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Le Chrétien et la Bataille des Peuples

 

par H. Rossier

 

écrit en 1914

 

Des événements inouïs se déroulent sur la scène du monde : «Nation s’élève contre nation, et royaume contre royaume», selon la parole du Seigneur ; toutefois ces événements ne sont pas même le commencement de douleurs dont parle l’Écriture. (Matth. 24:8). Mais une chose est certaine, c’est qu’ils mettent à une très sérieuse et angoissante épreuve le cœur des enfants de Dieu, appartenant à tant de nationalités diverses. Les questions qu’ils se posent sont souvent très diverses ; cependant, nous croyons pouvoir les résumer sous deux chefs.

 

1 — Les nations qui se combattent, peuvent-elles, en quelque mesure que ce soit, prétendre à l’approbation divine dans leurs conflits ? Cette approbation se manifeste-t-elle par les succès remportés de part ou d’autre ?

Jadis, Dieu avait acquis pour Lui-même un peuple terrestre : Il l’avait racheté d’Égypte, séparé des nations, béni de toute sorte de bénédictions extérieures, tout en le plaçant sous la responsabilité de garder la loi juste et sainte qui lui était imposée. Ayant dépossédé les nations devant son peuple, Il s’était servi de lui pour les exterminer sans merci, car «leur iniquité était venue à son comble». L’Éternel tenait le parti d’Israël ; «le Dieu des armées» (mot qui signifie les armées célestes), était le Dieu d’Israël et conduisait les armées d’Israël à la victoire. Livré à lui-même, ce peuple abandonna le Dieu de ses pères et l’Éternel «ne sortit plus avec ses armées» (Ps. 44:9). Il les livra à toutes les armées des nations (surtout de l’Assyrie et de Babylone) qui devinrent «la verge de la colère» de Dieu contre son peuple (És. 10:5). Une dernière transgression, pire que toutes les autres, le rejet du Christ, Fils de Dieu, Roi d’Israël, amena le jugement définitif sur ce peuple. Dieu se détourna de lui, déclarant qu’il «n’était plus son peuple» (Osée 1:9). Les Juifs sont maintenant dispersés ; Jérusalem est «foulée aux pieds des nations» (Luc 21:24) ; mais, dans un avenir plus ou moins prochain, quand «les temps des nations seront accomplis», Dieu jugera ces dernières, brisera définitivement dans sa colère, comme Il l’avait déjà fait occasionnellement dans le passé, celles qui étaient devenues sa verge pour châtier son peuple terrestre, et reprendra, par une nouvelle alliance, ses relations interrompues avec Israël, car Dieu est fidèle, malgré tout, aux promesses qu’Il a faites à ce peuple.

 

L’infidélité d’Israël et son rejet de Christ ont ouvert une nouvelle période de l’histoire de l’homme, dans laquelle les nations occupent la place que les Juifs avaient perdue. C’est l’économie de la grâce, en contraste avec celle de la loi. Le Dieu d’Israël est devenu le Dieu des nations, mais seulement sur le pied de la foi (Rom. 3:29-30). Dieu a désormais, d’entre les nations, un peuple à Lui, sauvé par la foi, baptisé du Saint Esprit, uni en un seul corps (Juifs et Gentils) avec son Chef glorieux dans le ciel. Ce peuple de croyants est entièrement distinct du monde, dont Dieu l’a retiré pour être à Lui. Les nations forment, il est vrai, actuellement en grande partie la Chrétienté, mais la chrétienté n’est pas le peuple de Dieu ; elle est la corruption du christianisme. Dieu la jugera, elle aussi, sans merci, précisément parce qu’elle porte le nom de Christ et se contente d’une vaine profession sans vie et sans la foi qui sauve. La Chrétienté, malgré les apparences, n’est pas autre chose que le monde. Aujourd’hui le monde porte le nom de Christ, sans lui être aucunement soumis comme à son Seigneur et Sauveur. Le prince de ce monde est Satan et non pas Christ. Satan s’est acquis ce titre en poussant non seulement Israël, mais aussi les nations, à se débarrasser du Fils de Dieu, et à le clouer à la croix (Actes 4:27).

 

Or ce sont ces peuples, constituant les nations chrétiennes, qui se combattent aujourd’hui, du reste sans aucun scrupule d’associer à leurs querelles Mahométans, Bouddhistes ou Fétichistes, tandis que le Seigneur ne reconnaît comme sien, au milieu d’elles, qu’un peuple qu’Il en a séparé et qui lui appartient en propre. Ce peuple est la race de la foi, la famille de Dieu, l’Assemblée de Christ, l’ensemble des élus, retirés du présent siècle mauvais par l’efficace de Son sang précieux.

 

Dieu est entièrement étranger aux conflits des peuples de la Chrétienté. S’il s’en sert pour l’accomplissement de ses desseins, il n’y participe en aucune manière. Il a ces conflits en horreur, Lui, le Dieu d’amour et le Dieu juste. Comment verrait-il d’un œil indifférent les violations d’engagements solennels, les massacres, les fusillades, les incendies, les pillages et tout le cortège des douleurs sans nom qui accompagnent les guerres ? «L’Éternel est dans le palais de sa Sainteté... ses yeux voient, ses paupières sondent les fils des hommes. L’Éternel sonde le juste et le méchant, et celui qui aime la violence, son âme le hait» (Ps. 11:4-5). Oui, il hait toutes ces choses, ainsi que ceux qui les commettent.

 

Pourquoi donc les permet-il ? Il n’est pas difficile de répondre à cette question. Ces conflits, provoqués par Satan, sont des jugements de la part de Dieu, jugements destinés à faire réfléchir les hommes, pendant que dure encore le temps de la grâce et que le jour du salut luit encore sur le monde ; destinés à amener les pécheurs à la repentance, en ouvrant leurs yeux sur leur état moral.

 

Depuis 40 ans, il a pu paraître aux hommes qu’ils étaient en progrès : la richesse, le bien-être, une prospérité étonnante, l’épanouissement des arts de la paix, des mœurs douces (dont la correction apparente recouvrait, il est vrai, une corruption profonde), la tranquillité (menacée sans doute à chaque instant par des conflits d’intérêts et d’ambitions ou par l’anarchie), mais enfin la tranquillité maintenue non sans diplomatie, tout cela semblait caractériser le monde. Mais voici que soudain ce beau vêtement tombe, laissant apparaître dans toute l’horreur de leur nudité, la violence, la haine féroce, la furie de la destruction, les impitoyables exécutions, les plus bas instincts, la misère sans nom qui en est la suite. L’homme va-t-il enfin ouvrir les yeux sur son état ? Ces événements sont peut-être le dernier appel de la grâce qui, par les jugements, le pousse à la repentance !

 

Une seconde raison pour laquelle Dieu permet ces choses, c’est que, de l’excès même du mal, Il se sert pour accomplir ses desseins de grâce. Il en a donné la preuve la plus éclatante à la croix. Tout l’effort de Satan contre Christ, toute la haine de l’homme, n’ont servi qu’à établir pour toujours l’œuvre du salut. Il en avait déjà donné une preuve aux premiers siècles de l’histoire du monde : «L’Éternel», est-il dit, «s’assied sur les flots» (littéralement : «sur le déluge») (Ps. 29:10). Quand ses jugements anéantissaient jadis la race des hommes par le déluge universel, il avait en vue le salut de la famille de la foi, réunie dans l’arche. De même aujourd’hui, par le moyen de cet ouragan de destruction, Dieu pousse des milliers de pécheurs à regarder à Lui pour trouver le salut.

 

Une troisième raison c’est que la paix, fruit du sacrifice de Christ, ne peut être établie sur la terre que lorsque celle-ci aura été purifiée par le jugement. Comme aux jours du déluge, l’Éternel considère au delà de la perversité des hommes, au delà des flots du jugement, le sacrifice sur lequel il veut fonder le règne glorieux du Messie (Gen. 8:21).

 

Résumons en deux mots ce qui précède :

 

Dieu ne fut jamais le Dieu des armées qu’en faveur de son peuple terrestre Israël. Il n’est pas le Dieu des armées en faveur des nations, qu’elles soient chrétiennes ou païennes, mais il est le Dieu Sauveur pour ceux qui croient. Il se sert des conflits entre nations comme d’un jugement sur elles. Ce jugement a pour but de pousser les hommes à la repentance ; il amène des âmes à faire partie du peuple de Dieu. Ajoutons enfin que ce jugement sert à dégager les fidèles de toute association avec le monde, pour réaliser leur appel céleste.

 

Nous l’avons dit : Les nations qui forment la chrétienté ne sont pas autre chose, aux yeux de Dieu, que le monde, avec plus de connaissance, mais avec, en sus, une responsabilité considérablement aggravée. C’est pourquoi Dieu ne juge pas les différends qui s’élèvent entre les nations ; car ce sont les nations même, c’est le monde chrétien qu’Il jugera. Il peut, comme il l’a fait souvent et le fait sans doute aujourd’hui, se servir d’une nation comme d’une verge pour frapper les autres, mais, le moment venu, il brisera aussi la verge «qui avait au cœur de dévaster et de retrancher des nations, pas en petit nombre», et qui «se glorifiait contre Celui qui s’en sert» (És. 10:7, 15). Lors de la bataille des rois, au chap. 14 de la Genèse, Dieu s’occupait-il de leurs conflits ? Une seule chose attire tout son intérêt : Lot, un des plus faibles parmi ses saints, est prisonnier, et la victoire remportée par l’homme de foi, Abraham, sur toute cette multitude, a pour but de délivrer ce seul homme. Plus tard, s’Il avait trouvé dix justes à Sodome, la ville impie et corrompue, Il l’aurait, sur l’intercession d’un seul de ses bien-aimés, sauvée de la destruction.

 

Et cependant, direz-vous, les choses qui se passent sous nos yeux ne prouvent-elles pas à l’évidence que Dieu favorise certaines nations ? Nous avons déjà répondu à cette question : oui, dans la mesure où Dieu favorise la verge dont il frappe les autres hommes.

 

Mais vous insistez encore, et combien de fois n’avons-nous pas entendu cette triste parole dans la bouche même des enfants de Dieu ! Dieu est avec notre nation, parce qu’elle combat pour une cause juste. Ah ! je le demande, de quelque côté que vienne cette assertion, peut-il exister, dans les conflits entre nations, une cause juste ?

Il n’y a de cause juste pour Dieu que celle de Jésus-Christ, et les justes, c’est-à-dire ceux qui ont été justifiés par la foi, sont seuls appelés à la défendre et à en être les représentants dans ce monde. Le monde est entièrement étranger à cette cause-là. Comme il n’a pas voulu de la justice de Dieu en Christ, il lui faudra connaître Dieu par ses jugements : «Lorsque tes jugements sont sur la terre, les habitants du monde apprennent la justice» (És. 26:9). Est-ce donc la cause de Christ que les nations embrassent et défendent avec les produits perfectionnés des usines de Krupp et du Creusot, avec les torpilles et les mines sous-marines ? Non, certes ! Et du reste, le combat des justes rencontre-t-il dans ce monde une victoire matérielle ? Ils n’y trouvent que troubles, épreuves, persécutions, mépris, sans aucune compensation. Que dis-je ! Ils ont une seule compensation, mais qui leur suffit parfaitement :

«Dieu est pour nous !» «Les maux du juste sont en grand nombre, mais l’Éternel le délivre de tous» (Ps. 34:19). «Mais grâces à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ !» (1 Cor. 15:57).

 

Les croyants qui se font les défenseurs de la cause et des droits du monde, obtiennent facilement l’approbation de celui-ci, mais ils perdent par là le caractère d’étrangers célestes et leurs jugements ont un cachet terrestre ; ils ont plus ou moins déserté «les sanctuaires de Dieu» (Ps. 73:17). La cause du monde n’est jamais juste, car ce dernier est déjà sous la sentence du Juge. Ce qui est juste, c’est le jugement de Dieu sur lui ! (Rom. 3:8).

 

Mais peut-être direz-vous : les motifs qui poussent les nations et leurs conducteurs les uns contre les autres, et que Dieu seul connaît, sont justes. Vous êtes dans une grande erreur. S’il est vrai que Dieu seul connaît les secrets motifs des cœurs, il est vrai aussi qu’Il nous les a révélés dans sa Parole de vérité. Elle nous enseigne que les motifs du cœur des hommes ne peuvent pas être justes. Celui qui domine sur leurs cœurs est le diable, et ses motifs, déjà manifestés lors de la chute de l’homme dans le jardin d’Éden, furent mis entièrement à découvert à la croix. «Il est meurtrier dès le commencement ; il n’y a pas de vérité en lui. Quand il profère le mensonge, il parle de son propre fonds, car il est menteur et le père du mensonge» (Jean 8:44). La profession chrétienne ne change rien à cet état, mais rend le meurtre et le mensonge encore plus haïssables quand ces professants les commettent. On pourrait objecter qu’il y a peut-être quelque garantie contre ce mal, si des princes chrétiens sont à la tête des peuples. Dieu seul juge de l’état de leur cœur, mais nous n’hésitons pas à dire que dans un conflit comme celui auquel nous assistons il leur serait impossible, s’ils étaient des «enfants de Dieu», de concilier le caractère et les intérêts de Christ avec les motifs du monde qu’ils gouvernent.

 

Examinons donc les motifs qui sont à la base de tous ces conflits entre les nations. L’orgueil d’abord. C’est par lui que Satan empoisonna le cœur du premier homme en lui disant : «Vous serez comme des dieux» (Gen. 3:5). L’orgueil de l’homme, s’il n’usurpe pas encore aujourd’hui la place de Dieu, comme il le fera plus tard à l’apparition de l’Antichrist, de l’homme de péché (2 Thess. 2:4), cherche toujours à occuper la première place dans le monde. L’orgueilleux estime que cette place lui est due ; si elle lui est contestée, il met tout en œuvre pour la revendiquer. Que l’orgueil soit celui des conducteurs, ou d’une caste, ou de la nation tout entière, peu importe : il usurpe la place que les humbles croyants donnent à Dieu seul (*). Si quelque chose s’oppose définitivement à ses vues, l’orgueil à recours à la violence : «L’orgueil les entoure comme un collier ; la violence les couvre comme un vêtement... ils dépassent les imaginations de leur cœur... ils parlent méchamment d’opprimer ; ils parlent avec hauteur» (Ps. 73:6-8). Dieu n’a pas manqué de nous révéler ce qu’Il pense de l’orgueil. La sagesse divine le hait : «Je hais l’orgueil et la hauteur» (Prov. 8:13). L’orgueil trouvera sa rémunération : «L’orgueil va devant la ruine et l’esprit hautain devant la chute» (Prov. 16:18).

 

(*) En disant cela, nous ne voulons en aucune manière infirmer le fait qu’il y a un gouvernement «ordonné de Dieu» (Rom. 13, Prov. 8:15-16) auquel il faut obéir, et que les rois sont tenus de gouverner selon les principes de la justice.

L’ambition est proche parente de l’orgueil, car elle est le désir ardent de s’agrandir aux dépens d’autrui. «La gloire de leur maison s’accroît... ils appellent les terres de leur propre nom» (Ps. 49:11, 16). L’ambition est insatiable, car jamais le cœur de l’homme ne se trouve rassasié de ce que son ambition lui procure. L’orgueil et l’ambition ne tiennent compte d’aucune considération de droit, de justice et d’équité, quand ceux-ci font obstacle à leur désir d’acquérir la prépondérance.

 

Un autre caractère du cœur de l’homme est la jalousie, produite chez ceux qu’offusquent la prépondérance et les succès des autres. Des humiliations passées, la fierté froissée par des prétentions orgueilleuses, font couver dans les cœurs un foyer d’amertume et de ressentiment qui, à la première occasion, se propage comme un incendie.

 

Mais qu’arrive-t-il quand l’orgueil d’une nation rencontre, chez une nation voisine, un autre orgueil, aussi sûr de lui-même et peut-être plus intraitable que lui ? De ce choc naît l’étincelle qui amènera la conflagration générale. De là, entre ces nations, une haine beaucoup plus violente que celle du plus faible vis-à-vis du plus fort, haine poussée jusqu’au désir d’anéantir son rival et à laquelle tous les moyens sont bons pour y parvenir.

 

À tous ces motifs et facteurs du conflit entre nations vient s’ajouter, et ce n’est pas le moindre, la question de leurs intérêts matériels, leur soif de richesse et de prépondérance commerciale. Les rivalités se produisent particulièrement dans ce domaine, chacun cherchant à confisquer à son profit le bien-être des autres. De là un assaut livré par les nations moins favorisées aux positions de nations plus anciennes, positions dont les premières cherchent à s’emparer par la ruse et, quand elles n’y réussissent pas, par la violence.

 

Mais ce n’est pas tout. D’autres nations, moins avancées dans la civilisation, comme la Russie, ne rêvent que conquêtes et cachent leurs appétits insatiables sous le manteau d’une communauté de religion. L’ambition d’une monarchie universelle est à la base de tous leurs désirs.

 

Tous ces motifs, et sans doute bien d’autres encore, ressortent d’un examen impartial des circonstances du monde actuel. Le péché sous toutes ses formes ; l’iniquité et non la justice ; le mépris de Dieu, et non la piété, sont le fondement de cette affreuse guerre et resteront toujours les principes des conflits futurs entre les hommes. Les armements de plus en plus formidables, accumulés depuis quarante ans étaient destinés à soutenir de part et d’autre les prétentions dont nous venons de parler, jusqu’au moment où il n’a plus fallu qu’une étincelle pour amener une conflagration générale. Toutes ces puissances se rejettent l’une sur l’autre la responsabilité de l’attaque et ne voient pas que Satan, s’emparant de tous les cœurs par le péché et les convoitises, avait préparé depuis longtemps le bûcher dont l’incendie est en voie de consumer toute la prospérité matérielle du siècle actuel.

 

À vue humaine, le conflit était donc fatal. Chacun peut rejeter sur son voisin l’incident qui l’a fait naître et qui appartient aux causes secondes. La cause première gît dans le cœur de l’homme : c’est le péché. Mais la chose que le pécheur connaît le moins, c’est son propre cœur. Même le Psalmiste, éclairé de Dieu quant à la connaissance de lui-même, s’écrie : «Connaissance trop merveilleuse pour moi ; si élevée que je n’y puis atteindre !» et sa seule ressource, pour être gardé du mal, est de s’en remettre à la connaissance que Dieu a de lui (Ps. 139:6, 23). Oui, Dieu connaît le cœur de l’homme et nous déclare ceci :

«Le cœur est trompeur, par dessus tout, et incurable ; qui le connaît ! Moi, l’Éternel, je sonde le cœur, j’éprouve les reins ; et cela pour rendre à chacun selon ses voies, selon le fruit de ses actions» (Jér. 17:9-10). Ah ! s’ils y pensaient un seul instant : peuples, empereurs et rois, présidents et généraux, convaincus de péché, au lieu de clamer leur juste cause, seraient muets et glacés d’épouvante, ou bien tombant sur leurs faces, se repentiraient à salut ! En l’absence de cette seconde alternative il ne restera que celle du jugement en un temps futur, pour les grands de la terre comme pour les petits, pour les maîtres du jour comme pour leurs créatures. Ils ne pourront échapper aux yeux scrutateurs du Juge suprême, ceux qui ont proclamé leur «juste cause» à la face de l’univers, tout en réussissant peut-être à cacher à tous leurs contemporains les pensées et les intentions secrètes de leur cœur ! (Ps. 11:5, 7).

 

Il n’y a donc aux yeux de Dieu qu’une seule cause juste, celle de Jésus-Christ. Chrétiens, rangeons-nous autour de son drapeau. Combattons pour cette cause et nous ne serons pas confus. Annonçons à tous les pécheurs qu’au milieu des jugements terribles qui couvrent le monde de ruines et de sang, la grâce de Dieu a pourvu à leur salut éternel. Disons-leur : «Venez, car déjà tout est prêt !» Proclamons hautement qu’il en est temps, qu’aujourd’hui est le jour du salut. Faisons autre chose encore : Prions, intercédons. La prière du juste est d’un grand prix devant Dieu. L’intercession d’un seul des siens a plus de valeur aux yeux de Dieu que toutes les humiliations de commande d’une nation qui, comme telle, ne le connaît pas — et cependant, ces humiliations et ces jeûnes, nous ne les condamnons pas, car ils pourraient mener les âmes à une conversion réelle. Ninive vit momentanément la destruction s’éloigner d’elle pour avoir pris le sac et la cendre à la voix de Jonas. Cette humiliation était l’acceptation du juste jugement de Dieu ; elle était le premier pas dans le chemin du salut bien différente, certes, de cette prière que nous entendons retentir partout : Donne-nous la victoire !

2 — Dans quelle mesure les enfants de Dieu peuvent-ils faire partie des nations en guerre et quelle doit être leur attitude dans ces conflits 

Nous l’avons déjà vu : le chrétien véritable n’est pas plus du monde que ne l’est son Seigneur et Sauveur (Jean 17:14). Son origine est céleste ; il n’est pas, sans doute, «ôté du monde», mais il est «envoyé dans le monde» comme un luminaire pour porter la parole de vie, comme une lettre de recommandation pour faire connaître à tous les hommes le nom de Christ (Phil. 2:15 ; 2 Cor. 3:2). L’ensemble des croyants forme un peuple, acquis par Jésus-Christ, purifié pour Lui-même, zélé pour les bonnes œuvres. Telle est la position du chrétien. Quant à sa nationalité et à son droit de bourgeoisie, la première est du ciel, et le second lui est conservé dans le ciel (Phil. 3:20). De fait, un homme devenu chrétien a abandonné ses privilèges nationaux, car «il n’y a ni Grec, ni Juif . . . barbare, Scythe, esclave, homme libre» (Col. 3:11). C’est sur ce principe qu’agissait l’apôtre Paul, à l’égard de tous ses privilèges judaïques, quand il disait : «Les choses qui pour moi étaient un gain, je les ai regardées, à cause du Christ, comme une perte» (Phil. 3:5-7), tout en reconnaissant à l’occasion la protection que l’État lui accordait comme citoyen romain (Actes 22:25-28).

 

Le chrétien n’a-t-il donc, objecterez-vous, aucune obligation vis-à-vis des autorités du pays qu’il habite ? Bien au contraire ; ces obligations sont grandes et importantes. S’il ne lui est pas permis d’y revendiquer des droits, il y a des devoirs. Son premier devoir est d’être soumis aux autorités et aux magistrats (Rom. 13:1-5 ; Prov. 8:15-16). Si toutefois ceux-ci voulaient lui défendre de rendre témoignage à son Sauveur, ou d’obéir à sa Parole, il lui faudrait enfreindre cette défense et «obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes» (Actes 5:29). Cette réserve faite, il doit aux autorités hommage, honneur, soumission, obéissance.

 

Dans le conflit actuel le chrétien a des devoirs, aussi bien vis-à-vis des autorités militaires que civiles ; mais, dans quelle mesure peut-il obéir à celui qui arme sa main pour tuer son prochain ? Laissons parler ici la conscience individuelle de chaque enfant de Dieu, suivant qu’il est plus ou moins éclairé sur le fait de sa séparation du monde. En tous cas, un chrétien spirituel ne peut guère parler de défendre sa patrie terrestre comme s’il pouvait avoir deux patries. Et si les circonstances l’engagent dans les combats, au lieu d’exposer sa vie pour exterminer son prochain, il l’exposera pour le secourir et le sauver, et son Dieu saura lui en fournir l’occasion. S’il est possible, autant que cela dépend de lui, il vivra en paix avec tous les hommes, ne se vengeant pas lui-même. Si son ennemi a faim, il lui donnera à manger ; s’il a soif, il lui donnera à boire. Il ne sera pas surmonté par le mal, mais surmontera le mal par le bien (Rom. 12:18-21).

 

Il n’embrassera pas la cause des nations, sachant que leurs prétentions à l’approbation de Dieu sont un vain mot et un mensonge. Elles s’aident elles-mêmes, et la victoire est à celle qui possède le plus grand nombre d’armées, de canons et de vaisseaux. Dieu n’a aucune part à ces combinaisons. Ce serait aujourd’hui un singulier spectacle qu’un peuple tout entier, parce qu’il est le peuple de Dieu (et Israël eut en son temps droit à ce titre), se tenant tranquille, confiant en l’Éternel qui combat pour lui, et assistant à la délivrance de l’éternel (Ex. 14:13-14). Singulier spectacle, en effet, et dont la foi seule peut être témoin ! Et que diraient les peuples d’aujourd’hui, si leurs rois et leurs empereurs, pareils au fidèle Josaphat, s’écriaient : «Ô notre Dieu, ne les jugeras-tu pas ? car il n’y a point de force en nous devant cette grande multitude qui vient contre nous, et nous ne savons ce que nous devons faire, mais nos yeux sont sur toi !» Seraient-ils prêts à accepter cette parole de l’Éternel : «Ce n’est point à vous à combattre dans cette affaire ; présentez-vous, et tenez-vous là, et voyez la délivrance de l’Éternel qui est avec vous ?» (2 Chr. 20:12, 17).

Le chrétien comprend que, sous l’économie de la grâce, les guerres ne sont qu’injustice, violation de tout droit, cruautés, haines féroces, carnages, oppression impitoyable des faibles sans défense et des petits par les forts, meurtres, incendies, destruction, et que le Chef qui les conduit n’est pas Dieu, car sa colère est révélée du ciel sur toute injustice (Rom. 1:18), mais un autre Chef, un cavalier monté sur un cheval livide, la Mort ! (Apoc. 6:8).

 

Il est un autre caractère que doit revêtir l’enfant de Dieu au contact de pareilles scènes d’épouvante. Devant ces désolations le cœur de Dieu est ému pour toutes les infortunes. Il est le père des miséricordes et le Dieu de toute consolation. Les entrailles de Jésus étaient et sont encore pleines de compassion en présence des horribles ravages causés par le péché au milieu des hommes. Il sympathise avec les opprimés, avec les prisonniers, avec les fugitifs, avec les pauvres gens pillés, dépouillés, poursuivis par l’ennemi, avec les blessés et les mourants, avec les veuves et les orphelins dans leur affliction. C’est à tous ces déshérités qu’Il vint jadis apporter la bonne nouvelle de la délivrance, mais en outre ses mains restaient toujours ouvertes pour guérir leurs plaies, pour les rassasier de pain, pour donner du repos aux opprimés, pour apporter la vie, là où avait passé la faux de la mort. Le chrétien, participant, par la nouvelle naissance, de la nature divine, possède les entrailles de Jésus-Christ. Ses sympathies iront aux malheureux, quels qu’ils soient, et non pas aux victorieux qui n’en ont nul besoin et ne les lui demandent pas. Peut-être cette active sympathie pourra-t-elle s’exercer, suivant les péripéties de la guerre, tantôt envers un pays, tantôt envers un autre. Ah ! combien elle contraste avec les Te Deum ou les hymnes de victoire des pécheurs qui osent rendre grâces à Dieu, dans leurs cathédrales ou dans leurs temples, pour le succès de leurs armes perfectionnées, succès acheté par tant de massacres !

 

En parlant ainsi nous n’oublions pas que cette sympathie pour les victimes est largement partagée par le monde. Un des sentiments naturels du cœur, un des traits aimables de la nature humaine déchue est la pitié, émue de tant de misères et qui produit en tout lieu un grand élan de générosité et de bienfaisance. Remarquez toutefois que cette pitié se manifestait jadis aussi quand les filles de Jérusalem et une grande multitude suivaient le divin martyr en se frappant la poitrine et en le pleurant. Mais que leur dit Jésus ? «Ne pleurez pas sur moi, pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants». Votre jugement est à la porte, et votre pitié ne pourra vous sauver ! (Luc 23:27-31).

 

D’autre part, nous n’oublions pas non plus que beaucoup de vrais enfants de Dieu donnent leur concours à ces œuvres charitables organisées par le monde, y consacrent leur activité et leur dévouement, les dirigent souvent avec une grande sollicitude, et paient largement de leurs personnes et de leurs biens. Certainement Dieu tient compte de leur travail d’amour, quelque ignorants qu’ils soient du milieu avec lequel ils collaborent, milieu qui fournit si souvent au monde une occasion pour se glorifier et se faire valoir aux yeux des hommes, car jamais il ne pourra se faire valoir par là aux yeux de Dieu. Quoiqu’il en soit, tout ce que le chrétien fait pour Dieu, et par amour envers le Seigneur, trouve sa récompense.

 

Que Dieu donne à ses enfants, en ces temps troublés et fâcheux, de montrer ce qu’est un esprit vraiment chrétien, en évitant les écueils que nous venons de signaler. Qu’il nous donne des cœurs entiers pour Jésus, n’ayant en vue que Lui, des cœurs pressés par l’amour du Christ pour ces centaines de milliers d’âmes que Satan conduit à leur ruine éternelle, des cœurs émus de compassion pour tous les opprimés, et disposés à «leur faire part de nos biens, car Dieu prend plaisir à de tels sacrifices» (Hébr. 13:16), ou, selon cette autre parole : «Comme nous en avons l’occasion, faisons du bien à tous, mais surtout à ceux de la maison de la foi» (Gal. 6:10) ; — des cœurs enfin, pleins d’intercessions pour tous les hommes et pour tous les membres de la famille de Dieu, qui se trouvent mêlés à ces luttes meurtrières où sombrera, peut-être pour toujours, la prospérité des nations.