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L’ÉGLISE : UNE ESQUISSE DE SON HISTOIRE PENDANT VINGT SIÈCLES

 

Adrien Ladrierre

 

 

Table des matières abrégée :

1     Les premiers siècles — L’ère des persécutions

2     Les premiers siècles — L’incorporation au monde

3     L’Église au Moyen Âge — Croissance de la chrétienté

4     L’Église Romaine et sa Domination

 

 

Table des matières complète :

1     Les premiers siècles — L’ère des persécutions

1.1      Les chrétiens sous Trajan — Lettres de Pline et de Trajan (103-107)

1.2      Martyre d’Ignace

1.3      Justin martyr

1.4      La persécution en Asie mineure et le martyre de Polycarpe

1.5      Les martyrs de Lyon et de Vienne vers l’an 177

1.6      Les martyrs de Carthage vers l’an 202

1.7      Répit dans les persécutions

1.8      Persécution sous Décius

1.9      Persécution sous Valérien — Martyre de Cyprien

1.10     La dernière grande persécution sous Dioclétien

1.11     Les apologies du Christianisme

1.12     Attaques contre le christianisme

1.12.1      Attaques contre le christianisme venues du dehors

1.12.2      Attaques contre le christianisme venues du dedans

1.13     Les Saintes Écritures

1.14     Propagation du christianisme

1.15     Le culte chez les chrétiens durant l’ère des persécutions

1.16     Comment on était reçu au nombre des fidèles

1.17     Le gouvernement de l’Église

2     Les premiers siècles — L’incorporation au monde

2.1      L’Église s’associe au monde sous Constantin

2.2      Arius et le Concile de Nicée

2.3      Le Concile de Nicée

2.4      Athanase

3     L’Église au Moyen Âge — Croissance de la chrétienté

3.1      L’origine et les commencements de la vie monacale

3.1.1       Histoire d’Antoine

3.1.2       Après Antoine

3.2      Ambroise, Évêque de Milan (374 à 397)

3.3      Jean Chrysostôme et son temps (De l’an 347 à 407)

3.4      Quelques hommes remarquables de l’Église d’Orient

3.5      Quelques hommes remarquables de l’Église d’Occident

3.5.1       Hilaire de Poitiers

3.5.2       Jérôme

3.5.3       Augustin

3.6      Le pape Léon Ier, dit le Grand (440 à 461)

3.7      Le christianisme introduit en Écosse et en Irlande

3.7.1       Écosse

3.7.2       Écosse - Ninian

3.7.3       Irlande - Patrick

3.7.4       Colomba

3.7.5       Colomban

3.8      Grégoire le Grand

3.9      La mission d’Augustin en Angleterre et ses suites

3.10     Rome triomphe en Angleterre

3.11     Nestorius et les Nestoriens

3.12     Eutychès et les Arméniens

3.12.1      Eutychès

3.12.2      Arméniens

3.13     Diverses formes religieuses

3.14     Mahomet et sa religion

4     L’Église Romaine et sa Domination

4.1      La Papauté et le Papisme

4.2      La Papauté

4.3      Le Papisme

4.3.1       Les sacrements dans ‘Église Romaine

4.3.2       La Confirmation et la Pénitence

4.3.3       L’Eucharistie (la Cène), la Messe, le saint sacrement, la transubstantiation

4.3.4       L’Extrême-Onction, l’Ordre et le Mariage

4.3.4.1     L’extrême-onction

4.3.4.2     L’ordre, l’ordination

4.3.5       Le culte de la Vierge

4.3.6       L’Invocation des saints

4.3.7       Les reliques et le culte des images

4.3.7.1     Les reliques

4.3.7.2     Les images

4.3.8       Le Purgatoire

4.3.9       Les Indulgences

4.3.10      L’Inquisition

 

 

 

1                        Les premiers siècles — L’ère des persécutions

Le Seigneur Jésus avait dit à l’assemblée de Smyrne : « Ne crains en aucune manière les choses que tu vas souffrir. Voici, le diable va jeter quelques-uns d’entre vous en prison, afin que vous soyez éprouvés : et vous aurez une tribulation de dix jours ». Ainsi Jésus annonçait à ses saints un temps de persécution, limité cependant. À dix reprises différentes, il serait permis à l’ennemi de déployer sa fureur contre les chrétiens, mais ce ne devait être que pour montrer la puissance du Seigneur se manifestant dans de faibles instruments. Il les soutiendrait au milieu des souffrances de toutes sortes et à travers la mort même qu’ils auraient à subir pour son nom. « Qui est celui qui est victorieux du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu », dit l’apôtre Jean (1 Jean 5:5). Ces martyrs donnaient leur vie pour l’amour de Celui qui les avait aimés.

Nous désirons présenter quelques exemples de cette victoire remportée sur le monde par ceux qui croyaient en Jésus, le Fils de Dieu. Puissent ces exemples nous encourager à tenir ferme pour Christ dans un monde qui est toujours le même, bien que sa haine contre Dieu et son Fils ne se montre pas maintenant sous la même forme.

 

1.1   Les chrétiens sous Trajan — Lettres de Pline et de Trajan (103-107)

À la fin du premier siècle et durant la première partie du second, le refus persistant des chrétiens de prendre part à aucun acte du culte, soit en l’honneur des dieux ou pour rendre hommage à l’empereur, commença à attirer sur eux l’attention du gouvernement romain. Il y avait une loi contre toutes les religions non sanctionnées par l’État, et cette loi pouvait, d’un moment à l’autre, être mise en vigueur. C’était une épée constamment suspendue sur la tête des chrétiens. Ils couraient aussi le danger d’être amenés devant les gouverneurs à cause des troubles et séditions fomentés contre eux par les prêtres des idoles, par ceux qui fabriquaient des images, et qui craignaient, comme Démétrius, que leur métier ne fût réduit à néant, et enfin par tous ceux qui vivaient des spectacles et des jeux publics, auxquels on ne voyait pas assister les disciples de Christ. Ils se souvenaient qu’ils n’étaient pas du monde, comme leur Maître n’en était pas. De plus, vers cette époque, il circulait d’étranges accusations contre ceux dont le monde ne savait guère que ce fait, qu’ils vivaient à part de lui. Par crainte de la persécution qui ne sommeillait jamais longtemps, ils étaient obligés de se réunir en secret, et il ne manquait pas de gens pour insinuer que dans ces réunions il se passait des choses qui n’auraient pas supporté la lumière.

De bonne heure, sous le règne de Trajan, un édit avait été rendu, déclarant illégales toutes les corporations et associations. On voit aisément combien cette loi mettait en danger toutes les petites communautés de chrétiens, unis entre eux comme frères en Christ par le lien le plus puissant.

Dieu a permis qu’un témoignage clair et non suspect nous fût conservé de ce qu’était alors la situation des chrétiens vis-à-vis de ceux qui les entouraient et du gouvernement romain. Ce sont les lettres échangées entre l’empereur Trajan et le célèbre écrivain Pline le jeune, ami de l’empereur. Elles jettent aussi du jour sur la persécution qui sévissait alors.

Pline avait été envoyé comme gouverneur des provinces du Pont et de la Bithynie dans l’Asie mineure. Des personnes avaient été amenées devant lui accusées de christianisme. Le cas était nouveau pour lui, il ne savait comment agir à l’égard de ce genre de délit, et, dans sa perplexité, il demanda conseil à l’empereur, en lui exposant comment jusqu’alors il avait procédé contre les accusés. Voici quelques passages de sa lettre :

« Avant de venir dans cette province », dit-il, « je n’avais jamais eu l’occasion d’assister à un interrogatoire de chrétiens. Je ne sais donc comment agir et décider, soit dans l’instruction de leur cause, soit dans le châtiment à infliger. Faut-il punir comme si être chrétien est en soi-même un crime, ou bien seulement s’il est accompagné d’autres délits ? Faut-il faire quelques différences en tenant compte de la jeunesse ou de l’âge des accusés ?… En attendant, voici comment j’ai procédé à l’égard de ceux qui étaient amenés devant moi comme chrétiens. Je leur ai demandé s’ils étaient des chrétiens. Le confessaient-ils, je réitérais ma question une seconde et une troisième fois en les menaçant de mort, s’ils persistaient. Persévéraient-ils dans leur confession, j’ordonnais qu’ils fussent emmenés, les uns pour être exécutés, les autres, comme citoyens romains, pour être envoyés à Rome, afin d’y être jugés ».

Pline donne de sa sentence la raison suivante : « Je ne mettais pas en doute que, quoi qu’il en fût de leur confession, leur obstination ne dût être punie ».

L’écrivain continue : « Il m’a été remis récemment une accusation anonyme qui renfermait les noms d’un certain nombre de personnes. Les ayant interrogées, quelques-unes nièrent d’être ou d’avoir été chrétiennes, invoquèrent les dieux comme je le leur prescrivis, offrirent devant tes images de l’encens et du vin, et injurièrent le nom de Christ — toutes choses, m’a-t-on dit, auxquelles on ne peut forcer un vrai chrétien. C’est là le résumé de leur erreur. Je trouvai donc bon de les relâcher. D’autres confessèrent d’abord qu’ils étaient chrétiens, mais ensuite le nièrent… Quant à leur précédente religion — qu’elle soit une erreur ou un délit, — voici ce qu’ils déclarèrent : ils ont coutume de se réunir un certain jour avant le lever du soleil et de chanter ensemble une hymne à Christ comme à un Dieu. Puis ils s’engagent par serment à s’abstenir du mal, à ne commettre ni fraude, ni vol, ni adultère, et à ne pas manquer à leur parole. Après cela, ils ont l’habitude de se séparer pour se rassembler plus tard dans la journée et de prendre part ensemble à un repas simple, paisiblement, et sans aucun scandale. Mais ils ont laissé cette dernière coutume depuis l’édit rendu par ton commandement et qui défendait tout rassemblement ».

Pline était un philosophe, un homme poli et raffiné, bienveillant et généreux, et cependant il n’hésitait pas à employer le moyen le plus barbare pour découvrir toute la vérité touchant ce qu’il traitait de « superstition absurde », vérifiant ainsi la parole de l’apôtre, « sans miséricorde » quand il s’agissait des enfants de Dieu, haïs comme Jésus l’avait été, méconnus du monde comme Lui. Voici comment il continue :

« Après ce rapport, il me sembla d’autant plus nécessaire d’interroger, en leur appliquant la torture, deux femmes, de celles qu’ils nomment diaconesses (*). Mais sauf une méchante et absurde superstition, je n’ai rien pu tirer d’elles… Le nombre des accusés est si grand que l’affaire mérite une sérieuse considération. Beaucoup de personnes des deux sexes, de tout âge et de toute condition, sont accusées, et un plus grand nombre encore le seront, car la contagion de cette superstition a envahi non seulement les villes, mais les plus petits endroits et les campagnes ».

 

(*) Nos lecteurs savent que ce mot désigne des « servantes », des personnes chargées dans l’assemblée d’un service spécial, comme Phoebé (Romains 16:1).

Pline dit ensuite qu’à son arrivée, les temples étaient presque abandonnés, que les cérémonies sacrées étaient interrompues depuis longtemps, et que les victimes pour les sacrifices ne trouvaient que de rares acheteurs. Mais il laisse voir en même temps que ses efforts pour arrêter les progrès de la superstition n’ont pas été vains, et il termine en disant : « On peut penser qu’un grand nombre pourront être ramenés, si le pardon est assuré à ceux qui se repentent ».

L’empereur répondit à Pline : « Tu as parfaitement agi, mon cher Pline, dans ta manière de procéder à l’égard des chrétiens amenés devant toi. Il est évident que dans des affaires de ce genre, on ne peut poser aucune règle générale. Ces gens ne doivent point être recherchés. Mais s’ils sont accusés et convaincus d’être chrétiens, ils doivent être punis de mort, avec cette restriction toutefois, que si quelqu’un renonce au christianisme et le prouve en invoquant les dieux, on le renverra absous à cause de son repentir, qu’elle qu’ait été sa conduite antérieure. En aucun cas, les dénonciations anonymes ne doivent être reçues ; elles sont un moyen dangereux et qui ne s’accorde nullement avec les principes de notre temps ».

Telle fut la réponse du puissant empereur au philosophe son ami, en un temps qui se vantait de ses lumières et de son urbanité. Mais la parole de la croix a toujours été une folie pour les sages et les intelligents de ce siècle. Combien il eût été facile à ces chrétiens méprisés de sauver leur vie en jetant dans le feu quelques grains d’encens et en s’inclinant devant la statue de l’empereur ! Mais ceux qui suivaient cette « superstition » absurde et incompréhensible pour l’esprit du Romain lettré, savaient bien ce que voulait dire cette cérémonie insignifiante en apparence. Ils refusaient de racheter leur vie en étant infidèles à Christ. Ils gardaient sa parole et, comme le proconsul lui-même est forcé de l’avouer, ils ne voulaient pas renier son nom. Ah ! demandons au Seigneur cette même fidélité, pour être gardés purs des souillures du monde.

Les lettres dont je viens de donner des citations, sont importantes à plus d’un égard. D’abord, bien qu’il ne s’agisse que d’une province de l’empire, nous voyons par un témoignage irrécusable que le christianisme, la foi au Christ comme Dieu, était déjà considérablement répandu, au point de faire presque disparaître le paganisme dans cette province. On comprend que Satan fît tous ses efforts pour garder ses forteresses contre la puissance de la vérité. On voit aussi quelle était cette puissance dans les cœurs et la vie de ceux qui croyaient. En effet, le seul crime dont on pouvait accuser et convaincre les chrétiens, était le refus d’adorer les images de l’empereur, d’invoquer les dieux et de maudire Christ, celui qu’ils regardaient comme leur Dieu Sauveur ; mais leur vie était sans reproche. Ce témoignage d’un païen en faveur des chrétiens de cette époque est bien puissant.

Remarquons encore ce que Pline dit de leurs assemblées, d’après le rapport qui lui en est fait, et qui est confirmé sous la torture même. Ils se réunissaient pour chanter les louanges de Christ et prendre un repas en commun. Il s’agit sans doute de la Cène du Seigneur et des agapes ou repas d’amour qui l’accompagnaient souvent, comme on le voit à Corinthe (1 Corinthiens 11). À cette époque, les assemblées des chrétiens étaient caractérisées par la simplicité. Le souvenir du Seigneur dans sa mort, « annoncer » cette mort, en constituait le fond. Il serait à désirer que ce fût aussi maintenant le caractère des réunions de ceux qui croient en Jésus.

Une circonstance bien intéressante et qui montre d’une manière touchante les soins de Dieu pour les siens, est le lieu où se passaient ces scènes entre le savant et riche gouverneur Pline, et les pauvres et humbles chrétiens. C’était en Bithynie et dans le Pont. Or si nous lisons le commencement de la première épître de Pierre, nous verrons qu’elle est adressée « à ceux de la dispersion, du Pont, de la Galatie, de la Cappadoce, de l’Asie et de la Bithynie ». Elle était donc envoyée aux pères des saints martyrs du temps de Trajan. Peut-être quelques-uns vivaient-ils encore, et il n’est pas invraisemblable que l’apôtre Pierre ait travaillé parmi eux. Combien les exhortations et les encouragements de cette épître étaient à propos pour ceux qui comparaissaient devant Pline dans ces temps difficiles ! Ils se souvenaient sans doute de ces paroles, bien propres à les fortifier : « Si vous souffrez pour la justice, vous êtes bienheureux ; ne craignez pas… et ne soyez pas troublés, mais sanctifiez le Seigneur le Christ dans vos cœurs ; et soyez toujours prêts à répondre, mais avec douceur et crainte, à quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous » (1 Pierre 3:14-15). Quelle consolation pour eux de se rappeler que « les yeux du Seigneur sont sur les justes et ses oreilles… tournées vers leurs supplications ». Quelle réalité dans ces autres Paroles : « Bien-aimés, ne trouvez pas étrange le feu ardent (la persécution) qui est au milieu de vous, qui est venu sur vous pour votre épreuve, comme s’il vous arrivait quelque chose d’extraordinaire ; mais en tant que vous avez part aux souffrances de Christ, réjouissez-vous, afin qu’aussi, à la révélation de sa gloire, vous vous réjouissiez avec transport » (1 Pierre 3:12 ; 4:12-13). C’était là le secret de leur force, de leur constance et de leur patience au milieu des souffrances. L’espérance de la gloire et d’un bonheur ineffable, remplissait déjà leur cœur de joie. « Vous vous réjouissez », dit encore l’apôtre, « tout en étant affligés maintenant pour un peu de temps par diverses tentations, si cela est nécessaire ». Puis, de nouveau, il tourne leurs regards vers le moment heureux où apparaîtra Jésus, « lequel », dit-il, « quoique vous ne l’ayez pas vu, vous aimez » (1 Pierre 1:6, 8). Oui, c’était l’amour pour Celui qui avait donné sa vie pour eux, qui les rendait à leur tour « fidèles jusqu’à la mort ». Que pouvaient contre de telles gens qui avaient en vue « un héritage incorruptible », qui étaient « gardés par la puissance de Dieu » pour un si heureux avenir, que pouvaient contre eux les menaces et les châtiments d’un Trajan ou d’un Pline ? Et en même temps, ils étaient soumis à l’autorité royale suivant l’exhortation de l’apôtre : « Soyez soumis à tout ordre humain pour l’amour du Seigneur, soit au roi etc ». Par leur vie, comme par leurs paroles, ils annonçaient les vertus de Celui qui les avait « appelés des ténèbres à sa merveilleuse lumière » (1 Pierre 1:2-5 ; 2:9, 13).

N’admirons-nous pas le tendre soin de Dieu en donnant cette épître à ces pauvres persécutés ? Relisez-la, et vous verrez comme tout s’appliquait bien à eux. Mais elle s’adresse aussi à nous. Bien que nous ne souffrions pas comme eux, nous aussi avons à nous conduire avec crainte pendant notre séjour ici-bas, et à être saints comme Celui qui nous a appelés est saint. Nous aussi, nous sommes exhortés à marcher ici-bas comme étrangers et forains, nous abstenant des convoitises charnelles qui font la guerre à l’âme, car nous aussi, si nous avons cru en Jésus et si nous l’aimons, nous avons part à l’espérance vivante, et à l’héritage, et au salut réservé à ces saints martyrs. Puissent nos cœurs, comme les leurs, être attachés au Seigneur.

Un mot encore. La vérité, par la bouche de ces humbles témoins, était portée devant les gouverneurs et les princes de ce monde, qui, s’ils s’y opposaient, étaient ainsi sans excuse. Et il en fut ainsi pendant tous ces temps de persécutions, selon la parole du Seigneur : « Vous serez menés même devant les gouverneurs et les rois, à cause de moi, en témoignage à eux et aux nations » (Matthieu 10:18). Nous parlerons maintenant de quelques-uns des martyrs dont les noms et les actes nous sont parvenus.

 

1.2   Martyre d’Ignace

Aucun fait dans l’histoire de l’Église primitive n’a été conservé avec plus de soin que le martyre d’Ignace ; aucun récit de ce temps n’est plus célèbre que son voyage d’Antioche à Rome comme prisonnier dans les chaînes.

Ignace était l’un des disciples immédiats de l’apôtre Jean, et évêque ou surveillant de l’assemblée d’Antioche, depuis environ l’an 70. Nous nous souvenons que c’est dans cette grande ville, la capitale de la Syrie et l’une des plus importantes cités de l’empire romain, qu’après les travaux bénis de Paul et de Barnabas, les disciples du Seigneur furent premièrement nommés chrétiens (Actes 11).

Vers l’an 107, l’empereur Trajan se dirigeant vers l’Orient pour combattre les Parthes, passa par cette ville. Il est difficile d’assigner les raisons qui portèrent l’empereur à persécuter les chrétiens durant son séjour à Antioche. Était-ce qu’enflé par ses victoires, il ne pouvait supporter la pensée qu’il y eût dans ses États des gens qui refusaient d’adorer les dieux qui, selon lui, l’avaient rendu vainqueur ? Ou bien voulait-il se rendre propices ceux-ci en persécutant les chrétiens ? On ne sait, mais il menaça de punir de mort quiconque à Antioche refuserait de sacrifier aux dieux.

Désireux de détourner, en l’attirant sur sa tête, l’orage qui menaçait son troupeau, Ignace demanda d’être conduit devant l’empereur pour lui exposer le vrai caractère et la position des chrétiens, et, s’il le fallait, afin de s’offrir pour eux à la mort. Ainsi Trajan fut mis face à face avec cette « absurde superstition », dont jusqu’alors il avait seulement entendu parler. Ainsi, comme au temps de Paul, témoignage fut rendu à l’Évangile devant les grands de la terre, les rendant inexcusables s’ils le rejetaient.

Voici ce que des écrivains anciens rapportent de l’entrevue de l’empereur avec le vénérable évêque. Trajan s’adressant à lui, dit : « Es-tu celui qui, semblable à un démon pernicieux, persévère à contrevenir à mes ordres et entraîne les hommes dans la perdition ? »

— Que personne, répond Ignace, n’appelle Théophore [« Théophore » veut dire celui qui porte Dieu] un démon pernicieux.

— Et qui est Théophore ?

— Celui qui porte Christ dans son cœur.

— Ne crois-tu donc pas qu’ils résident en nous, les dieux qui combattent pour nous contre nos ennemis ?

— Tu te trompes, en appelant dieux les démons des nations ; car il n’y a qu’un seul Dieu qui a fait le ciel, et la terre, et la mer, et tout ce qui est en eux ; et un seul Jésus Christ, son Fils unique, duquel le royaume est ma portion.

— Tu veux dire le royaume de Celui qui fut crucifié sous Pilate ?

— Oui, de Celui qui a crucifié mon péché avec son auteur, et qui a mis le péché tout entier et la malice de Satan sous les pieds de ceux qui Le portent dans leurs cœurs.

— Portes-tu en toi Celui qui a été crucifié ?

— Oui, car il est écrit : J’habiterai en eux et je marcherai en eux.

L’empereur coupa court à l’entretien, en rendant cette sentence : « Puisque Ignace confesse qu’il porte en lui celui qui a été crucifié, nous ordonnons qu’il soit conduit, lié par des soldats, à la grande Rome, afin d’y être déchiré par les bêtes, pour l’amusement du peuple ».

Ce châtiment était réservé aux pires criminels, particulièrement à ceux qui étaient convaincus d’exercer les arts magiques, ce dont les chrétiens étaient souvent accusés. Ignace écouta avec joie cette sentence cruelle, heureux d’être jugé digne de souffrir pour le nom de Christ et comme offrande pour les saints ; se réjouissant, comme autrefois le bienheureux apôtre Paul, d’être lié et conduit à Rome.

Ignace fut donc livré à dix soldats qui, sans égard pour son âge avancé, semblent l’avoir traité avec une grande dureté. Il écrivait aux chrétiens de Rome, leur envoyant sa lettre par des messagers qui suivaient une route plus courte que celle par laquelle il était conduit : « Depuis la Syrie, et jusqu’à Rome, je suis abandonné aux bêtes sauvages sur mer et sur terre ; de jour et de nuit je suis lié à dix léopards, une bande de soldats qui, même lorsque je leur fais du bien, se montrent envers moi d’autant plus cruels ».

Il fut conduit par mer à Smyrne, où il lui fut permis de voir Polycarpe, évêque de cette ville qui, lui aussi, avait été disciple de l’apôtre Jean. Plusieurs autres chrétiens vinrent le saluer et lui demander sa bénédiction. Il écrivit à différentes assemblées, en particulier à celles d’Éphèse et de Rome, des lettres qui ont été conservées. Dans ces lettres d’adieu, il insiste beaucoup sur la grande vérité de l’humanité réelle de Christ. Il met en garde ceux à qui il écrivait contre la mauvaise doctrine qui se glissait parmi les chrétiens, et qui enseignait que le Seigneur n’avait pas eu un corps réel, et qu’ainsi tout ce qu’il avait fait durant sa vie ici-bas, de même que ses souffrances et sa mort, n’avait été qu’une apparence. Ignace combat aussi les docteurs judaïsants, c’est-à-dire ceux qui, déjà du temps de Paul, voulaient mêler la loi à l’Évangile (*). Il faut malheureusement ajouter qu’à ces choses excellentes, Ignace en mêle beaucoup d’autres erronées, surtout par rapport à l’autorité des évêques dans les assemblées. Ses enseignements à cet égard montrent le commencement de l’établissement du clergé remplaçant dans l’Assemblée l’action de l’Esprit Saint.

 

(*) L’apôtre Paul les combat, surtout dans l’épître aux Galates.

Mais Ignace n’en était pas moins un bien-aimé saint de Dieu, un fidèle serviteur et témoin de Christ, pour qui il donnait sa vie. Dans sa lettre aux chrétiens de Rome, il les prie de ne rien faire pour empêcher qu’il soit livré aux bêtes : « Vous ne pouvez », dit-il, « me donner rien de plus précieux que ceci : que je sois offert à Dieu en sacrifice, tandis que l’autel est prêt… Priez seulement pour que la force me soit donnée, afin que non seulement je sois appelé chrétien, mais que je sois vraiment trouvé tel ». Et il dit encore : « Laissez-moi devenir la proie des lions et des ours ; ce sera pour moi un très court passage au ciel ».

Cependant les gardiens d’Ignace hâtaient leur voyage, craignant de ne pas arriver avant la fin des jeux où le martyr devait être exposé à la fureur des bêtes féroces. Aussi assistèrent-ils, sans doute, avec impatience à la scène touchante qui se passa avant qu’ils entrassent dans la cité impériale. Aux approches de Rome, ils rencontrèrent une foule de personnes qui sortaient de la ville. C’étaient des chrétiens affligés qui venaient au-devant d’Ignace. Malgré sa lettre, ils le suppliaient de leur permettre de faire leurs efforts pour le sauver ; mais il n’y consentit point. Les soldats accordèrent à Ignace quelques instants pour prier avec ses frères et leur adresser quelques paroles. Il s’agenouilla avec eux et demanda à Christ de mettre fin à la persécution, car il espérait qu’il lui serait donné de mourir pour son troupeau, et qu’ainsi les faibles brebis qu’il aimait tant, échapperaient. C’était le dernier jour des jeux, et il fut conduit immédiatement à l’amphithéâtre.

On voit encore à Rome l’arc de triomphe bien conservé qui fut élevé en l’honneur de Titus, vainqueur des Juifs. Non loin se trouvent les ruines d’un vaste cirque nommé le Colisée. Près de l’endroit où se trouvaient les fameux jardins de Néron, dans un enfoncement de terrain situé entre deux des collines sur lesquelles Rome était bâtie, cet empereur avait fait un lac artificiel. Titus l’avait fait dessécher et avait commencé à faire construire sur cet emplacement un cirque immense, destiné à contenir 80000 spectateurs. C’était le Colisée. On dit que les Juifs captifs furent employés à élever ce gigantesque édifice. Ses dimensions étaient telles que l’arène centrale ayant été une fois remplie d’eau, on put y donner au peuple romain le simulacre d’un combat naval. Mais habituellement il était réservé aux combats de gladiateurs entre eux ou contre des bêtes féroces. Aux jours de fête, des scènes terribles de luttes sanglantes et de carnage avaient lieu dans cette arène. Les Romains les contemplaient et y applaudissaient du haut de leurs sièges disposés en gradins, garantis par des filets à mailles d’or suspendus à des poteaux d’ivoire, de la fureur des bêtes féroces, rendues plus terribles par la faim.

C’est là que le vénérable évêque d’Antioche, épuisé par l’âge et par la fatigue de son long voyage, fut livré aux bêtes sous les yeux de milliers de spectateurs. Il fut bientôt mis en pièces et dévoré par elles. Le vieux pèlerin fatigué entra ainsi dans le repos du paradis de Dieu, auprès de Celui pour qui il avait donné joyeusement sa vie. Il pouvait dire avec Paul : « J’estime que les souffrances du temps présent ne sont pas dignes d’être comparées avec la gloire à venir qui doit nous être révélée… Qui est ce qui nous séparera de l’amour du Christ ? Tribulation, ou détresse, ou persécution, ou famine, ou nudité, ou péril, ou épée ? … Au contraire, dans toutes ces choses, nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés » (Romains 8:18, 35, 37).

Les amis d’Ignace ne purent recueillir de ses restes que quelques os. Il fut le premier chrétien qui souffrit cette mort cruelle dans l’amphithéâtre du Colisée. Mais après lui bien d’autres subirent le même sort sous le règne de Trajan. « Ils n’ont pas aimé leur vie, même jusqu’à la mort », mais « ils ont vaincu à cause du sang de l’Agneau et à cause de la parole de leur témoignage » (Apocalypse 12:11). Quelle gloire les attend dans la première résurrection ! Ils régneront avec Christ. Puissions-nous, dans ces temps moins difficiles, être cependant trouvés aussi fidèles, aussi dévoués au Seigneur !

 

1.3   Justin martyr

La persécution contre les chrétiens qui avait sévi sous le règne de l’empereur Trajan, se ralentit sous celui de ses deux successeurs Adrien et Antonin le pieux, sans cependant cesser entièrement. Mais elle reprit avec plus de force sous Marc-Aurèle qui succéda à Antonin. Est-ce donc que cet empereur était un homme méchant et cruel ? Non. Il était, au contraire, un de ceux que l’on nomme philosophes — amis de la sagesse. Marc-Aurèle était d’un naturel humain, bienveillant, noble et pieux, et grâce à l’influence de l’éducation qu’il avait reçue de sa mère, ses mœurs étaient pures. Ses écrits renferment des préceptes d’une morale excellente. Et malgré cela, il se montra l’ennemi des chrétiens.

Nous ne devons pas nous en étonner. La sagesse du monde, celle que les hommes puisent dans leur intelligence, dans leurs sentiments et leurs raisonnements, est tout l’opposé de la sagesse de Dieu. C’est Christ qui est « la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu », et c’est en Christ crucifié que se montrent cette puissance et cette sagesse pour sauver ceux qui croient. Mais le monde avec sa sagesse n’a pas connu Dieu qui, dans son amour, a donné son Fils. La croix est une folie pour les sages de ce monde qui estiment pouvoir plaire à Dieu et se sauver sans elle. Aussi l’apôtre Paul dit-il que les chefs de ce monde n’ont pas connu la sagesse de Dieu, « car s’ils l’eussent connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire » (lire 1 Corinthiens 1:20-24 ; 2:7-8). Ainsi, si les chefs de ce monde ont rejeté le Seigneur, il ne faut pas être surpris qu’ils persécutassent les disciples de Jésus. Il faut aussi ajouter que tout en reconnaissant la vanité des idoles, les philosophes en toléraient le culte et s’y associaient comme étant une chose bonne pour le peuple, tandis que les chrétiens s’en séparaient complètement.

L’empereur, il est vrai, n’intervenait pas directement dans les persécutions. Mais il en avait connaissance et aurait pu les arrêter. Des apologies ou défenses du christianisme avaient été présentées aux empereurs qui l’avaient précédé et à lui-même, et la justice aurait demandé qu’il examinât ce qui lui était dit en faveur des chrétiens. Mais au fond de toutes les persécutions et de l’opposition faite aux disciples de Christ se trouve l’inimitié du cœur naturel contre Dieu. Jésus avait dit. « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous… Ils ont, et vu, et haï et moi et mon Père… S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi » (Jean 15:18, 24, 20).

Et, en effet, le monde les haïssait. On en était venu à considérer les chrétiens comme des ennemis publics. Non seulement on les accusait de crimes abominables commis en secret dans leurs réunions privées, mais on leur attribuait toutes les calamités qui, à cette époque en particulier, vinrent frapper Rome et l’empire romain. Les dieux irrités par la présence de ces impies, de ces athées qui méprisaient leur culte, manifestaient leur courroux par ces fléaux, disait-on. La haine du peuple envers eux allait donc en croissant. Il se soulevait contre eux et obligeait les gouverneurs des provinces à sévir et à exécuter les édits de persécution à l’égard de ceux qui étaient dénoncés comme chrétiens et amenés à leur tribunal. Le Seigneur l’avait annoncé : « Ils vous livreront pour être affligés, et ils vous feront mourir ; et vous serez haïs de toutes les nations à cause de mon nom » (Matthieu 24:9). Mais il avait dit aussi pour l’encouragement de ceux qui souffraient pour son nom : « Vous avez de la tribulation dans le monde ; mais ayez bon courage, moi j’ai vaincu le monde » (Jean 16:33). Et encore : « Celui qui hait sa vie dans ce monde-ci, la conservera pour la vie éternelle. Si quelqu’un me sert, qu’il me suive ; et où je suis, moi, là aussi sera mon serviteur : Si quelqu’un me sert, le Père l’honorera » (Jean 12:25-26). « Si nous souffrons avec lui », nous serons « aussi glorifiés avec lui » (Romains 8:17).

Voilà ce qui soutenait les chrétiens et les fortifiait dans les souffrances qu’ils avaient à endurer. Ils n’avaient peut-être pas autant de lumières que nous pouvons en avoir, mais Christ était pour eux une Personne vivante qui avait donné sa vie pour eux, et ils donnaient leur vie pour Lui. Puissions-nous marcher dans le même chemin de foi, de renoncement et d’amour.

Parmi ceux qui souffrirent le martyre à Rome sous Marc-Aurèle, se trouve Justin surnommé Martyr. Beau titre, n’est-ce pas, que celui de martyr ou témoin pour Jésus Christ ? L’histoire de Justin est d’autant plus intéressante qu’il avait été un de ces philosophes si opposés à l’Évangile. Mais la grâce de Dieu est souveraine. Elle a amené à Christ le pharisien Saul de Tarse, et elle a converti le philosophe Justin. Elle l’a fait en dépouillant l’un de sa propre justice, et en montrant à l’autre l’impuissance de la sagesse humaine. Il faut que tous, sages ou ignorants, grands ou petits, nous reconnaissions notre état de péché et de ruine, afin de saisir le salut, la paix et la vie en Christ. Celui qui a sauvé Pierre et Jean, Nicodème et Paul, Justin le philosophe et tant d’autres, est aussi Celui qui nous sauve.

Justin était né de parents païens à Néapolis, ville de la Samarie, bâtie sur l’emplacement de l’ancienne Sichem. Il raconte lui-même comment, dans sa jeunesse, désirant ardemment connaître la vérité, il avait parcouru toutes les écoles de philosophie, étudiant avec soin les systèmes des sages de ce monde, sans rien trouver qui satisfît son âme et répondit à ses besoins. Mais Dieu, qu’il ne connaissait pas encore, le suivait comme le berger qui cherche sa brebis errante, et vint lui révéler la vérité qu’il avait en vain demandée aux hommes. Un seul est « la vérité », comme il est « la vie » et « le chemin », pour arriver à Dieu, et c’est Jésus. Justin allait le trouver.

Un jour que, fatigué de l’inutilité de ses recherches, il se promenait au bord de la mer, il rencontra un vieillard d’aspect vénérable qui entra en conversation avec lui. Justin s’ouvrit à cet inconnu, qui avait gagné sa confiance. Il lui dit son ardent désir de trouver Dieu, et tout ce qu’il avait fait, mais en vain, pour y arriver. Le vieillard lui répondit qu’en effet tous les enseignements des philosophes ne pouvaient l’amener à la connaissance de Dieu et à la possession de la paix après laquelle il soupirait, car, dit l’apôtre Paul, « le monde, par la sagesse, n’a pas connu Dieu ». Puis le vieillard parla à Justin de la révélation que Dieu avait donnée aux hommes dans les écrits des prophètes et dans les évangiles, et le pressa de les lire et de les étudier, et de s’enquérir des doctrines du christianisme. « Priez », ajouta le vieillard, « pour que les portes de la lumière vous soient ouvertes, parce que les Écritures ne peuvent être comprises que par l’aide de Dieu et de son Fils Jésus Christ ».

Le vieillard s’éloigna, et Justin ne le revit plus. Mais il suivit ses conseils. Il lut et médita les Écritures ; il pria, et Dieu répondit à ses requêtes. Il trouva la lumière et la paix auprès de Jésus Christ, et, une fois converti, il devint un ardent défenseur du christianisme. Plein de zèle pour la vérité qu’il avait saisie, et qui remplissait et réjouissait son cœur, il se mit à voyager, toujours vêtu de sa robe de philosophe, en Égypte et en Asie, annonçant à tous ceux qui voulaient l’entendre, l’Évangile qui lui était si précieux. De l’abondance de son cœur, sa bouche parlait. Comme il est beau de voir Dieu tirant une âme des ténèbres, l’amenant dans sa merveilleuse lumière, et faisant d’elle un flambeau pour éclairer d’autres âmes ! On n’a pas besoin pour jouir de ce privilège d’être un savant et un philosophe comme Justin ; chacun de nous, dans notre sphère, si humble soit-elle, dès que nous avons goûté que le Seigneur est bon, nous pouvons le faire connaître à d’autres (Actes 26:18 ; 1 Pierre 2:9).

Justin se fixa enfin à Rome et continua d’y enseigner. Il cherchait à se mettre en rapport avec les philosophes, dans le désir de leur faire connaître la vérité. Mais l’un d’eux, nommé Crescent, irrité de ce que Justin l’avait réduit au silence en discutant avec lui, le dénonça comme chrétien. Justin, avec six autres, parmi lesquels se trouvait une femme, comparut devant le préfet de Rome, Rusticus. Celui-ci voyant Justin revêtu de sa robe de philosophe, lui demanda quelle doctrine il professait.

— J’ai cherché à acquérir toutes sortes de connaissances, répondit Justin ; j’ai étudié dans toutes les écoles des philosophes, et je me suis enfin arrêté à la seule vraie doctrine, celle des chrétiens, de ces hommes méprisés par tous ceux qui sont dans l’aveuglement et l’erreur.

— Comment, misérable ! Tu suis cette doctrine ? s’écria le préfet.

— Oui, et c’est avec joie ; car je sais qu’elle est vraie.

Interrogé ensuite sur les lieux où les chrétiens s’assemblaient, il répondit qu’ils se réunissaient où ils le pouvaient, non pas tous en un même lieu, « car le Dieu des chrétiens », disait Justin, « le Dieu invisible, n’est pas circonscrit par l’espace. Il remplit les cieux et la terre, et est adoré et glorifié partout par les fidèles ».

Le préfet l’ayant menacé de la mort s’il persistait dans sa superstition, le témoin de Christ répondit : « Tu peux me faire souffrir tous les tourments, je n’en resterai pas moins en possession de la grâce qui assure le salut, et qui est le partage de tous ceux qui sont en Christ ».

— Tu crois donc aller au ciel ?

— Non seulement je le crois, mais je le sais et j’en ai l’entière certitude.

Telle fut la réponse pleine d’assurance du philosophe qui, après avoir été si longtemps ballotté par tout vent de doctrine humaine, avait enfin trouvé pour son âme une ancre sûre et ferme, et une espérance qui ne confond point (Éphésiens 4:14 ; Hébreux 6:19).

Le préfet s’efforça alors de persuader à Justin et ses compagnons de sacrifier aux idoles.

— Aucun homme dont l’esprit est sain, répondit Justin, n’abandonnera une vraie religion pour l’erreur et l’impiété.

— Sacrifiez, dit le préfet, ou vous serez tourmentés sans miséricorde.

— Je ne désire rien d’autre que de souffrir pour le nom de Jésus, mon Sauveur. Je paraîtrai ainsi avec confiance devant son tribunal, où le monde entier doit comparaître un jour.

Telle fut la réponse courageuse du martyr. Ses six compagnons confirmèrent ses paroles en disant :

— Faites ce que vous voudrez ; nous sommes chrétiens, et nous ne pouvons sacrifier aux idoles.

Le préfet les voyant inébranlables devant ses menaces prononça la sentence : « Ceux qui refusent de sacrifier aux dieux et d’obéir aux édits de l’empereur, seront d’abord battus de verges, puis décapités ».

Les martyrs se réjouirent et bénirent Dieu d’avoir été trouvés dignes de souffrir et de mourir pour le nom de Jésus (Actes 5:41 ; Philippiens 1:29). Ils furent ramenés dans leur cachot, et là, après avoir été fouettés, ils eurent la tête tranchée.

Le Seigneur Jésus a dit : « Vous êtes bienheureux quand on vous injuriera, et qu’on vous persécutera… à cause de moi. Réjouissez-vous et tressaillez de joie, car votre récompense est grande dans les cieux ». Et l’apôtre Paul dit, en écrivant à Timothée : « Si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui » (Matthieu 5:11-12 ; 2 Timothée 2:12). Justin et ses compagnons avec bien d’autres mis à mort « pour la parole de Dieu et pour le témoignage qu’ils ont rendu », attendent maintenant auprès du Seigneur la « récompense » : « la couronne de justice » et de gloire qui leur est réservée et qui leur sera donnée à son avènement (2 Timothée 4:8).

 

1.4   La persécution en Asie mineure et le martyre de Polycarpe

« À l’ange de l’assemblée qui est à Smyrne, écris :… Ne crains en aucune manière les choses que tu vas souffrir… Sois fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai la couronne de vie ». C’est ainsi que le Seigneur Jésus, Lui, le fidèle témoin ou martyr, qui avait donné sa vie, encourageait d’avance ceux qui seraient appelés à donner leur vie pour Lui.

Ce fut en Asie mineure que la persécution, sous Marc-Aurèle, sévit avec le plus de violence. Une lettre adressée par « l’Église de Dieu à Smyrne à celle de Philomélie et à toutes les parties de la sainte Église universelle », donne un récit détaillé des souffrances qu’eurent à endurer les fidèles confesseurs de Jésus Christ. Parmi ceux que cette lettre mentionne comme ayant été mis à mort, se trouve le vieil évêque de Smyrne, Polycarpe.

Polycarpe, de même qu’Ignace, avait été disciple de l’apôtre Jean. On dit que ce fut Jean qui l’établit évêque de Smyrne. Il est possible, en effet, qu’il l’eût mis à part comme « ancien » dans cette assemblée, car nous savons que les apôtres avaient l’autorité d’établir des anciens dans les églises (Actes 14:23 ; Tite 1:5).

Irénée, un des disciples de ce saint évêque, et qui fut l’évêque de Lyon au commencement du troisième siècle, parle ainsi de Polycarpe : « Je pourrais encore montrer la place où le bienheureux Polycarpe avait coutume de s’asseoir et de discourir ; je pourrais dire sa démarche, son apparence, sa manière de vivre, ses conversations. J’ai encore présentes à l’esprit la gravité de sa conduite, la majesté de son visage, la pureté de sa vie, et les saintes exhortations qu’il adressait à son troupeau. Il me semble encore l’entendre raconter comment il avait conversé avec Jean et plusieurs autres qui avaient vu Jésus Christ, et répéter les paroles qu’il avait entendues de leur bouche, les récits qu’ils faisaient des miracles du Sauveur, de sa doctrine selon les Écritures, comme il les avait reçus de ceux qui avaient été des témoins oculaires. Son zèle pour la pureté de la foi était tel que, si quelque erreur était avancée et soutenue en sa présence, il avait coutume de se boucher les oreilles, et de se retirer en s’écriant : « Dieu miséricordieux, pour quels temps m’as-tu réservé ! »

Tel était Polycarpe. À l’époque de la persécution, c’est-à-dire vers l’an 167, il était âgé d’environ quatre-vingt-quinze ans. Le peuple, irrité de voir la constance et la fermeté des témoins du Seigneur exposés dans l’arène à la fureur des bêtes féroces, demandait à grands cris que l’on saisît et qu’on livrât aux lions le fidèle pasteur du petit troupeau des chrétiens. « Polycarpe ! Amenez Polycarpe ! » criait la multitude.

Polycarpe, ayant entendu les clameurs de la foule, voulait d’abord rester tranquillement dans la ville, et y attendre ce que Dieu ordonnerait de lui. Mais sur les instances des frères, il se retira dans un village voisin. Il y resta quelque temps avec un petit nombre d’amis, priant nuit et jour pour toutes les assemblées. Un de ses esclaves, mis à la torture, fit connaître le lieu de sa retraite, et on envoya des soldats pour se saisir de lui. L’ayant appris, le vieillard refusa de pourvoir autrement à sa sûreté ; il attendit avec calme leur venue, disant simplement : « Que la volonté du Seigneur soit faite ». Les soldats étant arrivés, il commanda qu’on leur donnât à boire et à manger, et demanda qu’on lui laissât une heure de recueillement pour prier. Sa requête lui ayant été accordée, il se retira dans une chambre haute où il pria, dit la lettre citée, « pour tous ceux qu’il avait connus, petits et grands, dignes et indignes, et pour toute l’Église dans le monde entier ». Son cœur était si rempli, que deux heures se passèrent avant qu’il eût achevé ses ferventes supplications. Ceux qui devaient le conduire à la ville, lui firent dire de venir. Son dévouement, sa douceur, son grand âge et son aspect vénérable firent une profonde impression sur ses gardes.

Ayant égard à sa vieillesse, ils le firent monter sur un âne et entrèrent dans la ville remplie d’une foule considérable. Comme ils traversaient les rues, ils rencontrèrent Hérode, le premier magistrat de la ville, qui était sur son char avec son père. Tous deux, avec un semblant de respect, invitèrent l’évêque prisonnier à monter à côté d’eux, et essayèrent par de belles paroles et des promesses à ébranler sa constance. « Quel mal y a-t-il », lui disaient-ils, « à dire : Seigneur César ! ou à sacrifier ? »

Mais voyant leurs efforts inutiles, ils changèrent leurs paroles douces en injures, et irrités, ils précipitèrent le vieillard hors du chariot. Polycarpe, bien que meurtri par sa chute, poursuivit son chemin, conduit par les gardes, et fut amené devant le proconsul.

Celui-ci, ayant compassion de son grand âge et de sa faiblesse, essaya de lui persuader de ne pas répondre à l’appel de son nom, mais Polycarpe refusa de se servir d’un subterfuge pour échapper au supplice.

— Eh bien, lui dit le proconsul, jure par le génie de César, et dis : Loin de nous les athées.

Le vieillard promena lentement ses regards sur la foule furieuse qui remplissait l’amphithéâtre, puis agitant sa main et regardant vers le ciel, il cria « Loin de nous les athées ! » (*)

 

(*) Les chrétiens étaient accusés d’athéisme, parce qu’ils n’adoraient pas les faux dieux.

— Jure, dit le proconsul, pensant qu’il fléchissait ; maudis Christ, et je te relâcherai.

— Voici quatre-vingt-six ans que je le sers, répliqua le courageux évêque, tandis qu’un sourire illuminait ses traits, et il ne m’a jamais fait de mal ; comment le blasphémerais-je, Lui, mon Roi et mon Sauveur ?

La menace de le livrer aux bêtes féroces ou de le faire périr sur un bûcher, l’ayant trouvé inébranlable, le proconsul ordonna à un héraut de proclamer trois fois au milieu du cirque : « Polycarpe a confessé qu’il était chrétien ».

Aussitôt la multitude de s’écrier : « C’est le docteur de l’Asie, le père des chrétiens, l’ennemi de nos dieux ; c’est lui qui a persuadé à un si grand nombre de ne plus sacrifier. Qu’il soit livré aux lions ».

Mais le président des jeux refusa, en alléguant que les jeux étaient terminés. Alors la foule tumultueuse s’écria : « Qu’il soit brûlé ! » Le proconsul accéda à leur demande, et aussitôt tous à l’envi, Juifs et païens se mirent à apporter du bois pour le bûcher. Le vieillard considérait avec calme les préparatifs de son supplice, mais quand on l’eût entraîné sur le bûcher et qu’on voulut le fixer au poteau avec des cordes : « Laissez-moi ainsi », dit-il. « Celui qui me donne la force d’endurer les flammes, me rendra capable de ne faire aucun mouvement sur le bûcher ». Avant que le feu fût allumé, le martyr pria en disant : « Seigneur, Dieu Tout-puissant, Père de ton bien-aimé Fils Jésus Christ, par lequel nous avons reçu la connaissance de Toi-même, Dieu des anges et de la création entière, de la race humaine et des justes qui vivent en ta présence, je te loue de ce que tu m’as jugé digne de ce jour et de cette heure pour avoir part avec tous tes témoins à la coupe des souffrances de Christ ».

Dès qu’il eut achevé de prier, on mit le feu au bûcher. Mais, chose étrange à dire, attestée cependant par la lettre de ceux qui en furent les témoins oculaires, les flammes, au lieu de l’atteindre, semblèrent vouloir l’épargner, formant autour de lui comme une grande voile enflée par le vent. Son corps brillait comme de l’or et de l’argent, et un parfum exquis se répandit dans l’air. À cette vue, les païens superstitieux, craignant que le feu n’eût aucun pouvoir sur lui, ordonnèrent qu’il fût percé d’un glaive. Le sang éteignit d’abord le bûcher, mais les païens demandèrent que le corps fût consumé, et il n’en resta que quelques ossements. Comme les disciples de Polycarpe désiraient recueillir ces faibles restes de celui qu’ils avaient tant aimé, les Juifs persuadèrent au proconsul de ne pas leur accorder leur requête, « de peur », disaient-ils, « qu’ils n’abandonnent le crucifié pour adorer cet homme ». « Ils ne comprenaient guère », dit la lettre, « qu’il n’est pas possible d’abandonner Christ qui a souffert pour le salut du monde, et que l’on puisse adorer quelqu’un d’autre. Car c’est Lui qu’en vérité nous adorons ; mais nous aimons les martyrs, comme étant ses disciples ».

La mort édifiante de Polycarpe fut une bénédiction pour l’Église. La fureur de la populace s’apaisa, et le proconsul lui-même, fatigué de ces scènes sanglantes, défendit que l’on amenât encore des chrétiens devant son tribunal. Ainsi, le Seigneur mit fin à la tribulation à Smyrne.

Polycarpe écrivit à l’assemblée de Philippes une lettre qui nous a été conservée. Elle est surtout intéressante, parce qu’il leur rappelle l’apôtre Paul, « qui », dit-il, « quand il était au milieu de vous, vous a fidèlement et constamment enseigné la vérité, et qui, absent, vous a écrit une lettre, laquelle, si vous l’étudiez diligemment, sera le moyen de vous établir dans la foi, l’espérance et l’amour ».

Ainsi les mêmes Saintes Écritures que Dieu nous a données pour nous instruire à salut et nous guider, étaient aussi la consolation de ces saints d’autrefois qui souffraient et mouraient pour le Seigneur.

 

1.5   Les martyrs de Lyon et de Vienne vers l’an 177

Ce fut encore sous le règne de Marc-Aurèle, l’empereur philosophe, qu’eut lieu une nouvelle persécution contre les chrétiens. Elle sévit surtout dans les villes de Lyon et de Vienne en Gaule. Là, s’étaient établies des colonies venues de l’Asie mineure, et c’est aussi d’Asie que l’Évangile y avait été apporté.

Ainsi, en quelque lieu que ce fût où la parole du salut était portée, l’ennemi du Seigneur, celui qui est appelé « le grand dragon, le serpent ancien, le diable et Satan », ne se lassait pas de poursuivre et de tourmenter les saints de Dieu. Il se servait pour cela de la formidable puissance romaine, représentée dans l’Écriture sous la figure d’une « bête effrayante et terrible, et extraordinairement puissante », avec de grandes dents de fer, qui dévorait et écrasait, et faisait la guerre aux saints (Daniel 7:7, 21).

Des détails concernant la persécution des chrétiens des Gaules, nous ont été conservés dans une lettre qu’ils adressèrent à leurs frères d’Asie. L’écrivain dit comment les frères, qui jusqu’alors avaient vécu paisiblement, furent tout à coup assaillis par les païens. On commença par les exclure des bains et des marchés publics, puis on les dépouilla de leurs biens et on alla jusqu’à piller leurs maisons. Ensuite ils furent poursuivis à coups de pierres et traînés en prison, « accusés », dit la lettre, « de crimes si odieux qu’il ne nous est pas permis de les mentionner, ni même d’y penser ».

C’est en l’absence du préfet que se déchaîna la fureur de la populace, et ce furent les employés subalternes qui, intimidés par la violence de la foule, firent jeter en prison un grand nombre de chrétiens. Quelques-uns de ceux-ci, au moment de l’épreuve, faiblirent ; plusieurs périrent dans les cachots humides et malsains où ils avaient été enfermés.

L’arrivée du préfet n’allégea point les souffrances des prisonniers. Il commença à chercher, par les tortures, à pousser les chrétiens à renier Christ, ou à leur faire avouer les crimes abominables dont on les accusait, comme de manger de la chair humaine dans leurs assemblées secrètes et de se livrer à toutes sortes de désordres. Contrairement à la loi, le magistrat fit mettre à la torture des esclaves des maîtres chrétiens. Quelques-uns, vaincus par les tourments, affirmèrent que leurs maîtres pratiquaient, en effet, les crimes dont ils étaient accusés. Dès lors, le magistrat et le peuple se crurent en droit de punir les chrétiens des plus cruels supplices.

Ni le rang, ni l’âge, ni le sexe, ne furent épargnés. Voici quelques exemples pris parmi ceux qui souffrirent pour le Seigneur. Un jeune homme chrétien de haute naissance et de grands talents, nommé Vettius Apagatus, qui n’avait point été mis en prison, fut indigné d’entendre les fausses accusations portées contre ses frères. Plein d’amour pour eux, il se sentit pressé de prendre leur défense et de rendre témoignage à la pureté de leur vie. Mais le juge, au lieu de l’écouter, lui demanda s’il était chrétien, lui qui se faisait leur avocat. Sur la réponse affirmative de Vettius, le magistrat ordonna qu’il fût conduit en prison. Il n’en sortit que pour souffrir le martyre.

Le vieil évêque de Lyon, Pothin, âgé de quatre-vingt-dix ans, qui probablement était venu d’Asie et avait porté l’Évangile dans cette ville, fut amené, infirme et asthmatique comme il l’était, devant le tribunal. « Quel est le Dieu des chrétiens ? » lui demanda le juge. « Tu le connaîtras, si tu t’en montres digne », répondit tranquillement le vieillard. À ces mots, ceux qui entouraient le tribunal l’accablèrent d’injures et de coups. Le divin Maître de Pothin avait eu aussi à souffrir les injures et les coups devant un tribunal humain (Matthieu 26:67-68). Ramené en prison, le vieillard eut encore à endurer la brutalité de la populace, et mourut deux jours après par suite des mauvais traitements qu’il avait subis.

Mais parmi tous ceux qui souffrirent, il n’y en eut point qui brillèrent plus par leur foi, leur constance et leur fermeté que Blandine. Elle était une pauvre jeune esclave, au corps faible et chétif. Sa maîtresse, chrétienne aussi, et qui mourut martyre, tremblait pour elle, craignant que sa foi ne succombât sous les tourments. Mais le Seigneur se tint près de sa jeune servante, et manifesta en elle sa force. Les bourreaux épuisèrent sur elle tous les genres de supplices : les fouets, le chevalet sur lequel on étendait les membres jusqu’à les disloquer, la chaise de fer rougie au feu sur laquelle on faisait asseoir les martyrs, Blandine supporta tout sans fléchir, répétant seulement : « Je suis chrétienne ; nous ne commettons aucun mal ». Attachée à un poteau dans l’amphithéâtre, elle fut livrée aux bêtes féroces, mais celles-ci, moins cruelles que les hommes, ne la touchèrent pas. On pensait qu’étant une faible femme et une esclave, on pourrait, en multipliant les tortures, l’amener à renier Christ. Mais Celui qui était en elle était plus fort que celui qui est dans le monde. Elle possédait la foi qui rend victorieux du monde, la foi au Fils de Dieu (1 Jean 4:4 ; 5:4-5). « Blandine », dit la lettre déjà citée, « fut revêtue d’une telle force que ceux qui se relayaient pour la torturer du matin jusqu’au soir, avouèrent, lassés qu’ils étaient, qu’elle les avait vaincus. Ils étaient étonnés, après avoir épuisé sur elle toutes les tortures, qu’elle pût encore vivre, ayant le corps déchiré et ouvert de toutes parts ». Le Seigneur rendait ainsi témoignage à la vérité du christianisme, et à la puissance de la foi en Lui. On pouvait dire de ces martyrs comme de ceux d’un autre âge : Ils furent torturés, éprouvés par des moqueries et par des coups, par des liens et par la prison ; ils furent lapidés, sciés, tentés, eux desquels le monde n’était pas digne… Ils ont reçu témoignage par la foi, en attendant la céleste récompense (Hébreux 11:36-39).

Comme l’on ramenait en prison Blandine et ses compagnons de souffrances, beaucoup d’amis affligés vinrent à leur rencontre pour les consoler, les encourager et leur témoigner leur amour, les saluant en même temps du nom de martyrs. « Nous ne sommes pas dignes d’un tel honneur », répondirent-ils ; « le combat n’est pas terminé. D’ailleurs ce nom glorieux de martyr [qui veut dire « témoin »] appartient essentiellement à Celui qui est le Témoin fidèle et véritable, le premier-né des morts et le Prince de la vie, et ensuite à ceux qui ont scellé le témoignage de Christ par leur persévérance jusqu’à la fin. Nous ne sommes que de pauvres faibles confesseurs ». Puis ils demandèrent avec larmes à leurs frères de prier pour eux, afin qu’il leur fût donné de rester fidèles et fermes jusqu’à la fin. Ainsi ils montraient qu’ils sentaient leur faiblesse et n’attendaient de force que de Celui en qui seul elle réside.

Une nouvelle douleur les attendait à leur retour dans la prison. Quelques-uns des leurs, saisis de crainte à la pensée des tourments, avaient renié le christianisme. Ils n’y avaient d’ailleurs rien gagné ; on les retenait en prison comme accusés d’autres crimes. Blandine et ses compagnons prièrent avec beaucoup de larmes le Seigneur, afin que ceux qui avaient faibli devant l’ennemi fussent restaurés et fortifiés. Le Seigneur exauça leurs prières. Ayant comparu de nouveau devant le magistrat, ceux qui étaient tombés confessèrent courageusement leur foi en Christ, et condamnés à mourir, ils obtinrent aussi la couronne des vainqueurs.

La fin de Blandine approchait. Elle allait échanger les douleurs passagères de cette vie, pour la gloire éternelle (2 Corinthiens 4:17-18). Elle fut amenée pour la dernière fois devant le juge avec un jeune homme de 15 ans, nommé Ponticus. On leur ordonna de jurer par les dieux, mais ils refusèrent avec fermeté. On leur fit encore subir les tortures les plus cruelles que la barbarie des hommes puisse imaginer. Ils les supportèrent avec une patience qui ne fit qu’exaspérer au plus haut point la multitude. Le jeune Ponticus, encouragé et soutenu par les prières et les exhortations de sa sœur en Christ, succomba bientôt et s’endormit en Jésus.

Blandine, restée seule, fut gardée pour le dernier jour des jeux. On pouvait bien dire d’elle, comme Paul le disait de lui-même et des apôtres : « Dieu nous a produits les derniers sur la scène… comme des gens voués à la mort… un spectacle pour le monde, et pour les anges et pour les hommes » (1 Corinthiens 4:9). Blandine fut d’abord fouettée jusqu’au sang, puis subit de nouveau l’affreux supplice de la chaise ardente, ensuite placée dans un filet, elle fut livrée à un taureau sauvage qui la secoua longtemps avec ses cornes et la fit souffrir cruellement. Enfin un soldat mit fin à ses souffrances, en la perçant d’une lance.

Tels étaient les tourments que ces fidèles confesseurs endurèrent pour l’amour de Jésus. Leur récompense sera grande dans le royaume des cieux (Matthieu 5:12). Nous qui vivons dans un temps paisible, n’en serons-nous pas reconnaissants envers Dieu ? N’en profiterons-nous pas pour croître dans la connaissance et la grâce du Seigneur Jésus, afin d’être aussi ses témoins dans ce monde, non par des souffrances semblables à celles des martyrs, mais par notre séparation du monde et la pureté de notre vie ?

D’autres que ceux que nous avons nommés souffrirent de même. À propos d’un nommé Sanctus qui endura aussi de cruels tourments, notre lettre dit qu’il les supporta de manière à montrer « qu’il n’y a rien de terrible là où se trouve l’amour du Père, ni rien de pénible là où est la gloire de Christ ».

La rage des persécuteurs ne fut pas assouvie par la mort des martyrs. Leurs corps furent brûlés et les cendres jetées dans le Rhône, afin de les priver ainsi, pensaient leurs ennemis dans leur folie, de ce qui leur était le plus précieux, — la sûre et certaine espérance de la résurrection bienheureuse. Insensés, ils ignoraient la puissance de Dieu. La mort est vaincue pour les chrétiens, sous quelque forme qu’elle se présente. Ils avaient pour eux, ces fidèles témoins, la parole de Christ : « Celui qui vaincra n’aura point à souffrir de la seconde mort ». Ils auront part à la première résurrection, et vivront et régneront avec le Christ. Puisse ce bonheur être aussi le nôtre !

 

1.6   Les martyrs de Carthage vers l’an 202

Le cruel gouverneur de Lyon dont nous avons parlé était devenu empereur sous le nom de Septime Sévère. Dans les premières années de son règne, les chrétiens avaient joui d’une tranquillité relative ; mais à son retour d’Orient où il avait fait une guerre victorieuse, il rendit un édit défendant à aucun de ses sujets d’embrasser le judaïsme ou le christianisme. L’occasion de cette nouvelle persécution fut, sans doute, le refus des chrétiens de prendre part aux réjouissances publiques qui accueillaient l’empereur victorieux, réjouissances toujours accompagnées de cérémonies païennes. Les chrétiens mettaient en pratique la parole de l’apôtre : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Actes 5:29).

La persécution sévit surtout en Égypte et dans la province d’Afrique où le christianisme avait jeté de profondes racines. La grâce de Dieu s’y montra d’une manière merveilleuse dans la patience et le courage qu’elle donna aux saints martyrs dans leurs souffrances.

Parmi eux se trouvaient, à Carthage, deux femmes, Vivia Perpétua et Félicité, et trois jeunes hommes. Ils étaient encore des catéchumènes, c’est-à-dire que, bien que s’étant joints aux chrétiens, ils n’avaient pas encore reçu le baptême, ni pris part à la cène. Félicité était une pauvre esclave qui, dans la prison même, devint mère d’un petit enfant. Perpétua était une jeune dame distinguée par sa naissance, son éducation et sa fortune. Elle n’avait que vingt-deux ans, avait récemment perdu son mari, et était mère d’un jeune enfant qu’elle nourrissait. Sa mère et ses deux frères étaient chrétiens ; son père, seul de la famille, était resté attaché au paganisme. Il aimait passionnément sa fille, et c’était pour lui une immense douleur de la voir attachée à cette religion méprisée, et être un sujet de honte pour lui et le nom illustre qu’il portait. D’un cœur tendre et aimant, la plus grande épreuve pour Perpétua venait de son affection pour son père et pour son enfant. Ce n’était pas seulement la mort sous sa forme la plus terrible qu’elle avait à affronter, mais il lui fallait vaincre aussi les liens naturels les plus puissants. Elle avait compris cette parole : « Celui qui aime père et mère plus que moi, n’est pas digne de moi ; et celui qui aime fils ou fille plus que moi, n’est pas digne de moi » (Matthieu 10:37), et elle aimait Jésus plus que tout : pour l’amour de Lui, elle fut rendue capable de renoncer à tout.

Perpétua a laissé, écrit par elle-même, un récit simple et touchant de son emprisonnement et de son jugement. Nous en citerons quelques parties.

« Lorsque nous fûmes entre les mains de nos persécuteurs », dit-elle, « mon père, dans sa tendre affection pour moi, vint me voir et s’efforça de me détourner de la foi.

— Mon père, lui dis-je, vois-tu ce petit vase ?

— Oui, dit-il, je le vois.

— Alors je dis : « Puis-je le nommer autrement que ce qu’il est ? ». Il répondit : « Non ».

— Je ne puis non plus, continuai-je, me nommer autrement que ce que je suis, c’est-à-dire une chrétienne.

Mon père me regarda comme s’il eût voulu m’arracher les yeux ; mais il m’accabla seulement de paroles dures, puis il partit. Alors je fus plusieurs jours sans le voir, mais je fus rendue capable de rendre grâces à Dieu, et son absence fut adoucie pour mon cœur ».

Quelques jours après, les jeunes chrétiens eurent la grande joie de recevoir le baptême et de participer à la cène, car, bien que gardés, ils n’avaient pas encore été enfermés dans le cachot. Ce jour arriva bientôt, et Perpétua écrit :

« Au bout de quelques jours, nous fûmes jetés dans la prison. Je fus saisie de terreur, car jamais auparavant je n’avais été dans une obscurité aussi complète. Quel jour terrible ! La chaleur excessive causée par le grand nombre de prisonniers, la brutalité des soldats, et l’inquiétude que j’éprouvais à cause de mon enfant, tout m’accablait. Mais deux de nos diacres obtinrent à prix d’argent que nous fussions transférés quelques heures par jour dans une meilleure partie de la prison, loin des autres captifs. Chacun reprit son occupation habituelle, mais moi je m’assis et allaitai mon enfant presque mort de faim. Dans mon anxiété, je parlai à ma mère pour la consoler et je recommandai l’enfant à mon frère. Je m’affligeai en les voyant peinés à mon sujet, et je souffris plusieurs jours. Mais l’enfant s’accoutuma à rester avec moi dans la prison, et aussitôt la force me revint, je fus délivrée de tout souci et d’inquiétude pour mon enfant, et la prison devint pour moi comme un palais. En vérité, j’y étais plus heureuse que je n’aurais pu être nulle part ailleurs ».

Après avoir raconté un songe qu’elle eut et qu’elle regarda comme un signe qu’elle et son frère, emprisonné aussi, souffriraient bientôt le martyre, Perpétua continue :

« Après quelques jours, le bruit se répandit que nous allions être interrogés. Mon père arriva de la ville, la figure dévastée par le chagrin, et essaya encore de m’ébranler. Il me dit : « Ma fille, aie pitié de mes cheveux blancs ; aie pitié de ton père, si tu me crois encore digne de ce nom ! Ne t’ai-je pas élevée ? Ne m’as-tu pas été plus chère que mes autres enfants ? Ne m’expose pas ainsi au mépris des hommes. Pense à ton frère, à ta mère, à ta tante ; pense à ton enfant, à ton fils qui ne peut vivre, si tu meurs. Fais fléchir ton orgueil ; ne nous plonge pas tous dans la ruine ». Ainsi parlait mon père, me baisant les mains et se jetant à mes pieds, et, au milieu de ses larmes, ne m’appelant plus sa fille, mais sa « dame ». Et j’étais affligée à cause des cheveux blancs de mon père, et de ce que lui seul de toute la famille ne se réjouissait pas de mon martyre. Et je m’efforçais de le consoler, lui disant : « Ce qui arrivera quand je paraîtrai devant le tribunal, dépend de la volonté de Dieu, car nous ne subsistons pas par notre propre force, mais uniquement par la puissance de Dieu ». Et il s’éloigna en gémissant.

Un autre jour, tandis que nous prenions notre repas, nous fûmes soudainement appelés à comparaître. Une multitude immense entourait le tribunal. Nous gravîmes les degrés, et les autres furent interrogés et firent leur confession. Et mon tour vint, et aussitôt mon père apparut portant mon enfant. Et il me tirait en bas des degrés, me disant d’un ton suppliant : « Aie pitié de moi et de ton enfant ». Et le procurateur Hilarianus dit aussi : « Épargne les cheveux blancs de ton père ; épargne ton petit enfant ; sacrifie aux dieux pour la prospérité de l’empereur ». Et je répondis : « je ne veux pas sacrifier ». — « Es-tu chrétienne ? » dit Hilarianus. Je répondis : « Je suis chrétienne ». Et comme mon père était encore là près de moi, cherchant à m’entraîner, Hilarianus ordonna qu’il fût jeté par terre et battu de verges. Et je fus affligée de ce qui arrivait à mon père, et je souffris plus, à cause de son âge avancé, que si moi-même j’avais reçu les coups. Hilarianus prononça la sentence, et nous fûmes tous condamnés aux bêtes féroces, et nous retournâmes à la prison remplis de joie ».

Perpétua avait été rendue capable, par la grâce toute puissante de Dieu, de s’élever au-dessus même des sentiments maternels. Il ne lui fut plus permis d’avoir son enfant auprès d’elle, mais elle avait pu le confier aux soins de sa mère et de son frère. Quant à elle, elle avait les yeux fixés sur « Jésus, le Chef et le consommateur de la foi », le Témoin fidèle, qui « à cause de la joie qui était devant lui, a enduré la croix, ayant méprisé la honte, et est assis à la droite du trône de Dieu » (Hébreux 12:2 ; Apocalypse 1:5). Les martyrs aussi, à la suite de leur divin Chef, méprisaient les souffrances et la honte, et attendaient la gloire.

Perpétua et ses compagnons étaient réservés pour être exposés aux bêtes, pour l’amusement du peuple, lors des fêtes célébrées à l’occasion de l’anniversaire du fils de l’empereur. Avant ce moment, l’un d’eux mourut dans la prison. Les autres se réjouissaient d’avoir été jugés dignes de souffrir pour le nom de Jésus (Actes 5:41). Leur paix, leur patience et leur constance agirent de telle sorte sur le cœur de leur geôlier Pudas, qu’il fut gagné au Sauveur. Il permit aux confesseurs du nom de Christ de recevoir les visites de quelques-uns des frères, ce qui consola beaucoup les prisonniers.

Le cœur de Perpétua fut de nouveau soumis à une douloureuse épreuve. « Le jour des jeux approchait », dit-elle, « et mon père entra accablé de douleur. Et il commença à s’arracher la barbe, à se jeter la face contre terre, et à désirer que la mort vînt le prendre, et à dire des paroles qui auraient remué le cœur le plus dur et moi j’étais extrêmement affligée de la peine qui accablait sa vieillesse ». Mais la fidèle servante de Christ, bien qu’ayant le cœur brisé, sortit victorieuse de cette dernière lutte.

L’esclave Félicité montra aussi la fermeté de sa foi. Comme elle était sur le point de mettre son enfant au monde, et qu’elle souffrait et se plaignait beaucoup, un des employés de la prison lui dit : « Que sera-ce donc quand tu seras exposée aux bêtes féroces ? Tu n’y as pas pensé, quand tu as refusé de sacrifier ». Félicité répondit : « J’endure maintenant mes propres souffrances, mais alors un autre sera avec moi, qui souffrira pour moi, parce que je souffrirai pour l’amour de Lui ».

La fin triomphante des martyrs approchait. Quand le jour fut venu, ils portaient sur leurs visages l’expression d’une joie céleste et d’une paix inébranlable, dit celui qui continue le récit de Perpétua. Ils refusèrent de se laisser revêtir, les hommes, de la robe écarlate des prêtres de Saturne, les femmes, de celle des prêtresses de Cérès. « Nous donnons notre vie », dirent les martyrs, « parce que nous ne voulons avoir aucune part à ces coutumes profanes. Laissez-nous notre liberté ». On céda à leur juste demande. Après s’être donné le baiser d’amour fraternel et avoir pris congé l’un de l’autre, dans la ferme espérance de se retrouver bientôt auprès du Seigneur, ils s’avancèrent vers le lieu de leur supplice. Tous louaient Dieu à haute voix, Perpétua chantait un psaume.

Les hommes furent livrés aux lions, aux tigres et aux léopards, et les femmes à une vache furieuse. Après que Perpétua eut subit ses assauts, elle se releva toute meurtrie, et, oubliant ses propres souffrances, elle alla aider et encourager Félicité qui gisait dans l’arène mortellement blessée. Ses dernières paroles furent pour exhorter son frère à persévérer dans la foi. Le peuple demanda que les martyrs fussent livrés aux gladiateurs, afin d’avoir le plaisir de les voir mourir. Perpétua, tombée entre les mains d’un gladiateur maladroit qui la blessa sans la tuer, guida elle-même la main de son meurtrier vers sa poitrine. Ainsi tous s’endormirent en Jésus.

Ils « ont vaincu par le sang de l’Agneau, … et ils n’ont pas aimé leur propre vie, même jusqu’à la mort ». Les persécuteurs voulaient anéantir le nom de Christ, mais plus on les persécutait, plus les chrétiens se multipliaient. Le sang des martyrs était la semence de l’Église.

 

1.7   Répit dans les persécutions

Après la mort de l’empereur Septime Sévère, sous le règne duquel les chrétiens avaient été si cruellement persécutés, l’Église jouit d’une tranquillité relative jusqu’à l’avènement de Décius, en l’an 249. Cette paix ne fut troublée que pendant le court règne de Maximin, dont nous dirons un mot. Durant une période de moins de quarante ans, dix empereurs se succédèrent sur le trône de Rome, et ce fut peut-être grâce à ces bouleversements incessants dans l’empire, que les chrétiens durent, par la bonté de Dieu, de n’être pas persécutés.

Celui de ces empereurs qui régna le plus longtemps fut Alexandre Sévère. Il n’avait pas seize ans quand il obtint le pouvoir, et le garda durant treize années. Sa mère Mammée, qui eut toujours une grande influence sur lui, aimait les chrétiens. Se trouvant à Antioche, elle avait fait venir auprès d’elle le célèbre docteur chrétien Origène, afin d’être instruite par lui des vérités de la foi. Mais bien qu’un ancien historien la nomme une femme distinguée par sa piété et sa crainte de Dieu, rien ne prouve qu’elle eût été réellement convertie. Toutefois ce fut sans doute grâce à elle qu’Alexandre se montra constamment favorable aux chrétiens, dont plusieurs se trouvaient parmi les officiers de sa maison.

Alexandre d’ailleurs était d’un caractère naturellement religieux et vénérait également toutes les formes de culte ; c’est ainsi qu’il donna aussi une place au christianisme. On dit qu’il avait eu la pensée de faire élever un temple à Christ, et de le mettre publiquement au nombre des dieux reconnus. En attendant, il avait son image et celle d’Abraham dans sa chapelle domestique, au milieu des statues représentant les dieux du paganisme et les bienfaiteurs de l’humanité. Il admirait et citait souvent ces paroles du Seigneur : « Et comme vous voulez que les hommes vous fassent, vous aussi faites-leur de même » (Luc 6:31). Il les fit même écrire en grandes lettres sur les murs de son palais et d’autres édifices publics. Tout cela ne faisait pas d’Alexandre Sévère un chrétien, mais Dieu donnait, par son moyen, du répit à l’Église persécutée. Malheureusement ce temps de calme fut pour les chrétiens une époque de décadence dans la piété.

Pendant le règne d’Alexandre Sévère, la situation du christianisme vis-à-vis du monde subit un grand changement. Ce fut à cette époque que les chrétiens commencèrent à élever des édifices publics pour se rassembler, et l’empereur les favorisa en cela. Jusqu’alors, au grand étonnement des païens, ils n’avaient eu ni temples, ni autels. Tandis que les Juifs eux-mêmes avaient partout leurs synagogues publiques, les lieux où les chrétiens se rassemblaient n’avaient aucun cachet distinctif. Comme nous le lisons dans les Actes et les Épîtres, et comme nous savons que cela eut lieu longtemps après, ils se réunissaient dans des maisons particulières (Actes 12:12 ; 19:9 20:7-8 ; Romains 16:23 ; 1 Corinthiens 16:19 ; Colossiens 4:15 ; Philémon 2). À Rome, ce fut souvent dans les catacombes, le lieu de repos de leurs morts. Dans les temps de persécution, ils pouvaient ainsi plus aisément échapper à leurs ennemis, mais en même temps ces réunions secrètes donnèrent lieu à beaucoup d’accusations. Les païens qui ne pouvaient se représenter un culte sans temple ou édifice sacré, étaient disposés à penser que ces rassemblements mystérieux cachaient des actes honteux et coupables.

Maintenant les chrétiens pouvaient se réunir ouvertement dans des édifices exposés aux yeux de tous. Il sembla, pour un temps, que le christianisme était devenu une des nombreuses religions tolérées. Mais tout, en réalité, ne dépendait que de la bonne volonté de l’empereur ; les sévères édits des empereurs précédents n’étaient nullement abrogés ; le danger était toujours là. Les chrétiens l’éprouvèrent à la mort d’Alexandre Sévère. Ce jeune empereur, âgé seulement de vingt-neuf ans, qui voulait rétablir la discipline dans ses légions, fut assassiné dans sa tente par les soldats révoltés à l’instigation de Maximin.

Ce dernier, choisi par les soldats pour succéder à Alexandre comme empereur, était un rude paysan thrace, d’une taille et d’une vigueur colossales. Il s’était élevé par son courage aux plus hauts grades militaires, mais était d’une cruauté excessive. Il fit périr tous les amis d’Alexandre. Parmi eux, se trouvaient plusieurs évêques chrétiens qu’il fit mettre à mort, non pas tant comme chrétiens que comme ayant joui de la faveur du précédent empereur. Et c’est une chose triste à mentionner, que les conducteurs des églises eussent peu à peu acquis une position terrestre mal en harmonie avec leur vocation comme serviteurs de Christ. Il ne faut pas s’étonner que la main de Dieu s’appesantît sur eux.

Mais Maximin ne se borna pas à persécuter les évêques. Toutes les classes des chrétiens éprouvèrent les effets de sa cruauté. Le peuple entraîné par son exemple, frappé aussi par les désastres que causèrent en divers lieux de grands tremblements de terre qu’il attribuait à la colère des dieux, sentit renaître sa haine contre les chrétiens. Sa fureur ne connut pas de bornes. Les édifices nouvellement érigés pour le culte furent brûlés, et ceux qui professaient la foi furent cruellement persécutés.

Le règne de Maximin fut heureusement de courte durée. Sa cruauté et sa licence soulevèrent contre lui les soldats qui le massacrèrent. Après lui, pendant une période agitée de douze années, durant laquelle se succédèrent quatre ou cinq empereurs, l’Église jouit de la tranquillité. Avant de parler de la terrible persécution générale qui suivit ces temps de paix, nous dirons quelques mots du bas état spirituel où étaient tombés les chrétiens, et qui, disaient quelques-uns de leurs écrivains de ce temps, avait rendu nécessaire une persécution.

Satan est représenté dans la parole de Dieu sous la figure d’un « lion rugissant… cherchant qui il pourra dévorer » (1 Pierre 5:8). Tel il se montre dans les temps de persécution, comme c’était le cas quand Pierre écrivait sa première épître (Chapitre 4:12 ; 5:9). Mais il nous est aussi présenté sous l’image du serpent subtil et rusé, cherchant à séduire les âmes par toutes sortes d’artifices et à les détourner de Christ (2 Corinthiens 11:3 ; Apocalypse 12:9). C’est ainsi qu’il agit aux époques de paix et de tranquillité de l’Église, et, sous cette forme, il est beaucoup plus dangereux que quand il déchaîne sa fureur d’une manière violente. Nous avons donc, nous, à être tout particulièrement en garde contre lui.

C’est par les attraits du monde, par les diverses convoitises de la chair et des yeux, par l’amour des aises de la vie et des richesses, par la recherche des honneurs et d’une position dans le monde, que le diable cherche à agir sur les chrétiens. Ceux de ces temps-là, comme hélas ! ceux du nôtre, ne se laissèrent que trop égarer par l’ennemi, et tombèrent dans la mondanité. Les hommes étaient devenus efféminés et recherchaient leurs aises ; les femmes avaient cessé de montrer dans leur tenue la modestie et la simplicité recommandée par l’apôtre (1 Pierre 3:1-6) ; le clergé lui-même était ambitieux et avide d’honneurs et d’argent.

Ce qui explique la mondanité croissante chez les chrétiens, c’est que, pour un grand nombre, la foi n’était plus, ainsi qu’aux premiers temps, une conviction inébranlable, résultat de l’œuvre de Dieu dans l’âme, mais une croyance inculquée dans l’esprit par une éducation chrétienne. N’est-ce point là ce que l’on trouve aussi si généralement répandu de nos jours ? Il n’y avait donc plus chez un très grand nombre de ceux qui portaient le nom de chrétiens, la vie, la sève fortifiante, mais seulement une forme de piété (2 Timothée 3:5). Origène, en Orient, et Cyprien, en Occident (*), sont unanimes à déplorer dans leurs écrits l’esprit de mondanité qui s’était glissé dans l’Église ; le luxe, l’avidité et l’orgueil du clergé, aussi bien que la vie frivole et profane des simples chrétiens.

 

(*) Nous reparlerons de ces deux hommes distingués.

Voici sur ce sujet quelques paroles de Cyprien : « Le Seigneur a voulu éprouver son peuple, et comme la règle de vie selon la piété a été mise en oubli durant le long temps de paix dont nous avons joui, un jugement de Dieu est tombé sur nous afin de réveiller notre foi affaiblie, et je pourrais presque dire endormie. Nous aurions mérité davantage pour nos péchés, mais le Seigneur, plein de miséricorde, a disposé de tout ce qui nous est survenu de telle sorte qu’il semble que ce soit une épreuve plutôt qu’une persécution. Au lieu de penser à ce qu’était la vie des croyants du temps des apôtres et à ce qu’elle doit toujours être chez ceux qui sont à Christ, les chrétiens travaillaient avec une avidité jamais assouvie à accroître leurs biens terrestres. Et beaucoup d’évêques qui auraient dû enseigner les autres par leurs paroles et leur exemple, négligeaient leur vocation divine et recherchaient les choses du monde ».

Tel était l’état d’un grand nombre d’assemblées quand la persécution survint. N’y a-t-il pas là de quoi nous faire réfléchir et nous donner une leçon salutaire ?

 

1.8   Persécution sous Décius

L’Église en général était donc tombée, durant les années de paix dont elle avait joui, dans un fâcheux état spirituel. Le Seigneur, comme le disait Cyprien, afin de la réveiller de ce sommeil fatal, permit qu’elle passât par une persécution plus terrible qu’aucune de celles qui avaient précédé. Ce qui la distingua fut qu’elle sévit avec une rigueur excessive dans toutes les provinces de l’empire romain.

Une des causes de cette persécution fut probablement le refus des chrétiens de participer aux fêtes solennelles célébrées en l’an 247, à l’occasion du millénaire de la fondation de Rome. Toutefois, aussi longtemps que l’empereur Philippe régna, il protégea les chrétiens contre l’inimitié des prêtres des idoles et la fureur du peuple. Mais en 249, il fut vaincu et tué par Décius qui le remplaça sur le trône impérial.

Le nouvel empereur était un fervent sectateur du paganisme, qu’il voulait rétablir dans toute son ancienne splendeur. Il résolut donc d’extirper entièrement le christianisme, et pour cela ordonna aux magistrats dans toutes les provinces, de remettre en vigueur les anciens édits portés contre les chrétiens. Sous peine de leur propre vie, il leur commanda de faire périr tous les chrétiens sans exception, ou de les ramener à la religion de leurs pères par les menaces, les châtiments et les tortures.

L’empereur Trajan avait rendu un édit qui défendait de rechercher les chrétiens, et un autre contre les dénonciations anonymes et surtout contre les esclaves qui trahissaient leurs maîtres. Sous Décius, on ne tint aucun compte de ces édits. Les magistrats recherchaient les chrétiens, les accusateurs ne couraient aucun risque, et il suffisait du bruit public pour qu’une personne fût considérée comme coupable de christianisme.

Décius, par son édit, ordonna de rechercher exactement tous ceux qui refusaient leur adhésion à la religion de l’État, ou qui étaient même simplement soupçonnés de ne pas s’y soumettre. Partout où ce terrible édit était promulgué, on assignait un jour où tous les chrétiens de l’endroit devaient comparaître devant le magistrat pour abjurer leur religion. On commençait par les sommer de faire profession de paganisme en offrant de l’encens sur les autels des faux dieux. S’ils refusaient, on cherchait d’abord à les intimider et à les ébranler par des menaces ; persistaient-ils, on les soumettait à la torture ; celle-ci n’avait-elle point d’effet, on les conduisait au supplice. Dans l’espace de deux ans — durée du règne de Décius — des milliers de chrétiens furent ou livrés aux flammes, ou emprisonnés et torturés jusqu’à la mort. Les évêques surtout étaient l’objet de la haine du tyran.

Un grand nombre de chrétiens s’enfuyaient avant que le jour fatal où ils devaient comparaître fût arrivé. Ils se condamnaient ainsi volontairement à un exil perpétuel, car leurs biens étaient confisqués et le retour leur était interdit sous peine de mort. Souvent on jetait en prison ceux qui étaient restés fermes dans les tortures, afin que les souffrances prolongées causées par le séjour dans des cachots infects, par la faim et la soif, les amenassent à abandonner leur foi. Plusieurs, en grand nombre, hélas ! étaient relâchés sans avoir sacrifié, après s’être procuré à prix d’argent un témoignage du magistrat attestant qu’ils avaient obéi à l’édit impérial. Mais l’Église les considérait comme ayant de cette manière abjuré en réalité le christianisme, et les repoussait de son sein.

Denis, évêque d’Alexandrie, rapporte en ces termes l’effet produit par l’édit impérial : « Beaucoup de chrétiens distingués par leur position se sont soumis, quelques-uns poussés par la crainte, d’autres pressés par leurs amis. Un grand nombre se tenaient devant le magistrat, pâles et tremblants, ne voulant point participer aux rites idolâtres, mais n’étant point préparés à persévérer jusqu’à la mort. D’autres supportaient jusqu’à un certain point les douleurs de la torture, mais ensuite cédaient ». Tel était le triste résultat du relâchement où les chrétiens étaient tombés en s’associant avec le monde. Il ne nous conviendrait cependant pas, à nous qui vivons dans un temps paisible de liberté religieuse de juger avec sévérité la faiblesse de ceux qui cédaient aux tourments. Dieu nous a épargné ces épreuves jusqu’ici. Qu’aurions-nous fait à leur place ? Demandons au Seigneur de nous donner de Lui être fidèles et de ne pas succomber aux tentations du monde, aux convoitises de notre cœur naturel.

Mais dans ces jours si sombres, le Seigneur eut aussi ses fidèles témoins qui souffrirent pour Lui, perdirent leurs biens et haïrent leur vie dans ce monde-ci, afin de la conserver « pour la vie éternelle » (Jean 12:25). Denys d’Alexandrie raconte qu’un grand nombre, fortifiés par le Seigneur, tinrent fermes comme des colonnes, témoins admirables de sa grâce. Parmi eux, il mentionne un jeune garçon de quinze ans, nommé Dioscore, qui répondit avec la plus grande sagesse aux questions qui lui furent posées, et qui, au milieu des tourments, montra une telle fermeté que le magistrat en fut étonné. Il le relâcha dans l’espérance qu’arrivé à un âge plus mûr, il reconnaîtrait son erreur. Une femme fut traînée par son propre mari devant l’autel, et, tandis qu’un autre lui tenait fortement les mains, il la força, malgré elle, à répandre sur le feu l’encens offert aux idoles. Mais elle, durant tout ce temps, s’écriait : « Ce n’est pas moi qui le fais, ce n’est pas moi qui le fais ». Encore ici, le Seigneur se glorifia dans la faiblesse de ses fidèles témoins.

À Carthage, où, dans une persécution précédente, les chrétiens avaient déjà tant souffert, les confesseurs de Christ jetés dans les cachots, eurent à endurer les souffrances d’une chaleur excessive, de la faim et de la soif. On espérait les obliger ainsi à se soumettre aux ordres de l’empereur, mais bien que la mort la plus douloureuse fût devant eux, ils tinrent ferme. Combien ils devaient être soutenus et rafraîchis en pensant aux temps dont il est parlé dans l’Apocalypse : « Ils n’auront plus faim et ils n’auront plus soif, et le soleil ne les frappera plus, ni aucune chaleur, parce que l’Agneau qui est au milieu du trône les paîtra et les conduira aux fontaines des eaux de la vie » (Apocalypse 7:16-17).

À Rome, plusieurs chrétiens furent enfermés dans les prisons pendant plus d’une année. De leur lieu de souffrance ils écrivaient à Cyprien, évêque de Carthage : « Quel lot plus glorieux y a-t-il pour des hommes que de pouvoir, par la grâce de Dieu, confesser le Seigneur au milieu des tourments et devant la mort même ; d’être rendus capables, avec un corps lacéré et un esprit défaillant, mais libre, de rendre témoignage à Christ, le Fils de Dieu, et d’être pour l’amour de Lui participants de ses souffrances ? Nous n’avons pas encore versé notre sang, mais nous sommes prêts à le faire. Priez pour nous, cher Cyprien, afin que, jour après jour, le Seigneur affermisse chacun de nous et nous fortifie par la puissance de sa force ; afin que, comme un habile général, après avoir exercé et éprouvé ses guerriers dans le camp au milieu des dangers, Il nous conduise enfin sur le champ de bataille qui est devant nous, revêtus des armes invincibles de Dieu ». Bien des évêques de différentes églises succombèrent dans cette terrible persécution. Parmi eux, Babylas, évêque d’Antioche, avait été condamné à être décapité avec six jeunes catéchumènes. Il les vit périr sous ses yeux, puis livrant sa tête au bourreau, il s’écria : « Me voici, mon Dieu, avec les enfants que tu m’as donnés ».

On raconte aussi que du rang même des bourreaux sortirent parfois des confesseurs du nom de Christ. Des soldats de la garde d’un proconsul, voyant un chrétien faiblir devant les menaces, lui firent signe de ne pas céder. Le proconsul les fit aussitôt saisir et emmener, et ils moururent avec joie en confessant leur foi.

Le Seigneur, après deux années de cette épreuve semblable à une fournaise ardente ou à un creuset destiné à épurer l’Église, y mit enfin un terme. Décius périt dans un combat contre les Goths.

Le Seigneur qui « châtie celui qu’il aime », avait donné à l’Église un solennel avertissement, afin de lui faire comprendre qu’elle n’était pas du monde et qu’il voulait qu’elle fût toute à Lui. Il eût été heureux qu’elle écoutât la répréhension. Nous verrons plus tard si ce fut le cas. Mais auparavant, nous aurons à parler de la dernière persécution, et aussi de quelques-uns des hommes éminents dans l’Église à l’époque de ces épreuves.

 

1.9   Persécution sous Valérien — Martyre de Cyprien

Après la mort de Décius, il y eut pour l’Église quelques courtes années de relâche ; mais à la fin du règne de Valérien, en l’an 257, la persécution recommença avec violence. Par un premier édit, l’empereur défendit aux chrétiens de se réunir ; un second édit condamna au travail des mines ceux qui n’obéissaient pas ; et un troisième ordonna que tous les évêques, les prêtres (ou anciens) et les diacres fussent mis à mort.

C’est dans cette persécution que l’évêque de Rome Étienne et son successeur Sixte souffrirent le martyre. Comme on conduisait ce dernier au supplice, son fidèle disciple, le diacre Laurent, le suivait en disant : « Où vas-tu, mon père, sans ton fils ? » — « Tu me suivras dans peu de jours », répondit l’évêque. Peu après sa mort, le préfet de Rome fit arrêter et amener devant lui Laurent, auquel il ordonna de lui livrer les richesses immenses que possédaient, disait-on, les chrétiens de Rome. Laurent lui demanda un peu de temps pour mettre tout en ordre. Le magistrat lui accorda trois jours, au bout desquels Laurent l’invita à venir voir les richesses de l’Église, une grande cour, disait-il, pleine de vases d’or. Le préfet accourut, et Laurent l’introduisit dans la cour remplie de pauvres et d’estropiés : « Voilà les trésors que je t’ai promis », dit-il, « et voici les pierres précieuses que j’y ajoute, nos vierges et nos veuves, la couronne de l’Église ». Le préfet irrité ordonna que Laurent fût dépouillé de ses vêtements, puis attaché sur un gril de fer et brûlé à petit feu. Le martyr, près d’expirer, leva les yeux au ciel, pria pour la conversion des habitants de Rome, puis remit son esprit au Seigneur.

C’est aussi dans cette persécution qu’à Césarée, en Cappadoce, un enfant chrétien, nommé Cyrille, soutenu par le Seigneur, montra un courage extraordinaire. Persécuté par ses camarades, chassé par ses parents, conduit devant le tribunal, il demeura ferme, malgré toutes les sollicitations et les promesses du juge. « Je suis chassé de la maison de mes parents », répondit l’enfant, « mais j’ai une plus belle demeure, et je ne crains pas la mort qui m’introduira dans une meilleure vie ». Le juge le fit conduire au bûcher, espérant que la vue du feu triompherait de sa résolution. Mais ce fut en vain, et le jeune martyr subit le supplice.

Ainsi la puissante grâce du Seigneur, dans ces temps de souffrances, soutenait ses fidèles témoins et leur donnait de mépriser les cruelles tribulations du temps présent par amour pour Jésus, et en vue de la gloire éternelle à venir qui les attendait (Romains 8:18 ; 2 Corinthiens 4:16-17).

Mais ce n’est que la force du Seigneur qui pouvait les rendre capables de demeurer fermes, et cette force, il la donnait seulement à ceux qui marchaient dans l’humilité. L’exemple suivant est, à cet égard, bien frappant. On raconte qu’à cette même époque de persécution vivaient deux amis, Nicéphore et Saprice. Ce dernier était un pasteur de l’église. Un différend étant survenu entre eux, ils se brouillèrent complètement. Après un certain temps, Nicéphore chercha à se réconcilier avec son ancien ami, mais tous ses efforts furent vains : Saprice persista dans son ressentiment. La persécution de Valérien survint et Saprice fut conduit devant le gouverneur, qui lui ordonna de sacrifier aux dieux. Sur son refus, le magistrat le fit conduire au supplice. Nicéphore l’apprenant, accourt et accompagne son ancien ami vers le lieu de l’exécution, en le suppliant de lui pardonner ses torts. Tout est inutile, Saprice refuse obstinément le pardon demandé. Mais alors on put voir que Dieu ne saurait être avec un cœur dur et qui désobéit à l’injonction : « Vous pardonnant les uns les autres, si l’un a un sujet de plainte contre un autre ; comme aussi le Christ vous a pardonné, vous aussi faites de même » (Colossiens 3:13). Saprice, tout d’un coup, comme abandonné de Dieu, perd courage et demande à sacrifier. Nicéphore, étonné, l’exhorte à demeurer ferme, mais c’est en vain. Alors il déclare à ceux qui conduisaient Saprice que lui, Nicéphore, croit à ce Jésus que son ami vient de renier. Conduit au gouverneur, celui-ci ordonna que le fidèle témoin de Christ fût exécuté.

Mais le plus célèbre des martyrs qui perdirent la vie durant la persécution de Valérien, fut Cyprien, évêque de Carthage. Né dans cette ville l’an 200, d’une famille distinguée, il était riche et se faisait remarquer par ses talents. Comme professeur d’éloquence, sa renommée s’était répandue au loin. En même temps, il aimait les plaisirs, les spectacles, les jeux et les festins, et s’étonnait de la vie austère que menaient les vrais chrétiens. Ce ne fut qu’à l’âge de 46 ans, qu’il fut converti au Seigneur par le moyen d’un fidèle ministre de Jésus Christ nommé Cécilius. Dès ce moment, il ne voulut plus vivre que pour Celui qui l’avait aimé. Il vendit tous ses biens pour les distribuer aux pauvres, et, plein du feu de la jeunesse quoique déjà d’âge mûr, il se dévoua entièrement au service de son divin Maître, et fut bientôt connu par son zèle et le sérieux de sa vie comme chrétien. L’étude des saints livres devint sa constante et plus chère occupation, et il la continua jusqu’à la fin de sa vie.

Déjà deux ans après sa conversion, le vœu général des chrétiens de Carthage l’appela à occuper la charge d’évêque ou surveillant. Dans le sentiment, de la grandeur de la tâche à remplir, il aurait voulu refuser, mais les instances pressantes de tout le peuple le décidèrent à céder, et durant les dix années qui s’écoulèrent jusqu’à sa mort, il se montra entièrement dévoué à son œuvre. Animé d’un ardent amour pour le Seigneur et pour les âmes, il remplit les devoirs de sa charge avec la plus grande fidélité. C’était un temps de grandes difficultés provenant soit de l’état de relâchement où étaient tombés les chrétiens, soit des persécutions qu’ils avaient à subir, soit enfin des prétentions que commençait à élever l’évêque de Rome. Cyprien fit preuve à la fois de fermeté et de douceur. Il savait encourager et soutenir les faibles, mais résistait fortement au mal qui tendait toujours plus à s’introduire dans l’Église. Il s’opposait en particulier à la légèreté avec laquelle on recevait les nouveaux convertis à la Cène, et à la facilité avec laquelle on admettait de nouveau dans la communion de l’Église ceux qui avaient cédé dans la persécution, soit en sacrifiant aux dieux, soit en achetant des certificats portant qu’ils avaient sacrifié, soit en livrant les livres saints. Il résista aussi énergiquement à l’évêque de Rome qui réclamait la primauté sur les autres évêques, et s’intitulait parfois évêque des évêques. Malgré l’opposition que rencontrèrent ces prétentions, elles s’affirmèrent toujours plus, et c’est ainsi que la papauté prit naissance.

Cyprien se montra aussi ferme dans la persécution. Quand celle de Décius éclata, il fut un des premiers désigné par la haine des païens de Carthage, qui n’avaient pas oublié son changement de religion et que son zèle irritait. « Cyprien aux lions », était le cri qui retentissait au théâtre où le peuple païen de Carthage s’assemblait. Cédant aux instances des fidèles, Cyprien se retira à l’écart durant les deux années que dura la persécution, mais sans cesser de donner à son troupeau, du lieu de sa retraite, tous les soins qu’il pouvait.

Après la mort de Décius, il revint à Carthage, et reprit son ministère actif. Il eut l’occasion de l’exercer d’une manière particulière durant une peste terrible qui éclata dans cette ville. Tous, saisis de frayeur, s’enfuyaient, abandonnant même leurs proches. Cyprien assembla les membres de son troupeau, et leur rappela le devoir de tout disciple de Christ de s’adonner aux œuvres de miséricorde, non seulement envers leurs frères en la foi, mais même envers leurs ennemis. Si pressantes furent ses exhortations que les fidèles, animés du même esprit que lui, se partagèrent les soins à donner aux pestiférés, ne faisant aucune distinction entre les chrétiens et les païens, et montrant ainsi à ces derniers la réalisation de la parole du Seigneur : « Aimez vos ennemis ».

Lorsque éclata de nouveau, l’an 257, la persécution sous l’empereur Valérien, Cyprien fut amené devant le proconsul d’Afrique, Paternus. Sur son refus de sacrifier aux dieux, il fut exilé à Curubes, ville située à une journée de marche de Carthage. Il y resta onze mois. Au bout de ce temps, Paternus fut remplacé par Galère-Maxime. Celui-ci fit arrêter Cyprien dans sa demeure et ordonna de le ramener à Carthage. Le pieux évêque ne se dissimula point que sa fin était arrivée. Avec un cœur paisible et un visage serein, il se mit en route sous la conduite des officiers et des soldats envoyés pour le prendre. Une indisposition du proconsul empêcha qu’il ne comparût le jour même où il avait été cité. Le bruit de l’arrestation de l’évêque bien-aimé s’était répandu partout avec la rapidité de l’éclair. Presque tous les fidèles passèrent la nuit autour de la maison où Cyprien avait été renfermé. Le lendemain, sous une forte escorte et entouré d’une foule considérable, il fut conduit devant le proconsul. « Es-tu Thascius Cyprien, évêque de tant d’hommes impies ? » lui demanda le magistrat. — « Je le suis », répondit Cyprien. — « L’empereur ordonne que tu sacrifies à nos dieux ». — « Je ne le puis, je suis chrétien ». — « Réfléchis sérieusement à ce que tu fais ; il y va de ta vie », dit encore le proconsul. — « Exécute les ordres que tu as reçus », répondit tranquillement Cyprien. « La chose ne demande pas d’autres réflexions. C’est à mon Dieu que je dois obéir ».

Le proconsul se consulta un moment avec ceux qui l’entouraient, puis rendit cette sentence : « Nous ordonnons que Thascius Cyprien, qui a méprisé les dieux et les ordres du pieux empereur, ait la tête tranchée ». — « Dieu soit loué, qui va me délivrer de ce corps de mort », s’écria Cyprien à haute voix. — « Mourons avec lui », dirent les frères qui étaient présents. Cyprien fut aussitôt livré à ses bourreaux, conduit dans un champ voisin et là décapité.

Chose remarquable, Galère-Maxime mourut quelques jours après celui qu’il avait condamné à mort. Et deux ans plus tard, la persécution ayant duré pendant trois ans avec la plus extrême violence, l’armée romaine fut presque entièrement anéantie par les Perses. Valérien, fait prisonnier par Sapor, le roi de Perse, fut traité de la manière la plus ignominieuse par ce dernier qui se servait de lui comme d’un marchepied pour monter à cheval. Après plusieurs années de souffrances, il mourut sous le poids des douleurs et des mauvais traitements qu’il endura. Sapor fit écorcher et saler son corps, et le suspendit à la voûte d’un temple.

Cette triste fin de plusieurs des persécuteurs des chrétiens frappa beaucoup les esprits. On commença à penser que les ennemis du christianisme étaient aussi ceux du ciel. Durant les quarante années qui suivirent, l’Église jouit de la tranquillité extérieure, mais ce fut un temps de grand déclin dans la vie et dans la piété. Alors le Seigneur lui donna encore un dernier grand et solennel avertissement par la persécution qui eut lieu sous l’empereur Dioclétien.

 

1.10                      La dernière grande persécution sous Dioclétien

Après la sanglante persécution qui eut lieu sous Valérien, l’Église, comme nous l’avons dit, avait joui d’un long repos. Vers la fin de cette période, de grands changements avaient eu lieu dans le gouvernement du vaste empire romain. Dioclétien, l’empereur d’alors, qui avait commencé à régner en l’an 284, s’était associé son ami Maximin pour gouverner l’empire. Celui-ci avait à régir l’Occident et Dioclétien l’Orient. De plus, chaque empereur s’était adjoint, sous le nom de « césar », un lieutenant qui devait lui succéder. Le césar d’Occident se nommait Constance, celui d’Orient était Galère, gendre de Dioclétien.

Durant la longue période de paix qu’avait traversée l’Église, elle avait atteint un degré de prospérité extérieure que rien n’aurait pu faire présager. Dans toutes les classes de la société, les chrétiens étaient nombreux. Ils occupaient de hautes charges dans l’État, dans l’armée, et même à la cour de Dioclétien. Jusqu’à l’impératrice et sa fille Valéria s’étaient, dit-on, jointes aux chrétiens. Dans la plupart des villes, ils avaient construit des édifices où ils se rassemblaient pour leur culte. À Nicomédie où résidait l’empereur, en face même de son palais, s’élevait un temple chrétien.

Mais si l’Église avait prospéré extérieurement, intérieurement elle s’était bien détournée de la pureté et de la simplicité de l’Évangile. Les persécutions qu’elle avait souffertes, ne l’avaient pas arrêtée dans la voie du déclin, elle n’avait pas prêté l’oreille aux avertissements du Seigneur qui lui avait dit : « Souviens-toi donc d’où tu es déchu, et repens-toi, et fais les premières œuvres » (Apocalypse 2:5). Dans les églises, on commençait à voir de riches tentures, des vases d’or et d’argent, et des cérémonies empruntées au culte judaïque tendaient à s’introduire et à remplacer l’adoration en esprit et en vérité (Jean 4:23-24). Les grandes vérités enseignées par les apôtres touchant la nouvelle naissance et la justification du pécheur par la foi, étaient oubliées ou n’étaient plus comprises. La régénération par l’eau du baptême (1 Pierre 3:21) (*) et la justification par les œuvres étaient mises à la place de ces vérités fondamentales, et l’Évangile était perverti (Galates 1:7 ; 2:16). La philosophie, c’est-à-dire les raisonnements de la sagesse humaine, s’était introduite chez les docteurs de l’Église, et les Écritures n’étaient plus reçues dans leur simplicité (Colossiens 2:8). Aussi toutes sortes d’erreurs étaient enseignées, même par les plus distingués de ces docteurs, par exemple, par le célèbre Origène. Les exhortations des pasteurs des troupeaux, au lieu de présenter Christ et sa grâce, n’étaient plus guère que des discours de morale et de philosophie, et la masse des chrétiens était toujours plus attirée vers le monde. Le clergé s’était constitué comme une classe à part, de sorte que la présence et l’action du Saint Esprit dans l’Église étaient méconnues ou oubliées. Les évêques s’étaient arrogé une autorité toujours plus grande (voyez 1 Pierre 5:1-4) (**) ; leur ambition et leurs luttes causaient, au sein des communautés, des querelles et des dissensions qui souvent amenaient des scènes de violence (Galates 5:15). La foi et l’amour allaient s’affaiblissant ; l’orgueil et l’avarice grandissaient. Tel était le triste état intérieur de l’Église. Alors le Seigneur prit encore une fois la verge pour donner un dernier avertissement (Apocalypse 3:19), en permettant à Satan de livrer un suprême assaut à l’Église. Aussi aucune persécution ne fut plus violente.

 

(*) Ce passage montre que ce n’est pas l’eau du baptême qui régénère.

(**) Nous citons les passages qui montrent combien les chrétiens s’étaient écartés du sain enseignement.

L’empereur Dioclétien, bien que superstitieux, n’avait au commencement aucune haine contre le christianisme. Constance, en Occident, favorisait les chrétiens, mais Galère, d’un caractère grossier et cruel, les haïssait, et cette haine était entretenue et excitée par sa mère, femme superstitieuse, adonnée à toutes les pratiques du paganisme et tout entière sous le pouvoir des prêtres et des idoles.

Ceux-ci voyaient dans la prospérité croissante des chrétiens le présage de leur propre ruine ; aussi leur inimitié contre le christianisme et ceux qui le professaient devenait-elle toujours plus grande, et cherchaient-ils le moyen de se défaire de cette race odieuse. D’un autre côté, les philosophes et les savants dont Dioclétien s’était entouré, ne haïssaient pas moins une religion dont la pureté les condamnait et dont les doctrines répugnaient à leur raison. Ils auraient aussi voulu l’extirper. Malgré leurs efforts, réunis à ceux des prêtres, pour engager Dioclétien à sévir contre les chrétiens, ceux-ci n’eurent rien à souffrir durant les 14 premières années du règne de l’empereur. Alors les adversaires du christianisme se tournèrent vers Galère, qui avait déjà fait éloigner de l’armée tous ceux qui refusaient de sacrifier aux idoles, et qui en avait même fait mourir plusieurs.

Dans l’hiver de l’année 302 à 303, Galère vint à Nicomédie, dans le but de presser Dioclétien de sévir contre les chrétiens. Le vieil empereur ne céda pas immédiatement. Les prêtres, connaissant son esprit superstitieux, mirent alors en œuvre, pour le décider, les artifices que leur suggéra leur esprit de mensonge. Comme un jour Dioclétien offrait un sacrifice, les prêtres, selon leur coutume, cherchaient, dans les entrailles des victimes, des présages bons ou mauvais. Mais ils déclarèrent qu’il ne s’y trouvait point de présages. De nouvelles victimes furent immolées ; le résultat fut le même, et les prêtres dirent à l’empereur effrayé que c’était à cause des profanes qui étaient présents. Ils désignaient ainsi les officiers chrétiens qui accompagnaient l’empereur, et qui, durant les sacrifices, faisaient le signe de la croix pour dégager leur conscience (*). Dioclétien irrité ordonna à tous ses officiers de sacrifier, sous peine d’être battus de verges et renvoyés de son service. Il commanda aux chefs de l’armée d’agir de même envers les chrétiens de leurs légions.

 

(*) Nos lecteurs remarqueront que cette coutume, que l’on peut qualifier de superstitieuse, était une de celles déjà introduites dans l’Église.

Mais cela ne satisfit point Galère et sa mère. Ils pressèrent l’empereur de faire étendre la persécution à tous les chrétiens. Avant de se rendre à leur désir, Dioclétien voulut consulter les dieux. Un messager fut donc envoyé dans ce but à l’oracle d’Apollon, à Milet. L’oracle répondit — et l’on prétendit que ce fut le dieu lui-même qui parla — que les justes qui étaient sur la terre, empêchaient les oracles d’être rendus. Qui étaient ces justes ? Les prêtres expliquèrent que c’étaient les chrétiens, et cela décida Dioclétien. Comme nous pouvons voir là la puissance de mensonge de Satan ! Ainsi commença la dixième et dernière persécution qui sévit durant dix années.

Le 24 février de l’année 303, fut rendu le premier édit contre les chrétiens. Il portait que tous ceux qui refusaient de sacrifier seraient privés de leurs charges, de leurs biens, de leur rang et de leurs droits de citoyens ; que tous les esclaves qui persisteraient dans leur foi, perdraient tout espoir de recouvrer leur liberté, et que les chrétiens de toute condition pourraient être soumis à la torture. Toutes les églises devaient être détruites, les réunions religieuses étaient interdites, et les livres saints devaient être livrés aux officiers de l’empereur et brûlés.

Cette tentative de détruire les Écritures où les chrétiens puisaient leur foi, était de la part de Satan un effort tout nouveau. Mais la parole de Dieu, béni soit-Il, ne peut être anéantie (Jean 10:35 ; 1 Pierre 1:25). Satan savait bien, pour l’avoir éprouvé, qu’elle est l’épée de l’Esprit (Matthieu 4:1-10 ; Éphésiens 6:17). La faire disparaître était ruiner le christianisme. Les philosophes de la cour de l’empereur furent sans doute en cela les instruments de l’ennemi. Les Écritures étaient l’arsenal où les chrétiens puisaient leurs armes contre eux. La puissance romaine, représentée par la quatrième bête, et qui reparaîtra plus terrible dans l’avenir, faisait ainsi de toutes manières la guerre aux saints (*) (Daniel 7 ; Apocalypse 13:7 ; 17:8). L’église de Nicomédie fut détruite sous les yeux de l’empereur, et les saints livres qu’on y trouva furent brûlés. En beaucoup d’autres endroits, les églises furent aussi renversées, et les chrétiens qui refusèrent de livrer les Écritures furent mis à mort.

 

(*) On a vu, dans un temps plus rapproché de nous, les mêmes moyens employés contre ceux qui ne voulaient suivre que la parole de Dieu, et ces persécutions partaient d’un corps religieux qui se dit la véritable Église !

À peine l’édit eut-il été affiché à Nicomédie, qu’un chrétien de noble condition le déchira. On peut comprendre son indignation, mais nous ne pouvons approuver son action, car il faut être soumis aux autorités. Malgré sa haute position, il fut condamné à mort et brûlé à petit feu. Dieu le soutint dans ses terribles souffrances, de sorte que sa fermeté à les supporter frappa d’étonnement ses bourreaux.

Peu de temps après, à deux reprises différentes, le feu prit au palais impérial. Sans qu’il y eût de preuve, on accusa les chrétiens d’être les auteurs de ces tentatives d’incendie. On soupçonna Galère de n’y avoir pas été étranger ; il voulait pousser l’empereur à des mesures plus rigoureuses, et déclara qu’il quittait Nicomédie où, disait-il, sa vie était en danger. Dioclétien crut qu’en effet les chrétiens étaient coupables. Effrayé et irrité au plus haut point, il donna les ordres les plus sévères. Nombre de personnes furent jetées en prison et soumises aux plus cruelles tortures pour leur faire avouer leur crime. Plusieurs furent brûlés, décapités ou noyés. Galère et sa mère avaient ainsi atteint leur but.

La persécution sévit contre tous les chrétiens de quelque condition qu’ils fussent. Dioclétien contraignit même l’impératrice Prisca et sa fille Valéria à sacrifier aux dieux. Il fit de même à l’égard des officiers de sa cour. Plusieurs préférèrent l’opprobre de Christ à la gloire de ce monde. Ils refusèrent d’obéir et subirent en présence même de l’empereur les tortures les plus cruelles. Ainsi l’un d’eux avait eu le corps déchiré. Dans ses plaies vives on versa, pour aviver ses souffrances, un mélange de sel et de vinaigre, mais rien n’ébranla la constance du martyr. Il tint ferme la confession du nom de Christ et refusa de reconnaître d’autres dieux. Alors l’empereur furieux ordonna qu’il fût brûlé à petit feu.

La rage des persécuteurs ne fut pas satisfaite par des supplices isolés. On fit périr en masse les confesseurs de Christ. D’immenses bûchers furent élevés où on les brûlait ensemble. On les jetait dans la mer attachés à de grosses pierres. La persécution s’étendit dans tout l’empire, sauf dans les provinces d’occident où gouvernait Constance. Il se contenta de faire démolir les églises.

Peu après la promulgation du premier édit, un second fut rendu dirigé contre les conducteurs du troupeau. Les prisons se remplirent d’évêques, de presbytres (ou anciens) et de diacres. Bientôt après parut un troisième édit, qui défendait de les relâcher à moins qu’ils ne fussent prêts à sacrifier aux dieux. Ceux qui refusaient étaient déclarés ennemis de l’État, et devaient être soumis à la torture et à d’autres peines pour les contraindre à abjurer le christianisme. Un grand nombre des hommes les plus éminents, les plus pieux et les plus respectables de l’Église furent ainsi torturés, mis à mort, ou condamnés aux durs travaux des mines. L’empereur se flattait que, privés de leurs conducteurs, les chrétiens céderaient plus facilement ; mais il fut obligé de reconnaître qu’il n’avait pas atteint son but.

Poussé par les prêtres païens et par Galère, il rendit alors un quatrième édit qui surpassait les autres en rigueur. Les magistrats reçurent l’ordre d’employer sans restriction et sans réserve, la torture et les supplices pour forcer tous les chrétiens, hommes, femmes et enfants, à adorer les dieux. Ah ! comme du fond des cœurs devait monter le cri : « Jusques à quand, ô Souverain ! » (Apocalypse 6:10). On a peine à croire à une telle cruauté de la part des hommes. Mais à quoi ne peut se livrer le cœur naturel conduit par Satan, qui est meurtrier dès le commencement ? C’était la lutte suprême que l’ennemi soutenait pour maintenir l’idolâtrie contre Christ. L’édit ayant été rendu, on proclama dans les rues des villes que tous, hommes, femmes et enfants, eussent à se rendre aux temples des dieux pour sacrifier ou recevoir la sentence de mort. Aux portes, on arrêtait ceux qui entraient ou sortaient, et on les soumettait à un strict examen pour savoir s’ils étaient chrétiens. Sur le moindre soupçon, on était saisi et emprisonné. Des familles entières furent égorgées après avoir subi toutes sortes de souffrances. On laissait les prisonniers mourir de faim, ils étaient brûlés, noyés, crucifiés, pendus par les pieds, et mouraient ainsi d’une mort lente. Parfois dix, vingt, soixante et même cent personnes, étaient mises à mort ensemble dans un même endroit et toujours de la manière la plus cruelle. Partout les chrétiens étaient abandonnés sans défense à toute la haine du peuple. Ils n’avaient nul recours auprès des autorités, et on peut aisément penser à quels excès ils furent exposés. Sacrifier aux dieux était le seul moyen d’échapper aux injustices, aux souffrances et à la mort.

Pendant quelque temps les persécuteurs crurent qu’ils avaient triomphé. On érigea des colonnes et on frappa des médailles en l’honneur de Dioclétien et de Galère, comme ayant extirpé le christianisme et restauré le culte des dieux. Mais celui qui règne dans les cieux allait étendre sa main et terrasser les ennemis de son nom. Ceux-ci pouvaient tuer les chrétiens, renverser leurs églises et brûler leurs livres saints, mais ils ne pouvaient pas atteindre la source vivante du christianisme. La période des souffrances des chrétiens avait été exactement mesurée, et toute la puissance des empereurs ne pouvait la prolonger d’une heure.

La main de Dieu s’appesantit d’une manière terrible sur les ennemis de l’Église. Dans la huitième année de la persécution, Galère, qui en avait été l’instigateur, fut frappé d’une maladie affreuse. Comme Hérode autrefois (Actes 12:23), vivant il fut rongé des vers. On appela les médecins les plus habiles, on consulta les oracles ; tout fut vain. Les remèdes ne faisaient qu’accroître l’intensité du mal ; le palais était rempli d’une odeur pestilentielle exhalée par ce corps en putréfaction, et les amis même de l’empereur ne pouvant la supporter, l’abandonnèrent. Frappé dans son corps, livré aux plus affreuses souffrances, il cria grâce. Il fit supplier les chrétiens de prier pour lui, et rendit un édit où il leur accordait l’exercice libre et public de leur religion. Quelques jours après, il expira. Durant six mois l’édit fut exécuté. Quantité de chrétiens sortirent des prisons et des mines, mais la plupart pour porter pendant le reste de leur vie les traces des souffrances qu’ils avaient endurées.

Maximin qui succéda à Galère continua à persécuter les chrétiens avec une cruauté encore plus grande. Il ordonna que tous les officiers civils et militaires, tous les hommes libres ou esclaves, et même les petits enfants, sacrifiassent et mangeassent des choses sacrifiées aux idoles. Tous les aliments qui se vendaient au marché étaient aspergés du vin ou de l’eau consacrés pour le service des dieux, afin que bon gré, mal gré, les chrétiens participassent en quelque manière au culte idolâtre. Le sang des martyrs recommença à couler dans tout l’empire, sauf dans les Gaules où était Constance. Mais la main de Dieu se fit de nouveau sentir. La guerre, la peste et la famine sévirent dans toutes les provinces d’Asie. Dans toute la partie de l’empire que régissait Maximin, une sécheresse qui dura toute une année, amena une famine terrible. La peste suivit ; les chrétiens seuls, animés de charité, bravèrent la maladie, et se mirent à soigner les malades que l’on abandonnait, et à ensevelir les morts que l’on laissait sans sépulture. Les païens saisis de crainte, attribuaient leurs maux à la colère du ciel, irrité à cause des persécutions exercées contre les chrétiens. Maximin, effrayé lui-même, arrêta la persécution.

Ainsi se termina la période représentée par l’église de Smyrne, l’ère sanglante où nombre de fidèles furent « égorgés pour la parole de Dieu et pour le témoignage qu’ils avaient rendu » (Apocalypse 2:8 11 ; 6:9). En même temps que le Seigneur montrait en eux sa puissance en les fortifiant dans tant de souffrances, les persécutions étaient des avertissements donnés à l’Église pour ranimer son premier amour et la faire sortir du piège du monde. Écouta-t-elle cette voix de son Chef ? Son histoire, hélas ! nous apprend que non. Mais en dépit de tous les efforts de l’ennemi, ce que Christ a fondé ne peut périr (Matthieu 16:18).

 

1.11                      Les apologies du Christianisme

Nous avons parlé de la dernière grande bataille que Satan et le paganisme livrèrent au christianisme. Ce dernier avait vaincu par la constance et la fermeté des martyrs dans les souffrances et la mort. Le nouvel empereur d’Occident, Constantin, le fils de Constance, se déclara ouvertement pour les chrétiens. Ce fut pour l’Église le commencement d’une nouvelle ère. Avant de nous en entretenir, nous donnerons encore quelques détails sur l’époque des persécutions.

Comme nous l’avons vu, dès le commencement on porta contre les chrétiens toutes sortes d’accusations. On les représentait comme étant les ennemis de l’État, comme des athées sans religion et sans culte, comme se livrant en secret aux pratiques les plus coupables. C’étaient les prétextes allégués pour justifier les persécutions. Les Juifs et les païens à l’envi attaquaient les chrétiens et la vérité de l’Évangile. Or si le chrétien ne peut et ne doit jamais user de violence pour repousser les attaques dont il est l’objet, il doit toujours être prêt « à répondre, mais avec douceur et crainte », à quiconque lui « demande raison de l’espérance » qui est en lui (1 Pierre 3:15).

Le Seigneur donna à des chrétiens courageux d’élever leur voix pour montrer la fausseté des accusations par lesquelles on flétrissait les disciples de Christ et pour établir la vérité du christianisme. Ils le firent dans des écrits nommés « apologies », ce qui veut dire « défense ». C’est le mot dont se sert l’apôtre Paul, lorsqu’il se défend devant les Juifs et devant le roi Agrippa et qu’il expose la vérité (Actes 22:1 ; 26:1-2). Ces apologies étaient souvent adressées aux empereurs qui ordonnaient les persécutions, afin de les éclairer sur la vraie nature de la religion chrétienne. Les premières furent présentées, vers l’an 125, à l’empereur Adrien qui se trouvait à Athènes par Aristide, chrétien de cette ville, et par Quadratus, évêque. Ce dernier défend l’Évangile contre les calomnies de ses adversaires, et rappelle les miracles du Seigneur. L’empereur semble avoir tenu compte en quelque mesure des écrits de ces deux serviteurs de Christ, car il écrivit au proconsul d’Asie pour défendre qu’on maltraitât les chrétiens, à moins qu’ils n’eussent violé les lois.

Quelques années plus tard, vers l’an 140, Justin présenta une longue apologie à l’empereur Antonin le Pieux, à son fils et au sénat romain. Il commence par en appeler à l’équité de l’empereur. « Notre devoir à nous », dit-il, « est de bien faire connaître nos actes et nos pensées,… votre devoir à vous, dicté par la raison, est d’instruire la cause et d’agir en bon juge ; sans cela, quelle excuse auriez-vous devant le tribunal de Dieu ? ». Ensuite Justin justifie les chrétiens du reproche d’athéisme, en exposant les doctrines chrétiennes ; et pour en montrer la pureté, il cite plusieurs passages des Écritures, entre autres une grande partie des discours du Seigneur sur la montagne. En plusieurs passages, il parle aussi de Jésus comme du Fils de Dieu qui s’est incarné et est devenu notre Maître, et il fait ressortir l’accomplissement en Christ de plusieurs prophéties. Enfin il termine son apologie en exposant ce qu’était le culte des chrétiens.

Athénagoras, né à Athènes, était un philosophe qui vivait dans la dernière moitié du second siècle. Il se proposait d’écrire contre les chrétiens, et en vue de cela, il se mit à lire leurs livres. Dieu, par cette lecture, lui ouvrit les yeux, et il devint chrétien. Au lieu d’attaquer les disciples du Seigneur, il les défendit et présenta, en l’an 177, à Marc Aurèle et à son fils Commode, une apologie de la religion chrétienne. Dans cet écrit, il dit entre autres choses : « Pourquoi seriez-vous offensés simplement par le nom que nous portons ? Le nom seul ne mérite pas votre haine ; c’est le crime qui est digne de châtiment. Si nous sommes convaincus d’un forfait, grand ou petit, punissez-nous, mais non pas uniquement à cause du nom de chrétien. Nul chrétien n’est criminel, à moins qu’il n’agisse d’une manière contraire à sa profession ». Plus loin, mettant en contraste la conduite des chrétiens et celle des païens, il dit : « Chez nous, vous trouverez des ignorants, des ouvriers, de vieilles femmes qui ne pourraient peut-être pas prouver par des raisonnements la vérité de notre doctrine ; mais par leurs œuvres ils montrent l’effet bienfaisant qu’elle produit quand on est persuadé qu’elle est vraie. Ils ne font pas des discours, mais de bonnes œuvres. Sont-ils frappés, ils ne rendent pas les coups, ils n’intentent pas de procès à ceux qui les dépouillent ; ils donnent à ceux qui leur demandent, et aiment leur prochain comme eux-mêmes ».

C’était un beau témoignage, n’est-ce pas ? Cette conduite pure et cette charité recommandées par la parole de Dieu, au milieu de l’égoïsme, de la sensualité et de la cruauté des mœurs des païens, étaient bien propres à les frapper d’étonnement. Elles auraient dû les gagner à une religion qui produisait de tels fruits, et quelques-uns en effet furent ainsi amenés au christianisme. Mais le plus grand nombre restait hostile, parce que le cœur mauvais de l’homme préfère les mauvaises œuvres. Et quant à l’empereur, son orgueil de philosophe ne pouvait se résoudre à accepter la croix de Christ qui met à néant la sagesse humaine (1 Corinthiens 1:18-24).

Un autre apologiste fut Minutius Félix, né en Afrique au commencement du troisième siècle. Il avait été un avocat et un orateur distingué à Rome. Il écrivit une apologie du christianisme sous forme de dialogue entre deux amis, l’un chrétien et l’autre païen. Ce dernier présente ses raisons en faveur du paganisme, et ses arguments contre le christianisme. Le chrétien répond. Il admet d’abord le fait que les chrétiens n’avaient que du mépris pour les dieux des païens, et il le justifie. « Les souris », dit il, « les hirondelles et les chauves-souris rongent, insultent et déshonorent vos dieux. Si vous ne les chassez pas, ces animaux font leurs nids dans la bouche de vos idoles, et les araignées tissent leur toile sur leurs faces. Premièrement, vous les fabriquez, puis vous les nettoyez, vous les frottez et les défendez vous-mêmes, pour ensuite les craindre et les adorer. Si nous passons en revue tous vos rites, les uns ne peuvent qu’à bon droit exciter le rire, et les autres inspirer la pitié ».

D’un autre côté, voici comment il parle du Dieu des chrétiens : « Lorsque vous élevez les yeux vers les cieux, et que vous contemplez les œuvres de la création qui vous entourent, comment n’y pas voir clairement et avec évidence l’existence d’un Dieu infiniment excellent en intelligence, qui anime, fait mouvoir, soutient et gouverne toute la nature ? Considérez la vaste étendue des cieux et la rapidité de leurs mouvements, soit quand la nuit vous les montre parsemés d’étoiles, ou quand le jour ils sont éclairés par le soleil. Voyez la main toute puissante qui les maintient dans leurs orbes et qui dirige leurs mouvements ». Puis il parle du soleil et de la lune, de la lumière et des ténèbres, et de l’ordre admirable des saisons ; de la mer avec son flux et son reflux, des fontaines et des fleuves qui se rendent à l’océan. Il passe ensuite en revue le monde des animaux où chaque créature a sa sphère propre, et enfin il arrive à l’homme et à sa merveilleuse structure. « Tout », dit-il, « proclame un divin Auteur, et cet Auteur de toutes choses est le Dieu des chrétiens ».

Minutius parle bien aux païens le langage qui leur convient. À des Juifs, il eût fallu raisonner d’après les Écritures. À des païens, il fallait montrer la folie de leur idolâtrie et l’existence du vrai Dieu qui a créé toutes choses. N’est-ce pas ainsi que fait Paul, soit quand il prêche aux habitants de Lystre, ou surtout quand il parle devant l’Aréopage à Athènes ? (Actes 14:15-17 ; 17:22-31).

Je citerai en dernier lieu l’apologie de Tertullien, un des hommes les plus remarquables et les plus célèbres de l’Église, à la fin du second siècle et au commencement du troisième. Il était né à Carthage, en l’an 160. Doué de grands talents naturels, il fit de solides études et entra dans la carrière du droit où il se distingua. « J’étais alors aveugle », dit-il, « et sans la lumière du Seigneur ». Il fut frappé en voyant la constance et la fermeté des martyrs et devint chrétien, mais on ignore les détails de sa conversion. « Autrefois », écrivait-il en s’adressant aux païens, « j’insultais la religion chrétienne, comme vous le faites aujourd’hui. Nous avons tous été des vôtres, car on ne naît pas chrétien, on le devient ». Et il le fut avec le dévouement le plus entier. Dans sa célèbre apologie adressée aux gouverneurs des provinces, il dit des paroles qui montrent combien les chrétiens s’étaient multipliés dans l’empire. « Nous ne sommes que d’hier et nous remplissons tout, vos villes, vos îles, vos châteaux, vos bourgades, vos conseils, vos tribus, vos décuries, le sénat, la place publique ; nous ne vous laissons que vos temples. Si nous nous retirions en quelque autre contrée, vous seriez effrayés de votre solitude ».

À l’accusation portée contre les chrétiens d’être des factieux, il répond : « La faction des chrétiens est d’être réunis dans la même religion, la même morale, la même espérance. Nous formons une conjuration pour prier Dieu en commun et lire les divines Écritures. Si quelqu’un de nous a péché, il est privé de la communion, des prières et de nos assemblées, jusqu’à ce qu’il se soit repenti. Ces assemblées sont présidées par des anciens, dont la sagesse a mérité cet honneur. Chacun apporte quelque argent tous les mois, s’il le veut ou le peut. Ce trésor sert à nourrir et à enterrer les pauvres, à soutenir les orphelins, les naufragés, les exilés, les condamnés aux mines ou à la prison pour la cause de Dieu. Nous nous donnons le nom de frères, et nous sommes prêts à mourir les uns pour les autres ».

N’est-il pas intéressant de pénétrer ainsi quelque peu dans la vie de ces anciens chrétiens ? Quel témoignage ils rendaient ! Il y avait déjà, sans doute, bien du relâchement, mais Tertullien pouvait dire : « J’en prends à témoin vos registres ; vous qui jugez les criminels, y en a-t-il un seul qui soit chrétien ? »

Tertullien termine ainsi son apologie : « Multipliez vos instruments de torture ; vos cruautés les plus raffinées ne servent à rien. Plus vous nous moissonnez, plus nous multiplions. Le sang chrétien que vous répandez est comme une semence qui sort de terre et produit abondamment. Plusieurs de vos philosophes recommandent dans leurs écrits de souffrir avec patience les douleurs et la mort. L’exemple que donnent les disciples de Christ est plus éloquent que ces paroles. Cette invincible fermeté que vous traitez d’obstination et dont vous nous faites un crime, est une instruction puissante pour convaincre. Qui peut en être témoin sans être ébranlé et être conduit à en rechercher la cause ? Et l’ayant pénétrée, ne vient-on pas se joindre à nous ? Qui a jamais considéré avec soin notre religion et ne l’a pas embrassée ? Et qui l’ayant embrassée, n’a pas été prêt à mourir pour elle ? Aussi nous vous remercions des arrêts que vous portez contre nous. Combien les jugements de Dieu sont opposés à ceux des hommes ! Tandis que vous nous condamnez sur la terre, Dieu nous absout dans le ciel ».

Telles étaient les voix qui s’élevaient du sein de l’Église et qui portaient la vérité et la pureté du christianisme devant les empereurs, les rois et les gouverneurs, de sorte qu’en persécutant les chrétiens, ils étaient inexcusables.

 

1.12                      Attaques contre le christianisme

1.12.1    Attaques contre le christianisme venues du dehors

Satan n’emploie pas seulement la violence pour s’efforcer de détruire l’œuvre du Seigneur en s’attaquant à la personne de ses disciples, comme il le fit par les grandes et terribles persécutions dont nous avons parlé. Il se sert aussi de la ruse et du mensonge. Il n’est pas seulement « meurtrier dès le commencement », il est aussi « menteur, et le père du mensonge ». « Il n’a pas persévéré dans la vérité » (Jean 8:44), il en est l’ennemi, et il voudrait la faire disparaître de la terre. Or la vérité, c’est Christ et sa doctrine. C’est donc la vérité qu’il attaque pour la nier, la pervertir et en détourner les âmes. Cela est beaucoup plus dangereux que la persécution. Par celle-ci le diable peut tuer le corps, mais par le mensonge et l’erreur, il nuit à l’âme. Sous ce rapport, il a aussi fait tous ses efforts dans les premiers temps de l’Église. Je dirai un mot de ces attaques contre la vérité chrétienne ; cela est d’autant plus important qu’elle se sont reproduites dans tous les temps et se reproduisent de nos jours.

Quand nous parlons de Satan comme ayant persécuté ou comme cherchant à détourner de la vérité, il est évident qu’il faut sous-entendre qu’il se sert pour cela comme instruments des hommes méchants et pervers qui obéissent à ses suggestions.

Au commencement de l’Église, comme aujourd’hui, les chrétiens eurent à maintenir la vérité contre deux sortes d’ennemis : les uns attaquaient le christianisme lui-même, les autres le corrompaient. Nous dirons un mot des uns et des autres.

Les premiers étaient ce que l’on nomme des philosophes ou amis de la sagesse ; mais hélas ! non pas amis de la sagesse selon Dieu, mais d’une sagesse fondée sur les vains raisonnements de l’esprit humain. Ils se divisaient en plusieurs écoles, selon le système mis en avant par le maître qu’ils suivaient. Mais de quelque école qu’ils fussent, ils se distinguaient en général par leur orgueil et le grand cas qu’ils faisaient de leur raison. Nous en trouvons à Athènes, de la secte des épicuriens et de celle des stoïciens, discutant contre Paul, s’étonnant de la nouvelle doctrine qu’il annonçait, et disant : « Que veut dire ce discoureur ?… Il semble annoncer des divinités étrangères ». C’était parce qu’il parlait de Jésus et de la résurrection (Actes 17:18). La doctrine de la résurrection confondait leurs idées et blessait leur raison, et ils s’en moquaient. Et quant à un Christ crucifié pour sauver les hommes perdus, c’était à leurs yeux une folie (1 Corinthiens 1:20-23). Remarquons bien ce que dit la parole de Dieu dans ce passage, à l’égard de la sagesse des savants de ce siècle. Par elle, malgré les prétentions des philosophes, on ne peut connaître Dieu. Jésus seul le fait connaître, le révèle à nos âmes, et c’est pourquoi il est appelé la sagesse de Dieu. On rencontre souvent de ces prétendus sages. Rappelons-nous que la seule vraie sagesse vient de Dieu par Christ, et que son commencement est la crainte de l’Éternel.

L’opposition des philosophes à la vérité chrétienne, commencée aux jours de Paul, continua, et comme nous l’avons dit à l’occasion des persécutions sous Dioclétien, ils se joignaient aux persécuteurs des disciples de Jésus. Les noms et quelques parties des écrits de ces adversaires de Christ nous ont été conservés.

L’un d’entre eux, et peut-être le plus fameux, se nommait Celse. On ne sait autre chose de lui sinon qu’il écrivit, vers l’an 177, un livre contre la religion chrétienne intitulé : « Discours véritable ». Le célèbre Origène le réfuta et c’est par lui que nous ont été conservés des fragments du livre de Celse. Celui-ci objectait aux chrétiens qu’ils ne fissent aucun cas de la raison humaine. « Vous répétez toujours », leur disait-il, « n’examinez pas ; croyez seulement : votre foi vous rendra bienheureux ». Cela est faux du christianisme ; il ne redoute pas l’examen. Tout en lui démontre qu’il est de Dieu. Et si Dieu a parlé, qu’avons-nous à faire ? Nous sommes tenus de recevoir sa parole et de croire, parce qu’Il a parlé, et non parce que sa parole s’accorde avec nos idées du bien et du mal, qui, nous le savons, sont souvent fautives. Et c’est, en effet, en croyant Dieu, que nous sommes rendus heureux.

Celse disait aussi que, dans toutes les autres religions, celui-là est invité à s’approcher qui « est nettoyé de toute souillure, qui n’a sur la conscience aucun mal, qui a mené une vie bonne et juste », tandis que, chez les chrétiens, l’appel s’adresse à « quiconque est un pécheur, un illettré, un insensé, en un mot un misérable, — à de tels est le royaume des cieux ». Oui, béni soit Dieu ! ce sont les pécheurs que Jésus invite à venir à Lui. Le pauvre Celse ne connaissait pas le cœur de l’homme ; il ne savait rien de son état de chute et de ruine. Il ignorait que si pour approcher Dieu, il fallait être sans péché, il n’y aurait personne qui pût y être invité.

Et cependant Celse semblait comprendre qu’un changement moral était nécessaire à l’homme, et même il avouait qu’il ne pouvait être effectué ni par bonté, ni par châtiment. Mais il ne voyait pas que le christianisme fait connaître la puissance qui opère ce changement, c’est-à-dire la nouvelle naissance et une nouvelle création par l’Esprit de Dieu.

Celse avançait encore une chose qui n’est que trop vraie, mais qui ne touche en rien à la vérité du christianisme comme venu de Dieu. C’étaient les divisions et les sectes diverses dans le christianisme. « Au commencement », dit-il, « lorsque les chrétiens étaient peu nombreux, ils s’accordaient entre eux ; mais à mesure que leur nombre a augmenté, ils se sont divisés en partis qui s’attaquent et se réfutent les uns les autres, ne retenant en commun que leur nom, si même ils le font ». Si un adversaire, au second siècle, pouvait déjà parler ainsi, que dirait-il maintenant ? Le mal s’est douloureusement aggravé, la ruine est plus profonde, mais cela vient, non pas du christianisme qui est et demeure la vérité de Dieu révélée dans sa Parole, mais du méchant cœur de l’homme qui pervertit les meilleures choses en introduisant ses propres pensées auxquelles il s’attache, tandis qu’il tord ou met de côté la parole de Dieu. Plusieurs passages du Nouveau Testament annonçaient d’avance ces divisions et ces sectes, et les partis dans l’Église commençaient même du temps des apôtres, mais c’était l’œuvre de l’ennemi (Actes 20:29-30 ; Romains 16:17 ; 1 Corinthiens 1:10-12 ; 11:18-19).

Mais comme hélas ! le font souvent les incrédules, Celse ne se bornait pas aux objections que lui fournissaient sa raison et la conduite des chrétiens ; il jetait le mépris sur Christ, sur sa Personne et son œuvre, ramassant et répétant toutes les moqueries et les blasphèmes que les Juifs et les autres ennemis de Jésus lançaient contre Lui. En cela, Celse a aussi de nos jours des imitateurs. Le croyant se détourne avec horreur des livres qui souillent le saint nom de Jésus et la vérité divine.

Porphyre fut un autre des philosophes adversaires du christianisme. Il était né vers l’an 233, et dans sa jeunesse, il était venu exprès de Rome à Alexandrie pour entendre le savant Origène. Il ne reçut pas la vérité, mais au contraire en devint l’ennemi. Il écrivit un grand ouvrage dans lequel il attaque la divinité des Écritures et s’efforce de faire ressortir les prétendues contradictions que, suivant lui, les saints écrits et surtout les évangiles renferment. C’est aussi ce que font aujourd’hui plusieurs même de ceux qui se disent chrétiens ; mais souvenons-nous que Dieu ne peut se contredire, que sa Parole est pure, et que, s’il est dans cette Parole des choses que nous ne comprenons pas, cela vient uniquement de notre ignorance.

Hiéroclès, proconsul de Bithynie au temps de Dioclétien, fut un de ces philosophes qui, haïssant les chrétiens et leur doctrine, pressèrent l’empereur de les faire mourir. Non content de cela, Hiéroclès écrivit contre ceux qu’il persécutait et tuait, un livre intitulé : « Paroles d’un ami de la vérité », où il répète un grand nombre des objections de Celse et de Porphyre. Il attaquait surtout les miracles de Christ, déclarant qu’ils ne prouvaient pas qu’il fût Dieu. Il leur opposait les prétendus prodiges d’un certain Apollonius de Tyane qui avait, dit-on, opéré des cures merveilleuses sans que, pour cela, on l’eût considéré comme un Dieu, mais seulement comme un ami des dieux. Nous savons que Satan, dont l’homme n’est que l’instrument, a pu contrefaire certains prodiges. L’histoire des magiciens d’Égypte nous le montre (Exode 7:8-25 ; 8:1-15) ; Simon, à Samarie, avait aussi la prétention de faire de grandes choses (Actes 8:9-11) ; plus tard, l’homme de péché viendra et fera des prodiges par la puissance de Satan (2 Thessaloniciens 2:9). Mais qui, par amour, a mis sa vie pour le pécheur ? Qui, après avoir été crucifié, a été ressuscité, et par cette résurrection, déclaré Fils de Dieu en puissance ? (Romains 1:4). C’est Jésus seul. Il est la vérité ; il est le Fils unique et éternel de Dieu, Dieu même et notre bien-aimé Sauveur.

Telles étaient quelques-unes des objections des orgueilleux philosophes contre le christianisme, qui humiliait leur raison, qui les abaissait au rang des pécheurs ignorants, coupables et perdus, et qui ne leur montrait de salut et de vraie sagesse que dans la foi en un homme pendu à la croix. Les mêmes objections sont avancées de nos jours, et de nos jours aussi, il n’y a de salut en aucun autre qu’en Christ crucifié, et de réelle sagesse qu’en croyant en Lui. Les hommes et leur science faussement ainsi nommée, passent avec leurs objections. Le christianisme, venu de Dieu, défie tous les efforts de l’homme. Il reste debout, établi sur le Rocher des siècles, Christ mort, ressuscité et glorifié.

 

1.12.2    Attaques contre le christianisme venues du dedans

D’autres ennemis que les philosophes avec leurs raisonnements, attaquaient le christianisme. Ceux-ci et les persécuteurs étaient des ennemis du dehors. Il en sortit de plus dangereux du milieu même des chrétiens. Tout en semblant accepter la doctrine chrétienne, ils la corrompaient. L’apôtre Paul mettait en garde les anciens d’Éphèse et toute l’Église contre ces deux classes d’adversaires : « Je sais », dit il, « qu’après mon départ il entrera parmi vous des loups redoutables qui n’épargneront pas le troupeau ; et il se lèvera d’entre vous-mêmes des hommes qui annonceront des doctrines perverses pour attirer les disciples après eux » (Actes 20:29-30).

Ces paroles se réalisèrent. Les apôtres, déjà de leur vivant, virent des hommes enseignant de fausses doctrines se glisser dans l’Église, et eurent à les combattre. Plusieurs passages des épîtres sont dirigés contre les faux docteurs et étaient des avertissements adressés aux fidèles pour les mettre en garde contre ces pernicieux enseignements. Nous profitons de nos jours de ces avertissements, car Satan, l’ennemi du Seigneur, a renouvelé et renouvelle de tout temps ses attaques contre la vérité qui sauve. Quelle grâce Dieu nous a faite en nous donnant sa Parole, qui est l’épée de l’Esprit, au moyen de laquelle nous pouvons repousser les assauts de l’ennemi !

L’une des premières erreurs que les apôtres eurent à combattre, fut celle qu’introduisaient les docteurs judaïsants. Ils voulaient astreindre les chrétiens à observer la loi de Moïse et allaient même jusqu’à prétendre que, sans cela, on ne pouvait être sauvé (Actes 15:1). C’était dire que l’œuvre de salut accomplie par Christ à la croix n’était pas suffisante ; c’était introduire le principe du salut par les œuvres et anéantir la grâce de Dieu. Aussi les apôtres à Jérusalem condamnèrent-ils en termes énergiques cette doctrine (Actes 15:24), et nous voyons l’apôtre Paul la combattre fortement dans plusieurs de ses épîtres, mais surtout dans celle aux Galates. De nos jours, on ne cherche pas à nous ramener à l’observation des cérémonies de la loi ; mais il ne manque pas de personnes qui pensent et disent qu’il faut faire des œuvres, de bonnes œuvres, pour obtenir le salut, tandis que les bonnes œuvres sont le fruit du salut reçu dans le cœur par la foi (Éphésiens 2:8-10).

Malgré la décision des apôtres, les docteurs judaïsants continuèrent à enseigner. D’un autre côté, des chrétiens sortis d’entre les Juifs restèrent attachés aux cérémonies judaïques en les regardant comme obligatoires, même après la destruction de Jérusalem. Ils formèrent en Judée une secte peu nombreuse, nommée les Ébionites ou pauvres. D’autres erreurs très graves s’introduisirent parmi eux. Ils regardaient Jésus comme n’étant qu’un homme, fils de Joseph et de Marie, et revêtu de l’Esprit divin à son baptême. C’était renverser le christianisme. Hélas ! on trouverait de nos jours, parmi ceux qui se disent chrétiens, des personnes qui déshonorent ainsi le Seigneur, qui est « sur toutes choses Dieu béni éternellement » (Romains 9:5), en même temps qu’homme parfait. Tenons ferme à la parole de Dieu et à ce qu’elle nous dit de la Personne adorable de Christ.

Outre les paroles prophétiques de Paul aux anciens d’Éphèse, les épîtres annoncent que, dans les derniers jours, les choses iraient de mal en pis, les imposteurs séduisant et étant séduits (2 Timothée 3:13). « L’Esprit », annonce Paul, « dit expressément qu’aux derniers temps quelques-uns apostasieront de la foi, s’attachant à des esprit séducteurs et à des enseignements de démons » (1 Timothée 4:1). Pierre dit : « Il y aura parmi vous de faux docteurs qui introduiront furtivement des sectes de perdition » (2 Pierre 2:1), et l’apôtre Jean exhorte les saints à éprouver les esprits, parce que « beaucoup de faux prophètes sont sortis dans le monde », et ailleurs il dit : « Maintenant aussi il y a plusieurs antichrists… qui sont sortis du milieu de nous » (1 Jean 4:1 ; 2:18-19). Un antichrist, nous le savons, est celui qui s’oppose à Christ.

On donnait à ces faux docteurs ou faux prophètes le nom d’hérétiques, et leurs doctrines, contraires à la vérité selon les Écritures, étaient appelées des hérésies. De très bonne heure, il surgit un grand nombre d’hérésies dans l’Église. Toutes provenaient du travail de l’esprit humain qui veut s’ingérer « dans les choses qu’il n’a pas vues » (Colossiens 2:18), qui veut par lui-même pénétrer dans les choses profondes de Dieu (1 Corinthiens 2:10-11), et expliquer ce qui lui est incompréhensible, en raisonnant et inventant, au lieu de se soumettre simplement à la parole de Dieu.

Il serait bien long et superflu de raconter toutes les hérésies qui surgirent. Nous rappellerons seulement quelques traits qui leur sont communs. En général, ces hérétiques prétendaient arriver par la philosophie, par les efforts de leur intelligence et de leur raison, à une connaissance des choses de Dieu, plus élevée, plus profonde, que celle que donne l’Écriture. C’est pourquoi ils se nommaient gnostiques, d’un mot grec qui veut dire connaissance, et leur doctrine est appelée le gnosticisme. Ils distinguaient deux sortes de personnes, les spirituels ou parfaits qui avaient la possession de la science, et ceux qui croyaient sans avoir pénétré dans les profondeurs de la connaissance. Pour eux la parole écrite était insuffisante ; ils la complétaient ou la redressaient par d’anciennes traditions ou par la lumière intérieure, c’est-à-dire celle de leur propre esprit ou de leur imagination. Nous pouvons comprendre d’après cela, pourquoi l’apôtre Paul avertissait les Colossiens de ne pas se laisser séduire « par des discours spécieux », « par la philosophie et par de vaines déceptions, selon l’enseignement des hommes » (Colossiens 2:4-8).

Ces hérétiques prétendaient qu’il y avait deux principes éternels et opposés, Dieu et la matière origine du mal, de sorte que le mal dans l’homme gît dans son corps. Ils oubliaient ou mettaient de côté l’Écriture, qui nous apprend que Dieu a créé toutes choses (Genèse 1:1), et que le mal vient de la rébellion de la créature contre son Créateur et gît non dans son corps, mais dans son cœur (Matthieu 15:19).

Une autre grande et mortelle erreur des gnostiques était qu’ils ne croyaient pas que le Fils de Dieu eût réellement pu revêtir un corps, souffrir et mourir. Ils disaient donc que le corps de Christ n’était qu’une apparence, un fantôme. En niant ainsi la vraie humanité du Seigneur et la réalité de ses souffrances et de sa mort, ils annulaient la rédemption. Cérinthe, qui vivait du temps de l’apôtre Jean, était un de ces gnostiques que l’on nommait docètes ou apparents, à cause de leurs idées sur le corps de Christ. Plusieurs passages des épîtres de Jean font allusion à ces fausses doctrines, par exemple quand l’apôtre écrit : « Tout esprit qui ne confesse pas Jésus Christ venu en chair, n’est pas de Dieu ; et ceci est l’esprit de l’antichrist » (1 Jean 4:3). « Plusieurs séducteurs sont sortis dans le monde, ceux qui ne confessent pas Jésus Christ venant en chair » (2 Jean 7). Mais ces paroles ont une portée plus étendue et s’appliquent aussi à des erreurs qui ont cours de nos jours touchant la Personne adorable du Seigneur.

Selon les gnostiques, ce monde, où le mal règne, ne saurait avoir pour auteur le Dieu suprême. Ils prétendaient qu’il avait été créé par une intelligence céleste d’une nature inférieure, qu’ils nommaient le démiurge et que quelques-uns estimaient ennemi de Dieu. Ils enseignaient que de Dieu le Père existant par Lui-même était né un être supérieur nommé Intelligence, de l’Intelligence procédait la Parole (ou le Logos), de la Parole la Prudence, de celle-ci la Sagesse et la Puissance, et de ces deux les Puissances, les Principautés et les Anges qu’ils nommaient anges supérieurs, par qui le ciel le plus élevé fut fait ; de ceux-ci procédaient d’autres anges et d’autres cieux. Tous ces êtres qu’ils imaginaient, ils les nommaient des éons. Les éons servaient, disaient-ils, d’intermédiaires entre le vrai Dieu suprême et le Jéhovah des Juifs qui n’était pas le Dieu suprême, entre le Père et le Fils, entre le Christ et les hommes. Selon ces hérétiques, le Père ineffable aurait envoyé son premier-né, l’Intelligence, qui est aussi appelé Christ, pour sauver ceux qui croient en Lui, et les délivrer de la tyrannie des créateurs du monde. Il vint sur la terre en apparence d’homme, mais ne souffrit point.

À ces folles imaginations, ils en ajoutaient bien d’autres. Nous avons cité quelque chose de ces erreurs, pour montrer à quels dangers on est exposé quand on laisse le terrain solide de la Parole écrite. On comprend aussi mieux par là ce que l’apôtre Paul écrivait aux Colossiens qui risquaient d’être entraînés par ces faux docteurs. Ces hérétiques abaissaient la gloire de Christ, qu’ils disaient n’être qu’une créature. L’apôtre nous présente Christ comme le Fils de l’amour de Dieu, son image, Dieu lui-même, Créateur de toutes les choses visibles et invisibles, dans les cieux et sur la terre, Créateur des principautés et des puissances. En Lui, dit-il, habite corporellement toute la plénitude de la déité. Puis, quant à son œuvre, Paul nous le montre faisant la paix par le sang de sa croix, nous réconciliant avec Dieu par le corps de sa chair, par la mort (Colossiens 1:14-17 ; 19-22). Ainsi, à l’occasion de ces erreurs, l’Esprit Saint déploie devant nos yeux toutes les gloires de la Personne du Seigneur, en création et en rédemption, et nous fait voir qu’en toutes choses Christ tient la première place. Quel trésor nous avons dans la parole de Dieu et dans la Personne de Jésus, pour réjouir nos cœurs, pour établir nos âmes dans la vérité, et nous garantir ainsi de l’erreur !

Il faut encore ajouter que parmi ces faux docteurs, les uns, estimant que le mal gît dans le corps, exhortaient à dompter la chair par de sévères mortifications, tandis que d’autres, pour la même raison, s’abandonnaient à la sensualité et à l’immoralité, estimant que les actions du corps ne touchaient pas à la pureté de l’âme. L’apôtre Paul a en vue les premiers, en Colossiens 2:21-23, et Jude parle des seconds, aux versets 4, 8, 12, de son épître.

Deux traits caractérisent tous ces hérétiques. Le premier, c’est que, d’une manière ou d’une autre, ils attaquaient la Personne et l’œuvre du Sauveur ; le second, c’est qu’ils tronquaient ou altéraient les Écritures. Ainsi Marcion, l’un d’eux, qui vivait au second siècle, enseignait que le Dieu et le Messie de l’Ancien Testament n’étaient pas le Dieu et le Christ du Nouveau. En même temps, pensant pouvoir ainsi appuyer ses erreurs, il n’admettait que l’évangile de Luc et dix des épîtres de Paul, et rejetait le reste des Écritures.

De nos jours nous voyons aussi l’ennemi attaquer ces deux fondements du christianisme : la parole de Dieu et la Personne du Seigneur. Il cherche ainsi à ébranler la foi des croyants et à empêcher les âmes d’être sauvées. Tenons ferme ces deux choses. Que le Seigneur puisse dire de nous : « Tu as gardé ma parole, et tu n’as pas renié mon nom » (Apocalypse 3:8).

Des écrivains chrétiens comme Irénée, Tertullien, Origène réfutèrent dans leurs écrits, soit les philosophes, soit les hérétiques. Malheureusement eux-mêmes ne furent pas à l’abri d’erreurs dans leurs enseignements. Ainsi l’Église était attaquée par les ennemis du dehors et du dedans, et ses conducteurs eux-mêmes ne veillèrent pas assez et laissèrent s’introduire, soit dans la doctrine, soit dans le culte, bien des choses que n’enseigne point la parole de Dieu et qui même sont condamnées par elle. On suivit des traditions d’hommes et des raisonnements, et on finit même par accepter des pratiques qui tenaient du paganisme, du judaïsme et des erreurs gnostiques. C’est ainsi que l’Église déchut de son premier amour et se corrompit de plus en plus.

 

1.13                      Les Saintes Écritures

Avant de continuer l’histoire de l’Assemblée chrétienne sur la terre, disons quelques mots du Livre divin où les disciples de Christ puisaient leurs enseignements, leurs consolations et leurs espérances ; ce Livre, la parole de Dieu, objet des attaques des ennemis de Christ en tout temps, mais que rien ne peut détruire, « car la parole du Seigneur demeure éternellement » ; ce recueil de saints écrits, donnés de Dieu et inspirés par son Esprit, et que nous trouvons dès le commencement du second siècle, lu dans les églises, considéré et conservé comme un trésor précieux ; si précieux pour les chrétiens que, plutôt que de le livrer, plusieurs fidèles aimèrent mieux mourir.

Ce volume sacré, la Bible ou le LIVRE, est en effet le Livre par excellence, car il ne vient pas de l’homme, mais de Dieu, qui s’est servi de certains hommes pour l’écrire. Il se divise, comme nous le savons, en deux parties. La première est l’Ancien Testament qui fut écrit avant la venue du Sauveur. Il raconte les origines du monde, l’histoire d’Israël, le peuple élu de Dieu sur la terre, et renferme, avec des préceptes moraux, des prophéties concernant Israël et les nations. Mais ce qu’il contient surtout, ce sont les promesses de la venue d’un grand Libérateur, d’un Sauveur pour Israël et le monde entier, d’un Roi qui doit établir ici-bas un règne de justice et de paix. Tout dans l’Ancien Testament nous parle de Lui, les récits, les cérémonies du culte, les sacrifices, les traits caractéristiques des hommes dont il nous dit l’histoire, mais surtout le livre des Psaumes et ceux des prophètes. L’Ancien Testament est ainsi tout entier prophétique. Ce Roi Sauveur annoncé par le saint Livre est Christ, la semence de la femme, le descendant promis à Abraham, le prophète qui devait paraître semblable à Moïse, libérateur comme lui, l’héritier du trône de David, le Messie, le Fils, comme le nomment David et Ésaïe (Genèse 3:15 ; 22:18 ; Deutéronome 18:18 (comparez Actes 3:22-23) ; 1 Chroniques 17:11-14 ; Psaume 2:7 ; Ésaïe 9:6-7). Mais cette personne glorieuse devait aussi souffrir et mourir avant de régner. C’est ce que disent en type les sacrifices et ce qu’annoncent les Psaumes et les prophètes (Ésaïe 53 et Psaume 22 ; comparez avec Luc 24:25-27, 44).

L’Ancien Testament était donc un livre bien précieux pour les Israélites, et il ne l’est pas moins pour nous. Le Seigneur Jésus le nomme l’Écriture, les Écritures, la parole de Dieu, et le cite constamment. L’apôtre Paul l’appelle les oracles de Dieu, les saintes lettres, l’Écriture divinement inspirée, et Pierre nous dit que les saints hommes de Dieu qui l’ont écrit, étaient poussés par l’Esprit Saint. « Dieu », dit l’épître aux Hébreux, « nous a parlé par les prophètes » (Jean 10:35 ; Matthieu 22:29 ; Romains 3:2 ; 2 Timothée 3:15-16 ; 2 Pierre 1:21 ; Hébreux 1:1). Aussi de tout temps les fidèles ont pris plaisir à lire et méditer ce saint volume. « Combien j’aime ta loi ! », dit le psalmiste, « tout le jour je la médite… Tes paroles ont été douces à mon palais, plus que le miel à ma bouche… La loi de ta bouche est meilleure pour moi que des milliers de pièces d’or et d’argent… Ta parole est une lampe à mon pied, et une lumière à mon sentier » (Psaume 119:97, 103, 72, 105). Puissions-nous aussi aimer, apprécier, lire et étudier cette Parole, de laquelle il est dit que bienheureux est celui qui y prend son plaisir (Psaume 1:2).

Cette première partie du saint volume est bien digne de toute notre attention. Existe-t-il un autre livre qui, en ayant une portée infinie, soit plus instructif et plus intéressant en même temps ? Il ne nous parle pas seulement pour le temps, mais pour l’éternité ; pas seulement des choses terrestres, mais des choses célestes et divines. Où trouverons-nous autre part, dans les livres humains, une histoire des premiers temps du monde ? Ce sont des choses que l’œil n’a pas vues et que l’oreille n’a pas entendues, mais que Dieu nous fait connaître. Dans ce livre qui, à le voir, n’est pas considérable, nous avons toute une bibliothèque ; livres historiques, récits touchants, cantiques sublimes, préceptes importants, exemples saisissants, révélations de l’avenir, tout se trouve dans les trente-neuf livres de l’Ancien Testament. On les lit, on les relit, et c’est toujours nouveau. Chaque fois on y trouve des richesses que l’on n’y avait pas découvertes. C’est pourquoi le Seigneur Jésus disait : « Sondez les Écritures », ce trésor inépuisable. Elles montrent le chemin de la vie éternelle, car elles font connaître Jésus (Jean 5:39).

Les trente-neuf livres de l’Ancien Testament ont été écrits par une trentaine d’auteurs différents de tout rang, de tout âge et de toute condition. Les uns étaient savants, comme Moïse, et les autres ignorants, comme Amos. On trouve parmi eux des rois et des bergers, des sacrificateurs et des hommes du peuple, écrivant dans des temps et des lieux différents. Pendant une période de plus de mille années, ils font entendre leur voix, car Moïse, le premier, écrivit vers l’an 1500, et Malachie, le dernier, rendit son oracle vers l’an 400 avant Jésus Christ. Et cependant, quoique traitant de sujets divers, écrivant en des temps différents, éloignés les uns des autres, ils ont un même objet en vue, leurs écrits forment un tout parfait. N’est-ce pas frappant ? C’est qu’un même Esprit les anime, l’Esprit de Dieu ; ce qu’ils écrivent n’est pas leur livre ; c’est le livre de Dieu.

Et ce que nous venons de dire de l’Ancien Testament, est vrai de la seconde partie de la Bible, c’est-à-dire du Nouveau Testament. Il faut lire avec un soin égal ces deux portions du livre de Dieu, car elles s’éclairent l’une par l’autre. Nous voyons d’ailleurs dans les évangiles, les Actes et les épîtres, que constamment le Seigneur et les apôtres citent l’Ancien Testament pour établir ce qu’ils enseignent. Occupons-nous maintenant du Nouveau Testament.

Durant quatre siècles après Malachie, le dernier prophète, il y eut un grand silence. Aucun prophète ne se leva en Israël humilié sous le joug des nations. Mais de plus en plus l’attente du Messie à venir devenait vive dans les cœurs des Israélites pieux. Malachie avait dit : « Voici, j’envoie mon messager, et il préparera le chemin devant moi ; et le Seigneur que vous cherchez viendra soudain à son temple, et l’Ange de l’alliance en qui vous prenez plaisir — voici il vient, dit l’Éternel des armées… Pour vous qui craignez mon nom, se lèvera le soleil de justice » (Malachie 3:1 ; 4:2), et les cœurs fidèles, comme Zacharie, Siméon et Anne, attendaient la consolation d’Israël, la délivrance, c’est-à-dire le Messie (Luc 1:78 ; 2:25, 38).

Enfin le Christ annoncé parut. Il naquit à Bethléem, de la race de David, selon les prophéties. Il vint dans l’abaissement et la pauvreté, mais il était le Fils éternel et bien-aimé de Dieu, devenu un homme pour nous sauver. En Lui, Dieu lui-même nous a parlé (Hébreux 1:1). Le Seigneur, ayant commencé son ministère, annonça l’Évangile, la bonne nouvelle de la grâce de Dieu envers les pécheurs, le grand salut qu’il donne à qui croit en Lui (Marc 1:14-15 ; Hébreux 2:3). Et, comme nous le savons, après qu’il eut accompli son service d’amour, les hommes iniques l’ont pris et l’ont fait mourir en le clouant sur la croix. Mais là il s’offrait volontairement à Dieu en sacrifice pour nos péchés (Éphésiens 5:2 ; Hébreux 9:26, 28). Il en a porté la peine et Dieu a accepté ce sacrifice, qui a remplacé d’une manière parfaite ceux que la loi demandait (Hébreux 10:9-10). Nous avons la preuve que Dieu a été satisfait en ce qu’il a ressuscité Jésus et l’a fait asseoir à sa droite dans le ciel. Et maintenant Dieu peut pardonner et pardonne leurs péchés à ceux qui croient en Jésus, mort et ressuscité pour eux. C’est pourquoi l’apôtre Jean dit : « Je vous écris, enfants, parce que vos péchés vous sont pardonnés par son nom » (1 Jean 2:12). Quelle grâce, n’est-ce pas ? Quel bonheur de savoir cela ! Que c’est bien là une bonne nouvelle !

Cet Évangile de la grâce de Dieu n’était pas pour les Juifs seulement. Il devait être annoncé à toutes les nations. Avant de monter au ciel, le Seigneur avait dit à ses apôtres : « Il est ainsi écrit ; et ainsi il fallait que le Christ souffrît, et qu’il ressuscitât d’entre les morts le troisième jour, et que la repentance et la rémission des péchés fussent prêchées en son nom à toutes les nations, en commençant par Jérusalem… Allez dans tout le monde, et prêchez l’évangile à toute la création » (Luc 24:46-47 ; Marc 16:15). Mais qu’étaient les apôtres pour accomplir une telle tâche ? Des hommes faibles, lâches, timides et ignorants. Jamais par eux-mêmes ils n’eussent pu ni la commencer, ni la poursuivre. Mais le Seigneur leur avait promis l’Esprit Saint, l’Esprit de vérité, pour leur enseigner ce qu’ils auraient à dire et être ainsi des témoins fidèles ; l’Esprit de puissance pour les remplir de courage. « Vous recevrez », leur dit-il, « de la puissance, le Saint Esprit venant sur vous ; et vous serez mes témoins à Jérusalem et dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’au bout de la terre » (Jean 14:16-17, 26 ; 15:26-27 ; 16:13 ; Actes 1:8).

Le Seigneur accomplit sa promesse le jour de la Pentecôte (Actes 2). L’Esprit Saint descendit sur les disciples rassemblés dans un même lieu, et, dès ce moment, les apôtres et leurs compagnons, auxquels d’autres, comme Paul, furent adjoints plus tard, annoncèrent l’Évangile partout, « le Seigneur coopérant avec eux, et confirmant la parole par les signes qui l’accompagnaient » (Marc 16:20). Ainsi le « grand salut », annoncé d’abord par le Seigneur, « a été confirmé par ceux qui l’avaient entendu, Dieu rendant témoignage avec eux par des signes et des prodiges, et par divers miracles et distributions de l’Esprit Saint » (Hébreux 2:3- 4). C’est ainsi que l’Église fut fondée, et les apôtres, toujours conduits par l’Esprit Saint, enseignèrent aux croyants les saintes vérités qui concernent le Seigneur, son Assemblée, son retour, et leur donnèrent aussi les directions nécessaires pour se conduire d’une manière digne du Seigneur au milieu d’un monde méchant (1 Thessaloniciens 2:11-12 ; 4:1-2 ; 2 Thessaloniciens 2:15 ; Col. 1:10). Mais il fallait conserver la connaissance des faits de la vie du Seigneur et des vérités qui se rapportent à sa Personne et à l’Église ; c’est ce que nous trouvons dans les écrits du Nouveau Testament.

Mais il faut toujours bien nous rappeler que l’Ancien et le Nouveau Testament forment un seul et même Livre, une seule et même parole de Dieu, contenant ce que Dieu nous a communiqué par son Esprit avant la venue de Jésus Christ, et ce qu’il nous a communiqué par le même Esprit après l’apparition de son Fils sur la terre, tout se rapportant à la gloire de son Fils bien-aimé.

De même que l’Ancien Testament, le Nouveau n’a pas été écrit par une seule personne, mais par plusieurs, en des occasions, des temps et des lieux différents. Seulement, tandis que la formation de l’Ancien Testament a pris mille années pour s’accomplir, les écrits du Nouveau Testament ont tous paru dans un espace d’environ cinquante ans, de sorte qu’au commencement du second siècle après Jésus Christ, ils formaient déjà un tout. Il renferme les écrits de huit auteurs, et se compose de cinq livres historiques — les évangiles et les Actes — de vingt et une épîtres ou lettres, et d’un livre prophétique, l’Apocalypse.

On peut remarquer, en lisant les Actes des apôtres, que ceux-ci, dans leurs prédications, s’appuyaient sur les faits, bien connus autour d’eux, de la vie de Jésus. Voyez, par exemple, les chapitres 2, 10 et 13. Il était nécessaire, en effet, que les témoins de cette vie divine sur la terre, la représentassent aux Juifs pour leur montrer, en les comparant avec les textes de l’Ancien Testament, que Jésus était bien le Christ promis, — et aussi aux gentils, pour leur faire connaître Celui dont ils étaient les ambassadeurs. Ils prêchaient Christ, — Christ humilié et souffrant, Christ mis à mort et ressuscité, Christ monté au ciel. Dieu d’ailleurs rendait témoignage à leur parole par les miracles de sa puissance ; il leur enseignait par son Esprit ce qu’ils avaient à dire, et ce même Esprit appliquait la parole aux cœurs et aux consciences des auditeurs (Actes 2:37), qui recevaient cette parole comme étant vraiment ce qu’elle était — la parole de Dieu (1 Thessaloniciens 2:13).

Mais les apôtres, témoins de la vie de Jésus, ne pouvaient être en tous lieux, ils ne devaient pas rester sur la terre, et la mémoire de ceux qui avaient été convertis par leur prédication pouvait ne pas garder fidèlement ce qu’ils avaient entendu de l’histoire et des discours du Sauveur, de manière à le transmettre exactement à d’autres. Alors Dieu mit au cœur de quelques-uns de ses serviteurs d’écrire ce qu’il jugeait bon de nous communiquer de la vie et des paroles de son Fils bien-aimé sur la terre. Ces écrits sont ce que l’on nomme les évangiles, et leurs auteurs sont appelés d’une manière spéciale les évangélistes. Ce nom d’évangiles donné aux récits de la vie du Seigneur est justifié par le premier verset de Marc : « Commencement de l’évangile de Jésus Christ, Fils de Dieu ».

Dieu, qui avait conduit Matthieu, Marc, Luc et Jean à écrire les évangiles, ne les abandonna pas à leurs facultés naturelles, leur mémoire, leur intelligence, leurs recherches, pour accomplir leur tâche. Il les éclaira et les guida par le Saint Esprit, de manière à les garder de toute erreur dans ce qu’ils avaient à nous transmettre. Jésus, avant de quitter ses disciples, leur avait dit : « Quand celui-là, l’Esprit de vérité, sera venu, il vous conduira dans toute la vérité » ; et « l’Esprit Saint… vous enseignera toutes choses et vous rappellera toutes les choses que je vous ai dites » (Jean 16:13 ; 14:26). Nous avons donc dans ces livres, inspirés de l’Esprit de Dieu, toute la vérité et rien que la vérité.

Bien que les quatre évangiles soient chacun le récit de la vie et des enseignements du Sauveur, et que l’on y trouve certains faits communs, ils ne se répètent pas, et ils n’ont pas non plus été écrits pour se compléter les uns les autres. L’Esprit de Dieu a conduit les évangélistes à présenter chacun le Seigneur Jésus sous un caractère spécial. Nous voyons ainsi briller les divers rayons de la gloire de sa Personne adorable.

Matthieu écrivit son évangile essentiellement en vue des Juifs. C’est pourquoi il présente le Seigneur dans son caractère de Messie, fils de David, fils d’Abraham, Roi des Juifs, répondant aux promesses et aux prophéties qu’il cite souvent. Cela ne rend pas cet évangile moins précieux pour nous ; car nous voyons que le Messie ayant été rejeté par les Juifs, ceux-ci sont mis de côté, et le Seigneur bâtit son Église composée de ceux qui croient.

Marc, que Pierre nomme son fils (1 Pierre 5:13), écrivit, dit-on, son évangile comme disciple et interprète de cet apôtre. Son récit est plus bref. En général, il rapporte moins des discours du Seigneur, et s’attache plutôt à raconter les faits, les miracles, avec beaucoup de détails qui les font ressortir. Il nous dit ce que Jésus a fait, plus que ce qu’il a dit, et nous le montre ainsi dans son caractère de serviteur, « qui a passé de lieu en lieu, faisant du bien », comme Pierre le dit à Corneille (Actes 10:38).

Luc, le compagnon de voyage et d’œuvre de l’apôtre Paul, écrivit son évangile selon ce que Paul annonçait. Il proclame la grâce qui est pour tous les pécheurs, pour les païens comme pour les Juifs, pour les publicains et les gens de mauvaise vie comme pour ceux qui se croient justes. On peut le remarquer en plus d’un endroit. Luc présente donc le Seigneur comme le Fils de l’homme, venu en grâce, cherchant les pécheurs où qu’ils soient, de toute classe ou nationalité.

Ces trois évangiles furent écrits avant l’an 70, sans que la date précise puisse être indiquée. Mais Jean écrivit le sien longtemps après, à la fin du premier siècle, quand tous les autres écrits du Nouveau Testament, sauf les siens, avaient paru, et qu’il survivait seul de tous les apôtres. Beaucoup d’hérésies touchant la Personne du Seigneur se répandaient, et l’Esprit Saint, pour les combattre, nous présente, par la plume de Jean, Jésus comme le Fils de Dieu, le Fils unique et éternel, source de vie et de lumière pour les croyants, venu comme homme sur la terre, marchant au milieu des hommes et manifestant la grâce et la vérité, le caractère de Dieu, montrant Dieu lui-même, le Père, dans sa Personne.

Aux évangiles se joignent les Actes des apôtres, qui racontent la venue de l’Esprit Saint, et, par son action puissante, la fondation et les commencements de l’Église chrétienne essentiellement par les travaux de Pierre et de Paul. Ils font suite à l’évangile de Luc qui les écrivit à peu près dans le même temps, vers l’an 63.

Après les Actes, viennent les vingt et une lettres ou épîtres écrites à différentes époques par Paul, Jacques, Pierre, Jean et Jude. Elles étaient adressées à des assemblées locales, ou à des individus, et quelques-unes à l’ensemble des chrétiens. Elles furent composées à l’occasion des besoins divers qui se manifestaient dans les assemblées et parmi les enfants de Dieu, et l’Esprit de Dieu donna à leurs auteurs ce qui était nécessaire pour répondre à ces besoins, en instruisant et édifiant les âmes, et en les mettant en garde contre les faux prophètes et les faux docteurs. C’était aussi la parole de Dieu, et ces épîtres ont été conservées pour l’instruction de l’Église jusqu’à la fin.

Les premières épîtres furent celles que Paul écrivit aux Thessaloniciens, vers l’an 52. Celles de Jean, de même que son évangile, furent écrites les dernières, à la fin de la longue vie de l’apôtre. Il en est de même du livre de l’Apocalypse ou Révélation de Jésus Christ, qui termine le Nouveau Testament et la Bible, et nous fait connaître l’avenir de l’Église et du monde.

C’est ainsi, en lui donnant sa Parole, que le Seigneur a pourvu à tout ce dont l’Église a besoin jusqu’au terme de sa course ici-bas. « Il la nourrit et la chérit », est-il dit. C’est pourquoi il donne « les uns comme apôtres, les autres comme prophètes, les autres comme évangélistes, les autres comme pasteurs et docteurs ; en vue du perfectionnement des saints, pour l’œuvre du service, pour l’édification du corps de Christ » (Éphésiens 5:29 ; 4:11-12). Et ces dons ne s’exerçaient pas seulement par la prédication : les apôtres et prophètes nous ont laissé les écrits inspirés qui composent le Nouveau Testament.

À mesure qu’un de ces récits paraissait, soit qu’il fût adressé à quelque assemblée ou à un individu, il était communiqué aux autres assemblées, car les liens qui unissaient alors les chrétiens étaient très étroits. Du reste, nous voyons que Paul recommandait de le faire : « Je vous adjure par le Seigneur », dit-il, « que la lettre soit lue à tous les saints frères » (1 Thessaloniciens 5:27). Et aux Colossiens il écrit : « Quand la lettre aura été lue parmi vous, faites qu’elle soit aussi lue dans l’assemblée des Laodicéens, et vous aussi lisez celle qui viendra de Laodicée » (Colossiens 4:16). Les premiers chrétiens comprenaient bien que ce qui était donné de Dieu par le Saint Esprit à quelques-uns, était pour tous, pour toute l’Église. Bientôt on fit des copies de ces écrits, afin que chaque assemblée pût les posséder, mais on gardait avec respect l’original reçu des écrivains sacrés mêmes, comme le fait entendre Tertullien qui vivait à la fin du second siècle et au commencement du troisième : « Parcourez », dit-il, « les églises apostoliques (*) … chez lesquelles on fait lire leurs lettres authentiques ». C’est ainsi que se forma, par les soins de Dieu, le recueil des livres inspirés du Nouveau Testament que l’on trouve déjà, dans le second siècle, tel que nous l’avons. On peut dire qu’il s’est fait sous les yeux des apôtres, car Jean mourut au commencement de ce siècle-là, le Seigneur l’ayant laissé si longtemps sur la terre, comme gardien des vérités divines. On voit aussi, dans un passage de la seconde épître de Pierre, que l’on rassemblait déjà alors les écrits apostoliques : « Notre bien-aimé frère Paul… vous a écrit selon la sagesse qui lui a été donnée… dans toutes ses lettres où il parle de ces choses… que les ignorants et les mal affermis tordent, comme aussi les autres écritures » (2 Pierre 3:15-16).

 

(*) C’est-à-dire fondées par les apôtres.

L’apôtre Pierre met donc les écrits de Paul au nombre des Écritures, par où il entend l’Ancien Testament. En effet, dans les églises primitives, on plaça immédiatement les écrits du Nouveau Testament sur le même rang que ceux de l’Ancien, comme inspirés par le même Esprit. Ils étaient envisagés comme « oracles de Dieu ». On le voit, par exemple, dans la belle épître à Diognète, écrite tout au commencement du second siècle. L’auteur dit : « Alors la crainte de la Loi est exaltée, la grâce des Prophètes est connue, la foi des Évangiles est affermie, l’enseignement des apôtres est gardé, et la grâce de l’Église triomphe ». De même que dans les synagogues juives on lisait chaque jour de sabbat les Écritures de l’Ancien Testament (voyez Luc 4:16-17 ; Actes 13:15 ; 15:21), ainsi, dans les assemblées chrétiennes, le premier jour de la semaine on lisait les écrits du Nouveau Testament en même temps que ceux de l’Ancien. C’est le témoignage que rend Justin martyr : « Le dimanche », dit-il, « les mémoires des apôtres et les écrits des prophètes sont lus ». On donnait alors au recueil des écrits apostoliques différents noms ; celui du Nouveau Testament prévalut plus tard.

Cette lecture de la parole de Dieu dans les assemblées était bien en harmonie avec l’exhortation de Paul aux Thessaloniciens. Il y avait donc, dans chaque assemblée, un ou plusieurs lecteurs chargés de faire la lecture d’une portion des saints écrits. On les nommait « anagnostes », et la lecture elle-même était « l’anagnose ». Ce mot grec se trouve dans le Nouveau Testament, en particulier au chapitre 13 des Actes, vers. 15: « Après l’anagnose ou la lecture de la loi ». C’est sans doute à cette coutume que se rapporte le passage de l’Apocalypse : « Bienheureux celui qui lit et ceux qui entendent les paroles de la prophétie » (Apocalypse 1:3). « Celui qui lit » est l’anagnoste.

À cette époque, où l’imprimerie n’était pas inventée, tous les livres étaient écrits à la main. Les exemplaires n’étaient pas nombreux et ils coûtaient fort cher. Chacun ne pouvait pas se procurer et posséder comme aujourd’hui un exemplaire des Saintes Écritures. Mais chaque assemblée, même la plus pauvre, avait le sien. C’était par ces lectures publiques que les fidèles apprenaient à les connaître. Et tel était le zèle des auditeurs, telle leur attention, tel le prix qu’ils attachaient à la parole de Dieu, qu’ils finissaient par en savoir par cœur tous les mots, et reprenaient le lecteur s’il employait une expression pour une autre. C’est ce que l’on raconte en particulier d’un pauvre aveugle, nommé Jean de Palestine, qui mourut martyr. On rapporte aussi qu’un évêque ayant changé un mot dans la lecture qu’il faisait des Écritures, les fidèles exigèrent qu’il reconnût son tort. Quelle grâce pour nous d’avoir chacun le Saint Livre que nous pouvons lire tous les jours ! Mais apprécions-nous ces oracles de Dieu ? Les gardons-nous dans notre mémoire ? Les serrons-nous dans notre cœur ?

Un autre fait montre la valeur qu’attachaient au Nouveau Testament comme étant la parole de Dieu, les auteurs chrétiens du second, du troisième et du quatrième siècles. Pour eux, c’étaient les Écritures, les oracles divins, et soit dans leurs enseignements, soit dans leurs discussions contre les hérétiques et les incrédules, ils le citaient constamment comme autorité infaillible. Et si nombreuses sont leurs citations qu’en les réunissant on reconstituerait le Nouveau Testament tout entier, à part quelques versets. Les hérétiques et les incrédules de ces temps-là le reconnaissaient aussi comme le livre où les chrétiens puisaient les vérités de leur foi ; ils en connaissaient la puissance, car nous avons vu que, dans la dernière persécution, les ennemis du christianisme firent un effort suprême pour en détruire toutes les copies et arracher ainsi des mains des chrétiens cette arme redoutable, l’épée de l’Esprit, la parole de Dieu. Mais cette Parole demeure éternellement. Les cieux et la terre passeront, mais elle reste. Elle est de Dieu, comment serait-elle détruite ? Béni soit Dieu ! en dépit de l’ennemi, nous la possédons, et l’Église la possédera jusqu’à la fin.

Le Nouveau Testament fut écrit originairement en grec, l’une des langues les plus répandues à cette époque. Mais de très bonne heure on en fit des traductions en d’autres langages. Les deux plus anciennes sont la version latine, nommée Itala, qui date du commencement du second siècle, et la version en syriaque, langue que parlait le Seigneur et qui était répandue en Orient. Cette version qu’on appelle la Peshito, semble être plus ancienne encore que l’Itala et dater de la fin du premier siècle. La version égyptienne est aussi fort ancienne. Plus tard, à mesure que le christianisme s’étendit parmi les nations barbares, on fit d’autres versions, non seulement du Nouveau Testament, mais de toute la Bible. Mais c’est de nos jours surtout que le Saint Livre a été traduit, on peut le dire, dans toutes les langues importantes qui se parlent sur la surface du globe, et que des millions d’exemplaires en ont été répandus et se répandent. Mais en parler en détail, sortirait de notre sujet. Que le Seigneur nous donne d’apprécier réellement ce trésor qu’il a mis entre nos mains — sa Parole !

 

1.14                      Propagation du christianisme

L’Évangile se répandit et le christianisme s’établit dans le monde avec une rapidité merveilleuse. Le Seigneur avait dit : « Le royaume des cieux est semblable à un grain de moutarde qu’un homme prit et sema dans son champ : lequel est, il est vrai, plus petit que toutes les semences ; mais quand il a pris sa croissance, il est plus grand que les herbes et devient un arbre » (Matthieu 13:31-32). Nous savons, en effet, quel petit commencement eut l’Église. C’étaient douze hommes pauvres et illettrés, des pêcheurs et des publicains méprisés, qui annoncèrent d’abord l’Évangile. C’était là la petite semence, le grain de moutarde. Et combien d’obstacles s’opposaient à eux ! D’abord, ils étaient Juifs, d’une race méprisée et haïe, assujettie au joug des Romains. Ensuite, ce qu’ils annonçaient heurtait tous les sentiments naturels du cœur humain. Il fallait se reconnaître pécheur, coupable devant Dieu, sans force et sans ressource ; combien cela soulevait l’orgueil de l’homme ! Et le salut, où se trouvait-il ? Dans un homme de cette même nation juive, crucifié entre deux brigands. Il est vrai que les apôtres le présentaient comme le Fils de Dieu venu pour racheter par sa mort les pécheurs perdus. Mais c’est là précisément ce qui heurtait la raison des uns, les préjugés des autres. Un Dieu crucifié pour Sauveur ! C’était, dit Paul, un scandale pour les Juifs, une folie pour les nations (1 Corinthiens 1:23-24). Cet homme crucifié avait été ressuscité d’entre les morts et devait juger le monde, prêchaient encore les apôtres. En entendant ces paroles, les philosophes et les sages du monde se moquaient (Actes 17:32). Que demandait l’Évangile de ceux qui l’embrassaient ? Le renoncement au monde, à ses convoitises et à ses plaisirs, la mortification des passions, une vie d’humilité et d’abnégation entière. La propre justice des Juifs était renversée, l’orgueilleuse raison des sages était annulée, la religion licencieuse des idoles était ruinée. Le christianisme était tout à fait contraire à tout ce qu’aime et réclame l’homme naturel. Aussi nous avons vu quelle opposition il rencontra partout et de la part de tous, et quelles sanglantes et persistantes persécutions il eut à subir, depuis son apparition jusqu’au commencement du quatrième siècle. En dépit de tout, le grain de moutarde leva, crût, devint un arbre, de sorte qu’au bout de quarante années, le christianisme s’était répandu au-delà même des bornes du vaste empire romain.

À quoi attribuer ces conquêtes extraordinaires par des instruments si faibles, sinon à la main de Dieu, à l’action toute-puissante de son Esprit ? Le Seigneur avait dit à ses disciples : « Vous recevrez de la puissance, le Saint Esprit venant sur vous ; et vous serez mes témoins… jusqu’au bout de la terre » (Actes 1:8). « Eux donc, étant partis, prêchèrent partout, le Seigneur coopérant avec eux » (Marc 16:20). C’est là le secret des résultats surprenants de la prédication des apôtres et de ceux qui les suivirent : le Seigneur travaillait avec eux.

Après dix-sept ans de son ministère, Paul, l’apôtre des nations, écrivait aux Romains que le mystère révélé « a été donné à connaître à toutes les nations » (Romains 16:26). Lui-même avait annoncé l’Évangile du Christ, depuis Jérusalem jusqu’en Illyrie (Romains 15:19). Le Seigneur avait dit à ses apôtres : « Allez donc, et faites disciples toutes les nations » (Matthieu 28:19), et, en effet, leur voix était allée par toute la terre (Romains 10:18). Paul en rend témoignage quand il écrit aux Colossiens : « L’Évangile… est parvenu jusqu’à vous, comme aussi il l’est dans tout le monde… lequel a été prêché dans toute la création qui est sous le ciel » (Colossiens 1:6, 23).

Les témoignages d’écrivains païens, comme Tacite et Suétone, constatent que vers l’an 64, Rome renfermait une multitude de chrétiens. Nous avons parlé de la lettre de Pline à l’empereur Trajan, au commencement du second siècle. Il mentionne la quantité de personnes de tout âge et de tout rang, qui partout en Bythinie étaient devenues chrétiennes. Les persécutions, bien loin d’arrêter les progrès de l’Évangile, ne faisaient que les activer. Les chrétiens remplissaient l’empire, comme le disaient hautement des écrivains chrétiens aux persécuteurs, dans la seconde moitié du deuxième siècle : « Nous sommes en si grand nombre, que si nous quittions votre État, nous causerions votre ruine… Nous ne sommes que d’hier, et nous avons tout rempli dans votre empire ; nous ne vous laissons que vos temples ». C’est Tertullien, déjà cité, qui parle ainsi. Il dit aussi que les peuplades des Goths, les tribus des Maures, toutes les régions des Espagnes, des Gaules, et même celles de la Bretagne, encore inaccessibles aux Romains, se sont soumises à Christ, comme aussi les Daces, les Sarmates, les Germains et les Scythes. Il ne faudrait pas croire d’après cela que, chez tous ces peuples, le paganisme avait cédé la place au christianisme ; mais l’Évangile y avait pénétré et des âmes l’avaient reçu.

On aimerait à avoir des détails sur les moyens dont se servit Dieu pour faire luire dans toutes ces contrées la lumière de la vérité ; mais l’on n’a à ce sujet que peu de renseignements certains.

Les provinces voisines de l’Asie mineure et de la Syrie, où existaient déjà, du temps de Paul, de nombreuses assemblées chrétiennes, furent évangélisées de bonne heure. Il faut nous rappeler que, soit par la persécution, comme en Actes 11:19, soit par d’autres circonstances, les chrétiens étaient amenés loin des lieux où ils avaient été convertis, et portaient avec eux le trésor de l’Évangile. Des évangélistes aussi allaient faire connaître le nom de Jésus parmi les nations (3 Jean 5-7). On raconte qu’Abgare, roi d’Édesse en Mésopotamie, reçut le christianisme par le ministère d’un certain Thaddée, vers l’an 45. De là, l’Évangile, dès le second siècle, se répandit en Arménie. Mais ce n’est que dans le troisième siècle que le roi d’Arménie, Tiridate, fut amené à la foi chrétienne. Dieu se servit pour cela d’un nommé Grégoire l’illuminateur, qui était le fils d’un prince parthe et avait été converti au christianisme. La conversion de Tiridate entraîna celle de presque tout le peuple. De nombreuses écoles furent établies, et là les enfants furent instruits dans la doctrine du Christ.

Un peu plus tard, l’Évangile pénétra dans l’Ibérie, au nord de l’Arménie et au sud du Caucase. La manière dont le christianisme y fut introduit, nous montre de quels faibles instruments Dieu se servait parfois pour répandre la connaissance de Christ.

Une femme chrétienne, nommée Nunia, avait été emmenée captive dans le pays dont nous parlons. La sainteté de sa vie et la pureté de ses mœurs avaient frappé les habitants de l’endroit où elle vivait. Le plus jeune fils du roi étant tombé malade, la reine ordonna à sa nourrice de s’enquérir auprès de quelques femmes âgées des remèdes par lesquels le mal pourrait être conjuré. Nunia, consultée à son tour, dit qu’elle n’avait d’autre secours à offrir que ses prières. « Jésus Christ », ajouta-t-elle, « qui a guéri tant de malades, guérira aussi l’enfant ». Puis elle se mit à genoux et pria le Seigneur qui exauça sa requête. Le roi voulait récompenser richement la pauvre captive, mais elle refusa, ne désirant autre chose que la conversion de ses maîtres. Quelque temps après, la reine aussi tomba gravement malade et dut sa guérison aux prières de Nunia. Jusqu’alors il n’y avait eu aucune conversion à Christ ; mais un jour le roi, étant à la chasse, fut surpris par d’épais brouillards. Séparé de sa suite, il courait les plus grands dangers. Dans sa détresse, il se souvint du Dieu tout-puissant de Nunia et invoqua son secours, promettant de le servir s’il était exaucé. Il fut sauvé du péril, et fidèle à sa promesse, il se mit à propager lui-même la bonne nouvelle parmi son peuple, et fit venir des missionnaires de Rome et d’Arménie pour l’aider dans cette œuvre.

Des soldats romains faits prisonniers, portèrent sans doute aussi l’Évangile en Perse. Au temps de l’empereur Constantin, les chrétiens y étaient nombreux. De là, le christianisme se répandit dans l’Inde, où peut-être il avait déjà pénétré dès le premier siècle, car on rapporte que l’apôtre Thomas y alla prêcher et y souffrit le martyre.

Si nous passons en Occident, nous savons qu’au temps de Paul, il y avait une nombreuse assemblée à Rome. De là, l’Évangile se répandit dans l’Afrique septentrionale où il fit de rapides progrès. On se rappelle les nombreux martyrs de cette contrée. L’Espagne fut évangélisée à la fois par Rome et par Carthage. Au second siècle, Tertullien disait que toutes les régions des Espagnes étaient soumises à Christ, et l’on sait qu’au troisième siècle de nombreuses églises y étaient établies.

Des colonies venues de l’Asie mineure apportèrent le christianisme dans la Gaule méridionale dès le second siècle. Lyon fut comme le centre de l’activité chrétienne dans cette contrée. Là, ainsi qu’à Vienne, il y eut ainsi que nous l’avons vu, un grand nombre de martyrs qui donnèrent leur vie pour Jésus Christ. La Gaule septentrionale fut évangélisée plus tard.

Les îles Britanniques reçurent l’Évangile dès le premier siècle, soit par des otages bretons convertis à Rome et rentrés dans leurs pays, soit par des soldats chrétiens qui se trouvaient dans les légions, soit enfin par des évangélistes venus de l’Asie mineure. Les chrétiens de ces contrées eurent aussi leur part dans les persécutions, et surtout dans la dernière. Là comme ailleurs, les exemplaires des Saintes Écritures furent brûlés, les pasteurs des troupeaux furent mis à mort, et beaucoup de simples fidèles perdirent la vie.

Un des pasteurs, nommé Amphibalus, ayant réussi à échapper aux persécuteurs, avait trouvé un refuge à Vérulam (*), chez un païen nommé Alban, ancien soldat romain. Le Seigneur récompensa la charité d’Alban envers son serviteur. Amphibalus lui enseigna la vérité chrétienne, et Dieu la fit pénétrer dans son âme. Recherché par les persécuteurs, Amphibalus fut forcé de quitter sa retraite. Afin qu’on ne le reconnût pas, Alban lui fit mettre ses habits, et ainsi il échappa. Mais la chose fut découverte, et le nouveau converti fut saisi. On lui laissa le choix ou de sacrifier aux dieux, ou de subir le sort destiné à celui qu’il avait fait échapper. Alban refusa de sacrifier. Il fut d’abord frappé de verges, puis décapité.

 

(*) Vérulam était au nord de St-Alban, à environ 30 kilomètres nord-ouest de Londres.

C’est ainsi que l’activité de la foi avait répandu partout la connaissance de Christ, en dépit de toutes les oppositions. Au commencement du IVe siècle, le grain de moutarde était devenu un arbre qui étendait ses branches au-delà des limites de l’empire romain. Le paganisme et ses abominations tendait à disparaître devant le christianisme.

Mais ce qui est triste à ajouter, c’est qu’à mesure que l’Église grandissait sur la terre, elle s’écartait de sa pureté primitive relativement à la doctrine et à la vie. L’apôtre Paul compare l’Église, quant à son développement extérieur, à un édifice que des ouvriers travaillent à élever. Il y a de bons et de mauvais ouvriers qui emploient de bons ou de mauvais matériaux. « J’ai posé le fondement », dit Paul, et « personne ne peut poser d’autre fondement que celui qui est posé, lequel est Jésus Christ. Or si quelqu’un édifie sur ce fondement de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, du bois, du foin, du chaume, l’ouvrage de chacun sera rendu manifeste… quel est l’ouvrage de chacun, le feu l’éprouvera » (1 Corinthiens 3:10-13). L’Église chrétienne tire son nom de Jésus Christ, le fondement qui a été posé et qui demeure. Mais de mauvais matériaux pour l’édifier y furent de plus en plus introduits, et c’est ainsi qu’elle s’accrut. Ces mauvais matériaux étaient, comme nous le verrons, soit des personnes qui n’étaient pas réellement converties, soit des doctrines, des ordonnances et des règlements humains. En même temps eut lieu ce que le Seigneur montre par la parabole « du levain qu’une femme prit » et cacha dans la pâte pure formée de trois mesures de farine. Le levain pénétra toute la pâte (Matthieu 13:33). Or le levain représente toujours une chose mauvaise, le péché ou la mauvaise doctrine (1 Corinthiens 5:6-7 ; Matthieu 16: 6, 11,12 ; Galates 5:8-9). Et c’est ce qui arriva dans l’Église le levain des mauvaises doctrines s’étendit partout en elle.

 

1.15                      Le culte chez les chrétiens durant l’ère des persécutions

Dans ce qui précède, nous avons surtout parlé du témoignage rendu par les chrétiens devant un monde qui les persécutait. Pour terminer ce qui se rapporte à cette époque de souffrances, nous dirons quelque chose du culte, de la discipline, et enfin du gouvernement de l’Église.

Les écrivains anciens donnent peu de détails sur la manière dont avaient lieu les réunions des chrétiens, dans ce temps où ils étaient obligés de se cacher de leurs persécuteurs. Dans la lettre de Pline à Trajan, nous avons quelques mots sur ce sujet. Justin martyr, dans sa première apologie adressée à l’empereur Antonin, vers l’an 140, décrit plus longuement la manière dont les chrétiens rendaient leur culte au Seigneur.

« Au jour appelé du soleil » (le dimanche), dit Justin, « tous ceux qui habitent dans les villes et dans les campagnes, se réunissent en un même lieu. Alors on lit, aussi longuement que le temps le permet, les mémoires des apôtres ou les écrits des prophètes. Ensuite, quand le lecteur a fini son office, celui qui préside fait une allocution pour l’instruction de l’assemblée et pour l’exhorter à suivre ces nobles exemples. Notre prière étant terminée, on apporte du pain et du vin mélangé d’eau, et celui qui préside offre, selon sa capacité, des prières et des actions de grâces auxquelles l’assemblée répond en disant : Amen. Le pain et le vin pour lesquels on a rendu grâces, sont ensuite distribués ; chacun y participe et une portion en est portée par les diacres à ceux qui sont absents. Puis on fait une collecte ; ceux qui le peuvent et ont bonne volonté donnent chacun ce qu’il trouve convenable, et on en remet le produit à celui qui préside. Il en assiste les orphelins et les veuves, ceux qui, par maladie ou autres causes, sont dans le besoin, les prisonniers et les étrangers qui se trouvent parmi nous, en un mot, il prend soin de tous ceux qui se trouvent dans quelque nécessité ».

« Nous nous rassemblons le jour du soleil », continue Justin, « parce que c’est le premier jour où Dieu, ayant opéré un changement dans les ténèbres et la matière, a fait le monde ; et parce qu’en ce même jour, Jésus Christ, notre Sauveur, ressuscita d’entre les morts. Car il fut crucifié le jour avant celui de Saturne (le samedi), et le jour qui suit celui-ci, c’est-à-dire le jour du soleil (*), il apparut à ses apôtres et à ses disciples, et leur donna ses enseignements ».

 

(*) Justin désigne les jours de cette manière, afin d’être compris de l’empereur. Chaque jour de la semaine était consacré à une divinité.

Voici encore ce qu’il dit touchant la Cène du Seigneur : « Nous appelons ce repas eucharistie (actions de grâces), et nul n’est admis à y participer, s’il n’a reçu comme vraies les choses que nous enseignons, s’il n’a été lavé du lavage qui est pour la rémission des péchés et pour la régénération, et s’il ne vit comme Christ l’a ordonné… Les apôtres, dans les mémoires qu’ils ont écrits et que l’on nomme les évangiles, nous ont transmis ce qui leur fut ordonné, savoir que Jésus prit du pain et qu’ayant rendu grâces, il dit : « Faites ceci en mémoire de moi », et que de même, ayant pris la coupe et rendu grâces, il dit : « Ceci est mon sang », et il la leur donna ».

Nous voyons donc qu’au temps de Justin, dans le second siècle, le culte avait conservé toute la simplicité avec laquelle nous le voyons célébré chez les premiers chrétiens d’après les Actes et les épîtres. On se réunissait le premier jour de la semaine, et la Cène du Seigneur, la fraction du pain, était le grand but du rassemblement, la partie principale et le centre du culte, comme aux jours de Paul (Actes 20:7). Elle se célébrait suivant l’institution même du Seigneur Jésus.

Dans ces assemblées, la lecture de la parole de Dieu avait une grande place. On tenait compte des oracles de Dieu et des exhortations faites par les apôtres relativement à ces écrits inspirés (2 Timothée 3:16 ; 2 Pierre 3:1-2). À cette lecture se joignaient l’enseignement et l’exhortation adressés à l’assemblée par celui qui y était appelé. C’est ainsi que nous voyons Paul « faire un discours » aux disciples assemblés pour rompre le pain, et que nous trouvons dans l’assemblée de Corinthe des « docteurs » pour enseigner, et d’autres qui parlaient pour édifier, exhorter et consoler (1 Corinthiens 12:28 ; 14:3, 4). L’apôtre recommandait que « le surveillant » fût « propre à enseigner » (1 Timothée 3:2).

Une collecte était faite pour ceux qui étaient dans le besoin. Chose touchante, fruit de l’amour, et qui est bien selon la pensée du Seigneur, qui a dit : « Vous avez toujours les pauvres avec vous, et quand vous voudrez, vous pourrez leur faire du bien » (Marc 14:7). Nous lisons encore : « Que chaque premier jour de la semaine chacun de vous mette à part chez lui » (1 Corinthiens 16:2), et encore : « Subvenant aux nécessités des saints » (Romains 12:13). Quantité d’autres passages des Actes et des épîtres nous montrent ces tendres soins exercés envers les pauvres, les malades, les prisonniers, et qui continuèrent à se montrer dans l’Église.

Ainsi, en toutes ces choses, l’Église était restée fidèle aux enseignements des apôtres et aux exemples donnés par les assemblées de leur temps. Mais, dans ce que dit Justin, nous avons pu remarquer deux choses qui n’ont pas de fondement dans le Nouveau Testament. La première est la coutume de porter la Cène à ceux qui étaient absents. Dans l’épître aux Corinthiens, nous voyons que la Cène se célébrait quand les fidèles étaient réunis « ensemble » (1 Corinthiens 11:20), et il n’y est pas question des absents. La seconde chose est le mélange de l’eau avec le vin de la Cène. Quelle que soit la pensée qui a donné lieu à cette pratique, rien dans l’Écriture ne l’autorise. On voit là cette fâcheuse tendance de nos cœurs à vouloir ajouter à ce que Dieu a établi, comme si nous pouvions perfectionner son ouvrage. Cela a été la source de toutes sortes d’abus et de maux dans l’Église.

D’autres coutumes et pensées humaines furent introduites parmi les chrétiens, sans qu’elles eussent la sanction de l’Écriture, et même en opposition avec son enseignement. Ainsi Justin parle autre part du pain et du vin de la Cène comme s’ils étaient vraiment changés dans le corps et le sang du Seigneur, au lieu d’en être simplement les signes. Une autre pensée inexacte est celle que l’eucharistie conférait en quelque sorte la grâce et l’assurance du pardon des péchés. Sans doute que s’approcher de la table du Seigneur, participer à ce repas qui nous rappelle son amour, annoncer sa mort jusqu’à ce qu’il vienne, est une grâce précieuse, une bénédiction très grande. Mais à qui appartient ce privilège ? Aux rachetés du Seigneur, membres de son corps, qui jouissent déjà du pardon de leurs péchés et de l’assurance du salut. On vient à la table du Seigneur, non pour recevoir ces grâces, mais parce qu’on les possède, et on vient là pour l’en bénir.

On avait une grande vénération pour les martyrs, et on le comprend. Ils avaient donné leur vie pour le Seigneur. Mais on en vint à les honorer après leur mort par des cérémonies spéciales. On se rassemblait le jour anniversaire de leur mort sur leurs tombeaux ; on y célébrait la Cène ; on priait même pour eux, et plus tard, on se figura qu’on pouvait s’adresser à eux comme à des intercesseurs auprès de Dieu. Ces superstitions s’introduisirent de bonne heure. Tertullien, à la fin du second siècle, en parlant contre les secondes noces, dit que la première femme a été « déjà reçue en la présence du Seigneur, elle pour l’esprit de laquelle tu fais des requêtes, pour qui tu offres des oblations annuelles ». Autre part, il parle d’intercession pour les morts, ainsi que le fait aussi Cyprien.

Une autre coutume s’est aussi introduite de très bonne heure, c’est le signe de la croix. Justin dit : « Le signe de la croix est sur notre front et sur notre cœur. Sur notre front, afin que nous puissions toujours confesser Christ ; sur nos cœurs, afin que nous l’aimions toujours ; sur notre bras, afin que nous agissions toujours pour Lui ». Tertullien, à son tour, nous apprend ceci : « Dans toutes nos allées et nos venues, dans nos voyages et tous nos mouvements, en mettant nos chaussures, au bain, à table, en allumant nos lumières, en nous couchant, en nous asseyant, à quelque occupation que nous vaquions, nous faisons le signe de la croix ». Il le recommande encore pour se garantir de la piqûre des scorpions. Les fidèles le faisaient aussi en entrant aux réunions et en en sortant. C’est ainsi que se frayait peu à peu le chemin des superstitions et des coutumes anti-bibliques du romanisme. C’est l’homme qui veut ajouter ses règles et cérémonies extérieures à ce que la parole de Dieu demande de son cœur.

Le signe de la croix fait, comme Tertullien le dit, en toute circonstance, devait montrer qu’en tout nous avons à nous souvenir de Jésus Christ ; mais il devint une pratique simplement machinale. Ce que Christ demande, c’est le cœur, et voici à ce sujet une recommandation bien importante de l’apôtre Paul : « Quelque chose que vous fassiez, en parole ou en œuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus » (Col. 3:17). Voilà à quoi nous appelle la parole de Dieu, et non à une vaine pratique dont elle ne parle pas, et que l’on accomplit sans que le cœur y soit. C’est notre cœur que veut Jésus, et quand notre cœur est à Lui, notre vie lui sera consacrée et lui rendra témoignage. Ce n’est pas par le signe de la croix, ce n’est pas par des vêtements ou des coiffures spéciales, ni par aucun emblème ou signe extérieur, que nous sommes appelés à le glorifier. Tout cela n’est que commandements d’hommes ; il faut nous en garder, quelque belle apparence que cela puisse avoir. Le Seigneur a dit : « Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, en sorte qu’ils voient vos bonnes œuvres », et non pas votre apparence extérieure, et Pierre nous exhorte à annoncer « les vertus de celui qui nous a appelés des ténèbres à sa merveilleuse lumière » (Matthieu 5:16 ; 1 Pierre 2:9).

 

1.16                      Comment on était reçu au nombre des fidèles

Avant de nous occuper de cette question, nous dirons un mot des lieux où se réunissaient les chrétiens aux premiers temps. Dans les Actes et les épîtres, nous voyons que c’était dans quelque chambre haute, dans des maisons particulières, comme dans « l’école d’un nommé Tyrannus », ou chez quelque chrétien, heureux d’avoir l’assemblée dans sa maison (Actes 20:8 ; 19:9 ; Romains 16:5 ; Colossiens 4:15 ; Philémon 2). Ils n’élevaient point d’édifices qui auraient attiré sur eux l’attention ; ils savaient d’ailleurs qu’il n’y a plus de temple sur la terre, plus de monument qui puisse être appelé « la maison de Dieu ». La maison de Dieu était spirituelle, composée de tous les vrais croyants. On y adorait Dieu en esprit et en vérité. Partout, quel que fût l’endroit où deux ou trois étaient réunis au nom de Jésus, le Seigneur se trouvait au milieu d’eux ; là était la maison de Dieu, et il en est de même maintenant (1 Pierre 2:5 ; Jean 4:21, 23, 24 ; Matthieu 18:20). À Rome, objets de haine, poursuivis et réduits à se cacher pour servir Dieu, ils se réunissaient dans les catacombes où ils enterraient aussi leurs morts. Cet état de choses dura un certain temps, mais plus tard, comme nous l’avons dit, dans les intervalles de paix que laissaient les persécutions, les chrétiens élevèrent des lieux de culte publics que l’on nomma basiliques. Elles se composaient d’une nef et d’un chœur où se trouvait la table de communion que l’on nomma bientôt autel. Les simples fidèles se tenaient dans la nef ; le chœur était réservé aux membres du clergé ; ceux qui n’avaient point encore été baptisés et qui désiraient l’être, restaient en dehors dans un endroit nommé le parvis. On voit là combien l’on tendait à s’écarter de plus en plus de la simplicité de la parole de Dieu, où nous ne trouvons rien de semblable. Les formes usitées pour le baptême des néophytes (*) nous le montrera aussi.

 

(*) On nommait ainsi les nouveaux convertis qui désiraient être joints à l’assemblée chrétienne. Néophyte veut dire nouvellement né ou planté.

Dans ces temps où se déclarer chrétien était s’exposer au mépris général, à la perte de ses biens et souvent de sa vie, nous pouvons penser que, dans la plupart des cas, il y avait une conviction profonde de la vérité du christianisme et une œuvre de Dieu dans les cœurs. Il est cependant remarquable que, lorsqu’il s’agit de personnes désirant se joindre aux chrétiens, les auteurs anciens parlent très peu de la « conversion » et de la « foi », la foi qui sauve et justifie, ainsi que nous la voyons partout mentionnée dans le Nouveau Testament comme une chose absolument nécessaire. « Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé », dit Paul au geôlier. « Vous êtes sauvés par la grâce, par la foi », écrit-il aux Éphésiens. Et aux Romains : « Ayant donc été justifiés sur le principe de la foi » (Actes 16:31 ; Éphésiens 2:8 ; Romains 5:1). Au lieu de cela, il est question de la régénération et toujours en rapport avec le baptême, parce que l’on prenait les paroles du Seigneur : « Si quelqu’un n’est né d’eau et de l’Esprit », comme désignant cet acte, et qu’ainsi l’on croyait qu’on était « né de nouveau » quand on avait été baptisé. On pensait que le baptême purifiait de tous les péchés. Aussi plusieurs de ceux qui s’étaient déclarés chrétiens, comme l’empereur Constantin, par exemple, ne se faisaient-ils baptiser que sur leur lit de mort, afin de n’être pas exposés à commettre des péchés après leur baptême. Combien l’on avait oublié les précieuses vérités de la Parole qui nous dit que, non par le baptême, mais « le sang de Jésus Christ… nous purifie de tout péché » (1 Jean 1:7).

Qu’est-ce donc que le baptême ? Il est le signe de notre mort avec Christ, comme l’explique l’apôtre Paul en Romains 6:3-4, afin que nous marchions en nouveauté de vie. On l’administre comme signe que celui qui le reçoit entre dans l’Église chrétienne, qui est sur le terrain de la mort et de la résurrection de Christ. Mais on demandera peut-être aussi : « Que veulent dire les paroles du Seigneur, être né d’eau et de l’Esprit ? ». L’eau désigne la parole de Dieu, qui agit dans l’âme par la puissance du Saint Esprit pour la purifier et produire une vie nouvelle qui nous met en relation avec Dieu. Lisons avec soin les passages qui montrent clairement ce que nous venons de dire : « En la purifiant (l’Église) par le lavage d’eau par la parole » (Éphésiens 5:26). « Par parole » explique ce que veut dire l’eau. « Il nous a engendrés par la parole de la vérité » (Jacques 1:18), et vous avez été « régénérés… par la vivante et permanente parole de Dieu » (1 Pierre 1:23) ; ces passages nous font bien voir que ce n’est pas l’eau du baptême qui lave et régénère, mais que c’est l’action de la parole de Dieu.

Maintenant, voyons ce qui avait lieu avant la réception du baptême et comment cet acte s’accomplissait. On commençait par s’informer si celui qui désirait être baptisé avait une conduite recommandable. Dans ce cas, il devait avant tout recevoir une instruction qui durait un an ou plus. Cet enseignement comprenait d’abord toute l’histoire sacrée depuis la création, et les récits des évangiles. Ensuite, on traitait les sujets qui se rapportent à Dieu le Père, à Christ, au Saint Esprit, au corps et à l’âme, et au jugement à venir. Pendant que durait l’instruction celui qui la recevait portait le nom de catéchumène. Il était bien considéré comme chrétien, mais ne portait pas le nom de fidèle, réservé à ceux qui avaient reçu le baptême,

Les catéchumènes n’assistaient qu’à la première partie du service des chrétiens, c’est-à-dire à la lecture des Écritures et à l’exhortation. Cela terminé, un diacre les invitait à se retirer. Les fidèles seuls restaient pour le culte et la célébration de la Cène.

On choisissait pour baptiser le temps compris entre les fêtes de Pâques et de la Pentecôte (*). Pendant quarante jours, les catéchumènes se préparaient par le jeûne et la prière à recevoir le baptême. On leur faisait apprendre alors la confession de foi et l’oraison dominicale, et on les instruisait touchant la nature des sacrements et la discipline de l’Église. Le baptême était administré à minuit par l’évêque ou par un ancien, à la lueur des torches. Les femmes étaient séparées des hommes par des rideaux. Le catéchumène, tourné vers l’ouest, étendait la main et disait : « je renonce à toi, Satan, à toutes tes œuvres, à toutes tes pompes et à tout ton service ». Puis se tournant vers l’est, il répétait la formule de foi : « Je crois au Père, au Fils et à l’Esprit Saint ». On l’oignait alors d’huile et l’évêque le conduisait vers la piscine où il était plongé trois fois après avoir répété la confession de foi. Il était ensuite de nouveau oint d’huile et revêtu d’une robe blanche, symbole de la pureté de son âme après avoir été régénéré par le baptême. Il recevait le baiser de paix et on lui présentait un peu de miel et de lait. Alors, pour la première fois, il disait l’oraison dominicale. Il était compté parmi les fidèles et pouvait participer à la Cène. Dans les temps de persécution, on abrégeait souvent la durée du catéchuménat, et on donnait le baptême à ceux qui avaient confessé Christ.

 

(*) Déjà parmi les chrétiens s’était introduit l’usage de célébrer des fêtes à certains jours fixés. Mais rien, dans le Nouveau Testament, n’autorise cette coutume. Les Juifs avaient les fêtes établies par la loi de Moïse — les fêtes de l’Éternel. Mais tout cela a été aboli par la venue de Christ. C’était une ombre des choses à venir (Colossiens 2:16-17).

Tout ce cérémonial montre combien la simplicité évangélique s’était altérée et était remplacée par des formes dont nous ne trouvons aucune trace dans le Nouveau Testament. Que l’on compare avec ce que nous venons de dire des récits du livre des Actes des apôtres où il est question de baptême. Ceux qui ont entendu la prédication de Pierre et qui ont cru, sont baptisés et ajoutés à l’assemblée (Actes 2:41). Il en est de même à Samarie (8:12). L’officier de la reine Candace reçoit la parole du Seigneur, descend de son char et est baptisé sur la route déserte (8:36-38). Mais surtout lisons ce qui a lieu quand le geôlier à Philippes eut été converti (Actes 16:28-34). Il avait demandé, dans l’angoisse de son âme : « Que faut-il que je fasse pour être sauvé ? ». Et Paul et Silas lui avaient dit : « Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, toi et ta maison », et ils lui annoncèrent la parole du Seigneur. Et cette même nuit, dans la prison ou dans sa demeure, il fut baptisé avec tous les siens, après avoir montré, par les tendres soins qu’il donne aux apôtres, ce que Dieu avait opéré dans son âme. Combien cela est simple. Ce que le Seigneur demandait, c’était que l’on crût en Lui. On était baptisé, on rompait le pain, on se réjouissait d’avoir cru et d’être sauvé, et le Seigneur avait soin que l’assemblée fût instruite, enseignée, édifiée par les pasteurs et les docteurs qu’il lui donnait (voir Actes 11:21-26). Et il en est de même maintenant. En général, les parents font baptiser leurs enfants et ils sont tenus de les élever sous la discipline et les avertissements du Seigneur (Éphésiens 6:4). Ils ont pour les diriger en cela la parole de Dieu. Et les enfants et jeunes gens peuvent suivre les réunions où les Écritures sont exposées et expliquées par des serviteurs de Dieu. Seulement, ils sont sous la responsabilité d’écouter et de retenir dans leurs cœurs les choses qu’ils entendent (Proverbes 3:1 ; Ésaïe 55:3 ; Luc 11:28). Souvent aussi Dieu met au cœur d’amis chrétiens de s’entretenir plus spécialement de la Parole avec les enfants et les jeunes gens. Et il faut en profiter, en être reconnaissants, et il faut lire soi-même la sainte parole de Dieu, en Lui demandant de nous la faire comprendre. Mais nulle part, dans cette Parole, nous ne trouverons qu’il faille un enseignement d’un an ou plus pour pouvoir participer à la Cène du Seigneur. Ce que Dieu demande, c’est la conversion du cœur et la foi au Seigneur Jésus comme Sauveur, accompagnées d’une vie sainte par la grâce et la puissance de l’Esprit Saint.

 

1.17                      Le gouvernement de l’Église

En parlant de l’église de Thyatire, nous avons déjà touché ce sujet. Nous entrerons maintenant dans quelques détails. Bien des abus et bien des erreurs s’étaient peu à peu glissés dans l’Église, soit dans ses ordonnances, soit dans le culte et même dans la doctrine. Une autre chose fâcheuse s’était introduite ; c’était l’établissement d’un clergé distinct des simples fidèles que l’on nommait les laïques ou le peuple. Le clergé formait un corps à part composé des évêques, des anciens ou presbytres, des diacres, et de plusieurs fonctionnaires en sous-ordre, tels que les sous-diacres qui aidaient les diacres, les acolytes qui suivaient l’ancien lorsqu’il portait la cène aux malades, les lecteurs chargés de la lecture et de la garde des Écritures, les exorcistes qui, dans la cérémonie du baptême, prononçaient les paroles par lesquelles on pensait éloigner du néophyte les puissances infernales. Or nous ne trouvons rien de semblable dans la parole de Dieu.

Nous n’y voyons mentionnées que deux charges dans l’Église : les anciens et les serviteurs ou diacres. À ces derniers appartenaient le soin des pauvres et des veuves, et la distribution des aumônes aux nécessiteux (Actes 6:1-6 ; 1 Timothée 3:8-13). Il y avait aussi des diaconesses ou servantes, comme nous le dit ce passage : « Or je vous recommande Phœbé, notre sœur, qui est servante de l’assemblée qui est à Cenchrée (*), afin que vous la receviez dans le Seigneur » (Romains 16:1). Quant aux anciens, ils sont aussi nommés surveillants, qui est la traduction du mot grec « episcopos » d’où l’on a fait évêque. On n’a qu’à lire ce que Paul dit aux anciens de l’église d’Éphèse : « Prenez donc garde à vous-mêmes, et à tout le troupeau au milieu duquel l’Esprit Saint vous a établis surveillants pour paître l’assemblée de Dieu » (Actes 20:28). Nous voyons par là que, dans une assemblée, il y avait plusieurs anciens, et que leur charge consistait à veiller sur le troupeau des fidèles afin d’y maintenir l’ordre, une saine doctrine et une conduite pure. Parmi les anciens, il pouvait y en avoir qui fussent spécialement doués pour présenter aux âmes la parole de Dieu et pour enseigner la vérité ; ceux-là et ceux qui présidaient dûment, qui s’appliquaient bien au gouvernement de l’assemblée, devaient être « estimés dignes d’un double honneur », c’est-à-dire particulièrement respectés, dit Paul à Timothée (1 Timothée 5:17).

 

(*) Cenchrée était le port de la ville de Corinthe. Cette ville est aussi mentionnée en Actes 18:18.

Qui établissait les anciens ? La Parole nous montre que c’étaient les apôtres ou quelqu’un, comme Tite, qui en avait reçu la commission de la part de Paul, un apôtre (Actes 14:23 ; Tite 1:5). Même quand il s’agit des serviteurs ou diacres, c’est bien l’assemblée qui les présente, mais ce sont les apôtres qui les établissent. Nous le voyons par ces paroles : « Jetez donc les yeux, frères, sur sept hommes d’entre vous, qui aient un bon témoignage, pleins de l’Esprit Saint et de sagesse, que nous établirons sur cette affaire » (Actes 6:3). Les anciens et les diacres étaient donc établis par l’autorité apostolique.

Mais il nous faut bien remarquer que l’Écriture ne nous dit pas qu’aucune autorité ait été laissée pour en établir après les apôtres. Il n’y a pas un mot dans la Parole qui confère aux assemblées cette autorité. On dit que toute société d’hommes a à sa tête des personnes qu’elle choisit pour la diriger et l’administrer, et qu’ainsi une église doit se choisir aussi de telles personnes. Mais raisonner ainsi, c’est faire des assemblées chrétiennes de simples associations d’hommes qui s’établissent des règles à leur convenance, tandis que ceux qui sont vraiment réunis au nom de Jésus, par l’action et la puissance de l’Esprit Saint, sont des assemblées de Dieu qui n’ont d’autre règle que la parole de Dieu. Christ est le Chef de l’Assemblée qu’il aime, qu’il chérit et nourrit (Éphésiens 5:23, 25, 29), c’est à Lui que nous devons laisser le soin de donner aux assemblées ce qui leur est nécessaire.

Remarquons à ce sujet ce que dit l’apôtre Paul aux anciens de l’assemblée d’Éphèse après les avoir avertis du mal qui s’introduirait dans l’Église après son départ. Ce n’est pas : « Faites-vous des règlements pour l’élection d’anciens, quand moi et vous, nous ne serons plus là » ; mais il dit : « Je vous recommande à Dieu, et à la parole de sa grâce » (Actes 20:32). Voilà donc ce qui restait après les apôtres : Dieu et sa Parole. N’était-ce pas tout à fait suffisant ? Certainement, et c’est aussi pleinement suffisant pour nous de nos jours.

Si l’on demande : « Mais qui instruira et édifiera dans les assemblées ? » la réponse est : « Ceux à qui Dieu a dispensé quelque don spirituel », comme il est dit dans les épîtres aux Romains et aux Corinthiens (Romains 12:6-8 ; 1 Corinthiens 14:1-4, 12). Ensuite nous voyons que le Seigneur Jésus donne des évangélistes et des pasteurs et docteurs (Éphésiens 4:11, 12) ; mais ceux-là n’ont pas besoin d’être établis par des hommes, puisque Jésus les donne et que l’Esprit Saint les qualifie. De plus, ils ne sont pas pour une assemblée locale, comme l’étaient les anciens et les diacres, mais pour toute l’Église.

Mais on dira peut-être encore : « Qui prendra soin des pauvres et des saints qui sont dans la nécessité, qui veillera sur l’ordre dans les assemblées ? ». Si nous nous attachons à la parole de Dieu et si nous nous attendons à Lui, soyons sûrs qu’il y pourvoira, en mettant au cœur de quelqu’un ou de quelques uns de s’employer pour Lui au service de l’Assemblée. C’est ainsi que, du temps de Paul, la maison de Stéphanas s’était « vouée au service des saints », et que d’autres coopéraient à l’œuvre du Seigneur et y travaillaient (1 Corinthiens 16:15-16).

On vit bientôt dans l’Église le danger qu’il y a à ne pas rester soumis à la parole de Dieu. Déjà à la fin du premier siècle, quand l’apôtre Paul était encore là, on voit Diotrèphe s’arroger une place d’autorité dans l’assemblée dont il faisait partie. Il aimait à être le premier et ne recevait pas l’apôtre et ceux qui lui étaient attachés (3 Jean 9, 10). C’était le commencement del’esprit clérical, en complète contradiction avec ce que dit Pierre aux anciens de son temps, de ne pas dominer sur le troupeau, mais d’en être les modèles (1 Pierre 5:2, 3). Ignace, le martyr, dans ses lettres, attribue à l’évêque, aux anciens et aux diacres, une place qui n’est nullement celle que leur donne l’Écriture. Nous voyons déjà alors celui qui, par ses dons, son dévouement ou son activité, se distinguait parmi les anciens d’une église, prendre ou recevoir le titre d’évêque qui n’est attribué qu’à lui seul. Les anciens sont son conseil ou les exécuteurs de ses ordres. Il était ainsi le chef de l’église. D’abord choisi par les anciens avec l’approbation de l’église, il fut plus tard nommé ou consacré par les évêques du voisinage, et alors ce fut lui qui nomma les anciens que confirmait l’assemblée. Tout un ordre humain s’introduisit ainsi dans l’Église, sans aucune sanction de l’Écriture. Peu à peu les évêques des localités de la campagne furent subordonnés à ceux des villes et n’eurent plus que le nom de presbytres. On forma ainsi des diocèses ou circonscriptions qui avaient à leur tête l’évêque, celui-ci ayant sous son autorité les églises de cette circonscription.

Au commencement, les évêques et les autres fonctionnaires des églises étaient simples dans leurs mœurs, travaillant souvent de leurs mains pour leur subsistance et ne recherchant pas le gain. Ils obéissaient ainsi aux exhortations des apôtres Pierre et Paul (1 Pierre 5:2 ; 1 Timothée 3:3). On pourvoyait aux besoins de ceux qui n’avaient point de ressources au moyen de dons volontaires, ou de dîmes, comme chez les Juifs. Dans les campagnes et les villes peu importantes, cette simplicité se conserva longtemps. Mais dans les grandes villes les dons étaient abondants, et les évêques et les hauts fonctionnaires qui en avaient la plus large part, commencèrent à vivre dans le luxe. Déjà Cyprien, évêque de Carthage, déplorait cette tendance. Au 6° siècle, les choses étaient venues au point qu’un auteur de ce temps, Ammien Marcellin (*), écrivait à propos des évêques de Rome : « Il ne faut pas s’étonner de voir ceux qui ambitionnent la grandeur humaine, lutter avec tant d’ardeur pour obtenir cette dignité (celle d’évêque). Le candidat préféré est enrichi par les offrandes des matrones (les dames romaines) ; ils peuvent alors déployer un grand faste, se faire traîner sur des chars magnifiques, vêtus de riches habits, et la somptuosité de leurs festins dépasse celle des tables royales. Ils seraient plus révérés si, au lieu d’étaler leurs vices, ils ressemblaient aux évêques de province, sobres, simples et modestes ». C’était cette gloire et cette puissance mondaines des évêques de Rome qui faisaient dire à un païen. « Faites-moi évêque de Rome, et je me fais chrétien ».

 

(*) Sans être païen, il ne professait pas le christianisme. Il écrivit une histoire de Rome qui allait de l’empereur Nerva à Valens, mais dont le commencement est perdu. Le reste comprend l’histoire de l’empereur Julien et de ses successeurs.

Voilà, hélas ! où en venaient peu à peu ceux qui auraient dû être les modèles des troupeaux. Combien peu ils ressemblaient à cet humble Jésus qui n’avait pas un lieu où reposer sa tête et dont, cependant, ils professaient être les disciples ! Combien peu ils marchaient sur les traces de Paul, le faiseur de tentes ! Ce sont bien eux qui sont représentés par ce serviteur dont parle le Seigneur et qui disait dans son cœur : « Mon maître tarde à venir », et qui se mettait à battre les serviteurs et les servantes, et à manger, et à boire, et à s’enivrer (Luc 12:45). Ce mal, une fois introduit, ne fit que s’accroître dans la période suivante de l’histoire de l’Église. Toutefois il ne faut pas oublier que ce n’étaient encore que des cas isolés, et qu’il y avait bien des évêques dévoués à leurs troupeaux et qui montrèrent un grand courage dans les persécutions.

 

 

2                        Les premiers siècles — L’incorporation au monde

2.1   L’Église s’associe au monde sous Constantin

La dernière persécution que les chrétiens eurent à subir avait été la plus générale et la plus terrible de cette période où les ennemis du christianisme tentèrent de l’anéantir par la violence. Bien loin d’y réussir, il ne fit que grandir sous l’épreuve, et par son influence et par le nombre de ceux qui l’embrassaient. L’ennemi du nom de Christ, Satan, changea alors de tactique. De lion rugissant (1 Pierre 5:8), il se montra ce qu’il n’a jamais cessé d’être, le serpent ancien et rusé qui séduit les cœurs par l’attrait des jouissances que le monde présente (Apocalypse 12:9). La puissance impériale devint la protectrice du christianisme, au lieu d’en être l’ennemie, et par là l’Église, au sein de laquelle s’étaient déjà introduits tant d’abus, fut amenée à s’associer au monde et oublia sa vocation céleste.

Pour bien comprendre ce que nous venons de dire, il faut nous rappeler que, lorsque le Seigneur Jésus était ici-bas, il fut rejeté du monde qui le haïssait et le mit à mort (Jean 15:24). Il disait à Pilate : « Mon royaume n’est pas de ce monde » (Jean 18:36). Il était venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour accomplir la volonté de son Père, mais nullement pour y être riche, honoré d’une gloire terrestre, ni pour y exercer l’autorité parmi les hommes (Jean 18:37 ; 17:4 ; 2 Corinthiens 8:9 ; Jean 5:41 ; Luc 12:13-14). Il vint manifester ici-bas l’amour du Père dans une vie céleste, puis, ayant achevé l’œuvre du salut, il retourna au ciel. Que doivent donc être ici-bas ceux qui Lui appartiennent, ses disciples ? Le Seigneur l’a dit dans sa prière au Père : « Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde » (Jean 17:16) ; et l’apôtre Paul écrivait aux chrétiens de Philippes : « Notre bourgeoisie est dans les cieux, d’où aussi nous attendons le Seigneur Jésus Christ » (Philippiens 3:20). L’Église, l’Assemblée, a pour Chef Christ dans le ciel. Quant à son appel, elle est donc céleste, comme son divin Chef. Si le chrétien est laissé dans le monde, c’est pour y être un témoin de la vérité et de la grâce de Dieu, en y vivant comme son Sauveur y a vécu, ainsi que Jésus l’a demandé au Père : « Sanctifie-les par la vérité ; ta parole est la vérité. Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde » (Jean 17:17-18). Sanctifier veut dire mettre à part pour Dieu, alors que le monde « gît dans le méchant » (1 Jean 5:19), et est dominé par « la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie » (1 Jean 2:16). C’est la parole de Dieu qui, reçue dans le cœur, opère, par l’Esprit Saint, cette mise à part pour le service de Dieu. Les chrétiens sont envoyés dans le monde, comme Jésus y avait été envoyé, pour y mener cette vie sainte. Par conséquent l’Église avait à marcher dans le monde ainsi que Christ y avait marché (1 Jean 2:6), séparée de ce monde qui a rejeté et fait mourir son divin Maître. Elle n’avait donc pas à s’associer à lui, à rechercher son approbation, ni à ambitionner les positions, les richesses, les honneurs qu’il peut donner. « Ne vous conformez pas à ce siècle ; mais soyez transformés par le renouvellement de votre entendement », telle est la parole de l’apôtre (Romains 12:2). Telle devait être l’Église, une lettre de Christ connue et lue de tous les hommes, une fiancée pure pour son céleste époux (2 Corinthiens 3:2-3 ; 11:2).

Mais par un effet de la ruse de l’ennemi, l’Église a méconnu sa haute, sainte et céleste vocation. Elle en est déchue, et elle est devenue du monde auquel elle s’est associée. Et elle n’a cessé, infidèle à son Seigneur et Maître, de continuer et même de progresser dans cette voie fatale. C’est pourquoi Jésus, s’adressant à l’église de Pergame, qui représente l’époque de l’Église où s’est consommée cette association, dit : « Je sais où tu habites, là où est le trône de Satan… parmi vous, là où Satan habite » (Apocalypse 2:13). Quelle chose terrible d’être là où habite Satan, le prince de ce monde, alors que la place de l’Église est le ciel ! Et descendant toujours plus cette pente funeste, l’Église en arrivera à perdre entièrement son caractère et est représentée par cette femme « vêtue de pourpre et d’écarlate, et parée d’or et de pierres précieuses et de perles », et qui dit dans son cœur : « Je suis assise en reine » (Apocalypse 17:4 ; 18:7).

Mais n’oublions pas que, dans toutes les périodes de l’histoire de l’Église, même les plus sombres, le Seigneur a eu ses fidèles témoins. Souvenons-nous aussi que, quelle que soit la ruine de l’église professante, l’Assemblée que Christ bâtit, composée des pierres vivantes, ne peut être touchée par Satan.

Venons-en maintenant au grand événement qui fut pour l’Église le commencement d’une nouvelle ère. Constantin, qu’on a surnommé le Grand, était fils de ce Constance dont nous avons parlé, qui gouvernait dans les Gaules au temps de Dioclétien et qui s’était montré favorable aux chrétiens. Après la mort de son père, Constantin fut élevé par l’armée au rang d’auguste et devint l’un des six compétiteurs à l’empire romain. Le sénat et le peuple de Rome, exaspérés par la cruauté du tyran Maxence qui régnait dans cette ville, appelèrent à leur aide Constantin. Celui-ci, heureux de cette occasion de se défaire d’un rival se dirigea sur l’Italie avec son armée, vainquit Maxence dans plusieurs rencontres et arriva aux portes de Rome. Là devait s’engager une action décisive. À ce moment, Constantin était encore païen de profession.

La veille même de la bataille, raconte Eusèbe, l’historien de l’Église, contemporain et ami de Constantin, celui-ci ayant offert des prières pour le succès de ses armes, vit dans les cieux, comme le soleil se couchait, une grande croix lumineuse avec cette inscription en lettres de flammes : « Par ce signe tu vaincras ». L’armée entière, dit-il, fut témoin de cette vision. Retiré dans sa tente, l’esprit rempli de ce qu’il avait vu, l’empereur dans la nuit eut un songe. Il lui semblait que le Sauveur se tenait près de lui, ayant à la main une croix semblable à celle qui lui était apparue dans le ciel, et qu’il lui ordonnait d’en faire une image qui serait placée sur ses étendards, lui donnant l’assurance qu’ainsi il serait victorieux dans tous les combats.

Constantin obéit. D’habiles ouvriers confectionnèrent, d’après ses indications, un étendard portant une croix ornée de pierres précieuses avec le monogramme de Christ (*). On nomma cet étendard le labarum, du mot assyrien labar qui signifie « victoire ». Dès lors il fut porté à la tête des armées impériales et confié à la garde de cinquante hommes d’élite que l’on considérait comme invulnérables par la vertu de la croix.

 

(*) Formé des deux premières lettres du nom de Christ en grec.

Constantin fit appeler des docteurs chrétiens qui lui enseignèrent quel était Celui qui lui était apparu, et quelle était la signification de la croix. Dès lors il se déclara converti au christianisme.

Les deux armées se rencontrèrent au pont Milvius, et Constantin remporta une victoire signalée sur Maxence qui en fuyant se noya dans le Tibre. Le vainqueur entra dans Rome et fit élever dans le Forum [La place publique] une statue qui le représentait tenant dans la main droite un étendard en forme de croix avec cette inscription « Par ce signe salutaire, vrai symbole de la bravoure, j’ai délivré notre ville du joug du tyran ». Il reconnaissait ainsi publiquement qu’il devait la victoire au Dieu des chrétiens et à l’emblème sacré de la croix. Mais pour le moment, son christianisme n’alla pas plus loin. Comme homme, il n’avait pas encore éprouvé le besoin personnel d’un Sauveur, et il est douteux qu’il l’ait jamais senti. Il accepta sérieusement le christianisme comme religion et l’apprécia très haut comme une puissance qui servait sa politique, mais Dieu seul sait s’il est jamais venu à Christ, le Sauveur, comme un pécheur perdu. Rien dans sa vie ne le prouve.

Avant de voir quelles furent les conséquences de la conversion de Constantin au christianisme, demandons-nous ce qu’il faut penser de cette vision et de ce songe. On ne peut certainement pas y voir une intervention divine, ni d’un autre côté suspecter la bonne foi de Constantin. Mais celui-ci, dont le père avait été favorable aux chrétiens et qui, à Nicomédie, avait été témoin de leur constance dans la persécution, était, dit Eusèbe, hésitant entre les deux religions. Il n’ignorait pas la fin terrible de plusieurs des persécuteurs, et il la comparait à la mort paisible de Constance. Au moment de livrer une bataille d’où dépendait son sort, il se demandait vers quel Dieu se tourner pour obtenir la victoire. Fortement préoccupé de ces pensées et d’un esprit porté à la superstition, il est possible que l’éclat du soleil couchant brillant dans les nuages, ait frappé sa vue, et que, son imagination aidant, il ait cru y voir la forme d’une croix qu’il savait être le symbole du christianisme. Il y aura vu une réponse à ses doutes et, dans son sommeil, un songe, résultat de son état d’esprit, l’aura confirmé dans sa résolution d’embrasser la religion chrétienne. Voilà comment nous pouvons nous expliquer ce fait.

Quoi qu’il en soit, cette conversion de Constantin au christianisme qui eut lieu en l’an 312, fut un événement d’une importance immense dans l’histoire de l’Église sur la terre, mais non pas, hélas ! pour son bien spirituel.

L’habileté militaire de Constantin, son courage et ses grands talents politiques, l’ont fait surnommer le Grand. C’est un titre que les hommes donnent à ceux qui ont remporté des victoires et fait des conquêtes. Mais ce n’est pas la vraie grandeur devant Dieu. Celle-ci consiste dans l’humilité, dans le renoncement, dans la victoire remportée sur le monde et les convoitises, dans l’exercice de la bonté, de la douceur, de la miséricorde et de la justice, en un mot dans la vraie conversion du cœur (Matthieu 18:1-4). Or, quel que fût le zèle que Constantin déploya pour la religion qu’il avait embrassée, on peut douter qu’il y ait eu chez lui une réelle conversion. Peut-être son intelligence se convainquit-elle que le christianisme valait mieux que le paganisme, sans que sa conscience et son cœur eussent été saisis par la vérité. Il ne faut pas oublier que Constantin était un politique habile. Il voyait l’influence croissante du christianisme ; il savait que les chrétiens étaient des sujets dociles, soumis aux lois, et que leur nombre lui assurait une force considérable, s’il les protégeait. Ces raisons pesèrent sans doute puissamment dans la balance, pour le faire renoncer à une religion vieillie et qui tombait en décadence, et lui faire adopter celle dans laquelle il voyait une puissance nouvelle qui servirait son ambition. C’est ainsi que les hommes comme lui agissent : mus par des vues humaines et dans leur propre intérêt, ils emploient pour cela même les choses saintes !

Pour ménager sans doute ceux qui restaient attachés à l’ancienne religion, il conserva plusieurs pratiques païennes. Ainsi, il inaugura son règne par l’apothéose, c’est-à-dire la mise au rang des dieux, de son père Constance. C’est ce que l’on avait coutume de faire pour tous les empereurs après leur mort, quelle qu’eût été leur vie. On leur élevait des statues et on les honorait comme des divinités. Convenait-il à un chrétien de faire une semblable chose ? L’apôtre Paul ne dit-il pas aux chrétiens : « Quelle convenance y a-t-il entre le temple de Dieu et les idoles ? Car vous êtes le temple du Dieu vivant » (2 Corinthiens 6:16). Et encore : « Mes bien-aimés, fuyez l’idolâtrie » (1 Corinthiens 10:14 ; voyez 1 Jean 5:21). Constantin prit aussi le titre païen de souverain pontife, c’est-à-dire celui qui était à la tête des chefs du culte idolâtre, et ses monnaies portent, avec le nom du Christ, l’image d’une divinité païenne. Il favorisait encore d’autres usages du paganisme. C’était associer Christ avec l’iniquité ; or la parole de Dieu dit : Quelle communion y a-t-il « entre la lumière et les ténèbres ? et quel accord de Christ avec Béliar ? » (2 Corinthiens 6:14-15 ; voyez Apocalypse 2:14). Constantin agissait ainsi pour ne pas froisser ses sujets païens. C’était habile, mais était-ce selon Dieu ?

Un autre trait du caractère de cet empereur est que rien ne l’arrêtait pour satisfaire ses vengeances ou arriver à bout de ses desseins ambitieux. Perfidies et meurtres, il employait tout sans scrupules. Il fit périr son beau-père, deux de ses beaux-frères, « dont l’un était Licinius, qui avait été empereur d’Orient. Sur une fausse accusation de sa seconde femme, l’impératrice Fausta, il fit mettre à mort son propre fils Crispus ; puis, ayant reconnu l’injustice de l’accusation, il fit aussi mourir Fausta. La parole de Dieu dit : « Aucun meurtrier n’a la vie éternelle demeurant en lui » (1 Jean 3:15).

En ayant ces tristes faits devant les yeux, on voit quel était l’homme qui se plaçait à la tête de l’Église, et on comprend mieux dans quel état de ruine celle-ci tombait. Peut-être est-ce parce que Constantin sentait combien peu sa vie répondait aux enseignements de l’Évangile, qu’il ne se fit baptiser que sur son lit de mort. Jusqu’à ce moment il fut seulement catéchumène. Comme on pensait que le baptême effaçait tous les péchés, le pauvre empereur crut sans doute s’assurer ainsi le ciel. Quelle erreur profonde ! Le sang de Christ seul purifie de tout péché, et Dieu demande que nous croyions à l’efficacité de ce sang, si nous voulons être sauvés (1 Jean 1:7 ; Romains 3:24-25). Il y avait aussi une grande responsabilité pour les évêques et docteurs de l’Église de laisser Constantin dans cette fatale erreur et cette fausse assurance ; mais, hélas ! ils n’étaient que trop heureux et trop fiers d’avoir le puissant empereur pour les protéger, les enrichir et mettre en honneur le christianisme, au lieu de le persécuter.

Car il faut bien dire, d’un autre côté, que le zèle de Constantin pour établir, affermir et répandre le christianisme, ne se démentit jamais. Jamais non plus il n’usa de contrainte violente envers ceux qui restaient fidèles au paganisme ; mais il protégea le christianisme de toutes ses forces et étendit sa faveur sur ceux qui le professaient. Ainsi il fit construire de nombreuses églises, et obligea les païens à réédifier celles qu’ils avaient renversées. Les communautés chrétiennes furent autorisées à recevoir des donations ; lui-même leur fit de riches dons. Les membres du clergé chrétien jouirent de tous les privilèges qu’avaient autrefois les prêtres païens. Ils furent comblés d’honneurs et de richesses, exemptés des charges publiques, et reçurent pour leur traitement et l’entretien du culte, des sommes tirées des revenus de chaque ville.

Le premier soin de Constantin en parvenant à l’empire, avait été de publier, de concert avec Licinius, empereur d’Orient, un édit de tolérance qui arrêtait toute persécution. Plus tard, Licinius n’ayant pas observé cet édit, Constantin en prit occasion pour lui faire la guerre, le vainquit, et devint seul maître du vaste empire romain, en l’an 323. Il continua à favoriser les chrétiens, leur donna les places dans les administrations publiques, prescrivit l’observation du dimanche, somma les gouverneurs de province encore païens de renoncer à leur culte idolâtre, et accorda des privilèges aux villes qui renversaient les autels des faux dieux, exhortant les populations à les abandonner. Plus tard, il interdit la célébration des fêtes païennes, et fit fermer les temples, sauf à Rome. Mais une chose plus réellement utile à l’Église fut l’ordre qu’il donna de faire, pour différentes églises, cinquante copies de la Bible en grec. À cette époque où l’imprimerie n’était pas connue, les livres se multipliaient par des copies faites à la main, et qui coûtaient fort cher. C’était donc un don à la fois riche et utile que l’empereur faisait aux églises.

De toutes manières, Constantin travailla donc à substituer au paganisme la religion nouvelle, au moins comme forme extérieure. Mais quels furent pour l’Église les résultats de cette association avec les pouvoirs du monde ? Tristes et fâcheux à tous égards. L’Église, dont l’empereur était devenu de fait le chef, bien qu’il semblât toujours plein de déférence pour les évêques, fut placée dans une étroite dépendance de l’État, elle qui ne devait avoir pour Chef que Christ. Elle devint ainsi toujours plus une puissance mondaine.

En second lieu, l’empereur professant le christianisme et favorisant les chrétiens, les foules ignorantes voulurent être de cette religion ; d’un autre côté, quantité de personnes plus instruites, désirant s’attirer la faveur de l’empereur, se rangèrent aussi sous ce drapeau. L’Église admit les uns et les autres dans son sein, sans conversion vraie. Ainsi il n’y eut plus, en général, qu’une profession de christianisme sans réalité vivante dans les âmes. La chrétienté, l’ensemble de ceux qui professaient être chrétiens, devint ce grand arbre dont parle le Seigneur dans la parabole, beau et puissant d’apparence, mais abritant toute sorte de mal (Matthieu 13:31-32). Et ce triste état de choses a subsisté dès lors, et même s’est toujours plus accentué, comme nous le voyons.

Un autre mal qui avait déjà commencé, même durant les persécutions, fut l’autorité toujours plus grande du clergé. Les honneurs que l’empereur lui conféra, ne firent qu’exalter ses prétentions à dominer sur le troupeau, et il en vint à se considérer comme représentant seul l’Église. Celle-ci s’organisa dans le cadre de l’administration impériale. Chaque cité avait son évêque, élu par le clergé et les fidèles, et sous l’autorité duquel les prêtres desservaient bourgs et villages. À la tête de chaque province était un métropolitain, ou archevêque. Pour décider des questions importantes de discipline ou de doctrine, les évêques se réunissaient en conciles, soit provinciaux, soit généraux, soit œcuméniques (universels). Les simples fidèles n’eurent qu’à se soumettre à ce que le clergé décidait. Nous avons déjà remarqué ce que dit à ce sujet l’apôtre Pierre (1 Pierre 5:1-4). Nous allons voir comment cet état de choses se manifesta, dans une occasion célèbre, sous le règne de Constantin.

 

2.2   Arius et le Concile de Nicée

Nous avons vu que des hérésies, c’est-à-dire des fausses doctrines, avaient surgi dans l’Église. C’est une triste partie de son histoire sur la terre, mais nous savons que l’apôtre Paul, en faisant ses adieux aux anciens de l’assemblée d’Éphèse, leur avait annoncé les efforts que ferait l’ennemi pour corrompre la foi des saints (Actes 20:29-30). Pierre aussi, dans sa seconde épître, dit : « Il y aura parmi vous des faux docteurs, qui introduiront furtivement des sectes de perdition, reniant aussi le Maître qui les a achetés » (2 Pierre 2:1). L’Esprit Saint mettait ainsi les fidèles en garde, et les conducteurs du troupeau devaient veiller pour que le mal ne s’introduisît pas parmi eux. Si pénible que soit ce sujet, nous avons à le considérer, afin qu’il en ressorte quelque enseignement pour nous.

Nous avons mentionné plusieurs de ces hérésies, mais celle qui causa le plus de mal dans l’Église, à cause de la gravité de son objet et de l’extension qu’elle prit, est l’arianisme. On la nomme ainsi du nom d’Arius, qui en fut le plus ardent promoteur et le plus habile défenseur, car on pense que la même fausse doctrine ou d’autres semblables avaient été tenues avant lui.

Arius, né vers l’an 270, était un prêtre de l’église d’Alexandrie, cette grande et célèbre ville d’Égypte. C’était un homme d’un extérieur imposant, en même temps que d’un abord très agréable et prévenant, de mœurs pures, ayant de vastes connaissances, beaucoup d’intelligence, une grande habileté dans le raisonnement, parlant avec aisance et exposant ses vues avec un talent persuasif. Mais sous une apparence d’humilité, il cachait un grand orgueil et une ambition démesurée. Il y a, sous ce rapport, de grands pièges pour les hommes richement doués sous le rapport de l’intelligence et du talent, et, s’ils sont chrétiens, ils ont à être particulièrement en garde contre les séductions de Satan qui cherche toujours les meilleurs instruments pour combattre la vérité. Tel fut Arius. Il avait tout ce qu’il faut pour séduire après avoir été séduit lui-même (2 Timothée 3:13).

La fausse doctrine d’Arius portait sur un point vital du christianisme, la gloire de Christ comme Fils éternel du Père. Arius enseignait que le Fils n’a pas existé de toute éternité ; qu’il était le premier et le plus excellent des êtres que Dieu le Père avait tirés du néant ; qu’il n’était donc qu’une créature, bien qu’infiniment élevée au-dessus des autres, et qu’en puissance et en gloire, il était, dans sa nature, inférieur au Père. En résumé, Arius niait la divinité éternelle de Christ. Pour lui, Christ était un Dieu, mais non pas Dieu. Or l’Écriture nous enseigne tout autrement.

Dieu est infini, et nous ne sommes que de pauvres créatures bornées ; nous ne pouvons donc sonder, connaître, ni comprendre le mystère de l’essence divine. Comme le disait un des amis de Job : « Peux tu, en sondant, découvrir ce qui est en Dieu, ou découvriras-tu parfaitement le Tout-puissant ? Ce sont les hauteurs des cieux — que feras-tu ? C’est plus profond que le shéol, qu’en sauras-tu ? » (Job 11:7 8). Mais il nous faut retenir et garder avec soin ce que Dieu nous a révélé de Lui-même dans sa Parole. Or partout elle nous dit qu’il y a un seul Dieu (Deutéronome 6:4 ; Marc 12:29 ; Jean 17:3 ; 1 Timothée 2:5). Mais en même temps, elle nous parle du Père qui est Dieu (Jean 17:3 ; 1 Corinthiens 8:6), du Fils qui est Dieu (Hébreux 1:8-9 ; Jean 1:1 ; Romains 9:5), et de l’Esprit Saint qui est Dieu (Actes 5:3-4, et comparez Actes 7:51, avec 2 Rois 17:14). Ce sont trois Personnes distinctes dans l’unité d’un seul Dieu ; l’Écriture l’enseigne clairement, mais c’est un mystère que notre faible esprit ne peut expliquer. Nous voyons constamment, dans le Nouveau Testament, ces trois Personnes divines agir d’un même accord, mais chacune d’une manière distincte, pour notre salut. Le Père qui est Dieu a, dans son amour, donné son Fils pour que nous ne périssions pas, mais que nous ayons la vie éternelle (Jean 3:16). Le Fils, Jésus Christ, qui est Dieu, nous a aimés, et est devenu un homme pour nous sauver en mourant pour nos péchés (Galates 2:20 ; Éphésiens 5:2) ; et l’Esprit Saint, qui est Dieu, agit dans nos âmes pour nous régénérer et nous donner l’assurance que nous sommes enfants de Dieu (Jean 3:5-6 ; Tite 3:5 ; Romains 8:15-16). Et, de plus, le Nouveau Testament est rempli de passages qui attestent la divinité éternelle du Seigneur Jésus, son unité de nature et son égalité avec le Père (Jean 1:1 ; 8:58 ; Romains 9:5 ; Jean 5:17-19 ; 10:30 ; 14:9). C’est cette grande vérité qu’Arius niait.

Il est très vrai que le Fils de Dieu est devenu un homme (Jean 1:14), et qu’ainsi il s’est abaissé en prenant la forme d’esclave, et a été fait un peu moindre que les anges (Philippiens 2:6-8 ; Hébreux 2:9). Et c’est là aussi un mystère que nous ne pouvons comprendre, cette union de Dieu et de l’humanité en une même Personne, l’Homme Christ Jésus, vrai homme et vrai Dieu en même temps (1 Timothée 2:5-6 ; 3:16). Aussi Jésus dit-il : « Personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père ». Aucune créature ne peut sonder le mystère de sa Personne (Matthieu 11:27 ; 1 Timothée 3:16). Mais pourquoi le Fils de Dieu s’est-il ainsi abaissé et est-il devenu un homme ? Ah ! nous le savons. Il est devenu un homme, afin de pouvoir se charger de nos péchés, afin de subir le jugement de Dieu, afin de souffrir et mourir à notre place. Comment sans cela, nous pécheurs, aurions-nous pu être sauvés ? Mais pour accomplir cette œuvre, il fallait qu’il fût Dieu. Pensons-nous qu’une créature, si excellente fût-elle, eût pu expier nos péchés ? Non ; la valeur infinie du sacrifice de Jésus vient de la grandeur infinie de sa Personne. Celui-là seul qui a fait les mondes, qui est le resplendissement de la gloire de Dieu et l’empreinte de sa substance, qui soutient tout par sa parole puissante, qui est Dieu, en un mot, pouvait faire par Lui-même la purification des péchés (Hébreux 1:1-3). Et Dieu, selon sa justice, n’aurait pu punir une créature pour nous. Son Fils seul pouvait se présenter comme victime.

Ainsi la funeste doctrine d’Arius non seulement privait le Seigneur Jésus de sa gloire comme Dieu sur toutes choses béni éternellement (Romains 9:5), mais détruisait aussi le fondement de notre rédemption, car si Christ n’est qu’une créature, il ne peut nous sauver. Mais il est, béni soit Dieu, « notre grand Dieu et Sauveur » (Tite 2:13), que nous adorons et adorerons durant l’éternité. Il est important que nous soyons bien au clair sur ce sujet, parce que la fausse doctrine d’Arius, sous une forme ou une autre, subsiste encore de nos jours. Satan, dès le commencement de l’Évangile, a cherché à diminuer ou à annuler la gloire du Seigneur et il continue. Retenons donc ferme les enseignements de la sainte Parole. Jésus « est le Dieu véritable et la vie éternelle » (1 Jean 5:20).

Arius prêchait avec zèle et succès ses fausses et pernicieuses doctrines dans la ville d’Alexandrie et dans les campagnes, et se faisait beaucoup de partisans. Alors l’évêque d’Alexandrie, qui se nommait Alexandre et qui était zélé pour la saine doctrine, le fit comparaître deux fois devant lui et le clergé de la ville. Alexandre, secondé énergiquement par le diacre Athanase, qui fut aussi plus tard évêque de cette ville, s’efforça de convaincre Arius de ses erreurs et de le faire se rétracter. Mais tout fut inutile. « L’impie Arius », s’écria l’évêque, « a osé proférer des blasphèmes contre le divin Rédempteur ». Et il convoqua à Alexandrie un concile, c’est-à-dire une assemblée des évêques des églises environnantes. Ce concile condamna Arius, ses doctrines et ses partisans. Il fut exclu de l’Église de la ville, et se retira en Palestine, où, nullement découragé, il continua avec activité à répandre ses vues. Par la puissance de sa parole, il gagna de nombreux partisans, parmi lesquels deux personnages très influents, Eusèbe, évêque de Césarée, l’historien de l’Église, et Eusèbe, évêque de Nicomédie. Ce dernier convoqua un concile en Bithynie, qui annula ce que le concile d’Alexandrie avait décidé et réhabilita Arius. On voit quelles tristes et profondes divisions se formaient et se creusaient dans l’Église où autrefois on n’était qu’un cœur et une âme, où l’on n’avait qu’une même pensée. Quel désolant spectacle aux yeux du monde païen ! Que devenaient les âmes des simples fidèles au milieu de ces dissensions ? Nous pouvons être sûrs que les soins du bon Berger ne manquaient pas à ceux qui étaient humbles de cœur, mais sans doute plusieurs étaient troublés et scandalisés. Mais c’est une chose précieuse de voir des hommes de foi comme Alexandre et Athanase se lever pour maintenir la gloire du Seigneur. Jésus le reconnaît, quand il dit à l’ange de l’assemblée de Pergame, qui représente cette période de l’histoire de l’Église : « Tu tiens ferme mon nom, et tu n’as pas renié ma foi » (Apocalypse 2:13). Que le Seigneur nous donne, dans les jours où nous vivons, d’être aussi fidèles à Christ et à sa Parole !

Qu’arriva-t-il après qu’Arius eut été réhabilité ? Il avait de nombreux partisans à Alexandrie ; ses amis sollicitaient Alexandre de le recevoir, Arius ayant dans ses correspondances habilement atténué celles de ses affirmations qui avaient le plus choqué. Mais Alexandre fut inflexible ; il tenait ferme pour la pure doctrine de Christ et se refusait à des compromis.

Bientôt toutes les églises d’Orient furent agitées et troublées par cette dispute où la vérité chrétienne était en jeu, et le bruit en vint à l’empereur Constantin qui s’en émut.

Il ne se rendait pas bien compte de la question, mais de même qu’il n’aurait pas voulu qu’on touchât à l’unité de l’empire, il pensait qu’il ne devait pas y avoir de divisions dans l’Église. Il chercha d’abord à ramener la paix entre les deux partis, par une lettre qu’il adressa à Alexandre et à Arius et qu’il envoya par Hosius, évêque de Cordoue en Espagne. C’était un fidèle serviteur de Christ, qui avait souffert durant les persécutions et qui n’approuvait pas les vues d’Arius. L’empereur dans sa lettre, pleine de sagesse humaine et de modération, exhortait Alexandre et Arius à cesser leurs querelles au sujet de questions vaines et subtiles. Il ne comprenait pas qu’il s’agissait, non de disputes de mots, mais de la gloire de Christ et du salut des âmes.

L’effort de Constantin échoua ; les deux partis refusèrent d’entendre Hosius, et l’empereur commença à voir que l’objet de la lutte était plus sérieux qu’il ne pensait. Il résolut donc de convoquer un concile général, c’est-à-dire une assemblée de tous les évêques de la chrétienté, dans l’espérance qu’ils établiraient la vraie doctrine, et mettraient fin pour toujours à des querelles qui n’engendraient que l’animosité.

 

2.3   Le Concile de Nicée

Le concile devait se tenir à Nicée, ville de Bithynie (*). On fournit aux évêques tout ce qui leur était nécessaire pour leur voyage, absolument comme s’il se fût agi de fonctionnaires de l’État, et vers la fin du mois de juin de l’année 325, se trouva rassemblé ce vaste concours des conducteurs spirituels de l’Église, pour s’occuper principalement de la grande question qui touchait à la gloire de la Personne de Christ. Outre trois cent vingt évêques environ, l’assemblée se composait d’un grand nombre de prêtres (ou anciens) et de diacres. « La fleur des serviteurs de Dieu », dit Eusèbe, « venus des nombreuses communautés d’Europe, d’Afrique et d’Asie, se rencontrait là ». Ils avaient été convoqués par l’empereur lui-même ; et c’était lui, le maître du vaste empire romain, qui devait présider leurs assemblées.

 

(*) La Bithynie était une province située au nord-ouest de l’Asie mineure. Elle est mentionnée en Actes 16:7, et 1 Pierre 1:1.

Quel spectacle étrange, et pour les évêques, prêtres et diacres, les tout premiers. Bien peu d’années auparavant, ils étaient méprisés et livrés à l’opprobre, en butte aux plus cruelles persécutions, aux souffrances et aux tribulations, de la part d’empereurs qui haïssaient le christianisme. Un grand nombre d’entre eux portaient sur leurs corps les traces des supplices qu’ils avaient endurés pour le nom de Christ. Maintenant tout était changé. Les portes du palais impérial leur étaient ouvertes ; ils passaient sans crainte au milieu des gardes rangés sur leur passage pour leur faire honneur, et allaient s’asseoir à la table même de l’empereur. « C’était », dit encore Eusèbe, « comme une image du royaume de Christ, un rêve plus qu’une réalité ».

Cela paraît grand et beau aux yeux de l’homme ; il semble que ce fût un immense avantage et un glorieux triomphe pour le christianisme d’être arrivé à cette place d’honneur. Mais loin de là ; rien ne démontrait mieux le déclin de l’Église, combien elle était déchue de sa simplicité primitive et avait perdu sa beauté aux yeux de Dieu. Mieux valait pour elle l’opprobre et les souffrances de la persécution. Alors elle suivait son Seigneur dans la voie où il marcha Lui-même sur la terre, méprisé et séparé du monde, tandis que maintenant elle s’était associée au monde et lui était assujettie.

L’empereur arriva à Nicée le 3 juillet. Le jour suivant, les évêques se rassemblèrent dans une salle du palais préparée à cet effet. Un trône d’or y était dressé pour Constantin. L’assemblée, raconte Eusèbe, demeura dans un silence profond pendant l’entrée des hauts dignitaires de l’empire, et attendit avec une vive impatience l’arrivée de l’empereur. Enfin celui-ci apparut vêtu magnifiquement, couvert d’or et de pierreries, de telle sorte que les yeux des évêques étaient presque éblouis par cette splendeur inaccoutumée pour eux. À son entrée, l’assemblée entière se leva. Il se dirigea vers le trône préparé à son intention, mais, par déférence pour les évêques, il resta debout jusqu’à ce qu’on l’eût prié de s’asseoir. Après le chant d’une hymne, Constantin s’adressa en ces termes à l’assemblée : « En vous voyant ainsi réunis, mes bien-aimés, je jouis de l’accomplissement de mes plus ardentes supplications… Lorsque, par la faveur et avec l’aide du Tout-Puissant, mes armes eurent été rendues victorieuses, je pensai que je n’avais plus qu’à Le louer pour ses bénédictions, et à me réjouir avec ceux qu’il m’avait rendu capable de délivrer. .Mais lorsque la nouvelle inattendue de vos dissensions m’arriva, je jugeai aussitôt nécessaire de prendre la chose en considération. Espérant que je pourrais par là trouver un remède au mal, je me suis empressé de vous convoquer… Hâtez-vous donc, bien-aimés, comme de fidèles serviteurs et ministres de notre commun Seigneur et Sauveur, d’écarter d’entre vous les causes des dissensions actuelles… En faisant ainsi, vous rendrez au Tout-Puissant un hommage agréable, et vous m’accorderez une précieuse faveur à moi, votre compagnon de service ».

C’étaient là de belles paroles, sans doute, et Constantin était sincère dans son désir de rétablir la paix et l’unité dans l’Église. Mais était-il en son pouvoir, ou au pouvoir des évêques de le faire ? Non ; Dieu seul pouvait porter remède au mal, et pour qu’il agît, tous auraient dû s’humilier devant Lui et s’attendre à Lui.

Voyons ce qui se passa. Pendant les deux mois que dura le concile, l’empereur en présida habituellement les séances, écoutant patiemment les débats, et s’entretenant souvent en particulier avec quelques-uns des évêques. Plus d’une fois, il dut exhorter le concile à la charité et au support mutuels. Plusieurs évêques avaient porté devant lui des sujets de plainte qu’ils pensaient avoir l’un contre l’autre. L’empereur leur dit de mettre leurs griefs par écrit, et qu’à un jour fixé, il les examinerait. Mais le jour venu, il jeta au feu sans les lire, toutes ces récriminations, en disant qu’il ne lui appartenait pas de décider entre les différends des évêques chrétiens, et qu’il fallait remettre ces choses au jour du jugement.

Dans le concile se trouvaient plusieurs philosophes habiles dans l’art du raisonnement, et qui cherchaient à confondre leurs adversaires par des arguments subtils. Alors un vieillard vénérable d’entre les évêques, se leva et dit : « Le Christ et ses apôtres ne nous enseignent pas l’art de la logique, ni à user de vaines subtilités. Ils nous présentent la vérité toute simple et nue, afin que nous la gardions par la foi et dans la pratique des bonnes œuvres ». Les raisonneurs se turent.

Après de longues et sérieuses délibérations, le concile condamna Arius et sa doctrine. On dressa une confession de foi nommée depuis « le symbole de Nicée » dans laquelle on maintenait la doctrine de la sainte Trinité, et celle de la divinité de Christ et de son unité avec le Père en essence, en puissance et en gloire. Arius, appelé devant le concile, ne craignit pas d’exposer de nouveau et de soutenir les fausses doctrines par lesquelles il avait troublé l’Église. Athanase d’Alexandrie combattit avec énergie les raisonnements subtils du faux docteur, et établit avec force la vraie foi. La grande majorité des évêques, à l’ouïe des blasphèmes d’Arius, se bouchèrent d’un commun accord les oreilles, et prononcèrent l’anathème contre lui et ses enseignements.

Tous les évêques, à l’exception de quelques-uns, partisans d’Arius, signèrent la confession de foi. La décision du concile fut soumise à l’empereur qui, croyant reconnaître dans cette unanimité l’action de Dieu, la reçut avec respect. Mais il est à regretter qu’il déclara en même temps que tous ceux qui ne l’accepteraient pas, seraient envoyés en exil. C’était une sorte de persécution opposée aux principes de la parole de Dieu. Celle-ci nous dit : « Rejette l’homme sectaire » ; et elle nous recommande de n’avoir pas de communion avec ceux qui n’apportent pas la doctrine de Christ (Tite 3:10 ; 2 Jean 10). Mais elle ne commande pas aux autorités établies d’agir dans les choses qui concernent la foi. Ce fait-là nous fait aussi voir que l’Église, qui ne doit avoir pour chef que Christ, s’était placée, à son grand dommage, sous la dépendance du pouvoir séculier, c’est-à-dire du monde.

Les évêques qui n’avaient pas adhéré à la confession de foi, furent saisis de crainte en apprenant l’arrêt de l’empereur, et s’empressèrent de signer. Ils donnèrent ainsi un triste exemple de servilité humaine et de manque de droiture. D’autres n’agirent pas plus droitement en signant la confession de foi, mais en altérant un mot par le changement d’une lettre. Ils faisaient dire ainsi que Christ est semblable au Père en substance, mais non de même substance. C’était une misérable subtilité et un manque de vérité. Le Seigneur a dit : « Moi et le Père, nous sommes un » (Jean 10:30). Deux évêques d’Égypte seuls, Secundus et Théonas, maintinrent hardiment les vues d’Arius et furent avec lui bannis en Illyrie. Trois mois après, par ordre de l’empereur, Eusèbe de Nicomédie et Théognis de Nicée les suivirent dans leur exil. Des peines sévères furent prononcées contre tous les partisans d’Arius, ses livres furent condamnés au feu, et ce fut un crime de conserver secrètement un de ses écrits.

Tel fut le résultat du concile de Nicée quant à ce point important de la foi chrétienne. Il est triste de voir la puissance mondaine soutenir par la force la vérité de la Parole. Cela ne lui appartient pas. Mais d’un autre côté, on est heureux de voir la gloire de Christ maintenue par l’Église dans cette période représentée par l’assemblée de Pergame, de sorte qu’il y avait lieu de lui appliquer les paroles du Seigneur : « Tu tiens ferme mon nom » (Apocalypse 2:13).

Le concile décida d’autres sujets importants, comme par exemple la fixation du jour de la fête de Pâques. Les églises d’Orient la célébraient le vendredi, en mémoire de la crucifixion de Christ, et celle d’Occident, le dimanche, en souvenir de la résurrection. Ce fut pour ce dernier jour que le concile se décida, et dès lors la fête de Pâques se célébra le dimanche.

Si bon qu’il fût que le concile de Nicée ait condamné la fausse doctrine d’Arius, ce n’est pas sa décision qui fait loi pour nous. L’apôtre Paul qui, par l’Esprit, annonçait que d’entre les anciens même s’élèveraient des hommes qui annonceraient des doctrines perverses (Actes 20:30), et l’apôtre Pierre qui prédisait que de faux docteurs surgiraient parmi les chrétiens (2 Pierre 2:1-2), ne nous renvoient ni l’un ni l’autre, à des conciles pour établir la vérité. Paul dit : « Je vous recommande à Dieu, et à la parole de sa grâce » (Actes 20:32), et Pierre exhorte les chrétiens à se souvenir des paroles du Seigneur par les apôtres (2 Pierre 3:1-2). C’est donc à la parole de Dieu que nous devons recourir pour connaître la vérité, et non aux conciles, ni aucune autorité humaine.

Quant à la fête de Pâques, que la chrétienté célèbre en souvenir de la résurrection, nous savons qu’il n’est jamais question, pour nous chrétiens, de fêtes instituées par le commandement de Dieu dans sa Parole. Au contraire, elles sont plutôt condamnées en principe (Colossiens 2:16-17). Ce sont des ordonnances humaines, établies dans l’Église en imitation des fêtes juives et, hélas ! quelquefois des fêtes païennes. Si l’apôtre, dans le passage que j’ai cité, condamnait les fêtes juives comme ayant pris fin, ce n’est pas pour que les chrétiens les rétablissent. Chaque premier jour de la semaine nous rappelle la résurrection du Seigneur. C’est pour cela qu’en ce jour-là, l’on est heureux de se rassembler comme le faisaient les premiers chrétiens (Actes 20:7), pour rendre culte à Dieu et à l’Agneau mort et ressuscité, et pour rappeler à la table du Seigneur sa mort jusqu’à ce qu’il vienne (1 Corinthiens 11:23-26).

La fête de Pâques fut célébrée de bonne heure dans l’Église, accompagnée de quantité de cérémonies, et sous l’empire de fausses idées qui montrent à quel point l’Église s’était écartée de la simplicité des Écritures.

 

2.4   Athanase

Nous venons de voir quel tableau toujours plus triste présente l’histoire de l’Église sur la terre. Satan, l’ennemi de Christ, s’est efforcé dès le commencement de ruiner l’édifice que les apôtres avaient commencé d’élever (voyez 1 Corinthiens 3:10-15), en introduisant dans l’Église de mauvaises doctrines et de faux enseignements (voir Actes 20:30 ; 2 Pierre 2:1). Et enfin, il s’est attaqué, comme il le fait encore, au fondement même, à la Personne adorable du Seigneur Jésus Christ : c’est ce que faisaient Arius et ses sectateurs, c’est ce que font de nos jours tant de personnes au sein de la chrétienté.

Mais le fondement ne peut être ébranlé ; il demeure, en dépit de tous les efforts de l’ennemi. À Pierre qui avait dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », Jésus répond : « Sur ce roc je bâtirai mon assemblée, et les portes du hadès (la puissance de Satan) ne prévaudront pas contre elle » (Matthieu 16:16-18). Le Fils du Dieu vivant est le rocher inébranlable sur lequel l’Église, composée des vrais croyants, est bâtie ; tous les efforts de l’ennemi ne sauraient détruire le fondement, ni ce que Christ établit dessus.

Dans tous les temps, le Seigneur a suscité des témoins pour maintenir la vérité de ses paroles. Athanase, au 4° siècle, fut un de ces témoins. Il combattit avec énergie et constance, fidèle à travers des persécutions, pour la doctrine fondamentale du christianisme, la divinité éternelle de Christ. Jetons un coup d’œil sur la vie de ce serviteur de Dieu, qui la consacra tout entière à la défense de cette vérité dont il comprenait et sentait toute l’importance, selon cette parole de l’apôtre : « Celui qui a le Fils a la vie, celui qui n’a pas le Fils de Dieu n’a pas la vie. » (1 Jean 5:11-12). Et autre part : « Quiconque nie le Fils n’a pas non plus le Père ; celui qui confesse le Fils a aussi le Père » (1 Jean 2:23).

Athanase était né de parents chrétiens à Alexandrie, vers l’an 296. Appliqué de bonne heure à l’étude des saintes lettres, il fut remarqué par l’évêque Alexandre, qui fit de lui son secrétaire et l’emmena en qualité de diacre au concile de Nicée. Là, comme nous l’avons vu, il défendit la vérité contre la fatale erreur d’Arius, et contribua puissamment à faire proclamer par le concile la divinité du Sauveur.

En l’an 326, Alexandre mourut, et l’église d’Alexandrie choisit pour son successeur Athanase qui n’avait alors que trente ans. Athanase qui comprenait les grands devoirs et les difficultés d’une telle charge, aurait bien voulu s’y soustraire, mais il céda aux instances pressantes des chrétiens d’Alexandrie, et s’appliqua dès lors de toute son âme à accomplir les devoirs de la position qu’il avait acceptée.

L’élévation d’Athanase au siège épiscopal d’Alexandrie, cette ville qui avait une grande influence dans le monde, remplit de joie tous ceux qui étaient attachés à la vraie doctrine scripturaire proclamée par le concile de Nicée ; mais les évêques qui tenaient le parti d’Arius, comme Eusèbe de Nicomédie et Eusèbe de Césarée, en éprouvèrent contre Athanase des sentiments d’inimitié d’autant plus grands. Ils réunirent tous leurs efforts pour le perdre, en amenant l’empereur à sévir contre lui. D’abord ils obtinrent de Constantin un décret ordonnant à Athanase, sous peine d’être déposé, de recevoir dans la communion de l’église d’Alexandrie Arius et ceux de ses adhérents qui le désiraient. Athanase répondit avec fermeté qu’il ne pouvait recevoir des personnes condamnées par une décision de toute l’Église.

Ses ennemis alors portèrent contre lui des accusations telles que l’empereur, à moitié persuadé de sa culpabilité, convoqua un concile à Tyr et ordonna à Athanase de s’y rendre. Bien que le concile se composât en grande partie de ses ennemis, il s’y présenta. On l’accusa, entre autres crimes, d’avoir fait mourir Arsène, évêque des Mélétiens, et d’avoir conservé un de ses bras pour servir à des opérations magiques. Pour preuve, on présenta un bras desséché renfermé dans une cassette. À cette vue un frisson parcourut l’assemblée, et même ceux qui étaient favorables à Athanase se demandaient comment il pourrait se disculper.

Mais lui, sans se laisser troubler, demanda si quelques-uns des évêques présents avaient connu personnellement la prétendue victime. Sur leur réponse affirmative, il fit introduire devant le concile un homme entièrement couvert d’un manteau. Écartant le vêtement, il demanda : « Est-ce ici Arsène que l’on m’accuse d’avoir assassiné, et dont j’aurais coupé le bras ? ». C’était en effet Arsène que les Ariens tenaient caché, mais qui s’était échappé de sa retraite et qu’Athanase faisait paraître pour confondre ses accusateurs.

Le Seigneur avait protégé son serviteur et manifesté son innocence, mais quel tableau nous avons là de l’état de l’Église, ou plutôt de ceux qui y occupaient la place de conducteurs !

Les ennemis d’Athanase ne se découragèrent pas. Laissant de côté les questions religieuses, ils l’accusèrent auprès de l’empereur d’avoir menacé d’arrêter le départ des vaisseaux qui devaient porter du blé à Constantinople, et cela afin d’amener une famine dans la nouvelle capitale de l’empire. Athanase comparut devant Constantin et se justifia aisément. Il ne fut pas moins déposé de sa charge et banni à Trèves dans les Gaules.

Sur ces entrefaites, Arius était revenu triomphant à Alexandrie. Mais sa présence y ayant suscité des troubles graves, l’empereur le fit venir à Constantinople où il ordonna à Alexandre, évêque de cette ville, de le recevoir dans la communion de l’Église le jour suivant, qui était un dimanche. Le vieil évêque — qui avait près de cent ans — dans sa perplexité se tourna vers le Seigneur le suppliant d’intervenir pour empêcher cette profanation. Arius se vantait déjà de son triomphe, mais dans la nuit, frappé d’une maladie douloureuse, il mourut. Constantin le suivit de près, ayant été baptisé seulement sur son lit de mort, comme nous l’avons dit.

Ses trois fils, Constantin, Constance et Constant, se partagèrent l’empire. Alexandrie se trouva dans la part de Constantin, qui rappela d’exil Athanase et le rendit à son troupeau, à la grande joie de celui-ci qui était profondément attaché à son évêque. Mais Constantin mourut en l’an 340, et les Ariens, soutenus par Constance, déposèrent de nouveau Athanase dans un concile tenu à Antioche en 341. Ils mirent à sa place Grégoire de Cappadoce. Cet homme, violent et éhonté, soutenu par le préfet d’Égypte, entouré d’une troupe de soldats et même de païens et de Juifs, s’empara de vive force des églises. Des scènes de violence et d’impiété eurent lieu, et Athanase ne put s’échapper qu’à grand peine. Il se réfugia à Rome où Jules, évêque de cette ville, le reçut, et où il resta sept années. Il fut protégé par l’empereur Constant, qui ne favorisait pas les Ariens, et qui obtint de son frère qu’un concile fût réuni à Sardique, en Illyrie, pour mettre un terme aux troubles dans l’Église. Athanase fut rétabli encore une fois dans sa charge, et Grégoire de Cappadoce étant mort, il put rentrer sans opposition à Alexandrie, où de nouveau il fut accueilli avec des transports de joie.

Mais sa tranquillité dura peu de temps. Il devait continuer à faire l’expérience que ceux qui veulent être fidèles au Seigneur souffriront de la part du monde. Constant mourut, et Constance, le protecteur des Ariens, devint seul maître de l’empire. Pour faire condamner Athanase, il convoqua à Milan un concile où il assista entouré de sa garde. Les ennemis d’Athanase présentèrent avec habileté sa déposition comme la seule mesure qui rendrait la paix à l’Église, et, malgré l’énergique protestation des amis de l’évêque, Constance prononça la condamnation d’Athanase qui fut solennellement déposé.

Il s’ensuivit une persécution contre tous les partisans de l’orthodoxie. Plusieurs furent emprisonnés et d’autres bannis. Athanase reçut l’ordre de quitter Alexandrie, mais son troupeau ne voulait pas le laisser partir. Un soir que l’évêque était dans l’église avec le peuple réuni autour de lui, un corps de 5000 soldats cerna l’église et voulut y pénétrer pour s’emparer de l’évêque. Celui-ci calma son troupeau terrifié, et ils commencèrent à chanter le Psaume 135:

« Louez le nom de l’Éternel ; louez-le, serviteurs de l’Éternel,

Qui vous tenez dans la maison de l’Éternel, dans les parvis de la maison de notre Dieu !

Louez l’Éternel ! car l’Éternel est bon ».

Mais les portes furent enfoncées, une troupe de soldats se précipita dans l’église et en chassa le peuple avec une violence cruelle. Athanase ne voulait pas fuir, mais le peuple l’entraîna, et ses amis parvinrent à le faire échapper. Il se réfugia parmi les moines et les ermites de la Thébaïde, errant durant six ans de solitude en solitude, poursuivi par les soldats envoyés pour se saisir de lui. Plusieurs de ceux qui le cachaient courant risque de leurs vies, il se vit forcé de s’enfoncer toujours plus avant dans les déserts. On raconte qu’ayant été reçu dans une maison, on l’avait caché dans une citerne vide. Une servante qui était chargée de lui porter des vivres, le trahit et découvrit le lieu de sa retraite. Mais la nuit où les soldats devaient venir le prendre, Athanase, par une direction de Dieu, avait quitté son lieu de refuge ; le maître et la maîtresse de la maison s’étaient aussi enfuis, et la servante demeurée seule, fut punie comme ayant donné au magistrat un faux avis. Quelle triste chose de voir un serviteur de Dieu ainsi poursuivi, non par des païens, mais par ceux qui prétendaient au nom de chrétien ! Hélas ! c’est un fait qui ne s’est que trop souvent reproduit dans l’histoire de la chrétienté.

Constance mourut en 361, et Julien l’Apostat lui succéda. On l’a surnommé ainsi, parce que, élevé dans la religion chrétienne, il retourna au paganisme qu’il favorisa de toutes ses forces. Au commencement, il rappela tous les évêques exilés. Il pensait ainsi montrer sa modération, tout en espérant qu’en laissant les partis chrétiens se combattre, le christianisme se détruirait par lui-même. Athanase revint donc à Alexandrie et se dévoua avec tant de zèle, soit à apaiser avec douceur les querelles, soit à annoncer l’Évangile, que nombre de païens se convertirent. Julien en fut très irrité et ordonna à l’évêque de quitter la ville. Athanase se cacha quelque temps dans le voisinage, et la mort de Julien, survenue après un court règne de 22 mois, lui permit de revenir auprès de son troupeau.

Il dut encore le quitter pendant quelques mois sous le règne de l’empereur arien Valens. Mais celui-ci, craignant que des troubles ne survinssent dans Alexandrie, où il savait que le peuple était fortement attaché à son vieil évêque, le laissa bientôt revenir occuper son poste. Athanase y termina paisiblement sa vie si agitée, dans l’année 373. Il entra dans le repos céleste, après avoir combattu fidèlement pour maintenir la gloire de son Seigneur et Sauveur. On peut lui appliquer les paroles de Jésus à l’ange de l’assemblée de Pergame : « Tu tiens ferme mon nom, et tu n’as pas renié ma foi » (Apocalypse 2:13). Il fut ainsi un des vainqueurs à qui est faite la belle promesse du verset 17: « Je lui donnerai de la manne cachée, et je lui donnerai un caillou blanc, et, sur le caillou, un nouveau nom écrit, que nul ne connaît, sinon celui qui le reçoit ». La communion intime et cachée avec son Sauveur consola et fortifia Athanase pendant les épreuves multiples de sa longue vie.

Citons, en terminant, quelques paroles de l’un des écrits de ce défenseur de la vérité : « Peut-on, si on a le moindre bon sens, ne pas aimer mieux se trouver du côté du petit nombre qui marchent dans la voie du salut, que d’être avec le grand nombre qui suivent la voie large aboutissant à la mort ? Vous pouvez préférer, si vous voulez, être dans la foule de ceux qui périront dans le déluge universel ; pour moi, je veux me réfugier et me sauver dans l’arche avec le petit nombre. Joignez-vous, si vous l’aimez, au grand peuple de Sodome, quant à moi je veux avec Lot me séparer de la multitude pour ne pas périr avec elle ».

 

3                        L’Église au Moyen Âge — Croissance de la chrétienté

3.1   L’origine et les commencements de la vie monacale

À mesure que nous avançons dans l’histoire de l’Église sur la terre, nous la voyons s’écarter de la simplicité première et des enseignements que le Seigneur a donnés par ses saints apôtres et prophètes. Elle oublie de plus en plus leurs avertissements (2 Pierre 3:1-2 ; Jude 17). La lumière qu’elle devait répandre comme une lampe brillante (Apocalypse 1:20), s’obscurcit toujours davantage, jusqu’à ce qu’enfin viennent les ténèbres profondes de cette époque que l’on nomme le Moyen Âge.

Malgré cela, cette histoire nous fournira de précieux enseignements, en l’étudiant à la lumière de la parole de Dieu. Nous y verrons comment l’homme se livrant à ses propres pensées, s’égare et corrompt ce qu’il y a de meilleur, mais nous y verrons aussi comment, dans les temps les plus sombres, la grâce de Dieu agit, et comment il y a toujours eu des témoins de cette grâce.

Dans la seconde moitié du troisième siècle commença à se former une institution qui se développa toujours plus à mesure que la corruption de l’Église s’accentuait, et qui eut une très grande, et, en général, une mauvaise influence dans l’Église. C’est la vie monacale, ou des moines.

Disons un mot de l’origine de ces institutions. De bonne heure, il y eut, parmi les chrétiens, des personnes qui cherchaient à atteindre à un haut degré de sainteté et de spiritualité. Poursuivre la sainteté est une exhortation adressée à tous les croyants (Hébreux 12:14). Nous sommes tous appelés à la sainteté ; l’apôtre Paul le disait aux Thessaloniciens, et Pierre dit aussi : « Comme celui qui vous a appelés est saint, vous aussi soyez saints dans toute votre conduite » (1 Thessaloniciens 3:13 ; 4:3 ; 1 Pierre 1:15). Les personnes dont nous parlons, et que l’on nommait des ascètes, ermites ou anachorètes, se proposaient donc un but qui était bon en lui-même, et vers lequel tous les chrétiens doivent tendre, mais elles erraient quant aux moyens d’y arriver. Elles pensaient qu’il fallait faire mourir la chair avec ses passions et ses convoitises, et pour cela, châtier son corps, s’imposer des privations et des macérations. Elles croyaient qu’elles parviendraient ainsi à vaincre les tentations du monde, de la chair et du diable, et en être affranchies. Ce n’est pas là l’enseignement de la parole de Dieu. Jamais par ses propres efforts, ni par ses austérités, un homme ne parviendra à la sainteté, comme plus d’un exemple le montre. Que nous dit l’Écriture à cet égard ? Elle nous enseigne que ceux qui ont cru au Seigneur Jésus et qui Lui appartiennent « ont crucifié la chair avec les passions et les convoitises », et non pas doivent crucifier la chair : ils en ont fini avec ces choses. De plus, elle dit qu’ayant reçu de Dieu, par le Saint Esprit, une nouvelle vie, ils ont aussi à marcher, c’est-à-dire à se conduire, par la puissance de ce même Esprit qui habite en nous dans « l’amour, la joie, la paix, la longanimité, la bienveillance, la bonté, la fidélité, la douceur, la tempérance ». C’est là le fruit de l’Esprit et la vraie sainteté (Galates 5:22-25). Ainsi, ce n’est pas par nos propres forces et nos efforts que nous marcherons saintement, mais par la force de Dieu en nous. Et ce n’est pas en nous occupant de nous-mêmes pour savoir si nous sommes assez saints, que nous y parviendrons ; mais c’est en ayant nos cœurs et nos pensées occupés du Seigneur Jésus, notre modèle. Le Saint Esprit nous transformera alors de plus en plus à son image, et nous nous purifierons comme Lui est pur (lire 1 Pierre 2:21 Philippiens 2:5 ; 4:7-8 ; 2 Corinthiens 3:18 ; 1 Jean 3:3). Cela évidemment ne doit pas nous empêcher d’être vigilants et sobres, et nous ne devons pas prendre soin de la chair pour satisfaire à ses convoitises (1 Pierre 1:13 ; Romains 13:14). Dieu opère en nous le vouloir et le faire, et c’est pour cela que nous sommes sous la responsabilité de travailler à notre salut avec crainte et tremblement (Philippiens 2:12-13).

Les ascètes crurent aussi qu’afin d’échapper à la corruption qui règne dans le monde et aux tentations que l’on y rencontre, le mieux à faire était d’en sortir et d’aller vivre dans la solitude. Plusieurs se retirèrent donc dans des lieux déserts, ayant pour retraites des cavernes ou des huttes qu’ils se bâtissaient. Là, ils pratiquaient leurs exercices religieux et se livraient à leurs austérités, priant, méditant, luttant contre le diable et les tentations, châtiant leurs corps par le jeûne, couchant sur la dure et se privant de sommeil. On donna à ceux qui se retiraient ainsi loin des autres hommes, le nom d’ermites, d’un mot grec qui veut dire « désert », on d’anachorètes, qui signifie « ceux qui se retirent ».

En ceci encore, ils suivaient leurs propres pensées, et s’écartaient des enseignements du Seigneur. La parole de Dieu nous dit bien : « N’aimez pas le monde, ni les choses qui sont dans le monde » (1 Jean 2:15) ; elle dit aussi que nous ne sommes pas du monde, mais elle ne nous dit pas d’en sortir. Au contraire, le Seigneur Jésus, priant pour ses disciples, dit à son Père : « Je ne fais pas la demande que tu les ôtes du monde, mais que tu les gardes du mal » (Jean 17:15) Dieu n’est-il pas puissant pour exaucer en notre faveur cette prière de son Fils bien-aimé ? C’est par la foi en ses promesses que nous échappons à la corruption qui est dans le monde par la convoitise, et c’est par sa grâce que nous pouvons vivre dans le présent siècle, sobrement, justement et pieusement (2 Pierre 1:4 ; Tite 2:12). Sans cela, quand même nous nous retirerions dans le désert le plus reculé et le plus aride, nous y porterions notre méchant cœur naturel, Satan nous y suivrait pour nous tenter par les convoitises et l’orgueil, et la solitude ne nous donnerait pas la moindre force pour résister. D’ailleurs, loin d’avoir à sortir du monde, Dieu nous y laisse pour y être les témoins du Seigneur Jésus, pour y annoncer ses vertus (1 Pierre 2:9), pour y marcher d’une manière digne de Lui et comme des enfants de Dieu irréprochables, brillant comme des flambeaux dans le monde, portant devant nous la parole de vie (Colossiens 1:10 ; Philippiens 2:15-16).

Il faut ajouter qu’une des causes qui conduisirent des chrétiens à se retirer dans les déserts, fut la persécution. Ils s’enfuyaient là pour échapper à la prison, aux tortures et à la mort. Plusieurs d’entre eux trouvant dans la solitude une vie paisible, y restèrent et augmentèrent le nombre des ermites. Ce fut, par exemple, le cas d’un jeune homme d’Alexandrie, nommé Paul. Lors de la persécution de Décius, il s’enfuit dans le désert de la Thébaïde, dans la Haute-Égypte. Il trouva une grotte avec une source ombragée d’un palmier, et y demeura jusqu’à la fin de ses jours. On le regarde quelquefois comme le premier ermite, et l’Église romaine l’a mis au nombre de ses saints. Mais le véritable père des ermites et des moines, fut Antoine (*).

 

(*) L’Église romaine ajoute à son nom, comme à celui de beaucoup d’autres, l’épithète de « saint ». Mais la parole de Dieu appelle « saints » tous les vrais chrétiens. Voyez à ce sujet, entre autres passages, les adresses de beaucoup d’épîtres de Paul : Romains 1:7 ; 1 Corinthiens 1:2 ; 2 Corinthiens 1:1 ; Éphésiens 1:1 ; Philippiens 1:1 ; Colossiens 1:1. Voir encore Jude 3. Tous les rachetés de Christ ont été sanctifiés, de par la volonté de Dieu et l’offrande du corps de Christ (Hébreux 10:10). C’est pourquoi ils sont exhortés à vivre « comme il convient à des saints » (Ephséiens 3:3).

 

3.1.1        Histoire d’Antoine

Antoine fut certainement un homme remarquable à plusieurs égards, ayant de vrais besoins d’âme et de la piété. Mais il se laissa souvent conduire par ses propres pensées et son imagination, au lieu de s’attacher simplement à la parole de Dieu, et ainsi fit fausse route en plus d’une chose.

Il naquit de parents riches, vers l’an 251, à Coma, dans la Haute-Égypte, et montra dès son enfance un caractère sérieux, réfléchi et réservé. Il n’avait pas grand goût pour les études, et attachait peu de valeur au savoir humain ; mais il désirait ardemment acquérir la connaissance des choses de Dieu, et aimait à entendre lire sa Parole dans l’assemblée des chrétiens. On se souvient que c’était une des parties importantes du culte dans la primitive Église.

Ayant perdu ses parents de bonne heure, il se trouva, à l’âge de dix-neuf ans, possesseur d’une grande fortune. Un jour, la portion des Écritures qui fut lue dans l’assemblée, était l’histoire du jeune homme riche (Luc 18:18-22). Antoine fut frappé par ces paroles : « Vends tout ce que tu as et distribue-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; et viens, suis-moi ». Il y vit un appel que Dieu lui adressait directement. Aussitôt il donna ses terres aux habitants de son village, et aux pauvres le reste de son avoir, ne se réservant que le strict nécessaire pour ses besoins et ceux de sa sœur unique. Quelque temps après, il entendit lire : « Ne soyez donc pas en souci pour le lendemain » (Matthieu 6:34). Il crut voir là un nouvel ordre du Seigneur à donner le reste de ses biens, ce qu’il fit. Il confia sa sœur à une association de jeunes chrétiennes, et se mit à travailler de ses mains pour sa subsistance, se nourrissant de la manière la plus frugale, couchant sur la terre nue, et donnant aux pauvres le superflu de son gain.

Antoine vivait ainsi en véritable ascète. Son désir était d’arriver à pratiquer toutes les vertus chrétiennes, et l’on dit que, dans ce but, il visita les solitaires les plus renommés, afin de s’instruire auprès d’eux. Son désir était bon, mais n’aurait-il pas mieux fait de se tourner vers le seul vrai Modèle, Celui qui, dans sa vie, a présenté l’ensemble parfait et harmonieux de toutes les vertus, Christ, qui nous a laissé un modèle, afin que nous suivions ses traces, et qui est notre vie et Celui qui nous fortifie pour marcher à sa suite ? (1 Pierre 2:21 ; Colossiens 3:3-4 ; Philippiens 4:13). Mais Antoine comptait sur ses propres forces. Il croyait pouvoir arriver à la sainteté intérieure, en se débarrassant d’abord des mauvaises pensées et des convoitises de la chair, afin de pouvoir ensuite ne faire que ce qui était bon. Pour cela il luttait sans relâche, pensant arriver à son but par des austérités toujours plus grandes, en châtiant son corps de toutes manières. Mais c’était en vain, toujours il retrouvait en lui le mal, et son imagination échauffée lui faisait voir les démons sous une forme corporelle, l’entourant et lui présentant tous les objets propres à exciter ses convoitises et à lui inspirer de mauvaises pensées. Il avait beau les combattre par des jeûnes, des macérations, des veilles, des exercices religieux ; toujours ils revenaient. Pauvre Antoine ! Il ignorait ce que l’apôtre dit : « En moi, c’est-à-dire en ma chair, il n’habite point de bien », et que nous sommes « sans force » pour vaincre le péché (Romains 7:18 ; 5:6 ; 7:15, 24). Il ne savait pas que le seul moyen de délivrance, la seule chose qui mette en fuite l’ennemi, c’est de regarder à Christ (Romains 7:25).

Antoine pensa alors qu’en se retirant tout à fait du monde, en devenant ermite, il réussirait mieux à se débarrasser des mauvaises pensées et des désirs coupables qui surgissaient constamment en lui, et qu’il détestait. Il choisit pour demeure, dans un lieu écarté, un tombeau en ruine, où il passa dix années, redoublant d’austérités pour dompter la chair et les convoitises, ignorant que « ceux qui sont du Christ ont crucifié la chair avec les passions et les convoitises », et que, par l’Esprit Saint seul, ils peuvent réaliser dans leur vie cette vérité précieuse (Galates 5:24-25), comme nous l’avons dit. Antoine se contentait chaque jour pour nourriture de six onces de pain, humecté d’eau et assaisonné d’un peu de sel. Quelquefois, quand il se sentait trop affaibli, il s’accordait un peu d’huile et quelques dattes, mais faisait ensuite pénitence, en jeûnant, pour cette infraction à son régime habituel. Il se vêtait d’une grossière chemise faite d’un sac, et par-dessus mettait un manteau de peau de mouton. Il passait la plus grande partie des nuits en méditation et en prières.

Atteignit-il ainsi enfin son but ? Non. Ni son éloignement du monde, ni son isolement, ni ses jeûnes, ni ses prières, ne lui firent remporter la victoire sur les tentations et les démons. Et cela n’était pas possible. L’apôtre dit que « la chair… ne se soumet pas à la loi de Dieu, car aussi elle ne le peut pas » (Romains 8:7). Jamais l’homme, avec ses propres forces, ne pourra surmonter la chair et vaincre Satan. Le diable est plus fort que lui. C’est comme dans l’histoire du démoniaque. « Personne ne pouvait le lier, même avec des chaînes ». Il rompait les chaînes et mettait les fers en pièces ; « personne ne pouvait le dompter » (Marc 5:1-4). C’est Jésus seul qui est le grand Libérateur, et qui nous affranchit de la loi du péché et du pouvoir de Satan (Romains 8:2 ; Hébreux 2:14-15). Le pauvre Antoine en vint au point qu’épuisé par les privations et les luttes qu’il soutenait, on le trouva une fois à moitié mort, et on le rapporta dans son village.

Il se retira alors dans un vieux château en ruines, au bord de la mer Rouge, et se mit à cultiver une petite pièce de terre. Il semble qu’occupé ainsi, son esprit se calma. Le Seigneur eut compassion de lui, et lui apprit par sa grâce qu’en Lui seul réside la force pour vaincre le mal et résister à Satan ; Antoine vécut ainsi plus heureux et paisible. Nous pouvons le conclure des paroles suivantes qu’il adressait plus tard à ses disciples, et qui étaient le fruit d’une longue et douloureuse expérience : « Ne nous faisons pas des épouvantails des mauvais esprits, et ne nous désolons pas comme si nous étions perdus. Bien plutôt, réjouissons-nous d’être des rachetés ; pénétrons-nous de la pensée que le Seigneur est avec nous, Lui qui a vaincu et réduit à néant les mauvais esprits, et soyons assurés que, puisqu’Il est avec nous, ils ne peuvent nous nuire. Les démons se présentent à nous de diverses manières, selon les dispositions où ils nous trouvent. Mais si nous sommes joyeux dans le Seigneur, occupés de la contemplation des choses divines, pensant que tout est entre les mains de Dieu, et qu’aucun mauvais esprit ne peut rien contre le chrétien, les démons se détourneront de l’âme remplie et gardée par ces pensées ». Nous voyons qu’Antoine avait fini par apprendre une précieuse leçon. Il expérimentait ce que nous lisons en Philippiens 4:4-7.

Dans ces temps-là le peuple attachait une pensée de sainteté spéciale à ces hommes qui renonçaient à toutes les commodités de la vie pour se livrer à des exercices religieux et, croyait-on, pour mieux servir Dieu. La renommée d’Antoine, comme étant un pieux et saint ermite, s’était répandue, et de toutes parts on se rendait auprès de lui. Les uns lui demandaient ses conseils et ses prières ; d’autres, des consolations dans leurs peines ; quelques-uns voulaient qu’il fût arbitre dans leurs contestations. L’empereur Constantin lui-même lui écrivit, et comme ses compagnons s’en étonnaient, il leur dit : « Ne soyez pas étonnés qu’un empereur nous écrive — ce n’est qu’un homme écrivant à un autre homme ; soyez plutôt surpris que Dieu nous ait écrit, et nous ait parlé par son Fils ». Pressé par ceux qui l’entouraient de répondre, il fit dire à l’empereur et à ses fils : « Pensez au jour du jugement ; souvenez-vous que Jésus Christ est le seul Roi véritable et éternel ; pratiquez l’humanité et la justice envers les pauvres ».

Plusieurs ascètes sollicitèrent d’Antoine la faveur de se joindre à lui. Il consentit à leur désir, et ils s’établirent dans des cellules autour de la sienne. Il leur donna certaines règles à suivre, mais refusa d’être leur supérieur, et souvent, pour être seul, il se retirait dans des parties plus reculées du désert.

Il aurait certes été plus conforme à la parole de Dieu qu’Antoine et les autres anachorètes, au lieu de s’en aller vivre dans les déserts, restassent au milieu des autres hommes, pour y servir Dieu et y être les témoins de Christ, en vivant comme de fidèles enfants de Dieu (voir Philippiens 2:15). Mais la retraite dans laquelle Antoine s’était imposé de vivre, ne l’empêcha pas de reparaître quelquefois sur la scène publique. Et les occasions où il se montra, nous font voir que, quelles que fussent ses pensées erronées sur la vie du chrétien dans le monde, il avait un cœur fidèle à Christ et un amour véritable pour les chrétiens. Dans la persécution qui sévit en l’an 311, sous l’empereur Maxime, il se rendit courageusement à Alexandrie pour encourager les persécutés. Son apparition produisit une impression extraordinaire. Il visita ceux qui enduraient des maux pour leur foi, et les exhorta à demeurer fermes. Il témoigna surtout son amour et sa sollicitude aux prisonniers et à ceux qui étaient condamnés aux durs travaux des mines. Il s’exposait ainsi sans crainte aux plus grands dangers ; mais personne n’osa mettre la main sur lui. Une sorte de prestige entourait ce vieillard qui, exténué par les veilles et les privations, était sorti de sa solitude et bravait la rage des persécuteurs pour consoler ses frères affligés.

La persécution ayant pris fin, Antoine retourna dans le désert. Il revint plus tard, âgé de cent ans, à Alexandrie, afin de protester contre les Ariens et de combattre leurs erreurs, en défendant énergiquement la sainte doctrine touchant la Personne adorable du Seigneur Jésus. Les foules accouraient pour voir ce vénérable « homme de Dieu », comme on l’appelait, et pour l’entendre prêcher. Beaucoup de païens, dit-on, furent amenés au christianisme par sa parole.

Antoine mourut, âgé de 105 ans. Avant sa fin, il légua son manteau à Athanase, en signe de communion avec lui dans la vraie foi, et recommanda qu’on tînt secret le lieu de sa sépulture, de peur qu’il ne devînt un endroit de vénération superstitieuse. En effet, déjà alors s’introduisait dans l’Église une sorte de culte des martyrs et de ceux que l’on estimait mériter cet honneur à cause de leur sainteté.

 

3.1.2        Après Antoine

Plusieurs solitaires, avons-nous dit, s’étaient groupés autour d’Antoine, et ainsi c’est à lui qu’on peut faire remonter l’origine de la vie monacale. Cet ensemble d’anachorètes, ayant chacun leur cellule distincte, séparée des autres, et non réunies dans un même bâtiment, s’appelait une laure. Leurs habitants n’avaient en commun que certains exercices religieux.

Toutefois, le vrai fondateur des couvents, c’est-à-dire des communautés d’hommes ou de femmes se séparant extérieurement du monde pour vivre ensemble dans un même bâtiment (couvent, monastère ou cloître) en s’assujettissant à certaines règles, est un nommé Pacôme, originaire aussi de la Haute-Égypte. Il établit la première communauté dans une île du Nil, puis d’autres se formèrent, de sorte qu’à la mort de Pacôme, vers l’an 350, il y en avait huit, comptant ensemble 3000 moines. Sa sœur avait fondé de son côté le premier couvent de nonnes. Au commencement du 5° siècle, on comptait quelques 50000 moines, et le nombre alla croissant, tant en Orient qu’en Occident, durant tout le Moyen Âge. Des milliers et des milliers de personnes peuplaient les innombrables couvents, où s’introduisirent souvent de grands désordres.

Malgré les services qu’ils ont pu rendre, l’établissement de couvents n’était en rien une chose conforme à la Parole de Dieu. Nous avons dit en parlant des ermites l’inefficacité des exercices religieux aussi bien que des austérités, qui y étaient prescrits et auxquels ils consacraient, surtout au commencement, une grande partie de leur temps. Sans doute, plusieurs cultivaient la terre, d’autres se livraient à des œuvres charitables, telles que le soin des malades, et il en est encore ainsi. Faire du bien aux autres est assurément excellent, mais tout chrétien n’est-il pas appelé à « marcher dans les bonnes œuvres », selon ce que Dieu lui donne à faire ? Et si quelqu’un a la vocation de soigner les malades, il n’a pas besoin pour cela de se faire « religieux » ; nombre de femmes ou jeunes filles chrétiennes se vouent au service des malades dans les hôpitaux, sans faire partie d’un ordre monastique.

D’autre part, religieux ou religieuses, en se joignant à telle ou telle des nombreuses communautés ou ordres, prononcent des vœux, c’est-à-dire prennent certains engagements solennels, comme de vivre dans la pauvreté, sans rien posséder en propre ; de ne point se marier, et d’obéir strictement et en tout à leur supérieur, celui ou celle qui est à la tête de la communauté. Ce sont là les trois vœux essentiels de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Il n’est pas difficile à qui ouvre la parole de Dieu, de voir que, non seulement nous n’y trouvons rien de semblable, mais que plusieurs des prescriptions monacales lui sont opposées (lire 1 Timothée 4:2-3 ; Matthieu 23:8-10 ; 1 Timothée 6:17-19). L’apôtre ne dit point aux riches de faire vœu de pauvreté. La Bible n’offre qu’un seul exemple de vœu, celui du nazaréat (Nombres 6), mais il diffère totalement de ceux des moines, et il présente un type de la séparation pour Dieu du Seigneur Jésus et des chrétiens qui marchent sur ses traces. Nous sommes tous appelés, comme ses disciples, à vivre séparés du monde tout en restant au milieu du monde.

 

Nous avons parlé de la vie monacale à ses débuts pour montrer le déclin et la ruine de l’Église qui allait en s’accentuant : les hommes remplaçant par leurs inventions, leurs règles et leurs ordonnances, ce qu’enseignent les Écritures. Ce que nous avons dit, renferme aussi des leçons pour nous. D’ailleurs, comme il sera souvent question plus tard des moines, il était bon de savoir comment cette institution s’était introduite dans l’Église.

Toutefois, malgré tant d’erreurs, la grâce de Dieu ne cessait pas d’agir, et comme dans le cas d’Antoine, il ne manqua pas dans les cloîtres du Moyen Âge, au milieu des ténèbres et de la corruption, des âmes pieuses qui aimaient le Seigneur. Nous aurons occasion de le voir.

 

3.2   Ambroise, Évêque de Milan (374 à 397)

L’Église devenait toujours plus un grand corps de professants d’où la vie se retirait et était remplacée par des formes religieuses. De nombreuses superstitions s’y introduisaient aussi. Elle était ainsi semblable à la grande maison remplie de vases à déshonneur de 2 Timothée 2:20, et au grand arbre qui étend au loin ses rameaux et a une belle apparence, mais qui abrite une foule de mauvaises choses de Matthieu 13:31-32.

À l’époque à laquelle nous sommes parvenus, c’est-à-dire à la dernière moitié du quatrième siècle et au commencement du cinquième, les empereurs d’Orient et d’Occident professaient le christianisme. Avaient-ils vraiment la vie de Dieu provenant de la foi du cœur, et sans laquelle on n’est chrétien que de nom ? Dieu seul le sait. Les actes de persécution et de cruauté par lesquels plusieurs se signalèrent, permettent d’en douter pour ceux-ci. D’un autre côté, et surtout en Orient, ils donnaient le spectacle d’une mollesse de mœurs et d’un luxe qui ne s’accordaient guère avec le renoncement à soi-même et au monde, qui caractérise le vrai chrétien.

Ils prétendaient être les chefs de l’Église qu’ils protégeaient, et ainsi se mêlaient de décider dans les discussions théologiques qui se multipliaient sans fin. Tantôt l’un soutenait la foi orthodoxe du concile de Nicée et persécutait les Ariens ; bientôt après un autre empereur, gagné à la doctrine d’Arius, sévissait contre les orthodoxes.

Si nous considérons d’autre part le clergé, et particulièrement ceux de ses membres qui occupaient les hautes charges d’évêques dans les grandes villes, leur importance, leur autorité et surtout leur ambition, allaient en croissant. Ils devenaient toujours plus les dominateurs des troupeaux, contrairement à l’enseignement de l’apôtre Pierre (1 Pierre 5:1-4), et tendaient à faire prévaloir leur autorité même sur celle des rois. En même temps, suivant ce que rapportent des écrivains païens et chrétiens, beaucoup des membres du clergé se distinguaient par une vie qui n’était en rien conforme aux enseignements de la parole de Dieu, recherchant les richesses, le luxe et les jouissances de la chair. Si ceux qui étaient à la tête donnaient de tels exemples, que devaient être les simples chrétiens ?

Il est vrai que les empereurs cherchèrent à faire disparaître entièrement de l’empire les restes de l’idolâtrie. Mais quels moyens employèrent-ils ? La violence et la persécution, détruisant les temples et obligeant de force des populations entières à recevoir le baptême. Les évêques même, en certains endroits, encourageaient ou laissaient faire ceux qui maltraitaient et même tuaient les païens qui refusaient de se convertir ou plutôt d’être baptisés.

C’est ainsi qu’à Alexandrie, une jeune fille aimable et savante, nommée Hypathie, qui enseignait dans l’école de cette ville, fut saisie et entraînée par la populace chrétienne dans une église, et massacrée de la manière la plus barbare. L’évêque laissa s’accomplir ce meurtre sans intervenir, comme il l’aurait dû.

Nous pouvons nous demander : Où était alors la vie de Christ ? N’y avait-il donc pas des âmes vraiment au Seigneur dans ce triste état de choses ? Oui ; nous pouvons être sûrs que Dieu avait de ses élus, comme il en eut toujours, même dans les jours plus sombres encore qui suivirent les temps dont nous parlons. Il y avait certainement des âmes dont l’histoire ne nous est pas rapportée, mais que Dieu connaît et qui aimaient Jésus, bien que peut-être au milieu de beaucoup d’ignorance. Il en est d’elles comme des 7000 hommes au temps d’Élie (1 Rois 19:18).

Nous transcrirons ici quelques pages qui se rapportent à ce sujet.

« Le Nouveau Testament nous enseigne qu’il n’y eut jamais et qu’il ne pourra y avoir qu’une seule Église de Dieu. Quels que soient les noms donnés par les hommes à différentes sectes ou partis, il ne peut exister qu’une seule et unique Église qui est le corps de Christ et la maison du Dieu vivant (Colossiens 1:18 ; Éphésiens 1:22 ; 4:4 ; 1 Timothée 3:15).

Cette seule vraie Église est, était et sera toujours composée de ceux — et ceux-là seulement — qui, ayant cru en Jésus, et ayant reçu le pardon des péchés et la vie éternelle, sont ainsi devenus des pierres vivantes dans la structure du seul temple, et des membres vivants du seul Christ, unis à Lui par l’Esprit Saint envoyé du ciel (1 Pierre 2:3-7 ; 1 Corinthiens 12:12-13 ; Éphésiens 1:13 ; 2:20-22).

Si donc nous désirons retracer l’histoire de cette Église à travers la confusion, la ruine et les égarements des siècles passés, nous ne devons pas suivre seulement le fil historique de cette chose extérieure qui s’appelle l’Église.

En fait, l’histoire de la vraie et vivante Église n’a pas été et ne peut pas être écrite dans son ensemble. De même qu’on ne saurait écrire l’histoire de ceux qui en Israël n’avaient pas fléchi les genoux devant Baal, ainsi nous ne pourrions suivre tout le cours de ce fleuve d’eau vive — la grâce agissant dans les croyants, membres de la vraie Église — qui a coulé dans les lieux cachés, ignoré des hommes.

Mais, maintenant comme alors, dans une secte ou dans une autre, une éclaircie se fait, l’eau pure apparaît et nous montre l’existence permanente de ce fleuve de grâce et de vie. Et nous voyons alors, autour de ces endroits, les lieux desséchés se couvrir de verdure et devenir fertiles, et des fruits se produire. Ici et là, on recueille des paroles et des chants révélant des âmes passées de la mort à la vie, et de la puissance de Satan à Dieu ».

 

Nous aimerions savoir quelque chose de la vie de ceux qui alors vivaient pour Christ, séparés d’un monde méchant. Nous en connaissons très peu de chose, mais la vie de quelques hommes qui ont occupé une haute place dans l’Église, nous a été conservée, et nous voyons en eux des chrétiens fidèles et dévoués, bien qu’ayant souvent des idées erronées. Ils combattaient avec énergie contre le mal moral qui envahissait l’Église, et sans doute leur influence s’est exercée salutairement sur plusieurs de ceux qui étaient commis à leurs soins. Nous pouvons espérer que, parmi les empereurs romains même, il y en eut qui eurent une vraie crainte de Dieu.

Ambroise, évêque de Milan, fut un de ces fidèles serviteurs de Dieu parmi le clergé. Il naquit à Trèves de parents romains, en l’an 340. Son père, qui était gouverneur des Gaules, le destinait au barreau. Venu à Rome, il s’y distingua par ses talents, et fut nommé en 370 gouverneur de la province de Ligurie, dans l’Italie du nord, À cette époque de sa vie, Ambroise n’était encore que catéchumène et n’avait pas été baptisé. Comme tout nous montre en lui un homme sérieux, nous avons tout lieu de croire que ce ne fut pas à la légère qu’il prit cette place de catéchumène, et qu’il s’était enquis avec soin des vérités du christianisme. Il nous rappelle ce gouverneur romain du temps de Paul, un « homme intelligent », qui avait désiré « entendre la parole de Dieu », et qui fut « saisi par la doctrine du Seigneur » (voir Actes 13).

On peut se demander pourquoi Ambroise ne s’était pas fait baptiser, s’il croyait au Seigneur Jésus. Il faut nous rappeler que l’on s’était beaucoup écarté de la simplicité des Écritures. On exigeait des catéchumènes une longue instruction qui durait au moins trois ans avant qu’ils pussent recevoir le baptême, tandis que, dans les Actes, nous voyons que ceux qui avaient cru, étaient aussitôt baptisés (Actes 2:41 ; 8:12, 36, 38 ; 16:31-33). Outre cela, on avait la fausse pensée que le baptême d’eau efface le péché et régénère, de sorte que beaucoup de catéchumènes ne se faisaient baptiser que sur leur lit de mort, afin d’être sûrs d’aller au ciel. On avait oublié que tout ce que l’Évangile demande, c’est que l’on croie au Seigneur Jésus et qu’alors on est sauvé pour l’éternité. Il va sans dire que l’on doit être baptisé comme signe de l’introduction dans la maison de Dieu ; mais le baptême ne sauve pas ; il faut la foi du cœur (Romains 10:9-10).

Pendant qu’Ambroise était gouverneur de la Ligurie et qu’il résidait à Milan, l’évêque de cette ville vint à mourir, et il fallait lui nommer un successeur. C’était la multitude dans l’Église qui faisait ce choix, chose dont nous ne voyons aucune trace dans le Nouveau Testament. Or la querelle entre les Ariens et les orthodoxes, c’est-à-dire ceux qui soutenaient l’éternelle divinité du Fils, se poursuivait avec passion. Sans doute ceux-ci avaient raison de maintenir cette vérité que la parole de Dieu proclame si clairement et qui est si importante, car sans elle il n’y a pas d’expiation de nos péchés. Mais un grand nombre des orthodoxes apportaient dans leurs discussions un esprit charnel et violent, ce en quoi ils étaient suivis par les Ariens. Ces luttes entre les deux partis, qui dégénéraient parfois en conflits sanglants, avaient lieu souvent lors de la nomination des évêques, chaque parti voulant faire prévaloir son candidat. C’est ce qui arriva à Milan. Mais n’est-ce pas une chose profondément triste de voir de telles choses se passer dans l’Église de Dieu ? Les chrétiens ne devraient-ils pas en tout se montrer pleins de douceur et de support ? Nous savons bien que l’erreur des Ariens était mortelle pour l’âme, mais le vrai chrétien ne doit jamais employer d’autres armes que la parole de Dieu et la prière, et il doit s’attendre à Dieu.

Quoi qu’il en soit, les partis à Milan ne pouvaient s’entendre. Comme magistrat, Ambroise était présent pour empêcher la lutte de dégénérer en violence. Il y réussit, mais sans arriver à établir l’accord. Comme il exhortait la foule à la concorde, tout à coup une voix d’enfant s’écria : « Qu’Ambroise soit évêque ! » Telle était la considération dont il jouissait à cause de ses vertus, que tous furent unanimes pour le prier d’accepter cette charge. Mais lui, effrayé de la grandeur et de l’importance de la tâche, refusa d’abord. Le peuple le pressa, et Ambroise, pour échapper à ses instances, s’enfuit de nuit. Mais on raconte que, s’étant égaré, il se retrouva le lendemain matin devant la ville de Milan. Il crut voir là une direction divine, et accepta d’être évêque. Par ce que nous venons de dire, nous pouvons avoir une idée du point où en était arrivée l’Église. Comparons ce qui se passait alors avec ce qui nous est dit de l’assemblée à Jérusalem, au chapitre 15 des Actes, où il s’agissait aussi d’une question très importante. On n’avait pas besoin là d’un magistrat pour maintenir l’ordre. L’Esprit Saint présidait.

Ambroise avait consenti à être évêque, mais comment le consacrer, lui qui n’avait pas même été baptisé, et qui, par conséquent, extérieurement du moins, n’était pas chrétien ? Il fut donc d’abord baptisé ; puis comme on ne pouvait pas être évêque sans avoir été prêtre, ni prêtre sans avoir été diacre et sous-diacre, on le fit passer rapidement par ces différents degrés, et, au bout de huit jours, il fut établi évêque de Milan.

Cela ne nous semble-t-il pas étrange ? Où voyons-nous chose semblable dans l’Écriture ? Paul écrivait à Timothée relativement à l’évêque ou surveillant : « Qu’il ne soit pas nouvellement converti » (1 Timothée 3:6). Et, dans le cas d’Ambroise, il n’est pas même question de conversion !

Quoi qu’il en soit, Ambroise prit au sérieux la tâche qu’il acceptait et qui exigeait beaucoup de dévouement et de sagesse, en même temps que d’énergie. Malgré bien des choses que l’Écriture ne justifie pas et qu’il crut devoir faire, on peut dire que, dans l’état où était la société de ce temps-là, Dieu se servit de lui pour faire du bien, car il était un homme droit et qui ne transigeait pas avec le mal.

Devenu évêque, afin de pouvoir se consacrer tout entier aux devoirs de sa charge, il donna tout son argent aux pauvres et ses biens à l’Église. Il réserva les revenus de ces derniers à sa sœur et en confia l’administration à son frère. Suivons-le dans sa vie. Toute la journée il était accablé de mille soins ; il jugeait les affaires d’une foule de chrétiens, surveillait les hôpitaux, s’occupait des pauvres, et accueillait tout le monde avec douceur. Il lui fallait en même temps lire, méditer et étudier les Écritures, puisqu’il devait les enseigner aux catéchumènes et aux chrétiens. Tous les dimanches, et quelquefois plusieurs jours de suite, il prêchait dans la basilique de Milan. Il avait souvent à s’occuper des affaires publiques, et il écrivit plusieurs ouvrages. Nous voyons donc que sa vie était bien remplie. Sa charité était inépuisable. Pour racheter les chrétiens que les Barbares avaient fait prisonniers, il se privait du nécessaire et faisait tous ses efforts pour se procurer l’argent qu’il fallait afin d’en délivrer le plus grand nombre possible.

Il se montrait aussi très énergique pour maintenir la foi à la divinité du Sauveur. L’impératrice d’Occident, Justine, qui était arienne, voulait le forcer à céder aux Ariens une église près de Milan. Ambroise refusa en disant : « Prenez ce que je possède, jetez-moi en prison ou livrez-moi à la mort, mais les choses de Dieu ne sont pas soumises au pouvoir impérial ». Des soldats furent envoyés une fois pour le conduire en exil ; il se réfugia dans la basilique, et la foule des chrétiens réunie autour de lui, passa la nuit en chantant de beaux cantiques qu’il avait composés, tandis que lui les exhortait. Les soldats n’osèrent l’arracher de son asile. Cette fermeté pour soutenir la gloire du Seigneur Jésus, le Fils éternel de Dieu, est un exemple que nous avons à suivre. Nous ne sommes pas exposés à une persécution ouverte de la part de ceux qui ne croient pas, mais à leurs raisonnements subtils. Restons attachés de cœur à Celui qui est « le Dieu véritable et la vie éternelle » (1 Jean 5:20).

Avant de parler d’autres faits qui nous font connaître Ambroise, son caractère et son influence, nous dirons quelques mots de l’empereur d’Orient Théodose, dont il fut l’ami constant, bien qu’il ait dû plus d’une fois s’opposer à lui. Théodose était né en Espagne, en l’an 346, et fut associé à l’empire, en 379, par Gratien, fils de cette impératrice Justine que nous avons mentionnée plus haut. Plus tard, Théodose devint seul empereur. À cette époque, l’empire romain, la quatrième monarchie dont parle Daniel (Daniel 2:40-43 ; 7:7-8, 19-26), était menacé de toutes parts par les Barbares. Théodose, qui était un brave et habile général, sut les contenir autant par les armes que par sa prudence et sa générosité. À l’intérieur de l’empire, le paganisme n’avait pas encore perdu toute sa puissance et cherchait à relever la tête. Symmaque, préfet de Rome et orateur distingué, avait fait en faveur du paganisme un plaidoyer éloquent qu’Ambroise réfuta. D’un autre côté, les Ariens et d’autres sectes combattaient la saine doctrine relativement au Sauveur. Théodose semble avoir été un instrument dans la main de Dieu pour arrêter les Barbares, et donner quelque répit à cet empire romain si corrompu et qui avait versé le sang des saints (Daniel 7:21 ; Apocalypse 18:24 ; 17:6), et aussi pour détruire en grande partie les restes du paganisme et réprimer l’arianisme.

Théodose, tout en professant le christianisme, n’avait pas été baptisé. Mais étant tombé gravement malade, vers la fin de la première année de son règne, il demanda le baptême. Aussitôt après, il rendit un édit dans lequel il confessait sa foi et ordonnait que « toutes les nations qui étaient sous sa domination, s’attachassent fermement à la doctrine enseignée par Pierre aux Romains, et crussent à la divinité du Père, du Fils et du Saint Esprit, comme égaux en majesté, en formant une Trinité bénie ». Ceux qui contreviendraient, devaient, dit l’empereur, s’attendre à des peines sévères.

Cela ne nous rappelle-t-il pas l’édit du roi Nebucadnetsar rapporté en Daniel 3:29-30 ? Théodose avait bien raison de confesser sa foi, c’était un bel exemple, mais, comme chrétien, il aurait dû en savoir plus qu’un roi païen, et ne pas vouloir obliger ses sujets à croire comme lui, sous menace de peines temporelles. Malheureusement les évêques qui l’entouraient, et Ambroise lui-même malgré sa piété, l’encourageaient dans cette voie et même excitaient ses rigueurs. L’exemple suivant nous le montre. En Palestine, des chrétiens conduits par un évêque avaient incendié une synagogue des Juifs, et des moines avaient saccagé le lieu où certains hérétiques se réunissaient. Théodose, informé de ces faits, avait ordonné que les coupables fussent condamnés à rétablir les édifices détruits ou à en payer le prix. Mais Ambroise l’ayant appris, écrivit à l’empereur pour le prier de retirer cet ordre, prétendant que reconstruire la synagogue serait un triomphe des Juifs sur la foi, et que ce serait léser les chrétiens. L’empereur ne céda point d’abord, mais Ambroise ayant insisté publiquement, Théodose promit solennellement de ne pas punir les coupables.

Telle était l’étrange idée qu’Ambroise avait de sa mission comme évêque chrétien. Au lieu d’encourager l’empereur dans la voie de la justice, il l’en détourne sous un faux prétexte. Là est le germe de ce qui se développa plus tard d’une manière terrible dans l’Église romaine, qui en vint à prétendre qu’il fallait chasser et brûler les Juifs et les hérétiques. On voit encore en cela le commencement de cette domination que le clergé prétendit plus tard exercer sur les rois et les princes, en opposition avec ce que dit l’apôtre Paul : « Que toute âme soit soumise aux autorités qui sont au-dessus d’elle » (Romains 13:1-5).

Dans une occasion toute différente, Ambroise employa son influence et son autorité vis-à-vis de l’empereur d’une manière plus conforme à son caractère d’évêque chrétien.

Avec toutes ses nobles qualités, Théodose avait un caractère violent et se laissait aller à des accès de colère qui l’entraînaient dans des actes injustes et cruels, dont ensuite il se repentait amèrement, mais souvent aussi lorsqu’il était trop tard. C’est ce qui eut lieu dans l’occasion suivante. À Thessalonique, durant des jeux publics (*), le gouverneur avait refusé de mettre en liberté un cocher de cirque, aimé du public, mais coupable d’un crime affreux. Le peuple se souleva et tua le gouverneur et plusieurs de ses officiers. En apprenant cette nouvelle, l’empereur entra dans une colère terrible et ordonna un massacre général des habitants de Thessalonique. Ambroise intervint, et l’empereur promit de pardonner. Mais excité par ses conseillers et en particulier par Rufin, son premier ministre, qui fit ressortir la nécessité de châtier un si grand crime, Théodose revint de son premier mouvement de clémence, et le message de mort fut expédié. L’empereur ensuite, sans doute saisi de remords, voulut le révoquer, mais le second message arriva trop tard : 7000 personnes réunies dans le cirque avaient été massacrées par les soldats, sans distinction de rang, d’âge, ni de sexe.

 

(*) Malgré la profession chrétienne de la majorité de la population, les jeux et les représentations théâtrales, restes du paganisme, continuaient dans les villes de l’empire, et même les chrétiens étaient souvent passionnés pour ces fêtes. Les pasteurs fidèles et les âmes sérieuses les réprouvaient. Qu’est-ce à dire de nos jours ?

Ambroise apprit bientôt cette triste nouvelle. Saisi de douleur, il se retira à la campagne pour éviter la présence de l’empereur. Mais, en fidèle serviteur de Dieu, sans se préoccuper du rang du coupable, agissant, comme autrefois Nathan à l’égard du roi David, il écrivit à Théodose une lettre dans laquelle il plaçait devant lui la grandeur de sa faute, et lui déclarait qu’il ne pourrait plus être admis dans l’Église avant d’avoir donné des preuves d’une vraie repentance. L’empereur sentait vivement les reproches de l’évêque et ceux de sa conscience. Il se rendit cependant à Milan et voulut entrer dans l’église. Mais Ambroise l’arrêta sur le seuil et lui défendit d’aller plus avant, lui qui était souillé du sang innocent. Théodose protestait de sa contrition réelle, mais l’évêque lui dit qu’une faute publique devait être expiée publiquement. Et comme l’empereur invoquait l’exemple de David, Ambroise lui dit hardiment : « Tu as imité David dans son crime, imite-le aussi dans sa pénitence ». L’empereur se soumit à ce que l’évêque lui imposait. Durant huit mois, le puissant monarque, dépouillé de ses ornements impériaux, resta confondu avec la foule des pénitents à la porte de l’église, durant les services publics. Aux fêtes de Noël, il supplia l’évêque de le recevoir de nouveau dans la communion des fidèles, disant : « Le temple de Dieu, ouvert aux esclaves et aux mendiants, est fermé pour moi ! » Ambroise le reçut, à la condition que désormais il ne sanctionnerait un arrêt de mort que trente jours après la sentence. Utile restriction qui permettait à la colère de se calmer. L’empereur entra dans l’église, se dépouilla des insignes de son pouvoir, et, prosterné sur le sol nu, fit confession de son crime, en disant : « Mon âme est attachée à la poussière ; fais-moi vivre selon ta parole » (Psaume 119:25). Le peuple tout entier avec Ambroise mêlaient leurs larmes et leurs prières aux siennes (*). C’est un grand spectacle ; il nous rappelle que, devant Dieu, il n’y a point d’acception de personnes. Nous pouvons admirer l’humilité de ce grand empereur qui reconnaît les droits de Dieu, et y voir l’effet d’une conscience exercée et une vraie crainte de Dieu. Quant à Ambroise, nous voyons qu’il avait une vraie sollicitude pour l’empereur qu’il aimait, et un sentiment profond de ce qui est dû à Dieu. Il agissait avec la conscience sérieuse de son devoir, et pour le maintien de la justice. Plus tard, malheureusement, le pouvoir clérical a pris en main la conscience des princes pour exciter de mauvais sentiments, les engager dans des actes coupables, et ensuite tranquilliser leurs consciences.

 

(*) Dans le discours qu’Ambroise prononça à l’occasion de la mort de Théodose, il dit que plus un jour ne se passa, sans que l’empereur se souvînt de cette grande faute où l’avait entraîné la colère.

Théodose mourut à Milan en l’an 395, et Ambroise le suivit deux ans plus tard, accomplissant jusqu’au bout les devoirs de sa charge.

 

3.3   Jean Chrysostôme et son temps (De l’an 347 à 407)

L’histoire d’un autre homme remarquable de cette époque nous fera connaître, mieux qu’une description, l’état de l’Église à la fin du quatrième siècle. On y voit d’une manière frappante ce que le Seigneur annonçait d’avance dans la lettre à Pergame (Apocalypse 2:12-17). L’Église habitait dans le monde, assujettie au pouvoir impérial, et cherchant sa faveur ; le clergé se corrompait toujours plus dans cette association avec le monde, poursuivant la domination, les richesses, le luxe et les jouissances de la chair ; les cérémonies et les ordonnances d’un culte de plus en plus fastueux remplaçaient le culte en esprit et en vérité ; les saintes vérités de l’Écriture touchant le salut tendaient à disparaître sous des traditions et des idées superstitieuses, et des hérésies nombreuses troublaient les esprits et entretenaient des disputes sans fin. Au milieu de cet état de choses, il y avait cependant des hommes qui désiraient vivre pieusement et servir le Seigneur. Chrysostôme était de ce nombre.

Il se nommait Jean, mais à cause de sa merveilleuse éloquence, il fut surnommé Chrysostôme ou « bouche d’or », longtemps après sa mort. Il naquit en l’an 347, à Antioche, cette ville célèbre, non seulement comme l’opulente capitale de l’Asie, mais parce que là fut formée la première grande assemblée tirée d’entre les païens, et que là les disciples furent d’abord appelés « chrétiens ».

Le père de Jean mourut quand celui-ci était encore en bas âge. Sa mère était une femme pieuse qui sentait que son devoir était d’élever son enfant sagement et selon le Seigneur. Elle y consacra donc tous ses soins, et, bien qu’étant encore jeune, elle refusa de se remarier pour se vouer entièrement à sa tâche. Nous pouvons donc nous représenter le jeune Chrysostôme instruit dans les saintes lettres par sa mère, comme Timothée l’avait été autrefois.

Mais le jeune homme devait aussi avoir une vocation terrestre. Sa mère le destinait au barreau ; il fit donc les études nécessaires pour cette carrière, et se distingua bientôt par son éloquence. Il était ainsi en grand danger d’être entraîné dans le monde et ses dissipations, mais les pieuses instructions de sa mère portaient leurs fruits. Il se dégoûta bientôt de la vie licencieuse des jeunes avocats, et vit aussi combien était difficile pour un chrétien l’exercice de cette vocation. Recevoir des honoraires pour avoir employé son éloquence à montrer qu’une mauvaise cause était bonne, ou au moins pour en atténuer la gravité, lui semblait un mensonge. C’était, pensait-il, le salaire de Satan et un péché contre sa propre âme.

Ce qui attirait Jean plus que l’éloquence mondaine, plus que la philosophie, c’était l’étude des Saintes Écritures. Dieu agissait dans son cœur pour l’occuper ainsi de ce qui est bien au-dessus de toutes les gloires du monde. Il s’adressa, pour satisfaire son désir, à Mélétius, alors évêque d’Antioche. C’était un homme doux et saint dans sa vie, et orthodoxe dans sa doctrine. Les dons excellents qu’il découvrit chez Chrysostôme le frappèrent ; il crut voir que ce jeune homme serait une lumière brillante dans l’Église. Après que Jean eut passé dans la retraite trois années, pendant lesquelles il fut instruit dans les saintes vérités du christianisme, il fut baptisé, et Mélétius l’ordonna pour être « lecteur ». Comme tel, il avait la charge de lire les Écritures dans les services publics de l’Église. Il n’en continua pas moins à les étudier diligemment pour lui-même. Un certain Diodore, qui était à la tête d’un monastère près d’Antioche, lui fut pour cela d’une grande aide. Il l’engagea à éviter les interprétations allégoriques de l’Écriture, si communes chez les docteurs de l’Église primitive et à la prendre dans son sens simple, lui laissant signifier ce qu’elle dit. Ces conseils furent plus tard très utiles à Chrysostôme lorsqu’il eut à instruire les autres, et donnèrent à sa prédication un cachet moral très pratique.

Chrysostôme vit bientôt combien le monde avait envahi l’Église, et combien peu la vie des chrétiens répondait à leur profession. Qu’en est-il de nos jours à cet égard ? Il résolut donc, avec un ami, de sortir du monde et de se chercher quelque lieu retiré où ils pussent pratiquer le plus rigide ascétisme, et ne s’occuper que des choses de Dieu. Nous avons déjà fait remarquer combien peu cela est conforme aux enseignements de la parole de Dieu. La pieuse mère de Chrysostôme le supplia avec larmes de ne pas donner suite à son projet, de ne pas l’abandonner, elle qui était veuve, n’ayant que lui pour consolation et soutien. « Ne me rends pas veuve une seconde fois », lui disait-elle. « Pendant que je respire encore, supporte ma présence et ne t’ennuie pas de vivre avec moi. N’attire pas sur toi l’indignation de Dieu, en m’accablant par une si grande douleur ».

Chrysostôme renonça à s’éloigner de sa mère ; c’était son devoir selon la parole de Dieu (Éphésiens 6:2 ; 1 Timothée 5:4), mais il se créa dans sa propre maison une sorte de retraite pour y vivre comme un ascète, en veilles, en jeûnes et en mortifications, couchant sur des planches nues, se relevant souvent la nuit pour prier, sortant rarement, et évitant le plus possible de parler, de peur de pécher de ses lèvres. Justement Il n’est pas besoin de dire que l’on peut vivre sobrement, et pieusement, selon l’enseignement de la grâce de Dieu (Tite 2:11-12), sans se livrer à ces pratiques exagérées qui sont le plus souvent le fruit de l’imagination et de la propre volonté (voir Colossiens 2:16, 20-23). « L’exercice corporel est utile à peu de chose », dit encore l’apôtre Paul (1 Timothée 4:8). Mais nous ne pouvons douter que Chrysostôme ne fût sincère, et ne crût par là échapper au monde et servir Dieu.

Au bout d’un certain temps cependant, sa mère étant morte, Jean, toujours poursuivi par la pensée qu’il devait se retirer encore plus entièrement du monde, quitta la ville et se joignit à un certain nombre de chrétiens qui étaient allés dans les montagnes voisines d’Antioche pour y mener la vie de cénobites. Mais trouvant que ce n’était pas encore assez pour crucifier la chair et la soumettre, il se retira seul dans une caverne du mont Casius. Là il était exposé au froid, ne prenait presque point d’aliments, et restait debout durant la nuit pour dompter le sommeil. S’il ne réussit point à tuer la chair, ce qui est impossible, il faillit se tuer lui-même par ses austérités. Au bout de deux ans, il dut retourner à Antioche, exténué et avec une santé détruite pour le reste de sa vie. Aussi longtemps que nous sommes ici bas, la chair est en nous et ne peut être ni tuée, ni domptée par les austérités les plus grandes. Combien n’y a-t-il pas d’âmes sincères qui en ont fait l’expérience ! La puissance de la vie en Christ par l’Esprit Saint est seule capable de nous faire remporter la victoire sur la chair (Galates 5:16-25).

Le temps que Chrysostôme avait passé dans la retraite n’avait pas été employé tout entier en exercices de pénitence. Jean avait continué à s’instruire et avait même écrit quelques ouvrages. À Antioche, il continua ses travaux et en même temps se dévoua au service des pauvres. Sa charité envers eux fut le trait distinctif de toute sa vie. À cette époque, il écrivit un livre pour consoler un ami qui croyait être incessamment possédé par un démon, et était tombé dans une mélancolie profonde. Il lui dit entre autres choses : « Va dans les hôpitaux et considère toutes les souffrances, les douleurs et les infirmités qui les causent ; visite les prisons et les malheureux qu’elles renferment ; va voir les pauvres dans leur dénuement ; et tu comprendras combien tu as tort de te plaindre de ta condition ». Et il ajoute : « En supprimant ta tristesse, tu désarmeras le démon ». Et, en effet, il est bien certain que c’est en nous occupant de nous-mêmes et de nos maux que nous donnons prise à l’ennemi. Mais Chrysostôme aurait aussi et surtout dû tourner les pensées de son ami vers Christ, par qui « nous sommes plus que vainqueurs » (Romains 8:37).

L’évêque Mélétius voulant que Chrysostôme eût un plus grand cercle d’activité, l’ordonna diacre. Comme tel il eut, non seulement à prendre soin des pauvres, mais aussi à instruire le peuple, tâche pour laquelle il avait un talent remarquable qui le rendit très populaire. Quatre ans plus tard, il fut ordonné prêtre par l’évêque Flavien, successeur de Mélétius. Flavien, connaissant le don remarquable de Chrysostôme, lui confia la tâche importante de la prédication. Pendant dix années, ce fut l’occupation principale de Chrysostôme. Ce que nous venons de dire montre comme l’ordre humain avait remplacé l’ordre divin dans l’Église. C’étaient des hommes qui ordonnaient, qui consacraient, qui appelaient à tel ou tel ministère ; ce n’était plus, comme au commencement, l’Esprit Saint qui qualifiait et envoyait (Actes 13:2-4 ; 1 Corinthiens 12:7-11). Toutefois, nous ne pouvons douter que le Seigneur dans sa grâce ne se servît, alors comme maintenant, de quelques-uns de ces évêques ou prêtres lorsqu’ils étaient fidèles dans ce qu’ils connaissaient et dévoués au Seigneur. C’est ce que nous voyons chez Jean Chrysostôme.

Il était doué, avons-nous dit, d’une grande éloquence. Les foules se pressaient pour l’entendre. Mais malheureusement ce n’était pas tant pour l’amour de la vérité et pour satisfaire les besoins de leurs âmes, que pour avoir leurs oreilles charmées par des discours bien dits. Ce n’est pas que Chrysostôme n’exposât pas la vérité ou qu’il flattât leurs vices ; au contraire, il s’élevait avec force contre la corruption, le luxe et l’orgueil qui régnaient dans cette grande ville. Mais c’était pour ses auditeurs comme une musique agréable à entendre ; leur cœur et leur conscience restaient en général insensibles à ses paroles. Ils se laissaient même aller, quand les parties de ses discours leur semblaient particulièrement belles, à applaudir comme dans un théâtre. Chrysostôme s’en affligeait, censurait fortement ses auditeurs, et leur reprochait sans cesse d’être plus assidus à ses prédications qu’aux prières publiques. Mais rien n’y faisait, et, comme passant d’un divertissement à un autre, ils sortaient de l’église pour se rendre aux jeux du cirque. Voilà à quel niveau était descendue la vie chrétienne dans cette Antioche où Paul avait tant travaillé, et où Barnabas exhortait les âmes converties au Seigneur à Lui demeurer « attachés de tout leur cœur » (Actes 11:23). Au temps de Chrysostôme, il n’y avait plus que la profession de christianisme. Le nom seul de chrétien restait ; pour le reste on ne différait guère des païens. On avait « la forme de la piété », mais on en avait « renié la puissance » (2 Timothée 3:5). L’état de choses de nos jours ne ressemble-t-il pas beaucoup à celui que présentait alors Antioche et le monde chrétien ? Souvenons-nous que Dieu demande de nous la réalité de la piété dans le cœur et dans la vie.

Mais Dieu allait frapper d’un grand coup ce peuple indifférent et léger, attaché aux voluptés plus qu’à Dieu.

En l’an 387, à l’occasion de taxes nouvelles imposées par l’empereur, le peuple d’Antioche se souleva et se livra à des actes de violence. Les bains publics furent saccagés, on attaqua le prétoire, et le gouverneur, incapable de résister, fut obligé de s’enfuir. Dans sa fureur inconsidérée, le peuple détruisit les images des empereurs, et renversa et brisa les statues de Théodose, l’empereur d’alors, et de l’impératrice Flaccille. L’apparition d’une troupe d’archers envoyés par le préfet, empêcha d’autres dégâts, et l’ordre fut enfin rétabli. Mais la consternation et l’effroi remplirent alors la ville coupable. Que dira et fera l’empereur en présence de cette insulte faite à lui et à sa femme bien-aimée ? Nous avons vu, dans l’histoire d’Ambroise, combien Théodose était terrible dans ses mouvements de colère. Tout le monde craignait que dans un premier mouvement d’indignation, il n’ordonnât de détruire la ville et ses habitants, comme le lui conseillaient ses courtisans. Il se contenta d’envoyer deux commissaires avec des pleins pouvoirs et des ordres rigoureux contre ceux que l’on trouverait coupables.

La terreur régna bientôt dans la malheureuse ville, car les commissaires impériaux avaient commencé par jeter en prison les plus riches citoyens, par confisquer leurs biens et soumettre à la torture ceux qu’ils croyaient les plus coupables. Que faire dans ces cruelles circonstances ? Le vieil évêque d’Antioche donna alors un grand exemple de dévouement. Malgré son âge avancé, ses infirmités et une sœur mourante qui réclamait ses soins, il se décida à aller à Constantinople pour implorer le pardon de l’empereur. Pendant son absence, Chrysostôme le remplaça, s’efforçant par ses discours de calmer les craintes du peuple, de le consoler et de l’encourager en lui faisant tout espérer de la clémence de l’empereur. En même temps, il profitait de la circonstance pour appeler les inconvertis à la repentance. « Si l’on redoutait à ce point », disait-il, « la colère d’un empereur qui n’était qu’un homme, combien plus fallait-il craindre celle d’un Dieu offensé par nos péchés ! »

Chrysostôme ayant dû s’absenter, les terreurs du peuple reprirent avec plus de force. Il voulait quitter la ville et fuir au désert. Le gouverneur, qui était cependant un païen, se rendit lui-même dans l’église pour rassurer la multitude. À son retour, Chrysostôme s’indigna du manque de foi des chrétiens. « Bien loin de vous laisser instruire par le gouverneur », leur dit-il, « c’est vous qui auriez dû faire la leçon aux infidèles ».

Des ermites chrétiens descendirent aussi de leurs retraites dans la montagne, pour venir soutenir le courage des malheureux habitants d’Antioche. L’un d’eux, rencontrant au milieu de la ville les commissaires impériaux, les arrête, leur ordonne de descendre de cheval, et leur dit : « Portez de ma part ce message à l’empereur. Tu es empereur, mais tu es homme, et tu commandes à des hommes faits à l’image de Dieu. Crains la colère du Créateur, si tu détruis son ouvrage. Tu es irrité, parce qu’on a abattu tes images : Dieu le serait-il moins si tu détruis les siennes ? Tes statues de bronze sont déjà rétablies sur leurs bases, mais quand tu auras tué des hommes, comment réparer ce mal ? Peux-tu les ressusciter ? »

Flavien cependant était arrivé à Constantinople et avait été admis devant l’empereur. Celui-ci commença par rappeler les faveurs qu’il avait accordées à Antioche, et se plaignit de l’ingratitude de ses habitants et de l’insulte qu’ils lui avaient faite. Flavien reconnut les bontés de l’empereur et les torts du peuple, puis il adressa un appel fervent à la clémence de Théodose. Nous ne pouvons citer ici tout son discours ; en voici seulement quelques paroles : « Songe », dit-il, « qu’à cette heure, les Juifs et les Grecs, le monde civilisé et les barbares, ont appris nos malheurs. Ils ont les yeux sur toi, et attendent l’arrêt que tu porteras sur nous. Si ta sentence est humaine et généreuse, ils rendront gloire à Dieu et diront : Qu’elle est grande la puissance du christianisme ! Cet homme qui pouvait tout perdre et détruire, elle l’a soumis. Il est grand, le Dieu des chrétiens. Il élève les hommes au-dessus de la nature… ». « Je viens », dit-il encore, « au nom du Souverain des cieux, pour dire à ton âme clémente et miséricordieuse ces paroles de l’Évangile : Si vous remettez aux hommes leurs offenses, Dieu vous remettra les vôtres. Souviens-toi de ce jour où nous rendrons compte de nos actions… Je te conjure d’imiter ton souverain Maître qui, malgré nos fautes, ne se lasse pas de nous prodiguer ses bienfaits ».

Théodose fut touché et fléchi par les paroles de Flavien. Il pardonna à la ville coupable en disant : « Qu’y a-t-il d’étonnant si nous autres hommes, nous pardonnons à des hommes qui nous ont offensés, lorsque le Maître du monde, descendu sur la terre, fait esclave pour nous, et mis en croix par ceux qu’il avait comblés de biens, a prié son Père pour ses bourreaux, disant : Pardonne-leur, Père, car ils ne savent ce qu’ils font ! »

On aime à entendre ces paroles sorties de la bouche du grand empereur. On y voit que le christianisme avait une influence réelle et puissante sur lui. Flavien retourna en hâte annoncer la bonne nouvelle au peuple d’Antioche, et les pleurs y furent changés en joie.

Les prédications de Chrysostôme pendant cette période où la colère de l’empereur planait sur Antioche, ne furent pas sans fruit. Plusieurs des citoyens païens furent gagnés à la foi chrétienne, et il eut ensuite à leur consacrer beaucoup de soins pour les établir dans la vérité. Il n’eut pas moins à faire auprès de ceux qui se disaient chrétiens, pendant les dix années de son ministère à Antioche. Ses discours ne traitaient pas en général de la doctrine ; il exhortait surtout à la pratique de la vie chrétienne. Il combattait chez les riches l’amour du luxe et des plaisirs, et les engageait à la charité envers les pauvres. Il censurait l’abandon des assemblées où l’on venait en foule les jours de fête, mais que l’on négligeait les autres jours. Il se plaignait de ce que l’on ne craignait pas de s’exposer à la fatigue et à la chaleur pour les affaires ou les divertissements, tandis qu’on les redoutait lorsqu’il s’agissait d’aller entendre la parole de Dieu. Il insistait avec force auprès de ses auditeurs sur la nécessité de prêter une sérieuse attention aux enseignements qui leur étaient donnés, et les pressait de montrer dans leur conduite qu’ils avaient vraiment pénétré dans leur cœur. « La meilleure instruction », disait-il, « vient de l’exemple. Quand même vous ne parleriez pas, si, à votre sortie de l’assemblée, le calme de votre maintien, vos regards, votre voix, montrent à ceux qui n’y sont pas venus, le profit qu’a tiré votre âme de ce que vous avez entendu, ce sera une puissante exhortation. Que tous aient la preuve du bien que vous avez reçu. Ils l’auront, cette preuve, s’ils voient que vous êtes devenus plus doux de cœur, plus dévoués et plus pieux ». Ces paroles n’ont-elles pas leur application de nos jours ?

Un grand changement allait avoir lieu dans la vie de Chrysostôme. En l’an 397, Nectaire, évêque de Constantinople, mourut, et il fallut lui trouver un successeur. Nombre de candidats ambitionnaient une place aussi éminente, mais l’eunuque Eutrope, le tout puissant ministre du faible empereur Arcadius (*), déploya toute son influence sur celui-ci pour l’engager à choisir Chrysostôme comme évêque. Eutrope l’avait entendu prêcher à Antioche et avait été frappé de son éloquence ainsi que de sa vie austère et dévouée. Arcadius accéda à la proposition de son premier ministre, et on donna l’ordre au comte Astérius, qui gouvernait en Orient, d’envoyer Chrysostôme à Constantinople, sans dire à celui-ci de quoi il s’agissait. On craignait un refus de sa part, car il avait déjà décliné la charge d’évêque. D’abord Chrysostôme, enlevé par surprise, et conduit par des gardes de station en station, protesta contre cette étrange manière de faire à son égard. Mais, ayant appris le but de son voyage, et y ayant réfléchi, il crut voir dans le fait une direction de Dieu et se soumit.

 

(*) Théodose était mort en 395. Ses deux fils, Arcadius et Honorius, lui succédèrent. Le premier eut l’empire d’Orient dont Constantinople était la capitale ; le second régna sur l’Occident dont Rome était la métropole.

Grande fut la stupeur des évêques réunis à Constantinople lorsqu’ils apprirent la décision de l’empereur. Chacun d’eux avait espéré ou bien être nommé, ou pour le moins faire arriver à cette charge un de leurs protégés. Parmi les plus irrités se trouvait Théophile, évêque de la grande et célèbre ville d’Alexandrie en Égypte. Comme il sera encore question de lui dans cette histoire, quelques mots sur son caractère sont nécessaires. Théophile passait pour être très versé dans la science théologique, mais aussi pour un des plus méchants hommes de son siècle. Habile, actif, rusé, il exerçait sur les évêques qui dépendaient du siège d’Alexandrie et sur les prêtres de son église, une domination tyrannique. En même temps, avide d’or et d’argent et aimant le luxe, il n’hésitait pas, non seulement à dépouiller de leurs richesses les temples païens, mais à s’emparer aussi des biens des églises. Il ne craignait même pas d’user pour cela de violence. Tels étaient les sentiments qu’excitaient sa conduite et ses exactions, qu’on le flétrissait du nom de Pharaon chrétien. Triste tableau, et combien il fait contraste avec le caractère de l’évêque, comme nous le présente l’apôtre Paul : « Il faut que le surveillant (ou évêque) soit irréprochable comme administrateur de Dieu, non adonné à son sens, non colère, non adonné au vin, non batteur, non avide d’un gain honteux », etc (Tite 1:7-8, et voyez aussi 1 Pierre 5:1-3). Mais tel n’était pas Théophile, et bien d’autres évêques lui ressemblaient. Ils étaient de ces serviteurs qui disent : « Mon maître tarde à venir », et qui se laissaient aller à toute sorte de mal ; de ceux que l’apôtre désigne comme estimant que « la piété est une source de gain » (Matthieu 24:48-49 ; 1 Timothée 6:5). Ce Théophile qui avait déjà une grande influence à Constantinople, aurait voulu, pour l’augmenter encore, faire nommer un de ses prêtres comme évêque de cette grande ville. Déçu dans son espérance, il refusa d’abord de consacrer Chrysostôme, comme il y avait été invité. Mais Eutrope, qui connaissait des faits à sa charge et qui en avait les preuves, l’ayant menacé de le faire passer en jugement s’il continuait à s’opposer à l’ordination de Chrysostôme, Théophile céda et consacra lui-même Jean d’Antioche en présence d’une foule innombrable. Mais dans son cœur il garda contre lui une haine implacable, qu’il réussit à satisfaire plus tard, comme nous le verrons. N’est-il pas profondément affligeant de voir mêler tant de méchanceté avec le nom du Seigneur et un zèle apparent pour Lui ?

Voilà donc Chrysostôme évêque de Constantinople, la seconde capitale de l’empire, résidence de l’empereur d’Orient. Jetons un coup d’œil sur la manière dont il entendait remplir les devoirs de sa charge, et n’oublions pas que cette charge lui donnait rang parmi les plus hauts dignitaires de l’empire et accès auprès de l’empereur.

Son prédécesseur Nectaire avait vécu plus comme un haut fonctionnaire de la cour que comme évêque chrétien. Facile dans la vie, homme du monde, il avait un grand train de maison, et déployait beaucoup de magnificence, ayant une bonne table et donnant des festins aux clercs et aux laïques. Chrysostôme changea tout cela, et ramena tout à la plus grande simplicité. Les riches ameublements, la vaisselle précieuse, les robes d’or et de soie destinées aux évêques, les équipages somptueux furent vendus, ainsi que tous les vases et ornements de prix des églises. Le produit en fut consacré à des œuvres charitables et à des aumônes aux pauvres. De ses propres revenus comme évêque, Chrysostôme fonda un hôpital pour les étrangers malades, se souvenant peut-être des paroles du Seigneur, en Matthieu 25:35-36. Ses ennemis l’accusèrent plus tard d’avoir fait son profit de ces ventes, mais il fut pleinement justifié de cette calomnie. Nul homme ne fut plus désintéressé que lui. Sa vie privée était des plus simples. Les austérités de sa jeunesse l’avaient affaibli, néanmoins il continuait à se traiter frugalement, mangeant seul chez lui et n’invitant jamais personne. À moins que ce ne fût pour des affaires urgentes de l’Église, il ne paraissait point à la cour. S’il était obligé de se trouver en public, il parlait peu. Cette manière de vivre le fit passer pour morose, avare et orgueilleux, mais en réalité, il voulait être tout entier aux devoirs de sa charge qu’il estimait tenir de Dieu et qu’il prenait au sérieux. Il désirait aussi être en exemple aux autres.

Comme évêque, il avait la surveillance du nombreux clergé de la ville. Or, sauf de très rares exceptions, tout ce clergé était extrêmement corrompu. Les clercs vivaient dans la dissolution et la mollesse, recherchant les tables des riches, visant à obtenir des mourants des donations, détournant ce qui appartenait aux pauvres. Chrysostôme réprima énergiquement tous ces vices et s’efforça de ramener prêtres et diacres à la simplicité et à la pureté de vie qui convenaient à leur profession, excluant de la communion les plus coupables. Il fit aussi revivre l’ancienne coutume des services religieux du soir pour les membres du troupeau que leurs occupations retenaient dans la journée. Ce fut un coup sensible pour le clergé, qui s’était habitué à l’oisiveté, et qui cherchait ses aises plus que le bien du peuple.

Chrysostôme réprimandait aussi fortement les veuves qui, au lieu de se conduire d’une manière modeste, vivaient dans la dissipation. Comme l’apôtre Paul le dit, il les exhortait à se marier et à mener une conduite honnête (1 Timothée 5:13-14). Il y avait aussi des diaconesses ou servantes de l’église qui, par leur amour de la toilette, par leur luxe et leurs mœurs, déshonoraient leur profession. Chrysostôme les reprenait, les suivant jusque dans leurs maisons, pour les inviter à se conduire honnêtement.

On voit combien avait à faire cet homme fidèle, qui avait à cœur de ramener l’ordre dans la maison de Dieu où tant de mal s’était introduit. C’est au sujet de cette corruption que le Seigneur reprend l’ange de l’assemblée de Pergame (Apocalypse 2:14-15). La période de l’Église durant laquelle Chrysostôme vivait, est précisément celle que préfigure Pergame.

L’évêque n’avait pas moins à faire avec ceux qui n’avaient point de charges dans l’Église. On ne saurait se faire une idée du luxe et de la mollesse, de la dissipation et de l’amour du plaisir qui régnaient à la cour et chez les grands. Chrysostôme aurait voulu les ramener à la simplicité, et leur faire consacrer au moins une partie de leurs richesses au soulagement des pauvres. C’était souvent le texte de ses exhortations. Il aimait les pauvres, les souffrants, les déshérités, et son cœur saignait en voyant l’égoïsme des riches à leur égard. Aussi le peuple de Constantinople, ces pauvres dont il prenait si généreusement le parti, était-il plein d’admiration pour son évêque et lui avait-il voué un attachement sans bornes. Quand il prêchait, les édifices sacrés étaient trop petits pour contenir les foules qui s’y pressaient.

En agissant comme il le faisait, l’évêque de Constantinople était sincère, et donnait dans sa vie l’exemple de ce qu’il aurait voulu voir chez les autres. Il pensait que ceux qui avaient une place spéciale dans l’Église devaient être les modèles du troupeau, et il se souvenait de ce que Paul disait aux riches. Malheureusement, il n’y avait pas chez lui la douceur qui aurait tempéré la sévérité de ses réprimandes. Il ne pouvait pas tolérer le mal, sans doute, mais il aurait dû se souvenir de l’exhortation de Paul à Timothée : Il faut que l’esclave du Seigneur « soit doux envers tous,… ayant du support ; enseignant avec douceur les opposants » (2 Timothée 2:24-25). La verge de Chrysostôme était de fer, et non celle de l’amour. Aussi sa sévérité lui attira-t-elle bientôt nombre d’ennemis dans le clergé et à la cour, surtout parmi les femmes riches dont il censurait les vices, si opposés à ce que l’apôtre Pierre demande des femmes chrétiennes (1 Pierre 3:3-5).

Au commencement de son séjour à Constantinople, Chrysostôme fut en faveur auprès de l’empereur et de la fière Eudoxie, son épouse, dont l’influence sur Arcadius grandissait chaque jour. Le bon vouloir de l’impératrice se montra dans une circonstance que nous rapporterons, parce qu’elle jette un nouveau jour sur ce qu’était devenue l’Église en ces temps.

Dans un accès de dévotion, Eudoxie avait fondé, à quelque distance de Constantinople, une chapelle dédiée à Saint Thomas. Elle voulait y transférer les reliques de quelques martyrs inconnus, conservées dans une Église grecque (*). On devait faire ce transport en grande pompe et de nuit à la lueur des torches. Naturellement, l’évêque était appelé à y prendre part. Le cortège se mit en marche. La châsse contenant les os des martyrs était portée en tête ; venait ensuite l’impératrice ceinte de son diadème, couverte de ses riches vêtements de pourpre, et accompagnée de dames et des grands de sa cour. À côté d’elle marchait l’évêque, et derrière s’avançaient les prêtres et les religieux et religieuses de toutes les communautés. Le vif éclat des torches qui éclairait la scène, la faisait ressembler à une mer de feu. Que dire d’un tel étalage de pompe mondaine ? Était-ce à la gloire de Dieu qui veut être adoré en esprit et en vérité ? Cela n’aurait-il pas mieux convenu à une cérémonie païenne ? Hélas ! ces processions somptueuses se voient encore de nos jours !

 

(*) On voit par là que déjà l’on vénérait les saints et les reliques ou restes de martyrs, comme le fait encore l’Église romaine. Tant la superstition s’introduit aisément dans les cœurs.

On n’arrive à la chapelle qu’au lever du jour, et là Chrysostôme fit un discours. Mais au lieu de montrer l’inanité de ces cérémonies qui ne tendaient qu’à glorifier des hommes, et que nulle part la parole de Dieu n’approuve, au lieu de diriger les cœurs vers la gloire céleste de Christ, le discours de l’évêque fut rempli de louanges de l’impératrice, et des expressions de sa propre joie d’avoir pris part à cette fête. Le lendemain, ce fut l’empereur qui à son tour vint au même lieu faire ses dévotions, et Chrysostôme, dans un autre discours, exalta sa piété et son humilité. Voilà jusqu’où l’on en était arrivé dans ce qui se nommait l’Église de Christ, de Celui qui reprochait aux Juifs de rechercher la gloire qui vient des hommes, et dont le royaume n’est pas de ce monde. Et si un homme tel que Chrysostôme, qui connaissait cependant les Écritures, donnait son approbation à de telles choses, quelles ténèbres devaient régner parmi les ignorants. La superstition allait grandissant, et la foi, qui seule sauve, était de plus en plus remplacée par de vaines formes.

Mais Chrysostôme avait à accomplir une œuvre plus belle, et où nous le voyons sous un autre jour. Les Goths, peuple barbare, avaient attaqué l’empire romain. Dans leurs incursions, ils avaient sans doute emmené, parmi leurs prisonniers, quelques chrétiens par lesquels ils apprirent à connaître le christianisme, et un grand nombre d’entre eux en vinrent à le professer. Persécutés par leurs propres rois, ces nouveaux chrétiens se réfugièrent dans certaines parties de l’empire romain où les empereurs leur permirent de s’établir. Ils étaient pour la plupart Ariens, sans bien savoir peut-être eux-mêmes ce qu’était cette profession religieuse ; mais l’empereur Valens, Arien lui-même, avait exigé d’eux qu’ils y adhérassent, sous peine d’être exclus du territoire de l’empire. Plusieurs étaient venus à Constantinople, et Chrysostôme, ému de compassion envers eux, se sentit pressé de prendre soin de leurs âmes. Il mit donc à part pour eux une des églises de Constantinople, fit traduire dans leur langue quelques portions des Écritures, et les leur fit lire par un prêtre de leur nation, qui leur adressait ensuite des exhortations. L’évêque lui-même prenait plaisir à venir parfois leur parler au moyen d’un interprète. Il eut toujours à cœur, et ce fut jusqu’à la fin une des préoccupations de sa vie, de répandre parmi les peuples barbares la connaissance de Christ. Dans ce but, il fit envoyer des missionnaires aux tribus des Goths et des Scythes qui habitaient sur les bords de la mer Noire ; plus tard, il s’efforça de convertir les païens, adorateurs d’Astarté (*), qui se trouvaient encore en grand nombre en Phénicie, et son zèle s’étendit jusqu’en Perse, chez les adorateurs du feu. On est heureux de voir brûler dans le cœur de Chrysostôme ce désir de faire connaître le nom de Christ. Il n’épargna pour cela ni ses peines, ni l’argent. Il y a encore de nos jours bien des peuples qui se prosternent devant les idoles, prions pour que la lumière de l’Évangile les éclaire, et pour les serviteurs de Dieu qui travaillent parmi eux.

 

(*) Astarté est cette divinité païenne que nous trouvons souvent mentionnée dans l’Ancien Testament sous le nom d’Ashtoreths ou Ashtaroth (voir Juges 2:13 ; 1 Samuel 7:4 ; 1 Rois 11:5, etc.).

Chrysostôme devait son élévation au siège de Constantinople à Eutrope. Cet homme ambitieux, avide de pouvoir et d’honneurs, espérait que l’évêque serait dans ses mains un instrument docile pour appuyer ses plans et ses desseins, qui étaient loin d’être toujours bons et justes. Mais il trouva en Chrysostôme un homme d’une tout autre trempe, qui ne craignait pas de blâmer, et même du haut de la chaire, ce qui ne lui semblait pas honorable et conforme à l’esprit chrétien, et cela chez les personnes les plus haut placées. Se mettre en opposition à Eutrope aurait exposé Chrysostôme à un grand danger, mais ce fut lui qui se vit bientôt appelé à protéger le hautain ministre. Voici dans quelle circonstance. Eutrope, irrité de l’influence toujours plus grande de l’impératrice et se croyant tout permis, s’emporta jusqu’à la menacer et lui faire entendre qu’il pourrait bien la faire chasser du palais. Eudoxie, profondément blessée, se plaignit avec véhémence à l’empereur. Celui-ci fit appeler Eutrope, le cassa de sa charge, lui retira tous ses biens, et lui ordonna de quitter le palais sous peine de la vie. Eutrope vit bien qu’il était perdu. L’impératrice avait donné ordre de le suivre et de le saisir ; il se savait détesté du peuple ; où se réfugier pour mettre sa vie à l’abri ? Autrefois, pour qu’aucun de ses ennemis ne pût lui échapper, il avait cherché à faire enlever aux églises le droit d’asile et n’y avait réussi que pour les criminels de lèse-majesté, c’est-à-dire d’offense contre l’empereur. Ce fut cependant là, dans l’église métropolitaine, que dans sa terreur il alla chercher un refuge. Poursuivi par les soldats et la populace qui demandaient sa vie, il souleva le voile qui cachait la table de communion, et embrassa une des colonnes qui la soutenaient. La foule envahissant l’église réclamait à grands cris le coupable, mais Chrysostôme refusa énergiquement de le livrer et, l’ayant fait cacher dans la sacristie, lui-même se présenta devant les soldats menaçants et demanda à être conduit auprès de l’empereur. Là il plaida la cause d’Eutrope de telle manière qu’Arcadius promit que la retraite du coupable serait respectée.

Le lendemain était un dimanche. Une foule immense remplissait l’église. Chrysostôme, choisissant pour texte les paroles de l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités ! Tout est vanité » (Ecclésiaste 1:2), les appliqua au cas d’Eutrope qui était hier tout-puissant et que l’on voyait aujourd’hui pâle, couvert de cendres et tremblant, agenouillé auprès de la table de communion. Dans son discours, l’évêque fit ressortir combien sont instables tous les biens et les honneurs que la terre peut offrir, et combien il est dangereux et coupable de s’y fier en méconnaissant les droits de Dieu. Espérons que les pensées des auditeurs auront été tournées de la gloire et des biens périssables, vers les biens invisibles qui sont éternels et que personne ne peut nous ravir.

Eutrope, sauvé pour le moment, fut quelque temps après conduit à l’île de Chypre, puis ramené à Chalcédoine où il fut décapité, après avoir été condamné comme coupable de lèse-majesté.

Chrysostôme, dans ces temps si troublés, n’eut pas seulement à s’occuper de son ministère, en cherchant à réprimer le mal, en évangélisant et exhortant les âmes, en plaidant pour les coupables, il eut, chose étrange à dire, à protéger l’empire contre les Barbares, et cela par la seule puissance de sa parole.

En l’an 400, l’armée des Goths, sous la conduite de leur général Gaïnas, qui aspirait à occuper le premier rang dans l’armée impériale, s’approcha de Constantinople et menaça de s’emparer de la ville, si l’empereur ne lui livrait pas trois de ses principaux officiers. Ceux-ci, pour sauver l’État et épargner à l’empereur la honte de les livrer, se rendirent eux-mêmes au camp du Barbare. Gaïnas les fit charger de chaînes et, pour jouir de leur terreur, ordonna à un soldat de les décapiter. Mais celui-ci, d’accord avec son maître, se contenta de les effleurer de la pointe de son glaive, et Gaïnas les garda comme prisonniers. Ce Goth était Arien de profession, et exigeait d’Arcadius que l’on donnât à ses coreligionnaires une église dans Constantinople. Arcadius ne sachant que faire devant un si terrible adversaire, le renvoya à Chrysostôme. L’évêque, zélé pour la vraie foi au Fils de Dieu, se rendit sans crainte au camp des Barbares, et parla à Gaïnas avec une telle autorité que celui-ci ne sut que répliquer. Il renonça à sa demande d’une église et, plus tard, ses prisonniers aussi furent délivrés. Gaïnas lui-même, attaqué et défait par un autre général goth, périt en fuyant. Tous ces événements étaient pour Chrysostôme des occasions de montrer au peuple la fragilité des choses terrestres.

Ce que nous venons de raconter montre combien étaient variés dans ces temps-là les devoirs d’un évêque d’une grande ville, d’un évêque au moins qui, quels que fussent ses manquements, avait à cœur le maintien du christianisme, pour autant qu’il le comprenait. À mesure que l’empire déclinait, les évêques furent ainsi appelés à se porter pour soutiens et défenseurs de leurs troupeaux contre les Barbares. Nous aurons encore l’occasion de le voir. Pour le moment, nous allons considérer Chrysostôme aux prises avec des difficultés plus grandes que celles qu’il avait rencontrées jusqu’alors.

L’austérité de Chrysostôme, son zèle pour réformer le clergé corrompu de Constantinople et pour réprimander les grands à cause de leur luxe et de leur mollesse, lui avaient fait beaucoup d’ennemis. L’impératrice, dont il ne pouvait flatter l’orgueil toujours plus grand, s’était aussi rangée contre lui. Cela encouragea ses ennemis à chercher une occasion de le perdre et de se débarrasser ainsi d’un censeur importun, et cette occasion se présenta bientôt.

L’église d’Éphèse, dont il est tant question dans le Nouveau Testament, était alors dans le plus triste état. Son évêque, indigne d’une telle charge, était mort, et plusieurs candidats se disputaient sa place, cherchant chacun à obtenir les suffrages du peuple en répandant de l’argent. Des partis se formaient ainsi, prêts à user de violence les uns contre les autres pour faire prévaloir leur candidat. Triste spectacle, pour une assemblée chrétienne. Le clergé de la ville, ne sachant comment mettre fin au désordre, demanda à Chrysostôme de venir les aider. Voici ce qu’on lui écrivait : « Depuis nombre d’années, nous sommes gouvernés contre toute règle et tout droit. Nous te prions donc de vouloir bien te rendre ici, afin que l’église des Éphésiens recouvre par tes soins une forme digne de Dieu. D’un côté les Ariens, d’un autre l’avidité et l’ambition des faux catholiques (*) nous déchirent à l’envi. Une foule de loups violents guettent leur proie, attendent de ravir par de l’argent le siège épiscopal ».

 

(*) On nommait catholiques, par contraste avec les Ariens, ceux qui retenaient la confession de foi de Nicée.

Chrysostôme, bien que malade, partit sur le champ. Son premier soin, fut de proposer à l’église d’Éphèse comme évêque, Héraclide, diacre pieux et versé dans la connaissance des Écritures. Son avis fut adopté. Héraclide fut élu, puis consacré par Chrysostôme. Mais les candidats ainsi écartés, augmentèrent le nombre de ses ennemis. Il ne s’arrêta pas là. Il parcourut diverses provinces et déposa plusieurs évêques contre lesquels il avait reçu des plaintes, et dont quelques-uns étaient certainement tout à fait indignes d’occuper leur charge, et il les remplaça par d’autres. En tout cela, il était poussé par son zèle pour la justice et ce qu’il considérait son devoir envers Christ. Mais sa rigidité soulevait contre lui ceux à l’égard desquels il l’exerçait.

Pendant ce temps, on machinait sa ruine à Constantinople. Il avait laissé à Sévérien, évêque de Gabales, qu’il croyait son ami, le soin de le remplacer. Mais Sévérien, homme plein de vanité, se laissa gagner par les avances de l’impératrice et des ennemis de Chrysostôme, dont on lui faisait espérer le siège. Deux évêques étrangers, Antiochus et Acacius, venus à Constantinople, se laissèrent aussi engager dans le complot. Sérapion, archidiacre de Chrysostôme et son ami, le pressait de revenir pour s’opposer aux menées de ceux qui voulaient le perdre. Mais Chrysostôme désirait achever sa tournée. Enfin, au bout de trois mois d’absence, il rentra à Constantinople. Le peuple, averti de son retour, accourut avec joie à la rencontre de son évêque bien-aimé, le bienfaiteur infatigable des pauvres, dont la vie simple et dévouée était d’accord avec son enseignement.

Chrysostôme ne pouvait faire autrement que reprendre Sévérien de la manière dont il avait agi pendant son absence. Il blâma sa conduite mondaine, sa présence aux festins de la cour, ses visites fréquentes au palais impérial. « Toi et Antiochus, lui dit-il, vous menez la vie de parasites et de flatteurs ; vous êtes devenus la fable de la ville ». Malheureusement ces reproches bien mérités, au lieu d’atteindre la conscience de Sévérien, ne firent qu’augmenter son ressentiment contre Chrysostôme.

Celui-ci alla plus loin. Prêchant sur un passage du livre des Rois (1 Rois 18:19), il attaqua publiquement ceux qui menaient cette vie de parasites à la table des grands et de l’empereur. « Rassemblez autour de moi, dit-il, ces prêtres du déshonneur qui mangent à la table de Jézabel, afin que je leur dise comme autrefois Élie : Jusqu’à quand hésiterez-vous entre les deux côtés ? Si Baal est Dieu, suivez-le. Si la table de Jézabel est Dieu, mangez-y jusqu’au vomissement ». Que Chrysostôme y eût pensé ou non, ses ennemis irrités par ces paroles énergiques qui les condamnaient, se hâtèrent de les rapporter à l’impératrice, comme s’il avait voulu la désigner sous le nom de Jézabel. L’impératrice n’oublia pas ce fait. Ainsi s’accroissait l’inimitié contre lui.

Sérapion avait accusé Sévérien d’avoir blasphémé contre Christ. Chrysostôme ajouta trop facilement foi aux paroles de l’archidiacre. Il déposa Sévérien et le bannit de la ville. L’impératrice qui favorisait Sévérien, demanda à Chrysostôme de lever l’interdiction qu’il avait prononcée, et comme il refusait de céder à ses sollicitations, Eudoxie, un jour de grande fête, entra dans l’église avec son jeune fils dans ses bras et le déposa sur les genoux de Chrysostôme. Puis les mains étendues sur la tête de l’enfant, elle conjura l’évêque de pardonner à Sévérien. Quelle scène étrange ! Chrysostôme ne put refuser, il pardonna et la réconciliation eut lieu publiquement. Mais ce n’était qu’un répit. Les ennemis de l’évêque poursuivaient toujours le plan qu’ils avaient formé de se débarrasser de lui.

Un incident leur en fournit l’occasion. Théophile, cet évêque d’Alexandrie, qui avait été forcé par Eutrope de consacrer Chrysostôme, était resté depuis ce temps son ennemi acharné, et le moment était arrivé où il put assouvir sa haine. Il est triste d’avoir à parler ainsi d’hommes qui étaient à la tête de l’Église, mais c’est la vérité, et cela nous montre ce que peut cacher le cœur de l’homme sous des apparences religieuses. Le trait suivant le fait voir d’une manière frappante. Il y avait dans les déserts de Nitrie et de Scété près de l’Égypte, des moines qui avaient pour supérieurs quatre frères que l’on nommait « les longs frères ». Ce nom étrange leur venait de leur haute stature. C’étaient des hommes simples, paisibles, pieux, respectés de tous, s’occupant beaucoup de l’étude des Saintes Écritures, dans lesquelles ils étaient très versés. Ils étaient bien connus de Théophile qui voulut invoquer leur témoignage pour faire condamner un homme innocent, leur ami. Ils refusèrent et Théophile, furieux, les accusa d’hérésie, les fit traîner en prison, et alla jusqu’à les maltraiter. Puis prenant une troupe de soldats, il les conduisit lui-même dans le désert et leur ordonna de saccager et détruire les pauvres cellules tant des « longs frères » que des autres moines, et de brûler leurs livres. Voilà comment agissait un homme qui se disait évêque de Christ surveillant du troupeau qu’il devait paître avec amour. Les pauvres moines poursuivis par la haine de Théophile, obligés de fuir de lieu en lieu, résolurent enfin d’aller à Constantinople porter leurs griefs devant l’empereur et se mettre sous la protection de Chrysostôme. Celui-ci les reçut bien, après s’être assuré qu’ils ne tenaient aucune doctrine hérétique, mais les engagea à ne point adresser de requête à l’empereur. « C’est à l’Église, leur dit-il, de juger les choses de l’Église. Les tribunaux temporels n’ont rien à voir dans les débats qui intéressent le service de Dieu ». N’avait-il pas raison ? On peut lire à ce sujet ce que Paul dit en 1 Corinthiens 6:1-4.

Malgré l’avis de Chrysostôme, « les longs frères » impatientés d’attendre, présentèrent une requête à l’impératrice qui prit chaudement leur cause en mains. Un concile fut convoqué à Constantinople, et Théophile fut sommé d’y paraître pour répondre aux accusations portées contre lui. Il ne pouvait refuser d’obéir, mais rusé et habile comme il l’était, sachant combien Chrysostôme avait d’ennemis, il résolut de s’associer à eux, et d’accusé qu’il était, de se porter accusateur, et ainsi de faire tomber la condamnation qui le menaçait sur Chrysostôme lui-même. Il réussit à accomplir son dessein.

Après avoir donné ordre à vingt-huit évêques égyptiens de venir le rejoindre, il partit et débarqua à Constantinople avec une troupe de grossiers marins du port d’Alexandrie, tout dévoués à sa personne : singulière escorte pour un ministre de Christ ! Il apportait aussi de riches présents et abondance d’argent pour gagner ceux qu’il pourrait ainsi acheter. Il ne voulut point loger chez Chrysostôme, refusant toute communication avec lui, et ne s’arrêta même pas dans l’église pour rendre grâces, ainsi que c’était la coutume, mais se rendit avec faste à l’un des palais impériaux qui lui avait été préparé. Ensuite, par de somptueux banquets et par les dons des choses précieuses ou d’argent qu’il sut répandre avec habileté, il gagna bientôt la faveur du clergé et des principaux citoyens. Telle était la conduite d’un homme qui se disait évêque ou surveillant du troupeau.

L’empereur, cependant, avait été ému par les plaintes des « longs frères ». Un évêque et quatre abbés qui les avaient calomnieusement accusés de crimes de lèse-majesté et de magie, avaient confessé que les faits étaient faux et qu’ils n’avaient agi que pour obéir à Théophile. Ils avaient été déclarés coupables et condamnés à la peine de mort.

L’empereur, blessé dans ses sentiments religieux par la conduite de Théophile, eut la pensée de le faire traduire pour ces faits devant le futur concile. Il fit d’abord venir Chrysostôme pour le charger d’aller interroger Théophile. Mais Chrysostôme refusa respectueusement. « Je ne puis, dit-il, concourir à faire juger un évêque en dehors des limites de sa province. Les canons le défendent ». Sa conscience d’ailleurs ne lui permettait pas de se porter juge d’un ennemi déclaré. Théophile, par l’honnêteté de Chrysostôme, se trouva ainsi délivré d’un grand danger. Il fut libre alors de se tourner contre celui qui venait de l’épargner si généreusement, et il ne manqua pas de le faire. Au lieu de se montrer reconnaissant, il résolut de faire accuser Chrysostôme devant le concile qui avait été convoqué et de provoquer sa condamnation. Mais comme on craignait que la grande affection du peuple de Constantinople pour son évêque ne suscitât des troubles, les ennemis de Chrysostôme réussirent à faire transférer le concile à Chalcédoine, faubourg de Constantinople, mais de l’autre côté du Bosphore, et dans un endroit nommé « le Chêne », de sorte que le concile est souvent appelé de ce nom.

Trente-six évêques, et plus tard quarante-quatre, la plupart égyptiens et tout dévoués à Théophile, joints aux autres ennemis de Chrysostôme, composaient le concile ou synode. Le reste des évêques convoqués, une quarantaine environ, demeurèrent à Constantinople avec Chrysostôme auquel ils étaient attachés. Une liste de vingt-neuf chefs d’accusation fut dressée contre Chrysostôme par l’archidiacre de son église, homme haineux et brutal, qui ne pouvait lui pardonner de l’avoir autrefois éloigné de son clergé pour un acte de violence commis envers un enfant qui le servait. Plusieurs de ces accusations étaient frivoles, et le plus grand nombre dénuées de fondement et évidemment calomnieuses. Parmi les plus graves étaient celles d’avoir détourné des fonds appartenant à l’église, et d’avoir outragé l’impératrice qu’on l’accusait d’avoir désignée sous le nom de Jézabel. C’était un crime de lèse-majesté, entraînant le bannissement ou la peine de mort.

Tandis qu’à Chalcédoine on tramait sa perte, les évêques restés fidèles à Chrysostôme étaient rassemblés autour de lui, parlant de la méchanceté de Théophile, et exprimant leurs craintes au sujet de leur ami. Mais Chrysostôme prenant la parole, leur dit : « Priez, mes frères, et si vous aimez le Christ, que personne de vous n’abandonne son église à cause de moi, car je puis dire avec l’apôtre : Le temps de mon immolation est proche ; j’ai combattu et achevé ma course (voir 2 Timothée 4:6-7). Je connais Satan et ses ruses ; il ne peut plus supporter la guerre que lui font mes enseignements. Que Dieu me fasse miséricorde ! Mes frères, souvenez-vous de moi dans vos prières ». Tous pleuraient en l’entendant. Quelques-uns, comme ne pouvant plus supporter cette scène, après avoir baisé l’évêque, voulaient sortir. « Restez », leur dit-il, « restez, mes frères ; asseyez-vous et cessez de pleurer, de peur de m’attendrir davantage. Je vous le répète : Christ est ma vie, et mourir m’est un gain » (Philippiens 1:21). Il disait cela, parce que le bruit courait qu’il serait mis à mort pour outrages à l’impératrice.

Quelle différence entre cette réunion d’hommes pieux, avec leur ami qui les encourageait par des paroles de l’Écriture, résigné qu’il était à ce que Dieu voudrait faire de lui, et ce synode où, comme nous allons encore le voir, la haine et la violence se déchaînaient contre un homme qui n’avait eu à cœur que le bien ! L’une de ces scènes repose de la tristesse que cause l’autre.

Le synode du Chêne avait envoyé à Chrysostôme deux délégués pour le sommer de comparaître. Ils furent introduits et donnèrent lecture de la lettre qui lui était adressée dans ce but. Elle était conçue en des termes si outrageux que les évêques ne purent contenir leur indignation. Ils écrivirent une protestation adressée à Théophile : « Cesse », disaient-ils, « de bouleverser et diviser l’Église. Ne cherche pas, comme Caïn, à attirer Abel dans les champs. C’est à nous, qui sommes plus nombreux que vous, de te juger pour les crimes que tu as commis et dont nous avons les preuves ». Chrysostôme écrivit aussi pour dire aux évêques réunis au Chêne, qu’ils devaient avant tout exclure de leur synode ses ennemis avoués, tels que Théophile, Sévérien et d’autres, que sans cela il ne se présenterait pas. Ces lettres furent portées par trois évêques et deux prêtres.

Mais ils étaient à peine sortis que, coup sur coup, arrivèrent deux nouvelles sommations à comparaître, tant les ennemis de Chrysostôme avaient soif de le tenir entre leurs mains. La première était apportée par un notaire impérial, et la seconde par deux prêtres indignes de l’église de Constantinople. Chrysostôme refusa encore en donnant les mêmes raisons, et envoya trois évêques porter sa réponse. En l’entendant, l’assemblée des évêques fut saisie de fureur, et la chambre du concile présenta l’aspect d’une caverne d’assassins plutôt que de serviteurs de Christ. Ils se jetèrent sur les envoyés de Chrysostôme, les injuriant, déchirant leurs vêtements et les frappant avec violence. L’un d’eux fut attaché par le cou avec la chaîne que l’on avait préparée pour Chrysostôme, puis traîné hors de l’église, jeté dans une barque et abandonné à la dérive dans le courant du détroit !

Par deux fois encore, Chrysostôme fut sommé de comparaître. Sur son refus et pour forcer l’empereur d’intervenir, on dressa une liste d’accusations plus graves. Mais rien de tout cela n’ayant abouti, le concile procéda à l’audition des témoins, puis à la déposition de Chrysostôme. Quant au crime de lèse-majesté, le concile ne pouvait rien ordonner et laissait à l’empereur de prononcer de ce fait le bannissement du coupable. Arcadius ratifia la décision du concile.

Quand la sentence fut connue à Constantinople, la ville fut remplie du plus grand trouble. Le peuple se rassembla autour de la basilique et de la demeure de son évêque, afin de le protéger. On faisait dans les rues des processions, où des prières et des supplications étaient adressées à Dieu pour la vie de Chrysostôme. Tous demandaient hautement un concile général qui jugerait des faits. D’un autre côté, malgré les sollicitations des ennemis de l’évêque, l’empereur ne voulait pas user de violence pour le faire partir, car un mot ou un signe de l’évêque aurait suffi pour soulever le peuple. Mais Chrysostôme, au contraire, l’exhortait à la résignation et à la patience. « Gloire soit à Dieu pour toute chose », avait-il coutume de dire.

Cependant, le second jour après la déposition de Chrysostôme, Sévérien eut l’audace de monter en chaire dans une église et, dans son discours, de dire que c’était l’orgueil qui avait perdu Chrysostôme, et que cela seul suffisait pour justifier sa condamnation. À l’ouïe de ces paroles, l’auditoire indigné se souleva avec une telle violence que le lâche Sévérien ne s’échappa qu’à grand-peine. Chrysostôme ayant appris ce qui s’était passé, se rendit dans la basilique et fit au peuple un discours dont voici quelques paroles : « Une furieuse tempête nous assaille ; mais que craindrions-nous ? Nous sommes fondés sur le roc. Que les flots s’enflent, le navire de Jésus ne sombrera pas. Qu’ai-je à craindre, je vous prie ? La mort ? Mais Christ est ma vie, et la mort m’est un gain. L’exil ? Mais la terre entière est au Seigneur. La confiscation des biens ? Mais je n’ai rien apporté dans ce monde, et je n’en emporterai rien ». Nous trouvons là, n’est-ce pas, des sentiments qui convenaient bien à un chrétien. Il en est de même des paroles qui suivent, et par lesquelles l’évêque exprime son désir de rester avec son troupeau pour le bien spirituel de celui-ci. Mais il eût été préférable qu’il s’abstînt de certaines paroles. Après avoir dit ce qui était vrai : « Savez-vous, frères bien-aimés, pourquoi l’on veut me perdre ? C’est que je ne fais point tendre devant moi de riches tapis, que je n’ai pas voulu porter des vêtements d’or et de soie, et que je ne fais point de festins pour satisfaire la gourmandise de certaines gens », il ajouta : « Il reste de la postérité de Jézabel, mais la grâce combat encore avec Élie. Hérodias danse encore en demandant la tête de Jean, et on la lui donnera, parce qu’elle danse ». Il désignait ainsi l’impératrice. C’était aller trop loin et manquer au respect dû aux puissances établies. La parole de Dieu dit : « Rendez à tous ce qui leur est dû… à qui l’honneur, l’honneur » (Romains 13:7).

Ce discours fut sans doute rapporté à Eudoxie, car, le lendemain, un comte impérial vint ordonner à Chrysostôme de quitter la ville sur-le-champ. « Un navire est prêt », lui dit-il, « et j’ai ordre de te faire enlever par des soldats, si tu résistes ». L’évêque répondit : « Me voici, conduisez-moi où vous voudrez » ; mais il savait que le peuple voudrait le défendre s’il s’apercevait qu’on l’emmenait, et qu’il y aurait une terrible effusion de sang. Aussi, accompagné d’un garde, il sortit par une porte dérobée, et se cacha jusqu’au soir dans une maison voisine. La nuit venue, lui et son gardien se mirent en route pour le port. Mais il fut reconnu par quelques personnes, et le bruit se répandit qu’on l’enlevait. Aussitôt une foule accourut pour s’opposer à son départ ; mais lui avec autorité, leur dit : « Laissez-moi partir ; je dois obéir à l’empereur, et je ne veux pas qu’une goutte de sang de mon peuple soit versée pour moi ». Il s’embarqua, et le navire le conduisit à Hiéron, à l’entrée de la mer Noire. Mais cet endroit était très rapproché de Chalcédoine où ses ennemis se trouvaient encore. Craignant une embûche de leur part pour s’emparer de sa personne, il loua une barque avant que le jour fût levé, et se fit conduire plus loin, à la petite ville de Prénète. Dans le voisinage, se trouvait une villa dont il connaissait le maître, et il s’y réfugia.

Cependant, à Constantinople, la foule et les amis de Chrysostôme, courant aux églises et remplissant toutes les places, les portiques, et jusqu’aux portes du palais impérial, faisaient retentir l’air de leurs prières et du cri : « Qu’on rassemble un concile général ! » D’un autre côté, Théophile, fier de sa victoire, déposait les prêtres attachés à Chrysostôme et en nommait d’autres de son parti. Mais lorsqu’ils voulurent prendre possession chacun de son église, le peuple s’y opposa. Théophile, ayant voulu pénétrer dans la basilique, fut repoussé. Les grossiers Égyptiens de son escorte tirèrent leurs armes ; le peuple résista énergiquement. Le baptistère et l’église furent inondés de sang et remplis de cadavres. Les soldats arrivèrent, non pour mettre fin à la lutte, mais pour soutenir le parti de Théophile, et bientôt, non seulement la basilique, mais chaque église devint un lieu de carnage.

Tel fut le triste spectacle donné par la passion, l’ambition et la haine d’un évêque soi-disant chrétien. Quelle triste chose, et où en étaient venus les serviteurs de l’Église de Celui qui était doux et humble de cœur ! Mais il semble que Dieu n’ait pas voulu laisser sans avertissement ceux qui profanaient ainsi son nom et celui de son Fils. Dans la nuit, soudainement, un tremblement de terre ébranla la ville, et surtout le centre, les quartiers opulents, et particulièrement celui où se trouvait le palais impérial. Dans la chambre de l’impératrice, le lit, violemment soulevé fut projeté sur le pavé. Saisie de terreur, Eudoxie, pâle et les cheveux épars, se précipita dans la chambre de l’empereur, et se jetant à genoux, le supplia de rappeler sans retard Chrysostôme pour détourner la colère du ciel. « L’homme qu’on nous a fait bannir est un juste », dit-elle, « et Dieu se charge de le venger ». Dès que l’empereur lui eut accordé sa demande, elle se hâta d’écrire à Chrysostôme, et envoya courrier sur courrier pour précipiter son retour. On eut de la peine à le trouver, mais enfin le lieu de sa retraite ayant été découvert, on le pressa de partir. Il hésitait, craignant quelque embûche, mais l’arrivée d’un officier de l’impératrice qu’il savait lui être attaché, dissipa ses craintes, et il s’embarqua.

C’était la nuit, et en approchant de Constantinople, Chrysostôme vit la mer couverte de barques portant des milliers de torches, et d’autres milliers encore qui garnissaient le rivage. C’était le peuple accouru pour souhaiter la bienvenue à son évêque. Celui-ci hésitait à entrer dans la ville avant qu’un concile général l’eût absous. L’impératrice insistait pour qu’il revînt, et enfin le peuple l’alla chercher et l’amena malgré sa résistance à la basilique. Là on l’obligea de s’asseoir sur le siège épiscopal, et la foule prosternée lui demanda sa bénédiction. Il la donna, puis du haut de la chaire, il prononça des paroles de bienveillance à l’égard de l’impératrice à qui il disait devoir son retour. La paix sembla encore une fois rétablie entre Chrysostôme et l’impératrice. L’évêque avait repris sa place, et son premier soin avait été d’épurer son clergé en remplaçant les prêtres qu’avait établis Théophile. Mais cette paix n’avait point de fondements solides. Deux mois à peine s’étaient écoulés que de nouveau la guerre avait éclaté. L’orgueil de l’impératrice Eudoxie en fit naître l’occasion.

Bien qu’Eudoxie gouvernât en réalité l’empire par l’ascendant qu’elle avait pris sur Arcadius, elle aspirait à de plus grands honneurs. Elle voulait un rang égal à celui de son mari et le titre d’Augusta. Comme telle, des statues devaient lui être dressées et présentées à l’adoration du peuple. C’était une coutume des païens que les empereurs avaient conservée en vue d’augmenter leur prestige vis-à-vis du peuple. C’était une forme d’idolâtrie que la parole de Dieu n’autorise pas, bien qu’elle commande le respect et la soumission envers les autorités établies. Un ange lui-même ne permettait pas à Jean de lui rendre hommage : « Rends hommage à Dieu », lui disait-il (Romains 13:1-7 ; Apocalypse 22:8-9). Arcadius céda à la demande d’Eudoxie, et le sénat de Constantinople le ratifia par son vote.

Eudoxie fit donc ériger, sur une grande place, en face de la basilique de Sainte Sophie, une colonne de porphyre, sur laquelle fut placée sa statue en argent. L’inauguration en fut accompagnée, selon l’usage, de toutes sortes de réjouissances publiques, danses, représentations théâtrales, divertissements bruyants et licencieux, comme au temps du paganisme.

Chrysostôme avait toujours eu en horreur les spectacles. Il les considérait comme des inventions de Satan pour pervertir les âmes, et il avait raison. Rien n’est plus propre à détourner le cœur de Christ et des choses saintes, et à remplir les pensées et l’imagination de vanité et souvent d’impureté. Là se trouvent satisfaites la convoitise de la chair et la convoitise des yeux, contre lesquelles les jeunes gens sont mis en garde (1 Jean 2:15-17). Pour Chrysostôme, voir ces choses se produire devant la basilique ou se rassemblaient les fidèles, entendre les cris et les applaudissements du dehors venant troubler le chant des cantiques et les instructions qu’il donnait à son troupeau, c’était une chose intolérable. Il s’en plaignit au préfet de la ville qui lui répondit que c’était la coutume, mais qu’il en référerait à l’impératrice. Cependant le lendemain, il sembla à Chrysostôme que le bruit avait redoublé. Cédant à son caractère impétueux, il monta en chaire, et dans son discours s’éleva avec force contre ces jeux profanes, contre ceux qui y prenaient part, contre les autorités qui les toléraient, et même contre celle en l’honneur de qui on les donnait. Il fit même encore allusion, dit-on, à Hérodias demandant la tête de Jean. Il montrait sans doute ainsi un grand zèle pour les choses saintes, mais, comme nous l’avons dit, il devait s’abstenir de parler contre les autorités ; ce n’était pas selon Dieu.

Ses ennemis, évêques et courtisans, saisirent cette occasion pour exciter contre lui l’impératrice. Celle-ci, irritée, demanda satisfaction à l’empereur. Mais comment faire condamner Chrysostôme ? Les évêques de la cour en suggérèrent le moyen. Chrysostôme avait souvent insisté pour qu’un concile général fût convoqué afin de l’absoudre de toutes les accusations portées contre lui au synode du Chêne. On rappela cette demande, et l’on pressa l’empereur de convoquer ce concile, où les évêques se faisaient forts d’obtenir la condamnation de Chrysostôme. C’est ainsi que leur haine poursuivait un homme dont au fond le seul crime était de chercher à faire mener une vie chrétienne à ceux qui se disaient chrétiens. Sa conduite austère condamnait leur amour du luxe, des richesses et de la faveur des grands, et ils ne le lui pardonnaient pas.

Le concile se réunit au commencement de l’année 404. Sur une centaine d’évêques présents, quarante seulement étaient favorables à Chrysostôme. Théophile d’Alexandrie avait été sollicité de venir présider le concile. Il refusa par crainte du peuple de Constantinople, à la colère duquel il n’avait échappé autrefois qu’à grand-peine. Mais il fournit par écrit l’arme perfide qui devait perdre Chrysostôme. Il rappela qu’il y avait un canon d’un concile tenu à Antioche en 344, portant que, si un évêque déposé par un concile reprenait sa charge de sa propre autorité, sans avoir été absous par un autre concile de la condamnation prononcée contre lui, il serait excommunié. Or, disaient les ennemis de Chrysostôme, il a été condamné par le concile du Chêne, il est remonté sur son siège épiscopal sans avoir été absous, de fait il est donc excommunié. À cela, les défenseurs de Chrysostôme répondirent qu’il n’était pas rentré de sa propre autorité, mais que, banni par l’empereur, il avait été rappelé par l’empereur ; que d’ailleurs le synode du Chêne ne pouvait être considéré comme un concile, puisqu’il n’était composé que de ses adversaires déclarés, les autres évêques étant restés avec lui ; et qu’enfin les canons du concile d’Antioche ne pouvaient être invoqués, puisque c’était un concile arien convoqué pour condamner Athanase, le défenseur de la vraie foi.

Les discussions se prolongeaient, et la fête de Pâques approchait. C’était une des grandes solennités religieuses, et l’empereur indécis se demandait ce qu’il aurait à faire. Chrysostôme était-il encore évêque ou non ? Pouvait-il communier avec lui ? Poussés par l’impératrice, les évêques ennemis de Chrysostôme se rendirent auprès de l’empereur et lui affirmèrent que la majorité du concile condamnait Chrysostôme, et qu’ainsi il était excommunié. Arcadius les crut et envoya un de ses officiers signifier à l’évêque qu’il eût à quitter sur-le-champ son église. Chrysostôme répondit avec calme et fermeté : « Je ne le puis. Dieu lui-même m’a confié cette Église pour prendre soin de son troupeau ; je ne l’abandonnerai pas. L’empereur peut me faire sortir de force ; la violence sera mon excuse devant Dieu ».

L’empereur recula devant la pensée d’employer la force. Il se contenta d’ordonner à Chrysostôme de demeurer comme prisonnier dans sa maison, et de ne point paraître dans la basilique. L’évêque se soumit d’abord, mais le samedi qui précédait le jour de Pâques approchant, il fut pris de remords. C’était le jour où les catéchumènes recevaient le baptême. Plus de 3000 devaient s’y présenter, et c’était l’évêque qui, après les avoir instruits durant toute l’année, présidait la cérémonie. Chrysostôme estimait que c’était son devoir devant Dieu de se trouver là, et, quel que fût le danger auquel il s’exposait, il résolut d’obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, dût-il y laisser sa vie.

Le samedi matin, il se rendit donc à la basilique. Ses gardiens n’osèrent le retenir, mais avertirent l’empereur. Celui-ci, ne sachant que faire, fit appeler les évêques Antiochus et Acacius, deux des adversaires déclarés de Chrysostôme, et leur dit : « Vous voyez le fruit de vos conseils ; que faut-il faire ? ». Tous deux dirent : « Chrysostôme n’est plus évêque ; il n’a pas le droit d’administrer le baptême ; nous prenons sa condamnation sur nos têtes ». L’empereur, rassuré par ces paroles et heureux de rejeter sur d’autres la responsabilité de ce qu’il allait faire, envoya des soldats avec ordre de reconduire de force Chrysostôme dans sa maison.

C’était le soir du samedi. Une grande foule remplissait la basilique. Les catéchumènes, dépouillés de leurs vêtements de dessus, descendaient avec ordre dans les piscines où ils étaient baptisés, lorsque tout à coup un grand bruit se fait entendre : des soldats, l’épée au poing, se précipitent dans la basilique, saisissent rudement Chrysostôme qu’ils entraînent vers sa demeure. Puis les uns, la plupart païens, courent vers le chœur et y commettent toutes sortes de profanations, tandis que les autres se dirigent vers les baptistères et les font évacuer à coups d’épées. Plusieurs des prêtres et des catéchumènes furent blessés, et, comme le dit un témoin oculaire : « Les eaux de la régénération furent souillées de sang humain ».

Les catéchumènes, chassés de la basilique, se réfugièrent avec les membres du clergé, prêtres, diacres et diaconesses, dans les Thermes de Constance, le plus spacieux des bains publics de la ville. Un grand nombre de personnes les y suivirent. On consacra les eaux des bains, et la cérémonie baptismale continua. En apprenant ce fait, les évêques irrités pressèrent un magistrat supérieur de chasser ces factieux qui, disaient-ils, osaient braver l’empereur. Le magistrat leur donna un de ses officiers nommé Lucius qui commandait une troupe composée en partie de rudes paysans thraces à moitié barbares, mais il défendit d’employer la violence. L’officier s’efforça de persuader à la foule de se séparer, mais il ne fut pas écouté. Il retourna au palais prendre de nouveaux ordres, et là, l’évêque Antiochus, après s’être raillé de lui, lui promit de l’avancement s’il exécutait, disait-il, les ordres de l’empereur. En même temps, il donna de l’argent aux soldats. Lucius, accompagné d’ecclésiastiques que lui avait donnés Antiochus, retourna aux Thermes. Il n’y fit plus de discours, mais donnant à ses soldats l’exemple de la violence, il s’élança dans la piscine, frappant, et les catéchumènes, et ceux qui administraient le baptême. Les soldats imitèrent leur chef, et de nouveau, de grandes violences furent commises. La foule fut dispersée et poursuivie à coups d’épée, et durant toute la semaine qui suivit Pâques, les persécutions continuèrent contre ceux qui restaient attachés à Chrysostôme, leur évêque légitime. Les prisons furent remplies de citoyens, de prêtres et de catéchumènes, qui le reconnaissaient comme tel. On leur donna le nom de « joannites », comme s’ils avaient formé une secte en dehors de l’Église. Pour eux, ils acceptaient avec joie les mauvais traitements, et faisaient retentir du chant des psaumes les prisons, devenues, dit un contemporain, les vraies églises de Dieu.

Quelles scènes étranges ! Jusqu’où était tombée l’Église de Christ !

 

Malgré les efforts des évêques amis de Chrysostôme, le concile prononça sa déposition et son excommunication, et deux mois après, ses ennemis arrachèrent à l’empereur l’ordre de son bannissement. Cette fois, ce fut sans retour. Après avoir prié avec eux, il prit congé des évêques qui lui étaient restés fidèles, et ensuite il dit adieu aux diaconesses de son église, femmes pieuses et dévouées qui lui étaient très attachées. « Je sens », leur dit-il, « que tout est fini ; ma course est achevée et vous ne verrez plus mon visage… Souvenez-vous de moi dans vos prières ». Il sortit secrètement de sa demeure pour éviter un soulèvement du peuple, se remit entre les mains des gardes, et gagna le port où il s’embarqua. Le navire l’eut bientôt emporté et déposé sur le rivage d’Asie.

Chose étrange, tandis qu’il s’éloignait ainsi de Constantinople, une tempête violente fondit sur la ville, et un incendie, allumé par on ne sait quelles mains, consuma la magnifique basilique de Sainte Sophie et la Curie ou palais du Sénat. Le feu menaça même la demeure de l’empereur.

Chrysostôme ignorait quel serait le lieu de son exil. Il l’apprit à Nicée. On l’envoyait à Cucuse, petite ville pauvre, sans ressources, perdue au fond d’une vallée sauvage du Taurus, exposée en été à des chaleurs brûlantes et aux froids les plus rigoureux en hiver, et de plus menacée souvent par les incursions de bandes de brigands. Quelque pénible que fût cette perspective pour un vieillard faible et souffrant, Chrysostôme l’accepta avec résignation. « Ne vous tourmentez pas », écrivait-il à Olympias, une de ses diaconesses, « de ce que vous n’avez pu obtenir pour moi la résidence que je désirais ; je suis résigné à celle-ci. Gloire à Dieu en toutes choses ! Je ne cesserai de le dire, quoi qu’il advienne ».

Ce fut un long et pénible voyage pour Chrysostôme, à travers un pays inculte et pauvre, sous un soleil torride, sans un ombrage ni un souffle d’air. Aussi arriva-t-il exténué à Césarée en Cappadoce. Il aurait aimé à s’y arrêter pour se reposer, mais la malveillance de l’évêque de cette ville et la haine de moines fanatiques et brutaux le forcèrent à partir.

Enfin, soixante-dix jours après avoir quitté Constantinople, il arriva à Cucuse. Là, il fut bien accueilli par l’évêque et par le gouverneur de la ville, et un riche habitant de l’endroit mit à sa disposition sa maison. Il passa environ trois ans dans cette ville. Si le reste de l’année le climat était supportable, les hivers y étaient des plus rudes, et le pauvre vieil évêque fut obligé de rester renfermé dans sa chambre, et même de ne pas quitter son lit, pour éviter le froid qui pénétrait partout. Chrysostôme cependant ne demeurait pas inactif dans son exil. Il écrivait à ses amis pour les encourager et les conseiller. Il excitait le zèle des chrétiens à extirper les restes du paganisme en Phénicie, et s’occupait à faire pénétrer le christianisme chez les Visigoths et en Perse. En même temps, il employait l’argent qu’il recevait à des œuvres de bienfaisance et à soulager les besoins de ceux qui l’entouraient.

Mais cette activité, l’influence qu’il exerçait toujours bien qu’exilé, le respect dont il était entouré, l’affluence des visiteurs qui venaient consoler sa solitude, tout cela ravivait la haine des ennemis du pieux évêque. L’impératrice Eudoxie n’était plus, il est vrai ; une maladie cruelle l’avait emportée trois mois et demi après le départ de Chrysostôme. Mais les évêques, acharnés dans leur haine contre lui, obtinrent de l’empereur qu’il fut transféré d’abord à Arabissus, lieu plus froid, plus désolé, et surtout plus isolé que Cucuse, et cela ne leur suffisant pas encore, ils parvinrent à le faire exiler si loin que sa voix ne pourrait plus se faire entendre. Ils espéraient aussi abréger ainsi sa vie. On choisit pour cela le pire endroit de l’empire, la petite ville de Pithyonte, au pied du Caucase.

Les ordres les plus rigoureux furent donnés pour le voyage qui devait se faire à pied, le plus rapidement possible, sans égards pour la faiblesse et l’état maladif du vieillard. On devait éviter les villes et les endroits où l’exilé aurait pu trouver quelque soulagement ou être l’objet de quelque intérêt. Afin d’assurer l’exécution de ces ordres barbares, on avait choisi pour chefs de l’escorte du prisonnier deux officiers que l’on savait rudes et brutaux, leur promettant de l’avancement s’ils s’acquittaient bien de leur tâche, et leur assurant cette récompense même si l’exilé mourait en route.

Le voyage commença donc. Le chemin à suivre était des plus pénibles. Sans pitié pour le vieillard, ses gardes le faisaient marcher la plupart du temps à pied, souvent sous des pluies torrentielles, ou, ce qui était un supplice bien plus douloureux, nu-tête (et Chrysostôme était chauve) sous les rayons d’un ardent soleil ; car c’était en été. Après trois mois de cette marche pénible, on n’était arrivé qu’à Comane, au tiers de la distance à parcourir. C’était une grande ville bien approvisionnée, où Chrysostôme aurait pu trouver quelque repos. Mais bien qu’il se traînât à peine, les gardes impitoyables, accomplissant les ordres reçus, le forcèrent à poursuivre sa route, et ne s’arrêtèrent qu’à cinq ou six milles de la ville, près d’une petite chapelle érigée sur la tombe du martyr Basilisque qui, au IIIe siècle, avait souffert pour la foi. Là on devait passer la nuit. Chrysostôme, entièrement épuisé, fut transporté et déposé dans une salle attenante à la chapelle. On raconte que, pendant son sommeil, l’exilé songea qu’il voyait le martyr se tenant debout à son côté et lui disant : « Aie bon courage, Jean, mon frère, demain nous serons ensemble ». Le prêtre qui desservait la chapelle, avait, dit-on, vu aussi en vision le martyr qui lui disait : « Prépare une place pour notre frère Jean ».

Quoi qu’il en soit, le matin venu, l’escorte se prépara à partir. Le prêtre, voyant l’extrême faiblesse du prisonnier, essaya, mais sans succès, de les retenir quelques heures. Les officiers, au contraire, hâtèrent le départ. Ils n’avaient pas fait plus de trente stades (environ cinq kilomètres) que Chrysostôme fut atteint d’un violent accès de fièvre. Craignant qu’il ne mourût sur la route, on le ramena à la chapelle. Le vieillard sentant sa fin approcher, se fit revêtir de vêtements entièrement blancs, prit la cène des mains du prêtre, pria avec ferveur et termina sa prière par ses paroles favorites : « Gloire soit à Dieu pour toutes choses ! Amen ». Puis s’étendant sur la dalle, il s’endormit. « Son âme », dit celui qui raconte ces scènes, « avait secoué la poussière de cette vie mortelle ». Un sépulcre neuf se trouvait dans le voisinage de la chapelle ; c’est là que son corps fut déposé. Il était âgé de soixante ans, avait été évêque dix ans, mais en avait passé plus de trois en exil.

Trente ans plus tard, l’empereur Théodose II, fils d’Arcadius, afin de satisfaire au vœu du peuple, fit transporter à Constantinople les restes de Chrysostôme, et ils furent déposés dans l’église des saints apôtres où étaient les tombeaux des empereurs. Théodose et sa sœur Pulchérie implorèrent le pardon du ciel pour les maux que leurs parents avaient infligés à ce saint évêque.

Telle fut la fin de cet homme remarquable. Nous avons retracé son histoire dans le but de montrer dans quel triste état l’Église était déjà tombée, surtout dans la personne de ceux qui auraient dû être les modèles du troupeau ; pour faire voir aussi que Dieu avait cependant des serviteurs fidèles au milieu de la corruption croissante, comme cela a eu lieu de tout temps ; et enfin, pour nous rappeler que ceux qui veulent vivre selon la piété seront persécutés.

Chrysostôme jugeait sévèrement le mal moral qui régnait dans l’Église, tant chez le clergé que chez les grands et les riches. Il mettait au jour leur folie et leurs péchés, les exhortant à y renoncer. Un des traits de son caractère était son amour pour les Saintes Écritures, amour qui, sans doute, lui avait été inspiré par sa pieuse mère. Il les cite continuellement dans ses écrits et exhortait constamment son troupeau à les lire. Il n’admettait pour excuser la négligence de ce devoir, ni les affaires, ni les occupations de famille. « C’est un livre clair », disait-il, « chacun peut le comprendre, même les artisans, les esclaves et les femmes. Le lecteur attentif et sérieux en tirera profit, quand même il n’aurait personne pour le lui expliquer. Il ne servirait à rien de l’avoir seulement dans ses mains ou d’en suspendre des passages autour de son cou, il faut les posséder dans son cœur ». Dans ces jours où l’on n’avait encore que des manuscrits, peu de personnes pouvaient acheter même un Nouveau Testament en entier. Chrysostôme les exhortait à en acheter des portions selon leurs moyens.

Il prêchait l’amour de Dieu, la divinité de Christ et l’expiation par sa mort, la personnalité et l’œuvre du Saint Esprit dans l’âme, la nécessité de la sainteté, la marche par la foi et le bonheur éternel qui attend les fidèles. Mais il n’annonçait pas un évangile plein et gratuit, et sa prédication était mêlée de philosophie et d’éléments étrangers à l’Écriture. Il attribuait pour le salut une valeur très grande aux règles et aux ordonnances de l’Église. Le baptême d’eau était pour lui le moyen de la régénération et la cène l’autel du sacrifice. Il exhortait ses auditeurs à y prendre part « comme à un mystère par lequel le mal est banni, Satan chassé, et qui ouvre la porte du ciel ». Déjà s’étaient introduites et s’introduisaient chaque jour davantage les choses qui constituent le fatal système d’erreurs du romanisme.

 

3.4   Quelques hommes remarquables de l’Église d’Orient

À peu près à la même époque que Chrysostôme, c’est-à-dire dans la seconde moitié du 4° siècle et au commencement du 5°, il y eut dans l’Église d’autres hommes qui s’efforcèrent d’être fidèles à Dieu et à la vérité chrétienne dans la mesure de leur connaissance. Ils participèrent, il est vrai, à bien des coutumes erronées introduites dans l’Église par la tradition ; mais ils combattirent avec énergie le mal moral qui s’étendait toujours plus parmi les chrétiens, surtout dans les hautes classes de la société ; ils défendirent avec courage la vérité relative à la Personne adorable du Fils de Dieu, attaquée alors par diverses hérésies ; ils furent les consolateurs des pauvres et des affligés dans ces temps calamiteux où l’empire romain était près de succomber sous les attaques des Barbares ; ils se montrèrent pleins de charité, de dévouement et de renoncement pour soulager des misères de toutes sortes. Parfois même, leur parole pleine d’autorité arrêta la fureur des chefs barbares, comme nous l’avons vu dans la vie de Chrysostôme.

Parmi les hommes remarquables de l’Église d’Orient, il faut mentionner Grégoire de Naziance, ainsi nommé d’après la ville où il naquit. De même qu’autrefois Anne l’avait fait de Samuel, Nonna, la pieuse mère de Grégoire, l’avait donné au Seigneur dès sa naissance. Elle l’éleva en conséquence dans sa connaissance et dans sa crainte. Il étudia ensuite dans diverses écoles célèbres, entre autres à Athènes, et ensuite il passa quelques années dans la solitude avec son ami et compatriote Basile qu’il avait rencontré à Athènes. Il est à remarquer que la plupart de ces hommes qui eurent une grande influence dans l’Église, commencèrent toujours leur ministère par une retraite plus ou moins longue où ils s’occupaient à l’étude des Écritures et à la prière. Jusque-là, c’était bien ; si Dieu voulait ensuite les employer, ils étaient préparés. Mais où quelques-uns faisaient fausse route, c’était en se livrant à des austérités sans fin pour chercher à dompter la chair. Ils n’atteignaient pas ainsi le but qu’ils se proposaient. Mais quant à se retirer dans la solitude pour s’occuper des choses de Dieu, nous ne pouvons entièrement les blâmer. Nous voyons Moïse passer quarante années loin de l’Égypte, gardant les troupeaux de son beau-père Jéthro, et là, préparé par Dieu dans la solitude pour l’œuvre qu’il aurait à accomplir. Paul aussi, après sa conversion, alla passer un certain temps en Arabie dans la retraite (Galates 1:17), et il nous est dit de Jean le Baptiseur, qu’il fut dans les déserts jusqu’au jour de sa manifestation à Israël (Luc 1:80).

Grégoire quitta son ami et sa solitude. Rentré dans la maison paternelle, son père, qui était évêque de Naziance, l’ordonna prêtre, malgré sa résistance. Il devint ensuite évêque dans une ville de Cappadoce, où il resta quelque temps, puis, de même que Chrysostôme plus tard, il fut tout à coup appelé à Constantinople pour y paître le petit troupeau de ceux qui étaient restés fidèles à la vérité touchant le Fils de Dieu, et qui étaient persécutés par les Ariens. Ceux-ci étaient soutenus par l’empereur Valens. La tâche de Grégoire était donc difficile. Cependant ses efforts et son zèle ramenèrent à la vraie foi plusieurs de ceux qui y avaient été opposés. Théodose étant parvenu à l’empire, soutint la cause des catholiques ou orthodoxes (on nommait ainsi ceux qui n’étaient pas Ariens), et Grégoire fut solennellement établi évêque de Constantinople. Il est triste à dire que ce ne fut pas sans l’emploi de moyens violents, mais qui n’étaient pas le fait de l’évêque. Celui-ci vit bientôt combien il était difficile de remplir fidèlement les devoirs de sa charge dans cette grande ville mondaine. Il fit des expériences analogues à celles de Chrysostôme plus tard. Les évêques égyptiens l’attaquèrent, l’empereur l’abandonna, ceux dont il dénonçait la vie mondaine devinrent ses ennemis, et, fatigué de luttes inutiles, il se démit de sa charge d’évêque. Quelques lignes de son adieu à son clergé nous font voir quelles étaient les mœurs de ces soi-disant chrétiens de Constantinople : « J’ignorais », dit Grégoire, « que je dusse rivaliser de luxe avec les principaux officiers du palais, avec les généraux de l’empire qui ne savent comment dépenser leurs revenus. Je ne savais pas qu’il me fallût dissiper avec eux les biens qui sont la propriété des pauvres. J’ignorais que je dusse paraître dans les rues monté sur un char magnifique, traîné par des chevaux de prix, et entouré d’une troupe de flatteurs, afin que les passants, avertis au loin de mon approche, eussent le temps de s’écarter de moi, comme on le fait d’une bête sauvage. Si j’ai eu tort, excusez-moi. Rendez-moi à ma solitude, à Dieu qui me pardonnera mes manières simples et rustiques. Remplacez-moi par un homme qui saura plaire à la multitude ».

Ces paroles sont fortes, sans doute ; mais dans leur ironie, elles montrent où en étaient arrivés l’amour des richesses, le luxe, la pompe et l’ambition, chez les conducteurs de l’Église auxquels Grégoire ne voulait pas ressembler.

Il retourna dans son pays et y vécut dans la solitude, occupant son temps à la composition de nombreux ouvrages. C’est aussi lui qui disait à propos des conciles qui se tinrent en son temps, de l’an 379 à l’an 389: « Pour dire vrai, voici ma résolution. C’est d’éviter tous les conciles d’évêques, car je n’ai jamais vu qu’il sortît aucun bien d’un synode quelconque. Leur amour des disputes et leur désir du pouvoir sont si grands, que des paroles ne peuvent l’exprimer ». Triste témoignage ! Si tels étaient les conducteurs en général, que pouvaient être les troupeaux confiés à leurs soins ?

Nous avons mentionné Basile, l’ami de Grégoire de Naziance. Lui aussi fut un évêque qui se dévoua avec un grand zèle à l’instruction chrétienne du peuple qui lui était confié. À l’âge de 28 ans, il se retira du monde et fonda un monastère dans la province du Pont. La règle de vie et de conduite qu’il donna aux moines réunis sous son autorité fut jugée si excellente, qu’elle fut adoptée dans presque tous les monastères de l’Orient. Si nous nous étonnons d’entendre si souvent parler de moines et de monastères, c’est que, tout en partant de pensées souvent erronées, la vie monastique était pour beaucoup d’âmes, dans ces temps profondément troublés, un refuge loin d’un monde où le mal allait grandissant. Il y avait déjà, sans doute, des abus qui ne firent qu’augmenter dans le Moyen Âge ; des moines grossiers et ignorants servirent souvent d’instruments à des évêques ambitieux et turbulents pour persécuter leurs adversaires. Mais dans les derniers jours de l’empire romain, quand les hordes cruelles des Barbares portaient partout la dévastation, beaucoup de monastères furent des asiles pour la piété et le malheur. Les pauvres y étaient soulagés, les orphelins recueillis, les affligés consolés. Moines et religieuses déployaient une charité et un dévouement à toute épreuve. C’est aussi, comme nous le verrons, de certains monastères que sortirent des missionnaires intrépides et infatigables qui portèrent le christianisme — plus ou moins purement enseigné, il est vrai — aux nations barbares. Dans les couvents se conservaient aussi les connaissances que tendait à étouffer le flot de la barbarie. C’est là que fut préservé le saint trésor des Écritures. Des copies en étaient faites sans relâche, qui assurèrent leur transmission de siècle en siècle. Les moines s’établissaient souvent dans des endroits incultes ou dévastés par les invasions, les défrichaient et y appelaient des populations chassées par les barbares. Au milieu des calamités sans nom qui fondirent alors sur le monde, Dieu se servait de ces hommes et de ces femmes humbles et dévoués, pour soulager la misère des peuples. Il n’y avait pas chez la grande majorité des moines ou religieuses beaucoup de la connaissance que nous possédons, mais ils avaient compris quelque chose de l’amour chrétien, qui consiste à se sacrifier pour les autres (1 Jean 3:16), comme Christ l’a fait en donnant sa vie pour nous. Et nous aurions grand besoin de réaliser cet amour-là plus que nous ne le faisons.

Pour revenir à Basile, il fut tiré de sa retraite et appelé à être évêque de Césarée en Cappadoce. Là, comme nous l’avons dit, il consacra sa vie à instruire son troupeau par sa prédication et de nombreux écrits, et fut aussi un courageux défenseur de la divinité éternelle de Christ contre l’empereur Valens et les évêques ariens.

Nous ne citerons plus qu’un seul des évêques renommés de l’Église d’Orient. C’est Eusèbe, évêque de Césarée en Palestine, l’ami de l’empereur Constantin, et plus distingué par son grand savoir que par la pureté de sa foi. Il penchait vers l’arianisme, et, au concile de Nicée, avait pris, avec quelques autres évêques, une position entre les Ariens et ceux qui maintenaient la vraie foi, selon les Écritures. Mais Eusèbe est resté célèbre par son histoire de l’Église qui exigea de sa part de très grands travaux, et qui renferme beaucoup d’enseignements précieux. Elle va de la naissance de Jésus Christ jusqu’à l’an 324, et fut plus tard continuée par d’autres auteurs.

 

3.5   Quelques hommes remarquables de l’Église d’Occident

Nous laisserons, pour le moment, l’Église d’Orient toujours agitée par de nouvelles hérésies, et nous nous transporterons en Occident pour y faire connaissance avec quelques-uns des hommes qui se distinguèrent par leur foi et leur dévouement dans la charge qui leur était confiée. Comme ceux d’Orient, tous connaissaient bien les Écritures, et ils les aimaient comme étant la parole de Dieu. Mais alors, dira-t-on, comment se fait-il qu’ils aient pu accepter tant de vaines cérémonies introduites dans le culte chrétien et dont l’Écriture ne parle point ? Comment ont-ils obscurci la saine et simple doctrine du salut par tant de choses qui attribuent à l’homme une part dans cette œuvre de pure grâce ? Ils justifiaient les cérémonies par l’usage établi et par la nécessité de frapper l’esprit des simples par des moyens extérieurs ; et ils mêlaient, comme l’homme est si porté à le faire, leurs pensées et leurs raisonnements aux enseignements de la Parole, au lieu de l’interpréter simplement. En cela ils avaient tort. Mais en fait ils retenaient cette parole comme étant celle de Dieu, de même qu’ils tenaient ferme le nom du Seigneur, comme étant le Fils unique et éternel de Dieu (Apocalypse 2:13).

Nous avons vu l’histoire d’Ambroise, le fidèle et courageux évêque de Milan. Les autres, dont nous allons parler, sont Hilaire de Poitiers, en France ; Jérôme, né en Dalmatie, et Augustin, originaire de l’Afrique septentrionale. C’est de ce dernier que nous nous occuperons plus spécialement, d’abord parce que lui-même a raconté sa conversion dans un livre célèbre qu’il a appelé ses « Confessions », ensuite à cause de la grande influence que Dieu lui donna d’exercer, et du zèle avec lequel, en combattant des erreurs qui détruisaient l’Évangile, il établit de précieuses vérités scripturaires. Le grand réformateur Luther dut beaucoup à ses écrits.

 

3.5.1        Hilaire de Poitiers

Hilaire, qui devint évêque de Poitiers dans les Gaules, était né dans cette ville, de parents nobles, encore attachés au paganisme. Comme tous les jeunes gens de sa condition, il étudia les lettres dans les écoles publiques. Puis il se maria, et vécut en profitant des plaisirs du monde et en continuant à étudier. Dieu lui avait mis au cœur le désir de connaître la vérité, et il chercha dans son intelligence naturelle le moyen d’y arriver. Il voyait bien que le bonheur ne se trouve pas dans la satisfaction des passions et des convoitises, ni dans aucune jouissance des sens. Dieu lui avait fait découvrir que cela est indigne d’une âme immortelle, car il avait aussi conclu que l’homme ne finissait pas à la mort. En même temps, sa conscience lui faisait voir que l’homme doit ici-bas marcher dans la droiture et la justice (Romains 2:14-15). « Il faut », disait-il, « garder sa conscience pure de toute faute ». Dieu l’avait conduit encore plus loin. Il ne pouvait penser, comme Paul le disait aux Athéniens, que la divinité fût « semblable à de l’or, ou à de l’argent, ou à de la pierre, à une œuvre sculptée de l’art et de l’imagination de l’homme » (Actes 17:29). Il ne voyait aussi dans les astres, objets de l’adoration des hommes, que des choses créées et non le Créateur, et il avait été conduit à reconnaître l’existence d’un Dieu tout puissant et éternel, auteur de toutes choses, et qui n’est pas indifférent à ce qui concerne l’homme. Tel était le degré de connaissance auquel Dieu avait amené Hilaire. Et Dieu conduirait aux mêmes conclusions tout homme droit de cœur. En effet, l’apôtre, au 1er chapitre des Romains, dit que les hommes sont inexcusables de n’avoir pas reconnu Dieu dans ses œuvres et de s’être livrés à l’idolâtrie, parce que « sa puissance éternelle et sa divinité se discernent par le moyen de l’intelligence, par les choses qui sont faites ». Il n’y a que l’insensé qui dise en son cœur : « Il n’y a point de Dieu » (Psaume 14:1).

Mais est-il suffisant d’avoir reconnu l’existence nécessaire d’un Dieu éternel et tout-puissant ? Non, assurément. Hilaire ne trouvait pas dans cette connaissance de quoi satisfaire son âme. Savoir que quelqu’un existe, n’est pas savoir ce qu’il est, et c’est ce dont nous avons besoin à l’égard de Dieu. Mais comment savoir ce qu’est Dieu ? Nous ne pouvons y arriver que si Dieu se révèle lui-même et nous le dit. Croyez-vous que toute la science des Égyptiens que possédait Moïse, eût pu lui faire connaître ce qu’est Dieu pour qu’ensuite il l’apprît aux Israélites et puis à nous ? Jamais. Mais quand Moïse est dans le désert, l’Éternel l’appelle du sein du buisson ardent, et lui révèle qu’il est le Dieu d’Abraham, et d’Isaac, et de Jacob, le Dieu Fort tout-puissant, et que son nom est l’Éternel, le Dieu immuable qui ne peut changer. Mais cela ne dit pas encore tout. Moïse demande à Dieu : « Que dirai-je aux Israélites quand ils me diront : Quel est le nom du Dieu qui t’envoie vers nous ? ». Et Dieu répond : « Je suis celui qui suis » (Exode 3:14) ; c’est-à-dire celui qui possède en lui-même l’existence et tout ce qui rattache à l’Être, l’infinité, l’éternité, la toute-puissance, la béatitude. C’est trop grand et trop profond pour que nous puissions le sonder, mais c’est le nom essentiel de Dieu.

Eh bien, ce qu’Hilaire n’aurait pas pu connaître par son intelligence et ses raisonnements, Dieu le lui révéla en le conduisant à lire l’Ancien Testament. Il y trouva ce témoignage que Dieu se rend à Lui-même : « Je suis celui qui suis » ; il apprit à connaître non seulement qu’il y a un Dieu créateur, mais ce qu’il est.

Cela suffit-il à l’âme ? Tous ses besoins sont-ils ainsi satisfaits ? Non, car maintenant vient la question : « Comment approcherai-je d’un Dieu saint et juste, moi pécheur ? ». Hilaire ne se contenta pas de lire l’Ancien Testament, il étudia aussi le Nouveau, et Dieu l’amena ainsi à la connaissance de Jésus Christ par qui nos péchés sont effacés, par qui nous pouvons approcher de Dieu, car il est le Médiateur entre Dieu et les hommes, et s’est donné en rançon pour tous (1 Timothée 2:5-6). Et en même temps il apprit que le Christ n’était pas une simple créature, comme les Ariens le prétendaient, mais qu’il était le Fils éternel de Dieu. Il apprit donc comme nous que Dieu est Père. C’est le nom si doux sous lequel les chrétiens le connaissent. Le Fils unique, Jésus Christ, nous l’a ainsi révélé. Hilaire dit dans l’écrit où il nous apprend comment il a été amené à Dieu : « Ô Dieu tout-puissant ! je te confesse éternel en tant que Dieu, mais aussi éternel comme Père. Je ne croirai pas que tu aies jamais été sans ta Sagesse, sans ta Vertu, sans ton Verbe ». Cela, nous le voyons, est conforme à la Parole qui nous dit que le Fils unique est dans le sein du Père (Jean 1:18).

Hilaire ayant ainsi trouvé la réponse aux besoins profonds de son âme, embrassa de tout son cœur le christianisme, et fut baptisé avec sa femme et sa fille. Quelques années après sa conversion, il fut nommé évêque de Poitiers par l’assemblée des chrétiens de cette ville.

C’était le temps où l’empereur Constance favorisait la doctrine d’Arius et ses sectateurs, et persécutait ceux qui s’y opposaient. La crainte de déplaire à l’empereur ne ferma pas la bouche à Hilaire. Il lutta avec énergie pour la vérité qu’il avait trouvée dans les saints livres et qui réjouissait son cœur, et combattit les erreurs qui la détruisaient. Il s’adressa en même temps à l’empereur pour le supplier de ne pas empêcher ceux qui ne pouvaient admettre la doctrine d’Arius de servir Dieu selon leurs convictions. Mais l’empereur, loin de l’écouter, le bannit au fond de la Phrygie, après que le courageux évêque eut été frappé d’anathème par un concile arien. Dans son exil, Hilaire écrivit plusieurs ouvrages, entre autres un traité sur la Trinité. En même temps, il déployait une grande activité pour soutenir la foi de ceux qui l’entouraient, et par ses lettres encourageait les évêques d’Occident à rester attachés à la vraie doctrine touchant le Fils de Dieu. C’était l’objet unique de ses pensées et de ses travaux. « Soyons toujours en exil », écrivait-il, « pourvu que la vérité soit prêchée ». Cela ne nous rappelle-t-il point Paul disant : Il en est qui « annoncent Christ par esprit de parti, croyant susciter de la tribulation pour mes liens ». Mais n’importe ! « Christ est annoncé, et en cela je me réjouis ? » (Philippiens 1:15 18). Puissions-nous être attachés de cœur, comme Hilaire, au Seigneur Jésus, vrai homme, et aussi vrai Dieu, Fils unique et éternel du Père ! C’est le fondement de toutes nos espérances de salut, de paix, de vie et de gloire.

À la mort de Constance, Hilaire, après quatre ans d’exil, revint à Poitiers, et y reprit ses fonctions d’évêque, instruisant son troupeau, l’exhortant, et exerçant dans son sein la charité. Il avait introduit dans son église l’usage du chant mêlé aux prières, et avait composé à cet effet des cantiques. Hilaire s’indignait de voir les évêques soit orthodoxes, soit ariens, rechercher l’appui du pouvoir temporel pour soutenir leur cause, et disait en s’adressant à eux : « Combien grande est la misère de ce temps-ci où l’on croit que les hommes peuvent protéger Dieu, et où l’on travaille à défendre Jésus Christ par les intrigues mondaines ! Sur quelle puissance les apôtres s’appuyaient-ils pour prêcher Jésus Christ et faire passer les nations du culte des idoles au culte du vrai Dieu ? Cherchaient-ils quelque crédit auprès de l’empereur, lorsqu’ils chantaient les louanges de Dieu dans un cachot ? Était-ce par les édits des princes, que Paul, donné en spectacle au monde, dans les liens de la persécution, formait les assemblées du Christ ? Quand les apôtres se nourrissaient du travail de leurs mains, qu’ils s’assemblaient en secret dans les chambres hautes, qu’ils parcouraient les villes et les bourgades de toutes les nations, malgré les défenses des princes et des magistrats, n’était-ce pas alors que la puissance de Dieu se manifestait en dépit de la haine des hommes, et que la prédication de l’Évangile devenait d’autant plus efficace qu’elle était plus entravée ? Mais maintenant l’Église menace de l’exil et du cachot ; elle veut faire croire par force, elle que l’on croyait autrefois malgré les exils et les cachots ».

Ce sont de belles et bonnes paroles. On est heureux de les entendre au milieu de la corruption croissante de l’Église. Elles ne furent guère écoutées. De plus en plus, l’Église s’appuya sur le bras de l’homme, des grands et des puissants du siècle, pour persécuter et tuer ceux qui ne voulaient ou ne pouvaient pas se soumettre à elle, mais voulaient rester attachés à Christ seul.

Hilaire mourut en l’an 367.

 

3.5.2        Jérôme

Jérôme naquit à Stridon, dans la province de Pannonie non loin d’Aquilée (*), vers 331. Ses parents, qui étaient chrétiens, l’envoyèrent faire des études à Rome. Jérôme s’y distingua parmi ses condisciples. Son ardeur pour augmenter ses connaissances et se perfectionner dans l’art de bien dire était telle, qu’il achetait tous les livres qui pouvaient lui servir pour ce but, et qu’il passait des nuits à copier ceux qu’il ne pouvait acquérir. Mais cela ne lui donnait pas la science du salut, ni la force de résister aux tentations que présentait aux jeunes gens une grande ville comme Rome. Il fut ainsi entraîné dans des désordres qu’il regretta amèrement plus tard. Son père, pour le soustraire à ces dangers, l’envoya à Trèves, où résidait alors l’empereur. C’est là que Jérôme semble avoir été converti, car il y passa son temps à copier des ouvrages traitant de sujets religieux. Revenu à Rome, il fut baptisé et fit ainsi ouvertement profession de christianisme.

 

(*) Ville d’Illyrie, au nord de la mer Adriatique.

Il alla ensuite à Aquilée où, avec quelques jeunes amis, il s’enthousiasma pour la vie monastique, pensant, comme tant d’autres de ce temps, que c’était le seul moyen d’échapper aux séductions du monde et au relâchement des mœurs d’alors. Puis, désirant connaître les grands docteurs et les solitaires d’Orient, il se rendit à Antioche, emportant toujours avec lui ses livres, son précieux trésor. Là, non loin de la ville, il fit la connaissance d’un pieux vieillard, nommé Malchus, qui vivait seul dans un endroit écarté et sauvage, et s’y livrait aux pratiques de l’ascétisme. Cet homme avait été enlevé autrefois par une bande d’Arabes pillards qui l’avaient emmené au fond du désert et l’avaient fait gardien de leurs troupeaux. Désespéré par la dure servitude où il était réduit, Malchus ne désirait que la mort pour mettre un terme à ses maux, mais une femme chrétienne, esclave comme lui, lui parla de Dieu et l’exhorta à mettre sa confiance en Lui. Malchus écouta sa voix, se soumit à la volonté de Dieu et trouva la paix. Plus tard ils parvinrent tous deux à s’échapper ; la femme entra dans un monastère, et Malchus se retira dans la solitude où Jérôme le trouva. Les entretiens que celui-ci eut avec le solitaire lui inspirèrent un désir ardent de sortir aussi complètement du monde. Laissant de côté ses livres et ses études, comme choses qui n’importaient point au salut, il partit avec deux amis pour le désert de Chalcide sur les confins de la Syrie, où se trouvaient plusieurs couvents de cénobites. Il partagea d’abord avec ardeur la vie austère des moines, leurs pratiques de dévotion et le travail manuel qu’ils s’imposaient, mais bientôt cela ne lui suffit plus. Il n’y trouvait pas la paix ni la victoire sur ses passions, faisant ainsi la même expérience que bien d’autres âmes sincères ont faites avant et après lui. Il perdit ses deux amis ; une tristesse profonde l’envahit, et il crut, pour parvenir à la sainteté qu’il recherchait, devoir recourir à de plus grandes austérités. Il se retira donc seul dans la partie la plus reculée et la plus sauvage du désert. Mais là, bien que passant ses jours à verser des larmes, il n’arrivait pas à posséder la paix. Les passions s’agitaient tumultueusement en lui, et les tentations ne cessaient de l’assaillir. Écoutons-le décrire son état. « Par terreur de l’enfer, je m’étais condamné à cette prison habitée par des serpents et des tigres, et, en imagination, je revoyais les fêtes et les délices de Rome. Ne sachant plus où trouver le secours, je me jetais aux pieds de Jésus et j’y versais des larmes. Je m’efforçais de dompter cette chair rebelle par des semaines entières d’abstinence. Je me souviens que, plus d’une fois, je passai le jour, et la nuit entière à pousser des cris et à me frapper la poitrine, jusqu’au moment où le Dieu qui commande à la tempête, ramena le calme dans mon âme… Irrité contre moi-même, je m’enfonçais dans le désert, je cherchais le lieu le plus sauvage, et je me prosternais en prière. Souvent, après avoir répandu beaucoup de larmes, après avoir longtemps tenu mes yeux levés vers le ciel, je me croyais transporté parmi les chœurs des anges et je chantais au Seigneur ». Mais ces transports ne duraient pas. Pauvre Jérôme ! Cherchant la paix dans ses sentiments, il n’y pouvait parvenir ; voulant y arriver en domptant la chair, il se retrouvait toujours plus faible et misérable. La paix est en Jésus seul ; c’est Lui qui a fait la paix par le sang de sa croix ; Il est notre paix (Colossiens 1:20 ; Éphésiens 2:14). Lui seul aussi est notre force ; par Lui seul nous sommes plus que vainqueurs (Romains 8:37). Jérôme, sans doute, apprit plus tard cette vérité si précieuse que nous avons tout en Christ. Le fragment de ses écrits que nous allons citer nous permet de le penser. Il n’est pas besoin de mettre le lecteur en garde contre une certaine imagination qu’on y trouve. Nous nous adressons maintenant au Seigneur de gloire dans le ciel, et non à Jésus enfant ; mais nous pouvons penser à ce que notre adorable Sauveur a été sur la terre, de la crèche à la croix, et c’est là ce que Jérôme avait au fond de son cœur, quand il écrivait les paroles qui suivent.

« Chaque fois », dit-il, « que je contemple Bethléhem, j’entre en conversation avec l’enfant Jésus. Je lui dis : « Ô Jésus, mon Seigneur, comme tu es tremblant, comme ta couche est dure, et toutes ces choses tu les souffres pour moi ! Comment pourrais-je te les rendre ? ». Et il me semble l’entendre me répondre : « Je ne te demande qu’une chose, c’est d’unir ta voix à celle de l’armée céleste, et de chanter comme elle : Gloire à Dieu dans les lieux très hauts ! Tu me verras bien plus misérable dans le jardin des Oliviers et sur la croix ». Je reprends et je dis : « Ô Jésus ! je veux te donner quelque chose ; je te ferai présent de tout mon argent ». Il me répond : « Le ciel et la terre m’appartiennent ; je n’ai pas besoin de ton argent. Donne-le aux pauvres ; ce sera comme si je l’avais reçu ». — « Je le ferai de bon cœur ; mais, ô Jésus ! je voudrais aussi te donner quelque chose qui soit pour toi, que tu ne refuses point ». Alors il me dit : « Mon cher Jérôme, puisque tu veux absolument me donner quelque chose, eh bien, donne-moi tes péchés, ta mauvaise conscience, ta condamnation ». — « Et qu’en veux-tu faire ? » — « Je les prendrai sur moi ; je porterai ton péché et t’en déchargerai ». Alors, versant un flot de larmes, je m’écrie : « Ô Jésus ! tu as touché mon cœur. Je pensais que tu demanderais de moi quelque chose de bon, et voici tu ne prends que ce qui est mauvais. Prends donc tout ce qui est à moi, donne-moi ce qui est à toi, et ainsi je serai délivré de mes péchés et assuré de la vie éternelle ».

Nous pouvons bien penser que, sachant que Jésus avait porté ses péchés, et assuré dès lors de la vie éternelle, Jérôme ne craignait plus la condamnation et l’enfer, et qu’ainsi il jouissait de la paix qu’il avait vainement cherchée en dehors de Jésus. Espérons qu’il apprit aussi que c’est en Jésus seul que se trouve la force pour que la chair soit domptée. Comme l’apôtre le dit : « Ceux qui sont du Christ ont crucifié la chair avec les passions et les convoitises » (Galates 5:24). Ce n’est pas doivent crucifier, mais ont crucifié la chair. C’est une chose faite. À la croix, le vieil homme a été crucifié avec Christ, « afin que le corps du péché soit annulé, pour que nous ne servions plus le péché » (Romains 6:6). Le chrétien ainsi affranchi du péché, peut poursuivre son chemin en liberté, vivant par l’Esprit et marchant par l’Esprit (Galates 5:25).

Jusqu’à quel point Jérôme comprit cette dernière vérité, nous l’ignorons ; mais nous savons que, sans cesser de vivre d’une manière austère, son esprit se rasséréna. Il quitta les solitudes sauvages où il errait cherchant la paix pour son âme ; il laissa les abstinences outrées par lesquelles il pensait vaincre la chair, et se remit à ses études. Il commença en particulier à apprendre l’hébreu, afin de pouvoir lire les Écritures de l’Ancien Testament dans la langue où elles furent écrites.

Après être allé encore à Antioche, et ensuite à Constantinople, Jérôme vint à Rome pour assister à un concile où furent combattues les erreurs d’Apollinaire, erreurs qui s’attaquaient à la personne du Sauveur. Jérôme fut un de ceux qui s’opposèrent énergiquement à Apollinaire, et qui soutinrent la vérité. L’évêque de Rome Damase, voyant combien il était versé dans les Écritures, actif et dévoué pour le bien, se l’attacha comme secrétaire. Il y avait alors, entre les mains des chrétiens, plusieurs versions latines du Nouveau Testament, souvent infidèles et fautives. Damase eut la pensée de faire une nouvelle traduction sur les meilleurs textes grecs et de la présenter à l’adoption de toutes les églises de langue latine. Il chargea Jérôme de ce travail, et celui-ci l’accomplit, non sans rencontrer l’opposition de ceux qui l’accusaient de mépriser la tradition et l’autorité des anciens, et de falsifier les Écritures, alors qu’il ne faisait qu’en rétablir le vrai texte.

La corruption des mœurs était grande à Rome comme à Constantinople, même parmi le clergé. De même que Chrysostôme dans cette dernière ville, Jérôme, à Rome, s’éleva avec énergie contre le mal. Il s’attira ainsi la haine des prêtres et des païens. Ces derniers étaient surtout irrités, parce que Jérôme exaltait au-dessus de tout le célibat et l’état monastique, comme remède à la dissolution morale. À cet égard, il dépassa la mesure, car il en vint à critiquer le mariage, qui est une institution divine. Accusé par tous, ayant tout le monde contre lui, sauf quelques amis fidèles, et Damase, son protecteur, étant mort, il résolut de quitter cette Rome que, de même que les Réformateurs plus tard, il disait être « la Babylone romaine, la prostituée vêtue de pourpre », de l’Apocalypse (Apocalypse 17:4-5). Il fit ses adieux au petit troupeau fidèle de la grande ville, composé surtout de pieuses dames romaines, et partit pour la Syrie avec son frère et quelques amis.

Parmi les dames romaines amies de Jérôme, s’en trouvait une de très noble famille et très riche, nommée Paula. Elle consacrait son temps et ses biens au service des pauvres. Désireuse de bien comprendre les Saintes Écritures, auxquelles elle attachait un grand prix et qu’elle lisait et méditait chaque jour, elle avait appris le grec et l’hébreu. D’autres avaient suivi son exemple. Paula et Eustochium, une de ses filles, suivirent Jérôme, dans le dessein de s’établir avec lui à Bethléhem, là où le Sauveur était né. Plusieurs jeunes filles partirent avec elles ; mais avant de se fixer au lieu qu’elles avaient choisi, elles parcoururent avec Jérôme la Palestine, la Bible à la main, visitant les différents endroits mentionnés dans l’Écriture. Jérôme consultait en même temps tous les hommes instruits qu’il rencontrait, afin de mieux comprendre les récits et le sens des saints écrits qu’il ne cessait d’étudier.

C’est sans doute une chose bien intéressante de visiter ce pays qui est la terre de l’Éternel, sur laquelle Il a toujours les yeux (Deutéronome 11:12), et où se sont passés tant d’événements d’une importance telle que s’effacent devant eux tous ceux que présente l’histoire des royaumes du monde ; ce pays dont le sol a été foulé par les pieds du Fils de Dieu, devenu un homme. Il y a un intérêt puissant, pour un voyageur chrétien, à se dire : Voilà où le Seigneur est né, c’est là qu’Il a été élevé, là qu’Il a parlé à la Samaritaine ; voilà le lac sur les bords duquel Il a annoncé l’Évangile. Et quand on en vient à Jérusalem, que de souvenirs ! C’est la ville du grand Roi (Psaume 48:2) ; mais elle l’a rejeté, et maintenant elle est foulée aux pieds par les nations, selon la parole de Jésus (Luc 21:24). Toutefois, dans l’avenir, la gloire de l’Éternel resplendira sur elle, et l’incirconcis et l’impur n’y entreront plus (Ésaïe 60:1-3 ; 52:1). Voilà le mont des Oliviers où Jésus pleura sur la ville coupable (Luc 19:41), d’où il monta au ciel (Actes 1:9-10), et où ses pieds se poseront quand il reviendra (Zacharie 14:3-4 ; Actes 1:11). Voilà, d’un autre côté, la colline où il fut crucifié.

Ce fut avec une profonde émotion que Jérôme et ses compagnes visitèrent tous ces endroits dont parlent les pages du saint Livre. Là, les récits sacrés se présentèrent plus vivants à leur esprit. Et nous éprouvons quelque chose de ces sentiments quand nous lisons les relations des voyageurs qui ont exploré le pays d’Israël. Ils nous aident à nous représenter les scènes de l’Écriture, et à comprendre bien des passages. Mais rappelons-nous que ce n’est pas ce qui révèle Dieu et le ciel. Nombre de voyageurs, mus par la curiosité, ont visité ce que l’on nomme la Terre Sainte, les lieux saints, sans en avoir tiré aucun profit pour leurs âmes. D’ailleurs rappelons-nous aussi que maintenant nos vrais lieux saints sont dans le ciel, non sur la terre. Et ces lieux saints de la Palestine, hélas ! sont souillés par les superstitions les plus grossières et les querelles, souvent ensanglantées, des sectateurs des diverses fractions de la chrétienté qui s’y rendent de toutes parts en pèlerinage, surtout à Pâques, acte qu’ils regardent comme méritoire pour le salut. Déjà au temps de Jérôme, bien des idées superstitieuses avaient cours, et les divers endroits que l’on supposait avoir été témoins de quelque scène de la vie du Seigneur, ou même de celle des apôtres et des prophètes, étaient devenus des objets d’une vénération idolâtre. Les compagnes de Jérôme et peut-être lui-même, bien que versés dans la connaissance des Écritures, n’échappèrent point à ce courant de pensées erronées.

Jérôme, avec Paula et ses compagnes, visita aussi l’Égypte ; lui pour recueillir, encore des matériaux pour ses études et ses travaux sur l’Écriture Sainte ; les autres pour voir les couvents du désert, et pour contempler et entendre ceux que, dans leur ignorance, elles regardaient comme des saints, comme des héros de la vie solitaire et monastique, mais que nous ne pouvons considérer pour la plupart que comme des hommes qui suivaient les imaginations et les aberrations de leur esprit.

Ils revinrent ensuite à Bethléhem. Paula acheta des terrains sur lesquels elle fit construire des monastères, un pour les hommes et trois autres pour les femmes. Elle y joignit une hôtellerie gratuite pour les voyageurs de passage : « Si Marie et Joseph revenaient à Bethléhem », disait-elle, « ils trouveraient enfin où loger ». Jérôme choisit pour habitation une grotte voisine de celle où l’on supposait que le Sauveur était né. Ce fut là son cabinet de travail, et la cellule où il se livrait à la méditation et à la prière. Sa vie portait le caractère de la plus grande simplicité ; son repas, qu’il ne prenait qu’après le coucher du soleil, se composait de pain bis et d’herbes. Ses vêtements étaient d’étoffe grossière, mais propres. Outre les grands travaux qui l’occupaient, et auxquels il consacrait non seulement le jour, mais bien des heures de la nuit, il ouvrit une école gratuite de grammaire pour les enfants et les jeunes gens de Bethléhem. Quant à Paula et ses compagnes, elles s’occupaient à la lecture et à la méditation des Saintes Écritures, à la prière, aux soins à donner aux voyageurs de passage, aux pauvres et aux malades. Chaque jour, outre les portions entières du saint Livre qu’elles récitaient, chacune des habitantes des monastères devait en apprendre un nouveau verset. Ainsi la parole de Dieu était honorée dans ces retraites. Sans doute qu’il en était de même parmi les moines, indépendamment du travail manuel auquel ils étaient astreints.

Jérôme passa 34 années dans la solitude de Bethléhem. Toute retirée qu’était sa vie, il n’était pas moins occupé de ce qui se passait dans l’Église ; il y prenait un puissant intérêt et une part active, en luttant pour défendre la saine doctrine et répondre aussi aux attaques sans cesse renouvelées de ses ennemis. Malheureusement il montra trop souvent dans ses écrits une violence et une âpreté regrettables, oubliant que la douceur doit toujours caractériser le serviteur de Dieu, même s’il est appelé à reprendre les opposants (2 Timothée 2:24-25). Au milieu de tous ces tristes débats, Dieu lui donna d’accomplir une tâche des plus utiles. Nous avons vu qu’il avait fait à Rome une traduction latine du Nouveau Testament. Il compléta son travail à Bethléhem en traduisant sur l’hébreu l’Ancien Testament. Ce fut pour lui un grand labeur. Pour accomplir son œuvre il se fit aider par de savants rabbins juifs, mais ce ne fut pas toujours sans danger pour eux. Les Juifs allaient jusqu’à vouloir lapider ceux qui se rendaient chez un chrétien, de sorte que l’un d’eux n’osait aller que de nuit chez Jérôme. D’un autre côté, celui-ci, à cause de ses relations avec les rabbins, était accusé, par des chrétiens fanatiques et par ses ennemis, de vouloir apostasier et devenir juif, ou bien on prétendait qu’il se servait de textes falsifiés par les Juifs. On vit des choses analogues aux jours de la Réformation, car l’ennemi de Dieu et de sa Parole use toujours des mêmes armes. Jérôme n’en poursuivit pas moins son grand travail, et Dieu lui donna de le terminer. Sa version de la Bible, que l’on nomme la Vulgate, fut d’une grande utilité dans les églises de langue latine et dans la chrétienté occidentale jusqu’au seizième siècle. Elle est encore en usage dans l’Église romaine. Jérôme rendit donc en son temps à l’Église un grand service, comme plus tard le firent les réformateurs tels que Luther et d’autres qui traduisirent les saints écrits en diverses langues. Dieu qui a donné et conservé sa précieuse Parole, a voulu qu’elle fût mise à la portée de tous et il y a pourvu dans tous les temps. Jérôme fut aidé dans son grand travail par Paula et Eustochium qui lui servaient de copistes, et avec lesquelles il relisait avec soin ce qu’elles avaient écrit. D’ailleurs il lisait chaque jour avec elles les Écritures qu’il leur expliquait. N’est-il pas beau de voir ces grandes dames romaines, renoncer à tous les raffinements, au luxe et aux jouissances que procure la richesse ainsi qu’aux honneurs dus à leur rang, pour assister un pauvre solitaire et se dévouer au service du Seigneur, aimant sa Parole et exerçant l’hospitalité ? Ne rappellent-elles pas ces femmes telles que Marie de Magdala, Jeanne, femme de Chuzas, intendant d’Hérode, et Suzanne et d’autres, qui suivaient Jésus et l’assistaient de leurs biens ? (Luc 8:2-3).

Jérôme vécut jusqu’à un âge très avancé. Dix-huit ans environ avant sa mort, il eut la douleur de perdre sa fidèle amie Paula. La fin de celle-ci fut bien frappante. Elle nous montre que, si Paula n’était pas exempte de certaines erreurs qui s’étaient introduites dans l’Église, elle avait trouvé la paix avec Dieu, n’avait aucune crainte d’aller vers Lui, mais, au contraire, s’en réjouissait. Lorsqu’elle eut compris que la mort approchait, comme un voyageur qui aperçoit le port et qui est joyeux d’y arriver, elle se mit à réciter quelques versets des Psaumes : « Éternel ! j’ai aimé l’habitation de ta maison, et le lieu de la demeure de ta gloire… Combien sont aimables tes demeures, ô Éternel des armées ! Mon âme désire, et même elle languit après les parvis de l’Éternel ; mon cœur et ma chair crient après le Dieu vivant… Un jour dans tes parvis vaut mieux que mille. J’aimerais mieux me tenir sur le seuil dans la maison de mon Dieu, que de demeurer dans les tentes de la méchanceté » (Psaume 26:8 ; 84:1-2, 10). Comme elle ne répondait pas à quelques questions qu’on lui faisait, Jérôme s’approchant, lui demanda si elle souffrait : « Non », dit-elle, « je ne souffre pas ; j’entrevois, je ressens déjà une paix immense ». Puis s’affaiblissant, elle murmurait d’une voix entrecoupée les versets qu’elle aimait, et les dernières paroles de sa vie, rapporte Jérôme, furent encore une louange au Seigneur.

Les dernières années de Jérôme furent attristées par divers événements. Ce furent des luttes pénibles avec un des amis de sa jeunesse, Rufin, qui, jaloux de lui, l’accusait d’hérésie et était soutenu par l’évêque de Jérusalem ; puis il eut une controverse pénible avec Augustin. Ensuite, l’hérétique Pélage, dont nous parlerons aussi, vint en Palestine et y fomenta des divisions. Jérôme combattit ses erreurs en s’appuyant sur l’Écriture. Mais les partisans de Pélage allèrent jusqu’à soulever les moines et les paysans ignorants contre Jérôme et ses amis, et une nuit les monastères furent attaqués, pillés et incendiés par une foule furieuse. Le sang même coula, et Jérôme fut obligé de s’enfuir. Il revint cependant bientôt après. Avant cela, une autre douleur l’avait atteint. La superbe Rome était tombée sous les coups d’Alaric, roi des Goths. Pendant trois jours elle fut livrée au pillage, au meurtre et à l’incendie qui dévora un grand nombre de ses monuments. Quantité de chrétiens et de nobles femmes chrétiennes, amis de Jérôme, avaient vu leurs demeures saccagées, leurs biens enlevés, et avaient été exposés aux outrages des barbares soldats du vainqueur. On pouvait appliquer avec raison, et on appliqua en effet à la chute de l’orgueilleuse cité ces paroles de l’Apocalypse qui auront dans l’avenir un accomplissement plus complet : « Parce qu’elle a dit dans son cœur : Je suis assise en reine et je ne suis point veuve, et je ne verrai point de deuil ; — c’est pourquoi en un seul jour viendront ses plaies, mort, et deuil, et famine, et elle sera brûlée au feu » (Apocalypse 18:7-8). Nombre de fugitifs de Rome et d’Italie étaient venus chercher un asile en Syrie. Plusieurs apportèrent ces tristes nouvelles aux couvents de Jérusalem et de Bethléhem, où ils trouvèrent un accueil plein de sympathie.

Un dernier coup pour le vieillard fut la mort d’Eustochium, la fille de Paula. Rien ne nous est rapporté sur ses derniers moments, sinon que sa fin fut comme l’approche d’un paisible sommeil. C’est ce que la parole de Dieu nous dit des fidèles : Ils s’endorment en Jésus (1 Thessaloniciens 4:13-16). Combien cela est doux ! Deux ans après, en 420, Jérôme s’endormit aussi, assisté par la jeune Paula, petite fille de son ancienne amie. Il avait beaucoup souffert et beaucoup travaillé durant sa longue vie. Outre sa traduction de la Bible, il avait écrit des commentaires sur le saint Livre et divers ouvrages destinés à en faciliter l’intelligence. Il eut aussi une correspondance étendue, qui nous fait connaître sa vie, ainsi que la société chrétienne de son temps. Nous pouvons regretter qu’il ait souscrit à plusieurs des erreurs qui s’étaient glissées dans l’Église, telles que l’honneur rendu aux martyrs et la vénération des reliques ; mais il faut nous rappeler qu’appuyé sur les Écritures, il maintint et défendit la saine doctrine quant à la Personne de Christ, et celle de la pure grâce qui sauve.

 

3.5.3        Augustin

Augustin, né en 354 et mort l’an 430, vécut à la même époque que Chrysostôme et Jérôme. Comme eux, il fut un fidèle serviteur de Dieu durant cette époque si troublée par des bouleversements politiques et des querelles religieuses. Il ne vécut pas, comme Chrysostôme, près de la cour d’un empereur, ni, comme Jérôme, dans une retraite solitaire. Après sa conversion, il mena la vie active d’un évêque occupé des soins de son troupeau et combattant avec énergie pour maintenir les saines doctrines, et en particulier, celle si importante et si précieuse de la grâce souveraine de Dieu qui sauve le pécheur. Il avait appris à connaître pour lui-même la nécessité et l’efficacité de cette grâce « qui apporte le salut », et qui « est apparue à tous les hommes » (Tite 2:11). Lui-même raconte dans un livre célèbre, nommé ses Confessions, comment, après bien des égarements, il fut amené à la connaissance de Dieu et du Seigneur Jésus, et ainsi à la possession du salut, de la vie et de la paix. C’est de ce livre que nous tirerons quelques détails sur son enfance, sa jeunesse et sa conversion.

Augustin n’était pas né, comme Chrysostôme, sous le doux climat de la Syrie, dans la partie orientale de l’empire, où le grec était la langue dominante. Il avait vu le jour dans la brûlante Afrique, à Tagaste en Numidie, pas très loin de Carthage. Dans ces contrées occidentales de l’empire, la langue latine était généralement usitée. Nous avons parlé de Cyprien, l’évêque de Carthage, et des chrétiens qui dans cette ville souffrirent de si cruelles persécutions. C’était un siècle avant l’époque où Augustin naquit ; mais maintenant le paganisme, bien qu’existant encore, avait perdu sa puissance. Le christianisme dominait partout.

Le père d’Augustin, nommé Patricius, était païen, mais embrassa plus tard la religion chrétienne. Sa mère, Monique, était une femme pieuse, témoignant de sa foi par une vie sainte, charitable et détachée du monde. Augustin trace de son caractère le tableau le plus touchant. Il nous la montre patiente, douce, fuyant la médisance, procurant la paix, et soumise à son mari, qui était d’un tempérament violent et dont elle supportait, sans se plaindre, plus d’une chose pénible. Elle accomplissait ainsi ce que l’apôtre Pierre disait aux femmes : « Femmes, soyez soumises à vos propres maris, afin que, si même il y en a qui n’obéissent pas à la parole, ils soient gagnés sans la parole, par la conduite de leurs femmes, ayant observé la pureté de votre conduite dans la crainte » (1 Pierre 3:1-2), et elle eut la joie de voir son mari amené à Dieu. Monique, nous dit encore Augustin, « s’était faite la servante des serviteurs de Dieu », et répondait au portrait que Paul trace d’une sainte femme, à la vie exemplaire, « ayant le témoignage d’avoir marché dans les bonnes œuvres », d’avoir bien élevé ses enfants, d’avoir logé des étrangers, lavé les pieds des saints, secouru ceux qui étaient dans la tribulation, de s’être appliquée à toute bonne œuvre (1 Timothée 5:9-10). Assurément une telle mère avait à cœur le salut de son fils. Aussi priait-elle sans cesse pour lui, et dès son enfance, semblable à la mère de Timothée, elle l’instruisit des saintes vérités du christianisme. « Dès l’âge le plus tendre », dit Augustin s’adressant à Dieu, « j’avais entendu parler de la vie éternelle dont la promesse et le gage nous ont été donnés par l’abaissement de ton Fils, notre Seigneur, qui a bien voulu descendre jusqu’à nous pour nous guérir ».

Étant tombé très malade lorsqu’il était encore enfant, il avait demandé le baptême avec foi et désirait ardemment le recevoir, dit-il. Nous avons vu que dans l’Église, s’était introduite cette fausse idée que le baptême d’eau opérait la régénération de l’âme. À cause de cela on considérait les péchés commis après le baptême comme ayant une gravité très grande et compromettant le salut. C’est pourquoi on différait souvent le baptême jusqu’au moment de la mort, pensant qu’il effaçait tous les péchés. Augustin s’étant trouvé mieux tout à coup, on remit son baptême à un autre temps, malgré le vif désir qu’il avait exprimé. À cette occasion, s’adressant à Dieu, il dit : « Je croyais donc dès lors en Toi, ainsi que ma mère et tout le reste de notre famille, mon père seul excepté. Toutefois son autorité ne put jamais prévaloir en moi sur celle de ma mère, qui m’avait inspiré pour ton Christ cette foi que mon père n’avait point encore embrassée. Car elle n’épargnait aucun soin, ô mon Dieu, pour que tu fusses mon Père, au-dessus de celui à qui je devais le jour ». Augustin n’oublia jamais ces premiers enseignements de sa mère, dont les efforts pour l’amener à Dieu et les prières ne restèrent point sans effet, bien que la réponse se fît longtemps attendre. Monique est un exemple et un encouragement pour les mères afin qu’elles instruisent de bonne heure leurs enfants et ne cessent point de prier pour eux.

Augustin, qui, dans son livre, confesse les péchés dans lesquels il était tombé et les erreurs auxquelles il s’était laissé entraîner, reconnaît et juge aussi ce qu’il était dans son enfance. Il ne s’excuse pas, mais au contraire, il montre la vraie source du mal dans la corruption native du cœur, qui se manifeste dès l’âge le plus tendre. « Un petit enfant, même encore à la mamelle », dit-il, « s’irrite, se fâche, frappe même ceux qui s’opposent à ses volontés, et montre souvent de la jalousie contre un autre enfant. D’où vient cela, sinon du mal qui déjà existe dans l’enfant ? ».

Sorti de la première enfance, Augustin dut, comme les autres enfants de ce temps et ceux du nôtre, aller à l’école. Mais l’étude lui répugnait, bien qu’il ne manquât ni d’intelligence ni de mémoire ; seulement il n’en voyait pas l’utilité, et il aimait mieux le jeu. « Je péchais », écrit-il, « en n’obéissant point à mes parents et à mes maîtres, et quel que fût leur but en tout cela, il était néanmoins en mon pouvoir de faire par la suite un bon usage de ces études que l’on exigeait de moi. Si je me montrais rebelle, ce n’était point par quelque disposition qui me portât vers des choses meilleures, mais par la passion du jeu qui me dominait. Dans ce premier âge de ma vie, dit-il encore, j’avais une aversion marquée pour l’étude ; sur ce point, on n’obtenait rien de moi que par force, et mon esprit se révoltait contre cette violence ». Il était donc souvent châtié, et à ce propos, il raconte quelque chose de touchant. « J’eus, dès ce temps là, le bonheur de rencontrer quelques-uns de ceux qui invoquent ton saint nom, ô mon Dieu ! J’appris d’eux, selon les idées que je pouvais m’en former à cet âge, que tu étais grand, et que, bien qu’invisible à nos sens, tu pouvais nous exaucer et nous secourir. Je commençai donc, tout enfant que j’étais, à m’adresser à Toi comme à mon appui et à mon refuge. Bien petit encore, je te demandais avec ardeur que je ne fusse point châtié à l’école ». Cette confiance était bonne en elle-même, et plût à Dieu que nous l’ayons aussi, mais Dieu n’exauce point une prière qui a pour but d’échapper à une peine méritée. Il faut Lui demander de nous donner la force d’accomplir ce qui est juste et selon sa volonté, et cette requête il l’exaucera.

Revenant à l’aversion qu’il éprouvait pour l’étude et à son amour pour le jeu, Augustin dit : « D’où pouvaient naître ces mauvaises dispositions, sinon de ce fond de péché qui était en moi ? ». Augustin nous parle encore d’autres faits de son enfance qu’il condamne, et, sans doute, plus d’un d’entre nous aura lieu de faire un retour sur lui-même à l’égard de ce qu’il confesse. « Les contes, les récits fabuleux », dit-il, « avaient aussi pour moi un charme inexprimable. J’étais avide de les entendre, et de mes oreilles enchantées, l’attrait de ces récits passant jusqu’à mes yeux, allumait en moi un désir ardent de voir les spectacles du théâtre ». Et quand il eut achevé l’étude des premiers éléments des lettres, on mit entre ses mains, pour les apprendre et les étudier, les écrits des poètes latins. Bien loin d’en être rebuté, il se passionna pour ces récits façonnés par l’imagination humaine et où les sentiments impurs du cœur sont présentés parés de brillantes couleurs. « J’oubliais », dit-il encore, « mes propres égarements, en m’attendrissant sur des faits imaginaires. Je voyais d’un œil sec la mort que je donnais à mon âme en me remplissant de ces vaines imaginations, et en m’éloignant ainsi de Toi, ô mon Dieu, Toi, la véritable vie ! Je manquais d’amour pour Toi, lumière de mon esprit, nourriture mystérieuse de mon âme, soutien de mon cœur ! ». Sérieuse leçon, surtout pour les jeunes gens, si facilement portés à aimer aussi ces lectures attrayantes pour l’imagination, qui transportent dans un monde éloigné de Dieu, et qui causent un grand préjudice à l’âme en la repaissant de chimères et en l’empêchant de goûter et d’apprécier les seules choses vraies et salutaires, l’amour de Dieu et de Christ, les joies pures du ciel. On ne peut associer les deux choses. « Aimer le monde », dit Augustin, « c’est s’éloigner de Dieu ».

Il continue à raconter comment dans son enfance il tombait dans d’autres fautes. Ce n’est pas qu’il fût plus mauvais que d’autres enfants, plus pécheur que les enfants et les jeunes gens de nos jours. Mais il juge sa vie d’enfant et de jeune homme à la lumière de Dieu, et il y voit la vérité de cette parole de l’Éternel : « L’imagination du cœur de l’homme est mauvaise dès sa jeunesse » (Genèse 8:21). Puissent nos jeunes lecteurs se connaître ainsi, sans attendre à plus tard, et, voyant leur misère, fuir maintenant vers Celui qu’Augustin apprit à connaître bien des années après comme son Sauveur, déplorant le temps qu’il avait perdu loin de Lui. « Dans un âge si tendre », dit-il, « j’étais déjà sur le bord de cet abîme de corruption… Que pouvait-il y avoir de plus corrompu que moi ? Je mécontentais très souvent ceux qui, je le savais, avaient autorité sur moi. La passion du jeu, mon goût pour les spectacles, me portaient à tromper, par une multitude de mensonges, mes parents, mes maîtres et mon gouverneur. Il m’arrivait même de dérober beaucoup de choses au logis pour satisfaire ma gourmandise, ou afin d’attirer des enfants à venir jouer avec moi ». « Voilà donc l’innocence des enfants ! » s’écrie-t-il. « Non, il n’y a point là d’innocence. Tels les hommes sont dans leurs affaires et leurs plaisirs, dans leurs relations entre eux, tels sont déjà les enfants. Le même fond de corruption est dans les uns et les autres. Les années ne font qu’en changer les effets ».

Tout en confessant ses fautes et la corruption de son cœur, Augustin reconnaît aussi les dons qu’il avait reçus de Dieu. « J’avais l’être, la vie, le sentiment ; je veillais à ma propre conservation par un sentiment intérieur qui me faisait le gardien de l’intégrité de tous mes sens ; dans la faible étendue de mes pensées, ainsi que dans les petites choses qui les faisaient naître, je cherchais la vérité et j’y prenais plaisir ; j’évitais d’être trompé ; j’avais beaucoup de mémoire ; j’étais touché de l’amitié ; je craignais la douleur et le mépris. Je rends grâces à mon Dieu de tous ces biens qu’il Lui a plu de répandre sur moi dès les premières années de ma vie. S’il y avait alors en moi péché et dérèglement, c’est que je cherchais le plaisir, la grandeur, la vérité, non en Dieu, mais en moi-même et dans les autres créatures, et je ne trouvais que la douleur et la confusion ».

Augustin était arrivé à l’âge où il devait passer de l’étude des lettres et des premiers principes de l’éloquence à des études plus avancées en vue du barreau auquel ses parents le destinaient. Son père le fit donc revenir de Madaure pour l’envoyer à Carthage. Mais Patricius n’était pas riche, et il dut auparavant recueillir l’argent nécessaire pour le séjour d’Augustin dans cette grande ville. « On donnait à mon père de grandes louanges », dit Augustin, « de ces efforts qu’il faisait, et au-delà de ses moyens, pour que je pusse aller au loin continuer mes études. Mais ce père si prévoyant ne se mettait guère en peine, ô mon Dieu, des progrès que je pourrais faire dans ta crainte et dans ton amour. Tous ses soins se portaient vers la culture de mon esprit, tandis que mon cœur restait comme une terre stérile pour toi, ô mon Dieu, pour qui ce cœur aurait dû rapporter des fruits ». Que de parents, hélas ! agissent comme le père d’Augustin, pensant surtout pour leurs enfants à leur avancement dans le monde !

Augustin resta donc quelque temps dans la maison paternelle. Mais là, laissé à lui-même et à un loisir absolu, associé à des compagnons légers et qui se livraient au mal, il tomba dans des péchés honteux qu’il déplore. « Je me portais au mal, non seulement par le plaisir que j’éprouvais à le faire, mais par celui que je trouvais à en être applaudi ». Il mettait son orgueil à n’être pas au-dessous des autres dans le mal. Combien d’enfants et de jeunes gens sont comme lui, qui ne rougissent pas de faire le mal, mais qui auraient honte de n’être pas aussi vicieux que leurs camarades. La pieuse mère d’Augustin l’avertissait sans doute, mais il n’y prenait point garde. « Mon Dieu », dit-il, « oserais-je dire que tu gardais le silence, lorsque j’allais m’éloignant toujours plus de Toi ? Ne me parlais-tu pas ? Ces paroles que ma mère, ta fidèle servante, fit alors entendre à mes oreilles, n’étaient-elles pas tes propres paroles ? Et cependant elles ne pénétrèrent point jusqu’au fond de mon cœur, pour y changer ma volonté… J’écoutais ses salutaires avis comme des discours de femme que j’aurais eu honte de suivre. Cependant, c’était Toi, Seigneur, qui me parlais par sa bouche, et méprisant ses discours, c’était Toi que je méprisais ». Combien cela est vrai et sérieux ! La parole de Dieu s’adresse ainsi au jeune homme : « Écoute, mon fils, l’instruction de ton père, et n’abandonne pas l’enseignement de ta mère ; car ce sera une guirlande de grâce à ta tête, et des colliers à ton cou » (Proverbes 1:8-9).

Augustin raconte comment, durant ce séjour, il commit, en compagnie d’autres enfants, un de ces larcins que, dans les campagnes on se permet parfois sans grand scrupule, et qui ne sont pas moins une infraction à la loi de Dieu et des hommes. Voici comment Augustin rapporte le fait en le condamnant : « Ta loi, Seigneur, condamne le larcin ; il est aussi condamné par une autre loi gravée dans le cœur de l’homme et que toute sa corruption ne peut en effacer. Un voleur, lui-même, ne supportera pas patiemment qu’on le vole. On sévit même contre celui que l’extrême indigence a porté à voler. Cependant j’ai pu former le dessein d’exécuter un vol, et je l’ai fait sans y être poussé par aucun besoin, mais par une sorte de mépris pour ce qui est honnête, et par la dépravation d’un cœur rempli d’iniquité ».

« Il y avait », continue-t-il, « dans le voisinage de notre vigne, un poirier chargé de poires, ni très belles, ni très bonnes à manger. Cependant moi et plusieurs autres méchants enfants, nous fîmes le complot d’aller secouer l’arbre et d’en emporter les fruits. Nous l’exécutâmes par une belle nuit, et nous revînmes chargés de ces fruits, non pour nous en régaler, car nous y goûtâmes à peine et jetâmes le reste, contents seulement d’avoir fait ce que nous ne devions pas faire. Quel fruit ai-je tiré de ce vol ? Aucun. Seul, je ne l’eusse pas commis. C’était de le commettre avec d’autres qui me le rendait agréable. Quel motif pouvions-nous avoir ? Nous cherchions à nous amuser, et il nous plaisait de penser que ceux que nous trompions ainsi, en concevraient un grand dépit. Seul, je n’eusse pas commis ce larcin, ni n’eusse même été tenté de le faire. Ô liaisons funestes des enfants, source de séductions pour leurs âmes, ardeur de nuire aux autres, qui naît de l’enivrement même de leurs jeux désordonnés ! Sans qu’il y ait aucun profit à en tirer, sans aucun motif de vengeance, il suffit que l’un dise aux autres : « Allons et taisons cela », pour que tous y aillent. Pas un seul alors qui n’eût honte de ne pas avoir perdu toute honte ».

Quelle vérité dans ces paroles ! On trouvera peut-être que ce larcin était de peu d’importance, une espièglerie d’enfants. Mais Augustin, arrivé à l’âge mûr et converti à Dieu, n’en juge pas ainsi. C’était pour lui, et il avait raison, une transgression de la loi de Dieu et un fruit de la corruption de son cœur, dont il s’humilie. Il n’y a pas de petites transgressions. Et combien vrai aussi ce qu’il dit de l’entraînement des uns par un seul qui a eu la pensée d’une mauvaise action ! On a honte de ne pas le suivre ; il faut faire comme les autres, par crainte des moqueries ! Que les jeunes gens méditent ces paroles du sage : « Mon fils, si les pécheurs cherchent à te séduire, n’y acquiesce pas » (Proverbes 1:10). Résistez, en vous tournant vers Dieu pour trouver le secours.

Au souvenir de ses péchés, même de ceux de son enfance, Augustin s’adresse à Dieu, en disant : « Ô mon Dieu, je me suis égaré loin de Toi dans ma jeunesse ; j’ai erré dans les voies perdues, sans guide et sans soutien ». Ne pouvons-nous pas faire aussi cette confession ? Et si nous ne l’avons pas encore faite, allons, en confessant nos péchés, à Celui qui les a expiés et nous donnera désormais de marcher dans des sentiers de justice, pour l’amour de son nom (Psaume 23:3). Nous pourrons dire alors avec Augustin : « Je reconnais, ô mon Dieu, que tu m’as pardonné tous les péchés que j’ai commis ; et tout le mal que je n’ai point fait, c’est ta grâce qui m’en a préservé, car de quoi n’étais-je pas capable ? Que ne te dois-je pas, ô mon Dieu, de pouvoir me souvenir de tous ces désordres, sans que mon âme en ait désormais rien à craindre pour mon salut ? Que je loue donc sans cesse ton grand nom, de ce que tu m’as remis tant d’œuvres d’iniquité ». Et nous goûterons aussi le bonheur dont Augustin parle en ces termes : « C’est toi seule que mes regards cherchent maintenant, ô lumière de justice et de pureté ! Ta beauté fait les délices des cœurs droits. Tu les remplis sans jamais les rassasier. En Toi seul, ô Dieu, est le solide repos et la vie que nul trouble ne saurait agiter ».

 

Augustin alla à Carthage, afin de poursuivre ses études. Mais dans cette grande ville, il rencontra des tentations auxquelles il ne sut pas résister. Il croyait en satisfaisant ses passions et les désirs de son cœur, trouver le bonheur. C’était en vain. « Mon cœur », dit-il, « dévoré d’une faim intérieure (celle du bonheur), cherchait un aliment, et ce n’était pas Toi qu’il cherchait, ô Dieu, seul aliment des cœurs : il n’avait aucun désir de cette nourriture incorruptible ». Le grand roi Salomon, bien longtemps avant Augustin, ayant aussi fait l’expérience du néant de toutes les jouissances de la terre pour rendre heureux, écrivait : « J’ai dit à mon cœur : Allons ! je t’éprouverai par la joie ; jouis donc du bien-être. Et voici, cela aussi est vanité » (Ecclésiaste 2:1-2). Le Seigneur seul peut donner, avec la paix, une joie véritable. Un genre de plaisirs pour lequel Augustin était passionné, était les représentations théâtrales. Mais quel fruit portent-elles ? La convoitise des yeux y trouve son compte, et des yeux passant dans le cœur, elles émeuvent et excitent des pensées et des désirs coupables. Elles agissent sur l’imagination et détournent l’esprit des réalités sérieuses de la vie et du monde invisible. Les jeunes gens en particulier ont à fuir ces spectacles trompeurs, à ne s’y laisser jamais entraîner sous quelque forme qu’ils se présentent ; on n’y trouve pas Christ, car quel accord y a-t-il entre Christ et Bélial ?

En même temps, Augustin s’appliquait avec ardeur à ses études. Mais que recherchait-il en cela ? C’était la satisfaction de son orgueil et de sa vanité. Il avait l’ambition d’exceller dans l’exercice de la profession à laquelle il se destinait, et doué de grands talents, il tenait, dit-il, le premier rang dans les écoles de rhétorique, ce qui le remplissait d’orgueil et de présomption.

Dieu cependant veillait sur Augustin, et en lui laissant faire l’expérience de ce qu’était son cœur, il le conduisait peu à peu vers la vérité et le salut. Dieu emploie toutes sortes de moyens pour accomplir son œuvre dans les âmes. Il fit tomber entre les mains d’Augustin, alors âgé de 18 ans, un livre du grand orateur Cicéron (1° siècle av. J.C.). Ce livre, l’Hortensius, contient une exhortation à l’étude de la philosophie : nos lecteurs savent que ce mot signifie « amour de la sagesse ». Les philosophes avaient la prétention d’aimer la sagesse et de la rechercher. « Ce livre », dit Augustin, « commença à changer mon cœur. Les vaines espérances du siècle ne m’inspirèrent plus que du mépris ; je me sentis embrasé d’un incroyable amour pour la beauté immortelle de la sagesse, et je fis, ô Dieu, un mouvement pour me lever et retourner vers Toi ».

Mais nous savons qu’il n’y a qu’une seule vraie sagesse — la sagesse selon Dieu, et qu’il y a quelqu’un qui est la Sagesse éternelle, la Sagesse de Dieu, c’est-à-dire le Seigneur. Aussi le monde et les philosophes comme Cicéron, qui voulaient par leur intelligence et leur raison trouver la sagesse, n’y sont point arrivés, et Augustin ne pouvait pas non plus la trouver. Mais, à son insu, c’était Dieu qui le réveillait ainsi, et lui faisait entrevoir quelque chose qui valait infiniment plus que les plaisirs et les honneurs du monde. « Combien, dans ce moment, ô mon Dieu », dit-il, « combien mon âme brûlait de quitter les choses de la terre pour voler vers Toi ! Mais je ne démêlais que confusément ce que tu opérais en moi. En toi seul est la sagesse, et ce que les hommes appellent philosophie est souvent un moyen de séduction. Aussi ton Esprit Saint nous a-t-il donné cet avertissement salutaire : « Prenez garde que personne ne fasse de vous sa proie par la philosophie et par de vaines déceptions, selon l’enseignement des hommes, selon les éléments du monde, et non selon Christ » (Colossiens 2:8). De nos jours aussi, une sorte de philosophie, de sagesse humaine tend à rabaisser Christ et à éloigner les âmes de Lui.

Augustin sentait bien que quelque chose manquait à cette science qui prétendait le conduire à la sagesse. Le souvenir des pieuses instructions reçues dans son enfance de la bouche de sa mère n’était pas effacé de son esprit. Le livre de Cicéron avait bien pu éveiller en lui un ardent désir de connaître et de posséder la sagesse, mais il ne satisfaisait pas ce désir. « L’ardeur que ce livre excitait en moi était refroidi par le fait qu’aucune de ses pages ne m’offrait le nom de Jésus Christ, car, par ta miséricorde, ô Seigneur, ce nom de ton Fils, mon Sauveur, était entré dans mon cœur dès mes plus tendres années. Je l’avais, pour ainsi dire, sucé avec le lait ; il était gravé en moi en caractères ineffaçables ; aussi, quelque élégant et orné que fût un discours, quelques vérités qu’il pût contenir, si ce nom sacré ne s’y trouvait pas, je n’étais point satisfait ». Ainsi les enseignements de sa pieuse mère n’étaient point perdus. Combien cela doit encourager les parents à persévérer à élever leurs enfants sous les enseignements du Seigneur et dans la connaissance des saintes lettres.

Augustin fut ainsi conduit à lire les Saintes Écritures. Mais comme c’était son intelligence plus que son cœur qui désirait posséder la sagesse, comme ce n’était pas un besoin de conscience qui le poussait à lire la Parole divine, il n’y trouva aucun attrait. Il fut repoussé par ce qu’il y trouva de mystérieux, ainsi que par la simplicité de son style, si différent de la vaine et pompeuse éloquence des hommes. Car l’homme naturel « ne reçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu, car elles lui sont folie » (1 Corinthiens 2:14). Augustin confesse que tel était son cas. « Un livre s’offre à moi », dit-il, « simple en apparence jusqu’à la bassesse, et qui s’élève ensuite à ce qu’il y a de plus sublime. Je n’étais capable ni d’en sonder la profondeur, ni de plier mon esprit à cette simplicité de paroles, si nouvelle pour lui… Mon orgueil dédaignait cette simplicité, et mes yeux étaient trop faibles pour pénétrer ce qui y était caché. Ce sont cependant ces choses cachées que cette divine Parole découvre aux humbles et aux petits ; mais je ne voulais être ni humble, ni petit ; je prenais mon orgueil pour de la véritable grandeur ».

Qu’arriva-t-il au pauvre Augustin qui désirait la sagesse, et qui en méprisait la seule et véritable source ? Dieu permit, pour abattre son orgueil, qu’il se laissât séduire et entraîner par la secte extravagante des Manichéens. Manès, son fondateur, se donnait pour être le Saint Esprit promis par le Seigneur. Il enseignait qu’il y a deux principes éternels en guerre l’un avec l’autre ; l’un, la lumière, est le bon principe, l’autre, le mauvais, est les ténèbres. Pour les Manichéens, Jésus n’a été un homme qu’en apparence, et n’a été crucifié qu’en apparence. Ils se divisaient en deux classes, dont la plus élevée était celle des parfaits. Ceux-ci proscrivaient le mariage et l’usage des viandes. La seconde classe était celle des auditeurs. Ils croyaient à la transmigration des âmes. Celles des auditeurs passaient dans le corps des parfaits ; celles des autres hommes dans des bêtes ou même des plantes. Ils enseignaient beaucoup d’autres aberrations, et l’on est étonné de voir qu’un homme intelligent comme Augustin se soit laissé entraîner dans de semblables folies. Mais ces hommes, comme tous les hérétiques, étaient habiles pour insinuer peu à peu leurs erreurs qu’ils mêlaient aux doctrines chrétiennes. Et c’est ce qui attira Augustin vers eux. « Pour surprendre les âmes », dit-il, « ils se servent des noms de Dieu, du Seigneur Jésus Christ, et de celui de l’Esprit Saint, le Consolateur de l’âme. Ils avaient sans cesse ces noms à la bouche, mais ce n’était pour eux qu’un vain son ; leur cœur était vide de toute vérité, bien qu’ils ne cessassent de répéter ce mot : Vérité ! Vérité ! »

Augustin, séduit par ces sectaires, était dans l’ignorance de Dieu, qu’il considérait comme un être matériel, tandis que le Seigneur, ainsi que toute l’Écriture, nous enseigne que Dieu est Esprit (Jean 4:24). Il ignorait aussi ce qu’est le péché, le croyant attaché à notre corps. « J’étais persuadé », dit-il, « que ce n’était pas nous qui péchions, mais je ne sais quelle nature étrangère en nous. Mon orgueil se complaisait dans cette pensée qu’il n’y avait rien en moi qui pût être coupable, et lorsque j’avais commis quelque faute, au lieu de reconnaître que moi, j’avais péché contre Toi, ô Dieu, pour implorer ton pardon, j’étais satisfait de pouvoir m’excuser du mal que j’avais fait, en en accusant ce je ne sais quoi qui n’était pas moi. J’étais ainsi un pécheur d’autant plus incurable que je me croyais sans péché ». Quelle fatale erreur ! Il faut y prendre garde, car, de nos jours aussi, il se trouve des gens qui pensent s’excuser du mal qu’ils ont commis en disant que ce n’est pas eux, mais la chair qui a agi. Ce que la parole de Dieu appelle la chair est notre mauvaise nature, et c’est bien nous qui péchons et sommes coupables, quand nous cédons aux convoitises de la chair. Mais la grâce du Seigneur Jésus nous délivre de la puissance du péché et des convoitises mauvaises ; par Lui, nous remportons la victoire sur les tentations de la chair.

Avec de semblables idées, il n’est pas étonnant qu’Augustin continuât à mener une vie coupable et toute mondaine, n’employant ses talents et sa vive intelligence que pour occuper une position éminente au milieu des hommes. Sa mère s’affligeait beaucoup de le voir s’égarer toujours plus loin de la vérité. Elle ne cessait de prier pour lui avec larmes. Un songe qu’elle eut, et dont la signification était qu’un jour son fils serait dans la même position qu’elle, c’est-à-dire un vrai chrétien, lui fut en grande consolation. Et comme elle pressait un jour un pieux évêque de chercher à ramener son fils à la vérité, il lui répondit : « Allez, continuez de prier pour lui ; le fils de tant de larmes ne saurait périr ».

En effet, peu à peu les yeux d’Augustin s’ouvrirent. Mais ce ne fut qu’après neuf longues années qu’il arriva à la connaissance de la vérité qui sauve. Toujours préoccupé de la recherche de la gloire du monde et des applaudissements des hommes, toujours livré à des passions coupables, il était tourmenté dans sa conscience, il n’avait point de repos dans son âme et cherchait l’expiation de ses péchés dans les folles pratiques superstitieuses des Manichéens. Il n’y a point de paix loin du Seigneur. « Les méchants sont comme la mer agitée, qui ne peut se tenir tranquille. Il n’y a pas de paix, dit mon Dieu, pour les méchants ». Mais la parole de Dieu dit aussi : « Paix, paix à celui qui est loin, et à celui qui est près ! dit l’Éternel ; et je le guérirai » (Ésaïe 57:18-21). C’est l’heureuse expérience que fit Augustin.

Dieu lui fit la grâce de voir les erreurs et les absurdités des Manichéens. Ce qui y contribua surtout fut la visite à Carthage d’un de leurs évêques, nommé Fauste, grandement renommé pour son éloquence, et, disait-on, par sa science. Il présentait l’erreur d’une manière séduisante, et était ainsi, dit Augustin, « un véritable piège du démon auquel plusieurs se laissaient prendre, entraînés qu’ils étaient par la beauté et la douceur de ses discours ». Il en est encore ainsi de nos jours, et nous devons écouter et suivre l’avertissement de l’apôtre, disant qu’il faut se garder d’être « emportés çà et là par tout vent de doctrine dans la tromperie des hommes, dans leur habileté à user de voies détournées pour égarer » (Éphésiens 4:14). Augustin avait espéré qu’un homme aussi savant saurait dissiper les doutes qu’il avait conçus touchant la doctrine des Manichéens, mais il s’aperçut bientôt que les belles paroles de Fauste cachaient une réelle ignorance, et qu’il était incapable de résoudre les difficultés qui lui étaient présentées. Lui-même d’ailleurs le reconnaissait. « Aussi », dit Augustin, « la grande ardeur que j’avais pour cette doctrine, fut bien refroidie », et il ajoute : « Toi, ô Seigneur, tu ne m’abandonnais pas, et ta main me conduisait par des voies cachées et admirables ».

Vers cette époque, Augustin résolut d’aller enseigner à Rome, où il pensait trouver plus d’avantages sous le rapport de la fortune et de la considération. Il était mû par des motifs purement humains, mais, dit-il, « c’était Toi, ô mon Dieu, mon espérance et mon partage, qui, pour le salut de mon âme, me conduisais à changer de contrée ». Sa mère, qui désirait le garder près d’elle, s’opposait à ce départ, mais il s’embarqua malgré elle et partit pour Rome. Augustin confesse la faute qu’il avait ainsi commise, mais Dieu, qui se sert même de nos manquements pour accomplir ses desseins de grâce, l’amenait là pour exaucer le plus ardent des désirs de sa mère. Désolée de le voir partir, « elle ignorait quelles joies Dieu lui préparait par cette absence ».

À peine arrivé à Rome, Augustin tomba dangereusement malade. « J’étais », dit-il, « sur le point de descendre au sépulcre, chargé de tous les péchés que j’avais commis contre Toi, ô Dieu ! Ces péchés pesaient sur moi, sans qu’aucun m’eût été remis à cause des mérites de Jésus Christ. Comment sa mort, que je considérais comme imaginaire, aurait-elle pu me racheter ? Ma fièvre redoublait ; j’étais sur le point de mourir, et de mourir pour l’éternité, car où serais-je allé, sinon dans les flammes de l’enfer ? ». Quelle terrible situation ! Mourir sans Christ, c’est l’éternelle perdition. Mais, dit encore Augustin, sa mère avait prié pour lui, et Dieu lui rendit la santé, « afin », ajoute-t-il, « que je pusse un jour recevoir de Toi celle de l’âme infiniment plus excellente ».

Il avait encore conservé quelques relations avec les Manichéens, lorsqu’il fut appelé à Milan pour y professer son art. Arrivé dans cette ville, il se présenta à l’évêque Ambroise. « C’était Toi-même, Seigneur », dit Augustin, « qui me menais vers lui d’une manière invisible, afin que, m’ouvrant les yeux, il me conduisît à Toi ». Ambroise le reçut avec une bonté toute paternelle qui lui gagna le cœur. Augustin devint un des auditeurs assidus de l’évêque. D’abord il venait l’entendre pour voir si son éloquence répondait à sa réputation, mais bientôt, sous l’enseignement d’Ambroise, les vérités du christianisme pénétrèrent dans son esprit. Il abandonna les Manichéens et prit la résolution de devenir catéchumène dans l’Église chrétienne. Il n’était pas encore converti, mais Dieu, en lui faisant quitter l’erreur, avait commencé son œuvre en lui.

Sa mère vint le rejoindre à Milan. D’une part, elle était heureuse de voir son fils détaché des erreurs mortelles des Manichéens, mais, d’une autre, sa joie était affaiblie en le voyant encore hésitant et plein de doutes. « Elle n’avait cessé de me pleurer comme si j’eusse été mort », dit-il, « mais c’était un mort que Tu devais ressusciter, Seigneur, quand Tu dirais comme au fils de la veuve : Jeune homme, je te le dis, lève-toi, et que Tu le rendrais à la mère qui l’avait perdu ».

En effet, Dieu agissait dans son âme par le moyen des enseignements d’Ambroise. Il saisissait de plus en plus la pureté et la beauté de la doctrine chrétienne. Mais il aurait voulu tout comprendre avant de croire, tandis qu’il nous faut croire d’abord ce que Dieu dit dans sa Parole, et cela parce qu’il le dit, et ensuite nous comprenons. Dieu le conduisit enfin à reconnaître l’autorité entière des Écritures. « J’avais reconnu », dit-il, « que, de nous-mêmes, nous étions trop faibles pour trouver la vérité par le seul secours de notre intelligence et sans l’autorité des Livres divins ». Et dès lors, ce qu’il ne comprenait pas, il l’attribua à la profondeur de la pensée divine, qui dépasse infiniment la portée de notre esprit.

Mais, tout en avançant pas à pas vers la vérité, il y avait un obstacle qui l’empêchait de la saisir. Il restait encore attaché au monde et aux choses du monde, recherchant les richesses et les honneurs, « asservi ainsi à diverses convoitises », et, par conséquent, ayant le cœur partagé, il n’était pas heureux. Tantôt il voulait s’occuper sans réserve de la grande affaire du salut, et se disait : « Pourquoi tarder davantage à abandonner les espérances du siècle pour ne plus chercher que Dieu et la vie bienheureuse ? ». Tantôt il reprenait : « Attends encore un peu, ô mon âme ; le monde a aussi ses douceurs et ses charmes ». Et il pensait pouvoir allier le monde et le service de Dieu. Son âme ainsi ballottée et incertaine ne trouvait point la paix. Le Seigneur a dit : « Nul ne peut servir deux maîtres ».

D’un autre côté, s’il cherchait la voie pour arriver à une vraie connaissance et à la jouissance de Dieu, il ne pouvait pas la trouver, parce que, dit-il, il ne connaissait pas Jésus Christ, « Médiateur entre Dieu et les hommes, Homme et Dieu lui-même, élevé au-dessus de toutes choses et béni éternellement », Lui qui est « le chemin, et la vérité, et la vie », et sans lequel nul ne vient au Père. Comme hélas ! bien des soi-disant chrétiens de nos jours, Augustin ne considérait Jésus que comme un homme d’une sagesse admirable, auquel aucun autre homme ne pouvait être égalé, à qui Dieu avait donné cette grande autorité dont il jouit dans le monde, pour nous conduire par son exemple du mépris des choses temporelles à la possession de la bienheureuse immortalité. « Je ne comprenais nullement », dit-il, « ce que veulent dire ces paroles : « La Parole est devenue chair ».

Cependant, comme il s’attachait toujours plus à lire les Écritures, la lumière se faisait dans son âme, mais, en même temps, n’ayant pas rompu avec le péché, il était profondément troublé. Dans sa perplexité, il alla trouver un pieux vieillard qui lui raconta la conversion d’un célèbre professeur d’éloquence, nommé Victorin. Celui-ci était resté païen jusqu’à sa vieillesse, mais ayant lu les Saintes Écritures, il fut amené à Christ qu’il n’eut pas honte de confesser aussitôt publiquement. Augustin se sentit enflammé d’un ardent désir d’imiter Victorin. Mais enlacé par les liens du péché, bien qu’il eût une volonté nouvelle de servir Dieu en abandonnant tout, il se sentait retenu comme un captif et faisait l’expérience de ce que l’apôtre dit, au chapitre 7 des Romains : « Je prends plaisir à la loi de Dieu selon l’homme intérieur ; mais je vois dans mes membres une autre loi qui combat contre la loi de mon entendement et qui me rend captif de la loi du péché qui existe dans mes membres ». Et Augustin s’écriait : « Misérable homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? »

Comme il était dans ces dispositions, un homme noble, nommé Pontitien, vint un jour le trouver. Augustin était avec son intime et fidèle ami Alype. Voici comment il raconte le début de cette entrevue qui eut pour lui un résultat si remarquable. « Nous prîmes des sièges pour converser plus à notre aise. Pontitien ayant aperçu un livre posé sur la table, le prit, l’ouvrit, et fut étonné de voir que c’étaient les épîtres de saint Paul. Il avait cru mettre la main sur un des livres qui se rapportaient à ma profession. Me regardant avec un sourire approbateur, il me témoigna combien il était agréablement surpris de trouver devant moi un tel livre, et ce seul livre ; car il était chrétien, et de ceux qui te servent fidèlement, ô Seigneur ! » Sur ce qu’Augustin lui dit que c’était le principal objet de ses méditations, il commença à raconter la vie d’Antoine et la conversion de deux officiers de l’empereur qui renoncèrent à tout pour servir le Seigneur. Ce récit fit sur Augustin une profonde impression. À mesure que Pontitien parlait, il voyait se dresser devant lui sa longue vie de péché. « Tu me forçais, ô Dieu ! à me retourner pour me contempler », dit-il, « malgré moi tu m’exposais moi-même devant mes propres yeux, afin que je visse à quel point j’étais infâme, hideux, difforme, de quelle fange et de quelles horribles plaies j’étais couvert (lire Ésaïe 1:6 ; Psaume 38:1-8). Je le voyais, et j’en avais horreur (Job 42:6). Tu ne cessais point de reporter mon image devant ma vue, afin que, voyant mon iniquité, je pusse la reconnaître et la haïr… J’admirais ces chrétiens qui étaient venus à Toi pour obtenir la guérison, et la comparaison que j’en faisais avec moi-même, me rendait haïssable à mes yeux. Je considérais avec douleur que tant d’années s’étaient écoulées, durant lesquelles j’avais différé de quitter les plaisirs du péché et les biens terrestres, pour ne penser qu’à acquérir le bien le plus précieux, dont la possession est préférable à tous les trésors, à toutes les couronnes, à toutes les voluptés de la terre ». Ce bien infiniment supérieur à tout ce dont Augustin parle, c’est la connaissance et la jouissance du salut qui se trouve en Jésus, et en vertu duquel nous approchons de Dieu et sommes heureux près de Lui. Nous voyons la profonde conviction de péché qui s’était emparée d’Augustin et combien amèrement il se repentait d’avoir si longtemps différé de saisir ce qui donne le seul et vrai bonheur. Ces regrets, toute personne qui a tardé de venir à Christ, les éprouve.

Pontitien étant parti, un violent combat se livra dans le cœur d’Augustin. D’une part, le monde et le péché voulaient le retenir ; d’un autre côté, la nouvelle nature en lui les détestait et l’attirait vers le bien et la soumission à Dieu. Dans l’agitation de ses pensées et le trouble de son âme, il se rendit dans un jardin attenant à la maison qu’il habitait. Là, s’étant jeté à terre sous un figuier, il versa d’abondantes larmes. Il priait avec instance, disant : « Mon âme est fort troublée,… Et toi, Éternel ! jusques à quand ? Jusques à quand, ô Éternel ! Seras-tu en colère à toujours ? Ne te souviens pas contre nous des iniquités anciennes » (Psaume 6:3 ; 79:5-8).

Il priait ainsi dans l’affliction de son cœur, lorsque, d’une maison voisine, il entendit comme une voix d’enfant disant à plusieurs reprises : « Prends et lis, prends et lis ». Il se releva et regardant ces paroles comme un commandement divin d’ouvrir les Écritures et d’y lire le passage qui s’offrirait à ses yeux, il retourna au lieu où était resté son ami. Ouvrant le livre des épîtres de saint Paul, il tomba sur ce passage : « Conduisons-nous honnêtement, comme de jour ; non point en orgies ni en ivrogneries ; non point en impudicités ni en débauches ; non point en querelles ni en envie. Mais revêtez le Seigneur Jésus Christ, et ne prenez pas soin de la chair pour satisfaire à ses convoitises » (Romains 13:13-14).

« À peine avais-je achevé de lire ces paroles », dit Augustin, « qu’il se répandit dans mon cœur comme une lumière qui lui donna la paix ; à l’instant même se dissipèrent les ténèbres dont les doutes le tenaient enveloppé ». Il avait saisi Christ comme le Libérateur de son âme, Celui qui affranchit de la loi du péché et de la mort (Romains 8:2).

Telle fut la conversion d’Augustin. Il alla dire la bonne nouvelle à sa mère, dont le cœur fut rempli de joie. Le fils perdu était retrouvé, celui qui était mort était revenu à la vie. Telle est la grâce divine.

 

Après sa conversion, Augustin renonça à la position qu’il occupait, et aux avantages qu’il pouvait en espérer. Cette position l’aurait retenu dans le monde, et il comprenait qu’il devait se séparer de celui-ci afin d’être tout entier pour Dieu. Il se retira à la campagne avec quelques amis, et reçut le baptême en même temps que son fils Adéodat et son ami Alype. Il résolut ensuite avec ses amis et sa mère de retourner en Afrique, mais arrivés à Ostie, le port de Rome, Monique mourut. Peu de jours avant sa mort, après un entretien qu’elle et Augustin avaient eu touchant la vie éternelle et bienheureuse qui est le partage des saints, elle dit : « Pour ce qui me regarde, mon fils, il n’y a plus rien dans cette vie qui soit capable de me plaire. Qu’y ferais-je désormais ? Il n’y avait qu’une chose qui me fît désirer d’y rester un peu ; c’était de te voir chrétien avant d’en sortir. Dieu m’a accordé ce que je désirais, que fais-je donc ici davantage ? »

Elle avait ordonné qu’on l’enterrât à Ostie où elle mourait. Autrefois elle avait exprimé le désir d’être enterrée auprès de son mari en Afrique, où elle avait choisi et préparé sa propre tombe ; mais Dieu, avait détaché son cœur de tout ce qui était terrestre, de sorte que des amis lui ayant demandé si elle n’éprouvait pas une sorte de peine à la pensée d’être enterrée dans un pays si éloigné du sien, elle répondit : « On n’est jamais loin de Dieu, et je n’ai pas sujet de craindre qu’à la fin des siècles il ait quelque peine à reconnaître où je serai pour me ressusciter ». Ainsi, dit Augustin, fut séparée de son corps cette âme sainte et pieuse, dans la cinquante-sixième année de son âge. La douleur d’Augustin fut vive, mais il trouva auprès de Dieu la vraie consolation.

Augustin avait appris à connaître cette grâce souveraine de Dieu qui l’avait suivi à travers tous ses égarements et l’avait enfin amené au port du salut. Il avait appris par une longue et douloureuse expérience ce qu’est l’homme, quelles convoitises recèle son cœur, et de quels péchés sa vie est remplie, aussi longtemps qu’il ne connaît pas Dieu. Il avait appris sa totale impuissance pour rompre avec le péché, et avait expérimenté que rien dans le monde ne peut rendre heureux et remplir le vide du cœur. Il savait maintenant que c’est Christ seul qui sauve et affranchit du joug du péché, et que c’est en Dieu seul, par Christ, que l’on goûte le vrai bonheur. Pénétré de cette vérité, il s’écriait en s’adressant à Dieu : « Combien j’ai tardé à t’aimer, ô beauté si ancienne et toujours nouvelle, combien j’ai tardé à t’aimer ! Tu m’as appelé, et mes oreilles se sont ouvertes à ta voix ; tu as lancé les rayons de ta lumière, et mes yeux aveuglés sont devenus clairvoyants. Et maintenant, je ne soupire qu’après toi ».

Citons encore quelques paroles qui nous feront voir sur quel fondement reposaient la foi et l’espérance d’Augustin : « Jusqu’à quel point tu nous as aimés, Père infiniment bon, qui n’as pas épargné ton Fils unique, mais qui l’as livré à la mort pour nous, pécheurs que nous sommes ! À quel point tu nous as aimés, puisque Celui qui ne regardait pas comme un objet à ravir d’être égal à Dieu, s’est anéanti et s’est rendu obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix ; Lui qui était maître de donner sa vie et de la reprendre ; Lui qui, pour nous, s’est offert à Toi comme victime, et qui a été vainqueur, qui s’est donné en sacrifice, et qui est Sacrificateur ; Lui qui, d’esclaves que nous étions, nous a faits tes enfants ! C’est donc justement que j’ai en Lui cette ferme espérance, et que tu guéris toutes les langueurs de mon âme par Celui qui est assis à Ta droite, et qui sans cesse y intercède pour nous… J’étais épouvanté à la vue de mes péchés et accablé sous le poids de mes misères, mais tu m’as rassuré par cette parole : « Christ… est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour Celui qui pour eux est mort et a été ressuscité » (2 Corinthiens 5:15).

Après la mort de Monique, Augustin retourna en Afrique. Là, ayant vendu ses biens au profit des pauvres, il demeura quelque temps près de Tagaste avec quelques amis, vivant dans la solitude et s’adonnant à la prière, au jeûne et à la méditation. Environ quatre ans après sa conversion — il avait alors trente-sept ans — il fut consacré prêtre malgré sa résistance, et quatre ans plus tard, il succéda à Valère, évêque de la ville d’Hippone. Il continua à mener une vie austère avec de jeunes chrétiens qu’il préparait au ministère, écrivant pour l’enseignement et la défense de la foi, prêchant sans se lasser et selon les besoins du moment. Il fut ainsi l’instrument de nombreuses conversions. Il vécut jusqu’à l’âge de 76 ans. Peu de temps avant sa mort, les Vandales, nation barbare, envahirent le nord de l’Afrique et assiégèrent Hippone, mais Augustin termina sa carrière terrestre avant la prise de la ville.

 

Augustin écrivit un très grand nombre d’ouvrages, dont les deux principaux sont les « Confessions » qui racontent sa conversion et dont nous avons cité quelques portions, et « la Cité de Dieu », grand ouvrage en faveur du christianisme contre le paganisme, et où il montre l’Église de Dieu survivant au déclin et à la chute de l’empire romain. « Il y a deux cités », dit-il, « celle de Dieu et celle des hommes, du ciel et de la terre. L’une renferme ceux qui vivent selon la chair ; l’autre, ceux qui vivent selon l’Esprit. Deux amours constituent les deux cités : l’amour de soi-même jusqu’au mépris de Dieu distingue la cité terrestre ; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi-même caractérise la cité céleste. Caïn, citoyen de la cité terrestre, bâtit une ville ; Abel n’en bâtit point : il était citoyen de la cité du ciel, et étranger ici-bas… Il est venu des lettres de cette cité sainte dont nous sommes, pour le moment, exilés : ces lettres sont les Écritures. Le roi de la cité céleste est descendu en personne sur la terre, pour être notre chemin et notre guide. Le souverain bien est la vie éternelle ; il n’est pas de ce monde ; le souverain mal est la mort éternelle, ou la séparation d’avec Dieu. La possession des félicités temporelles n’est qu’un faux bonheur : le juste vit de la foi. Quand les deux cités seront parvenues à leur fin, il y aura pour les pécheurs un supplice éternel, pour les justes un bonheur sans terme. Dans la cité divine, on, jouira de ce sabbat, de ce long jour qui n’a point de soir, où nous nous reposerons en Dieu ». Voilà, en abrégé, ce qu’Augustin enseigne dans ce livre remarquable. C’était au temps de la prise de Rome par les Barbares, et du bouleversement de l’empire par ceux-ci. En ce temps de détresse, Augustin tourne les yeux de ses contemporains vers les choses célestes et immuables. Ne reconnaissons-nous pas, dans ces deux cités, ce que nous trouvons dans l’Apocalypse touchant « ceux qui habitent sur la terre », et « ceux qui ont leur demeure dans le ciel » ? touchant la Babylone que détruit le jugement divin, et la sainte cité, la Jérusalem céleste ? (Apocalypse 13:8, 6 ; 18 ; 21). Et ne devons-nous pas nous demander : « À laquelle des deux cités est-ce que j’appartiens ? Celle de Dieu ou celle de la terre ? Ma bourgeoisie est-elle dans les cieux, ou bien suis-je de ceux qui ont leurs affections aux choses de la terre ? » (Philippiens 3:19-20).

Augustin, par sa parole et ses écrits, défendit la vraie foi contre les Ariens, les Manichéens, et sur tout contre les Pélagiens. Ce nom fut donné à ceux qui suivaient les enseignements d’un certain moine breton, nommé Pélage. Pélage, avec son ami et disciple Célestius, niait l’état de chute et de ruine de l’homme. Il disait que le péché d’Adam n’avait eu de suites que pour lui-même, mais que ses descendants n’y participent pas. Les enfants, d’après lui, naissent dans le même état qu’Adam avant qu’il eût péché. Il enseignait donc qu’il y a en l’homme des germes de bien qu’il peut développer par les forces qui sont en lui, et ainsi arriver à la sainteté. En conséquence, il donnait aux œuvres une importance qui diminuait ou même annulait la grâce de Dieu. Elle n’était plus qu’une aide que Dieu accordait à celui qui se décidait pour le bien. L’homme, selon les Pélagiens, a la capacité de choisir de sa propre volonté entre le mal et le bien, et d’accomplir celui-ci de manière à être accepté de Dieu. Il y a bien en lui une propension vers le péché, mais cela en soi n’est pas un mal, à moins que le péché ne soit pratiqué. Si l’homme obéit, il est aidé par la grâce divine pour obéir plus parfaitement. Et s’il vient à tomber, ses péchés lui sont pardonnés par l’œuvre de Christ.

Il est aisé de voir combien cela est contraire aux enseignements de la sainte Parole. Lisons ce qu’elle nous dit dès le commencement : « Adam… engendra un fils à sa ressemblance, selon son image » (Genèse 5:3). Adam était pécheur, Seth, son fils, et les descendants de Seth, ne pouvaient être autres. Ensuite l’Éternel « vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre, et que toute l’imagination des pensées de son cœur n’était que méchanceté en tout temps », mauvaise dès sa jeunesse (Genèse 6:5 ; 8:21). Et David dit : « J’ai été enfanté dans l’iniquité » (Psaume 51:5). Comment donc prétendre que les enfants naissent dans l’innocence ? Ensuite, l’apôtre Paul nous dit : « Je sais qu’en moi, c’est-à-dire en ma chair (dans mon être pécheur), il n’habite point de bien » (Romains 7:18) ; et il décrit, en Éphésiens 2:3, ce qu’il y a en nous au lieu du bien : Nous avons tous marché « autrefois dans les convoitises de la chair, accomplissant les volontés de la chair et des pensées ». Voilà notre état naturel. Nous sommes donc bien loin d’avoir en nous des germes de bien. Et avons-nous quelque force pour accomplir le bien ? Non, « nous étions sans force » (Romains 5:6). Et même, voudrions-nous faire le bien, nous nous trouvons dans l’impuissance devant le mal qui nous domine (Romains 7:18-19, 21). « Vous étiez morts dans vos fautes et dans vos péchés », dit l’apôtre (Éphésiens 2:1). N’est-ce pas la plus forte expression de l’impuissance ? Un mort ne peut rien faire. Est-ce seulement le péché pratiqué qui est un mal ? Non ; la convoitise, le mauvais désir, qui conduit au péché, est lui-même un péché quand même on n’y cède pas (Romains 7:7-11 ; Jacques 1:14-15).

Ainsi l’homme, vous et moi, tous les hommes petits et grands, nous sommes perdus, ruinés, sans force pour sortir de la ruine, et ce n’est pas d’aide que nous avons besoin, mais d’un Sauveur, d’un salut complet. Et comme nous ne pouvons rien faire, rien mériter, il faut que ce salut soit dû à la libre et souveraine grâce de Dieu. Béni soit-il, la grâce qui apporte le salut est apparue à tous les hommes dans la personne du Seigneur Jésus (Tite 2:11). Et maintenant l’apôtre nous dit, et partout l’Écriture répète : « Vous êtes sauvés par la grâce, par la foi, et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu ; non pas sur le principe des œuvres, afin que personne ne se glorifie » (Éphésiens 2:8-9). Mais n’y a t-il pas d’œuvres à accomplir ? Oui, certes, mais ce ne sont pas elles qui nous sauvent. Elles sont le fruit de la grâce dans notre cœur. Aucune œuvre accomplie avant que nous ayons reçu Christ comme notre Sauveur, ne compte devant Dieu. Mais ayant cru en Lui, nous recevons une nouvelle vie, la grâce crée en nous une nouvelle nature qui aime Dieu et se plaît à faire sa volonté, et cette même grâce, par le Saint Esprit, nous donne la force d’accomplir des œuvres qui plaisent à Dieu (Éphésiens 2:10). Ainsi la grâce de Dieu est tout et fait tout, et nous en sommes les heureux objets. Bienheureuse expérience que celle de notre misère et de notre incapacité, qui nous conduit à faire ensuite l’expérience plus heureuse encore de la puissance souveraine de la grâce pour sauver et donner la force !

On comprend qu’Augustin, qui avait fait l’expérience du péché qui était en lui depuis son enfance, qui avait gémi sous son joug, et qui avait senti son impuissance pour vaincre les convoitises et les passions mauvaises qui le dominaient, Augustin qui avait éprouvé que la grâce seule du Seigneur avait pu l’affranchir de la loi du péché et de la mort (Romains 8:2), était l’instrument merveilleusement choisi et préparé de Dieu pour combattre l’erreur fatale des Pélagiens. Cette erreur qui rabaisse la grâce et exalte l’homme, en lui persuadant qu’il peut faire quelque chose pour son salut, et qui diminue ainsi la valeur de l’œuvre de Christ, subsiste encore de nos jours chez un grand nombre de personnes. On veut bien du Seigneur pour aide, et l’on oublie que hors de Lui nous ne sommes ni ne pouvons rien.

Augustin fut ainsi le grand champion de la grâce qui seule sauve le pécheur sans les œuvres, mais qui le renouvelle pour qu’il puisse accomplir des œuvres qui plaisent à Dieu. Ses écrits sur ce sujet furent, bien des siècles plus tard, en grande bénédiction à Luther, cet homme remarquable que Dieu choisit pour faire briller de nouveau la lumière de sa Parole et la grande vérité du salut par la grâce, par l’œuvre seule de Christ. Entre Augustin et lui, des ténèbres toujours plus profondes avaient envahi l’Église, mais Dieu avait toujours eu des témoins de sa grâce.

 

 

3.6   Le pape Léon Ier, dit le Grand (440 à 461)

Les évêques ou papes de Rome ne cessaient de chercher à établir et à faire reconnaître leur prééminence sur tous les autres évêques de la chrétienté. Ils se basaient sur la prétendue primauté de Pierre sur les autres apôtres, et se disaient ses successeurs. Ils argumentaient aussi sur ce que Rome étant la tête de l’empire, l’évêque de Rome devait aussi être considéré comme le chef de la chrétienté. Appuyant ainsi leurs prétentions, ils s’efforçaient, soit par les conciles, soit par les empereurs, d’obtenir une sanction qui leur assurât ce rang suprême. Mais ils rencontrèrent d’abord une forte opposition. Déjà au troisième siècle, Cyprien de Carthage résistait à ces prétentions, et pendant longtemps le titre d’évêque des évêques leur fut contesté. Les églises d’Occident, par suite de diverses circonstances, finirent par accepter leur suprématie ; mais l’Église grecque ou d’Orient, ainsi que les églises nestoriennes, arméniennes et autres dont nous parlerons, ne la reconnurent jamais. L’Église grecque, vers le milieu du 11° siècle, se sépara entièrement de Rome.

Parmi les papes qui revendiquèrent avec énergie la suprématie de Rome sur les autres églises, un des plus célèbres est Léon Ier, que l’on a surnommé le Grand. Il se distingua en effet par de grandes qualités, mais nous devons nous rappeler que la grandeur au point de vue humain n’est pas toujours la grandeur selon Dieu. Disons quelques mots sur ce pape célèbre à plusieurs égards.

Léon Ier devint évêque de Rome en l’an 440. Augustin était mort en 430, Léon était donc le contemporain de ses dernières années. Les temps où il vivait étaient particulièrement troublés. En Orient, l’empire était agité par des hérésies sans cesse renaissantes, par la jalousie des divers patriarches, ou supérieurs ecclésiastiques des différentes provinces, et par la crainte des Barbares qui menaçaient les frontières. L’Occident avait déjà été en partie envahi par eux (*) ; Rome même avait été prise et pillée par Alaric, roi des Visigoths, en 410. La dignité du nom impérial avait disparu avec Théodose le Grand. Ses faibles successeurs n’avaient pas l’énergie nécessaire pour repousser les attaques incessantes des ennemis de l’empire. Dans ces circonstances, Léon, par son courage et son habileté dans les négociations politiques, sut en imposer aux Barbares, sauver Rome, en même temps qu’il s’opposait aux hérétiques et maintenait la vérité touchant la Personne de Christ. On ne doit pas s’étonner si le siège épiscopal de Rome occupé par un tel homme, acquit un prestige de nature à grandir son autorité.

 

(*) Plusieurs de ces Barbares avaient déjà embrassé le christianisme en Orient, mais sous sa forme arienne : c’était le cas des peuples Goths, des Burgondes, des Vandales. Ils furent longtemps des adversaires pour l’Église romaine. D’autres, tels les Francs, les Saxons, étaient restés païens ; une fois amenés au christianisme par les évêques et les moines catholiques, ils prêtèrent une aide efficace au pape. Les rois francs, de Clovis (baptisé en 496 avec ses guerriers) à Charlemagne (proclamé empereur par le pape en 800) et à ses successeurs, tinrent là un rôle décisif.

En l’an 452, Attila, le terrible roi des Huns, après avoir ravagé la Lombardie, se dirigeait vers Rome dans l’intention de s’en emparer. L’empereur Valentinien s’était lâchement réfugié dans la ville forte de Ravenne. Rien ne semblait devoir arrêter la marche du roi barbare, lorsque le Sénat et le peuple de Rome décidèrent d’entrer en négociation avec lui. Mais qui choisir, et qui voudrait entreprendre cette affaire dangereuse et délicate ? Le pape Léon fut désigné comme chef de l’ambassade et deux sénateurs du plus haut rang se dévouèrent pour aller avec lui affronter le roi barbare. L’orgueil d’Attila fut flatté de voir la ville impériale, la maîtresse du monde, comme on l’appelait, s’abaisser jusqu’à lui demander la paix par la bouche d’aussi illustres représentants. Touché par le discours que lui adressa Léon, il accorda ce qu’on était venu lui demander, la paix, moyennant un tribut annuel. Un chroniqueur de ce temps, qui fut secrétaire de Léon, dit « qu’il s’en remit à l’assistance de Dieu, qui ne fait jamais défaut aux efforts des justes, et que le succès couronna sa foi ».

De nouveau Rome, trois ans plus tard, fut menacée par le cruel Genséric, roi des Vandales. Il n’y avait ni armée, ni général pour la défendre. Léon, à la tête de son clergé, alla à la rencontre du roi barbare, mais ne fut pas si heureux que lorsqu’il eut affaire avec Attila. Tout ce qu’il put obtenir, c’est qu’un frein fût mis aux excès des rudes et sauvages vainqueurs.

Si, dans ces deux grandes occasions, Léon eut à jouer un certain rôle politique, il se montra surtout plein de zèle et d’activité dans sa charge d’évêque. Comme tel il eut à combattre pour la vérité chrétienne.

Le manichéisme, ou doctrine de Manès, dont nous avons parlé à l’occasion d’Augustin, s’était répandu dans le nord de l’Afrique. Mais Carthage ayant été prise par Genséric, plusieurs des Manichéens cherchèrent un asile à Rome, et, cachant leurs mauvaises doctrines, voulurent se faire passer pour de vrais chrétiens. Léon rechercha diligemment ces hérétiques dont on trouva un grand nombre et, parmi eux, plusieurs évêques. Un tribunal, composé de magistrats et d’ecclésiastiques, les examina, et ils confessèrent que dans leurs réunions secrètes se commettaient de grossières immoralités. Les évêques ne pouvaient que condamner leurs erreurs et les exhorter à les abandonner ; les magistrats durent sévir contre ceux qui s’étaient rendus coupables de crimes. Les impénitents furent bannis de Rome, et Léon exhorta les évêques à être vigilants pour que ces hérétiques ne séduisissent pas les âmes faibles. Il eut aussi à s’opposer à l’hérésie des Priscilliens, dont les doctrines se rapprochaient de celles des Manichéens.

L’hérésie d’Eutychès touchant la Personne de Christ troublait l’Église d’Orient. Nous en parlerons plus tard. Léon, qui était au courant de cette grave affaire, envoya des légats au concile d’Éphèse (celui que l’on nomma concile de brigands) avec une lettre où il exposait la vraie doctrine relativement à Christ. Le faux concile d’Éphèse refusa de la lire, mais elle fut lue dans le concile de Chalcédoine, qui fut convoqué plus tard, et qui annula les actes du concile d’Éphèse et condamna Eutychès. Mais ce concile avait été amené à régler d’autres questions et en particulier celle du rang des patriarches. Il confirma le patriarche de Constantinople comme primat des églises d’Orient, mais n’accorda pas au siège de Rome la suprématie universelle. « Les Pères », dit le concile, « ont avec raison accordé la primauté au siège de l’ancienne Rome, parce qu’elle était la cité royale ; mais de même, les cent quatre-vingts évêques (ceux du concile) ont donné une primauté égale à la nouvelle Rome » (c’est-à-dire Constantinople). Toutefois ils ajoutaient : « immédiatement après l’ancienne Rome ».

Léon, par ses légats, ne donna pas sa sanction à ce canon ou article du concile. Être appelé évêque universel était l’ambition du pape de Rome, et il revendiquait ce titre, mais rencontrait encore de l’opposition, même en Occident.

Du temps de Léon, Hilaire, évêque d’Arles, qu’il ne faut pas confondre avec Hilaire de Poitiers, était le métropolitain des Gaules. Il était plus éclairé que plusieurs autres évêques de cette époque. Il avait été moine et, devenu évêque, il avait continué à vivre d’une manière simple et austère. Il labourait la terre de ses mains, afin de gagner de l’argent pour racheter de pauvres captifs. Il consacrait une grande partie de son temps à la prière et à l’étude, et il prêchait avec une puissance qui captivait ses auditeurs.

Comme métropolitain, il visitait les églises de la Gaule, et trouva un évêque, nommé Chélidonius, qui avait épousé une veuve, et qui, avant d’être évêque, étant juge, avait condamné à la mort un coupable. D’après les canons de l’Église, cela lui interdisait d’occuper un siège épiscopal. Hilaire convoqua un synode à Vienne et Chélidonius fut déposé. Mais Chélidonius en appela à Rome, où Hilaire se rendit pour convaincre Léon qu’il avait agi selon les canons de l’Église. Malgré cela, le pape rétablit Chélidonius dans sa charge et voulut remplacer Hilaire comme métropolitain des Gaules par l’évêque de Vienne ; il obtint même de l’empereur un rescrit contre Hilaire qu’il accusait de troubler la paix de l’Église. Hilaire résista aux prétentions de Léon et continua à remplir ses fonctions jusqu’à sa mort.

Léon, à part ses prétentions à la suprématie sur les autres évêques, fut le champion de la vérité pour autant qu’il la connaissait, et poursuivit avec un zèle infatigable les erreurs et les mauvaises doctrines relatives à la Personne du Seigneur.

Un grand nombre de ses sermons roulent sur la Personne de Christ, et s’étendent soit sur sa vraie divinité, soit sur sa réelle humanité, vérité des plus importantes et fondement du christianisme. Mais relativement à l’expiation, ses idées étaient erronées. Il pensait que l’homme étant esclave de Satan, l’expiation accomplie par le Seigneur était comme un prix payé au diable afin de délivrer l’homme de son autorité sur lui. Cette pensée, qui n’est pas celle de l’Écriture, se rencontre assez fréquemment de nos jours.

Bien qu’il parle des mérites et de la mort de Christ comme seule source de salut, il dit que par les mérites des saints s’opèrent des miracles sur la terre, et qu’ils sont en aide à l’Église. Il mentionne dans ce sens saint Paul, saint Pierre, saint Laurent, mais jamais la Vierge, et il ne dit pas qu’il faille leur adresser directement des prières. Quant au chemin du salut, il dit « Par la prière, on cherche la miséricorde de Dieu ; par le jeûne, les convoitises sont éteintes ; par les aumônes, les péchés sont expiés. Celui qui s’est racheté par des aumônes, ne doit pas douter que, même après plusieurs péchés, la splendeur de la nouvelle naissance ne soit restaurée en Lui ».

Voilà le chemin tracé du salut par les œuvres, bien différent du salut par grâce, et un commencement pour l’invocation des saints ! C’est ainsi que l’erreur s’introduit peu à peu. À côté de cela nous voyons aussi le recours à l’autorité civile, l’assujettissement au monde, mais le nom du Fils de Dieu est maintenu. C’est ce qui caractérise le temps représenté par l’assemblée de Pergame (Apocalypse 2:12-17), comme nous l’avons vu à plusieurs reprises.

 

3.7   Le christianisme introduit en Écosse et en Irlande

Chrysostôme, Jérôme, Augustin et Léon Ier nous ont conduits en Orient, à Constantinople et en Syrie, puis en Occident, à Rome et dans l’Afrique septentrionale. Ces hommes étaient de zélés serviteurs de Dieu, qui insistaient sur la nécessité d’une vie pure et séparée du monde, et qui, Augustin surtout, connaissaient et annonçaient le salut par la pure grâce de Dieu. Mais ces mêmes hommes n’étaient pas étrangers aux abus et aux erreurs qui s’étaient introduits dans l’Église, et qui tendaient toujours plus à substituer un culte de formes et de cérémonies au culte en esprit et en vérité (Jean 4:23-24). En même temps, la domination du clergé, évêques et prêtres, sur les simples fidèles, s’accentuait toujours plus, et l’évêque de Rome, en particulier, commençait à vouloir dominer sur tous les autres. Mais avant de voir dans quel triste état l’Église tomba peu à peu, nous dirons comment le christianisme s’introduisit et se répandit en Écosse et en Irlande.

 

3.7.1        Écosse

L’Évangile avait été apporté de bonne heure dans le sud de la Grande Bretagne. Chassés par la persécution, au temps de Dioclétien, plusieurs chrétiens de ces contrées se réfugièrent en Écosse, et s’y construisirent de simples demeures, semblables à celles des solitaires. Connus sous le nom de Culdées ou Culdéens, ces humbles chrétiens se sentirent pressés de prier pour le salut des païens qui les entouraient et leur annoncèrent l’Évangile. Les Culdées n’admettaient point les formes superstitieuses et la suprématie de l’Église de Rome, et n’espéraient le salut que par la foi au Seigneur Jésus Christ. Leur vie paisible et sainte frappa les sauvages habitants de ces contrées, et un grand nombre d’entre eux abandonnèrent leurs superstitions et les rites sanglants de leur religion pour se convertir à Christ. Mais les incursions incessantes des Pictes et des Scots, anciens habitants des montagnes de l’Écosse, obligèrent les Culdées à se réfugier dans les Hébrides (*). Plus tard ils durent les quitter, parce qu’ils ne voulaient point se soumettre aux exigences de l’Église romaine, et se dispersèrent dans l’est de l’Écosse où ils subsistèrent jusqu’à la fin du treizième siècle. Quelques années plus tard naissait Wiclef, un des précurseurs de la Réformation. Ainsi le flambeau de la vérité se maintenait, porté par des témoins que Dieu suscitait au milieu de l’erreur.

 

(*) Groupe d’îles au nord-ouest de l’Irlande.

3.7.2        Écosse - Ninian

Dans le cinquième siècle, Ninian, « très saint homme de la nation des Bretons », comme le nomme un ancien historien, prêcha aussi l’Évangile dans les districts méridionaux de l’Écosse. Il avait été élevé à Rome et avait achevé ses études auprès du célèbre évêque Martin de Tours. Il se rendit ensuite en Écosse et fixa sa demeure à Galloway. D’après les récits qui nous ont été transmis, Ninian annonça partout autour de lui la parole de la croix. Les sauvages habitants de l’Écosse écoutaient avec surprise ses prédications entraînantes, et un grand nombre furent convertis. Plein de zèle, il poursuivait l’œuvre pour laquelle l’Esprit Saint l’avait envoyé. Partout où il se montrait, les foules accouraient et recevaient avec joie la bonne nouvelle. De toutes parts retentissaient les louanges du Seigneur. Il travaillait comme un fidèle et diligent ouvrier dans la vigne de son Maître, et des milliers d’âmes furent par son moyen amenées à Jésus et reçurent le baptême. Ce fut surtout parmi une tribu des Pictes que son travail eut des résultats. L’histoire se tait sur ceux qui lui succédèrent dans cette œuvre, et sur ce qui se passa chez ces nouveaux convertis. Sans doute, l’Évangile qu’il prêchait n’était plus aussi pur que l’Évangile des temps apostoliques, mais Christ, le Sauveur, le Fils de Dieu, était annoncé, et « celui qui croit au Fils a la vie éternelle ». Nous ne pouvons non plus douter que le Seigneur n’ait entretenu le feu qu’il avait allumé, et n’ait fait progresser et s’étendre la vérité qu’un si grand nombre avait reçue.

 

3.7.3        Irlande - Patrick

Laissons, pour le moment, l’Écosse pour nous occuper de l’Irlande et du serviteur de Dieu qui y travailla durant de longues années à proclamer l’Évangile.

Vers l’an 372, naquit en Écosse, au village chrétien de Bonavern, non loin de Glasgow, un jeune garçon que ses parents avaient nommé Succat, mais qui est plus connu sous le nom de Patrick. Ses parents étaient des chrétiens sérieux. Son grand-père avait été presbytre ou ancien, et son père, Calpornus, homme simple et pieux, était diacre de l’église de Bonavern. Sa mère, nommée Conchessa, sœur de l’archevêque Martin de Tours, était une femme distinguée entre celles de son temps. Dès son jeune âge, les parents de Succat cherchèrent à faire pénétrer dans son cœur les vérités chrétiennes. Mais le jeune garçon, vif, impétueux, plein de vigueur, était peu disposé à prêter l’oreille aux enseignements de sa mère, ni à l’exhortation du sage : « Écoute, mon fils, l’instruction de ton père, et n’abandonne pas l’enseignement de ta mère » (Proverbes 1:8). Il aimait le plaisir et s’y livrait avec fougue, entraînant avec lui les jeunes gens de son âge. Emporté ainsi par ses passions, il tomba, à l’âge de quinze ans, dans une faute grave.

Il avait environ seize ans, lorsque ses parents furent appelés à quitter l’Écosse et allèrent s’établir dans l’Armorique (*). Là, Succat, se trouvant un jour sur le bord de la mer avec ses deux sœurs, Lupita et Tigris, des pirates irlandais, conduits par un chef nommé O’Neal, parurent tout à coup, se saisirent des trois jeunes gens, les entraînèrent dans leur barque et les transportèrent en Irlande, où ils furent vendus à l’un des chefs de ces peuples encore païens. Semblable au fils prodigué, Succat fut envoyé dans les pâturages pour y garder les pourceaux. Il passa là six années en esclavage, et eut beaucoup à souffrir. Mais Dieu se servit de ces rudes épreuves pour l’amener à réfléchir et à rentrer en lui-même. Seul dans ces campagnes, sans aucun secours religieux, l’Esprit Saint agit dans son cœur. Il se rappela sa vie passée, et il sentit peser lourdement sur son âme le péché qu’il avait autrefois commis. Jour et nuit, il y pensait. Dans son angoisse, il pleurait et priait, et les combats qui se livraient en lui étaient si grands, que son corps devenait comme insensible aux intempéries, à la fatigue, à la faim et à la soif. Mais en même temps que le souvenir de ses fautes le troublait ainsi, en repassant en lui-même les jours de son enfance, il se rappela les tendres paroles de sa mère, ses prières et les passages des saintes Écritures qu’elle lui récitait et où il était question du Sauveur. Dieu, qui est plein de grâce envers le pécheur repentant, se servit de ces souvenirs pour la bénédiction de Succat. Il se tourna vers le précieux Sauveur dont Conchessa lui avait parlé, et il trouva la paix auprès de Lui.

 

(*) La Bretagne d’aujourd’hui.

« J’avais seize ans », raconte-t-il lui-même, « et je ne connaissais pas le vrai Dieu ; mais le Seigneur, dans cette terre étrangère, ouvrit mon cœur incrédule, de sorte que, bien que tard, je me rappelai mes péchés et me convertis de tout mon cœur au Seigneur, mon Dieu, qui regarda à ma bassesse, eut pitié de ma jeunesse et de mon ignorance, et me consola comme un père console son enfant ». N’est-elle pas merveilleuse cette œuvre que sans instrument extérieur l’Esprit de Dieu opéra dans le cœur de ce jeune homme ? Œuvre d’amour où, comme dans l’histoire du fils prodigue, nous voyons Dieu donnant le baiser du pardon à son enfant repentant. Et c’est cette même œuvre que l’Esprit Saint opère encore aujourd’hui pour amener les âmes à Dieu. Il faut naître de nouveau, naître d’en haut.

Ainsi, dans ces contrées éloignées du centre de l’empire romain, loin de toutes les querelles théologiques qui agitaient les églises de l’Occident et de l’Orient, l’Évangile s’était conservé relativement pur. C’était la grâce du Seigneur Jésus qui apporte le salut, et la puissance du Saint Esprit qui l’applique à l’âme. Après en avoir fait l’expérience, voici ce que raconte encore Succat : « L’amour de Dieu croissait de plus en plus en moi avec la foi et la crainte de son nom. L’Esprit me pressait tellement que, jusqu’à cent fois dans un seul jour, je priais. Et même, quand je restais dans les forêts et les montagnes où je gardais mon troupeau, j’étais poussé avant le jour à prier, par la neige, par la gelée, par la pluie, parce que l’Esprit brûlait alors en moi. Dans ce temps-là, je ne ressentais pas dans mon cœur cette nonchalance que j’y trouve maintenant ». On peut voir en Succat une âme qui a été profondément exercée devant Dieu, et qui savait ce qu’est la communion personnelle et immédiate avec Dieu et Christ produite par l’action et la puissance de l’Esprit Saint, en dehors des formes du culte de Rome. Et tel était en général le christianisme des îles Britanniques au 4° et au 5° siècle.

Succat, délivré une première fois, fut de nouveau fait captif ; mais enfin il put aller retrouver sa famille. Mais bientôt il se sentit irrésistiblement poussé à retourner dans ce pays où il avait trouvé le salut. Il faut qu’il aille annoncer l’Évangile à ces païens de l’Irlande au milieu desquels il a vécu. En vain ses parents et ses amis cherchent à le retenir. Son ardent désir le suit dans ses rêves ; il lui semble entendre pendant la nuit des voix qui lui crient : « Viens, ô saint enfant, et demeure de nouveau parmi nous ». Son cœur en était profondément ému. Enfin, malgré ceux qui voulaient l’en empêcher, il partit, tout pénétré de l’amour de Christ. « Cela ne se fit pas dans ma propre force », dit-il, « ce fut Dieu qui surmonta tout ».

Succat, que nous nommerons maintenant Patrick, nom qui lui fut donné plus tard, retourna donc en Irlande, rempli de zèle pour le salut des païens de ce pays. Ingénieux dans les moyens à employer, il battait des timbales, et rassemblait ainsi autour de lui dans les champs ses auditeurs, auxquels il racontait dans leur propre langue, l’histoire de Jésus, le Fils de Dieu. Ces esprits encore grossiers et barbares, étaient peu à peu touchés par ces simples récits. La parole de Dieu exerçait sa divine puissance sur les cœurs, et beaucoup d’âmes furent converties au christianisme. C’est ainsi que sur cette terre païenne se formèrent des églises chrétiennes, où, mêlé peut-être à quelques erreurs, cependant l’Évangile était annoncé. Le fils d’un seigneur, que Patrick nomme Bénignus, apprenait de lui à prêcher l’Évangile, et le barde ou poète de la cour, au lieu des hymnes sanguinaires des druides, chantait des cantiques de louanges adressés à Jésus Christ. Patrick consacra le reste de sa vie exclusivement aux habitants de l’Irlande, et travailla au milieu d’eux à répandre la connaissance de Jésus Christ, à travers beaucoup de dangers et de difficultés. On ignore l’année de sa mort.

L’œuvre commencée en Irlande par Patrick continua à se développer après sa mort, et l’on put voir alors se manifester pleinement les fruits de son ministère. L’Irlande, au commencement du VIe siècle, nous est décrite comme une contrée bénie, siège de la pure doctrine chrétienne, de la piété et de la paix, ce qui lui avait valu le nom d’ « Île des saints ». Les monastères, où l’on étudiait diligemment les Écritures, étaient remplis de moines pieux, qui, ne trouvant pas autour d’eux un champ d’activité assez vaste et animés d’un ardent amour pour les âmes des pauvres païens, quittaient leur pays sous la conduite de quelque chef aimé, et allaient prêcher l’Évangile au loin. Telle fut la mission de Colomba. Il faut nous rappeler qu’à cette époque une grande partie de l’Europe était encore habitée par des peuples païens et barbares.

 

3.7.4        Colomba

Colomba naquit en Irlande vers l’an 521 ; il vivait donc près de deux siècles après Patrick. Il était de sang royal, mais il avait estimé la croix de Christ plus qu’une position élevée dans le monde, et s’était tourné vers le Dieu Sauveur. Colomba sentait profondément combien il était important de répandre l’Évangile dans les contrées où il était encore ignoré. Sa pensée se portait surtout vers l’Écosse, ce pays d’où Succat était venu apporter en Irlande la bonne nouvelle du salut, mais qui était maintenant livré aux barbares Pictes et Scots. « J’irai », dit Colomba, « prêcher en Écosse la parole de Dieu ».

Il communiqua son dessein à quelques amis chrétiens, et ceux-ci, non seulement l’approuvèrent, mais se déclarèrent prêts à l’accompagner. C’était en l’an 565. Mais comment accomplir leur projet ? Les communications entre les différents pays n’étaient pas faciles comme de nos jours. Trouveront-ils un navire qui veuille les transporter où ils désirent aller ? Ils ne se laissent pas arrêter par la difficulté. Colomba et ses douze compagnons, qui savaient sans doute comment les pécheurs et les pirates construisaient leurs barques, descendent au bord de la mer, et là font avec des branches de saules entrelacées, un grossier esquif qu’ils recouvrent de peaux de bêtes. Ils quittent l’Irlande sur cette frêle embarcation, sous la conduite du Seigneur, et, après une longue et périlleuse navigation, les intrépides missionnaires atteignent l’archipel des Hébrides. Des pirates, non moins audacieux, sillonnaient aussi ces mers orageuses, mais c’était pour porter au loin le pillage et le meurtre ; les humbles et paisibles serviteurs de Christ exposaient leur vie pour apporter aux misérables païens le salut et la vie éternelle. Colomba s’arrêta près des stériles rochers de Mull, au sud des fameuses grottes basaltiques de Staffa, dans une petite île que l’on nomma I-colm-kill, ou île de la cellule de Colomba. Mais elle est plus connue sous le nom de Iona ou Jishona, ce qui veut dire Île sainte (*). Des druides (**), chassés autrefois de la Gaule et de la Bretagne par les Romains, s’étaient réfugiés dans ces îles. Il y en avait encore à Iona quand Colomba y aborda ; joints aux indigènes, ils témoignèrent d’abord aux nouveaux venus des sentiments hostiles. Mais peu à peu l’opposition cessa, et Conall, le roi des Pictes, donna à Colomba l’île de Iona.

 

(*) Nos lecteurs trouveront aisément ces endroits sur une carte des Îles Britanniques.

(**) Prêtres de la religion sanguinaire des Gaulois et des Bretons. Les druides, dans l’accomplissement de leurs rites religieux, immolaient souvent des victimes humaines. Ils enseignaient cependant l’immortalité de l’âme et une existence après cette vie. C’est dans ces croyances que les Gaulois puisaient le mépris de la mort qui les caractérisait.

Colomba y érigea une chapelle et fonda un monastère qui acquit une si grande réputation que, pendant des siècles, on le regarda comme la lumière du monde occidental. De toutes parts on s’y rendait, et de là des hommes pleins de zèle et de foi allèrent, en bravant les difficultés et en supportant bien des privations, répandre l’Évangile au loin, chez les Pictes d’Écosse, les Celtes et les Saxons de la Grande Bretagne. Colomba était un zélé serviteur du Seigneur, vivant en la présence de Dieu, traitant durement son corps, couchant sur la terre nue, mais portant toujours partout une figure rayonnante d’amour, et sur laquelle se peignaient la joie et la sérénité qui remplissaient son âme. Il ne voulait pas qu’aucun moment fût perdu pour le service de Dieu. Il consacrait tout son temps à prier, à lire, à écrire, à enseigner et à prêcher la parole de Dieu. À son exemple, les moines s’adonnaient à la lecture, à la méditation et à la prière. Mais ils ne se bornaient pas à cela ; ils se livraient à des travaux manuels, à la culture des champs et des jardins, et se nourrissaient des fruits du travail de leurs mains. Ils étaient ainsi en exemple aux habitants de Iona et des îles voisines, leur apprenant à cultiver leurs terres, tout en leur faisant connaître le chemin du salut. L’île ayant été donnée à Colomba, il y faisait régner l’ordre et la plus stricte moralité. Colomba résidait habituellement à Iona, mais de là il visitait les autres îles et l’Écosse. Avec une infatigable activité, il allait de maison en maison et de royaume en royaume, annonçant Christ, et faisant l’œuvre d’un évangéliste parmi les Pictes et les Scots encore barbares. Le roi des Pictes fut converti, ainsi qu’un grand nombre de ses sujets. Pendant quarante-trois ans, Colomba poursuivit ainsi son ministère, exerçant, par sa sagesse, sa vie sainte et son dévouement, une grande influence sur les gens de toutes les classes et de toutes les conditions. Mais son affaire principale était de former des hommes capables de porter l’Évangile au près et au loin. Pour cela, de précieux manuscrits furent transportés à Iona, et peu à peu s’y forma une bibliothèque qui devint célèbre. Les moines pouvaient ainsi s’instruire, mais les Écritures étaient toujours leur principale étude. Colomba mourut en 597, après une vie toute consacrée au service du Seigneur.

 

Le christianisme que l’on trouvait à Iona et dans les contrées évangélisées par les missionnaires, était bien différent du système religieux qui prévalait toujours plus dans d’autres parties de l’Europe sous l’influence et l’autorité croissante des prêtres et surtout de l’évêque de Rome, qui aspirait à la domination spirituelle universelle ; système qui tendait à remplacer le culte en esprit et en vérité par des formes et des cérémonies mêlées d’idolâtrie et de superstitions. Bien qu’à Iona il y eût certaines formes, ce n’était pas en elles que l’on cherchait le salut. Parmi ces chrétiens, il y avait à la tête des églises des anciens ou presbytres, et des évêques ou surveillants, mais ces deux charges étaient presque les mêmes. Iona était présidée par un simple ancien. Les missionnaires qui allaient évangéliser portaient le titre d’évêques et étaient mis à part par l’imposition des mains des anciens. Mais ce n’était pas une consécration humaine qui faisait un ancien, un évêque, ou un missionnaire. « C’est l’Esprit Saint », disait Colomha, « qui fait un serviteur de Dieu » (voir Actes 20:17-28). L’enseignement donné par les anciens était simple : « La Sainte Écriture », disaient-ils, « est la règle unique de la foi. Il n’y a dans les œuvres aucun mérite ; n’attendez votre salut que par la grâce de Dieu. Gardez-vous d’une religion qui consiste dans des pratiques extérieures ; conserver un cœur pur devant Dieu vaut mieux que s’abstenir des viandes. Jésus Christ est l’unique chef de l’Église. Les évêques et les presbytres sont égaux. Ils doivent être maris d’une seule femme et tenir leurs enfants dans la soumission ». Ce sont bien là les enseignements que nous trouvons dans la Parole de Dieu, et spécialement dans les épîtres de Paul.

Après Colomba, les Culdées, ces chrétiens qui s’étaient réfugiés dans les Hébrides, conservèrent les institutions du pieux serviteur de Dieu, et un long temps s’écoula avant que la Rome papale réussît à les assujettir à son joug et à ses erreurs. Combien il est précieux de voir la lumière de la vérité continuer à briller au sein des ténèbres qui, peu à peu, envahissaient la chrétienté ! Un grand zèle missionnaire se montrait toujours à Iona. Des serviteurs de Dieu partaient pour évangéliser, non seulement en Écosse et dans la Grande-Bretagne, mais aussi sur le continent parmi les peuples restés païens.

 

3.7.5        Colomban

C’est ainsi que Colomban, qu’il ne faut pas confondre avec Colomba, bien qu’ils vécussent à peu près dans le même temps, « sentant », dit un auteur, « brûler dans son cœur le feu que le Seigneur est venu allumer sur la terre », résolut d’aller porter l’Évangile jusqu’au-delà des frontières de l’empire des Francs. Né en Irlande, il avait passé ses premières années à Iona, puis il avait été dans le grand et célèbre couvent de Bangor, en Irlande. Il partit de là, en l’an 590, avec douze missionnaires, et se rendit dans les Gaules. La renommée de sa piété était arrivée aux oreilles de Gontran, roi des Burgondes, qui l’engagea à s’arrêter dans son pays. Mais Colomban refusa, et alla s’établir dans la contrée des Vosges, encore inculte et presque inaccessible. Là, les missionnaires, au milieu des grossiers habitants de ce pays qui les regardaient avec défiance, eurent d’abord à souffrir de grandes privations, ne trouvant souvent pour se nourrir que des herbes sauvages, des écorces d’arbres et quelques poissons. Graduellement cependant, les farouches indigènes s’adoucirent à leur égard. La vie sainte et dévouée de ces moines étrangers leur inspira du respect. Ils leur apportèrent des vivres, et croyant que leurs prières avaient une grande efficacité, ils réclamèrent leurs intercessions auprès de Dieu. Bientôt une foule d’entre eux se convertirent, et Colomban érigea en divers endroits des monastères, où régnait une discipline sévère en même temps qu’une profonde piété.

Colomban, en fidèle serviteur de Dieu, ne craignait pas, à l’exemple de Jean le Baptiseur autrefois, de reprendre les grands de la terre à cause de leurs péchés. Alors régnait en Bourgogne, Thierry II, le petit-fils de Gontran. Ce roi, soutenu et encouragé par son aïeule Brunehaut, fameuse par ses crimes, menait une vie des plus dissolues. Il se rendait cependant souvent auprès de Colomban pour solliciter ses prières, croyant peut-être par là expier ses péchés. Mais l’homme de Dieu se mit à le reprendre sérieusement de ses débordements, et le roi promit de se corriger. Alors Brunehaut l’excita contre le serviteur du Seigneur, et fit tout pour perdre celui-ci. Colomban, sachant qu’elle préparait des embûches contre lui, se rendit à la maison royale où, étant arrivé, il ne voulut pas entrer. Ayant appris qu’il était là, le roi lui envoya des présents pour l’honorer. Mais Colomban les refusa en disant : « Le Très Haut réprouve les dons de l’impie ; son serviteur ne peut pas les accepter ». Le roi et Brunehaut effrayés vinrent le supplier de leur pardonner, promettant de s’amender. Mais bientôt ils retombèrent dans leur vie de péché, et, pour se débarrasser des avertissements de l’homme de Dieu, Thierry, n’osant le faire mourir, le chassa de son royaume et le fit conduire à Nantes, où Colomban s’embarqua pour l’Irlande. Une tempête ayant repoussé le navire sur les côtes de Bretagne, Colomban vit en cela un signe que le Seigneur voulait qu’il continuât sa mission sur le continent. Il se rendit en Suisse et resta quelque temps sur les bords du lac de Constance, évangélisant avec son fidèle compagnon Gall les idolâtres de ces contrées. Puis il passa en Italie, où il travailla activement parmi les Lombards (*). Il mourut en l’an 616, au monastère de Bobbio qu’il avait fondé. Il s’était toujours opposé aux prétentions du pape, ou évêque de Rome.

 

(*) Là aussi il eut à évangéliser des païens, mais bien davantage à combattre l’arianisme, qui était la forme de christianisme de ces Barbares redoutés entre tous, établis en Italie du Nord depuis 568. Il baptisa leur roi à Milan, mais l’ensemble du peuple lombard n’abjura l’arianisme qu’en 658, et les Lombards devaient être encore pendant un siècle, jusqu’à ce que Charlemagne détruisît leur royaume en 774, un obstacle à l’expansion spirituelle et temporelle de la papauté romaine.

Quand Colomban partit pour l’Italie, il dut laisser son disciple Gall qui était tombé malade. Gall resta en Suisse, et, plus tard, annonça dans leur propre langue l’Évangile aux habitants encore païens de ce pays, et un grand nombre furent convertis. Il fonda le célèbre monastère qui porte son nom, et est considéré comme l’apôtre de la Suisse. Il mourut en l’an 627.

Ainsi, par le zèle et le dévouement de ces moines venus d’Écosse et d’Irlande, le christianisme se répandit dans les Pays-Bas, la Gaule, la Suisse, une partie de l’Allemagne et le nord de l’Italie. Ces chrétiens, libres du joug de l’Église romaine, firent plus que celle-ci pour faire connaître l’Évangile dans l’Europe centrale. Malheureusement, profitant de l’ignorance des temps qui suivirent, l’Église de Rome finit par entraîner les populations dans ses erreurs et les fit passer sous sa domination. L’Écosse et l’Irlande n’y échappèrent pas ; elles succombèrent après bien des luttes, et il ne resta que quelques faibles foyers de lumière, épars çà et là, jusqu’aux jours de la Réformation.

 

3.8   Grégoire le Grand

Au temps où Colomba et Colomban poursuivaient leurs travaux évangéliques, l’évêque ou pape de Rome était Grégoire, qu’on a surnommé le Grand. Il était né à Rome en 540, d’une famille noble, et aurait pu arriver aux places les plus éminentes, mais à l’âge de 35 ans, il renonça au monde et aux honneurs, employa ses richesses à fonder plusieurs monastères et à soulager les pauvres, et fit de son palais à Rome un couvent où il menait une vie ascétique rigoureuse, s’assujettissant aux travaux les plus humbles, et consacrant le reste de son temps à la prière et à des actes de pénitence. Pensait-il acquérir par-là le pardon de ses péchés et une place dans le ciel ? Nous pouvons espérer mieux que cela de lui, car il disait : « Dieu a sauvé les saints sans qu’ils eussent aucun mérite ; la félicité des saints est une grâce et ne s’acquiert point par des mérites », mais il croyait sans doute, comme plusieurs de nos jours, que des œuvres et des prières sont nécessaires pour attirer la miséricorde de Dieu et fléchir sa colère, ces personnes-là considérant Dieu comme un Juge et non comme un Père. Elles ne connaissent pas l’amour parfait de Dieu qui bannit toute crainte (1 Jean 4:18).

Grégoire devint abbé ou supérieur de son couvent ; il avait déjà été ordonné diacre, et, à la mort du pape Pélage, il fut nommé à sa place évêque de Rome, en 590, par le sénat, le clergé et le peuple, tant était grande la confiance que lui avait acquise son renom de charité et d’austérité. Grégoire se dévoua tout entier à la tâche difficile que lui imposait la charge dont il était revêtu. C’était un temps de troubles et de misère extrêmes, dans l’État et dans l’Église. Comme évêque de Rome, la première ville d’Occident, il fut obligé parfois d’intervenir dans les affaires politiques pour préserver son peuple contre les Barbares qui la menaçaient ; mais il consacra surtout son temps à combattre les hérétiques, et à corriger les vices du clergé. N’est-ce pas une chose étrange et triste à constater ? Ceux qui devaient être les conducteurs et les modèles du troupeau (1 Pierre 5:3), avaient à être corrigés de leurs vices ! Grégoire apporta aussi beaucoup de soins à l’organisation des services religieux. Il introduisit le mode de chant sacré qui porte encore son nom dans l’Église romaine. Jusqu’alors tout le peuple chantait, mais il établit des choristes à qui seuls était réservée cette partie du culte. Le peuple se contentait de quelques réponses. C’est à lui qu’est due la forme primitive du culte et l’ensemble de cérémonies qu’on appelle la messe chez les catholiques romains, mais à laquelle, depuis lui, on a beaucoup ajouté. C’est ainsi qu’au temps de Grégoire, le vin de la Cène était donné à tous les assistants, tandis que l’Église romaine a décidé que le clergé seul doit participer à la coupe. De même à cette époque, on n’enseignait pas encore la transsubstantiation, mot qui désigne la doctrine de l’Église romaine suivant laquelle, quand le prêtre a prononcé les paroles de la consécration : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang », le pain, ou plutôt l’hostie, est changé littéralement dans le corps du Seigneur. Mais nous parlerons de la messe plus tard.

Pour en revenir à Grégoire, il avait sans doute de bonnes intentions ; il pensait que les cérémonies et le chant attireraient et retiendraient le peuple dans les églises et qu’il en résulterait du bien. Mais qu’est-ce que Dieu demande ? Ce ne sont pas des formes religieuses ; elles ne sauvent pas, et ne constituent pas un vrai culte. Ce qui sauve, c’est la foi au Seigneur Jésus, et le vrai culte consiste, quand on est sauvé, à adorer Dieu en esprit et en vérité (Actes 16:31 ; Jean 4:23-24). À ce que je viens de dire, j’ajouterai que Grégoire avait une vénération extraordinaire et superstitieuse pour les reliques des saints, chose également étrangère à l’Écriture. De plus, tout en étant indigné de ce que le patriarche de Constantinople prenait le titre d’évêque universel, lui, Grégoire, maintenait la suprématie de l’Église de Rome sur les autres, prétendant que les papes étaient les successeurs de Pierre, à qui les clefs du royaume des cieux avaient été données. Il fut ainsi un des précurseurs du système antichrétien de la papauté, dont le chef, le pape de Rome, dit être le vicaire ou remplaçant de Jésus Christ sur la terre, et assume comme tel des honneurs presque divins. Bien que beaucoup d’erreurs se fussent déjà peu à peu introduites dans l’Église, on peut assigner à l’époque de Grégoire le commencement de ce temps du Moyen Âge qui spirituellement, fut une période de ténèbres, où régnèrent, sous la domination absolue des papes, des moines et du clergé, la superstition et l’idolâtrie, accompagnées d’une grande corruption des mœurs. C’est le temps que figure dans l’Apocalypse l’assemblée de Thyatire. Jésabel y représente la corruption dans l’Église (Apocalypse 2:20).

Grégoire, malgré tout, fut un homme charitable, dévoué, infatigable dans son zèle pour ce qu’il croyait bien ; mais cela n’excuse nullement ses erreurs, car il avait la parole de Dieu pour l’instruire et le guider. Il avait aussi à cœur la conversion des païens, mais tout en désirant d’abord qu’ils devinssent des chrétiens, il voulait qu’une fois tels, ils fussent rattachés à l’Église de Rome. On raconte qu’étant encore abbé, comme il traversait un jour le marché à Rome, son attention fut attirée par un certain nombre de jeunes captifs anglo-saxons exposés pour être vendus comme esclaves. Il fut frappé par la noblesse de leur attitude et la beauté de leurs visages.

— D’où viennent ces captifs ? demanda-t-il.

— De l’île de Bretagne, lui fut-il répondu.

— Les habitants de cette île sont-ils des chrétiens ?

— Non ; ils sont païens (*1).

— Quel dommage, dit Grégoire, que le prince des ténèbres possède des créatures d’une si belle apparence. Pourquoi manque-t-il à la beauté de leur visage celle de l’âme ? Mais quel est le nom de leur nation ?

— Ils sont appelés Angles.

Grégoire, jouant sur ce nom, dit :

— Ils sont bien nommés, car leurs faces sont semblables à celles des anges (*2). Ils devraient être, cohéritiers des anges dans le ciel. Quelle province de Bretagne habitent-ils ?

— Celle de Deïra (actuellement le Northumberland).

— Ah ! certainement ils doivent être affranchis de ira. (*3) Quel est le nom de leur roi ?

— Ella.

— Oui, dit Grégoire, alléluia doit être chanté dans ce royaume, à la gloire du Dieu qui a créé toutes choses.

 

(*1) Les chrétiens de la Bretagne avaient bien fait quelques efforts pour amener à la foi les conquérants saxons, dont les Angles faisaient partie, mais les vainqueurs refusèrent avec mépris d’écouter ceux qu’ils avaient vaincus.

(*2) « Angles », en latin, langue dont Grégoire se servait, « Angli », et anges « angeli ». Les deux mots sont presque les mêmes.

(*3) « De ira », mots latins signifiant « de la colère ».

 

Cette rencontre remplit Grégoire du désir d’être missionnaire parmi ce peuple et de le gagner à Christ. Il demanda permission au pape d’exécuter ce dessein et celui-ci, après s’y être longtemps opposé, y consentit enfin. Grégoire partit, mais il n’était pas encore bien loin que le peuple de Rome, qui le considérait comme un saint, força le pape à le faire revenir. Mais Grégoire n’oublia pas ce qu’il s’était proposé, et quand il fut devenu pape, il fit exécuter par un autre ce qu’il n’avait pu faire lui-même. Nous allons voir quelle fut cette mission d’un envoyé de l’Église romaine en Angleterre.

 

3.9   La mission d’Augustin en Angleterre et ses suites

L’envoyé que Grégoire choisit pour aller évangéliser les païens d’Angleterre, était un de ses amis nommé Augustin, abbé d’un monastère. C’était un homme d’un grand zèle et d’une ardente piété, sur qui Grégoire pouvait compter. Mais à ces qualités, Augustin joignait beaucoup d’orgueil spirituel, et au désir de sauver les âmes, il joignait avant tout celui de rattacher les convertis à l’Église de Rome et de les soumettre à l’autorité du pape. Il partit en l’an 596 avec quarante missionnaires. Mais arrivés en Provence, ils furent effrayés à la pensée des difficultés de leur mission auprès de peuples barbares dont ils ignoraient la langue, et Augustin retourna à Rome pour demander au pape la permission d’abandonner l’entreprise (*). Mais Grégoire n’était pas homme à laisser une œuvre qui lui tenait à cœur, et à laquelle il avait beaucoup réfléchi. Il exhorta et encouragea Augustin à persévérer, plaçant devant lui et ses compagnons les récompenses divines qui seraient leur partage, et il donna à Augustin des lettres de recommandation pour les évêques des endroits où ils passeraient, ainsi que pour les rois francs Théodoric et Théodebert.

 

(*) Quand Paul et Barnabas furent envoyés par l’Esprit Saint, et non par un homme ou des hommes, ils ne reculèrent pas devant leur tâche.

Les missionnaires prirent courage, et, après un long et pénible voyage, ils débarquèrent en Angleterre, sur l’île de Thanet, dans le Kent. Le roi de ce pays était alors Ethelbert, le plus puissant des monarques anglo-saxons. Il avait épousé une princesse chrétienne, Berthe, fille de Charibet, roi de Paris. Augustin envoya à Ethelbert des messagers pour lui annoncer l’arrivée d’hommes qui apportaient la bonne nouvelle du chemin à suivre pour obtenir le bonheur éternel, la gloire du ciel, avec la paix et la bénédiction du vrai Dieu.

 

Ethelbert consentit à les recevoir, mais en plein air, de peur que ces étrangers n’usassent des artifices de la magie. Les prêtres païens pouvaient lui avoir suggéré cette pensée. Pour frapper ce peuple grossier et produire sur le roi une certaine impression, Augustin et ses moines se rangèrent en procession, firent porter devant eux une grande croix en argent avec l’image du Christ, et s’avancèrent, en chantant des cantiques latins, vers l’endroit où les attendaient le roi et sa cour. Augustin s’acquitta de son message, annonçant aux païens étonnés la bonne nouvelle des bénédictions éternelles du ciel. Le roi, bien que favorablement disposé, lui dit cependant qu’ils ne pouvaient, lui et son peuple, changer de religion sans de sérieuses considérations. Il promit aux missionnaires de les protéger, et leur dit que ceux de son peuple qui le voudraient, pourraient se joindre à eux. Puis il leur assigna pour célébrer leur culte une vieille chapelle ruinée située près de Cantorbéry, sa résidence, et qui avait servi autrefois aux chrétiens bretons.

La vie pieuse et dévouée d’Augustin et de ses compagnons et les miracles que, dit-on, ils opérèrent, gagnèrent la confiance du peuple, et bientôt le roi et nombre de ses sujets acceptèrent le christianisme tel qu’Augustin le leur apportait, c’est-à-dire quelques doctrines chrétiennes, mais en même temps les erreurs, les cérémonies et la suprématie de Rome. C’est ainsi que l’Église romaine s’implanta en Angleterre.

Augustin envoya à Rome la nouvelle de ses succès. Le pape le nomma archevêque de Cantorbéry et l’établit à la tête de douze évêques sur tous les chrétiens (*), non seulement sur les Saxons nouvellement convertis, mais aussi sur les Bretons descendants des premiers chrétiens. Ceux-ci, par suite des invasions des Pictes, des Scots, puis des Saxons, avaient cherché un refuge dans le pays de Galles. Là s’était fondé un grand monastère nommé Bangor, comme celui qui existait en Irlande. Près de trois mille hommes s’y trouvaient réunis, travaillant, étudiant et priant. Plusieurs missionnaires étaient sortis du milieu d’eux. Augustin voulut les amener à accepter les coutumes et la suprématie de l’Église de Rome et à le reconnaître comme évêque établi sur eux. Pour cela, il convoqua un synode des évêques saxons et bretons. Un petit nombre seulement de ceux-ci s’y rendirent. Dionoth, qui présidait la grande église de Bangor, répliqua à Augustin : « Nous voulons aimer tous les hommes, et ce que nous faisons pour toi, nous le ferons aussi pour celui que vous nommez le pape. Mais il ne doit pas s’appeler Père des pères, et la seule soumission que nous puissions lui accorder est celle qu’en tout temps nous devons à tous les chrétiens » (**) . Une seconde assemblée eut lieu, mais les évêques bretons tinrent ferme, et l’un d’eux déclara qu’ils ne pouvaient admettre ni l’orgueil des Romains, ni la tyrannie des Saxons. Augustin exhorta, supplia, censura, et même, dit-on, eut recours aux miracles, mais sans plus de succès.

 

(*) Il faut toujours entendre par là les chrétiens de profession.

(**) Lire Éphésiens 5:21.

 

Espérant toujours vaincre la résistance des évêques bretons, Augustin les convoqua une troisième fois. Que faire ? se demandaient ces pauvres évêques, intimidés et quelque peu ébranlés par le grand nom de Rome qui avait conservé un certain prestige sur les esprits des peuples éloignés. Il y avait un ermite pieux et sage, qui s’était acquis un grand renom de sainteté. Quelques-uns des Bretons allèrent le consulter. — Devons-nous abandonner nos coutumes et suivre Augustin ? lui dirent-ils. — S’il est un homme de Dieu, suivez-le, fut sa réponse. — Et à quoi le reconnaîtrons-nous ? — Le Seigneur a dit : « Prenez mon joug sur vous et apprenez de moi, car je suis débonnaire et humble de cœur ». Si Augustin est débonnaire et humble de cœur, il porte le joug de Christ et vous offre de porter le même joug ; mais s’il est violent et superbe, il n’est pas de Dieu et vous n’avez pas à faire attention à ce qu’il dit. — Comment connaîtrons-nous son humilité ? dirent-ils encore. — Faites en sorte que lui et les siens arrivent les premiers au lieu du rendez-vous. S’il se lève quand vous entrerez, obéissez-lui.

Telles furent les paroles de l’ermite ; mais les évêques bretons n’eussent-ils pas mieux fait de consulter la parole de Dieu et de se tenir à ses enseignements ? Ils y auraient vu que Christ est le seul vrai conducteur, et que Pierre recommandait aux anciens de ne pas paître le troupeau de Dieu comme dominant sur des héritages, mais en étant des modèles du troupeau (*).

 

(*) Matthieu 23:7-12 ; 1 Pierre 5:2, 3.

Qu’arriva-t-il ? Quand les évêques bretons entrèrent, Augustin, assis dans toute sa dignité et voulant leur montrer sa supériorité, ne se leva pas pour les saluer. Frappés à cette vue, les évêques bretons, pour la troisième fois, refusent de se soumettre au pape de Rome et ne veulent connaître d’autre maître que Christ. Augustin alors s’écrie : « Puisque vous ne voulez pas recevoir des frères qui vous apportent la paix, vous subirez des ennemis qui vous apporteront la guerre. Vous ne voulez pas vous unir à nous pour annoncer aux Saxons le chemin de la vie, eh bien, vous recevrez d’eux le coup de la mort ». Et il se retira.

Était-ce là l’esprit et la douceur de Christ ? Non, certainement ; mais on y voit l’orgueil et l’esprit de domination qui caractérisèrent de plus en plus l’Église de Rome aspirant à la suprématie universelle et l’établissant sur les autres églises.

Augustin n’avait donc pu amener les évêques bretons à se soumettre à l’autorité de Rome. Il eut plus de succès dans ses efforts pour convertir les païens. Outre ceux du Kent, il réussit auprès de Sébert, roi d’Essex, qui embrassa le christianisme avec tout son peuple, et il gagna aussi Redwald, roi de l’Est-Anglie (*). On ne peut que reconnaître le zèle et le dévouement d’Augustin, et, sans nul doute, le christianisme qu’il apporta en Angleterre, tout mélangé d’erreurs qu’il était, valait infiniment mieux que le paganisme cruel des Saxons ; mais combien il est regrettable qu’au lieu de prêcher le pur et simple Évangile qui annonce le salut à quiconque croit au Seigneur Jésus, il ait introduit une religion de formes et de cérémonies sous l’autorité d’un clergé soumis au pape de Rome. Ce n’est pas ainsi qu’agissaient les apôtres, et cela laissait les cœurs vides de Dieu. Trop souvent les païens ne faisaient que changer une forme de culte pour une autre, et, à la place de leurs dieux, mettaient des saints ou soi-disant tels.

 

(*) Nos lecteurs doivent se rappeler que les Saxons, peuple païen du nord-ouest de l’Allemagne, avaient envahi l’Angleterre dans le 5° et le 6° siècle, et y avaient formé sept royaumes : le Kent, le Sussex, le Wessex, l’Essex, le Northumberland, l’Est-Anglie et la Mercie. La Déirie faisait partie du Northumberland.

Grégoire en effet, pour ne pas heurter les populations païennes dans leurs habitudes, avait conseillé à Augustin de transformer les temples païens en églises, en les consacrant à tel ou tel saint. Les fêtes chrétiennes furent célébrées aux mêmes jours que l’avaient été les fêtes païennes. Dans ces fêtes, on élevait des baraques, on égorgeait des animaux, et le peuple s’en nourrissait, le tout sous l’invocation d’un saint. Les coutumes païennes étaient ainsi conservées sous une autre forme ; la nouvelle religion s’accommodait à l’ancienne. Était-ce vraiment le christianisme, celui de Paul qui écrivait : « Soyez séparés,… et ne touchez pas à ce qui est impur » ? (2 Corinthiens 6:17) (*). On pensait gagner ainsi plus aisément les populations, et ce n’est pas le seul fait de ce genre que présentent les missions catholiques romaines.

 

(*) Des coutumes païennes s’étaient ainsi glissées et conservées dès les premiers temps dans l’Église, aux fêtes dédiées aux saints. Augustin et Ambroise s’étaient fortement élevés contre elles, mais en vain. Au commencement du 5° siècle, on voit qu’en Italie, à Naples, elles existaient et Paulin de Nole, appelé saint par l’Église de Rome, les approuvait.

Augustin mourut vers l’an 605. On se rappelle sa cruelle menace contre les chrétiens bretons qui n’avaient pas voulu se soumettre au joug de Rome. Peu avant ou peu après sa mort, elle eut son accomplissement. Ethelfrid, roi du Northumberland, qui était païen, s’avança avec une nombreuse armée contre Bangor, le foyer du christianisme breton. Les moines effrayés s’enfuirent. Douze cent cinquante d’entre eux s’étaient réunis dans un endroit écarté pour implorer le secours du Seigneur. Ils furent découverts par leurs cruels ennemis. Ethelfrid, voyant ces hommes désarmés à genoux, demande ce qu’ils font. L’ayant appris, il s’écrie : « Ils combattent donc contre nous ! » et il ordonne à ses soldats de fondre sur ces hommes en prières. Douze cents furent égorgés, le reste réussit à s’échapper. Les Saxons marchèrent ensuite sur Bangor qu’ils détruisirent. Les prêtres virent dans ce fait la réalisation du présage du saint pontife Augustin, comme ils le nommaient ; mais dans le pays, que ce massacre remplit de douleur, on accusa Augustin d’avoir été l’instigateur de l’invasion d’Ethelfrid. Ce fut un coup fatal porté à l’église bretonne, bien qu’elle eût encore un moment d’éclat, comme nous le verrons.

 

Augustin eut pour successeur Laurent, un des missionnaires venus avec lui en Bretagne. Mais l’œuvre qu’ils avaient accomplie sembla à son tour sur le point d’être anéantie. Un grand nombre de ces soi-disant chrétiens, si facilement convertis, retournèrent au paganisme. Eadbold lui-même, roi de Kent, fils et successeur d’Ethelbert qui le premier avait accueilli les missionnaires, fut du nombre des apostats. Les évêques romains s’enfuirent dans les Gaules, et Laurent se prépara à les suivre. Il avait voulu passer une dernière nuit en prières dans l’église ; le matin venu, il vint, les vêtements en désordre, se présenter devant le roi, et, ôtant son manteau, lui montra son corps couvert de plaies. Le roi surpris lui demanda qui avait osé le maltraiter ainsi. « Saint Pierre, répondit Laurent, lui était apparu la nuit, et, lui reprochant d’abandonner son troupeau, l’avait châtié à coups de fouet. De là venaient ses meurtrissures ». Eadhold était superstitieux ; saisi de crainte, il se soumit de nouveau à la puissance du pape, successeur d’un apôtre qui traitait si rigoureusement les désobéissants. Laurent était-il de bonne foi ? On peut croire qu’agité par la pensée de laisser une œuvre à laquelle il s’était attaché et en ayant du remords, il ait eu un rêve, et qu’ensuite il se soit meurtri lui-même, afin d’essayer par ce moyen d’agir sur l’esprit du roi.

Edwin, qui fut roi du Northumberland après le cruel Ethelfrid, fut aussi converti, dit-on, par une intervention miraculeuse. Il vaut mieux penser qu’Edwin, dont la femme était chrétienne, fut amené par elle à embrasser le christianisme. Un grand nombre de ses sujets suivirent son exemple et furent baptisés. Mais Edwin ayant été tué dans un combat contre le païen Penda, roi de Mercie, presque tous les Northumbriens retournèrent au paganisme. On peut voir par là le peu de réalité de ces conversions. On embrassait un certain ensemble de pratiques religieuses, mais le cœur et la conscience n’avaient point été atteints, parce que Christ n’avait pas été vraiment prêché, et qu’il n’y avait pas eu une action de l’Esprit Saint. Quelle différence entre ces conversions et celles des Thessaloniciens, par exemple ! Eux avaient été vraiment « tournés (ou convertis) des idoles vers Dieu, pour servir le Dieu vivant et vrai, et pour attendre des cieux son Fils Jésus » (1 Thessaloniciens 1:9-10). Ils avaient reçu l’Évangile, la parole de Dieu, dans la puissance de l’Esprit Saint et avec joie, bien qu’accompagné de tribulations, et ils étaient restés fidèles. Ils étaient vraiment chrétiens.

Un rayon de lumière vint encore briller un moment dans les ténèbres. Oswald, fils du cruel Ethelfrid, avait dû chercher un refuge en Écosse, avec son frère Oswy et quelques jeunes nobles. Il avait appris la langue du pays, avait entendu l’Évangile et avait été vraiment converti. Il fut baptisé ainsi que son frère. Les églises d’Écosse, comme nous le savons, et en particulier Iona, avaient conservé plus purement les vérités de la parole de Dieu. Oswald, dont le cœur avait été réellement saisi par la grâce du Seigneur, aimait à écouter les anciens de ces églises et désirait vivement marcher sur les traces de Jésus qui allait de lieu en lieu, faisant du bien. Il se montrait plein de compassion pour les pauvres, se dépouillant même de ses vêtements pour les couvrir. Il pensait aussi à ses compatriotes du Northumberland, près desquels il aurait voulu aller comme missionnaire, afin de les ramener au christianisme. Mais il crut qu’il y parviendrait mieux s’il était établi sur le trône. À la tête d’une petite armée, et se confiant en Dieu, il livra bataille à un ennemi beaucoup plus puissant que lui et remporta une grande victoire.

Devenu roi, Oswald s’occupa du bien spirituel de son peuple, et demanda aux églises d’Écosse un missionnaire. On lui envoya un moine nommé Corman, pieux, mais d’un caractère rude et austère, qui ne sut pas présenter la grâce aux populations barbares auxquelles il s’adressait. Il retourna découragé à Iona et dit aux anciens : « Les gens vers qui vous m’avez envoyé sont si obstinés qu’il faut renoncer à changer leur cœur ». Pauvre Corman ! Il semble avoir ignoré que c’est la puissante grâce de Dieu qui seule, par l’action de l’Esprit Saint, peut opérer ce changement. En entendant Corman, Aïdan, un des anciens d’Irlande, avait le cœur ému et se disait en lui-même : « Si ton amour, ô Sauveur, eût été présenté à ce peuple, les cœurs auraient été touchés ». Puis s’adressant à Corman : « Mon frère », lui dit-il, « tu as été trop sévère pour des auditeurs si peu en état de comprendre. Il fallait leur donner du lait à boire, avant de leur présenter des aliments plus solides ». Les anciens, à l’ouïe de ces paroles, s’écrièrent : « Aïdan est digne d’être évêque » (*), et ils lui imposèrent les mains.

 

(*) C’était le titre donné à un ancien que l’on envoyait comme missionnaire.

Aïdan partit et fut reçu avec joie par Oswald. Comme il ignorait la langue des Saxons, le roi l’accompagnait partout et interprétait lui-même ses paroles. D’autres missionnaires se joignirent à eux, et bientôt les populations vinrent en foule se presser autour du roi et des serviteurs du Seigneur, écoutant avec joie « la parole de Dieu », dit Bède, un ancien historien ecclésiastique. Bien que Bède fût attaché à l’Église de Rome et déplorât que ces missionnaires ignorassent les décrets des conciles (ce qui ne leur nuisait pas), il leur rend un beau témoignage : « Ils pratiquaient uniquement et diligemment », dit-il, « les préceptes de piété et de pureté qu’ils avaient appris des prophètes, des évangiles et des écrits des apôtres », c’est-à-dire qu’ils s’attachaient aux Écritures. Bède loue encore « leur zèle, leur générosité, leur humilité et leur simplicité, leur application sérieuse à l’étude des Écritures, leur franchise vis-à-vis des grands, leur douceur et leur charité envers les pauvres, dégagés qu’ils étaient de tout égoïsme et d’avarice, et enfin leur vie austère et dévouée ». C’est un bel éloge ! Ne voudrions-nous pas être comme eux ? C’est à l’école de Jésus que l’on apprend à être doux et humble de cœur ; c’est à ses pieds, comme Marie, que l’on comprend et goûte sa parole (Matthieu 11:29 ; Luc 10:39). Ces serviteurs de Dieu ne faisaient pas de la piété une source de gain ; ils ne bornaient pas leur ministère à célébrer les cérémonies d’un culte dans des murs consacrés ; mais, comme les apôtres, ils prêchaient et exhortaient de village en village, et de maison en maison. Qui peut dire tous les résultats bénis de leur activité ?

Oswald ne se bornait pas à aider les missionnaires dans leurs travaux. Il montrait aussi sa piété par ses œuvres. Il avait conservé son amour pour les pauvres qu’il aimait à soulager. On raconte qu’un jour de Pâques, comme il allait se mettre à table, il apprit qu’une troupe de pauvres pressés par la faim était devant sa porte. Aussitôt il ordonna de prendre les mets de sa table et de les leur porter. Puis il fit briser les vases et les plats d’argent qui étaient sur sa table et leur en distribua les morceaux. Étant allé dans le Wessex, pour épouser la fille du roi de ce pays, il y apporta la connaissance de l’Évangile.

Oswald ne régna que neuf ans. Les habitants idolâtres du royaume de Mercie, conduits par leur roi Penda, avaient envahi le Northumberland. Oswald, ayant marché contre eux pour les repousser, fut tué dans la bataille. On rapporte qu’en tombant il s’écria : « Seigneur ! aie pitié des âmes de mon peuple ! »

 

3.10                      Rome triomphe en Angleterre

La mort d’Oswald n’arrêta pas les travaux des missionnaires. Ils allaient, prêchant de lieu en lieu, et dès que, dans quelque endroit, on en voyait paraître un, la population accourait près de lui et le priait de leur faire entendre la parole de vie. Ainsi la doctrine chrétienne plus pure se répandait chez les Saxons du nord, tandis que ceux du sud reconnaissaient la suprématie de Rome, et suivaient les formes et les cérémonies de son culte. Les prêtres attachés à Rome désiraient ardemment amener les chrétiens Bretons à se soumettre à cette Église qui prétendait à la domination universelle ; l’occasion de le faire se présenta bientôt.

Oswy avait succédé à son frère Oswald, mais était bien différent de lui. Très ambitieux, il voulut agrandir ses États et marcha contre Oswin, son parent, roi de Déirie. Celui-ci, ne voulant point combattre, s’était enfui chez un noble qu’il croyait son ami. Il fut trahi, et Oswy le fit mettre à mort. Aïdan, en apprenant ce crime, mourut de douleur. Oswy s’empara de la Déirie et plus tard du royaume de Mercie. Il devint ainsi le plus puissant des rois saxons. En était-il plus heureux ? Non ; sa conscience ne le laissait pas tranquille.

La reine Earfeld était attachée à l’Église de Rome, et aurait voulu qu’Oswy s’y soumît aussi. Elle était soutenue par deux prêtres, l’un nommé Romain et l’autre Wilfrid, ce dernier, homme doué de grands talents, mais très ambitieux d’honneurs et de richesses. Il espérait, en amenait le roi et ses sujets sous l’autorité de l’Église de Rome, obtenir une place éminente dans le clergé et pouvoir ainsi satisfaire son avarice. Ce n’était donc pas l’amour de Christ et des âmes qui l’animait. Les tristes mobiles qui le faisaient agir, l’amour de la domination et de l’argent, existaient, hélas ! chez bien d’autres dans la chrétienté et s’y montrèrent de plus en plus. Oswy, troublé par le souvenir du meurtre d’Oswin et d’autres fautes, aurait voulu apaiser Dieu et se procurer une entrée au ciel. Où aurait-il dû chercher la paix de son âme ? Christ seul pouvait la lui donner, mais les prêtres romains lui faisaient croire que c’était dans leur église qu’il trouverait ce que son cœur désirait. Pour le décider, ils proposèrent qu’il y eût une conférence publique entre eux et les évêques bretons. Oswy y consentit, et l’on se réunit à Whitby.

Après la mort d’Aïdan, les anciens d’Iona avaient envoyé pour le remplacer un évêque nommé Colman, homme simple, mais énergique. Il vint à cette réunion avec les autres évêques bretons. Le roi commença ainsi : « Puisque nous sommes serviteurs d’un même Dieu, et que nous espérons un même héritage, nous devrions avoir ici-bas une même règle de vie, et il nous faut rechercher quelle est la vraie ». C’était bien, n’est-ce pas ? Mais où fallait-il chercher ? Dans l’Écriture, n’est-il pas vrai ? Et c’est ce que ne firent ni les uns, ni les autres. Colman répondit : « Nous suivons la doctrine de Colomba qui est celle de Jean, le disciple bien-aimé du Seigneur, et celle des églises qu’il présidait. Gardons-nous de la mépriser ! » Wilfrid, avec une grande habileté, et sachant comment frapper l’esprit du roi par l’aspect de la grandeur et du pouvoir, répliqua : « Nous, notre coutume est celle de Rome où ont enseigné les saints apôtres Pierre et Paul. Elle est répandue parmi toutes les nations. Les Pictes et les Bretons seuls, jetés aux bouts de la terre, veulent-ils lutter contre le monde universel ? Voulez-vous opposer, Colomba, si saint qu’il ait été, à Pierre, le prince des apôtres, auquel Christ a dit : Tu es Pierre, et je te donnerai les clefs du royaume des cieux ? ». Wilfrid omettait à dessein Jean, pour ne parler que de Colomba ; mais au lieu que les uns et les autres se tournassent vers les Écritures seules, on se réclamait de traditions, de coutumes, de règles soi-disant données par tel ou tel apôtre que l’on opposait l’un à l’autre. C’était comme chez les Corinthiens où l’on disait : « Moi, je suis de Paul ; et moi d’Apollos ; et moi de Céphas » (1 Corinthiens 1:12). Et puis, nous voyons s’affirmer cette prétention exorbitante, nullement justifiée par l’Écriture, que Pierre étant le prince des apôtres et le pape son successeur, celui-ci était le chef de l’Église universelle. Paul, inspiré par l’Esprit de Dieu, dit : « J’estime que je n’ai été en rien moindre que les plus excellents apôtres, quoique je ne sois rien » (2 Corinthiens 11:5 ; 12:11) ; il n’était rien en lui-même, ni par lui-même, mais ce qu’il était venait de la grâce du Seigneur. Paul n’étant en rien moindre que les plus excellents apôtres, où est la suprématie de Pierre ? Mais on pensera peut-être : Le Seigneur n’a-t-il pas donné à Pierre les clefs du royaume des cieux ? (Matthieu 16:19). Oui, sans doute, et Pierre s’en est servi. Il a ouvert les portes du royaume des cieux aux Juifs, le jour de la Pentecôte (Actes 2:37-41), et il les a ouvertes aux nations, d’après l’ordre du Seigneur, quand il alla annoncer Christ et la rémission des péchés par son nom, à Corneille et à sa maison et ses amis (lire Actes 10, et surtout versets 9-16, 28, 43, 44 ; et 11:1-18). Peut-être entendra-t-on dire : « Oui, mais le Seigneur a donné à Pierre l’autorité de lier et de délier sur la terre, et ce devait être ratifié dans le ciel » (selon Matthieu 16:19). C’est vrai, mais cela a été donné aussi à l’Assemblée (Matthieu 18:18), et aux disciples individuellement (Jean 20:23). Lier et délier, c’est déclarer le pardon à quiconque croit au Seigneur et la condamnation à quiconque refuse Christ (Jean 3:36), et c’est ce que Pierre a fait dans les deux occasions que nous avons citées. Une autre objection que font les partisans de Rome est celle-ci : « Le Seigneur n’a-t-il pas dit : Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Église » ? (Matthieu 16:18). Et par cette Église, ils entendent celle de Rome. Mais les paroles du Seigneur ne signifiaient pas que ce soit sur Pierre que l’Église est fondée. Ce serait une contradiction avec d’autres passages où nous lisons que Christ est le fondement unique (1 Corinthiens 3:11). Il est bien dit que les saints sont « édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes » (Éphésiens 2:20), car ce sont eux qui ont proclamé le salut et révélé les pensées de Dieu, mais ce n’est pas plus Pierre que les autres, et Jésus Christ demeure seul la maîtresse pierre du coin, sans laquelle rien ne tient. Ce n’est pas sur Pierre que l’Église est fondée, mais sur la belle confession de Pierre : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Matthieu 16:16). Pierre était une pierre, une simple pierre dans l’édifice que devait construire Christ. Et quant à la prétention qui fait du pape le chef de l’Église sur la terre, rappelons nous que c’est Christ seul qui est le Chef ou la Tête de l’Assemblée (ou l’Église) qui est son corps, et que ce divin et unique Chef est dans le ciel (Éphésiens 1:22-23). Il est bon de se souvenir de ces choses, parce que dans les jours mauvais où nous sommes, on est exposé aux pièges de l’ennemi qui cherche, même en se servant des Écritures, à faire sortir les âmes du chemin de la vérité. Pauvre Oswy, s’il avait connu la parole de Dieu, il aurait pu résister à la subtilité des partisans de Rome ; pauvres évêques bretons aussi, qui ne surent pas se servir de cette arme puissante, l’épée de l’Esprit, qui est la parole de Dieu ! (Éphésiens 6:17).

Après avoir entendu Wilfrid, le roi, se tournant vers Colman, lui dit : « Est-il vrai que le Seigneur ait adressé ces paroles à Pierre ? — Cela est vrai, ô roi ! répondit Colman. — Et pouvez-vous prouver qu’une aussi grande puissance ait été donnée à Colomba ? — Nous ne le pouvons ». Colman n’aurait-il pas dû laisser Colomba de côté, et dire au roi ce que l’Écriture enseigne ? Mais déjà, même à Iona, la connaissance de la parole de Dieu s’était affaiblie, et l’on s’attachait plus à des coutumes qu’à ce que Dieu a dit.

Oswy, heureux de pouvoir faire cesser une lutte qui se renouvelait sans cesse dans sa propre maison, heureux aussi, dans sa propre ignorance, d’avoir quelqu’un qui lui ouvrît le ciel, s’écria : « Pierre est le portier ; je veux lui obéir et à son successeur, de peur que, quand je me présenterai à la porte, il n’y ait personne qui m’ouvre ». Pauvre Oswy ! Il ne savait pas que Christ seul est la porte du salut, et qu’il ouvre et nul ne ferme (Jean 10:7, 9 ; Apocalypse 3:7). Ainsi l’Église de Rome triompha. Elle veut être assise comme reine comme dira Babylone (Apocalypse 18:7). Hors de la soumission à ses enseignements et à ses rites, et à celui qui ose se dire le vicaire de Christ ici-bas, il n’y a pas de salut, dit-elle. Mais que dit la parole de Dieu ? Il n’y a de salut en aucun autre que Christ, aucun autre nom qui soit donné par lequel nous puissions être sauvés (Actes 4:12). Et quant à l’Église, bien loin qu’elle ait à dominer, il nous est dit que la vraie Église est soumise au Christ (Éphésiens 5:24). Elle n’enseigne donc pas, mais est enseignée par la Parole (Versets 26, 29). C’est la fausse prophétesse Jésabel qui enseigne et domine (Apocalypse 2:20), et elle représente Rome et ses prétentions.

Colman, accablé de douleur, retourna en Écosse avec ceux des évêques que Wilfrid n’avait pu persuader. Oswy, espérant ainsi racheter son âme, déploya la plus grande activité pour amener ses sujets à l’obéissance de l’Église de Rome. Wilfrid l’y aida de tout son pouvoir. Il devint évêque d’un vaste diocèse, s’enrichit des biens qui avaient appartenu à plusieurs monastères, s’entoura d’une suite nombreuse, et n’était servi que dans de la vaisselle d’or et d’argent. Quelle différence avec les humbles évêques d’Iona ! Mais c’est cet orgueil, ce luxe, cette avidité, cet amour de la domination, des richesses et des jouissances de la chair, que l’on vit se répandre de plus en plus chez les hauts dignitaires du clergé romain et chez les papes, durant les siècles ténébreux du Moyen Âge, tandis que le bas clergé et le peuple demeuraient dans la plus triste ignorance et livrés à la superstition.

Mais le triomphe de Rome ne se borna pas là. Bientôt l’Écosse et Iona même succombèrent sous les efforts des prêtres romains. Ils s’adressèrent à Naïtam, roi des Pictes. On lui fit comprendre combien il serait plus digne d’un roi d’appartenir à une église puissante, à la tête de laquelle était un pontife universel, successeur direct de Pierre, plutôt que de se soumettre à des congrégations conduites par de chétifs anciens. On lui montra combien la pompe du culte romain convenait mieux à la pompe royale. Naïtam, séduit par la pensée de marcher à l’égal des illustres rois des Francs, céda et fit venir des architectes pour lui construire des églises en pierre, au lieu des humbles édifices en bois où Christ avait été annoncé. Puis il ordonna que tous les ecclésiastiques de son royaume reçussent la tonsure romaine (*), en signe de soumission à cette Église. Et il fut fait ainsi. Où était en tout cela la parole de Dieu et l’intérêt pour le salut des âmes ?

 

(*) Les moines et les ecclésiastiques, dès le 6° siècle, en Orient et en Occident, étaient tonsurés, c’est-à-dire qu’une partie de la tête était rasée. C’était la marque distinctive de leur consécration. En Orient, la tonsure se faisait en long, par devant, d’une oreille à l’autre, en forme de croissant. En Occident, elle se faisait en rond, sur le sommet de la tête. C’étaient toujours des ordonnances et non l’Écriture.

Les anciens de Iona résistaient encore à l’envahissement des coutumes romaines. Un jour, un moine, nommé Ecgbert, très enthousiaste pour Rome et d’un caractère très doux, vint les trouver. Il fut reçu avec une grande hospitalité, et sut bientôt s’insinuer dans les esprits. Par ses discours et par les riches dons qu’il répandait et qu’on lui avait confiés dans ce but, il commença à les ébranler. Mais ce fut surtout en se présentant comme ayant reçu de Dieu une mission auprès d’eux qu’il acheva de les gagner. « Une nuit », leur raconta-t-il, « un des bienheureux apparut à un frère du couvent et lui dit : « Dis à Ecgbert ces paroles : Va vers les monastères de Colomba, car leurs charrues ne cheminent pas droitement ; il faut que tu les remettes dans le droit sillon. Je ne voulais pas obéir, et je m’embarquai pour aller porter l’Évangile aux Germains. Mais une tempête jeta le navire sur le sable. Je vis que c’était à cause de moi, et je résolus d’obéir. Maintenant », ajouta-t-il, « soumettez-vous à la voix du ciel ».

Dieu peut parler aux hommes par des rêves (Job 33:14-15), mais Il ne parlera pas en faveur de ce qui est contraire aux Écritures, qui sont sa Parole. Les anciens de Iona, au lieu de rejeter ce rêve comme le produit de l’imagination d’un homme et de s’en tenir à la parole de Dieu, se laissèrent persuader par Ecgbert et crurent obéir à Dieu. Ils reçurent la tonsure qui les rangeait sous l’autorité du pape. Rome avait vaincu partout. Cependant, un petit nombre en Écosse, ne voulurent pas courber la tête sous son joug. « On les voyait », dit Bède, « clocher dans leurs sentiers, refuser de prendre part aux fêtes romaines et de se laisser tonsurer ». C’est au commencement du huitième siècle que Rome étendit ainsi son pouvoir sur toutes les îles Britanniques, mais Dieu se gardait un résidu ; au milieu des siècles de ténèbres, quelques faibles lumières éparses brillaient çà et là, en attendant qu’une pleine lumière se levât.

Cette Église d’Angleterre servit grandement la papauté par son zèle missionnaire. Des moines anglo-saxons, de l’ordre des Bénédictins (fondé par saint Benoît en 529), plus d’un siècle après Colomban, entreprirent de pousser plus loin que lui en Germanie, et de convertir les farouches païens d’entre Rhin et Elbe. Willibrod (mort en 739) parmi les Frisons, puis Winfrid, qui changea ensuite son nom en Boniface, parmi les Saxons, en furent les plus remarquables ouvriers. La célèbre abbaye de Fulda fut fondée en 744 par Sturm. Boniface que l’Église révère comme « l’apôtre des Germains », mourut en martyr, massacré dans la Frise en 755 avec quelques compagnons. Mais le rattachement au christianisme des Frisons, Saxons et Thuringiens ne fut effectif qu’un peu plus tard, quand Charlemagne conquit leur pays et contraignit sous peine de mort les païens à se faire baptiser. Ces régions ouvertes de façon aussi peu évangélique à la profession chrétienne sous l’autorité de Rome en devaient devenir à leur tour des foyers de propagation vers l’Est, chez les Slaves de l’Elbe, les Polonais, les Tchèques, les Hongrois, et se heurter aux populations évangélisées par des orthodoxes (Cyrille et Méthode) et relevant du patriarche de Constantinople.

Quoiqu’il en soit, lorsque, au début du 10° siècle les Normands et les Scandinaves eurent embrassé à leur tour la religion chrétienne, toute l’Europe occidentale et la majeure partie de l’Europe centrale furent catholiques et la puissance papale ne cessa de s’y renforcer pendant plusieurs siècles.

 

3.11                      Nestorius et les Nestoriens

Après nous être occupés de ce qui se passait dans l’Église aux extrémités de l’Europe occidentale, en Irlande, en Écosse et dans la Grande Bretagne, nous reviendrons en Orient. En Occident, la puissance de l’Église romaine allait toujours croissant, sous la main de papes habiles et énergiques ; en Orient, ce que l’on voit tristement dominer, ce sont les discussions religieuses sans fin, attisées par les ambitions et les rivalités des évêques des grandes villes de Constantinople, d’Antioche et d’Alexandrie, produisant des hérésies et des divisions, et amenant souvent des conflits sanglants, parce qu’au lieu de l’épée de l’Esprit, la parole de Dieu, on se servait d’armes charnelles, en cherchant un appui auprès des empereurs.

Ces discussions et ces hérésies portaient le plus souvent sur la Personne adorable du Seigneur. Satan est l’ennemi de Christ qui est venu détruire sa puissance, et tous ses efforts et ses ruses tendent à attaquer et détruire ce que la parole de Dieu nous enseigne touchant Jésus, le Fils de Dieu. Il sait bien qu’avec Christ tout tombe, et qu’en s’attaquant au Rédempteur, on diminue ou l’on annule la rédemption. Pour arriver à ses fins, Satan induit les hommes à raisonner sur la Personne du Seigneur, qui, nous le savons par les Écritures, est à la fois vrai Dieu et vrai homme : Dieu sur toutes choses béni éternellement, et manifesté en chair. « La Parole devint chair », nous dit Jean, et « la Parole était Dieu » (Romains 9:5 ; 1 Timothée 3:16 ; Jean 1:1, 14). Qui peut expliquer cela ? Personne ; c’est un mystère insondable, car, nous dit Jésus lui-même : « Personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père » (Matthieu 11:27).

Lorsque des difficultés touchant la doctrine surgissaient, on convoquait, il est vrai, des conciles, ou assemblées d’évêques, mais ils étaient ordinairement sous la main des empereurs et influencés par lui ou par ceux qui exerçaient le pouvoir ; souvent aussi, ils étaient le théâtre de violences et de jugements iniques, comme nous l’avons vu dans le cas de Chrysostôme. Quelques conciles cependant maintinrent la vérité, comme, par exemple, celui de Nicée qui affirma la divinité de Christ conformément aux Écritures. Mais lorsqu’on a la parole de Dieu et qu’on la reçoit avec simplicité, qu’est-il besoin de conciles ? On ne peut admettre d’eux que ce qui est conforme aux Écritures. Or celles-ci nous montrent clairement d’une part que Jésus était réellement un homme. Il fut petit enfant, né de Marie ; il grandit, croissant en stature ainsi qu’en sagesse, et il devint un homme fait. Il mangeait et buvait, il était fatigué et se reposait, il dormait ; il se réjouissait et s’affligeait, il souffrait dans son corps et dans son âme. Et ce qui est si précieux pour nous, il avait toutes les affections et les sentiments d’un homme, mais d’un homme parfait, sans péché. Mais en même temps, il était réellement Dieu, ressuscitant les morts par une parole, calmant les vents et les flots en disant : « Taisez-vous », et opérant par lui-même bien d’autres miracles que la simple puissance de l’homme ne pouvait accomplir. Les prophètes et les apôtres en ont fait, mais c’était au nom de l’Éternel ou au nom de Lui, Jésus de Nazareth, tandis que Lui les faisait par sa propre divine puissance. La voix de Dieu le proclame son Fils bien-aimé ; par Lui les mondes ont été créés et subsistent par Lui ; les anges de Dieu l’adorent ; il est le Vivant, Celui qui vit aux siècles des siècles. À Lui appartient toute gloire. Voilà ce que la parole de Dieu nous enseigne, et ce qu’il nous faut retenir.

Une grande controverse surgit en Orient au sujet de la Personne du Seigneur. Vingt et un ans après la mort de Chrysostôme, le siège épiscopal de Constantinople vint à vaquer. L’empereur Théodose II appela, pour occuper cette place importante, un prêtre de l’église d’Antioche, nommé Nestorius, qu’on lui disait être aussi distingué par ses talents que par sa piété. Mais avec des qualités réelles, Nestorius était hautain et intolérant. Dès qu’il fut établi évêque de Constantinople, il se mit à persécuter violemment tous ceux qui était en dehors de la communion de l’Église, tels que les Ariens et d’autres, même ceux qui n’étaient séparés que sur un point insignifiant, par exemple l’époque de la célébration de la fête de Pâques. Dans un discours à l’empereur, Nestorius avait été jusqu’à dire : « Empereur, donne-moi une terre purgée d’hérétiques et je te donnerai le ciel ; combats avec moi les hérétiques et je t’aiderai à vaincre les Perses ». Paroles bien étranges et orgueilleuses, n’est-ce pas, dans la bouche d’un faible mortel et d’un conducteur d’âmes ? Pauvre Nestorius ! il ne se doutait guère qu’il allait bientôt être lui-même accusé d’hérésie et condamné.

Déjà alors on commençait à entourer Marie, la mère du Sauveur, d’une sorte de vénération superstitieuse. On lui consacrait des églises, on l’invoquait en lui donnant le nom de « mère de Dieu ». On prétendait qu’elle était morte à Éphèse, on y montrait son tombeau qui attirait une foule de pèlerins, et c’était pour les Éphésiens une source d’abondants revenus. Elle était ainsi regardée, non seulement comme la patronne, mais comme la nourricière d’Éphèse. C’était elle, disait-on, qui faisait pleuvoir sur la ville et sur l’Asie entière toute sorte de prospérités. Aussi avait-on érigé une riche basilique sous son nom. Cela ne nous rappelle-t-il pas l’histoire rapportée au chapitre 19 des Actes ? C’était environ 400 ans auparavant que, dans cette même ville d’Éphèse, s’élevait le temple magnifique de la grande déesse Diane que l’Asie entière révérait, à laquelle la ville des Éphésiens était consacrée, et qui était aussi une source de richesses pour les habitants. Paul, le serviteur de Dieu, avait annoncé Christ, et le culte de Diane et l’idolâtrie étaient tombés, et maintenant une nouvelle idolâtrie, bien pire que la première, avait remplacé celle-ci. Ce n’était pas seulement la mère de Jésus dont on faisait une sorte de divinité, une reine du ciel, mais on regarda bientôt les saints, — les apôtres, les martyrs — comme des sortes de médiateurs entre Dieu et les hommes, on éleva des églises placées sous leur invocation, on leur adressa des prières et on vénéra leurs reliques auxquelles on attribua même le pouvoir de faire des miracles. Et ce mal terrible continua d’envahir de plus en plus l’Église. Oh ! quelle puissance d’aveuglement Satan exerce sur le cœur de l’homme !

Mais revenons à Nestorius. C’était donc un usage commun, déjà dans le 4° siècle, de donner à Marie le nom de « mère de Dieu », expression qui ne se trouve nulle part dans l’Écriture, bien que nous sachions que de Marie « est né Jésus, qui est appelé Christ » (Matthieu 1:16), et que « le Christ est sur toutes choses Dieu béni éternellement » (Romains 9:5). Or dans un discours prononcé à Constantinople, Anastase, prêtre que Nestorius avait amené d’Antioche, s’éleva contre le titre de « mère de Dieu » attribué à Marie, et Nestorius l’approuva. Cela causa un grand tumulte dans l’église de Constantinople où l’on vénérait Marie non moins qu’à Éphèse ; on regarda ces paroles comme un outrage fait à la mère du Seigneur. Nestorius voulut expliquer dans un discours pourquoi il ne pouvait admettre que le titre de « mère de Dieu » convînt à Marie. Mais il le fit de telle manière que l’on pouvait conclure de ses paroles qu’il enseignait que, de même qu’il y a en Christ deux natures, la divine et l’humaine, il y avait aussi deux personnes, l’homme, fils de Marie, et le Fils de Dieu. Il divisait ainsi la Personne adorable du Seigneur que nous voyons toujours une — un seul Christ. Plusieurs expressions dont il se servit montrent bien que telle était sa pensée, et il alla jusqu’à l’exprimer d’une manière tout à fait irrespectueuse, disant : « Je n’admettrai jamais un Dieu de deux mois, un Dieu de trois mois ; jamais je n’adorerai comme tel un enfant qui a sucé le lait de sa mère, et qui s’est enfui en Égypte pour sauver sa vie ». C’était un vrai blasphème, et cela nous montre jusqu’où l’on peut être entraîné lorsqu’on veut raisonner sur ce qui est infini, hors de notre portée, et connu de Dieu seul. Le petit enfant dans la crèche, celui que les anges exaltaient, que les bergers et les mages adoraient, que Siméon prenait dans ses bras, et qui, en effet, fut conduit avec sa mère par Joseph en Égypte, était bien le Fils de Dieu, Dieu lui-même qui, par un mystère insondable, le mystère de l’amour, s’est ainsi abaissé jusqu’à nous.

L’évêque d’Alexandrie, Cyrille, attaqua vivement Nestorius et ses doctrines, mais en le faisant il tomba lui-même dans des erreurs capitales, qui furent signalées par Jean, évêque d’Antioche. Jean cependant, bien qu’ami de Nestorius, n’admettait point ce que l’on condamnait chez celui-ci, et lui avait même écrit pour lui faire sentir qu’il avait tort. D’un autre côté, Cyrille avait su gagner à sa cause l’évêque de Rome, Célestin. Pour mettre un terme à ces disputes, l’empereur convoqua un concile général à Éphèse, en l’an 431. On aurait dû attendre que tous les évêques convoqués fussent réunis, mais Cyrille, par ses intrigues, sut si bien faire que le concile s’ouvrit avant l’arrivée de Jean et des évêques qui étaient avec lui, et que Cyrille lui-même, bien qu’accusé, le présida. La conséquence en fut la condamnation et la déposition de Nestorius. Mais alors arrivèrent Jean et les évêques syriens qui se constituèrent aussi en concile, déclarèrent que l’assemblée réunie par Cyrille était un faux concile, et l’excommunièrent. On voit quelle étrange confusion régnait parmi ceux qui s’intitulaient les conducteurs de l’Église. Mais la lutte n’était pas finie. On porta la chose devant l’empereur que Cyrille réussit à convaincre de la justice de sa cause et de l’intégrité du concile d’Éphèse qu’il avait présidé. Le faible empereur finit par l’approuver, et ainsi la déposition de Nestorius fut confirmée. Ses plus fidèles amis à la cour l’avaient abandonné, et Jean d’Antioche lui-même demanda son éloignement.

Nestorius s’était d’abord retiré dans le monastère où il avait passé sa jeunesse, situé à peu de distance d’Antioche. Mais là, il ne sut pas rester tranquille. Il y publia quelques livres et, par ses prédications éloquentes, il attirait beaucoup de personnes distinguées de la ville d’Antioche. Ses ennemis s’en émurent. Poussé par eux, le pape Célestin demanda à l’empereur que l’ennemi de la Vierge et de son Fils fût retranché de la société des hommes qu’il s’obstinait à perdre, et il pressa les évêques de se joindre à sa demande ! L’empereur l’exila à Pétra, en Arabie, et proscrivit également ses amis et ses partisans. Les ennemis de Nestorius trouvèrent que le lieu de son exil n’était pas encore assez éloigné, et il fut envoyé en Égypte, dans l’oasis d’Ibis, où l’on déportait les grands criminels d’État. C’était un endroit entouré d’un vaste océan de sables et d’où l’on ne pouvait s’échapper sans risquer sa vie. Là Nestorius se mit à écrire sa biographie, ouvrage qui ne nous est point parvenu. Fait prisonnier par une troupe d’Arabes nomades qui s’étaient jetés sur l’oasis pour la piller, il fut laissé par eux et put gagner Panopolis, petite ville de la province de Thèbes. Le gouverneur de Thèbes ne permit pas que l’infortuné Nestorius restât là. Il donna l’ordre de le transférer à Éléphantine sur la frontière d’Éthiopie. Mais accablé par l’âge et la fatigue, il tomba de cheval et se blessa grièvement. Ramené à Panopolis, il y mourut en l’an 440.

 

Un certain nombre d’évêques n’avaient pu accepter les décisions du concile d’Éphèse concernant la déposition de Nestorius. On les y força de la part de l’empereur, en ne leur laissant d’autre alternative que de souscrire ou d’être déclarés Nestoriens, et comme tels, poursuivis, déposés, exilés ou envoyés aux mines. Tel était le résultat de l’association de l’Église avec l’État ; celle-là se servant de l’épée du prince pour persécuter ceux qui ne se soumettaient pas à elle ! La plupart des évêques cédèrent, mais quelques-uns restèrent fermes. L’un d’eux, nommé Alexandre, évêque d’Hiérapolis, d’un âge très avancé, montra une fermeté inébranlable. À des amis, qui le sollicitaient de signer comme d’autres, il répondit : « Tenez-vous en repos. Je ne me soucie point de ce que font les autres, mais quand tous les morts ressusciteraient et nommeraient piété l’abomination d’Égypte (il voulait dire la conduite de Cyrille d’Alexandrie), je ne les croirais pas dignes de foi ». Il rompit avec ses amis, et sommé par le gouverneur de souscrire ou de quitter la ville, il sortit. Mais aussitôt toute la ville ferma ses églises. Le gouvernement fit enfoncer les portes et célébrer le culte sous la protection des soldats ! Quant au vieil évêque, il fut condamné au travail des mines en Égypte et y mourut. Voilà comment de soi-disant chrétiens agissaient envers ceux qui se réclamaient du nom du même Seigneur.

Fomentée par Cyrille, la persécution contre les Nestoriens sévit de toutes parts. Qu’arriva-t-il ? Ce fut un moyen dont Dieu se servit pour propager, non les fausses doctrines attribuées à Nestorius, mais le christianisme même. Ceux que l’on appela Nestoriens, parce qu’ils n’avaient pas voulu souscrire aux lois d’un concile qu’ils ne pouvaient reconnaître, et qui pour cela étaient violemment persécutés, se retirèrent en Perse. Ils y furent bien accueillis et protégés par les rois de cette contrée, par haine de l’empire grec. Ils y fondèrent une église indépendante de celle de Constantinople, et à laquelle un nommé Barsumas, évêque de Nisibe en Mésopotamie, donna une constitution.

Les Nestoriens se répandirent dans les contrées traversées par l’Euphrate, et animés d’un grand zèle missionnaire, ils évangélisèrent en Arabie, en Perse, dans l’Inde et jusqu’en Chine, où existaient encore quelques-unes de leurs églises dans le 13° siècle ; mais dans le 16° siècle, il n’en restait plus trace. Les descendants des Nestoriens fixés en Perse, subsistent encore. Nous en dirons quelques mots.

Au nord de la Perse, à la base de hautes montagnes couvertes de neige, est une vaste plaine d’une grande beauté. C’est la province d’Urmiah ou Oroomiah, et c’est là que demeurent les chrétiens nestoriens. Cette plaine, bornée par des montagnes escarpées, est couverte de villages entourés d’arbres verdoyants et de champs de blé. Au-delà se trouve le lac Urmiah tout parsemé d’îles. En différents points de la plaine se voient des espèces de buttes formées de cendres, recouvertes d’une mince couche de terre. On suppose que ce sont les endroits où brûlait sans cesse le feu sacré et où les prêtres Parsis se prosternaient devant le soleil levant (*).

(*) Les Parsis, descendants des anciens Perses et disciples de Zoroastre, étaient des adorateurs du feu, dont le soleil est pour eux le type le plus pur, en même temps qu’il est l’image de la divinité. Les Mahométans les nomment aussi Guèbres ou infidèles. Il en reste un petit nombre dans la province de Bombay.

Les Nestoriens sont un peuple intéressant à bien des égards. Leur langue, le syriaque, se rapproche beaucoup de l’hébreu, et était parlée plusieurs siècles avant la naissance du Sauveur. Elle est presque la même que celle qui était généralement employée en Palestine aux jours du Seigneur, et dont il se servait pour converser avec ses disciples et instruire le peuple. C’est dans cette même langue que, sur la croix, il s’écria : « Éloï ! Éloï ! lama sabachthani ? Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Les Nestoriens étaient nombreux et poursuivaient en paix leurs occupations comme agriculteurs et commerçants, ainsi que leurs travaux missionnaires, lorsque eut lieu l’invasion islamique en Perse, vers le milieu du septième siècle. Non seulement le culte du feu disparut de la Perse, mais les Nestoriens furent violemment persécutés par les vainqueurs. Ils n’avaient d’autre alternative — comme les malheureux Arméniens de naguère — que le Koran ou la mort. Leur nombre fondit comme la neige au printemps, et actuellement on n’en compte plus qu’environ 400000. En même temps, ils tombèrent peu à peu dans l’ignorance, la démoralisation et la superstition. Cependant, malgré la profonde déchéance de leur église, les Nestoriens sont restés, quant à la doctrine, plus rapprochés de la Bible que les catholiques romains, les Grecs et les Arméniens. « Je n’ai jamais rencontré », dit un missionnaire, « un Nestorien qui niât la suprême autorité de la parole de Dieu ». Ils abhorrent le culte des images, et n’admettent point la confession auriculaire et l’absolution donnée par le prêtre. Ils ne connaissent ni la messe, ni l’adoration de l’hostie. Ils rejettent, comme mauvaises et antiscripturaires, les doctrines de la régénération baptismale (*1), de la pénitence (*2), du purgatoire (*3). Ils croient en Christ comme en une seule Personne, à la fois vrai Dieu et vrai homme. Ils reçoivent avec joie ceux qui viennent à eux, au nom du Christ Jésus. Les missionnaires américains, venus parmi eux, ont été bien reçus et ont travaillé à répandre les vérités scripturaires, en les exhortant, en même temps, à mener une vie humble et sainte.

 

(*1) Doctrine qui prétend que le baptême d’eau opère dans l’âme la nouvelle naissance ou la régénération.

(*2) La pénitence, ce sont des actes imposés par le prêtre comme réparation ou châtiment des fautes commises.

(*3) Le purgatoire est, selon les catholiques romains, un lieu intermédiaire entre le ciel et l’enfer, où le feu achève de purifier l’âme qui ne l’a pas été complètement ici-bas.

 

Le premier missionnaire qui vint au milieu d’eux, trouva cette ancienne église en ruines et comme renversée dans la poussière. Le peuple était plongé dans la plus grossière ignorance. Il n’y avait point d’écoles, et à peine dans un village une demi-douzaine d’habitants savaient-ils lire. Ils n’avaient d’ailleurs pour livres que de rares manuscrits, dont le prix était très élevé. Le vol, parmi eux, était général et mentir une habitude invétérée. « Nous mentons tous », disaient-ils ; « comment pourrions-nous faire nos affaires, si nous ne mentions pas ? ». Ils buvaient du vin comme de l’eau, et quant à la religion, tout en conservant une certaine orthodoxie, elle n’était pour eux qu’une affaire de forme et d’apparence.

Maintenant il y a des écoles dans un grand nombre de villages, et l’on a fondé des établissements pour élever et former des jeunes gens des deux sexes capables d’instruire le peuple, et ainsi de réparer des maux accumulés durant tant de générations. Les Saintes Écritures ont été imprimées dans leur entier, tant dans l’ancienne langue des Nestoriens que dans celle qu’ils parlent actuellement.

« L’influence des Saintes Écritures sur nos élèves et dans les collèges », dit un missionnaire, « puis sur les centaines de Nestoriens adultes qui apprennent à lire dans les écoles du dimanche, cette influence s’exerçant dans leurs humbles demeures, et, par tous ces lecteurs, sur la masse du peuple, est incalculable ». Plusieurs sont comme des gens qui se réveillent d’un profond sommeil, et se demandent : « Comment se fait-il que nous ayons été gardés si longtemps dans l’ignorance ? ». Et les prêtres répondent : « Nous-mêmes, nous sommes restés jusqu’à ce jour, comme morts dans nos fautes et dans nos péchés, et notre péché est plus grand que le vôtre pour vous avoir caché si longtemps la lumière ». Les missionnaires américains ont à lutter contre des missionnaires catholiques romains qui voudraient rattacher à Rome l’église nestorienne. D’un autre côté, il semble qu’un certain nombre de Nestoriens se tournent du côté de l’Église grecque, afin d’être protégés contre les musulmans de Perse (*).

 

(*) Aujourd’hui, après avoir été fortement et même tragiquement éprouvés par les répercussions des deux guerres mondiales, les communautés nestoriennes ne subsistent qu’en très petits groupes dispersés en Iran, Irak, Turquie, Syrie, Liban, Inde, Arménie et aux États-Unis. Elles ne comptent pas 80000 personnes.

 

3.12                      Eutychès et les Arméniens

3.12.1    Eutychès

Peu après la mort de Nestorius, l’Église d’Orient fut de nouveau troublée à l’occasion de doctrines tenues par un moine nommé Eutychès, archimandrite ou supérieur d’un couvent de trois cents moines, près de Constantinople. Eutychès s’était fortement opposé à Nestorius quand celui-ci fut condamné, mais lui-même tomba dans d’autres erreurs touchant la Personne adorable du Seigneur. Il disait bien que Christ, né de la vierge Marie, était vrai Dieu et vrai homme, mais que le corps de Jésus n’était pas de la même substance que le nôtre, contrairement à l’Écriture qui nous dit que Christ a participé au sang et à la chair (Hébreux 2:14). De plus, il enseignait que les deux natures divine et humaine du Seigneur n’en formaient qu’une, la nature humaine étant absorbée par la nature divine ou confondue avec elle. Nous pouvons voir par là combien l’on s’égare quand on veut raisonner sur ce qui est au dessus de notre conception, et expliquer ce que Dieu ne nous explique pas. Combien la parole de Dieu est plus simple ! Si nous nous tenons comme de petits enfants à ce qu’elle dit, nous ne courrons pas risque de faire fausse route.

Eutychès avait pour ami un nommé Eusèbe, évêque de Dorylée en Phrygie qui, avant d’occuper cette charge, s’était fortement prononcé contre Nestorius. Devenu évêque, il eut à venir à Constantinople pour les affaires de son église, et alla voir Eutychès. En s’entretenant avec lui, sa surprise fut grande d’entendre quelles doctrines il professait. Eusèbe eut beau les combattre, Eutychès ne voulut rien céder. Or la même année, Flavien, patriarche de Constantinople, réunit un synode pour régler certaines questions. Eusèbe s’y trouva et y accusa Eutychès de soutenir des doctrines contraires à la vraie foi. Le synode envoya à Eutychès des messagers pour le sommer de venir se défendre et exposer ses vues. Deux fois il refusa ; à la troisième sommation, il promit de venir. Il arriva en effet accompagné d’une troupe de moines, et escorté par des soldats ; en même temps se présentait aussi un envoyé de l’empereur avec une lettre demandant qu’il assistât aux séances.

Après une longue discussion où Eutychès chercha, par un semblant d’humilité et par des subtilités, à échapper à ceux qui le pressaient d’exposer sa foi, il fut à la fin obligé de confesser son erreur tout en la maintenant. Or cette erreur qui consiste à dire que Christ n’a pas été réellement un homme comme nous, à part le péché, c’est anéantir la rédemption. Eutychès fut condamné comme ayant blasphémé Christ, et fut exclu de la prêtrise, de la communion, et déposé de sa place d’archimandrite de son monastère. Trente évêques et vingt-trois archimandrites signèrent sa condamnation.

Eutychès sortit du synode en disant qu’il en appellerait à l’évêque de Rome, ce qu’il fit, en effet. Flavien fit répandre partout le décret qui condamnait Eutychès, demandant que chacun s’y soumît. Mais un grand nombre, surtout des moines, partisans d’Eutychès, refusèrent, et un grand trouble s’ensuivit dans l’Église.

Eutychès avait pour ami, à la cour impériale, le chef des eunuques Chrysaphius, dont il avait été le parrain à son baptême, et qui avait une grande influence sur l’empereur, le faible Théodose II. Chrysaphius, qui était avare et cherchait par toutes sortes de moyens à accroître ses richesses, détestait Flavien, parce que celui-ci n’avait pas voulu prêter les mains à une spoliation des biens de l’Église, et de plus avait refusé son concours à un complot tramé par Chrysaphius pour faire entrer dans un couvent Pulchérie, la sœur de l’empereur, dont il redoutait l’influence. C’est à cet ennemi de Flavien qu’Eutychès s’adressa et il réussit à faire convoquer par l’empereur un concile où il porterait sa cause. L’empereur était d’ailleurs gagné à ses vues.

Le concile se réunit à Éphèse en 449. Il comptait cent vingt-huit évêques présents, et le pape de Rome, Léon Ier, y avait envoyé, pour l’y représenter, trois légats porteurs d’une lettre où il exposait la foi de l’Église romaine touchant le mystère de l’incarnation du Fils de Dieu. Cette lettre était dirigée contre l’hérésie d’Eutychès. En résumé, elle établit qu’en Christ il y a deux natures, la divine et l’humaine, unies sans confusion, sans changement et sans séparation dans un seul et même Christ. Et Léon ajoute que l’erreur touchant la nature du corps du Seigneur anéantit sa passion et l’efficacité de son sacrifice. Il cite à ce propos le passage de 1 Jean 4:2-3: « Tout esprit qui confesse Jésus Christ venu en chair est de Dieu, et tout esprit qui ne confesse pas Jésus Christ venu en chair n’est pas de Dieu ». On est heureux de voir maintenir, dans ces temps où tant d’erreurs s’étaient glissées dans l’Église, la vérité quant à la Personne du Fils de Dieu.

L’empereur avait désigné Dioscore, patriarche d’Alexandrie, pour présider le concile. Comme les autres patriarches, il devait amener avec lui dix métropolitains et dix autres évêques. Il les choisit selon ses vues qui étaient celles d’Eutychès. Dioscore était un homme qui, pour la violence et la rapacité, marchait sur les traces de son prédécesseur Théophile que nous avons vu dans l’histoire de Chrysostôme ; ses mœurs étaient à l’avenant. Mais il était soutenu par Chrysaphius et ne redoutait rien. Tout fut disposé d’avance pour disculper Eutychès et faire condamner Flavien. Théodose ordonna que les évêques qui avaient figuré comme juges au synode de Constantinople seraient exclus de la discussion et du vote. Eusèbe de Dorylée reçut la défense de quitter le territoire de son église, à moins que le concile ne l’appelât. Ainsi sur 128 évêques, 42 étaient privés du droit de parler et de voter. À ceux-là Dioscore en joignit quinze autres des opinions desquels il n’était pas sûr. Deux officiers de l’empereur avaient droit de prendre part aux discussions. De plus Théodose donna le droit de voter à un archimandrite syrien, nommé Barsumas, moine grossier qui, à la tête de mille moines aussi sauvages et barbares que lui et armés d’énormes bâtons, donnait la chasse aux Nestoriens, ou a ceux qui lui paraissaient tels, saccageait les églises, brûlait les monastères, tuait ou chassait les évêques qu’il ne croyait pas orthodoxes.

Telle était la composition du concile, et tels les auxiliaires de Dioscore, sans compter les parabolans (*) qu’il avait amenés d’Égypte, et qui, au besoin, étaient prêts à agir de leurs bras pour soutenir leur évêque.

 

(*) Hommes de peine et infirmiers placés sous les ordres immédiats de l’évêque.

Le concile s’ouvrit. Le premier légat du pape prit d’abord la parole pour demander qu’avant tout on lût la lettre de Léon. Mais comme on savait bien quelles étaient les pensées du pape touchant les doctrines d’Eutychès, on trouva moyen, malgré les instances réitérées des légats, de la laisser de côté. Alors Eutychès fut introduit, et il se présenta, non plus avec cette apparence d’humilité qu’il avait apportée au synode de Constantinople, mais la tête haute, comme sûr de son triomphe. Il portait à la main un rouleau dont il demanda la lecture et qui commençait par la transcription du symbole de Nicée. Il y déclarait qu’il vivrait et mourrait dans ces sentiments, et qu’il anathématisait tous les hérétiques. Puis il porta, contre Eusèbe de Dorylée et Flavien, une accusation fondée sur la manière dont il avait été traité et condamné dans le synode.

Après cette lecture, Flavien se leva et dit : « Il faudrait maintenant entendre Eusèbe ». Mais l’officier de l’empereur dit : « Ce n’est pas nécessaire ; l’empereur l’a exclu. Vous êtes réunis pour voir s’il faut casser ou confirmer le jugement rendu, et non pour recommencer le procès ».

Dioscore proposa alors qu’on lût les actes du synode de Constantinople. Tous les évêques l’approuvèrent, sauf les légats du pape qui insistèrent encore pour que d’abord sa lettre fût lue. Eutychès, craignant qu’on ne le leur accordât, se hâta de récuser les légats, parce que, disait-il, ils logeaient chez Flavien et avaient reçu de lui des services. Cependant Dioscore dit que, pour l’ordre, on devait d’abord lire les actes du synode, et qu’ensuite on lirait la lettre du pape, ce qui n’eut pas lieu.

Dans le synode de Constantinople, Eusèbe, l’accusateur d’Eutychès, avait pressé celui-ci de confesser la vérité touchant la Personne de Christ ; mais quand, dans la lecture des actes, on en vint à l’endroit où cela était rapporté (*), un grand nombre d’évêques gagnés à la cause d’Eutychès, s’écrièrent : « Qu’on chasse, qu’on brûle Eusèbe ! Qu’Eusèbe soit brûlé vif ; qu’il soit coupé en morceaux ! » Tel était l’esprit qui animait ceux qui se disaient les serviteurs de Christ, de Celui qui était doux et humble de cœur et ne voulait pas faire descendre le feu du ciel sur ses ennemis ! Dioscore mit alors aux voix cette proposition : « Approuvez-vous la profession de foi d’Eutychès ou celle d’Eusèbe ? ». Au milieu des clameurs, la doctrine d’Eutychès fut acceptée, et lui-même rétabli dans son rang et rendu à son monastère. Les légats du pape s’abstinrent, mais Eutychès avait gain de cause et se retira triomphant.

(*) Dans les synodes ou conciles, il y avait toujours plusieurs écrivains nommés notaires qui prenaient note de ce qui était dit ou fait. Les séances terminées, ils comparaient leurs notes et rédigeaient les actes du conciles ou du synode que l’on conservait soigneusement.

Les moines du monastère d’Eutychès que Flavien avait exclus de la communion, parce qu’ils avaient soutenu leur supérieur après sa condamnation, envoyèrent une députation au concile. Ils lui adressaient une requête contre Flavien qu’ils accusaient, non seulement d’avoir abusé de son pouvoir à leur égard, mais d’avoir mis à son profit le séquestre sur les biens de la communauté : accusation tout à fait fausse. Les moines déclarèrent aussi que, quant à leur foi, elle était la même que celle de leur supérieur. Dioscore, ni personne dans le concile, ne s’enquirent si les accusations contre Flavien étaient justifiées, mais, passant outre, ils rétablirent les moines dans leurs fonctions. C’était un nouveau triomphe sur Flavien ; mais ce n’était pas tout : il fallait le perdre et Dioscore en trouva le moyen.

Dans un précédent concile tenu à Éphèse, celui où Nestorius avait été condamné, on avait interdit toute composition ou publication de symboles (ou professions de foi) changeant quelque chose à celui de Nicée. Cela ne voulait pas dire qu’on ne pût expliquer les vérités que contenaient le symbole de Nicée. Or Flavien, dans le synode de Constantinople, avait fait brièvement une confession de foi où il reconnaissait Jésus, fils de Marie, comme vrai Dieu et vrai homme en une Personne. Dioscore prétendit qu’en faisant cela, Flavien avait contrevenu au décret du concile d’Éphèse, et avait mérité, ainsi qu’Eusèbe, d’être déposé et privé de toute dignité épiscopale et sacerdotale. Et il demanda que les évêques approuvassent par leur signature cette sentence. Alors Flavien se levant, dit : « J’en appelle », et il remit à l’un des légats son recours au pape et aux évêques d’Occident. Puis un autre légat, au nom de l’Église romaine, prononça son opposition à la sentence rendue par Dioscore. À ce moment quatre évêques vinrent se jeter aux genoux de celui-ci, et le supplièrent de réfléchir à ce qu’il faisait, Flavien, disaient-ils, n’ayant pas mérité la déposition. Mais Dioscore les repoussa en disant qu’il avait fait son devoir. Puis comme les évêques insistaient et que d’autres accouraient pour savoir ce qui se passait, il se leva irrité, et fit appel aux officiers de l’empereur. Ceux-ci croyant Dioscore en danger, firent entrer les soldats qui, les uns l’épée nue, les autres portant des chaînes comme s’il s’agissait de lier des malfaiteurs, se précipitèrent dans l’église et écartèrent brutalement les évêques qui continuaient à supplier Dioscore.

Le tumulte fut alors à son comble. Des gens du peuple, les parabolans de Dioscore, les moines de Barsumas avec leurs massues, s’étaient aussi répandus dans l’église, poussant des cris féroces : « Il faut chasser, il faut tuer ceux qui n’obéissent pas à Dioscore ». Quelle scène dans un lieu consacré au culte divin, et parmi des serviteurs du Dieu de paix !

Les évêques effrayés fuyaient dans tous les coins, mais on avait fermé les portes afin de recueillir les voix. Les évêques d’Égypte, joints aux moines et aux parabolans, menaçaient de la déposition et battaient ceux qui faisaient mine de réclamer. Dioscore, debout sur son estrade, annonça qu’on allait recueillir les opinions. « Et si quelqu’un refuse d’opiner », dit-il, « c’est à moi qu’il aura affaire, et l’empereur le saura ». Quelle arrogance chez un homme qui se disait ministre de Christ ! Ils opinèrent donc.

Mais il fallait encore signer la sentence, et, dans le tumulte, les notaires n’avaient pu rédiger le procès verbal de la séance. Il fut résolu par Dioscore qu’on signerait en blanc avec ces mots : « J’ai jugé et j’ai souscrit ». Et alors Dioscore, accompagné de deux hommes à l’air menaçant, alla de banc en banc recueillir les signatures. Saisis de terreur, les évêques signèrent, ceux qui essayaient de protester étant menacés et battus.

La dernière et plus affreuse scène de ce procès inique reste à dire. Flavien s’était retiré dans un coin de la nef, attendant le moment de sortir. Dioscore l’aperçut et courut vers lui en l’insultant ; puis il le frappa du poing au visage, et deux de ses diacres, saisissant le malheureux évêque par le milieu du corps, le jetèrent par terre. Dioscore le foula aux pieds, lui frappant du talon les côtes et la poitrine, tandis que les moines de Barsumas, excités par leur maître qui criait : « Tue, tue ! », frappaient Flavien de leurs bâtons et le piétinaient sous leurs sandales.

Flavien traîné dehors par les soldats, fut jeté demi-mort dans un cachot. On devait le conduire en exil, mais il mourut en route trois jours après sa condamnation, par suite des mauvais traitements qu’il avait essuyés. Tel fut le triomphe d’Eutychès et de Dioscore. Celui-ci se hâta de se rendre à Constantinople pour y installer un nouveau patriarche. En s’y rendant, il s’arrêta à Nicée, et formant un synode des évêques égyptiens qui l’accompagnaient, il excommunia le pape Léon comme hérétique. Les légats de celui-ci avaient réussi à s’enfuir et avaient porté à Rome le recours de Flavien.

Mais ce qui s’était passé remplit d’horreur la chrétienté ; on flétrit ce concile sous le nom de Brigandage d’Éphèse, et il ne fut pas inscrit au nombre des conciles reconnus. Cependant Chrysaphius fit approuver par l’empereur les actes de ce concile de brigands, et une loi de Théodose vint ordonner la persécution contre ceux qui ne les accepteraient pas. Mais bientôt les choses changèrent de face. Un an après la mort de Flavien, l’empereur Théodose mourut des suites d’une chute de cheval. Sa sœur Pulchérie qui avait soutenu Flavien, lui succéda à l’empire et y associa Marcien, qu’elle épousa. C’était un vieux soldat, franc, juste et ferme, qui défendit l’empire contre les Barbares et y rétablit l’ordre. Il partageait les vues de Pulchérie à l’égard d’Eutychès, qu’elle condamnait. Il suspendit les persécutions, abrogea l’obligation de reconnaître les actes du faux concile ; les évêques exilés furent rappelés, ceux qui avaient été déposés furent rétablis, et Eutychès fut chassé de son monastère. Chrysaphius fut mis à mort.

Léon de Rome avait d’abord demandé qu’un nouveau concile général fût convoqué à Rome, mais l’empereur refusa, et il fut ensuite convenu qu’il se réunirait à Nicée sous la présidence des légats du pape. Dioscore ne devait pas y siéger comme évêque. Avant qu’il fût réuni, les restes de Flavien furent transportés solennellement à Constantinople, et il fut enseveli auprès de Chrysostôme, mort comme lui victime de l’inimitié des évêques.

L’empereur transféra ensuite le concile à Chalcédoine, afin qu’il fût plus près de Constantinople, et que lui pût y assister plus facilement. Ce concile fut le plus nombreux qu’il y eût encore eu. Plus de cinq cents évêques ou autres prélats y siégèrent. D’un côté se rangèrent les évêques d’Égypte et ceux qui soutenaient Dioscore ; de l’autre, les évêques d’Orient, du Pont, de l’Asie et de la Cappadoce. Les légats du pape déclarèrent qu’ils ne pouvaient siéger avec Dioscore, et Eusèbe de Dorylée se porta son accusateur. Mais bientôt des scènes violentes se produisirent à l’entrée de Théodoret de Cyr (Kars) qui avait été exclu du faux concile d’Éphèse sans autre raison que son opposition à Eutychès. En le voyant paraître, les partisans de Dioscore se mirent à pousser des clameurs : « Hors d’ici, l’ennemi de Dieu », disaient-ils. Les évêques d’Orient répondaient : « Hors d’ici, les hérétiques, les meurtriers de Flavien ». Le tumulte augmentant, le chef des magistrats représentant l’empereur se leva et dit : « Ces cris sont indignes d’une réunion d’évêques ; faites silence, et ne troublez plus l’ordre du concile ».

Dioscore accusé voulait rejeter la responsabilité de tout ce qui s’était passé sur les quatre assesseurs que l’empereur lui avait adjoints, et ensuite sur l’assemblée elle-même qui avait tout approuvé ; mais alors les évêques d’Orient lui donnèrent un démenti violent, disant : « Nous avons été forcés, nous avons été frappés, nous avons cédé aux menaces et aux violences ». Et alors suivirent les détails sur la manière dont Dioscore arrachait les votes et les signatures, et empêchait les notaires d’écrire, leur enlevant de force leurs tablettes. On en vint à la profession de foi d’Eutychès. Un évêque, Basile de Séleucie, dit que, dans le concile d’Éphèse, il avait pressé Eutychès de reconnaître qu’il y a deux natures en Christ, mais qu’Eutychès s’y était refusé. « Pourquoi donc », dirent les magistrats à Basile, « avez-vous souscrit à l’absolution d’Eutychès et à la déposition de Flavien ? ». « Parce que j’ai été forcé d’obéir », répondit Basile. « J’ai failli » ajouta-t-il. Et tous les Orientaux qui, de même que lui, avaient cédé à la force, s’écrièrent : « Nous avons tous failli ; tous nous demandons pardon ».

On lut ensuite la profession de foi de Flavien au synode de Constantinople, et le concile, sauf quelques partisans de Dioscore, déclara orthodoxe la doctrine du martyr Flavien. À ce moment, Juvénal, évêque de Jérusalem, qui jusqu’alors avait soutenu Dioscore, et avec lui les évêques de la Palestine, dirent : « Nous croyons tous la même chose », et, se levant, ils passèrent du côté des évêques d’Orient. Leur exemple fut suivi par les évêques de Grèce, de Crète et de Macédoine ; quatre évêques égyptiens même les imitèrent. Dioscore restait presque seul.

Puis vint la constatation des violences exercées par Dioscore au concile d’Éphèse, et, pendant que le concile était rassemblé, quatre Égyptiens, dont un prêtre et deux diacres, lésés tous quatre par Dioscore, apportèrent contre lui les accusations les plus graves concernant son caractère, sa conduite et ses mœurs. Avant la présentation de leur requête, Eusèbe de Dorylée avait demandé que Dioscore fût condamné et puni pour avoir soutenu la doctrine d’Eutychès, que celle-ci fût anathématisée, et que l’assemblée d’Éphèse fût rayée de la liste des conciles. Il insista pour que l’accusé comparût, afin de se défendre. Mais malgré trois sommations, Dioscore refusa, bien que dans la dernière on lui eût dit les accusations dont il était l’objet de la part des quatre Égyptiens, et que, pour l’honneur de l’Église, il devait y répondre.

Les légats du pape ayant alors résumé ce qui était à sa charge, le concile prononça sa condamnation, le dépouillant de sa charge et dignité d’évêque et de tout ministère sacerdotal. La condamnation fut signifiée au condamné, et la sentence rendue publique. Mais Dioscore ayant déclaré qu’il se souciait peu du concile, et se vantant de rependre bientôt sa place d’évêque, l’empereur l’exila à Gangres, en Paphlagonie. Le concile avait aussi décidé, et l’empereur avait confirmé, la question de doctrine. Ce dernier avait déclaré aussi qu’il agirait contre ceux qui n’obéiraient pas aux décrets du concile. Nous voyons par là et par tout ce qui précède, combien l’Église s’était asservie au pouvoir séculier. Elle habitait dans le monde, où Satan a son trône (Apocalypse 2:13), bien qu’elle retînt encore la vérité touchant la Personne du Fils de Dieu.

Mais ni la déclaration du concile qui, pour la doctrine, adhéra à la lettre de Léon, ni la condamnation d’Eutychès et de Dioscore, ne mirent fin aux luttes entre les orthodoxes et les partisans d’Eutychès. Elles durèrent pendant plus de cent ans. Les adhérents à la doctrine d’Euthychès, nommés monophysites, ce qui veut dire une seule nature, finirent par rompre avec l’Église grecque, et formèrent plusieurs églises distinctes : celles d’Abyssinie, d’Égypte (l’Église copte), des Jacobites en Syrie, et enfin d’Arménie, ayant chacune leur patriarche particulier.

C’est de la dernière de ces églises que nous dirons quelques mots. Si nous avons parlé un peu longuement des deux conciles, c’était pour montrer dans quel triste état se trouvait l’Église, et l’impossibilité pour l’homme de réparer ses ruines. Au milieu du désordre, on est heureux de voir cependant quelques étincelles de la vérité.

 

3.12.2    Arméniens

Le nom d’Arménien n’est inconnu à aucun de nous. Les souffrances de ce peuple, voué par les Turcs à l’extermination, sont venues à la connaissance de tout le monde. L’Arménie est une contrée montagneuse située entre la mer Noire et la mer Caspienne, et s’étend du mont Caucase aux monts Taurus et aux plaines de la Mésopotamie. À l’est se trouve l’Iran, à l’ouest elle confine aux provinces de l’Asie mineure. C’est en Arménie que se trouve le mont Ararat où l’Arche de Noé s’arrêta (Genèse 8:4), et c’est aussi dans cette contrée que prennent leur source l’Euphrate et le Tigre, le premier fleuve souvent nommé dans la Bible, et le second mentionné sous le nom de Hiddékel (Genèse 2:14 ; Daniel 10:4).

Les chrétiens arméniens habitant l’Arménie turque comptaient environ 800000 âmes, mais les affreux massacres ordonnés par le sultan, et la mort causée par les souffrances endurées par ceux qui avaient survécu, ont bien réduit ce nombre. Outre ceux-là, beaucoup d’Arméniens sont dispersés dans diverses contrées où ils s’occupent surtout de commerce.

Le christianisme existait déjà en Arménie dans le second siècle, mais c’est au quatrième qu’il s’y établit définitivement. Un prêtre païen, fils d’un prince parthe, ayant été converti, déploya une très grande activité pour l’évangélisation de l’Arménie, et fut l’instrument de la conversion du roi et de tout son peuple. Ce zélé évangéliste se nommait Grégoire et fut surnommé l’Illuminateur, celui qui éclaire. Les Arméniens avaient une langue à eux, une des plus anciennes qui existent, et vers l’an 400, un nommé Mesrob, avec un autre du nom de Sahak, traduisirent la Bible du syriaque en langue arménienne. De nos jours, les missionnaires américains venus dans ce pays, y ont largement répandu la parole de Dieu.

Eutychès et ses partisans avaient été condamnés par le concile de Chalcédoine, en 451. Mais les églises arméniennes, très nombreuses, puisqu’elles comptaient plus de six cents évêques, repoussèrent les décisions de ce concile et se séparèrent de l’Église d’Orient, tout en conservant le même culte et les mêmes erreurs touchant la transsubstantiation, les sept sacrements, le culte de la Vierge et des saints. Un certain nombre se sont rattachés à l’Église romaine. Nous dirons quelques mots de ce que Dieu a opéré de nos jours parmi eux.

La vie religieuse était bien déchue chez les chrétiens arméniens ; ils ne s’attachaient plus qu’aux formes extérieures, mais retenaient cependant toujours le nom de Jésus Christ, le Fils de Dieu, le Sauveur, lorsqu’en 1832, Dieu mit au cœur de missionnaires américains de venir les évangéliser. Ces serviteurs de Dieu avaient pour but de réveiller les âmes par le moyen de la parole de Dieu, et de répandre l’instruction parmi les Arméniens qui étaient plongés dans une grande ignorance.

La première chose à effectuer était de faire imprimer la Bible dans la langue arménienne actuelle. C’est en 1842 que fut terminée l’impression du Nouveau Testament dans cette langue, et aussitôt on en répandit un grand nombre d’exemplaires. L’œuvre fut manifestement bénie de Dieu. Voici ce qu’écrivait un des missionnaires : « Il n’a probablement pas une ville dans le pays où les Écritures n’aient été portées. Nous pourrions en mentionner vingt où l’on trouverait des Arméniens qui sondent journellement la parole de Dieu, et qui désirent conformer leur vie à ses enseignements. En plusieurs endroits, le saint volume, imprimé dans l’arménien moderne, est regardé comme un nouveau message du ciel. Dans ces villes, il y a, tous les dimanches, des réunions dont le but spécial est l’étude des Écritures, et cela a lieu même dans des endroits où n’a jamais été aucun missionnaire étranger. C’est l’œuvre de la Bible seule. La Bible, dans leur ancienne langue, a toujours été pour les Arméniens un objet de vénération. Placée sur l’autel, elle est journellement présentée, après les prières, au peuple qui la baise dévotement. C’était presque un acte de superstition, mais cela a servi, sans doute, à leur faire recevoir avec respect ses enseignements, lorsqu’ils ont pu la lire dans une langue qu’ils comprennent. La lecture des Écritures a guéri plusieurs Arméniens de leur scepticisme. Ils ont été convaincus que, quelques manquements qu’ils aient vus chez les chrétiens de profession qui les entourent, la Bible renferme la vérité pure et vivante ». Un banquier arménien disait : « Notre nation a contracté une grande dette de reconnaissance envers ceux qui nous ont fait connaître la Bible et l’ont répandue dans une langue que nous comprenons. Ils ont sauvé de l’incrédulité, non seulement moi, mais plusieurs autres, car nous avons trouvé que le christianisme repose sur des fondements plus solides et plus profonds que nous ne le supposions, et qu’il y a dans la parole de Dieu quelque chose pour établir notre foi ».

Un jeune homme vint un jour pour acheter plusieurs exemplaires des Écritures en langue arménienne. « On m’a écrit », dit-il, « de ma ville natale, afin de me demander de l’argent pour la construction d’une église. Mais comme je désire plutôt bâtir une église de pierres vivantes, j’enverrai ma contribution sous la forme d’exemplaires de la parole de Dieu ». Dans un village, près de Nicomédie, une congrégation s’est formée, adoptant les Écritures comme unique règle de foi. Nul missionnaire n’avait été parmi eux, sauf le grand Missionnaire, la Bible. On raconte la même chose d’Alep, où plus de deux cents personnes se sont ainsi réunies, et il s’y en ajoutait journellement d’autres. Là aussi, c’est la lecture seule des Écritures qui a opéré dans les âmes sans l’action d’aucun missionnaire. Ainsi s’est répandue la parole de Dieu chez les Arméniens, jusqu’en des districts fort reculés et parfois par des moyens merveilleux. Ainsi, un certain nombre d’exemplaires des Écritures étaient tombés entre les mains d’une bande de Kurdes nomades, au nord de la Syrie. Ne sachant que faire de ces livres, ils les distribuèrent à la population arménienne qui demeurait près de leur campement, et qui les reçut avec joie.

C’est de cette manière que la parole de Dieu, en se répandant, se montrait ce qu’elle est, l’épée de l’Esprit, pour atteindre les cœurs et les consciences, la lumière pour éclairer l’intelligence et faire connaître les choses de Dieu et la puissance pour transformer la vie. Mais là où Dieu opère, Satan s’oppose. Les lecteurs de la Bible, que l’on nomma protestants, furent persécutés par les évêques qui accusaient les missionnaires de troubler et de diviser leur église nationale. Cela conduisit ceux qui avaient reçu l’Évangile à se constituer en Église séparée. Cependant les missionnaires avaient fondé des collèges, des séminaires, des écoles supérieures et primaires, de sorte qu’en même temps que la parole de Dieu, se propageait aussi l’instruction.

Nous n’avons pas à entrer ici dans le détail des persécutions sanglantes, des massacres en masse et en détail des malheureux Arméniens depuis 1890, et surtout en 1895-1896 ; massacres qui n’ont pas entièrement cessé, et qui ont amené la désolation et la misère dans ce pays (*). Les œuvres dont nous avons parlé en ont été plus ou moins entravées ; mais un fruit en a été porté et restera. Et Dieu connaît ceux qui, souvent peu éclairés, ont cependant préféré la mort au reniement du nom de Jésus.

 

(*) Depuis que ces lignes ont été écrites, il y a eu les terribles massacres de 1915, pendant la Première Guerre mondiale, et l’émigration d’un grand nombre d’Arméniens en Europe, en particulier en France. L’Église arménienne doit compter au total environ 3 millions et demi de fidèles dans le monde.

 

3.13                      Diverses formes religieuses

En parlant des Arméniens, nous avons été conduit à nommer les Turcs, leurs dominateurs. Cela nous amène naturellement à parler de Mahomet et de la religion qu’il a établie, qui porte son nom et que professent les Turcs.

L’apôtre Paul mentionne trois systèmes religieux dans lesquels se rangeaient de son temps tous les hommes. Il y avait les Juifs, les Grecs qui étaient idolâtres, et l’Assemblée de Dieu, c’est-à-dire les chrétiens (1 Corinthiens 10:32). C’est comme nous dirions maintenant, le paganisme, le judaïsme et le christianisme. À ces trois formes religieuses, qui existent encore de nos jours, il faut en joindre à présent une quatrième, l’islam (ou islamisme).

Les idolâtres ou païens formaient du temps de Paul comme aujourd’hui, la classe la plus nombreuse. Ce sont ceux qui adorent une multitude de divinités appelées idoles, nom donné surtout à leurs représentations en or, en argent, en pierre ou en bois (*1). Ces divinités étaient, ou les astres (*2), auxquels on attribuait plus qu’une existence matérielle, ou des êtres imaginaires dont on peuplait le ciel, la terre et les mers, attribuant à chacun une fonction et une puissance particulières, ou bien des animaux, même des reptiles et des plantes (*3). L’homme sent en lui-même le besoin d’une religion, c’est-à-dire de se rattacher à une puissance supérieure, à laquelle il puisse s’adresser pour être aidé ; mais le péché l’a éloigné de Dieu dont il n’a pas gardé la connaissance (*4), et Satan l’a conduit à l’idolâtrie, de sorte que, derrière les idoles, se trouvent en réalité les démons (*5). Mais ces dieux, loin de donner la paix à l’âme, la remplissent de terreur. Il faut toujours chercher à les apaiser, à gagner leur faveur. Qu’ils sont encore nombreux de nos jours les pauvres idolâtres ! À quelles superstitions impures et souvent sanglantes ne sont-ils pas adonnés ! Quelle dégradation n’y a-t-il pas chez un grand nombre ! Ils sont vraiment dans les ténèbres de l’ombre de la mort (*6). Depuis le commencement du christianisme, des messagers de bonnes nouvelles ont travaillé et travaillent encore parmi eux pour les amener à la connaissance du vrai Dieu et de Jésus Christ, son Fils, qu’il a envoyé dans ce monde pour sauver les pécheurs et les conduire dans le chemin de la paix et à la jouissance de la vie éternelle et bienheureuse. Que Dieu soutienne dans cette œuvre ceux qui s’y occupent. Prions pour eux.

 

(*1) Psaume 115:4 ; Jérémie 2:27 ; Actes 17:29.

(*2) 2 Rois 21:3 ; Sophonie 1:5.

(*3) Romains 1:22-23.

(*4) Romains 1:19-21.

(*5) 1 Corinthiens 10:20-21.

(*6) Ésaïe 9:2 ; Luc 1:79 ; Matthieu 4:16. 3.

 

L’idolâtrie a pris naissance très peu de temps après le déluge, car Josué dit au peuple d’Israël que leurs pères, avant Abraham, avaient servi d’autres dieux (*1). Elle se répandit bien vite sur la terre. Alors Dieu résolut de se choisir un peuple (*2) à qui il se ferait connaître, au sein duquel sa connaissance, comme seul vrai Dieu, serait gardée, son culte conservé (*3), et à qui il confierait ses oracles (*4) renfermant le grand dessein de ses pensées éternelles, l’envoi d’un Libérateur qui naîtrait au sein de ce peuple. Le peuple choisi devait avoir en horreur l’idolâtrie et rester absolument séparé des nations païennes (*6). Pour accomplir ce qu’il s’était proposé, Dieu se révéla à Abraham (*7), le fidèle croyant, dont les descendants, par Isaac et Jacob, devaient constituer le peuple choisi. Ce sont les Juifs, avec qui Dieu avait fait alliance, à qui il avait donné une loi, prescrit un culte, ordonné une sacrificature et qui avaient reçu de magnifiques promesses. Mais ce peuple comblé de tant de grâces, s’est montré ingrat, constamment rebelle, s’adonnant à l’idolâtrie, et perdant ainsi son caractère glorieux de témoin de Dieu, et cela malgré les avertissements, les menaces et les châtiments que Dieu multiplia, jusqu’à ce qu’il n’y eût plus de remède. Ils furent emmenés en captivité et assujettis à des rois étrangers et idolâtres. Dieu en ramena un certain nombre dans leur pays, afin que s’accomplît parmi eux la promesse du Libérateur, du Messie prédit par les prophètes (*8), et le Fils de Dieu lui-même, devenu un homme, a paru au milieu d’eux. Il était né de femme, descendant d’Abraham, de la race de David, selon les promesses (*9). Il venait les sauver de leurs péchés et établir le royaume de Dieu (*10). Mais les Juifs, sauf un très petit nombre, le rejetèrent et le firent mourir. Alors Dieu ne les reconnut plus pour un temps comme son peuple, et les plus terribles jugements tombèrent sur eux. Ils furent dispersés partout, n’ayant plus de pays, de ville sainte, de temple, de sacrifices. Nous les voyons dans cet état, et ils y resteront jusqu’à ce qu’ils se repentent et reconnaissent pour leur Messie et leur Roi, Celui qu’ils ont rejeté (*11).

 

(*1) Josué 24:2

(*2) Deutéronome 7:7 ; 10:15.

(*3) Deutéronome 7:9 ; 6:4 ; 10:12, etc. ; 12:10-14.

(*4) Romains 3:2.

(*5) Galates 4:4.

(*6) Deutéronome 5:6-10 ; 6:14 ; 7:3-6, 25, 26 ; 11:16.

(*7) Actes 7:2.

(*8) Michée 5:2 ; Ésaïe 7:14 ; 9:6-7 ; 11:1-10 ; Daniel 9:24-26.

(*9) Galates 4:4 ; Luc 2:7 ; Matthieu 1:1.

(*10) Matthieu 1:21 ; Marc 1:15.

(*11) Osée 3:4-5 ; Zacharie 12:10 ; 13:1.

 

En attendant, Dieu s’est tourné vers les pauvres païens plongés dans les ténèbres de leur ignorance, et a fait lever sur eux la lumière (*1). Il leur a fait annoncer l’Évangile, la bonne nouvelle du salut pour quiconque croit en Jésus mort, ressuscité et glorifié dans le ciel (*2) ; et il a envoyé l’Esprit Saint pour rendre témoignage à la gloire de Christ, pour demeurer en chaque croyant, et pour former l’Assemblée chrétienne en rassemblant les croyants autour du Seigneur (*3). Bien que les juifs, comme nation, aient été mis de côté, quiconque d’entre eux croit au Seigneur Jésus, est sauvé et fait partie de l’Assemblée ; mais il n’est plus Juif, il est chrétien, car dans l’Assemblée, il n’y a ni Juif, ni Grec, mais Christ est tout (*4). Quels précieux privilèges nous avons comme chrétiens ! Le grand, le merveilleux avantage que nous possédons, c’est d’avoir la révélation de tout ce qu’est Dieu, que « le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous a fait connaître » (*5).

 

(*1) Actes 13:46-47 ; 28:28.

(*2) Actes 13:38-39 ; 10:43.

(*3) Jean 14:16-17 ; 16:14 ; 1 Corinthiens 12:13.

(*4) Colossiens 3:11.

(*5) Jean 1:18.

 

Comme nous l’avons vu, Satan a réussi à faire entrer le mal dans l’assemblée chrétienne. Peu à peu elle a déchu de la pureté et de la simplicité primitives. Les grandes vérités du salut par la grâce ont été obscurcies, et l’on y a substitué le salut par les œuvres ; la vie a été remplacée par des formes extérieures ; à la place du culte en esprit et en vérité, on a établi un culte de cérémonies empruntées au judaïsme et au paganisme. L’Église s’est d’abord assujettie à l’État, pour avoir sa protection au lieu de celle de Dieu ; puis, enflée d’orgueil, elle a voulu le dominer à son tour. La mondanité s’est introduite chez elle, ensuite elle a glissé dans une idolâtrie pire que celle du paganisme, rendant un culte aux saints et à la Vierge et se prosternant devant des images. Des disputes incessantes l’ont déchirée ; d’un autre côté s’est élevée la puissance du pape de Rome, se prétendant vicaire de Jésus Christ sur la terre, et revendiquant l’autorité suprême sur toute l’Église, tandis que les évêques et les prêtres qui lui étaient soumis, exerçaient leur autorité sur les troupeaux. À cela il faut joindre une ignorance profonde.

 

 

Tel était l’état des choses dans la chrétienté, quand Mahomet parut et fonda sa nouvelle religion qui répudiait le paganisme, mais n’acceptait ni le judaïsme, ni le christianisme. L’islam, ou religion musulmane, fut un fléau terrible pour la chrétienté, surtout en Orient, et on peut dire pour tout le monde. Est-ce une religion vraie, ou qui a quelque chose de vrai ? Non. Malgré ses prétentions, elle est entièrement fausse. Mahomet est un faux prophète, et le Dieu qu’il veut qu’on adore, n’est pas le vrai Dieu. Souvenons-nous toujours qu’il n’y a qu’une seule et unique révélation de Dieu : celle qu’il a donnée par les prophètes, par son Fils et ses apôtres, et qui est contenue dans la Bible, laquelle tout entière est la parole de Dieu.

 

 

Ainsi, maintenant, sur la terre, il y a quatre grandes formes religieuses : le paganisme qui se subdivise en une multitude de formes diverses, depuis le bouddhisme jusqu’au fétichisme ou culte d’objets inanimés, et où Satan retient encore dans ses chaînes des multitudes d’esclaves. Ensuite l’islam qui prétend venir de Dieu, mais qui n’est qu’une illusion, une déception et un piège, encore plus funestes, de l’ennemi qui tient ainsi des millions d’hommes sous sa domination et dans les liens d’une erreur mortelle. En troisième lieu, le judaïsme, qui a bien le vrai Dieu, qui possède dans l’Ancien Testament une partie de la révélation de Dieu. Mais les Juifs sont désobéissants au vrai Dieu, en ne recevant pas le Christ, le Messie que l’Ancien Testament avait annoncé. Enfin, le christianisme qui a la pleine et complète révélation de Dieu dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Les chrétiens ont le vrai Dieu, Père, Fils, et Saint Esprit. Le christianisme, dans sa forme extérieure, est la chrétienté avec ses nombreuses sectes. Mais quel que soit le déclin de l’Église ou l’Assemblée, c’est dans le christianisme seul que se trouve la vérité qui sauve. C’est là qu’est proclamé le nom de Jésus, le seul qui ait été donné parmi les hommes, et par lequel il nous faille être sauvés (*).

 

(*) Actes 4:12

L’Église a été désobéissante et est déchue. Le temps vient pour elle où elle sera vomie de la bouche du Seigneur (*1). Mais dans tous les temps Dieu a eu un résidu de témoins fidèles (*2). Et à certaines époques, il a suscité des hommes qui ont remis en lumière des vérités oubliées. C’est ainsi qu’au temps de la réformation, en combattant les erreurs de Rome, Luther, Calvin, Farel et d’autres ont remis en lumière la Bible, parole de Dieu, seule autorité infaillible, et la justification du pécheur par la foi en Jésus. Actuellement, ce qui a été rappelé aux chrétiens, c’est la vraie notion de ce qu’est l’Église et la grande vérité du retour prochain du Seigneur pour prendre les siens avec Lui. Nous sommes aux derniers temps, temps bien sérieux, et la parole du Seigneur à ceux — en petit nombre — qui ont reçu ces vérités, c’est : « Voici, je viens bientôt ; tiens ferme ce que tu as, afin que personne ne prenne ta couronne » (*3).

 

(*1) Apocalypse 3:16.

(*2) Apocalypse 2:13, 24 ; 3:4.

(*3) Apocalypse 3:11.

 

 

3.14                      Mahomet et sa religion

Mahomet naquit en l’an 570 à la Mecque, en Arabie, où l’idolâtrie subsistait presque partout. Ayant perdu son père de très bonne heure, il fut élevé par son oncle Abou Taleb, qui le mit dans le commerce. Il eut ainsi l’occasion de faire de fréquents voyages en Syrie, et là, ayant été en contact avec des chrétiens et avec des Juifs, il apprit à connaître l’Ancien et le Nouveau Testament. Mais là il fut aussi témoin des divisions, des pratiques superstitieuses et de la mondanité qui s’étaient glissées dans l’Église et qui déshonoraient le nom de Christ. Mahomet voyait donc d’un côté la folie de l’idolâtrie, et d’un autre ne voulait ni du judaïsme, ni du christianisme défiguré qu’il avait eu sous les yeux. Il pensa alors établir une religion plus pure, en prenant dans les livres saints des Juifs et des chrétiens ce qui lui convenait, et il y mêla ses propres pensées. Pour faire recevoir cette religion, il prétendit avoir eu des révélations de Dieu.

En lisant les Écritures, Mahomet n’avait pas appris à connaître le Dieu vivant et vrai qu’elles révèlent, ni Jésus Christ, son Fils, le Sauveur, qu’elles nous présentent. D’où lui venait donc la pensée d’établir une nouvelle forme religieuse ? Ce n’était pas de Dieu assurément, mais de celui qui autrefois avait poussé les hommes à l’idolâtrie, de Satan, le père du mensonge, menteur et meurtrier dès le commencement (Jean 8:44), car, en effet, l’islam est basé sur un mensonge, et est une religion de sang. Et c’était une séduction d’autant plus dangereuse qu’elle se voilait sous une belle apparence, celle de proclamer un Dieu unique. Dans les terribles temps à venir, Satan réussira encore à susciter un faux prophète plus dangereux que Mahomet même, qui séduira les hommes et leur fera croire au mensonge (lire Apocalypse 12:9 ; 13:14 ; 19:20 ; 2 Thessaloniciens 2:8-11).

Ce ne fut qu’à l’âge de quarante ans que Mahomet commença à se donner comme prophète, envoyé de Dieu. Il avait épousé à 25 ans, une riche veuve plus âgée que lui, et pendant les quinze années qui suivirent son mariage, il se retirait fréquemment dans une caverne du mont Hira, près de la Mecque. Un jour, en revenant de sa retraite, il déclara à sa femme qu’il avait reçu la visite de l’ange Gabriel qui lui avait annoncé sa mission d’envoyé de Dieu. Dès lors il commença à enseigner sa doctrine, mais seulement dans sa maison et à un petit cercle d’amis et de connaissances. Sa femme fut son premier disciple ; puis il gagna plusieurs membres de sa famille et quelques personnages notables de la ville. Il leur enseignait qu’il fallait croire en un seul Dieu, et le reconnaître, lui, Mahomet, pour son prophète ; ensuite croire à des récompenses et des châtiments à venir, et comme formes religieuses, il imposait des ablutions et des prières. Ce n’était pas, disait-il, une nouvelle religion, mais celle de leur ancêtre Abraham (*), restaurée dans sa pureté. Il appuyait ses doctrines sur de prétendues révélations que lui apportait, disait-il, l’ange Gabriel. Ces révélations recueillies et réunies dans la suite, formèrent le Coran, ou livre sacré des mahométans.

 

(*) Les Arabes, issus en partie d’Ismaël, sont de fait descendants d’Abraham.

Après trois ans, le nombre de ses adhérents ne montait encore qu’à quarante. Il n’avait jusqu’alors fait connaître sa doctrine qu’à un nombre restreint de personnes, mais enfin il se décida à l’annoncer publiquement et à attaquer avec force l’idolâtrie de ses compatriotes. Ceux-ci irrités, l’auraient tué sans l’intervention de son oncle. L’opposition ne découragea pas Mahomet, il continua à prêcher et vit le nombre de ses partisans s’accroître. Mais en l’an 622, ses adversaires excitèrent le peuple contre lui, et il se vit obligé de s’enfuir à Yatreb, ville qui depuis fut nommée Médine (Médinet al Nabi, c’est-à-dire ville du prophète). C’est de cette année que date l’ère mahométane (*) nommée hégire, ou fuite. Mahomet avait à Médine un certain nombre de partisans qui avaient gagné les habitants à sa cause. Ils vinrent à la rencontre du prophète méprisé, et le saluèrent comme roi et prophète.

 

(*)  C’est-à-dire que c’est à partir de cette époque que les mahométans comptent leurs années, comme nous les comptons à partir de la naissance du Seigneur.

Ce fut le commencement de ses succès. Ses révélations lui ordonnèrent d’employer le glaive contre les idolâtres et ceux qui ne se soumettraient pas à lui. Une grande armée de ses ennemis, à laquelle s’étaient joints les Juifs, vint investir Médine ; mais Mahomet réussit à semer la division parmi les principaux chefs qui, l’un après l’autre, abandonnèrent le siège. Une trêve de dix ans fut conclue, d’où les Juifs étaient exclus. Mahomet assiégea et prit plusieurs de leurs villes, s’empara de leurs biens, fit prisonniers leurs femmes et leurs enfants, et tua la plupart des hommes.

Les habitants de la Mecque ayant violé la trêve, Mahomet, à la tête de dix mille guerriers, les attaqua et s’empara de la ville. Les habitants se soumirent à lui et il pardonna à tous ceux qui embrassèrent sa foi. Ensuite il détruisit les 360 idoles qu’ils adoraient, fit disparaître tout vestige d’idolâtrie, orna leur temple et le consacra au culte du seul Dieu. Puis il fit ses prières et ses dévotions dans le sanctuaire appelé Kaaba, petit édifice qui se trouve au milieu du temple et que l’on dit avoir été érigé par Abraham. Là se trouve une pierre noire, objet de la vénération des fidèles, et qui passe pour avoir été autrefois un autel consacré au vrai Dieu (*).

(*) Chaque année des milliers de mahométans de tous pays viennent en pèlerinage à la Mecque, la ville sainte. Tout mahométan doit faire ce pèlerinage au moins une fois en sa vie. Il en rapporte le titre de « hadji », c’est-à-dire pèlerin.

Mahomet devint ainsi chef suprême, à la fois religieux et temporel, de toute l’Arabie. Il projetait d’attaquer l’empire romain d’Orient qui subsistait encore, mais la mort mit un terme à ses desseins. En l’an 632, il fit encore un pèlerinage à la Mecque, et là, après avoir fait ses dévotions, s’adressant à la foule qui l’entourait, il dit : « Écoutez mes paroles et qu’elles descendent dans vos cœurs. Je vous ai laissé une loi. Si vous vous y attachez, elle vous préservera toujours de l’erreur. C’est une loi claire et positive, un livre dicté d’en haut. Ô mon Dieu ! ai-je accompli ma mission ? ». Et mille voix répondirent : « Oui, tu l’as accomplie ! » Le prophète ajouta : « Ô mon Dieu ! entends ce témoignage ». On voit comment jusqu’au bout, il séduisait les autres, étant séduit lui-même (2 Timothée 3:13). L’esprit de mensonge, sous de beaux semblants, parlait par sa bouche.

Mahomet retourna chez lui et mourut peu après. La nouvelle de sa mort jeta une grande consternation chez tous ses sectateurs, qui avaient pensé qu’un prophète tel que lui ne pouvait pas mourir. Mais quelqu’un de la foule s’écria : « Musulmans, sachez que Mahomet est mort, mais Dieu est vivant et ne peut mourir. Oubliez-vous ce passage du Coran : « Mahomet n’est pas plus qu’un apôtre ; d’autres apôtres sont morts avant lui ». Et cet autre passage : « Tu mourras certainement, ô Mahomet ! et eux aussi mourront » ?

Cette citation du Coran apaisa les esprits : il était clairement révélé que le prophète devait mourir. Alors se posa la question importante de savoir qui lui succéderait. Abou Bekr, dont Mahomet avait épousé la fille, fut élu, et devint ainsi le premier « calife », c’est-à-dire le vicaire ou remplaçant de Mahomet.

 

*     *     *

 

Le caractère personnel de Mahomet n’apparaît pas sous un jour bien élevé. Avait-il besoin d’une sanction sur un de ses actes, si injuste ou déloyal ou immoral fût-il, il apportait aussitôt une révélation qu’il disait tenir de Dieu. Plus d’une fois il se justifia ainsi d’avoir tué ses ennemis, violé ses serments et épousé l’une après l’autre plusieurs femmes. Nous avons déjà dit un mot de sa doctrine. Il reconnaissait les Écritures saintes, auxquelles il avait emprunté plusieurs choses, comme étant des livres divins, mais il prétendait que les Juifs et les chrétiens les avaient altérées, et que lui avait été envoyé pour rétablir la vérité. Il tenait pour des prophètes suscités pour instruire les hommes, Noé, Abraham, Moïse et d’autres, nommés dans l’Ancien Testament. Mais à l’égard du Seigneur Jésus, notre adorable Sauveur, son langage est tout à fait blasphématoire. Il dit bien : « Le plus grand de tous les prophètes est Jésus, le Fils de Marie », mais il niait qu’il fût le Fils de Dieu. « Le Messie Jésus », dit-il, « le fils de Marie, n’est qu’un apôtre de Dieu… Dieu est un seul Dieu ; c’est porter atteinte à sa gloire de dire qu’il a un Fils. Ce sont des infidèles ceux qui disent que le Messie, fils de Marie, est Dieu. Dieu est un, Dieu est éternel ; il n’engendre point et n’a pas été engendré. Il n’y a personne qui lui soit semblable ». Tout cela est formellement opposé à ce que nous dit la parole de Dieu (lire avec soin Jean 1:1, 14, 18 ; Romains 1:3-4 ; 9:5 ; Philippiens 2:6 ; Colossiens 1:14-17 ; Hébreux 1:1-3 ; 1 Jean 1:1 ; 4:15). Que nous dit encore l’apôtre Jean : « Quiconque nie le Fils n’a pas non plus le Père » (1 Jean 2:23), c’est-à-dire qu’il ne connaît pas vraiment Dieu, et ne peut être son enfant. Jean dit aussi : « Celui qui a le Fils a la vie, celui qui n’a pas le Fils de Dieu n’a pas la vie » (1 Jean 5:12). Et cette vie est la vie éternelle. On n’a donc la vie éternelle, on ne peut donc être sauvé qu’en reconnaissant Jésus comme étant le Fils de Dieu, et en croyant en Lui (Jean 3:16, 18, 36). Nous voyons ainsi dans quelle erreur mortelle l’islam retient les âmes.

 

 

Mahomet insistait sur l’unité de Dieu. Il semble beau et grand de dire : « Il n’y a qu’un seul Dieu ; Dieu est éternel, etc ». Cela est certain du vrai Dieu, mais le Dieu de Mahomet est-il le vrai Dieu, Celui que l’Écriture nous révèle ? Non. Dieu est lumière, et le Coran n’est que ténèbres, car il ne révèle pas Dieu dans sa nature comme Père, Fils et Saint Esprit, ni dans son caractère moral, et il ne fait pas connaître le moyen, pour l’homme pécheur, d’être sauvé et d’approcher d’un Dieu juste et saint. Dieu est amour, et le Coran ne respire que haine, vengeance et meurtre. Dieu est saint et pur, et le Coran sanctionne toutes les convoitises et va jusqu’à promettre à ses sectateurs un paradis de jouissances sensuelles. C’est un des moyens par lesquels il retient les hommes dans ses liens, en flattant la chair et ses passions, tandis que l’apôtre Paul nous dit que « ceux qui sont du Christ ont crucifié la chair avec les passions et les convoitises » (Galates 5:24).

 

 

L’islam est donc tout l’opposé du vrai christianisme ; il est une œuvre du diable, une affreuse séduction de l’ennemi, qui a ainsi entraîné des millions d’âmes et en retient des millions dans une erreur mortelle, loin du vrai Dieu et du salut. Les conquêtes des successeurs de Mahomet furent rapides et s’étendirent au loin, et, de nos jours, deux cents millions d’hommes sont courbés sous ce joug. On pourrait penser que la religion de Mahomet est un progrès sur le paganisme, en ce qu’elle tourne les pensées de l’homme vers un Dieu unique, invisible et éternel. Mais ce Dieu n’est pas plus le vrai Dieu que ne le sont les idoles, puisque comme elles, il laisse l’homme se livrer à ses passions, et qu’il n’ouvre pas, au pécheur perdu, la voie du salut, de la vie et de la paix. « C’est ici la vie éternelle », dit le Seigneur, « qu’ils te connaissent seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jean 17:3). Voilà la voie royale, celle du salut, de la vie et du ciel, car Jésus a dit : « Je suis le chemin, et la vérité, et la vie ; nul ne vient au Père que par moi » (Jean 14:6). Quel contraste avec l’islam qui proclame : « Il y a un seul Dieu, et Mahomet est son prophète », qui tolère le péché et verse le sang ! L’islam, précisément parce qu’il a une certaine apparence de vérité supérieure au paganisme, tient d’autant plus loin de Christ ses sectateurs. C’est une chose très rare de voir un mahométan devenir chrétien, tandis que des millions de païens croient en Christ pour le salut. Quel accord peut-il y avoir entre un mahométan et un vrai chrétien, si ce n’est que celui-ci priera pour l’autre, afin que Dieu l’éclaire ? Rendons grâces à Dieu qui s’est fait connaître à nous par son Fils, en qui sont venues « la grâce et la vérité », et prions pour les mahométans, aussi bien que pour les païens, et pour les ouvriers du Seigneur qui travaillent chez les uns et chez les autres.

 

 

4                        L’Église Romaine et sa Domination

4.1   La Papauté et le Papisme

Tandis que l’islam, la religion du faux prophète, envahissait de vastes contrées, principalement en Orient, et en faisait presque disparaître le nom chrétien, que devenait l’Église ? Laissant de côté, si importante que serait leur histoire, ce que l’on nomme l’Église grecque et les diverses églises et sectes chrétiennes de l’Orient, nous nous bornerons presque exclusivement à l’Église occidentale. Elle subsiste encore maintenant, bien qu’amoindrie, et prend le nom d’Église catholique, apostolique et romaine. Nous en avons déjà dit quelques mots.

Cette Église constitue un vaste système qui s’est formé peu à peu sur les ruines de l’Église primitive à laquelle elle prétend se rattacher, mais dont elle n’est que la corruption, et qui s’est développé surtout au Moyen Âge, son apogée se plaçant du 11° au 14° siècle. Elle se pare du titre de catholique ou universelle, mais à tort, car nombre de ceux qui professent le christianisme, comme les adhérents aux Églises d’Orient et aux diverses dénominations protestantes, se sont séparés d’elle : elle groupe à peu près la moitié des hommes qui se disent chrétiens. Elle prend le nom d’apostolique, parce qu’elle se dit fondée par des apôtres, ce qui est inexact, et parce qu’elle prétend suivre leurs enseignements, dont, au contraire, elle s’est largement écartée, ainsi que son histoire et ses doctrines le montrent. Enfin, elle ajoute à ces titres celui de romaine, et à bon droit, parce que le pape, qui dans l’origine, était simplement l’évêque de Rome, en est le chef suprême. De là vient le nom de Romanisme que l’on donne à l’ensemble de son organisation, de son culte et de ses doctrines. On emploie aussi les termes de Papauté et de Papisme, le premier de ces mots s’appliquant à la suite des papes et à leur pouvoir, le second au système religieux dont le pape est le chef.

 

4.2   La Papauté

L’Église romaine dit être la seule vraie Église, et ses docteurs prétendent que hors d’elle il n’y a point de salut. C’est ainsi que, par la crainte d’être perdues, elle retient dans son sein quantité d’âmes ignorantes. Cette prétention est-elle vraie ? Ceux qui ne possèdent pas la Bible, la parole de Dieu, peuvent le croire sur la foi des prêtres et des catéchismes qui les instruisent, mais que dit l’Écriture sainte ? C’est que la vraie Église — l’Église de Dieu — est formée de tous les vrais croyants au Seigneur Jésus, qui sont lavés de leurs péchés dans le sang de l’Agneau et scellés de l’Esprit Saint, qu’ils appartiennent ou non à l’Église romaine. Ils ne sont pas sauvés parce qu’ils font partie d’une Église ou d’une forme religieuse quelconque, mais ils sont sauvés parce qu’ils croient au Seigneur Jésus, et alors ils appartiennent à l’Église ou l’Assemblée de Dieu. L’Écriture dit : « Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé », et non : crois à l’Église ; et encore : « Il n’y a de salut en aucun autre (que Jésus) ; car aussi il n’y point d’autre nom sous le ciel, qui soit donné parmi les hommes, par lequel il nous faille être sauvés » (Actes 16:31 ; 4:12) ; mais elle ne dit pas « hors de l’Église romaine ou d’une autre, il n’y a point de salut ».

L’Église romaine, comme celle d’Orient et d’autres systèmes religieux dans la chrétienté, se compose de deux classes de personnes, le clergé et le peuple ou les laïques : distinction que nous ne trouvons pas dans la parole de Dieu. Le Seigneur disait à ses disciples : « Vous êtes tous frères » (Matthieu 23:8). Il est vrai que, dans sa grâce, il a donné des apôtres et prophètes, des évangélistes, des pasteurs et docteurs, pour fonder et former l’Église ou l’Assemblée, puis pour l’édifier, la nourrir, l’exhorter et l’instruire (Éphésiens 4:11-13) ; mais ils ne constituent pas une caste à part ; ils sont des serviteurs de Christ et de l’Église (Colossiens 1:23-25), et des membres du corps de Christ, sans plus de prérogative ou d’autorité que le plus faible chrétien (1 Corinthiens 12:13, 18-23, 28).

Le clergé, dans l’Église romaine, comprend tous les prêtres, évêques, archevêques, cardinaux, et enfin à la tête de tous, le pape, qui s’intitule chef de l’Église et vicaire de Jésus Christ, c’est-à-dire son représentant ou son substitut sur la terre. On peut aisément voir combien cette prétention est contraire à la parole de Dieu. Celle-ci nous dit que Christ, dans le ciel, est le Chef ou la Tête de l’Église ou l’Assemblée qui est son corps (Éphésiens 1:22-23 ; Colossiens 1:18), et nulle part, elle ne nous parle d’un chef sur la terre. Sur quoi donc les papes de Rome s’appuient-ils pour s’arroger une telle position ? Ils disent que c’est comme successeurs de l’apôtre Pierre, qui, d’après eux, était le chef des apôtres, et qui a été le premier évêque ou pape de Rome, selon leur dire. Ils citent comme preuve les passages où il est dit : « Tu es Pierre (*) ; et sur cette pierre (**) je bâtirai mon assemblée (ou Église), et les portes du hadès (***) ne prévaudront pas contre elle ». Et encore : « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux ; et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux ; et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux » (Matthieu 16:18-19). Mais ni ces passages, ni aucun autre dans l’Écriture, ne disent que Pierre eût une autorité quelconque sur les autres apôtres. En premier lieu, le roc sur lequel l’Église est bâtie, n’est pas Pierre, mais la vérité contenue dans la confession qu’il fit que Jésus était « le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Verset 16). Pierre n’était qu’une pierre dans l’édifice de l’Église qui devait s’élever après la mort, la résurrection et l’ascension du Seigneur. Il est vrai que les apôtres et prophètes sont le fondement de l’Église, mais Pierre ne l’est pas plus qu’un autre (Éph. 2:20 ; Apoc. 21:14), et la maîtresse pierre du coin n’est pas Pierre, mais Jésus Christ, comme Pierre lui-même le dit (1 Pierre 2:4-6). Ainsi les prétentions des papes n’ont aucun fondement de vérité et ravissent au Seigneur Jésus sa gloire.

 

(*) Littéralement « une pierre ».

(**) Littéralement « ce roc ».

(***) Le hadès, le lieu invisible, où les âmes des hommes vont après la mort. Ce mot a été traduit improprement par enfer.

 

Les docteurs de l’Église romaine prétendent aussi que les paroles du Seigneur à Pierre : « Pais mes brebis » et « pais mes agneaux » (Jean 21:15-17), sont une preuve que Pierre et ses successeurs étaient établis sur les prêtres en général, désignés par les brebis, et sur les laïques, représentés par les agneaux. Mais la triple exhortation du Seigneur avait pour but de réintégrer Pierre après sa chute, et de lui confier les agneaux et les brebis de la circoncision, c’est-à-dire les Juifs qui se convertiraient. Pierre était essentiellement l’apôtre de la circoncision, c’est-à-dire l’envoyé du Seigneur auprès des Juifs, comme Paul était l’apôtre de l’incirconcision, c’est-à-dire l’envoyé du Seigneur auprès des nations, des païens (Galates 2:7-10), bien qu’à l’occasion, Pierre ait prêché l’Évangile aux nations, et Paul aux Juifs. À qui s’adresse la première épître de Pierre ? C’est aux Juifs convertis dispersés parmi les nations. Et d’où l’écrivait-il ? De Babylone, loin de Rome, au milieu des nombreux Juifs qui s’y trouvaient (1 Pierre 1:1 ; 5:13). Qu’il ait jamais été à Rome, est une chose douteuse ; qu’il en ait été le premier pape, n’a point de fondement solide.

Enfin, quant aux clefs du royaume des cieux confiées à Pierre, en tout cas ce ne sont pas celles du ciel. Il ouvrit le royaume des cieux aux Juifs le jour de la Pentecôte, en leur annonçant l’Évangile, et il l’ouvrit à Corneille et aux gentils, en leur prêchant Christ (Actes 2:36-41 ; 10:43-48). Les Juifs y étaient reçus, bien qu’ils eussent rejeté Christ, s’ils se repentaient et croyaient en Lui ; et les gentils, bien que n’y ayant aucun droit, y étaient aussi reçus en croyant au Seigneur, et ainsi des deux peuples, Christ n’en faisait qu’un (Éphésiens 2:13-15). C’est ainsi que Pierre fit usage des clefs qui lui étaient confiées par le Seigneur. Il lia et délia, en annonçant aux uns et aux autres que leurs péchés étaient pardonnés s’ils croyaient au Seigneur Jésus ; mais que, s’ils étaient incrédules, ils périraient. Mais lier et délier n’appartenait pas seulement à Pierre. Le Seigneur dit que c’est le privilège des deux ou trois assemblés en son nom, c’est-à-dire de toute assemblée ou Église de Dieu, si peu nombreuse soit-elle ; et il étend le même privilège de remettre ou retenir les péchés à tous les disciples individuellement (Matthieu 18:18-20 ; Jean 20:23). Sans doute que le Seigneur accorda un grand honneur à Pierre ; mais a-t-il eu des successeurs ? Nulle part, dans la parole de Dieu, il n’est question de succession apostolique, ni de succession d’aucun genre à des charges ecclésiastiques. Paul, avant son départ, dit aux anciens d’Éphèse : « Je vous recommande à Dieu, et à la parole de sa grâce » (Actes 20:32), et non aux prêtres, aux évêques, ni au pape, ni à l’Église.

À proprement parler, le clergé, et le pape à sa tête, est ce qui constitue l’Église romaine. Ils forment une caste à part, et sont les intermédiaires entre Dieu et les hommes. Les laïques ne sont rien, et n’ont qu’à recevoir et croire les yeux fermés ce que l’Église dit ; car l’Église n’a pas erré, et ne peut errer, disent les docteurs romains. Elle est infaillible dans ses enseignements, et son chef, le pape, est infaillible lorsqu’il parle ex cathedra (du haut de la chaire) pour définir une doctrine de l’Église universelle. Aux laïques il appartient d’obéir, et ceux qui, laïques on non, ne se soumettent pas en tout aux enseignements de l’Église ou s’en écartent, sont des hérétiques, que l’Église rejette de son sein, et même, quand elle en a eu le pouvoir, elle les a livrés au bras séculier pour être punis. C’est ainsi qu’au Moyen Âge surtout, ont sévi de cruelles persécutions contre les saints qui s’attachaient à la parole de Dieu et dont l’Église romaine a fait verser le sang (Apocalypse 17:6).

L’Écriture, qui parle d’anciens et de serviteurs de Dieu dans l’Assemblée ou l’Église, ne forme d’eux nullement une caste à part. Ils sont appelés à être les modèles du troupeau, et ne doivent pas dominer sur lui (1 Pierre 5:2-4). Ils sont établis de Dieu, et non par l’homme, ni en vertu d’une succession (Actes 20:28). Et quant à l’Église, elle n’enseigne pas, mais elle doit être la colonne et le soutien de la vérité (1 Timothée 3:15), et cette vérité est la parole de Dieu, que les serviteurs de Dieu annoncent, expliquent et appliquent, et que l’Église a la responsabilité de maintenir. Or l’Église romaine, loin d’être la colonne de la vérité, s’en prétend la source et, en fait, enseigne et soutient l’erreur mêlée à la vérité.

L’Église romaine se vante aussi de son unité. Elle est une en effet extérieurement, en ce sens que tous ceux qui professent la reconnaître sont soumis à son joug. La vraie Église de Christ, l’Assemblée qui est son corps, est seule réellement une, selon ce que dit l’apôtre : « Il y a un seul corps », dont Christ est la Tête, et dont tous les vrais croyants sont les membres (Éphésiens 1:23 ; 4:4 ; 1 Corinthiens 12:12, 13). Mais l’Église a sa manifestation extérieure, et aurait dû en cela montrer l’unité. Malheureusement Satan a réussi à y semer la division ; l’Église a manqué, et l’on ne voit, dans ce qui se nomme la chrétienté, que divisions et sectes.

On aurait peine à s’imaginer, si l’histoire ne l’attestait, jusqu’où l’ambition a pu conduire certains papes de Rome. Non contents de dominer sur le clergé entier et par le clergé sur le peuple, ils prétendirent être au-dessus des princes, des rois et des empereurs. Tous leurs efforts, durant des siècles, ont tendu à établir ce pouvoir universel, au temporel aussi bien qu’au spirituel. Sans entrer dans des détails, ni présenter l’histoire des usurpations successives des papes dans ces deux domaines, je citerai quelques exemples.

Le pape Grégoire VII (*), homme énergique, qui voulait réformer l’Église et la purifier de la corruption profonde dans laquelle le clergé était tombé, disait, non sans orgueil : « Le pontife romain est évêque universel ; son nom n’a point son pareil dans le monde entier. À lui seul appartient de déposer les évêques, comme aussi de les réintégrer. Tous les princes sont tenus de lui baiser les pieds. Il a le droit de déposer les empereurs, et de délier les sujets de leurs devoirs envers eux… Tous les royaumes doivent être regardés comme des fiefs (comme dépendants) du siège de saint Pierre. L’Église ne doit pas être la servante des princes, mais leur maîtresse. Ayant reçu le pouvoir de lier et délier dans le ciel, à plus forte raison l’a-t-elle dans les choses terrestres ». Ces paroles audacieuses rappellent ce que nous dit l’Esprit Saint, au 17° chapitre de l’Apocalypse, où la fausse Église de l’avenir, Babylone, est représentée comme une femme assise sur la bête qui figure la puissance impériale (Versets 3 à 6).

 

(*) Il occupa le siège pontifical de 1073 à 1085.

C’est ce même pape qui exigea que tous les ecclésiastiques fussent voués au célibat, afin d’avoir toute une armée d’hommes dégagés des liens de famille et dévoués à l’Église romaine, et qui n’attendissent que de Rome leur mot d’ordre. Auparavant les prêtres pouvaient être mariés ou non ; les moines seuls ne devaient pas l’être. Grégoire voulut que les prêtres qui étaient mariés se séparassent de leurs femmes, et comme un grand nombre se révoltaient contre cette mesure, il leur dit : « Peut-il espérer d’avoir le pardon de ses péchés, celui qui méprise l’homme qui ouvre et ferme à sa volonté la porte du ciel (*) ? Ceux-là attirent sur leurs têtes la colère divine et la malédiction apostolique ». Ce célibat forcé n’est-il pas en opposition avec ce que nous apprend Paul, quand il dit : « Il faut que le surveillant (ou évêque) soit irrépréhensible, mari d’une seule femme » (1 Timothée 3:2), et qu’à Tite il dit que l’ancien (ou prêtre) soit « mari d’une seule femme » ? (Tite 1:6). Et n’est-ce pas la réalisation des paroles prophétiques de Paul : « Défendant de se marier » ? (1 Timothée 4:3).

 

(*) Nous voyons par ces paroles quelle autorité Grégoire VII attribuait aux papes. Qui peut ouvrir ou fermer, si ce n’est Christ ? (Apocalypse 3:7).

Innocent III, l’un des successeurs de Grégoire (*), et grand persécuteur des fidèles de son temps, disait : « Le serviteur que le Seigneur a établi sur son peuple, est le vicaire de Christ, le successeur de saint Pierre. Il est l’oint du Seigneur : entre Dieu et les hommes : au-dessous de Dieu, au-dessus des hommes ; moindre que Dieu, plus que l’homme. Il juge tout et n’est jugé par personne ». Quel langage audacieux et blasphématoire, qui rappelle ce que l’apôtre dit de l’homme de péché ! (2 Thessaloniciens 2:3-4). Ce n’est pas que les papes soient l’homme de péché : celui-ci paraîtra quand les saints auront été ravis auprès du Seigneur, mais ils portent le même caractère d’orgueil. Quelle différence avec Pierre, dont ils se disent les successeurs ! Le saint apôtre écrivait : « J’exhorte les anciens qui sont parmi vous, moi qui suis ancien avec eux » (**), et non au-dessus d’eux.

 

(*) Il fut pape de 1198 à 1216.

(**) 1 Pierre 5:1.

 

Quels sombres temps que ceux que l’on nomme le Moyen Âge ! Pour tenir les princes et leurs sujets sous leur domination et celle du clergé, les papes se servirent d’une arme redoutable, surtout dans ces temps d’ignorance et de superstition. C’est l’interdit. Plus tard, ils établirent le terrible tribunal de l’inquisition, dont nous parlerons.

L’interdit était une sentence par laquelle étaient défendus l’administration des sacrements, le culte public et les funérailles ecclésiastiques, c’est-à-dire accomplies avec les cérémonies de l’Église. L’interdit pouvait être prononcé contre une personne ; elle était ainsi excommuniée, privée de tout culte, ne pouvant entrer dans une église, et considérée comme un lépreux avec qui on ne devait avoir aucune communication. Elle était séparée de la communion chrétienne et bannie du royaume céleste, disait Rome. Les papes, au temps de leur puissance, osèrent frapper d’interdit des rois et des empereurs, comme l’histoire nous l’apprend, et causèrent ainsi de grands troubles et des guerres. Quelquefois l’interdit frappait une ville, un territoire ou un pays, et alors tous les habitants étaient comme excommuniés. Les enfants restaient sans baptême, on ne sonnait plus les cloches pour appeler les fidèles aux églises, on ne célébrait aucun culte, ni cérémonie religieuse, le clergé ne portait plus aux malades et aux mourants les consolations de la religion, et les morts étaient portés en terre sans qu’un prêtre les accompagnât. La terreur était ainsi jetée dans les âmes simples et superstitieuses de cette époque. Tel est encore un trait de la puissance que les papes s’étaient arrogée sur les âmes pour les soumettre.

On comprend que les princes et les peuples aient porté impatiemment ce joug et lutté pour s’y soustraire. Depuis les temps de la Réformation, l’Église romaine a dû renoncer à faire valoir ses prétentions de domination sur les princes et leurs sujets, et à se servir de l’interdit. Mais au fond, elle n’a pas changé. Ne pouvant dominer ouvertement, elle cherche à s’assujettir les consciences, et a bien des moyens pour y parvenir, étant d’une habileté consommée pour arriver à ses fins. C’est une puissance en apparence très déchue et amoindrie, mais qui subsiste toujours et a une grande vitalité. Nous vivons au milieu d’elle, et elle est industrieuse pour attirer à elle et séduire les âmes par ses cérémonies, son culte pompeux qui parle aux sens, et parce qu’elle sait revêtir un beau semblant de piété et de vérité, de manière à répondre aux besoins religieux de certaines âmes. Et c’est parce qu’on peut aisément se laisser enlacer par les séductions (Apocalypse 2:20) de cette Église qui se dit la seule vraie, qu’il est bon qu’elle soit présentée sous ses véritables traits, en présence de la parole de Dieu.

Mais avant de parler de ses enseignements erronés, il faut nous rappeler qu’elle confesse et conserve les grandes vérités fondamentales que nous enseigne la parole de Dieu. Ainsi, elle maintient qu’il n’y a qu’un seul Dieu en trois Personnes, le Père, le Fils, et le Saint Esprit (Matthieu 28:19). Elle confesse aussi que Jésus Christ, le Fils unique et éternel de Dieu, une Personne divine, est devenu un homme sur la terre, pour accomplir sur la croix la rédemption des pécheurs (Jean 1:1-18). Elle reconnaît qu’il y a un ciel pour les sauvés, et un enfer pour les incrédules. Il peut donc y avoir, et il y a eu dans son sein de vrais enfants de Dieu, des âmes qui, croyant simplement au nom, à l’amour et au sacrifice du Seigneur Jésus, sont sauvés, car « celui qui croit au Fils a la vie éternelle » (Jean 3:36). Mais l’Église romaine a enfoui ces saintes vérités et d’autres qui s’y rapportent, sous un amas d’ordonnances, de cérémonies et de pratiques extérieures, et y a joint quantité d’erreurs, de sorte que ce sont ces choses-là qui prédominent, et qu’elle présente comme nécessaires au salut, au lieu de la foi simple au Seigneur Jésus. De cette manière, les âmes sont retenues loin de Dieu et du Sauveur, et ainsi elles sont privées de la paix ; et de plus, elles sont livrées, comme nous le verrons, à une idolâtrie pire que celle du paganisme. Le christianisme par elle est entièrement défiguré, et quantité d’âmes sont conduites à la perdition.

On demandera peut-être : « Cette Église ne reconnaît-elle donc pas la Bible, les Écritures, comme la parole de Dieu, puisqu’elle s’écarte tellement de son enseignement ? ». Oui, certainement elle les reconnaît comme telle, et c’est même un fait digne de remarque que c’est elle qui a conservé ce dépôt des Écritures qui la condamnent, de même qu’autrefois les Juifs conservaient l’Ancien Testament (Romains 3:2). C’est dans les couvents de l’Église romaine que des moines copiaient les manuscrits de la Bible et les gardaient soigneusement. Mais comme les Juifs l’avaient fait aussi — sans parler des livres apocryphes (*), qu’elle a joints au saint volume — elle a mis à côté de l’Écriture la tradition qu’elle nomme la parole de Dieu non écrite, et dont elle prétend avoir le dépôt. C’est sur la tradition qu’elle appuie ses erreurs et ses pratiques religieuses, et ainsi, comme autrefois le Seigneur le reprochait aux Juifs, elle annule l’Écriture par ses traditions (Matthieu 15:3-6).

 

(*) Les livres apocryphes (ou cachés) sont des compositions qui n’ont jamais été reçues comme inspirées, par les Juifs, auxquels les oracles de Dieu ont été confiés (Romains 3:2) ; néanmoins le concile de Trente (dans le seizième siècle) les a déclarés divins.

Mais il y a plus. Une autre chose empêche les âmes soumises au joug de l’Église romaine de venir s’éclairer à la pure lumière de la parole de Dieu. Elle a longtemps défendu aux laïques la lecture des saintes Écritures. Seule l’Église peut les interpréter, et ceux qui s’écartent du sens qu’elle leur donne sont condamnés. Il était même défendu autrefois de les traduire en langue vulgaire, et si le fait se produisait, on brûlait les exemplaires que l’on pouvait saisir. Telle était la loi de l’Église au Moyen Âge. Nous en avons la preuve dans un décret du concile de Toulouse tenu en 1229, qui le premier défendit d’une manière formelle la lecture de la Bible : « Nous défendons aussi au commun peuple, de posséder aucun des livres de l’Ancien ou du Nouveau Testament, sauf peut-être le Psautier, ou le Bréviaire, ou les Heures de la Sainte Vierge, que quelques-uns par dévotion désireraient posséder, mais avoir un seul même de ces livres en langue vulgaire est strictement défendu ». Or l’on sait que les Heures de la Vierge, livre de dévotions adressées à la Vierge, ne font pas du tout partie des Écritures, non plus que le Bréviaire qui, à côté de portions de la Bible, renferme beaucoup de choses qui lui sont contraires. Mais le clergé ne voulait pas que le peuple illettré et aveuglé s’aperçût de cette distinction. C’était en effet un temps de grande ignorance où un bien petit nombre de personnes savaient lire. Le clergé en profitait pour exercer une autorité d’autant plus absolue sur le peuple. Il usait aussi de son influence pour engager le pouvoir civil à défendre la lecture de la Bible. Ainsi, en 1394, un arrêt de la Chambre des Lords en Angleterre l’interdisait. Les prêtres disaient à propos de la traduction de la Bible en langue vulgaire : « Hélas ! la perle de l’Évangile est maintenant jetée aux pourceaux et foulée par eux. L’Évangile que Christ avait donné au clergé pour qu’il le garde, devient maintenant le partage des laïques ».

On dira peut-être : « C’est dans le Moyen Âge seulement que les choses se passaient ainsi ». Ce serait une erreur de le penser. En l’an 1526, ce que l’on nomme le Moyen Âge était passé, et l’Anglais Tyndall, un serviteur de Dieu, avait traduit dans sa langue maternelle et fait imprimer le Nouveau Testament. L’évêque de Londres ayant appris que ces livres étaient destinés à être répandus en Angleterre, acheta toute l’édition et la fit brûler à Londres. En 1530, le même fait se renouvela. On ne se contentait même pas de brûler les saintes Écritures ; maintes fois le même sort atteignait ceux qui les possédaient et les lisaient. Ainsi, en 1519, une pauvre veuve, mère de plusieurs enfants, fut brûlée vive, parce qu’on avait trouvé sur elle l’oraison dominicale, les dix commandements et le symbole des apôtres en anglais. Telle était la frayeur qu’inspirait au clergé la parole de Dieu. Pourquoi ? Parce que la Bible condamne les erreurs et les pratiques de l’Église de Rome. Le clergé, en voyant l’usage que de prétendus hérétiques faisaient des Écritures, pour dévoiler et combattre les abus et les fausses doctrines de cette Église, ne trouvait rien de mieux que d’en défendre la lecture, de peur que les âmes ne vinssent à la lumière. Il inculquait au peuple la pensée — et il cherche encore à le faire — que les laïques ne peuvent comprendre la Bible et que, par sa lecture, ils risquent le salut de leur âme. Un évêque anglais qui vivait à la même époque que la veuve dont j’ai parlé, disait du haut de la chaire : « Ôtez ces traductions nouvelles (celles de la Bible), sans cela une ruine totale menace la religion de Jésus Christ ». Il voulait dire par là l’Église romaine. Et il suppliait le roi de fermer à ce livre l’entrée du royaume.

Mais de nos jours, dira-t-on, il n’en est pas ainsi. L’Église romaine ne change pas. De nos jours, il est vrai, les prêtres catholiques ont traduit en langage vulgaire les saintes Écritures et l’Église autorise les traductions faites par des laïques, mais un laïque soumis à l’Église n’osera pas les lire sans l’approbation du prêtre, et il faudra qu’il accepte l’interprétation que l’Église donne. Encore, en 1883, à Barcelone, par ordre du gouvernement, un certain nombre d’exemplaires des Évangiles furent livrés aux flammes. Et un journal non seulement approuvait ce fait, mais exprimait le désir que les hérétiques qui cherchaient à répandre ce livre partageassent le même sort. Si l’Église romaine ne peut plus, comme au Moyen Âge, faire dresser des bûchers et y faire périr ceux qui ne se soumettent pas à elle, son esprit est resté le même. La parole de Dieu parle de « la femme enivrée du sang des saints, et du sang des témoins de Jésus » (Apocalypse 17:6). Nous verrons, dans la suite de ces pages, combien, hélas ! cela, bien qu’encore futur, a pu déjà s’appliquer à elle.

La défense de lire les Écritures est totalement opposée au témoignage qu’elles rendent. Même un jeune enfant, je veux dire Timothée, avait dès son jeune âge la connaissance des saintes lettres qui rendent sage à salut (2 Timothée 3:15). Paul adjurait les saints que ses lettres fussent lues à tous les saints frères (1 Thessaloniciens 5:27), et qu’elles passassent d’une assemblée à une autre (Colossiens 4:16). L’Esprit Saint louait les Béréens de ce qu’ils contrôlaient par les Écritures les paroles même d’un apôtre (Actes 17:11). Souvenons-nous aussi des paroles de notre Seigneur et Sauveur : « Sondez les Écritures, car vous, vous estimez avoir en elles la vie éternelle, et ce sont elles qui rendent témoignage de moi » (Jean 5:39). Tenons donc ferme à la sainte Parole par laquelle nous pouvons juger de toutes choses.

 

4.3   Le Papisme

4.3.1        Les sacrements dans ‘Église Romaine

Après les quelques pages que nous avons consacrées à la papauté, et passant sous silence la triste histoire de la succession des papes, chefs de l’Église romaine, nous passerons à l’examen du culte, des pratiques et des doctrines de cette Église, ce que l’on nomme spécialement le papisme.

Dans le Nouveau Testament, le Seigneur a établi seulement deux ordonnances. D’abord le baptêmes (*1), qui est le signe de l’introduction dans l’Église, la maison de Dieu sur la terre, fondée sur la mort et la résurrection du Seigneur. Mais le baptême ne sauve pas, ne régénère pas, comme l’enseigne l’Église romaine qui affirme que le baptême lave de ce qu’elle appelle le péché originel. L’apôtre Pierre le dit expressément (*2). Par conséquent, quand le Seigneur Jésus dit à Nicodème : « Si quelqu’un n’est né d’eau et de l’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (*3), l’eau ne désigne pas le baptême, mais la parole de Dieu, comme Jacques le dit en parlant des chrétiens : « De sa propre volonté », Dieu, le Père des lumières, « nous a engendrés (ou fait naître) par la parole de la vérité » (*4). C’est pourquoi l’apôtre Paul dit : « Dieu… nous sauva… selon sa propre miséricorde, par le lavage de la régénération et le renouvellement de l’Esprit Saint » (*5). Et Pierre dit aussi : « Vous êtes régénérés (ou nés de nouveau)… par la vivante et permanente parole de Dieu » (*6). Ce n’est donc pas le baptême d’eau qui produit la nouvelle naissance, sans laquelle on ne peut entrer dans le royaume de Dieu, mais c’est la parole de Dieu reçue dans le cœur et appliquée à l’âme par la puissance de l’Esprit Saint. C’est l’Esprit Saint qui, par le moyen de la Parole, produit en nous une nature et une vie nouvelles. Le Seigneur dit : « Celui qui entend ma parole, et qui croit celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle » (*7). Ainsi il ne suffit pas d’avoir été baptisé et de porter le nom de chrétien. Pour posséder la vie éternelle, il faut croire du cœur au nom du Fils de Dieu.

 

(*1) Matthieu 28:19.

(*2) « Or cet antitype (l’antitype de l’arche) vous sauve aussi maintenant, c’est-à-dire le baptême, non le dépouillement de la saleté de la chair, mais la demande à Dieu d’une bonne conscience, par la résurrection de Jésus Christ » (1 Pierre 3:21).

(*3) Jean 3:5

(*4) Jacques 1:18.

(*5) Tite 3:5.

(*6) 1 Pierre 1:23

(*7) Jean 5:24

 

L’Église romaine, au contraire, présente le baptême comme nécessaire au salut, de sorte qu’un petit enfant n’irait pas au ciel, s’il venait à mourir non baptisé (*), et qu’un adulte qui croirait au Seigneur, mais qui mourrait sans baptême alors qu’il aurait eu la possibilité d’être baptisé, ne serait pas sauvé. L’Écriture nous dit quant aux petits enfants que Jésus est venu les sauver (Matthieu 18:11, 14), et quant à ceux qui sont en âge de raison, elle déclare simplement que celui « qui croit au Fils a la vie éternelle » (Jean 3:36), sans qu’il soit question de baptême. Les apôtres du Seigneur furent-ils baptisés du baptême chrétien ? Non. Le brigand converti sur la croix fut-il baptisé ? Non, et cependant il alla le même jour au Paradis. Toutefois, bien que le baptême d’eau ne sauve pas, cette figure de la mort de Christ, plaçant des « disciples » sous Son autorité, est d’une grande et précieuse signification (Matt. 28:29).

 

(*) Il va, selon la théologie catholique, dans les limbes, séjour mal défini où les âmes vivent d’une vie inférieure.

L’Église romaine a aussi ajouté plusieurs choses à l’ordonnance du Seigneur. D’abord elle veut que l’eau du baptême soit consacrée par le prêtre — c’est l’eau bénite, à laquelle on attribue bien des vertus, entre autres celle de chasser le démon loin des baptisés. Ensuite, sauf des cas extrêmes, le prêtre seul a le droit d’administrer le baptême. Nous ne voyons rien de semblable dans l’Écriture. C’est d’eau pure et simple que l’on se servait pour baptiser ; c’est Ananias, un simple disciple, qui baptise Paul ; c’est Philippe, qui n’était que diacre ou serviteur, qui baptise l’officier éthiopien ; ce sont les frères de Joppé, venus avec Pierre, qui administrent le baptême à Corneille et aux autres convertis (Actes 8:38 ; 9:18 ; 22:16 ; 10: 47-48).

 

La seconde ordonnance est la Cène ou souper du Seigneur. Jésus l’a instituée avant sa mort, lorsqu’il était pour la dernière fois à table avec ses bien-aimés disciples et qu’il avait mangé avec eux la Pâque (*1). Mais après être monté dans la gloire, il a rappelé à l’apôtre Paul ce qu’il avait établi la nuit qu’il fut livré, pour que tous les vrais croyants y participent (*2). Nous voyons par là combien notre précieux Sauveur tient à ce que la Cène soit célébrée, de même qu’autrefois l’Éternel tenait à ce que les enfants d’Israël ne négligeassent pas de garder l’ordonnance de la Pâque, qui leur rappelait leur délivrance du pays d’Égypte (*3). C’est que la Cène rappelle aussi aux chrétiens la délivrance bien plus grande dont ils sont les objets. Elle remet en mémoire aux croyants que Christ, dans son amour, a souffert et est mort pour eux. C’est pourquoi Il est appelé « notre Pâque ». « Notre pâque, Christ », dit Paul, « a été sacrifiée » pour nous (*4). La Cène du Seigneur se célèbre très simplement, quand on suit la parole de Dieu. Le pain que l’on rompt et qui est partagé entre tous, représente et rappelle le corps du Seigneur qui a été livré pour nous et offert en sacrifice sur la croix. Le vin contenu dans la coupe, à laquelle tous participent, parce que le Seigneur a dit : « Buvez-en tous » (*5), est le mémorial du sang précieux de Christ, l’Agneau sans défaut et sans tache, qui a été versé pour la rémission des péchés afin de nous racheter et de nous purifier du péché (*6). Et le Seigneur a dit en instituant la Cène, soit en rompant le pain, soit en distribuant la coupe : « Faites ceci en mémoire de moi ». Quelle chose douce et précieuse pour le cœur du chrétien de se rappeler d’une manière spéciale, chaque premier jour de la semaine, le grand et ineffable amour du Sauveur envers lui ! Et il le fait en communion d’amour avec les autres croyants, qui sont, comme lui, membres du corps de Christ (*7).

 

(*1) Luc 22:19-20.

(*2) 1 Corinthiens 11:23-26

(*3) Deutéronome 16:1-2 ; Exode 12:21-27 ; 34:18 ; Lévitique 23:5 ; Nombres 28:16-17.

(*4) 1 Corinthiens 5:7.

(*5) Matthieu 26:27.

(*6) 1 Pierre 1:18-19 ; 1 Jean 1:7 ; Apocalypse 1:5.

(*7) 1 Corinthiens 12:13 ; 10:17 ; Éphésiens 5:30.

 

L’apôtre Paul rappelle encore une chose relativement à ce saint repas. Il dit : « Toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez la coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » (*). Ainsi, dans la Cène, nous sommes mis en présence de l’amour infini du Seigneur mort pour nous, nous annonçons cette mort au monde coupable, puis nos pensées sont portées en avant vers ce bienheureux jour où Christ reviendra pour consommer sa victoire en transformant nos corps et en nous introduisant dans la gloire avec Lui. Tout nous parle là de son amour. Quel bonheur d’avoir sa place à la table du Seigneur !

 

(*) 1 Corinthiens 11:26.

Ces ordonnances du Seigneur sont appelées par quelques-uns, et surtout par l’Église romaine, des sacrements. À ce mot se rattache l’idée qu’elles confèrent une certaine grâce spirituelle à celui qui y a part. Nous avons vu qu’aucune grâce n’est conférée par le baptême. C’est un privilège, sans doute, d’être introduit par le baptême dans la maison de Dieu sur la terre ; mais le baptême n’est qu’un signe. Il n’apporte aucun changement dans l’âme de celui qui le reçoit. C’est un très grand privilège de participer à la Cène du Seigneur ; mais on le fait et on en jouit, parce que l’on est déjà sauvé par la mort du Christ, que l’on est membre de son corps, et béni en Lui de toute bénédiction spirituelle (*1). On est heureux de rappeler son amour, on Lui rend grâces et on rend grâces au Père qui nous a introduits dans le royaume du Fils de son amour, et nous a donné une part avec les saints dans la lumière (*2). On adore le Père et le Fils par l’Esprit Saint qui nous a été donné ; mais on a déjà tout reçu en fait de grâces. Seulement dans la Cène, le croyant jouissant de tout ce qu’il a reçu en bénit son Seigneur et son Dieu, et c’est une grâce de pouvoir le faire. Nous verrons plus loin, en parlant de la messe, ce que l’Église romaine a fait de cette ordonnance de la Cène.

 

(*1) Éphésiens 1:3.

(*2) Colossiens 1:12-14.

 

4.3.2        La Confirmation et la Pénitence

Non contente des deux ordonnances établies par le Seigneur, l’Église de Rome a, de son chef, ajouté cinq sacrements au baptême et à la Cène. Le fameux concile de Trente, tenu au 16° siècle (1545-1563), et qui a fixé la doctrine romaine, énumère ainsi les sacrements : le baptême, la confirmation, l’eucharistie (*) ou cène, la pénitence, l’extrême onction, l’ordre (le caractère ecclésiastique des prêtres), et le mariage. À part le baptême et la Cène, les autres sacrements sont des inventions humaines dont nous ne trouvons aucune trace dans l’Écriture. Nous avons parlé du baptême ; disons quelques mots des autres sacrements.

(*) Ce mot signifie actions de grâces. Il désignait d’abord les prières qui accompagnaient la communion ou Cène, et a fini par s’appliquer à la Cène même.

La confirmation, dans l’Église romaine, est une cérémonie qui a pour but de confirmer les grâces du baptême. En général, elle a lieu pour les enfants de 11 à 12 ans avant de les admettre à ce que l’on appelle la première communion, la première participation à la Cène. On prétend les rendre ainsi « parfaits chrétiens, en leur communiquant l’abondance des grâces et des dons de l’Esprit Saint ». C’est à l’évêque qu’il appartient de confirmer. Il le fait par l’imposition des mains, le signe de la croix et l’onction avec l’huile consacrée. Il y ajoute un léger soufflet sur la joue, avec ces mots : « La paix soit avec vous ». Pouvons-nous penser que de semblables actes rendent chrétiens, sinon parfaits chrétiens, ou communiquent l’Esprit Saint ? Est-il question de cela dans l’Écriture ? Nullement. Ces pauvres enfants que l’on confirme ne sont peut-être pas même sauvés. Car c’est par la foi au Seigneur Jésus que nous avons la rédemption, la rémission des péchés par son sang, et ayant cru en Lui, nous recevons l’Esprit Saint. Lisons ce que l’apôtre Paul dit en Éphésiens 1:13: « Ayant entendu la parole de la vérité, l’évangile de votre salut, auquel aussi ayant cru, vous avez été scellés du Saint Esprit de la promesse ». Là il n’est question ni d’évêque, ni d’imposition des mains, ni d’onction. L’homme et ses cérémonies n’y sont pour rien. Tout est de Dieu pour celui qui croit. On entend l’Évangile, on y croit, et Dieu nous donne l’Esprit Saint. Quelle simplicité, quelle grâce !

 

La pénitence est pour l’Église romaine, le sacrement par lequel sont pardonnés les péchés commis après le baptême. Il requiert du pécheur certaines dispositions qui sont la contrition, la confession, la satisfaction (c’est-à-dire la réparation de l’injure faire à Dieu, par certains actes de piété ou dons, et du tort causé au prochain), et le ferme propos de ne plus commettre une telle faute. Ce sacrement est dispensé uniquement par les évêques ou les prêtres, par la sentence de l’absolution « Je t’absous de tes péchés au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ». Où trouvons-nous cela dans l’Écriture ? Où voyons-nous qu’un homme ait le pouvoir de donner l’absolution des péchés ? Où est-il dit que l’on ait à confesser à un tel homme, dans le secret, les fautes que l’on a commises, et qu’il ait l’autorité d’infliger une peine pour les expier ? Nulle part. Sans doute que, si un chrétien est tombé dans quelque faute, il doit la juger, s’en repentir et en avoir horreur. Mais à qui la confessera-t-il ? La parole de Dieu le dit : « Si nous confessons nos péchés, il (c’est-à-dire Dieu) est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés et nous purifier de toute iniquité » (*1). À qui David confessa-t-il ses transgressions ? Il le dit : « J’ai dit : Je confesserai mes transgressions à l’Éternel ; et toi, tu as pardonné l’iniquité de mon péché » (*2). Il est vrai qu’en Jacques 5:16, il est écrit : « Confessez donc vos fautes l’un à l’autre, et priez l’un pour l’autre » ; mais cela ne veut pas dire : Confessez vos fautes à un prêtre, mais si vous avez manqué envers un autre, confessez-le lui. C’est une chose que nul ne doit négliger. Les enfants et les jeunes gens ont à confesser à leurs parents et à leurs supérieurs les fautes qu’ils ont commises à leur égard, si cachées qu’elles aient pu être. On n’est jamais heureux quand il reste sur la conscience le poids d’une faute commise (*3). Ont-ils manqué envers un camarade, envers un ami, envers leurs frères ou sœurs, envers leurs parents ou leurs maîtres, envers qui, que ce soit, il faut le confesser simplement, sans restriction et sans excuse et le cœur sera allégé. Et il en est ainsi pour chacun. Mais par-dessus tout, confessez tout à Dieu, qui pardonne, comme il le dit dans sa Parole. Quant à l’absolution donnée par un homme, qui peut pardonner les péchés que Dieu seul ? C’est ce que toute l’Écriture enseigne. Il est bien dit : « À quiconque vous remettrez les péchés, ils sont remis ; et à quiconque vous les retiendrez, ils sont retenus » (*4). Mais il ne s’agit pas ici de l’absolution donnée après une confession secrète à l’oreille d’un prêtre. Le Seigneur, par ces paroles, confie aux disciples la mission d’annoncer au monde la rémission des péchés à ceux qui croient, et au contraire le jugement à ceux qui ne croient pas (*5).

 

(*1) 1 Jean 1:9.

(*2) Psaume 32:5.

(*3) Voyez Psaume 32:3.

(*4) Jean 20:23.

(*5) Voyez ce que Pierre dit aux Juifs : Actes 2:38 ; 3:19 ; 5:31 ; voyez aussi ce que dit Paul : 13:38-41 ; 16:31 ; 28:23-28.

 

Dans les premiers temps de l’Église, on demandait que ceux qui avaient commis un grand péché en fissent une confession publique avant d’être de nouveau reçus dans la communion chrétienne. Le grand empereur Théodose fut obligé de s’humilier ainsi devant tout son peuple, à Milan. Peu à peu on en vint à se confesser aux prêtres, et en l’an 1215, le pape Innocent III établit la confession auriculaire comme obligatoire, et l’on dut se confesser pour pouvoir communier, pour être marié et pour recevoir les derniers sacrements avant de mourir. Les consciences étaient ainsi liées par la crainte que l’on avait d’être perdu, si l’on mourait sans absolution, car c’est ce que Rome enseigne, et le pouvoir des prêtres et par conséquent de Rome était fermement établi sur les âmes. Cette pratique d’invention humaine a donné lieu, on l’imagine sans peine, à toutes sortes d’abus et de désordres moraux.

 

4.3.3        L’Eucharistie (la Cène), la Messe, le saint sacrement, la transubstantiation

Après le sacrement de pénitence, le concile de Trente place l’Eucharistie ou la Cène. Mais combien dans l’Église romaine, elle diffère du simple repas institué par le Seigneur en mémoire de sa mort ! La Cène est devenue la Messe (*). C’est le grand acte de culte de l’Église de Rome. Ce fut le pape Grégoire I, dit le Grand, qui établit le service de la messe dans ses traits principaux. Le concile de Trente lui donna la forme définitive qu’elle a maintenant dans toutes les Églises romaines. La Messe se divise en deux parties principales — la première, appelée autrefois messe des catéchumènes parce qu’à l’origine ceux-ci n’étaient admis qu’à cette première partie, est composée de prières, lectures de la Bible, cantiques, prédication, qui constituent une préparation ou introduction à la Messe — La deuxième partie, appelée autrefois la messe des fidèles, constitue le sacrifice proprement dit, et comprend l’offertoire, l’offrande à Dieu du pain (**) et du vin destinés à être consacrés de la Cène, la consécration où par les paroles de l’institution de la Cène prononcées  par le prêtre s’accomplit, selon l’Église romaine, le mystère de la transsubstantiation dont nous parlerons plus loin, la communion prise par le prêtre avec le pain et la coupe, et avec le pain seulement, par les assistants qui l’ont demandée. La messe se termine par l’action de grâces, et l’assemblée est congédiée par ces mots : « Ite, missa est ».

 

(*) En rapport avec les mots qui terminent l’essentiel de la cérémonie : « Ite, missa est ecclesia », c’est-à-dire : « Allez, l’assemblée est congédiée ». De missa, on a fait messe.

(**) Le pain de la communion est une sorte d’oublie faite de farine et d’eau, sans levain, et sur laquelle est l’empreinte d’une croix. On lui donne le nom d’hostie ou sacrifice, nous verrons pourquoi. On la conserve dans l’ostensoir, vase plus ou moins richement orné, dans lequel on l’expose ou on la transporte. Il n’y a rien de semblable dans la parole de Dieu. Le pain que rompit le Seigneur Jésus, était celui dont on se servait à table.

 

Sans parler de tout ce qui accompagne la célébration de la messe, les ornements de l’autel, les cierges et l’encens, les vêtements des prêtres et de ceux qui l’assistent, choses qui rappellent les formes du judaïsme et même du paganisme, on voit aisément combien l’Église romaine s’est écartée du culte « en esprit et en vérité » dont parle le Seigneur (*), et l’a remplacé par des cérémonies arrêtées d’avance et des choses qui agissent sur les sens. C’est un culte charnel, inventé par l’homme, où rien n’est laissé à la libre action de l’Esprit Saint. De plus, le prêtre est là, ayant seul le droit d’officier, faisant partie d’une classe à part, tandis que, selon la parole de Dieu, tous les croyants sont une « sainte sacrificature » (**), chacun de ceux qui la composent ayant le privilège de rendre l’action de grâces à la table du Seigneur, sous la direction de l’Esprit Saint.

 

(*) Jean 4:23-24.

(**) 1 Pierre 2:5-9.

 

Mais il y a des choses pires encore ; les erreurs les plus graves se mêlent à ce culte de l’Église de Rome. La table de communion est devenue un autel. Le concile de Trente enseigne en effet que, dans la Cène ou la Messe, est offert un véritable sacrifice, non sanglant, il est vrai, mais un sacrifice vraiment propitiatoire, efficace pour les péchés non expiés des vivants et des morts. C’est Christ qui est offert, dit le concile, c’est la même victime que celle qui autrefois s’est offerte elle-même sur la croix, et qui est offerte maintenant par le ministère des prêtres. Par ce sacrifice propitiatoire renouvelé chaque jour dans l’Eucharistie, Dieu, selon l’Église de Rome, est apaisé et nous est rendu propice. On peut aisément voir que cet enseignement est contraire à l’Écriture. L’Esprit Saint, dans l’épître aux Hébreux, déclare que « l’offrande du corps de Jésus Christ » a été faite « une fois pour toutes » ; que Christ a offert « un seul sacrifice pour les péchés », et que, « par une seule offrande, il a rendu parfaits à perpétuité ceux qui sont sanctifiés », de sorte que Dieu ne se souviendra « plus jamais de leurs péchés ni de leurs iniquités » et que « là où il y a rémission de ces choses, il n’y a plus d’offrande pour le péché ». De plus, il nous est dit que Christ ne peut s’offrir plusieurs fois, parce qu’alors il devrait souffrir plusieurs fois, et enfin que, « sans effusion de sang, il n’y a point de rémission de péchés » (*). Un sacrifice non sanglant n’en est donc pas un, et Christ glorifié ne peut souffrir, ce qui est nécessaire pour un vrai sacrifice. Partout, dans ces chapitres 9 et 10 de l’épître aux Hébreux, il est insisté sur le fait d’un seul, unique sacrifice de Christ, pleinement suffisant pour ôter les péchés. Ainsi le sacrifice de la messe n’en est pas un, et les âmes qui s’appuient sur ce faux enseignement, sont trompées, et ne peuvent jamais jouir de la paix qui résulte de ce qu’en vertu du seul et unique sacrifice de Christ, Dieu ne se souvient plus jamais de nos péchés et de nos iniquités. Or, dit l’apôtre, « là où il y a rémission de ces choses, il n’y a plus d’offrande pour le péché » (**).

 

(*) Hébreux 10:10, 12, 14, 17, 18 ; 9:25-26, 22.

(**) Hébreux 10:17, 18.

 

Remarquez qu’il est dit que la messe est un sacrifice pour les vivants et pour les morts. L’Écriture ne nous enseigne nulle part que les péchés de ceux qui sont morts puissent être expiés. Elle nous dit simplement. « Après la mort, le jugement » (*), pour ceux qui n’ont pas cru ici-bas au Seigneur Jésus et à son unique sacrifice expiatoire. L’idée d’un sacrifice pour les morts se rattache à une autre erreur enseignée par l’Église romaine, celle du purgatoire. C’est un lieu qui n’est ni le ciel, ni l’enfer, mais où les âmes souffrent pour les péchés qui n’ont pas été expiés sur la terre, jusqu’à ce qu’elles en soient purifiées. L’Église romaine prétend que les messes dites pour ces âmes abrègent leurs tourments ! La parole de Dieu ne dit pas un mot de cela.

 

(*) Hébreux 9:27.

 

À cette erreur d’un sacrifice de Christ journalier et non sanglant, s’en joint une autre plus grave encore, celle de la transsubstantiation ou changement de substance. Suivant cette doctrine, quand le prêtre prononce les paroles de la consécration, le pain et le vin, tout en conservant leur apparence, sont réellement changés dans le corps et le sang du Seigneur Jésus Christ. Cette doctrine fut inventée au neuvième siècle (le plus ténébreux du Moyen Âge) par le moine Paschase Radbert. S’appuyant sur ces paroles : « Ceci est mon corps » (*), il disait : « Le pain et le vin, après avoir été consacrés, ne sont pas autre chose que la chair du Christ et son sang, la même chair qui est née de Marie et qui a souffert sur la croix ». Après une longue et vive opposition, le quatrième concile de Latran, en 1215, consacra cette doctrine en ces termes : « Le corps et le sang du Seigneur sont véritablement contenus dans le sacrement de l’autel sous la figure du pain et du vin, lorsque par la puissance de Dieu et par le moyen du prêtre officiant, le pain est changé dans le corps, et le vin dans le sang de Christ. Le changement opéré de cette manière est si réel et si complet, que les éléments (le pain et le vin) contiennent Christ tout entier — divinité, humanité, âme, corps et sang, avec toutes leurs parties constituantes ». Et le concile de Trente, dans le 16° siècle, a confirmé cette doctrine, et tout membre de l’Église de Rome doit la croire, sous peine d’anathème ! Le prêtre, à un certain moment élève l’hostie, et en vertu des paroles qu’il a prononcées, cette hostie est Dieu Lui-même. Il se prosterne en l’adorant, et tout le peuple suit son exemple. Un homme, et parfois un homme méchant, crée son Créateur ! expression blasphématoire et pourtant usitée, car l’hostie, dit l’Église de Rome, n’est plus du pain, mais Christ Lui-même. Ceux qui possèdent la parole de Dieu, savent, d’après elle, que Christ est maintenant dans la gloire, dans un corps glorifié ; il ne peut donc être en même temps ici-bas, âme, corps et sang, dans l’hostie. Son sang a été versé une fois pour toutes pour l’expiation des péchés, et ne peut être dans la coupe. Il faudrait donc qu’il y eût deux Christs. Dans la Cène, selon l’Écriture, on annonce la mort du Seigneur, on se souvient de la mort du Seigneur, mais supposer que l’on puisse mettre à mort un Christ glorifié est une chose horrible et contraire à toute vérité. C’est là une des plus fatales erreurs de l’Église de Rome, c’est une monstrueuse idolâtrie. On trompe le pauvre peuple en lui faisant croire qu’un morceau de pain est devenu Dieu et qu’il faut l’adorer.

 

(*) Ce qui veut dire, ceci représente mon corps, de même que, dans l’institution de la Pâque, l’agneau est appelé la Pâque de l’Éternel (Exode 12:11).

 

L’Église romaine a institué une fête que l’on nomme Fête-Dieu, ou du Saint Sacrement. Ce jour-là, dans une procession solennelle, on porte l’hostie consacrée dans un magnifique ostensoir. Tout le monde doit s’agenouiller sur son passage en signe d’adoration, car c’est Dieu qui est là, disent les prêtres. En certains pays, comme l’Espagne, le prêtre qui porte l’hostie à un mourant, est accompagné d’un homme qui durant tout le trajet sonne une clochette. Dès qu’elle se fait entendre, tous ceux à qui le son parvient doivent tomber à genoux et y rester jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus le percevoir. Le prêtre fait croire au peuple et dit au mourant que c’est le Dieu vivant qui est dans le ciboire (*) et que l’on transporte ainsi. Quelle triste aberration !

 

(*) Vase dans lequel on garde l’hostie.

 

Nous avons vu aussi que les simples fidèles communient avec le pain seulement. La coupe est réservée aux prêtres seuls. C’est encore une invention humaine dont la parole de Dieu ne dit rien. Au contraire, le Seigneur dit à ses disciples : « Buvez-en tous » ; et l’apôtre, s’adressant à toute l’assemblée à Corinthe, recommande que chacun « mange du pain et boive de la coupe » (*). Ce retranchement de la coupe, aux laïques se fait sous prétexte qu’il pourrait s’attacher à la barbe quelques gouttes du vin consacré ou que les malades pourraient en répandre, et que d’ailleurs l’hostie renferme la chair du Seigneur aussi bien que le sang. On dit aussi que le sang étant dans l’hostie, il n’est pas nécessaire que les laïques boivent la coupe. Mais alors pourquoi les prêtres la boivent-ils ? On voit clairement que cette coutume n’a été établie que pour marquer plus distinctement la supériorité des prêtres.

 

(*) Matthieu 26:27 ; 1 Corinthiens 11:28.

 

Nous nous sommes étendu un peu longuement sur ce sujet, parce que c’est un des points qui caractérisent le plus fortement l’Église de Rome ; la messe constitue le centre même de la religion catholique. Aller à la messe est ce qui distingue le vrai catholique romain ; mais rien ne fait mieux voir que la messe combien cette Église s’est écartée de la vérité.

 

4.3.4        L’Extrême-Onction, l’Ordre et le Mariage

Il nous reste à voir les trois derniers sacrements de l’Église de Rome.

 

4.3.4.1                 L’extrême-onction

Le premier est ce que l’on nomme l’extrême-onction. On ne l’administre qu’aux malades que l’on estime être à la dernière extrémité, et comme après ce sacrement, il n’y en a plus d’autres, on lui donne ce nom d’extrême-onction. L’Église romaine enseigne qu’il a pour effet de laver les derniers restes du péché, afin que le malade en mourant aille droit au ciel, et aussi de le fortifier contre les angoisses de la mort. Si quelqu’un meurt en état de péché mortel sans avoir reçu ce sacrement, à défaut du sacrement de pénitence, il va en enfer.

Nous voyons encore par là quel empire l’Église romaine assume sur les âmes, car le prêtre seul peut administrer ce sacrement. Et remarquons aussi comme tout est calculé pour retenir les cœurs dans la crainte, et par conséquent quel Dieu terrible et sans compassion on leur présente. Voici en quoi consiste l’extrême-onction. Le prêtre, revêtu d’une étole violette, arrive auprès du mourant et lui présente le crucifix qu’il doit baiser avec respect. Après une série de prières et d’aspersions avec de l’eau bénite, et si possible après avoir entendu la confession du malade et lui avoir donné l’eucharistie (*), le prêtre procède à l’onction. Pour cela, avec son pouce trempé dans l’huile sainte, c’est-à-dire consacrée, il touche, en faisant le signe de la croix, les différentes parties du corps qui ont pu être les instruments de péché. Il commence par les yeux, en disant : « Que le Seigneur, en vertu de son onction sainte et par sa grande miséricorde, te pardonne tous les péchés que tu as commis par tes yeux ». Et il continue de même pour les autres organes des sens, les oreilles, le nez, la bouche et les mains, puis enfin la poitrine et les pieds. Suivent encore des prières et des signes de croix, et ensuite on brûle le linge ou les boules de coton qui ont servi à essuyer le pouce du prêtre. Le mourant peut alors s’en aller en toute sécurité ; le ciel lui est ouvert.

 

(*) On donne à l’eucharistie administrée aux derniers moments le nom de viatique. Ce mot vient du latin via, chemin, et se dit en général des provisions de route. Dans le langage de l’Église romaine, c’est la provision pour le dernier grand voyage, ce qui doit fortifier celui qui va le faire.

 

C’est dans le 12° siècle seulement que cette cérémonie, dernier acte de la vie d’un bon catholique romain, a été introduite. Les docteurs romains citent à l’appui de l’extrême-onction les passages suivants : « Et ils chassèrent beaucoup de démons, et oignirent d’huile beaucoup d’infirmes et les guérirent » (Marc 6:13) ; puis : « Quelqu’un d’entre vous est-il malade, qu’il appelle les anciens de l’assemblée, et qu’ils prient pour lui en l’oignant d’huile au nom du Seigneur ; et la prière de la foi sauvera le malade … et s’il a commis des péchés, il lui sera pardonné » (Jacques 5:14-15). Qui ne voit que ces passages n’ont aucun rapport avec l’extrême onction ? Celle-ci a pour objet le salut de l’âme, et nullement la guérison du corps, puisqu’on ne la donne qu’aux mourants pour leur ouvrir le ciel. Tandis que dans ces deux passages, il s’agit de la guérison du corps, soit par voie miraculeuse, ou en réponse à la prière de la foi, sans laquelle l’onction même n’aurait aucun effet. Et pour aller droit au ciel, un mourant a-t-il besoin d’autre chose que de croire au Seigneur Jésus ? L’Écriture nous dit : « Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé », et : celui « qui croit au Fils a la vie éternelle ». « Vous êtes sauvés par la grâce, par la foi » (Actes 16:31 ; Jean 3:36 ; Éphésiens 2:8). Où est-il question du ministère obligé d’un prêtre et de son action ? Nulle part dans la parole de Dieu. Celui qui croit en Jésus est lavé de tous ses péchés et propre pour paraître en la présence de Dieu. Il peut s’en aller en paix, car « absent du corps », il est « présent avec le Seigneur » (2 Corinthiens 5:8). Le brigand sur la croix eut-il besoin de l’extrême-onction pour être ce jour même « dans le paradis » avec Jésus ? Étienne, le premier martyr, qui remettait à Jésus son esprit, ne l’a pas reçue ; lui et tant d’autres qui sont morts dans la foi, ne seraient donc pas sauvés, tandis que des hommes qui jamais n’ont été convertis et dont les péchés n’ont pas été effacés, iraient au ciel en vertu de cette onction faite par un homme ! Ces ordonnances inventées par des hommes, d’une part ne sont propres qu’à jeter les âmes dans une crainte superstitieuse et sans fondement, et d’une autre donnent une sécurité illusoire à des personnes qui, toute leur vie, ne se sont pas souciées de Dieu.

 

4.3.4.2                 L’ordre, l’ordination

Après le sacrement de l’extrême-onction vient celui de l’ordre (*) conféré par la cérémonie de l’ordination : il confère au prêtre le caractère sacerdotal, c’est-à-dire le pouvoir de célébrer la messe et d’administrer tous les sacrements (sauf la confirmation et l’ordre réservés à l’évêque). Pour ordonner un prêtre, l’évêque lui impose les mains, l’oint de l’huile sainte et lui fait toucher les objets sacrés (calice et patère) lui permettant d’offrir le sacrifice de la messe. Le prêtre ainsi consacré a désormais la puissance de consacrer le vrai corps du Seigneur dans la Cène, c’est-à-dire, comme on l’a vu, d’opérer ce prétendu miracle qui transforme le pain et le vin dans le corps et le sang de Christ. Le caractère conféré par l’ordination est indélébile, c’est-à-dire ne peut être effacé, de sorte que celui qui abandonne la prêtrise est regardé comme un apostat. À cela l’Église romaine ajoute le célibat obligatoire pour les prêtres ; il leur est interdit de se marier.

 

(*) Ce sacrement est ainsi appelé parce qu’il établit un ordre dans la société chrétienne en séparant les clercs des laïques, et parce qu’il divise les clercs en plusieurs degrés formant une hiérarchie, un ordre (diaconat, prêtrise, épiscopat …)

 

Toutes ces choses n’ont aucun fondement dans l’Écriture et même y sont entièrement opposées. D’abord nulle part nous n’y voyons qu’il y ait une classe de sacrificateurs à part des autres chrétiens. Chez les Juifs, cela existait. Mais maintenant tous les vrais croyants sont sacrificateurs pour offrir à Dieu, non le corps de Jésus Christ qui a été offert une fois pour toutes sur la croix, mais des sacrifices de louanges et d’actions de grâces (1 Pierre 2:5 ; Hébreux 13:15 ; Apocalypse 1:6). Ensuite, nous ne voyons pas que ni les anciens ou surveillants (*) ni les diacres ou serviteurs, fussent oints. Les apôtres ou quelque envoyé d’un apôtre leur imposaient les mains et en même temps on priait le Seigneur (Actes 6:6 ; 14:23). Quant au célibat des prêtres, nous lisons que Pierre était marié, que Paul revendique pour lui et Barnabas le droit de l’être, et que Paul recommande que les surveillants ou anciens, ainsi que les serviteurs, soient maris d’une seule femme. De plus, le même apôtre, par le Saint Esprit, dit « qu’aux derniers temps quelques-uns apostasieront de la foi, s’attachant à des esprits séducteurs et à des enseignements de démons, disant des mensonges par hypocrisie, … défendant de se marier » (1 Corinthiens 9:5 ; 1 Timothée 3:2, 12 ; 4:1-3).

1. Les mots ancien et surveillant équivalent à ceux de prêtre et d’évêque. Prêtre vient d’un mot grec qui veut dire ancien, et évêque d’un mot qui signifie surveillant. La charge d’ancien ou de surveillant consistait à paître l’assemblée de Dieu, le troupeau du Seigneur (Actes 20:17, 28 ; 1 Pierre 5:2). Il y avait plusieurs anciens ou surveillants dans une assemblée. L’Écriture parle pas de diocèses, sur chacun desquels serait établi un évêque ou un archevêque ; elle ne mentionne pas des cardinaux. La parole de Dieu ne nous montre que deux charges dans l’Église ; les anciens ou surveillants, et les serviteurs on diacres (Philippiens 1:1 ; 1 Timothée 3:1-7 ; ce dernier passage donne le caractère que devaient posséder les surveillants et les serviteurs). Quant à toutes les autres charges, d’exorciste, de lecteur, de sous-diacre, etc., qui se trouvent dans l’Église romaine, l’Écriture n’en parle pas. Remarquons encore que Pierre, le premier pape, selon l’Église de Rome, se range lui-même simplement au nombre des anciens (1 Pierre 5:1).

 

Nous ne dirons rien du mariage, que Dieu a établi dès le commencement, sinon que la parole de Dieu ne le présente jamais comme un sacrement, bien qu’elle donne beaucoup de précieux enseignements aux maris et aux femmes.

De quels liens étroits l’Église de Rome enlace ceux qui sont placés ou se placent sous son influence ! Partout et en tout, elle mêle le prêtre à la vie des laïques, et par les sacrements, elle tend un piège sous les pas de chacun de ses membres. Car s’ils manquent d’y satisfaire, les voilà accusés de mépriser l’Église, d’être des hérétiques, et il fut un temps où, comme nous le verrons, une semblable accusation avait de terribles conséquences.

 

4.3.5        Le culte de la Vierge

Après ce qui se rapporte aux sacrements, nous avons à voir d’autres doctrines funestes et contraires à l’Écriture que l’Église romaine impose aux âmes placées sous son joug. La première est le culte rendu à la Vierge Marie, aux saints et aux anges, chose complètement étrangère à la parole de Dieu. Ainsi s’est trouvée introduite une idolâtrie pire que celle du paganisme, dont elle est une imitation sous bien des rapports.

C’est vers le milieu du quatrième siècle, à une époque où la vraie piété avait beaucoup décliné pour faire place à nombre de pratiques superstitieuses, que l’on commença à vénérer la Vierge Marie d’une manière spéciale, comme le modèle des vierges, c’est-à-dire de ceux ou celles qui avaient fait vœu de célibat. Bientôt après, il devint habituel de lui donner le nom de mère de Dieu, ce qui donna naissance aux luttes du nestorianisme. Malgré la forte opposition qu’il rencontra d’abord, le culte de Marie s’établit et s’étendit peu à peu. Déjà au cinquième siècle, on pouvait voir dans toutes les Églises nombre de représentations de la Vierge tenant dans ses bras l’enfant Jésus. Le peuple ignorant, sorti des ténèbres du paganisme, peu et mal instruit des pures et saintes vérités des Écritures, amené à un christianisme de formes et de cérémonies, ayant un culte célébré avec une pompe empruntée au judaïsme et au paganisme, n’eut pas de peine à remplacer l’une ou l’autre des déesses qu’il adorait, par la Vierge Marie qu’on lui présentait toujours plus comme occupant une place élevée auprès de Dieu dans le ciel. Dans l’office ordinaire de la Vierge, se trouve une hymne commençant ainsi : « Salut, étoile de la mer, Mère auguste de Dieu et toujours Vierge, porte fortunée du ciel… affermissez-nous dans la paix, méritant ainsi mieux qu’Ève le nom de mère des vivants ». Ensuite : « Montrez que vous êtes notre mère, obtenez-nous le pardon de nos crimes ». On en vint, à la fin du sixième siècle, à adopter la légende de son Assomption, d’après laquelle, au moment de sa mort, Marie aurait été portée au ciel par des anges, ce qui a été récemment érigé en dogme (1954). L’Église romaine a consacré cette prétendue ascension ; dans l’office de la fête instituée pour la célébrer, on dit ces paroles : « Réjouissons-nous dans le Seigneur en célébrant le jour de fête en l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie, de l’Assomption de laquelle les anges se réjouissent et louent le Fils de Dieu ». Et plus loin : « Marie est montée au ciel ; l’armée des anges se réjouit ». En même temps, l’Église romaine prenant des passages des Psaumes et des prophètes qui ont rapport à Israël et à Jérusalem, les applique à la Vierge qui n’est plus l’humble Marie que l’Écriture nous présente, mais qui est devenue une déesse que l’on honore comme « la reine du ciel », car tel est un des noms que lui donne l’Église romaine. Cela ne nous rappelle-t-il pas le culte que les Israélites, abandonnant le vrai Dieu, rendaient à la déesse Astarté, la reine des cieux ? L’Éternel le dit à Jérémie : « Ne vois-tu pas ce qu’ils font dans les villes de Juda, et dans les rues de Jérusalem ? Les fils ramassent le bois, et les pères allument le feu, et les femmes pétrissent la pâte pour faire des gâteaux à la reine des cieux ». Et ces malheureux Juifs, descendus en Égypte, persistant dans leur idolâtrie, disent au prophète : « Nous ne t’écouterons pas ; mais nous ferons certainement toute parole qui est sortie de notre bouche, en brûlant de l’encens à la reine des cieux » (Jérémie 7:17-20 ; 44:15-19). Et voilà une semblable idolâtrie transportée dans le christianisme, avec cette aggravation terrible du mal, qu’on l’associe aux saints noms du Père, du Fils et du Saint Esprit !

Marie devint toujours plus un objet direct de culte, sinon d’adoration (*), et le pape Urbain II, au concile de Clermont, en l’an 1095, confirma le service journalier établi pour honorer la Vierge, ainsi que les jours et les fêtes qui lui étaient spécialement réservés. Des églises lui furent dédiées sous le nom de « Notre Dame », et dans toutes les églises se trouve une chapelle qui lui est consacrée (**). À la doctrine de l’Assomption de la Vierge, on ajouta peu à peu celle de son « Immaculée conception », par où l’on entend qu’elle naquit sans péché, elle à qui l’ange dit : « Tu as trouvé grâce auprès de Dieu », et qui dit elle-même : « Mon esprit s’est réjoui en Dieu mon Sauveur » (Luc 1:30, 47). Si elle était sans péché, avait-elle besoin de trouver grâce et d’avoir en Dieu son Sauveur ? La doctrine de l’immaculée conception se trouve déjà en germe dès le huitième siècle, et se répandit bientôt dans l’Église, toutefois non sans lutte. Elle fut enfin définitivement confirmée par le pape Pie IX, en 1854, mais la fête en était depuis longtemps célébrée. Et c’est dans l’office de cette fête que sont appliquées à la Vierge les paroles d’Ésaïe 61:10, et celle de Proverbes 8:22-35, qui se rapportent au Seigneur Jésus Christ ! N’y a-t-il pas là quelque chose de blasphématoire ? C’est aussi dans le même office qu’on lit ces paroles : « Tu es toute belle, ô Marie, la tache originelle n’est pas en toi ». Et plus loin : « Aujourd’hui est sortie une branche des racines d’Isaï, aujourd’hui Marie a été conçue sans aucune tache de péché ». Vous remarquerez que les premières paroles se trouvent dans la prophétie d’Ésaïe relative au Seigneur Jésus, lorsqu’il vient régner pendant le millenium (Ésaïe 11:1). Et l’Église romaine les applique à la Vierge ! Puis elle dit encore : « Aujourd’hui est écrasée par elle la tête du serpent ancien », paroles qui se trouvent en Genèse 3:15, et se rapportent à Celui qui est la semence ou la postérité de la femme, c’est-à-dire Jésus, et non Marie. Combien il est coupable de se servir ainsi de la parole de Dieu, de la tordre pour établir une idolâtrie réelle !

 

(*) L’Église catholique se défend en effet d’adorer positivement la Vierge ou les saints, celles-ci ou celles-là étant des créatures. Elle distingue le culte de latrie (adoration) réservé à Dieu seul, du culte de dulie (hommage) rendu aux saints et aux anges. Mais l’équivoque est complète, et la contradiction devient évidente lorsque Marie est déclarée Reine du ciel et appelée « Mère de Dieu », une créature ne pouvant être la mère du Dieu créateur.

(**) Sur l’entrée d’une église à Lisbonne se trouvait gravée cette inscription « À la déesse Vierge de Lorette, des Italiens dévoués à sa divinité ont consacré cette Église ».

 

Que voit-on, en effet ? Dans toutes les églises du culte romain, dans les chapelles, comme aussi dans les maisons, se trouvent des représentations en statues, en tableaux, en gravures, de la Vierge et de l’enfant Jésus, devant lesquelles on se prosterne, on prie et l’on adore. Où trouve-t-on, dans les Écritures, une seule ligne pour justifier une telle chose ? Voici ce qu’elle dit : « Tu ne te feras point d’image taillée, ni aucune ressemblance de ce qui est dans les cieux en haut, et de ce qui est sur la terre en bas, et de ce qui est dans les eaux au-dessous de la terre. Tu ne t’inclineras point devant elles, et tu ne les serviras point » (Exode 20:4-5). Et l’apôtre Jean, à la fin de sa première épître, adresse aux chrétiens cette solennelle injonction : « Enfants, gardez-vous des idoles ». Chose frappante : dans l’ancienne Babylone, on adorait une mère déesse et son fils représenté dans des tableaux ou des statues, comme un petit enfant dans les bras de sa mère. C’est de là que le culte de la mère et de l’enfant se répandit partout, et est venu s’implanter dans l’Église catholique. Au Thibet et en Chine, les missionnaires jésuites furent surpris de trouver le pendant de la Madone romaine et de son enfant aussi dévotement adorés que dans la Rome papale. Shing Moo, la sainte mère, en Chine, était représentée avec un enfant dans ses bras et la tête entourée d’un nimbe ou auréole, absolument comme si c’eût été l’œuvre d’un artiste catholique romain. N’est-il pas profondément douloureux de voir que Satan, l’ennemi de Christ, a réussi à faire passer dans la chrétienté le culte rendu autrefois à Babylone à de fausses divinités ?

 

*     *     *

 

La place donnée à la Vierge Marie par l’Église romaine a amené d’autres erreurs d’une extrême gravité, car elles ne tendent à rien moins qu’à dépouiller le Seigneur d’une partie de ses glorieuses prérogatives. La parole de Dieu nous apprend qu’il n’y a qu’un « seul Médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Christ Jésus » (1 Timothée 2:5). Pour être ce Médiateur, le Fils éternel de Dieu est devenu un homme (Jean 1:14), et comme tel, il a été tenté comme nous en toutes choses, à part le péché (Hébreux 4:15 ; 2:18). Il a pris connaissance de nos douleurs, de nos langueurs, de nos peines, de nos infirmités, et y est entré dans un profond amour, une tendre compassion, une vraie sympathie ; un amour, une compassion, une sympathie divines en même temps qu’humaines (Matthieu 8:17). C’est ce que nous prouve toute sa vie sur la terre. Et maintenant qu’il est monté au ciel, il est le même ; son cœur n’a pas changé. Il sympathise avec nous dans nos infirmités ; il intercède sans cesse pour nous ; il est notre Avocat auprès du Père (Hébreux 4:15 ; 7:25 ; Romains 8:34 ; 1 Jean 2:1). Il nous invite à nous adresser nous-mêmes au Père, et le Père, en son nom, nous exauce (Jean 14: 13 ; 16:24, 26). Ainsi nous pouvons nous approcher de Dieu par Lui, entrer dans le sanctuaire même de Dieu, en vertu de son sacrifice, et venir directement avec confiance au trône de la grâce (Hébreux 7:25 ; 10:9 ; 4:16). Quel parfait et précieux Médiateur nous avons en Celui qui nous a aimés jusqu’à donner sa vie pour nous, qui nous aime et nous aimera toujours du même amour ! Quel besoin aurions-nous d’un autre, et qui saura mieux que Lui connaître tous nos besoins et pourra mieux y répondre ! Il est venu sur la terre pour cela. Il est notre salut, notre vie, notre paix.

Eh bien, l’Église romaine, dans son enseignement, n’a nullement tenu compte de ce que dit la parole de Dieu à cet égard. Non contente d’avoir donné à Marie la place que nous avons vue, elle en a fait une Médiatrice toute-puissante, et un Avocat dans le ciel ! Elle lui a assigné un titre et une fonction que l’Écriture n’attribue qu’à Christ. Elle a prétendu que Dieu était trop grand, et Jésus trop élevé, pour que nous approchions directement, soit du Père, soit du Fils, mais que Marie, par sa bonté, par sa douceur et sa tendresse, et à cause de l’amour que lui porte son Fils, est tout à fait propre à être Médiatrice et Avocat auprès de Lui. Le Fils, dit l’Église romaine, ne peut rien refuser à sa mère. Et elle oublie les paroles du Seigneur à Marie : « Qu’y a-t-il entre moi et toi, femme ? » (Jean 2:4). Un grand docteur de cette Église au 12° siècle, et qui sans nul doute a été un homme vraiment pieux, Saint Bernard, écrit : « Tu craignais de t’approcher du Père ; comme Adam, tu te cachais à sa voix ; il t’a donné Jésus pour Médiateur auprès de Lui. Mais peut-être es-tu effrayé de la majesté de ce Jésus, qui, bien qu’il se soit fait homme, est toujours Dieu. Il te faut auprès de Lui un avocat : recours à Marie ». Le pape Pie IX, en 1849, dans une encyclique (lettre circulaire adressée aux évêques), dit : « Vous savez bien, vénérables frères, que toute notre confiance est placée dans la très sainte Vierge, puisque Dieu a placé en Marie la plénitude de tout bien. S’il y a quelque espoir pour nous, quelque grâce, quelque salut, cela nous vient de Lui par elle ». N’est-il pas blasphématoire d’attribuer à une créature ce qui n’appartient qu’à Dieu et à son Fils ? (*)

 

(*) Plus encore, elle est maintenant expressément la co-rédemptrice : elle l’associe à l’œuvre du Rédempteur.

Écoutez encore ce qui est dit dans une des antiennes à la Vierge : « Salut, ô Reine, mère de miséricorde, douceur et espérance de notre vie, salut ! Nous crions à toi, nous fils d’Ève exilés, vers toi nous soupirons, gémissant et pleurant dans cette vallée de larmes. Toi, notre Avocat, tourne vers nous tes regards de miséricorde ». S’adresserait-on autrement à Dieu ou au Seigneur ? Sans aller plus loin, vous voyez dans quelle idolâtrie monstrueuse l’Église romaine entraîne ceux qui l’écoutent. Elle assimile la Vierge à la Sagesse éternelle de Proverbes 8, à l’Épouse du Cantique de Salomon. Elle lui dit : « Brisez les fers des coupables, donnez la lumière aux aveugles (*) … montrez que vous êtes notre mère ». Dans les litanies à la Vierge, elle la nomme « la porte du ciel », « le refuge des pécheurs », « l’étoile du matin » ; et que devient Christ, notre unique et précieux Sauveur, à qui seul l’Écriture attribue ces titres ? (**) Ces mêmes litanies s’adressent à la Vierge comme à la « Mère divine de la grâce », « la Mère du Créateur », « la source de notre joie », « l’arche de l’alliance », « la Reine de tous les saints », et en l’invoquant et demandant son intercession, elles l’associent au Père, au Fils, au Saint Esprit ! Croirait-on qu’un de leurs docteurs a été jusqu’à dire : « Toutes choses sont soumises à la Vierge, Dieu Lui-même », parce que, dit-il, « la mère a la prééminence sur le fils ». N’est-ce pas un blasphème horrible ? Combien sont à plaindre ceux que l’on conduit dans de telles voies ; on ne peut que désirer que Dieu les éclaire par sa parole, et que par elle, son Esprit les ramène et les garde dans la vérité, loin de ceux qui, « par de douces paroles et un beau langage, … séduisent les cœurs des simples » (Romains 16:18).

 

(*) Paroles analogues à celles que le Seigneur Jésus s’applique à Lui-même en Luc 4:19, où il dit : « L’Esprit du Seigneur est sur moi… Il m’a envoyé pour publier aux captifs la délivrance, et aux aveugles le recouvrement de la vue ».

(**) Jean 10:9 ; Matthieu 11:28 ; Apocalypse 22:16.

 

 

Nous voyons la place prise par le culte de la Vierge dans l’Église romaine. C’est elle que l’on invoque, que l’on prie, à qui l’on s’attend, en qui l’on met toute confiance. Nous dirons encore quelques mots à ce sujet. Le Bréviaire est un livre de dévotion à l’usage des prêtres, qui, chaque jour, doivent en lire une partie, en public comme en particulier, quand l’heure en est venue. Il renferme des Psaumes pour les différentes heures du jour, des fragments des Écritures, des prières adaptées aux fêtes des saints, l’office de Marie, etc. Certainement il leur vaudrait mieux de lire journellement et uniquement toutes les Écritures inspirées de Dieu, propres pour enseigner, convaincre, corriger, instruire dans la justice, et rendre l’homme de Dieu accompli pour toute bonne œuvre ? (2 Timothée 3:16-17). C’est ce que faisait Timothée, qui n’avait pas besoin de Bréviaire, et ne savait rien du culte de Marie, qu’il eût sans doute rejeté avec horreur comme une idolâtrie des plus coupables.

Or, voici une des exhortations que renferme le Bréviaire : « Quand se lève la tempête des épreuves et que tu es jeté contre les rochers des afflictions, regarde en haut vers l’étoile, invoque Marie. Quand tu es ballotté çà et là, sur les vagues de l’orgueil, de l’ambition, de la passion et de l’envie, regarde vers l’étoile, invoque Marie. Quand la colère, ou la cupidité, ou les désirs de la chair, troublent ton âme, regarde vers Marie. Si tu es tourmenté en voyant la grandeur de tes péchés, et plein d’effroi à la pensée du jugement, si tu commences à t’enfoncer dans l’océan de la tristesse et l’abîme du doute, pense à Marie. Dans les dangers, les difficultés, les doutes, pense à Marie, invoque Marie ! » Que devient Christ, le divin et souverain Intercesseur, le grand Souverain sacrificateur de la vraie profession chrétienne, Celui qui sympathise à nos infirmités, qui nous appelle ses amis, qui est avec nous au milieu des tribulations que nous rencontrons dans le monde ? L’Église romaine le met pratiquement de côté et le remplace par une créature, bienheureuse et sans doute « bénie entre les femmes », mais dont la parole de Dieu ne parle que pour nous la montrer, sauvée par grâce, ignorante et faillible comme nous (*). Remarquons qu’après le premier chapitre des Actes, où elle est mentionnée comme se trouvant avec les disciples, Marie n’est plus jamais nommée dans la suite du Nouveau Testament. Il y a un seul Médiateur, Jésus, notre Avocat auprès du Père, notre Intercesseur tout puissant auprès de Dieu, et dont l’amour est immense et immuable. Il nous suffit. Dans les épreuves, les tentations, les difficultés et les dangers, c’est vers Lui, la vraie Étoile du matin, le vrai et seul refuge, qu’il faut regarder, Lui qu’il faut invoquer. Marie n’a rien fait pour nous, Lui a donné sa vie pour nous sauver.

 

(*) Qu’on lise les paroles de la Sainte Écriture : « Une femme éleva sa voix du milieu de la foule, et dit à Jésus : Bienheureux est le ventre qui t’a porté, et les mamelles que tu as tétées ! Et il dit : Mais plutôt, bienheureux sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent » (Luc 11:27-28). C’est ce que l’Église de Rome n’a point fait. Elle adore la Vierge et méconnait la parole de Dieu.

 

Une des formes superstitieuses qui se rattache au culte de Marie, est le Rosaire. On nomme ainsi un cordon terminé par une croix, et dans lequel sont enfilés des grains ou perles de deux différentes grosseurs. Il y a quinze dizaines des plus petits grains, et, devant chaque dizaine, se trouve un plus gros grain. Ces grains, que l’on fait passer entre les doigts, servent à compter le nombre de prières que l’on a récitées. Aux gros grains, on récite un Pater (la prière que le Seigneur enseigna à ses disciples), aux petits grains on récite un Ave Maria, qui est la salutation de l’ange à Marie. Les catholiques la rendent ainsi : « Je vous salue, Marie, pleine de grâces ; le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni ». Si l’on compare ces paroles avec Luc 1:28 et 30, on voit tout de suite la différence entre la parole inspirée de Dieu et la version qu’en donne l’Église romaine. À cette première partie de l’Ave Maria, elle ajoute : « Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant, et à l’heure de la mort ». Or d’après l’Écriture, nous avons en Christ l’unique Sauveur des pécheurs ; en croyant en Lui nous possédons la vie éternelle, et ainsi nous sommes sauvés maintenant, et pour l’heure de notre mort, et pour l’éternité. Quelle différence entre la doctrine de Christ qui nous assure d’un salut parfait, actuel et éternel, et la doctrine de Rome qui laisse toujours dans le doute si l’on est sauvé. Elle veut que l’on ait recours à l’intercession d’une créature qui devait trouver grâce pour elle-même, et qui maintenant ne peut assurément rien pour nous, car, selon l’Écriture, Dieu ne lui a conféré aucune autorité, aucune puissance ! C’est le Seigneur Jésus à qui toute autorité a été donnée dans le ciel et sur la terre (Matthieu 28:18). C’est Lui qui tient les clefs de la mort et du hadès (*) (Apocalypse 1:18). C’est Lui qui ouvre et nul ne fermera, qui ferme et nul n’ouvrira (Apocalypse 3:7).

 

(*) Le hadès, c’est-à-dire le lieu où vont les âmes séparées du corps.

Le chapelet est un abrégé du Rosaire. Il ne contient que cinq dizaines d’Ave Maria séparées par un Pater. À quoi servent le Rosaire et le chapelet ? À compter le nombre de prières que l’on a récitées à la suite l’une de l’autre. Répéter ainsi, avec ou sans attention, 150 Ave et 15 Pater, ou 50 Ave et 5 Pater ; dire ou répéter plusieurs fois le Rosaire et le chapelet, constitue un acte méritoire aux yeux de Dieu, selon l’Église romaine. Le prêtre l’impose comme pénitence, pour expier des fautes. On récite le Rosaire ou le chapelet, pour abréger la durée des peines du purgatoire pour soi ou pour les autres. Nous ne trouvons rien de semblable dans l’Écriture ; ce sont des pratiques superstitieuses inventées par les hommes. Que dit le Seigneur ? « Quand vous priez, n’usez pas de vaines redites, comme ceux des nations, car ils s’imaginent qu’ils seront exaucés en parlant beaucoup. Ne leur ressemblez donc pas » (Matthieu 6:7-8). « Comme ceux des nations », dit Jésus. Cela ne rappelle-t-il pas les prêtres de Baal, qui, depuis le matin jusqu’à midi, répétaient « Ô Baal, réponds-nous ! » (1 Rois 18:26). Et l’on sait que de nos jours, les Bouddhistes ont eux aussi leurs chapelets et même leurs moulins à prières ! Les prêtres romains imposent ces répétitions de prières pour expier des fautes, et la parole de Dieu nous dit simplement : « Si nous confessons nos péchés, il (Dieu) est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés et nous purifier de toute iniquité » (1 Jean 1:9). Et là il n’est question d’aucun rosaire, ni de répéter des prières. Nous venons à Dieu, nous Lui confessons (et non au prêtre) humblement nos péchés, et en vertu de l’œuvre parfaite de Christ, Dieu nous pardonne, et nous purifie. Quelle grâce précieuse !

Le Rosaire, comme nous le voyons, est consacré à la Vierge. L’Église romaine a institué une fête du très Saint Rosaire, comme elle dit, et c’est toujours la Vierge qui y est glorifiée. Dans le service de cette fête, voici ce que nous lisons : « Réjouissons-nous tous dans le Seigneur, nous qui célébrons ce jour de fête en l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie », et ensuite : « Ô Dieu ! faites, nous vous en prions, qu’honorant dans ces mystères le Saint Rosaire de la bienheureuse Vierge Marie, nous imitions ce qu’ils renferment, et nous obtenions ce qu’ils promettent ». Honorer un chapelet de grains, y voir des mystères à imiter (et quels sont ces mystères !), associer les noms de Dieu et du Seigneur à l’idolâtrie envers une créature, n’est-ce pas une profanation ?

Il est bon de savoir ce qu’enseigne cette église dite apostolique qui prétend être la seule vraie, afin d’être en garde contre ses séductions. « Enfants, gardez-vous des idoles », disait l’apôtre Jean en terminant sa première épître (1 Jean 5:21). Déjà le mal commençait ; l’Église se détournait de Jésus Christ, le Dieu véritable et la vie éternelle (1 Jean 5:20), et l’Esprit Saint avertissait solennellement les chrétiens à l’égard de ce qui allait s’introduire dans l’Église et corrompre la vérité.

 

4.3.6        L’Invocation des saints

L’Église romaine ne s’est pas contentée d’établir Marie comme Reine du ciel, des anges, des patriarches, des prophètes et des saints, comme Avocat et Médiatrice souveraine auprès du Père et du Fils, elle a rempli le ciel d’une foule d’autres médiateurs. Ce sont des hommes qu’elle nomme les saints, qu’elle invoque et qu’elle prie, afin qu’ils intercèdent auprès de Dieu pour les hommes ; et elle a fait des anges mêmes, et particulièrement de l’archange Michel, des intercesseurs et des objets de culte.

L’invocation des saints a son origine dans la vénération dont, au commencement, on entourait la mémoire de ceux qui avaient rendu un fidèle témoignage pour Christ et qui avaient souffert pour son nom. Mais à mesure que l’ignorance des Écritures et des vérités qu’elles renferment, s’accentuait, et que la superstition prenait le dessus, de la vénération on passa à l’idée que ces saints qui, sur la terre, avaient eu par leurs prières une grande puissance auprès de Dieu (*), devaient l’avoir conservée après leur mort. On en fit donc des intercesseurs dans le ciel. On pensa qu’ayant été des êtres humains comme nous sur la terre, ils comprendraient mieux nos luttes, nos combats et nos peines, que l’on éprouverait moins de craintes et plus de hardiesse à s’approcher d’eux, et que d’ailleurs, à cause de leurs mérites, le Seigneur se laisserait plus aisément fléchir par eux.

(*) Cela est vrai ; la prière fervente du juste peut beaucoup ; mais c’est sur la terre (Jacques 5:15).

À la tête de ces saints se trouvent naturellement les apôtres, spécialement Pierre et Paul, mais surtout Pierre, que l’Église romaine considère comme le premier pape ; puis Jean Baptiste comme précurseur du Seigneur. Dans l’office de la fête de Jean Baptiste, l’Église romaine applique à ce saint les paroles d’Ésaïe qui annonce la venue du Sauveur (Ésaïe 49:1-6) (*), tordant ainsi les Écritures. Ensuite vient Joseph, l’époux de Marie, que l’on vénère comme le patron de l’église universelle, et auquel on applique les bénédictions appelées par le patriarche Jacob sur la tête de son fils Joseph (Genèse 49:22 26) (**), jouant ainsi sur la similitude des noms et induisant les âmes doublement en erreur. Après ceux-là viennent les martyrs, les Pères, les ermites comme saint Antoine par exemple, et ensuite une multitude de saints que nomment des légendes plus ou moins authentiques, quelques-uns n’ayant peut être jamais existé. Ces légendes sont remplies de soi-disant miracles opérés par les saints dont elles parlent. À cela, il faut ajouter les hommes et les femmes d’une époque plus récente, qui, ayant mené une vie pieuse et opéré, affirme-t-on, des miracles, ont été d’abord béatifiés, puis canonisés, c’est-à-dire déclarés saints par le pape, et placés dans le ciel comme des intercesseurs auxquels on peut s’adresser et que l’on peut prendre pour patrons.

 

(*) « Le Seigneur m’a appelé avant ma naissance ; il s’est souvenu de mon nom lorsque j’étais encore dans le sein de ma mère, etc ». Je cite d’après la version catholique.

(**) Entre autres celles-ci : « Ceux qui portaient des dards l’ont irrité, l’ont insulté, lui ont porté envie… Le Tout puissant te comblera de bénédictions… que ces bénédictions se répandent sur la tête de Joseph ». Sur la façade d’églises catholiques dédiées à saint Joseph, on lit : « Allez à Joseph », paroles que le Pharaon adressait aux Égyptiens, et que l’on détourne de leur vrai sens pour les appliquer à l’époux de Marie.

 

De bonne heure on plaça des édifices religieux, églises et chapelles, sous l’invocation de tel ou tel saint. On prétendit que des reliques de celui dont l’édifice portait le nom, se trouvaient là, souvent que son corps était sous le maître-autel, et que des miracles s’y opéraient, et cela amenait, dans ces lieux vénérés, une multitude de pèlerins qui s’y rendaient, soit pour être guéris, soit pour obtenir de l’intercession du saint quelque bénédiction, soit pour acquérir, en vertu de ces pèlerinages fatigants et coûteux, des mérites auprès de Dieu. Nécessairement ces pèlerinages étaient pour ceux qui desservaient les lieux de culte et pour les habitants des endroits où ils se trouvaient, une source de gains d’autant plus considérable que la réputation du saint était grande et les pèlerinages plus nombreux. De là des trafics honteux, et une rivalité entre les lieux de pèlerinage, une sorte de concurrence à qui aurait le plus de pèlerins. Ne croyons pas que, dans nos temps plus éclairés, ces superstitions aient cessé. Qui ne connaît les pèlerinages à Lourdes, provoqués par de prétendues apparitions de la Vierge à une jeune fille en 1858 ; à Einsiedeln, en Suisse, où l’on affirme avoir une image miraculeuse de la Vierge ; à Notre Dame de Lorette, en Italie, où l’on montre la maison de la Vierge et la chambre qu’elle occupait quand l’ange vint lui annoncer la naissance du Sauveur, le tout transporté par les anges à Lorette, petite ville des environs d’Ancône (*) ; à Saint-Jacques de Compostelle, en Espagne, le plus célèbre des lieux de pèlerinage après Rome et Jérusalem : on prétend que l’apôtre Jacques y fut enterré ! Que de choses l’ennemi du Seigneur et des âmes a mises au cœur des hommes pour les détourner de Christ, de son œuvre, et du culte en esprit et en vérité !

 

(*) Plus récemment, la Vierge, dite du Rosaire, serait apparue à de jeunes enfants à Fatima (Portugal),  en 1917, d’où un autre pèlerinage de grand renom !

 

Les saints ne sont pas seulement des intercesseurs généraux, pour ainsi dire. Bien que chacun puisse s’adresser à eux, chaque bourg, chaque ville, chaque contrée, chaque royaume a son patron spécial, là où domine l’Église romaine. Bien plus, tout vrai catholique veut avoir pour patron le saint dont il porte le nom et l’on choisit souvent pour un des prénoms, celui dont la fête tombe sur le jour de naissance de la personne.

Les saints sont en si grand nombre qu’afin de n’en oublier aucun et afin d’obtenir de tous, connus ou inconnus, la faveur de leur intercession, l’Église romaine a institué une fête de tous les saints (le 1er novembre).

Au culte rendu aux saints, il faut ajouter l’invocation des anges. Les litanies des saints disent entre autres : saint Michel, saint Gabriel, saint Raphaël, saints anges et archanges, priez pour nous. De plus chaque personne (*) a son « bon ange », au dire de l’Église romaine. Ainsi, dans une prière que les fidèles sont invités à répéter, il est dit : « Ange du ciel, mon fidèle et véritable guide, obtenez-moi d’être si fidèle à vos instructions et de régler si bien tous mes pas, que je ne m’écarte en rien des commandements de mon Dieu ». Et quant au saint patron, voici la prière qu’on lui adresse : « Grand saint dont j’ai l’honneur de porter le nom, protégez-moi, priez pour moi, afin que je puisse servir Dieu comme vous sur la terre, et le glorifier éternellement avec vous dans le ciel ». La confession des péchés ne s’adresse pas à Dieu seulement, mais « à la bienheureuse Marie toujours Vierge, à saint Michel archange, à saint Jean Baptiste, aux apôtres saint Pierre et saint Paul, et à tous les saints », et on les supplie d’intercéder auprès du Seigneur Dieu pour le pardon des péchés.

 

(*) Les théologiens catholiques enseignent également qu’il y a un ange gardien non seulement pour tout individu, juste ou pécheur, mais encore pour chaque nation, chaque ville, chaque diocèse, chaque communauté. Saint Michel est l’ange gardien de toute l’Église, mais chaque église a aussi son ange gardien spécial.

 

Nous ne trouvons dans l’Écriture sainte aucun passage qui justifie ce culte rendu à des créatures. Le Seigneur nous dit bien, pour montrer l’intérêt que le Père prend aux petits enfants et les soins qu’il a pour eux, que leurs anges voient sans cesse sa face dans les cieux (Matthieu 18:10). Mais cela signifie-t-il qu’il faut invoquer ces anges ? Nullement. Les anges sont « des esprits administrateurs, envoyés pour servir en faveur de ceux qui vont hériter du salut » (Hébreux 1:14). Cela veut-il dire que nous devions nous adresser à eux ? Pas du tout ; au contraire, l’apôtre Paul dit, en parlant de certains docteurs, qui, déjà de son temps, induisaient les fidèles en erreur : « Que personne ne vous frustre du prix du combat, faisant sa volonté propre dans l’humilité et dans le culte des anges, s’ingérant dans les choses qu’il n’a pas vues » (Colossiens 2:18). C’était une fausse humilité qui prétendait n’oser pas s’approcher de Dieu, et s’adressait aux anges. Mais l’apôtre dit au contraire à ces hommes qu’ils sont enflés d’un vain orgueil et suivent leurs propres pensées, et qu’ils ne tiennent pas ferme le Chef, c’est-à-dire Christ (Colossiens 2:19). Nous avons tout en Christ, Christ suffit pleinement. Il nous a sauvés, par Lui nous nous approchons de Dieu ; nous n’avons besoin d’aucun autre. La Vierge Marie et les saints, les vrais saints qui sont délogés, sont dans le repos près de Lui, en attendant la résurrection. Ils n’ont et ne peuvent avoir cette toute-connaissance qui serait nécessaire pour entendre tous ceux qui les invoquent, et qui n’appartient qu’à Dieu, et par conséquent ils n’entendent aucune prière. Celles qu’on leur adresse ne sont qu’un vain son. Les anges sont occupés de leur service, comme nous le voyons dans l’Apocalypse, et quand Jean se prosterne et veut adorer l’ange qui lui avait montré les merveilleuses choses de Dieu, l’ange repousse cet hommage et lui dit : « Garde-toi de le faire ; je suis ton compagnon d’esclavage … rends hommage à Dieu » (Apocalypse 19:10 ; 22:8-9).

Et s’il s’agit des saints, rappelons-nous que, quand Corneille vient recevoir Pierre, et qu’il se jette à ses pieds pour lui rendre hommage, l’apôtre le relève en lui disant : « Lève-toi ; et moi aussi je suis un homme » (Actes 10:25-26). Cela ne suffit-il pas pour juger et condamner l’invocation des saints et des anges ? Assurément. À Dieu seul, et au Seigneur Jésus Christ, appartiennent la gloire, et l’honneur, et la force, et toute adoration.

 

4.3.7        Les reliques et le culte des images

4.3.7.1                 Les reliques

Deux choses contraires à l’Écriture caractérisent encore l’Église de Rome. C’est d’abord le culte des reliques des saints, de la Vierge et même du Seigneur, et ensuite le culte des images.

Les reliques sont de prétendus restes, des ossements ou parties du corps de ceux que l’on révère, ou bien des objets qui leur ont appartenu ou qu’ils ont touchés. C’est vers le troisième siècle que l’on commença à entourer les restes des martyrs d’une vénération superstitieuse. Malgré l’opposition de quelques hommes pieux, le mal s’étendit rapidement. Vraies ou fausses, les reliques se multiplièrent. On leur attribua un pouvoir miraculeux, une vertu divine permanente. On prétendit que par elles les malades étaient guéris, les démons chassés, les morts ressuscités. Elles préservaient des dangers, faisaient gagner des batailles, et c’est sur elles que l’on prêtait les serments les plus inviolables. Pour affirmer leur puissance merveilleuse, on racontait toute espèce d’histoires souvent absurdes, en tout cas mensongères, et elles devinrent souvent l’objet d’un trafic scandaleux. Chaque église, chaque chapelle, chaque monastère, tenait à avoir ses reliques d’autant plus précieuses et renommées que de plus grands soi-disant miracles s’opéraient par elles. Les endroits où se trouvaient les plus célèbres reliques devenaient des buts de pèlerinage. Et les choses sont restées telles dans notre temps qu’on appelle un siècle de lumière. Rome présente à ses dévots pour être adorés, des objets dont l’origine est plus que douteuse — idolâtrie honteuse, reposant sur des fables, et qui ressemble à celle des prêtres de Bouddha qui eux aussi prétendent avoir des reliques de leur saint.

Je ne puis pas énumérer toutes les reliques que Rome vénère, ni les endroits où elles se trouvent. Ajouté aux légendes qui s’y rapportent, cela ferait un gros volume. Je citerai seulement trois des plus célèbres. La première est la sainte croix, celle sur laquelle le Sauveur a souffert. On prétend que l’impératrice Hélène, mère de l’empereur Constantin, voulant faire construire une église sur l’emplacement du sépulcre de Jésus, les ouvriers, en creusant la terre, découvrirent les trois croix où le Seigneur et les deux brigands avaient été attachés. Un miracle, dit-on, fit découvrir laquelle était celle de Jésus. La plus grande partie de la croix fut conservée à l’église du saint-sépulcre à Jérusalem, où, à ce que l’on dit, elle est encore, recouverte d’argent. Le reste fut coupé en morceaux et distribué comme reliques. Nombre d’endroits, églises ou autres, prétendent posséder un fragment de la vraie croix, mais si on les rassemblait, on en aurait la charge de dix hommes. Peuvent-ils être tous vrais, si même il y en a un seul qui le soit, car l’histoire de la découverte de la croix ne repose que sur des légendes ? Et alors, à quoi rend-on culte ? À des morceaux de bois, comme les païens à leurs fétiches. N’est-ce pas attristant de voir les âmes abusées par de telles choses au sein d’une église qui se dit chrétienne ? Dieu peut-il par là être honoré, et le Seigneur glorifié ?

Une autre relique célèbre est la tunique sans couture que portait le Seigneur. On l’appelle la sainte robe, et l’on raconte à son sujet les fables les plus absurdes. Elle ne fut découverte que dans le 12° siècle et donnée à l’archevêque de Trêves, ville où on la montre encore. Mais on prétend l’avoir aussi à Argenteuil en France, et au Latran à Rome, sans compter des morceaux que l’on en possède, dit-on, en divers endroits. Où est la vraie ? Ou plutôt, n’est-ce pas tout fausseté ? Et c’est ce que l’on fait adorer par de pauvres gens abusés. N’y a-t-il pas là un système de mensonges inventé par Satan pour égarer les âmes et les détourner de Christ sous une apparence de dévotion ? Les Bouddhistes ont aussi comme relique le vêtement de Bouddha renfermé dans une châsse. Et ce n’est pas la seule ressemblance que présente Rome papale avec le culte de Bouddha.

La troisième relique non moins fabuleuse, mais hautement vénérée, est le saint suaire. Une légende du Moyen Âge raconte qu’une femme de Jérusalem présenta à Jésus, lorsqu’on le conduisait au Calvaire, un mouchoir pour essuyer la sueur et le sang de son visage. Lorsque le Seigneur le lui rendit, sa face s’était imprimée sur le linge. Une autre légende rapporte la chose d’une manière toute différente. Ce serait le Seigneur lui-même qui aurait imprimé son visage sur un linge et l’aurait envoyé au roi Abgare qui désirait son portrait ! Ici encore on voit l’absurdité et la fausseté de la légende. Quoi qu’il en soit, ce que l’on nomme le saint suaire se trouve, chose étrange, à Saint-Pierre de Rome, à Turin, en Espagne, et en d’autres endroits. Où est le véritable, à supposer qu’il y en ait un seul ? Le saint suaire, un morceau de la vraie croix et la moitié de la lance qui perça le côté du Seigneur, sont les trois grandes reliques devant lesquelles, dans la semaine sainte, le pape et les cardinaux vont se prosterner solennellement, donnant ainsi l’exemple de l’idolâtrie au peuple qui se prosterne avec eux devant ces objets inanimés. Où trouvons-nous dans l’Écriture quoi que ce soit qui autorise un semblable culte ? Nulle part. Au contraire, tout culte rendu à un objet quelconque, de quelque manière que ce soit, y est formellement condamné. L’Écriture nous enseigne à adorer par l’Esprit Saint le Dieu vivant et vrai, le Père et le Fils dans le ciel, et à mettre notre confiance en Lui. Quant aux miracles opérés par les reliques, ce sont des mensonges ou des supercheries, ou, s’ils sont réels, ils sont dus à la puissance satanique. L’homme de péché qui doit venir, viendra « selon l’opération de Satan », avec « toute sorte de miracles et signes et prodiges, de mensonges ». Et le mystère d’iniquité opère déjà (*).

 

(*) 2 Thessaloniciens 2:9, 7.

 

4.3.7.2                 Les images

À côté du culte des reliques se place celui qui est rendu aux images. Nous le trouvons dans l’Église grecque comme dans l’Église romaine, avec cette différence que la première n’admet que les images peintes. Ce sont les icônes devant lesquelles, dans les chaumières, les maisons, les lieux publics, et dans les églises, brûlent des cierges et se prosterne le peuple.

L’Église romaine va plus loin. Les édifices consacrés à son culte sont remplis, non seulement de peintures, mais aussi de statues de la Vierge parées de riches vêtements, ainsi que l’enfant qu’elle porte, et de statues des saints et des anges. On y voit des crucifix, figures du Seigneur sur la croix ; on va même jusqu’à représenter dans des tableaux, sous une forme humaine, le Dieu invisible, le Père. Ces images se trouvent aussi dans les maisons des dévots catholiques et y sont vénérées ; dans les villes autrefois, il y en avait en quantité dans les rues, et l’on en trouve encore des vestiges. L’apôtre Paul ne serait-il pas indigné, plus encore qu’à Athènes, en voyant la chrétienté remplie d’idoles ? (Actes 17:16). Et n’est-il pas à regretter, pour le dire en passant, que des chrétiens qui condamnent l’idolâtrie romaine, ne soient pas plus soigneux d’en écarter toute trace sur eux et dans leurs maisons ?

C’est dans les églises surtout que s’étale le culte rendu aux images. Il n’en est guère qui n’ait une chapelle dédiée à la Vierge ; d’autres ont en outre des chapelles consacrées à tel ou tel saint. Là, indépendamment du maître-autel avec ses nombreux cierges et ses riches ornements, se trouvent, dans chaque chapelle, un autel pour dire la messe, des cierges, des tableaux et d’autres images, et devant ces images, on brûle de l’encens, et prêtres et laïques se prosternent, adorent et prient. Si mes lecteurs ont l’occasion de voir une représentation de l’intérieur d’un temple bouddhiste, ils seront frappés de la ressemblance qu’il présente avec une Église romaine. Ne peut-on pas dire, que ces lieux où l’on prétend servir le Dieu unique, sont de vrais temples d’idoles ? Idolâtrie d’autant plus affreuse que l’on fait de Christ une image taillée que l’on baise et que l’on adore, et que les autres images auxquelles on rend un culte, sont celles de Pierre, de Paul, et d’autres qui furent de fidèles serviteurs de Dieu à qui toute idolâtrie était en horreur ; et surtout idolâtrie condamnable au plus haut degré en ce qu’on se prosterne devant des représentations de Celui qui a dit : « Tu ne te feras point d’image taillée, ni aucune ressemblance de ce qui est dans les cieux en haut, ni de ce qui est sur la terre en bas, ni de ce qui est dans les eaux au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point » (*). On tombe ainsi dans le même péché qu’Israël quand il fit le veau d’or. L’Église romaine allègue qu’on n’adore pas les images, mais qu’en leur rendant un culte « relatif », on vénère ceux qu’elles représentent. C’est un subterfuge ; le passage que nous venons de lire est formel, et d’ailleurs le fait certain est que la masse des fidèles adore réellement l’image. Ajoutons à ce qui précède qu’un pouvoir miraculeux est attaché à certaines images, et que les baiser — en particulier baiser le crucifix — est considéré comme un acte méritoire. Nous l’avons vu en parlant de l’extrême-onction.

 

(*) Exode 20:4-5.

 

Le culte des images commença de bonne heure en Orient et se répandit ensuite en Occident. Ce ne fut pas sans opposition. En Orient, des empereurs voulurent l’extirper par la force. Il en résulta des luttes sanglantes, car le peuple défendait avec acharnement ces images si chères, auxquelles il attribuait des miracles. En effet, souvent en Occident, comme en Orient, dans des calamités ou des dangers publics, on portait, dans une procession solennelle, telle ou telle image pour obtenir la délivrance. Si l’ennemi s’éloignait des murs d’une ville assiégée, si une maladie contagieuse venait à cesser, c’était grâce à la vertu de l’image.

Après les luttes dont j’ai parlé, un concile fut convoqué à Nicée, en l’an 787. Il décréta que des images du Sauveur, de la Vierge, des anges, et des saints, en peinture ou en mosaïque, seraient placées dans les églises pour être baisées (*) et révérées en se prosternant devant elles, distinguant toutefois cette adoration de celle qui n’appartient qu’à la nature divine. « On doit, dit le concile, leur offrir de l’encens et des cierges, car l’honneur rendu à l’image passe à celui qu’elle représente ». Ensuite on déclara anathème celui qui ne révérerait pas les images et qui dirait qu’elles sont des idoles.

 

(*) Les adorateurs de Baal baisaient son image (1 Rois 19:18. Voyez aussi Osée 13:2).

L’Église romaine, comme l’Église grecque, reçut les décrets de ce concile. Plus tard, le concile de Trente, dans le 16° siècle, statua : « On doit avoir et conserver, principalement dans les églises, les images de Jésus Christ, de la Vierge, mère de Dieu, et des autres saints, et leur rendre l’honneur et la vénération qui leur sont dus, parce que cet honneur est rapporté aux originaux qu’elles représentent ».

Telle a été la ruse de Satan pour entraîner les âmes dans l’idolâtrie, malgré la parole de Dieu qui la proscrit formellement. « Je ne donnerai pas ma gloire à un autre, ni ma louange à des images taillées », dit l’Éternel (*). Et quand nous voyons ces statues devant lesquelles on se prosterne, qu’elles soient de pierre ou de bois, comment ne pas nous rappeler les paroles si fortes d’Ésaïe : « Qui a formé un dieu, ou fondu une image, qui n’est d’aucun profit ? »… Un homme prend un bois : d’une partie il fait du feu et s’en chauffe et fait cuire du pain ; et de l’autre il en fait un dieu, une image taillée, et se prosterne devant elle. Et le prophète ajoute : « Il se repaît de cendres ; un cœur abusé l’a détourné ; et il ne délivre pas son âme, et ne dit pas : N’ai-je pas un mensonge dans ma main droite ? » (**). Combien ces paroles sont applicables à ces nombreux pauvres abusés qui se prosternent devant les peintures et les statues de bois ou de pierre, et leur adressent leurs prières !

 

(*) Ésaïe 42:8.

(**) Ésaïe 44:10-20.

 

4.3.8        Le Purgatoire

Une autre doctrine du catholicisme est le purgatoire. Qu’est-ce que le purgatoire ? C’est un lieu, dit l’Église romaine, où ceux qui sont morts en état de grâce, c’est-à-dire non coupables de péché mortel (*), sont purifiés par des châtiments et des souffrances temporaires, des fautes qui n’ont pas été suffisamment expiées ici-bas. Ces souffrances peuvent être allégées et leur temps abrégé, par les prières et les aumônes des parents et des amis du défunt, et surtout par des messes dites à son intention.

 

(*) L’Église romaine enseigne qu’il y a deux sortes de péchés : les péchés mortels qui font perdre la grâce de la justification, et les péchés véniels (de venia, pardon) qui ne font pas perdre la grâce. Si quelqu’un meurt en état de péché mortel, il va en enfer. Mais quelqu’un qui s’est rendu coupable d’un tel péché peut être pardonné et justifié par le sacrement de pénitence.

 

Bien que saint Augustin, à l’occasion de la mort de sa mère Monique, mentionne déjà les prières pour les morts, ce n’est qu’en l’an 600 que la doctrine du purgatoire fut reçue parmi les dogmes de l’Église de Rome et que le pape Grégoire le Grand la formula en ces termes : « Nous devons croire qu’il y a un feu qui purifie des petites fautes avant que le jour du jugement arrive ». Le célèbre concile de Trente a défini complètement cette doctrine et prononcé l’anathème sur ceux qui la nient. Voici ce qu’il dit : « Il y a un purgatoire, et les âmes qui y sont retenues prisonnières, sont secourues par les prières des croyants, mais surtout par le sacrifice acceptable de la messe ». Le concile ordonne à tous les évêques, de « s’appliquer avec zèle à ce que la sainte doctrine du purgatoire qui nous a été transmise par les vénérables pères de l’Église et par les saints conciles, soit crue, gardée, enseignée et prêchée partout parmi les fidèles de Christ… Les âmes des justes sont purifiées dans les flammes du purgatoire par un châtiment temporaire, afin que de cette manière leur soit accordée l’entrée dans leur patrie éternelle, où rien d’impur ne peut être admis… Le sacrifice de la messe est offert pour ceux qui se sont endormis en Christ, mais qui ne sont pas entièrement purifiés ».

Telle est la doctrine romaine du purgatoire. Elle n’a, pour s’appuyer, aucun passage de la parole de Dieu (*), et, de l’aveu même du concile, ne repose que sur l’autorité des pères et des conciles. Nous allons voir qu’elle est contraire aux enseignements de l’Écriture, et au témoignage qu’elle rend à l’amour de Dieu et à l’œuvre de Christ pour la justification du pécheur et le pardon des péchés.

 

(*) La seule référence faite par l’Église romaine est celle d’un livre apocryphe (2 Macchabées), c’est-à-dire ne figurant pas dans la Bible hébraïque.

Où se trouve le purgatoire, et quel genre de souffrances les âmes y endurent-elles ? Les docteurs romains ne le disent pas, et le concile de Trente interdit sur ce point les questions curieuses. Mais il parle du « feu du purgatoire », et l’Église romaine, pour apitoyer les vivants sur le sort des âmes qui s’y trouvent, tolère qu’on le représente dans des tableaux comme un lieu où les âmes sont horriblement tourmentées dans un feu ardent. Et jusqu’à quand les âmes restent-elles dans ce lieu de souffrances ? Jusqu’à ce qu’elles aient « payé le dernier quadrant » (Matthieu 5:26), disent les docteurs romains, car c’est ainsi qu’ils appliquent à faux ce texte. Ils veulent dire par là que les âmes subissent les peines du purgatoire jusqu’à ce qu’elles aient été entièrement purifiées et que la justice de Dieu ait été satisfaite. L’Église romaine dit bien que l’intensité des souffrances peut être adoucie et leur durée abrégée par certaines œuvres accomplies en leur faveur, mais est-on jamais sûr que le dernier quadrant est payé et que l’âme sort enfin du purgatoire pour entrer au ciel ? Non, jamais. Et ainsi les pauvres catholiques romains sont laissés dans une continuelle incertitude quant au sort de leurs parents ou amis décédés, quand bien même ceux-ci ont reçu l’extrême-onction (qui selon Rome, doit effacer les dernières traces de péché), et qu’eux ont prié et fait dire des messes. Et ceux qui croient cet enseignement, ne peuvent qu’être dans une erreur constante en pensant à la mort qui va les jeter dans les souffrances du purgatoire, malgré leur foi et leurs œuvres, et cela durant un temps indéterminé.

Mais Dieu soit béni, le purgatoire n’est qu’une invention de l’esprit humain et par conséquent un mensonge. Tout l’enseignement de l’Écriture est opposé à cette doctrine.

D’abord nous n’y voyons nulle part qu’il y ait à distinguer entre les péchés mortels et les péchés véniels. Tout péché est mortel, car la parole de Dieu dit : « Les gages du péché, c’est la mort » (Romains 6:23), et après la mort, le jugement (Hébreux 9:27). Mais il est ajouté : « Le don de grâce de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus, notre Seigneur ». Et Jésus nous dit : « Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3:16).

Et ce n’est pas après la mort seulement que nous aurons la vie éternelle ; nous l’avons dès ici-bas lorsque nous croyons de cœur au Seigneur Jésus, car il est écrit : « Qui croit au Fils a (et non aura) la vie éternelle » (Jean 3:36). Nous lisons encore : « En ceci a été manifesté l’amour de Dieu pour nous, c’est que Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui… Dieu… nous aima et… envoya son Fils pour être la propitiation pour nos péchés » (1 Jean 4:9-10). Puis : « Voyez de quel amour le Père nous a fait don, que nous soyons appelés enfants de Dieu… Bien-aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu » (1 Jean 3:1-2). En croyant au Seigneur Jésus, nous avons déjà maintenant la vie éternelle et sommes de bien-aimés enfants de Dieu ; Dieu veut-il mettre son enfant, pour qui il a donné son Fils, et qui possède la vie éternelle, dans une horrible prison et d’affreuses souffrances jusqu’à ce qu’il ait payé le dernier quadrant ? Est-ce là le grand amour dont il nous a aimés ? (Éphésiens 2:4).

Il est vrai que si l’enfant de Dieu vient à manquer, Dieu le discipline ici-bas, pour son profit, afin de le rendre participant de sa sainteté (Hébreux 12:7-10), et cette discipline peut aller jusqu’à la mort du corps (1 Jean 5:16 ; 1 Corinthiens 11:30). Dieu permet aussi que nous soyons éprouvés de différentes manières, afin de nous purifier des choses qui ne conviennent pas à notre caractère de chrétiens (1 Pierre 1:6-7). Mais nous ne voyons nulle part dans l’Écriture qu’après cette vie, le croyant ait encore à souffrir pour satisfaire Dieu qui a été pleinement satisfait par le sacrifice de Christ. S’il déloge, c’est pour être avec Christ (Philippiens 1:23) et non dans le purgatoire. Absent du corps, il est avec le Seigneur (2 Corinthiens 5:8). L’Écriture nous dit aussi que les croyants ont à rendre grâces « au Père qui nous a rendus capables de participer au lot des saints dans la lumière » et qui nous a introduits « dans le royaume du Fils de son amour », et cela dès ici-bas (Colossiens 1:12-14). Le croyant cesse-t-il de jouir de ces heureux privilèges quand il a quitté cette vie ? Le lot des saints dans la lumière peut-il jamais être un lieu de tourments, et le purgatoire et ses souffrances fait-il partie du royaume du Fils de l’amour divin ? Non.

La doctrine du purgatoire fait donc injure à l’amour parfait de Dieu, et méconnaît les dons de cet amour. La pensée du purgatoire tient les âmes dans une crainte perpétuelle. Or Dieu veut que, dans la connaissance et la jouissance de son amour, nous soyons sans crainte. « Il n’y a pas de crainte dans l’amour », dit l’apôtre Jean, « mais l’amour parfait chasse la crainte, car la crainte porte avec elle du tourment ; et celui qui craint n’est pas consommé dans l’amour » (1 Jean 4:18).

Cette doctrine est aussi contraire à ce que l’Écriture enseigne touchant l’œuvre parfaite de Christ accomplie sur la croix pour notre salut complet et actuel, pour l’entier pardon de tous nos péchés. La parole de Dieu nous dit que Christ a « offert un seul sacrifice pour les péchés », que nous sommes « sanctifiés par l’offrande du corps de Jésus Christ faite une fois pour toutes », que, « par une seule offrande, il a rendu parfaits à perpétuité ceux qui sont sanctifiés », et enfin que Dieu ne se souviendra plus jamais de leurs péchés ni de leurs iniquités » (Hébreux 10:10, 12, 14, 17). Si les croyants sont sanctifiés, rendus parfaits à perpétuité, et si Dieu ne se souvient plus de leurs péchés, qu’ont-ils encore besoin d’un purgatoire ? Dieu veut-il exiger le paiement de péchés dont il ne se souvient plus, qui sont entièrement effacés de devant ses yeux ? De plus, il est dit : « Le sang de Jésus Christ son Fils nous purifie de tout péché » (1 Jean 1:7). S’il faut encore aller dans le purgatoire, cette affirmation de l’Écriture n’est pas vraie : on fait Dieu menteur. Nous lisons aussi : Christ a été « offert une fois pour porter les péchés de plusieurs » (Hébreux 9:28), c’est-à-dire de ceux qui croient, et : « Il a porté nos péchés en son corps sur le bois » (1 Pierre 2:24). Mais si l’on doit souffrir dans le purgatoire, c’est donc que le Christ n’a pas porté tous les péchés, c’est-à-dire que son œuvre est imparfaite et incomplète ! N’est-ce pas un blasphème ? Le fait est que l’Église romaine veut toujours que l’homme ait une part à faire dans l’œuvre du salut, ici-bas ou dans l’autre vie.

Combien nous sommes heureux, de savoir avec une entière certitude que, si nous croyons de cœur au Seigneur Jésus, Dieu nous « a pardonné toutes nos fautes » (Colossiens 2:13), que nous sommes sauvés pleinement, vivifiés avec Christ, ressuscités avec Lui, assis en Lui dans les lieux célestes (Éphésiens 2:5-6) (*), que nous n’avons plus aucune condamnation à redouter (Romains 8:1), que nous sommes lavés, sanctifiés, justifiés, au nom du Seigneur Jésus et par l’Esprit de notre Dieu (1 Corinthiens 6:11), et enfin que, si nous passons par la mort, c’est le Seigneur, et non le purgatoire, qui reçoit notre esprit bienheureux (Actes 7:59).

 

(*) Telle est l’union intime du croyant avec Christ. Peut-on supposer qu’un homme qui est vivifié et ressuscité avec Christ, assis en Lui dans les lieux célestes, puisse en même temps être dans les souffrances du purgatoire ?

 

4.3.9        Les Indulgences

Aux doctrines de la pénitence et du purgatoire se rattache celle des indulgences, entièrement étrangère aussi et contraire aux enseignements de l’Écriture sainte. Mais avant de voir ce que l’on entend par là, rappelons en quelques mots ce que la Parole de Dieu nous dit touchant le salut de notre âme. Elle nous apprend que nous sommes des pécheurs perdus, éloignés de Dieu et ses ennemis dans nos pensées et par nos mauvaises œuvres, privés du ciel et sujets à la condamnation éternelle (Colossiens 1:21 ; Romains 3:23 ; Jean 3:36). Elle nous dit que nous sommes morts dans nos fautes et dans nos péchés, sans force et incapables par nous-mêmes de revenir à Dieu, et qu’en nous il n’habite aucun bien (Éphésiens 2:1 ; Romains 5:6 ; 7:18). Et elle déclare de plus que personne ne sera justifié devant Dieu par des œuvres de loi, car la loi ne fait que manifester, par notre impuissance à l’observer, tout le mal qui est en nous (Romains 3:20).

Comment échapper à la juste condamnation prononcée contre nous ? Il n’y a qu’une unique ressource, nous dit la parole de Dieu. C’est la grâce divine : « Vous êtes sauvés par la grâce, par la foi, et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu ; non pas sur le principe des œuvres, afin que personne ne se glorifie » (Éphésiens 2:8-9). Le salut vient donc tout entier de Dieu, et il nous est accordé, sans aucun mérite de notre part, à cause de l’œuvre de Christ qui est mort pour nos fautes et a été ressuscité pour notre justification. Ce précieux Sauveur s’est chargé de nos péchés et les a expiés par son sacrifice parfait. C’est en vertu de ce sacrifice que Dieu nous pardonne et nous justifie, ainsi qu’il est écrit : « Étant justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui est dans le Christ Jésus, lequel Dieu a présenté pour propitiatoire par la foi en son sang » (Romains 3:24-25). Quelles œuvres pourrions-nous ajouter à l’œuvre parfaite de Christ qui a satisfait Dieu ? Gratuitement ne veut-il pas dire que l’on n’a rien à payer ? Et comment avoir part à la justification, à la rédemption, au salut ? Simplement par la foi, la foi sans aucune œuvre, la foi au sacrifice du Seigneur, la foi en l’efficacité du sang versé sur la croix pour ôter nos péchés. Telle est la voie simple du salut pour le pécheur coupable et perdu.

L’Église romaine enseigne autrement : selon elle, l’homme est capable de faire le bien par lui-même et par conséquent peut et doit accomplir des œuvres propres à lui assurer le salut. Et comme preuve que la foi seule sans les œuvres ne suffit pas au salut, ses docteurs objectent les paroles de Jacques : « La foi sans les œuvres est morte… » et « vous voyez qu’un homme est justifié par les œuvres et non par la foi seulement » (Jacques 2:17-26). Mais Dieu ne peut se contredire : les paroles de l’Esprit Saint données par l’apôtre Paul sont vraies, et celles données par Jacques sont vraies aussi, et les unes s’accordent parfaitement avec les autres. La foi est dans le cœur une puissance vivifiante et purifiante (Actes 15:9). Celui qui croit du cœur au Seigneur Jésus est régénéré, ou né de nouveau. L’Esprit Saint produit en lui une vie nouvelle, et il est rendu capable de faire des œuvres agréables à Dieu, tandis qu’auparavant les œuvres qu’il faisait étaient des œuvres mortes et nullement agréées de Dieu. Les œuvres que le chrétien accomplit sont le fruit et non le moyen du salut ; elles sont la manifestation extérieure de la foi intérieure, de la vie de Dieu dans l’âme. C’est ainsi que Jacques dit qu’un homme n’est pas justifié par la foi seule, mais aussi par les œuvres, parce que celles-ci sont la preuve de la réalité de la foi. Dans une horloge, le ressort qui est caché montre son existence par les mouvements du balancier que l’on voit.

Les œuvres ne nous sauvent donc pas, mais les bonnes œuvres que le chrétien accomplit sont le fruit la grâce et la preuve qu’il est sauvé, que la vie de Dieu est en lui. Nous avons encore sur ce sujet si important le passage suivant : « Quand la bonté de notre Dieu Sauveur et son amour envers les hommes sont apparus, il nous sauva, non sur le principe d’œuvres accomplies en justice, que nous, nous eussions faites, mais selon sa propre miséricorde, par le lavage de la régénération et le renouvellement de l’Esprit Saint, qu’il a répandu richement sur nous par Jésus Christ, notre Sauveur, afin que, ayant été justifiés par sa grâce, nous devinssions héritiers selon l’espérance de la vie éternelle » (Tite 3:4-7). Et ensuite l’apôtre ajoute : « Que ceux qui ont cru Dieu s’appliquent à être les premiers dans les bonnes œuvres » (verset 8). Remarquons encore que les œuvres que le chrétien accomplit, ne sont pas des œuvres qu’il invente ou qu’il choisit ; elles sont le fruit de l’Esprit et, dit l’apôtre, « nous sommes son ouvrage (l’ouvrage de Dieu), ayant été créés dans le Christ Jésus pour les bonnes œuvres que Dieu a préparées à l’avance, afin que nous marchions en elles » (Galates 5:22 ; Éphésiens 2:10).

Mais l’Église romaine s’est écartée de ce sain enseignement. Les œuvres qu’elle préconise sont des œuvres purement extérieures ; c’est l’observation des rites et cérémonies de l’église, des prières cent fois répétées, des jeûnes, des macérations pour dompter la chair, des pèlerinages en tels ou tels lieux réputés, la fondation d’églises, de chapelles ou de couvents, faire l’aumône, donner tous ses biens, faire vœu de pauvreté, entrer dans un couvent en renonçant au monde, porter un cilice et se flageller ; toutes ces choses et d’autres encore sont considérées comme des œuvres méritoires propres à acquérir des droits au ciel. Voyez, à propos de ces œuvres, ce que l’apôtre Paul dit en Colossiens 2:16-23.

Selon l’Église romaine, plus on accomplissait de ces œuvres que nous avons mentionnées, plus on était saint, plus on était propre pour le ciel, et l’on en vint à croire qu’il existait des personnes qui allaient en sainteté au-delà du nécessaire pour entrer dans le ciel. Comme si l’on pouvait être trop saint aux yeux de Dieu ! Combien cela est loin de ce que dit la parole de Dieu : « Que celui qui est saint soit sanctifié encore » (Apocalypse 22:11). Ce sont ces personnes-là que le pape canonise, c’est-à-dire déclare saintes, et place dans le ciel pour y être invoquées. Mais ce n’est pas tout. Ayant fait plus qu’il ne fallait pour être reçus dans le ciel, les saints ont laissé après eux un reste de mérites qui peuvent être appliqués à d’autres, dit l’Église de Rome. C’est ce qu’elle appelle des mérites surérogatoires, mot qui veut dire au-delà de ce que l’on peut exiger. Mais que dit le Seigneur Jésus ?: « Quand vous aurez fait toutes les choses qui vous ont été commandées, dites : Nous sommes des esclaves inutiles ; car ce que nous étions obligés de faire, nous l’avons fait » (Luc 17:10).

Au 13° siècle, un docteur de l’Église de Rome, nommé Alexandre de Hales, et surnommé le docteur irréfragable, c’est-à-dire qu’on ne peut contredire, inventa une nouvelle doctrine. Il dit que Christ avait fait bien plus qu’il n’était nécessaire pour le salut des hommes. Une seule goutte du sang qu’il a versé suffisait pour cela, et puisqu’il en a versé beaucoup, ajoutait ce docteur, il en reste pour l’Église un trésor de mérites que l’éternité ne saurait épuiser. C’est une doctrine qui n’a aucun fondement dans la parole de Dieu, et qui n’est que le produit des vains raisonnements et de la folle imagination de l’homme. Mais le pape Clément VII l’a déclarée article de foi, et l’Église romaine l’a acceptée comme telle. Ce trésor des mérites de Christ a été augmenté des mérites surérogatoires des saints, et la garde et l’administration en ont été confiées au pape, vicaire de Jésus Christ sur la terre, dit l’Église romaine.

Que faire de ces mérites ? Moyennant des sommes à payer ou certaines pratiques à accomplir, l’église les applique à chaque pécheur dans la mesure que ses péchés nécessitent, et c’est là ce que l’on nomme les indulgences. Les vivants peuvent aussi les acquérir pour abréger les peines temporelles, soit les châtiments dans ce monde, soit ce qu’endurent les âmes dans le purgatoire. N’est-il pas triste de voir les âmes abusées, trompées, par de semblables enseignements ? Peut-on croire que les mérites d’une créature comme nous puissent nous être appliqués pour l’expiation de nos fautes ? Peut-on supposer que d’une manière quelconque, on puisse acheter quelque chose des mérites de notre adorable Sauveur qui a offert une fois pour toutes le sacrifice qui expie tous nos péchés, et qui donne gratuitement le salut et la vie éternelle ? Et quelle prétention terrible de la part d’un homme de se dire le dispensateur de ce qui n’appartient qu’à Christ, de ce que Christ seul donne !

Les indulgences devinrent la source du trafic le plus honteux. Au moyen d’une somme d’argent payée à l’église, on était dispensé de la repentance et des peines de la pénitence. On pouvait ainsi sans remords se livrer au péché. On alla jusqu’à établir une taxe des indulgences, qui indiquait ce qu’il fallait donner pour se racheter de tel ou tel péché, même du plus grossier. On accordait aussi des indulgences à l’accomplissement de tels ou tels actes que l’on faisait considérer comme méritoires. Ainsi une indulgence plénière, c’est-à-dire le pardon de tous les péchés commis, même les crimes les plus grands, avait été promise par le pape Urbain II à tous ceux qui prendraient part à la croisade, c’est-à-dire à l’expédition guerrière destinée à reprendre Jérusalem des mains des Turcs. Une indulgence plénière applicable aux âmes du purgatoire, fut accordée par le pape Pie VII à ceux qui, après la confession et la communion, récitent à genoux devant un crucifix une certaine prière.

Pour faire profiter du trésor des indulgences le plus grand nombre possible de personnes, le pape Boniface VIII, en l’an 1300, publia une bulle annonçant à l’Église qu’un jubilé se célébrerait à Rome tous les cent ans, et qu’à tous ceux qui s’y rendraient, il serait accordé une indulgence plénière, l’absolution de tous leurs péchés. D’innombrables pèlerins se rendirent à Rome de toutes parts, non sans apporter à l’Église de riches offrandes. Cent ans, c’était bien long. On plaça donc les jubilés, d’abord à cinquante ans, puis à trente-trois ans, et enfin à vingt-cinq ans d’intervalle. Et comme un grand nombre ne pouvaient facilement aller à Rome, on transporta sur différentes places de la chrétienté le jubilé et ses indulgences.

Ce trafic des choses saintes arriva au comble le plus honteux à l’époque de la Réformation. Le pape Léon X, homme léger et dissolu, avait besoin d’argent pour satisfaire à ses goûts dispendieux et à ses plaisirs. Pour s’en procurer, sous prétexte de vouloir achever la basilique de Saint-Pierre à Rome et de faire la guerre aux Turcs, il donna un nouvel essor à la vente des indulgences, dont les principaux marchés furent établis en Allemagne et en Suisse. Les scandales qui en résultèrent, l’indignation qu’ils soulevèrent, la manière grossière et impie dont agissaient ceux qui étaient préposés à cette vente, furent une des causes de la Réformation. Nous en reparlerons plus tard.

De nos jours, l’Église romaine applique toujours les indulgences, bien qu’en ayant supprimé les abus les plus grossiers. Ainsi elle accorde des indulgences d’un certain nombre de jours ou d’années, à l’accomplissement de tels ou tels actes, par exemple à des pèlerinages, à des prières récitées devant certains autels, ou adressées à tel saint. Et ces indulgences sont appliquées soit à celui qui les acquiert ainsi pour lui épargner un certain temps de souffrances dans le purgatoire, soit à des personnes défuntes en faveur desquelles ces actes sont accomplis.

Nous avons ainsi vu l’ensemble de ce qui constitue le papisme, ce grand système de doctrines qui cache le vrai christianisme. Nous avons encore à considérer les moyens terribles inventés par l’Église romaine pour tenir les âmes sous sa domination.

 

4.3.10    L’Inquisition

L’Inquisition était un tribunal ecclésiastique institué pour rechercher et punir les personnes coupables d’hérésie. Que faut-il entendre par ce mot ? Il signifie en réalité toute doctrine contraire à la parole de Dieu. Mais l’Église romaine appelle de ce nom ce qui est opposé à ses enseignements et à ses pratiques. Ainsi, si quelqu’un niait que le pape eût le pouvoir de pardonner les péchés, ou s’il ne croyait pas à la messe, ou, au purgatoire, ou s’il rejetait quelque autre des traditions de l’église, il était regardé comme un hérétique digne de châtiment.

Comment faut-il agir avec les hérétiques ? La parole de Dieu nous dit simplement qu’il faut les rejeter et n’avoir pas de communication avec eux (Tite 3:10 ; 2 Jean 10), et c’est ce que l’Église faisait au commencement. Mais quand elle se fut écartée de l’enseignement des Écritures, qu’elle y eut ajouté ses traditions et ses ordonnances, et qu’elle se fut érigée en dominatrice des consciences et des cœurs, elle en vint à dire qu’il fallait châtier les hérétiques qui ne voulaient pas renoncer à leurs erreurs, par la perte de leurs biens, par la prison, et enfin par le feu. Elle prétendait s’appuyer sur ce passage : « Contrains-les d’entrer ».

Déjà à la fin du 4° siècle, un nommé Priscillien, chef d’une secte qui portait son nom, fut mis à mort avec quelques-uns de ses disciples pour crime d’hérésie, par ordre de l’empereur Maxime (*). Son principal accusateur était un évêque du nom d’Ithacius. Ambroise de Milan et d’autres évêques jugèrent son action si indigne de sa charge, qu’il fut excommunié et mourut en exil. Ainsi à cette époque, sévir contre les hérétiques était désapprouvé par ce qu’il y avait de meilleur dans l’Église. Nous avons cependant vu, par exemple, dans l’histoire de Chrysostôme et d’autres, avec quelle rigueur on traitait ceux qui ne suivaient pas les opinions religieuses des empereurs.

 

(*) Priscillien était un véritable hérétique. Sa doctrine se rapprochait de celle des Manichéens ; mais ce n’était pas une raison pour le faire mourir.

 

Au 6° siècle, l’empereur Justinien édicta des pénalités contre les hérétiques, les Juifs et les apostats. Mais c’étaient des officiers civils qui poursuivaient les délinquants. Les cas d’hérésie étaient portés devant les tribunaux ordinaires. Plus tard les évêques furent investis du droit d’examiner ceux qui étaient accusés d’hérésie. S’ils ne renonçaient pas à leurs erreurs, vraies ou prétendues, ils étaient livrés au pouvoir civil pour être punis ; mais la poursuite des hérétiques ne se faisait pas d’une manière générale et l’on jugeait d’après les décisions des conciles.

Ce fut vers la fin du 12° siècle que des mesures rigoureuses et plus générales furent prises pour rechercher et punir ceux que l’Église de Rome appelait hérétiques, et ce fut à l’occasion de l’hérésie des Albigeois répandus en grand nombre dans le midi de la France et ailleurs. Nous en parlerons plus tard.

Le Saint-Siège, comme on appelle le siège épiscopal de Rome, sentait son autorité menacée par les progrès de cette hérésie. Aussi le pape Alexandre, en 1163, convoqua un concile à Tours. Voici une des décisions de cette assemblée : « À cause des hérésies existant à Toulouse et ailleurs, nous ordonnons aux évêques et à tous les prêtres du Seigneur demeurant dans ces lieux-là de veiller et sous peine d’anathème, de défendre que là où des partisans de ces hérésies sont connus, nul dans le pays n’ose leur donner asile, ni ne leur prête une aide quelconque. On ne doit avoir aucune relation avec ces personnes, ni pour vendre, ni pour acheter, afin que tout soulagement et toute marque d’humanité leur étant refusés, elles soient forcées d’abandonner l’erreur de leur vie. Et quiconque tentera de contrevenir à ce commandement, sera frappé d’anathème comme participant à leur iniquité. Quant aux hérétiques, s’ils sont pris, ils seront jetés en prison par les princes catholiques et privés de tous leurs biens ». Voilà comment parlaient les évêques de Jésus Christ chargés de paître les brebis ! Toute réunion, des hérétiques était strictement défendue. On remarquera que non seulement les hérétiques étaient punis par la prison, mais que leurs biens étaient confisqués. Une part allait aux princes, une autre à l’église, et cela devint, pour les hommes avides, un terrible stimulant à porter des accusations contre les personnes riches.

Le pape Innocent III (de 1198 à 1216) déploya le plus grand zèle pour extirper tout ce qui était tenu pour hérésie. Il convoqua, en 1215, le quatrième concile de Latran, où furent passés de nouveaux et rigoureux décrets contre ceux qui différaient, non seulement des conciles généraux, mais de l’Église de Rome. Les évêques devaient être les juges. Dans ce concile il fut décrété : « Les personnes notées seulement comme suspectes d’hérésie, à moins qu’elles n’aient pu se justifier elles-mêmes, seront frappées du glaive de l’anathème, et chacun devra les éviter. Si elles persistent pendant une année sous l’excommunication, elles seront condamnées comme hérétiques ». Ainsi se resserrait le filet destiné à prendre et à détruire les hérétiques. Bientôt le système prit sa forme définitive.

Au concile de Toulouse, en 1229, il fut décidé qu’une Inquisition permanente serait établie pour rechercher les hérétiques. Mais ce ne fut qu’en 1233, quand le pape Grégoire IX eut ôté aux évêques le pouvoir de punir ceux qui étaient coupables d’hérésie, et qu’il l’eut donné aux Dominicains, que l’Inquisition prit la forme d’un tribunal distinct. On le nomma le Saint-Office, et ses officiers furent appelés Inquisiteurs de la foi.

Avant d’aller plus loin, disons qui étaient les Dominicains. Un jeune prêtre espagnol, nommé Dominique de Guzman, né en 1170, se distinguait par son éloquence, sa piété, son ascétisme et son dévouement à la cause de l’Église romaine. En vue de la défendre contre les hérétiques, il fonda à Toulouse l’ordre des frères prêcheurs qui, d’après lui, furent nommés Dominicains. Bien que Dominique prétendît qu’il ne fallait employer contre les hérétiques d’autres armes que la prière, la persuasion et l’exemple, il accepta la charge d’inquisiteur, et comme tel persécuta les Albigeois avec la plus grande cruauté. Son emblème était un chien portant dans sa gueule une torche enflammée et brûlant le monde. Emblème frappant de ce qu’il fut car sa vie se passa à pourchasser les hérétiques et à les faire brûler. Il fut canonisé en 1234, et est ainsi un des saints que l’Église romaine invoque et prie ! L’apôtre Paul disait : « Je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu ». Dominique, lui, a passé sa vie à persécuter des chrétiens, et à cause de cela l’Église de Rome a fait de lui un saint, et a inscrit son nom comme tel dans le calendrier. Mais à moins qu’avant sa mort il ne se soit repenti de ses cruautés et n’ait imploré le pardon de Christ — ce que nous ignorons — son nom ne saurait être inscrit parmi les saints de Dieu. Les Dominicains sont vêtus d’une robe blanche avec un capuchon noir. Ils s’engagent par serment à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour défendre l’église et le pape et pour détruire l’hérésie. Le pape leur donna son approbation et les nomma « les vraies lumières du monde », tristes et terribles lumières que celles que projetaient les bûchers qu’ils allumèrent pour consumer de soi-disant hérétiques !

Bien que, dans toutes les contrées de l’Europe occidentale, le fanatisme des prêtres ait fait brûler par le pouvoir civil ceux qu’ils disaient hérétiques, l’établissement de l’Inquisition rencontra une forte opposition dans plusieurs États. C’est en Espagne et au Portugal, ainsi que dans les contrées qui étaient soumises à ces royaumes, que le terrible tribunal fut érigé d’une manière permanente et fonctionna avec une rigueur cruelle durant près de six cents ans, n’ayant été aboli qu’au commencement du 19° siècle.

Nous dirons maintenant quelques mots sur l’organisation du Saint-Office et sur la manière dont il procédait. Dans chaque contrée où l’Inquisition était établie, il y avait un Inquisiteur général. C’était toujours quelque haut dignitaire ecclésiastique qui dépendait du pape seul. Ni roi, ni prince, ni gouverneur n’avait autorité sur lui. Il nommait d’autres inquisiteurs pour chaque province où leur œuvre devait être poursuivie. Au-dessous de ceux-ci il y avait de nombreux officiers, tous prêtres et généralement de l’ordre des Dominicains. C’étaient des conseillers, des secrétaires, des consulteurs, outre les alguazils qui étaient chargés d’exécuter les ordres de l’inquisition, et les familiers ou serviteurs.

Toute personne attachée à l’Inquisition était liée par le serment le plus solennel à garder le secret sur ce qui se passait dans ses murailles. Tout témoin appelé devant les inquisiteurs, ainsi que tout prisonnier, devait prêter le même serment de ne jamais révéler ce qu’il y avait vu et entendu.

Partout où l’on soupçonnait qu’il y avait des personnes entachées d’hérésie, on envoyait des espions pour tâcher de les découvrir. On corrompait les serviteurs pour qu’ils déposassent contre leurs maîtres ; on s’efforçait d’engager les amis à trahir ceux qui avaient confiance en eux ; on encourageait même les enfants à dénoncer leurs parents au Saint-Office.

Tout garçon de 14 ans et toute fille de 12 ans devaient jurer devant le prêtre, non seulement qu’ils abjuraient toute doctrine contraire à l’Église de Rome, mais qu’ils feraient tout ce qui serait en leur pouvoir pour poursuivre et dénoncer ceux qu’ils sauraient tenir ces doctrines. Deux fois par an, on lisait dans toutes les églises un mandement ordonnant au peuple d’informer les inquisiteurs dans les six jours, des hérétiques qu’ils connaîtraient. Sinon ils pouvaient eux-mêmes être poursuivis comme tels.

Toute personne soupçonnée d’hérésie, qu’elle fût riche ou pauvre, de haute naissance ou simple paysan, prêtre ou laïque, pouvait s’attendre de jour ou de nuit à entendre la voix des alguazils : « Ouvrez, au nom du Saint-Office », et être sommée de comparaître devant le redoutable tribunal avec bien peu ou point d’espoir de revoir sa demeure et sa famille.

Tenter de s’échapper était inutile, car on n’épargnait aucun moyen de saisir les fugitifs, et les agents de l’Inquisition étaient partout ; d’ailleurs la fuite était considérée comme un aveu de culpabilité. Résister n’était pas moins impossible, car l’Inquisition avait en main toute la force armée du royaume, et qui aurait osé aider quelqu’un contre les serviteurs des inquisiteurs ? C’était s’exposer au même châtiment que l’hérétique lui-même

Lorsqu’un prisonnier était traduit devant le tribunal, on ne lui disait jamais de quoi il était accusé, mais on lui ordonnait de confesser ses opinions hérétiques, même s’il ne les avait jamais émises de vive voix à personne et les avait gardées dans ses pensées. Pour l’amener à cette confession, on employait toutes sortes de moyens et de ruses. Ordinairement les juges prétendaient savoir tout ce qui le concernait, mais ils lui disaient que, s’il avouait, on userait d’indulgence envers lui. Quelquefois même on lui promettait le pardon s’il disait tout, promesse rarement, si même jamais tenue. Mentir dans l’intérêt de l’Église n’est pas un péché pour les agents de Rome.

Si la persuasion ne réussissait pas, on employait la torture. Même si le prisonnier avait confessé sa foi, il y était souvent appliqué, afin que les souffrances lui fissent dénoncer ceux qui avaient les mêmes croyances que lui. Les tortures étaient affreuses, trop affreuses pour être décrites. Les membres étaient disloqués, les parties délicates du corps brûlées, etc. Les souffrances que les païens faisaient endurer aux chrétiens des premiers temps, ne dépassaient pas celles que le Saint-Office infligeait à ceux qui comparaissaient devant lui. Le supplice se prolongeait jusqu’à ce que l’on eût obtenu les aveux désirés, où jusqu’au moment où l’on craignait pour la vie de la victime. Combien de fidèles témoins de Christ, hommes et femmes, en Espagne et en d’autres contrées soumises à la cruelle Rome, ont enduré ces souffrances avec une constance héroïque pour l’amour du Seigneur et de la vérité ! « Ils n’ont pas aimé leur vie, même jusqu’à la mort » (Apocalypse 12:11).

Si la torture n’avait pas amené le prisonnier à faire des aveux, on employait la ruse pour en tirer de lui. On plaçait dans la même cellule une personne soi-disant accusée aussi du crime d’hérésie. Celle-ci parlait contre l’Église et l’Inquisition, et cherchait ainsi à obtenir de l’accusé quelque réponse à ses suggestions. On bien quelqu’un venait le voir sous prétexte de lui apporter des consolations. Il affirmait au prisonnier que s’il voulait s’ouvrir à lui, le secret serait bien gardé et qu’il userait de toute son influence pour le faire relâcher. Si le prisonnier ajoutait foi à ces paroles perfides, c’était son arrêt de mort. C’était toujours le même système de mensonge.

Lorsqu’on n’avait pas trouvé contre l’accusé des preuves suffisantes pour le condamner à la mort, ou s’il reconnaissait avoir tenu des doctrines contraires à l’Église de Rome, mais qu’il s’en repentait, il était quelquefois pardonné. Mais sur 2000, avoue un historien papiste, à peine un ou deux furent entièrement absous. Jamais le pardon n’était accordé à ceux que le Seigneur avait employés comme serviteurs de sa Parole. D’ailleurs le pardon ne libérait pas les pénitents, comme on nommait ceux qui se repentaient. Ils subissaient un châtiment plus ou moins rigoureux, plus ou moins prolongé. Ils étaient souvent enfermés pour la vie, soit dans les prisons de l’Inquisition, soit, pour les femmes, dans des couvents. Parfois on les plongeait dans des cachots où jamais la lumière ne pénétrait, ou bien tels que le prisonnier ne pouvait s’y tenir ni debout, ni assis, ni couché.

Quant à ceux contre lesquels deux témoins pouvaient affirmer qu’ils leur avaient entendu proférer des paroles hérétiques, ou ceux qui confessaient tenir des doctrines estimées telles et ne voulaient pas les rétracter, leur punition était la mort par le feu. Mais les inquisiteurs et leurs serviteurs ne prononçaient, ni n’exécutaient eux-mêmes la sentence. Non ; l’Église de Rome a horreur du sang, dit-elle, et défend à ses prêtres de le verser. Quand donc le Saint-Office avait jugé qu’un homme était digne de mort, elle le livrait au bras séculier, c’est-à-dire aux magistrats civils, en recommandant avec hypocrisie de le traiter avec douceur et de ne pas toucher à sa vie. Mais ce n’était qu’une manière de parler, et les magistrats le savaient bien. Ils n’ignoraient pas qu’épargner quelqu’un que l’Inquisition avait condamné, c’était se rendre suspects eux-mêmes, et s’exposer à la vengeance du terrible tribunal. Au contraire, s’ils faisaient brûler le condamné, ils gagnaient l’approbation des prêtres et obtenaient du pape le pardon de leurs péchés. Trois années d’indulgences étaient accordées à tous ceux qui assistaient au supplice des hérétiques.

L’Inquisition avait d’abord sévi en France contre les Albigeois. Elle agit ensuite en Espagne contre les Juifs et les Maures. Les Juifs étaient fort nombreux en Espagne et, sous la domination tolérante des Maures, avaient acquis de grandes richesses. Sous prétexte que les Juifs pervertissaient les chrétiens et qu’ils avaient profané les saintes hosties, mais en réalité, pour s’emparer de leurs biens, le roi Ferdinand ordonna qu’ils se fissent chrétiens ou qu’ils quittassent le royaume. Plusieurs aimèrent mieux s’en aller et abandonner leurs maisons et leurs biens plutôt que de professer une religion qui, pour eux, était une idolâtrie. D’autres consentirent à être baptisés, mais ils haïssaient une religion qu’ils n’avaient embrassée que par crainte, et en secret ils continuaient à pratiquer leurs anciens rites. C’est contre eux que l’Inquisition usa de son pouvoir pour les rechercher et les punir. Des milliers furent brûlés ou subirent d’autres châtiments, et le roi et les inquisiteurs se partagèrent leurs richesses.

Les Maures étaient des Arabes mahométans qui, au 8° siècle, avaient envahi la plus grande partie de l’Espagne et y avaient fondé un royaume florissant. On montre encore des ruines, vestiges de leur ancienne splendeur. Peu à peu, les princes chrétiens qui s’étaient réfugiés dans les montagnes des Asturies, au nord du pays, reconquirent les provinces occupées par les Maures, et les refoulèrent en Afrique. Enfin, Grenade, leur ville capitale, fut prise en 1492 par le roi Ferdinand et sa femme Isabelle, et leur domination prit entièrement fin. Leur dernier roi, Boabdil, alla vivre à Alpujarra dans la retraite. Il avait été stipulé qu’il pourrait demeurer en Espagne et que ceux de ses anciens sujets qui resteraient dans le pays y auraient le libre exercice de leur religion. Au commencement, les Maures furent traités avec douceur. Un évêque, nommé Fray Hernando de Talavera, qui était un vrai chrétien, eut à cœur leur conversion, et renonçant à une situation qui lui valait plus de richesses, il accepta d’être archevêque de Grenade. Il avait compris que le seul moyen d’amener les Maures au christianisme était de leur faire connaître Christ ; il se mit à l’œuvre dans ce but et traduisit pour eux la Bible en arabe. Par son esprit de douceur et sa vie irréprochable, il gagna l’affection des Maures qui l’écoutaient volontiers. Mais cette manière de répandre l’Évangile ne convenait pas aux autres évêques et aux conseillers du roi et de la reine. Fray Hernando dut leur céder et se retirer ; on l’accusa même d’hérésie, mais il fut absous par le pape.

Sous la pression des prêtres qui leur persuadèrent qu’il fallait purger le sol espagnol de tout ce qui n’était pas chrétien, le roi et la reine, malgré les traités, obligèrent l’ancien roi à quitter l’Espagne, et les Maures furent mis dans l’alternative d’être bannis ou de se faire baptiser. Des milliers furent expulsés, et d’autres milliers, gagnés par l’appât de riches récompenses, se laissèrent baptiser. Mais que valaient de semblables conversions ? Le nom de Christ n’en restait pas moins haï par ces soi-disant convertis qui gardaient en secret leurs anciennes coutumes religieuses. Le Saint-Office trouvait là de nombreuses occasions de sévir, quand on lui dénonçait ceux qui secrètement pratiquaient des rites musulmans, et les biens des condamnés revenaient encore au roi et aux inquisiteurs. Quel christianisme que le leur ! Le Seigneur Jésus avait dit à ses disciples : « Ne vous amassez pas de trésors sur la terre », et aussi : « Aimez vos ennemis ». Était-ce là ce que pratiquaient les membres du Saint-Office et ceux qui les assistaient ?

Mais, après les Juifs et les Maures, quand des âmes, lors de la Réformation, eurent été éclairées et converties au Seigneur par la parole de Dieu et les écrits des réformateurs, ce fut contre elles que l’Inquisition tourna tous ses efforts. En effet, c’était un danger mortel pour l’Église de Rome. Personne n’aurait songé à se faire Juif ou mahométan ; mais la parole de Dieu montrait les erreurs et les abus de l’Église de Rome, et, lorsqu’elle était saisie dans le cœur, elle séparait les âmes fidèles. C’est pourquoi l’Inquisition mit tout en œuvre, les prisons, le fer et le feu, pour étouffer la vérité, en accablant et détruisant ceux qui en étaient les témoins. Elle l’avait fait en des temps précédents et en d’autres contrées, chaque fois que la vérité avait éclairé des âmes et qu’elles l’avaient confessée ; mais c’est en Espagne et au Portugal que la persécution prit un caractère systématique. L’Inquisition n’a été abolie en Espagne que dans les premières années du 19° siècle, mais peut-on dire que l’esprit qui l’a inspirée a pris fin ? Dans le courant d’un siècle (le 16°), en Espagne seulement, sous six différents grands inquisiteurs, plus de 20000 personnes furent brûlées pour cause de religion, et plus de 225000 condamnées à différentes peines ! Et toutes ces cruautés accumulées s’accomplissaient au nom de Celui qui s’est donné Lui-même pour le salut des hommes, et qui disait à Jean et à Jacques demandant à faire descendre le feu du ciel sur des hommes qui ne recevaient pas leur Maître : « Vous ne savez de quel esprit vous êtes animés !».