pouvant aller à Charenton pour faire ses dévotions, il resta à Paris. Aux heures à peu près qu'il savait que l'on communiait il se fit porter les chapitres de la Sainte Écriture que l'on lit ordinairement aux jours de cène, il chanta quelques-uns des psaumes qui se chantent avant et après la communion. Son cabinet étoit sur la rue et il chantait assez haut, de sorte qu'un académicien catholique romain de ses amis, passant sous ses fenêtres, crut entendre la voix de M. Conrart. Il s'arrêta, et, l'ayant reconnue, il entendit qu'il chantait le premier verset du psaume trente-huitième: Las! en ta fureur aiguë, ne m'arguë de mon fait, Dieu tout puissant, etc. Surpris d'entendre ce vieux langage dans la bouche de M. Conrart, il monta dans son cabinet et, après y être entré : «Quoi! dit-il d'un ton railleur, M. Conrart, ce beau génie, l'oracle de l'Académie françoise, cet homme qui parle et qui écrit avec tant de politesse se sert de ce jargon : Las! en ta fureur aiguë, ne m'arguë !» M. Conrart le laissa dire et rire, et après l'avoir écouté fort tranquillement, il lui répondit plus sérieusement encore : «Monsieur, c'est aujourd'hui pour moi un jour de dévotion, je chante les paroles d'un homme qui, se sentant accablé de maux sensibles aussi bien que du poids de ses péchés, tâche de s'en soulager. Il ne cherche pour cela ni les belles pensées, ni les paroles étudiées». Il lui dit encore d'autres choses qui le contentèrent. Mais après que cet académicien fut sorti de son cabinet, il fit quelques réflexions sur cette aventure et, pensant à ce que cet ami lui avait dit, il crut qu'on pourrait bien, sans altérer le sens des paroles du psalmiste, parler mieux et faire meilleurs vers françois. Sur le champ il essaya de retoucher le psaume 38 qu'il corrigea tout entier. Il le montra à MM. les ministres de Paris et leur dit qu'il ne seroit pas malaisé de retoucher de même tous les psaumes. Ils trouvèrent sa correction belle et juste, ils entrèrent dans sa pensée et le prièrent de travailler à cet ouvrage. Voilà l'origine de la révision de nos psaumes».

 

(*) Dans ses Mémoires concernant la vie et les ouvrages de plusieurs modernes, p. 100. Ancillon, fils d'un pasteur réfugié, fut historiographe de Frédéric 1er.

 

Les synodes, ayant eu connaissance du travail entrepris par Conrart, «l'en louèrent par leurs lettres et par les actes de leurs assemblées et l'exhortèrent à exécuter ce travail le plus tôt qu'il le pourrait».

Les psaumes de Conrart parurent. Il mourut en 1675, avant d'avoir pu y mettre la dernière main, et chargea de ce soin son ami La Bastide. Une première édition partielle parut en 1677, une seconde, complète, en 1679.

«On se plait, dit M. Félix Bovet (*), à retrouver dans plusieurs de ces psaumes le mouvement lyrique et la simplicité naïve de l'oeuvre originale de Marot; on admire dans d'autres la solennité, la noblesse, l'ampleur de la langue classique du dix-septième siècle.

«Quoi de plus beau dans ce genre que le psaume 103, par exemple:

 

Bénissons Dieu, mon âme, en toute chose, etc.

 

«N'y a-t-il pas aussi une grâce et une douceur extrêmes dans des vers tels que ceux-ci :

 

Dieu fut toujours ma lumière et ma vie;

Qui peut me nuire ou qu'ai-je à redouter?

J'ai pour soutien sa puissance infinie,

L'homme mortel peut-il m'épouvanter?...

 

Quand je n'aurais pour moi père ni mère,

Abandonné de tout secours humain,

Le Tout-Puissant, en qui mon âme espère,

Pour me sauver me prendrait par la main...

 

Si je n'eusse eu cette douce espérance,

Qu'un jour en paix, après tant de travaux,

Des biens de Dieu j'aurais la jouissance,

Je succombais sous le poids de mes maux, etc.

 

(*) Op. cit., p. 169.

 

La révision de Conrart fut elle-même révisée en 1694 par les pasteurs de Genève. Cette dernière révision, à son tour, fut révisée en Hollande en 1729, et c'est de ce psautier de 1729 qu'on se sert encore dans l'Église wallonne.

M. Félix Bovet donne dans son Histoire du Psautier la nomenclature de trois cents éditions différentes du psautier huguenot en français qui se sont succédé du seizième au dix-neuvième siècle, (non comprises les simples réimpressions), de quatre-vingt-six traductions ou adaptations en d'autres langues, et de cent six traductions totales ou partielles des psaumes en vers français, indépendantes du psautier de Marot et de Théodore de Bèze. En tout, quatre cent quatre-vingt-douze éditions (*).

 

(*) M. Douen (Clément Marot et le Psautier Huguenot, II, 503) parle de 1400 impressions du psautier en vers. M. le pasteur D. Junod de Neuchâtel nous écrit : «Je pourrais indiquer une bonne quarantaine d’éditions que ne signalent ni F. Bovet ni Douen».

 

Il y aurait un volume à écrire sur le rôle des psaumes dans la Réforme. «Les psaumes, dit M. Félix Bovet, devinrent le drapeau, le symbole, et, si l'on peut ainsi dire, le synonyme de la Réforme. Les martyrs gravissaient le bûcher en chantant les psaumes, et les soldats huguenots les entonnaient avant d'engager le combat».

Voici le témoignage d'un catholique, Godeau, évêque de Grasse, dans la préface de sa propre traduction des psaumes (1649) :

«Ceux dont nous déplorons la séparation de l'Église ont rendu la version dont ils se servent célèbre par les airs agréables que de doctes musiciens y mirent lorsqu'ils furent composés. Les savoir par coeur est parmi eux comme une marque de leur communion, et, à notre grande honte, aux villes où ils sont en plus grand nombre, on les entend retentir dans la bouche des artisans et à la campagne dans celle des laboureurs, tandis que les catholiques, ou sont muets, ou chantent des chansons déshonnêtes».

On peut juger par les traits suivants, que nous choisissons au milieu d'une multitude d'autres, de ce que les psaumes étaient pour les huguenots, et on peut ajouter : de ce que les huguenots étaient pour leurs psaumes.

«Nous volions, dit Durand Fage, l'un des prophètes cévenols, quand nous entendions le chant de ces divins cantiques; nous sentions au dedans de nous une ardeur qui nous animait, un désir qui nous transportait; cela ne se peut exprimer. Quelque grande que fût parfois notre lassitude, nous n'y pensions plus dès que le chant des psaumes frappait nos oreilles : nous devenions légers. C'est une de ces choses qu'il faut avoir éprouvées pour les connaitre» (*).

 

(*) Théâtre sacré des Cévennes.

 

Plus de vingt-cinq ans après la Révocation de l'Édit de Nantes, la belle-soeur de Louis XIV, Madame, duchesse d'Orléans (princesse palatine qui, née réformée, avait dû faire profession de catholicisme pour épouser le frère du roi de France), écrivait à sa soeur ... «Je chante souvent les psaumes et je les trouve fort consolants. Il faut que je vous raconte ce qui m'est arrivé à cet égard, il y a plus de vingt-cinq ans. Je ne savais pas que M. Rousseau, qui a peint l'orangerie, était un réformé : il était à travailler sur un échafaudage, et moi, me croyant toute seule dans la galerie, je me mis à chanter le sixième psaume (Ne veuille pas, ô Sire, me reprendre en ton ire). J'avais à peine achevé le premier verset, que je vois quelqu'un descendre en toute hâte de l'échafaudage et tomber à mes pieds. C'était Rousseau. Je crus qu'il était devenu fou. «Bon Dieu! lui dis-je, qu'avez-vous, Rousseau?» Il me répondit: «Est-il possible, Madame, que vous vous souveniez encore de nos psaumes et que vous les chantiez! Que le bon Dieu vous bénisse et vous maintienne dans ces bons sentiments. Il avait les larmes aux yeux».

M. Félix Bovet, qui relate ce fait, ajoute : «Ainsi, pour les protestants de France, peuple proscrit et sans patrie depuis la destruction de ses temples, les psaumes étaient alors ce qu'ils avaient été au bord des fleuves de Babylone pour les captifs de Juda».

À Verteuil, dans l'Angoumois, où le temple était voisin de l'église, le clergé en obtint la démolition, attendu que le service de la messe se trouvait troublé «par le bruit et par la multitude des voix discordantes qui chantaient les rimes de Marot (*).

 

(*) Félix BOVET, op. Cit., p. 133.

 

Dans une autre petite ville, raconte Jean Rou (*), le bailli, sollicité par un curé séditieux, envoya faire défense à un serrurier de la religion, qui demeurait vis-à-vis de l'église, de plus chanter des psaumes dans sa boutique; le service de la messe, au sentiment du bon prêtre, était troublé tous les matins par ce chant importun, et il ne l'était pas par les perpétuels coups de marteau du cyclope et par le retentissement aigu de sa lime. Comme le serrurier ne se pressa pas d'obéir aux premiers ordres, on réitéra la défense, qui lui fut même signifiée par un sergent dans toutes les formes de la justice, et parce qu'il fallait que le sergent écrivit sur son exploit la réponse de l'assigné, le pauvre homme représenta qu'il n'avait rien à répondre. — Mais il faut bien que je mette quelque chose. — Ha ! bien, dit le serrurier, mettez donc

Jamais ne cesserai

De magnifier le Seigneur;

En ma bouche aurai son honneur

Tant que vivant serai».

 

(*) Félix BOVET, op. Cit., p. 133.

 

Baulacre, qui rapporte la même anecdote, ajoute que le bailli, qui trouvait son curé trop vétilleux, s'écria en lisant cette singulière réponse : «Ah ! parbleu, qu'on le laisse magnifier le Seigneur, tant qu'il voudra ! Pour moi, je ne veux plus m'en mêler».