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LES TROIS COUPES DE LUC 22

 

 

 

Jules Kiehm

ME 1987 p. 253

 

 

C’est au cours de la dernière Pâque avec ses disciples, quelques heures avant la croix, que le Seigneur a institué la Cène, le pain et la coupe, demandant aux siens d’y participer en mémoire de lui.

En Luc 22:14 à 20, il est question de deux coupes différentes ; au verset 17, la coupe de la Pâque, que le Seigneur a bue avec ses apôtres ; au verset 20, la coupe de la Cène, qu’il a donnée à ses disciples en leur disant : «Buvez-en tous» (Matt. 26:27), sans en boire lui-même. La Pâque rappelait la délivrance d’Israël hors d’Égypte selon Exode 12. Mais en Luc 22, il est question de coupes, non mentionnées dans l’Exode. Au temps du Seigneur, les Juifs ne célébraient plus la Pâque exactement comme lors du départ d’Égypte, à la hâte, debout (Ex. 12:11). Un repas assez long se déroulait suivant un rituel déterminé, où les convives étaient étendus sur des lits peu élevés ou divans (c’est ainsi que Jean, à la Pâque, était couché dans le sein de Jésus) ; il y avait sur la table, à côté de l’agneau, des herbes amères, du pain sans levain, des coupes pleines de vin. On en buvait au moins trois : une tout au début de la cérémonie, une pendant le souper proprement dit, et une après le souper, quand l’agneau était mangé. La première, omise dans les évangiles, constituait l’ouverture de la fête pascale ; le père de famille, après y avoir bu et l’avoir passée à tous les convives, lisait dans les livres de Moïse des passages se rapportant à la Pâque et à la sortie d’Égypte, puis on récitait les Psaumes 113 et 114. Alors commençait le repas proprement dit : on vidait la seconde coupe et on mangeait l’agneau, avec du pain sans levain et des herbes amères. C’est de cette coupe que parle Luc 22:17 : le Seigneur la but et la distribua aux douze apôtres, en leur disant qu’il ne boirait plus du fruit de la vigne jusqu’au royaume. L’agneau mangé, on présentait aux convives la troisième coupe (Luc 22:20 : la coupe après le souper, dont le Seigneur a fait la coupe de la Cène), et on récitait les Psaumes 115 à 118. C’est à quoi s’appliquent vraisemblablement les paroles : «Et ayant chanté une hymne, ils sortirent et s’en allèrent à la montagne des Oliviers» (Matt. 26:30). Quelles magnifiques paroles le Seigneur exprima à cette occasion ! (Ps. 116:15 ; 118:22, 23, 27).

Dans cette nuit mémorable, le Seigneur détourne les pensées de ses disciples de la fête d’Israël par excellence : la Pâque ; Il en prend deux éléments accessoires, le pain sans levain et la coupe qui suivait le souper, pour en faire l’essentiel d’une nouvelle fête pour les siens : la Cène, mémorial de sa mort. Si le Seigneur a bu la coupe de la Pâque avec ses disciples, il n’a pas bu celle de la Cène, pas plus qu’il n’a mangé du pain de la Cène, puisque cette fête devait se célébrer après son départ, en souvenir de ses souffrances et de sa mort.

Mais, plus loin (v. 42), Luc nous parle d’une troisième coupe bien différente ; celle-ci, le Seigneur a dû la boire seul : c’est la coupe amère de la colère de Dieu, sujet d’effroi et d’épouvante pour son âme sainte, que dans sa parfaite dépendance et soumission, il accepta de la main du Père en Gethsémané et but jusqu’à la lie pendant les heures de ténèbres de la croix. Qui pourrait sonder cet abîme de souffrances morales de la sainte victime expiatoire, dépassant infiniment les souffrances physiques de la crucifixion ? Le Seigneur avait refusé le vin mixtionné de myrrhe, destiné à atténuer les souffrances des crucifiés en les étourdissant, parce qu’Il voulait éprouver pleinement et consciemment les tortures infligées par la méchanceté de l’homme déchaîné ; mais il a bu «le vin de la fureur de Dieu, versé sans mélange dans la coupe de sa colère» (Apoc. 14:10). Quelle coupe affreuse le Dieu juste fit boire au Juste parfait, quand il dut détourner sa face de lui ! Rappelons-nous ce que disait autrefois le prophète Jérémie (25:15) : «Ainsi m’a dit l’Éternel, le Dieu d’Israël : Prends de ma main la coupe du vin de cette fureur». Et le prophète Ésaïe (51:17) : toi «qui as bu de la main de l’Éternel la coupe de sa fureur, qui as bu, qui as vidé jusqu’au fond le calice de la coupe d’étourdissement».

Ces expressions si frappantes en rapport avec la colère divine nous font entrevoir ce que furent les douleurs morales de l’expiation pour Celui qui resta seul sur la croix, environné des angoisses de l’obscurité profonde, rejeté par la terre, repoussé par le ciel voilé, abandonné par Dieu, dans une détresse indicible ; frappé, maudit, tel fut alors le Christ. Mystère insondable, Dieu ne put répondre à son cri déchirant, parce qu’il plut à l’Éternel de le meurtrir (És. 53:10). Boire cette coupe de colère, c’était pour Christ être meurtri, broyé, blessé dans ses affections et ses sentiments les plus intimes, comme nous l’enseignent bien des types de l’Ancien Testament : la manne, broyée sous la meule ou pilée dans le mortier (Nomb. 11:8) ; les drogues odoriférantes et l’encens pilés très fin (Ex. 30:36) ; les grains broyés de l’offrande de gâteau des premiers fruits (Lév. 2:14).

Celui qui a vidé la coupe amère à notre place nous présente maintenant, dans la Cène, une coupe de joie, de délivrance. Nous avons assisté, impuissants et passifs, à cette lutte gigantesque contre les puissances des ténèbres ; le Seigneur a été seul pour lutter et pour vaincre, mais il nous associe à lui pour jouir des fruits de sa victoire (1 Sam. 30:24). Ne le privons pas de la réponse qu’il attend, lui qui, en instituant le mémorial pour le temps de son absence, a demandé à ceux pour lesquels il a tant souffert : «Faites ceci en mémoire de moi» (1 Cor. 11:24).