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LES METS DÉLICATS DU ROI — Daniel 1
André Gibert
Les sous-titres ont été ajoutés par Bibliquest ; ME 1965 p. 141
Table des matières :
1 Des déportés qui ne se soumettent que partiellement
1.1 Une obéissance à Dieu seul
1.4 Assurance que Dieu n’oublie pas les siens
1.5 Confiance en la fidélité de Dieu
2 Résultats de la fidélité : un service leur est confié
3 Les caractères des témoins de Dieu — Actifs comme étrangers
4 La place des devoirs terrestres
5 La vie de Dieu se manifeste par le «reniement de l’impiété et des convoitises mondaines»
Daniel et ses compagnons avaient été amenés adolescents (littéralement : enfants) à Babylone. Ils auraient pu dire qu’ils portaient la peine de fautes dont ils n’étaient pas responsables. En eux s’exécutait la sentence prononcée à Ézéchias un siècle plus tôt (2 Rois 20:18), et ils subissaient la première atteinte des jugements dont Jérémie avait en vain averti le peuple et ses chefs depuis treize ans, c’est-à-dire au cours de leur jeune enfance.
Ils acceptent sans réagir la défaite et l’humiliation de leur nation. Ils reconnaissent l’autorité du roi qui l’a asservie, a pillé le temple, pris des captifs et des otages. Ils ne protestent pas quand on change leurs noms pour d’autres rappelant les faux dieux babyloniens. Ils vont s’adonner aux études nécessaires pour bien servir le monarque des nations.
Les sages de ce monde sont en droit de penser : Voilà de bons opportunistes ! Ces jeunes gens font bon marché de leur ascendance royale et de leur patrie ; ils vont rapidement se fondre parmi les Chaldéens, et ils font bien : Jérusalem et son temple sont loin, ni autel ni sacrifices ici, les vases sacrés servent au dieu de Nébucadnetsar ; tout est fini pour Israël et pour la loi, le meilleur parti est bien de profiter des dispositions favorables du roi et de se lier à sa fortune !
À la vérité, il y a un point sur lequel ils refusent ce que le roi leur a assigné. «Daniel arrêta dans son coeur qu’il ne se souillerait point par les mets délicats du roi et par le vin qu’il buvait» ; et ce n’est pas là une résolution secrète, à laquelle il tâchera de se conformer clandestinement, sans se compromettre : «il demanda au prince des eunuques de lui permettre de ne pas se souiller» (v. 8).
Mais, peut dire encore la sagesse humaine, c’est là un détail, auquel il ne semble pas que les autres transportés aient prêté attention ; peut-être une marque d’originalité, une habitude d’enfance, ou un dernier sursaut de sentiment national, sans portée !
Au contraire. Ce point est capital. Il révèle la vraie position morale de Daniel, que prennent aussi ses trois amis. Dieu la marque sans retard de son approbation : Il incline le coeur de ceux qui les régentent, et couronne de succès leur mise à l’épreuve. Si ces jeunes gens respectent la lettre de la loi dans laquelle ils ont été instruits à Jérusalem, ce n’est pas pour eux simple forme. La détermination «arrêtée dans leur coeur» engage leur vie dans ses ressorts profonds, comme ils le prouveront de façon insigne plus tard (ch. 3, ch. 6).
Leur décision démontre, en premier lieu, qu’ils reconnaissent une autorité supérieure à celle du roi de Babylone et de ses dieux. Le prince des eunuques «craint le roi, son seigneur» (v. 10), mais eux craignent Celui que Daniel appellera peu après, devant ce roi même, «le Dieu des cieux» (2:28, 44, 45). Il n’y en a qu’un. «Je suis l’Éternel... Tu n’auras point d’autres dieux» (Ex. 20:2, 3). Les trois Hébreux ne se prosterneront pas devant la statue d’or, et Daniel devenu vieillard priera toujours fenêtres ouvertes du côté de Jérusalem malgré l’ordre de ne présenter aucune prière sinon au roi. Ce Dieu seul doit être craint et honoré : «Tu craindras 1’Éternel ton Dieu et tu le serviras» (Deut. 6:13). Sa Parole doit être obéie par ceux qui lui appartiennent.
Le Dieu qu’ils craignent est un Dieu saint. Il ne tolère pas la souillure. Il ne veut pas que ses serviteurs portent à leur bouche ce qui a été consacré aux idoles. Il ne veut pas non plus qu’ils transgressent les ordres donnés dans sa loi pour distinguer entre nourritures pures et nourritures impures. «Vous serez saints car moi je suis saint», a-t-il dit précisément en rapport avec ces distinctions alimentaires (Lév. 11:44, 45).
Leur obéissance est celle de la foi. Elle n’a rien de servile : la foi se plaît à faire ce qui plaît à Dieu. Ainsi fera l’Homme parfait, disant : «Ma viande est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé» (Jean 4:34) ; «c’est mes délices, ô mon Dieu, de faire ce qui est ton bon plaisir» (Ps. 40:8). Et les fidèles du Résidu souffrant, dont ces exilés à Babylone sont un type, diront : «J’aime ta loi... je trouverai mes délices en tes commandements que j’ai aimés» (Ps. 119, particulièrement 97, 113, 47). Les inclinations de la nature ne comptent pas : Daniel refuse une nourriture agréable à la nature. Celle-ci l’accepterait avec reconnaissance ; les mets délicats du roi, quelle faveur, quel avantage inespéré pour des captifs ! Mais que sont ces avantages, auprès des délices qu’il y a à faire la volonté de Dieu ?
D’autre part, pour agir de la sorte il fallait que ces jeunes gens fussent convaincus que Dieu n’oubliait pas son peuple, même s’Il le frappait et cachait sa face de lui. L’asservissement aux nations ne durerait pas à toujours, la captivité à Babylone prendrait fin. Avaient-ils connaissance de la prophétie de Jérémie, prononcée cette année même de leur exil, sur les soixante-dix ans de cette captivité, rien ne l’assure, et ce n’est que soixante-neuf ans plus tard que Daniel devait la «comprendre par les livres» (Jér. 25:1, 11 ; Dan. 9:1, 2). Du moins connaissaient-ils les livres de Moise, et Osée, Amos, Ésaïe, Michée, soit les promesses anciennes et récentes. Ils avaient conscience que se soumettre à Nébucadnetsar dans les choses temporelles c’était se soumettre à Dieu qui faisait peser sa main sur son peuple coupable. Mais il y aurait délivrance. Le même Résidu qui trouve ses délices dans la loi de Dieu dit et redit : «Jusques à quand ?» — ce qui est le soupir de la foi (*).
(*) Ésaïe 6:11 ; Psaumes 6:3 ; 13:1, 2 ; 74:10 ; 80:4 ; 99:46 ; 90:13 ; 94:3, 4 ; Hab. 1:2.
En définitive, leur attitude se fonde sur leur foi en Celui qui a parlé, un Dieu fidèle (Deut. 32:4). La Parole de leur Dieu est immuable comme Lui, qui est le Même. L’Écriture ne peut être anéantie. Elle a la même valeur bien que le peuple de l’Éternel l’ait méconnue, qu’il se soit éloigné de Lui, et se trouve pour un temps rejeté. La loi est aussi imprescriptible que lorsque Moïse l’a donnée. Et par-dessus tout l’Éternel ne peut manquer à ce qu’Il a promis aux pères. La foi de ces jeunes témoins rejoint les fidèles qui dans tous les temps se sont tournés vers l’objet de la promesse, «Celui duquel Moise a écrit dans la loi et duquel les prophètes ont écrit» (Jean 1:46), le Messie libérateur.
Ne s’étant pas souillés, ayant refusé la plus séduisante des nourritures de Babylone, ces jeunes Hébreux sont préparés à «servir au conseil de Dieu». Ils le feront à la place où Dieu les a mis, comme serviteurs consciencieux de cette monarchie des nations établie par Lui, mais en témoignant des droits de Dieu de façon à les faire reconnaître au moment voulu (Dan. 2:47 ; 3:28 ; 4:37 ; 6:25-27). Ils reçoivent de Dieu la sagesse et l’intelligence propres à remplir mieux que leurs collègues leurs devoirs envers le roi ; mais ils reçoivent, et eux seuls, l’intelligence des «choses profondes et secrètes», les secrets que révèle le Dieu des cieux (2:22, 28). Ils n’auraient pas eu cette intelligence s’ils s’étaient associés à l’impureté, c’était là la première des choses ; mais ensuite ils ont persévéré dans leur foi, dont leur ferveur dans la prière est l’expression (2:18). «Le secret de l’Éternel est pour ceux qui le craignent» (Ps. 25:14).
Ainsi Daniel et ses compagnons ont-ils gardé leur caractère d’étrangers à Babylone de façon à y être valablement présents et agissants. C’est parce qu’ils étaient des témoins de Dieu qu’ils pouvaient «chercher la paix de la ville où ils avaient été transportés» (Jér. 29:7).
Il est peu de leçons plus utiles pour nous. Non que notre situation soit en tout identique à la leur. Vis-à-vis de Dieu, ils obéissaient comme Juifs sous la loi ; or Christ nous a placés dans la liberté. Vis-à-vis du monde nous sommes étrangers, mais non point parce que l’Église est asservie comme l’était le peuple juif : au contraire, parce qu’elle ne saurait l’être. Elle est céleste, et notre droit de cité est dans les cieux. Nous portons ici-bas le nom d’un souverain rejeté par le monde mais qui, bien loin d’être vaincu, est glorifié dans le ciel et va régner sur la terre. Nous n’avons pas à suspendre nos harpes aux saules de Babylone et à refuser de chanter des cantiques de Sion sur une terre étrangère (Ps. 137) : dès ici-bas l’hymne commence, celui que nous chanterons au ciel.
Il est vrai que notre manque de fidélité — celui de la chrétienté dans son ensemble comme celui des différents témoignages que le Seigneur s’est suscités au cours de l’histoire de l’Église — a attiré le jugement sur la maison de Dieu. Cette chrétienté, dont nous faisons partie, a fait du christianisme une religion de ce monde et elle a façonné elle-même le joug profane qui pèse sur elle, malgré ses prétentions. Mais même les portes du hadès ne peuvent prévaloir contre «mon assemblée», a dit Jésus.
Il est également vrai que nous sommes dans les «temps des nations» (Luc 21:24), qui vont de Nébucadnetsar à l’avènement de Christ, mais ni notre condition ni notre espérance ne sont celles d’Israël assujetti. La période de l’Église forme parenthèse dans le cours de ces temps : Christ avec qui notre vie est cachée en Dieu (Col. 3:3) attend l’heure où ses ennemis seront mis sous ses pieds, nous serons manifestés avec Lui en gloire, et pour cela Il nous aura préalablement pris à Lui. Jusque là Satan, bien que vaincu à la croix, domine sur ce monde, en usurpateur.
Tout cela donne à notre position d’étrangers ses traits propres. C’est comme témoins de Celui que Dieu a fait Seigneur et Christ que nous sommes dans un monde voué à un jugement proche dont la destruction de Babylone n’a été qu’une pâle image. Nous avons à y montrer de la soumission aux autorités ordonnées de Dieu et responsables devant Lui, à y travailler pour le bien et la paix, ayant à coeur le bien des âmes et en priant pour ces autorités. Dieu donnera à qui se confie en Lui la sagesse, les capacités, l’énergie pour accomplir la tâche qu’Il lui assigne ici-bas.
Mais il n’en sera vraiment ainsi que si nous avons «arrêté dans nos coeurs de ne pas nous souiller par les mets délicats du roi et par le vin qu’il boit».
Ce sont «les choses qui sont dans le monde», marquées du sceau de son chef qui les dispense, et qui est Satan. Elles répondent aux convoitises du coeur, et nourrissent la chair. Les discerner et les rejeter apparaît peut-être plus difficile à mesure que gagne l’esprit des derniers jours ; disons que cela exige plus que jamais des coeurs pris par les affections célestes, et des consciences délicates.
Comment ne pas penser tout particulièrement aux jeunes chrétiens qui, semblables à Daniel et ses amis, en sont à leurs premiers contacts personnels avec ce monde ? Il leur faut s’instruire pour exercer une profession ; on ne peut pas plus laisser l’esprit en friche que le corps sans exercice et les mains sans éducation : ce serait faire délibérément des incapables, encourager l’inaptitude, et la superstition. Ce qui importe, c’est que tout puisse être reçu comme venant de Dieu, avec actions de grâces, et en vue de servir Dieu quoi que l’on soit appelé à faire. «Dieu donna à ces jeunes gens, aux quatre, de la science et de l’instruction dans toutes les lettres et dans toute la sagesse» des Chaldéens (v. 17), en même temps qu’Il préparait Daniel aux révélations d’en haut.
Les devoirs terrestres, qu’ils soient familiaux, professionnels ou civiques, offrent continuellement au croyant l’occasion d’honorer son Maître, s’il les accomplit avec Lui, pour Lui, en rendant grâces et en priant. Il en est ainsi déjà quand il s’y forme par l’apprentissage, les études, les lectures, etc., et ensuite quand le travail le mêle toujours davantage aux inconvertis. Il en est ainsi aussi pour les délassements indispensables. Mais dans ces divers domaines tout ce qui ne peut se faire en communion avec le Seigneur, «sanctifiant dans son coeur le Seigneur le Christ» en lui donnant la place qui lui est due, est par là même condamné comme «souillure».
Combien plus tout ce qui occupe une si large part, sinon la totalité, de la vie de ce monde, à la recherche du plaisir, de la richesse, du prestige ou au moins de la considération ! Le nom de Dieu peut s’y trouver associé, mais que de fois pris audacieusement en vain ! Le chrétien pieux n’a pas là sa place, et un croyant ne peut jamais s’y trouver à l’aise, même s’il bâillonne sa conscience. La Parole est formelle dans son énergique concision : «Nous savons que nous sommes de Dieu, et que le monde entier gît dans le méchant» (1 Jean 5:19).
Pour ce sain jugement des choses, nous avons les ressources de cette Parole, lampe à notre pied, et de la prière qui nous met en présence de Dieu. Elles sont efficaces par l’Esprit, en dehors duquel on tombe vite dans la routine formaliste. Il vivifie, alors que la lettre tue. Il serait insensé de contraindre quelqu’un qui n’a pas la vie de s’abstenir des choses du monde ; mais si la vie existe elle doit se manifester par le «reniement de l’impiété et des convoitises mondaines» (Tite 2:12). N’oublions pas cependant que les enfants de chrétiens sont dans une situation spéciale et que leurs parents ont la responsabilité de «les élever dans la discipline et sous les avertissements du Seigneur».
Il n’est évidemment plus question pour nous de distinguer entre aliments matériels (Col. 2:21, 22 ; Rom. 14:14 ; 1 Cor. 10:25). Nous ne sommes plus sous la loi. Mais Christ est mort «afin que la juste exigence de la loi fût accomplie en nous qui ne marchons pas selon la chair mais selon l’Esprit» (Rom. 8:4). Ce qui plaît à la chair attriste l’Esprit ; elle convoite contre Lui et Lui contre elle. La nourriture spirituelle, savoir Christ lui-même (Jean 6), est méprisable pour le vieil homme, elle qui fait les délices du nouveau, qu’il s’agisse de la manne (Christ homme ici-bas), de la Pâque (Christ dans sa mort), du vieux blé du pays (Christ dans le ciel). Elle est la vie du chrétien : puisse-t-il montrer à tous quelle santé elle donne à l’âme. Au contraire, les mets délicats du roi lui répugnent, quels qu’ils soient.
L’hypocrisie du monde admettra qu’il y a des plaisirs qui dégradent, quitte, en prêtant un faux éclat à la «convoitise de la chair», à proposer ces plaisirs grossiers avec impudeur aux foules auxquelles ils «ôtent le sens» (Osée 4:11). On sait à quel point cela est poussé à notre époque, et quels profits se tirent de l’exploitation d’une littérature et de spectacles immoraux, introduits et diffusés partout au sein des foyers.
Mais le monde offrira plus volontiers au chrétien comme tel des nourritures terrestres réputées plus hautes. Il en a pour tous les goûts. Les sens, l’imagination, les sentiments, l’intelligence, sont sollicités tour à tour. La «culture» se pare de toutes les vertus ; on fait miroiter l’évasion que procure l’art sous ses mille formes, les enivrements de la pensée, le vertige de la science, la puissance de la technique, l’exaltation de l’action politique, et que de choses encore ! Les mets sont délicats, le vin est capiteux. En réalité il s’agit toujours de se plaire à soi-même, de surpasser les autres et de se dépasser. Flatté, cultivé, mais tourné vers «les vanités mensongères» (Jonas 2:9), le vieil homme a l’illusion de s’élever, mais c’est toujours le péché d’Adam : «regarder comme un objet à ravir d’être égal à Dieu». Et en même temps il s’efforce de se cacher sa nudité et de s’étourdir pour ne penser ni à la souffrance ni à la mort ni à l’au-delà, et être heureux sans Dieu : car depuis la chute la voix de la conscience accompagne l’écho prolongé du : «Vous serez comme Dieu». Les «mets délicats du roi» sont offerts par le même tentateur qui vantait les mérites du fruit défendu et insinuait : «Quoi, Dieu a dit ?»
Oui, Dieu a dit. Il dit toujours. Il dit que «tout ce qui est dans le monde, la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, l’orgueil de la vie, n’est pas du Père». Les enfants du Père veulent-ils l’écouter, ou écouter le «serpent ancien» ?
Certains ont l’illusion de plier peu à peu le monde à la pensée de Dieu. Cela ne nous appartient pas ; il faudra, pour une soumission au moins apparente, la verge de fer du pasteur des nations. Mais ce qui nous appartient c’est de faire une réalité pratique du fait que «nous sommes à Christ, et Christ à Dieu». Se nourrir de l’aliment méprisé, refuser les mets tenus pour royaux, est le secret pour acquérir la capacité de vivre ici-bas en tant que sel de la terre et lumière du monde. La frontière avec ce monde sera toujours «la croix de notre Seigneur Jésus Christ, par laquelle le monde m’est crucifié, et moi au monde» (Galates 6:14). Elle se trace dans le coeur, selon la place que Christ y tient.