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ABRAHAM
par André GIBERT
Table des matières :
1.1 Première période — «Étranger et Forain sur la terre» — Genèse 12 à 14
1.2 Deuxième période — «En attendant l’Héritier» — Genèse 15 à 21
1.2.1 La foi comptée à justice
1.2.3 Père d’une multitude et père de circoncision
1.2.4 «Je te donnerai d’elle un fils». Les rires
1.2.5 «Il commandera à ses fils»
1.3 Troisième période — Par-delà la mort — Genèse 22 et 25:11
1.3.1 «Parce que tu as fait cette chose-là»
1.3.2 «Donnez-moi la possession d’un sépulcre»
3 ABRAM et la Promesse — Genèse 15:1-6
ME 1970 p. 29 57 85
L’Écriture relate la vie d’Abraham pendant les cent ans qui vont de son départ de Charan à sa mort. Cette histoire doit son unité à la foi du patriarche. Il est «le croyant Abraham», avec qui «sont bénis ceux qui sont sur le principe de la foi» (Gal. 3:9), et il est «le père de tous ceux qui croient» (Rom. 4:11). Sa carrière est jalonnée par les oeuvres de cette foi, qui a eu des hauts et des bas, mais qui a été progressivement enseignée de Dieu. Abraham en effet, et c’est là sa grande caractéristique, écoutait chaque fois que Dieu lui parlait, et il obéissait à ce qu’il avait entendu. Il en résultait que chaque révélation posait la base d’une révélation ultérieure plus étendue : Dieu fait jouir l’âme d’une vérité nouvelle lorsque la vérité précédente a été mise en pratique, et la vie d’un croyant est manquée dans une plus ou moins grande mesure quand elle ne comporte pas de semblable progrès. Abraham a progressé, jusqu’à entrer dans les desseins de Dieu bien au-delà de ce qui le concernait personnellement : il a été traité en confident, en ami de Dieu (2 Chron. 20:7 ; És. 41:8 ; Jacques 2:23). Enfin, telle était la nature de ses rapports avec Dieu qu’il Lui parlait avec une sainte révérence mais avec une hardiesse et une liberté qui nous frappent d’admiration.
On peut distinguer dans cette vie de foi trois périodes, séparées l’une de l’autre dans le récit de la Genèse par l’expression «Après ces choses», que nous trouvons au début du chapitre 15 et du chapitre 22.
La position d’Abram comme étranger dans ce monde parce qu’il adore l’Éternel est nettement établie dans cette première phase. Elle s’affirme par rapport aux aspects différents que prend ce monde, et ainsi se trouvent illustrés de façon vécue des principes permanents, valables aujourd’hui comme dans tous les temps depuis la chute.
En effet le monde, c’est-à-dire l’humanité s’organisant ici-bas selon ses propres desseins, dans la méconnaissance de la révélation de Dieu, peut bien changer de figure, il reste fondamentalement le même. Abram a eu affaire à plusieurs de ses formes : la Chaldée (Ur) dont la civilisation était poussée dans tous les domaines, l’Égypte plus développée encore, Sodome et Canaan avec leur immoralité effroyable quoique inégalement mûrie (comp. Gen. 13:13 et 15:16) ; mais partout il rencontrait le même éloignement du vrai Dieu, l’idolâtrie, l’orgueil, la satisfaction des convoitises tant grossières que subtiles, la corruption et la violence. Rien n’a changé de ce fonds moral. De Caïn à la tour de Babel et de Babel à nos jours, c’est toujours le même monde, et l’état présent, dont l’homme s’enorgueillit et s’effraie à la fois, ne doit pas faire illusion. Primitif ou orné, refréné ou déchaîné, démoniaque Légion ou pharisien hypocrite, l’homme demeure le même. La floraison des civilisations successives, si elle témoigne des immenses possibilités de l’esprit humain, reflet de son Créateur, démontre aussi combien il s’est éloigné de Lui.
Mais Dieu a changé moins encore, que ce soit dans ses desseins ou dans sa puissance, ou dans sa patience qui fait place en temps voulu au jugement, ou dans sa grâce toujours prête envers qui se repent. Il est le Même.
Et pareillement la foi a toujours le même caractère : elle détourne son regard du monde et le porte vers Dieu, qu’elle écoute et honore.
C’est pourquoi Abram, après avoir quitté son pays d’origine, n’en reprend plus le chemin, il ne s’en souvient plus, montrant clairement qu’il recherche une patrie meilleure (Héb. 11:14-16). Il est vrai qu’il recourt fâcheusement à l’Égypte lors de la famine, mais il n’y retournera plus quand la grâce l’en aura fait remonter. Il n’a jamais voulu de Sodome, et, à l’égard de Canaan, terre de la promesse où dominait alors l’Amoréen, il y vit en étranger, attendant que Dieu le mette en possession du pays, après avoir jugé l’iniquité de ce peuple. Autant de preuves claires que ses regards se portaient plus loin et plus haut que les choses visibles.
Il en était ainsi parce qu’Abram était en relation personnelle avec Dieu. C’est ce qu’expriment ses autels. Il nous est montré en bâtissant successivement trois pendant cette période de sa vie.
Le premier est celui de Sichem, élevé «à l’Éternel qui lui était apparu» (12:7). Le Dieu de gloire lui était apparu une première fois, à Ur de Chaldée (Actes 7:2) : là Abram avait été appelé, et il avait répondu à l’appel. Il ne nous est pas dit si d’autres avaient été appelés et avaient refusé d’obéir ; la Genèse ne mentionne pas non plus l’idolâtrie de ce pays et de la parenté d’ Abram, cela ne sera révélé qu’en Josué 24:2. Le fait capital était l’obéissance personnelle. L’appel, l’élection, la préconnaissance, sont l’affaire de Dieu : la nôtre est d’écouter quand Dieu parle.
La foi d’Abram le fait sortir du pays ; elle est encore timide, il laisse son père Térakh diriger les choses, «prendre Abram», (Gen. 11:31) et le reste de la famille pour sortir d’Ur. Aussi l’exode s’arrête-t-il à Charan. Nos relations naturelles, bonnes à leur place, et que Dieu sanctifie chez le croyant, contrarient l’obéissance de la foi si la «vertu» manque. Mais Dieu affranchit Abram de cette sujétion, et, Térakh mort, il fait entrer Abram dans le pays qu’il lui montre, et le fait passer au travers, malgré le Cananéen qui l’habite. Là Dieu lui apparaît de nouveau, et ajoute à la première révélation qu’Abram avait eue — savoir qu’il serait béni dans une postérité glorieuse bien que Sara fût stérile (11:30) et qu’en lui seraient bénies toutes les familles de la terre (12:2 et 3) — une révélation nouvelle promettant le pays à cette postérité (v. 7). Ce n’est plus seulement «le pays que je te montrerai», mais le pays que «je donnerai à ta semence».
C’est alors qu’Abram adore. Il bâtit son premier autel, l’autel de l’homme qui a répondu à l’appel. Le culte de l’Éternel est instauré dans ce pays d’iniquité, quelqu’un s’y trouve dont la vie est dirigée par Dieu et sa parole. Il ne possède que cette parole, il est étranger dans le pays qu’elle lui promet, mais il l’est parce que Dieu lui est apparu. Un caractère céleste est imprimé sur lui. Le culte en découle tout naturellement.
Le deuxième autel est celui de Béthel (v. 8) — entre Béthel et Aï. Cet étranger est voyageur, il ne se fixe que là où Dieu l’envoie. Il reste adorateur, il transporte sa tente, mais bâtit l’autel, «invoque le nom de l’Éternel». C’est l’autel de l’homme qui dépend d’un Dieu connu par nom, révélé dans une relation particulière avec le croyant, et invoqué selon le nom sous lequel Il s’est fait connaître.
C’est cet autel qu’il retrouve, ce même nom qu’il invoque quand il revient d’Égypte après une expérience douloureuse, humiliante, finalement salutaire par la grâce de Dieu. L’heureuse progression dans la jouissance des choses divines avait été interrompue. Remarquons toutefois qu’Abram n’avait pas renié ces choses, si grave qu’eût été sa défaillance. Il n’était pas revenu à la patrie oubliée, et nous ne pourrions pas dire que c’est par amour du monde qu’il était allé en Égypte : il l’avait fait sous la pression des circonstances, par crainte de manquer de pain. Il avait pensé que I’Égypte, pays supérieurement organisé, matériellement prospère, lui donnerait la sécurité. Ainsi le coeur inquiet croit-il trouver des ressources pour la vie présente dans ce que le monde offre de meilleur, sans pour cela l’aimer vraiment. C’est peut-être de nos jours la plus courante des actions du monde sur les croyants. On oublie que de Dieu descendent toute grâce excellente et tout don parfait. On dissimule sa qualité de chrétien, par crainte, et les conséquences funestes ne tardent pas : comme Abram sans autel, privé de son épouse, on perd la communion avec Dieu aussi bien que la douceur des relations propres à l’Église. Des richesses abondantes payèrent à Abram le déshonneur de son épouse : qui dira combien de fois la prospérité matérielle de croyants a été payée de l’opprobre jeté par leur faute sur l’assemblée et sur le nom de Christ ! Le sel perd sa saveur, au préjudice non seulement de nous-même mais de ceux auxquels nous avons charge d’apporter la parole de vie.
Qu’en serait-il de nous si Dieu, dans ses compassions et sa fidélité, ne nous contraignait comme Abram à «remonter d’Égypte» ? Il est renvoyé ignominieusement, mais quelle grâce pour lui ! Il renoue le fil rompu des bénédictions, s’en va, «en ses traites, du midi jusqu’à Béthel, jusqu’au lieu où était sa tente au commencement... au lieu où était l’autel qu’il y avait fait auparavant» (13:3, 4). Il se remet sous la dépendance divine, doublée maintenant d’une confiance en l’Éternel que son amère expérience lui a apprise. Il aura à connaître la triste saveur des fruits rapportés de ce pays (voir Gen. 13:2, 5, 6 ; 16:1), mais il n’en prendra plus le chemin. Ses yeux sont dessillés.
La preuve en est donnée peu après. Même les apparences de l’Égypte (13:10) sont sans pouvoir sur l’esprit d’ Abram quand il s’agit de choisir la portion de Canaan où il aura à vivre et le mode de vie qu’il y mènera. Lot, quoique «juste» (2 Pierre. 2:7) est remonté d’Égypte avec des convoitises, peut-être des regrets : c’est le croyant qui aime le monde. Abram laisse l’Éternel choisir pour lui. Aussi est-il appelé à jouir de relations nouvelles et reçoit-il une nouvelle provision de promesses, dans une troisième révélation (13:14-17). L’Éternel lui assure une semence «comme la poussière de la terre» ; elle possèdera «pour toujours» un pays où lui-même, plus que jamais nomade étranger, peut se promener en souverain par la foi : «Lève-toi, promène-toi dans le pays en long et en large, car je te le donnerai». Il peut regarder «vers le nord, et vers le midi, et vers l’orient, et vers l’occident», poursuivre une marche de foi et d’espérance vers des horizons qui reculent jusqu’à l’infini. Il est l’homme pour qui l’Éternel seul compte, l’homme séparé du monde que Dieu invite à voir par-delà les choses visibles les réalités invisibles et éternelles, l’homme enfin qui peut «bâtir un autel à l’Éternel». Ce troisième autel est celui de Mamré, l’autel de l’adorateur sevré du monde, de l’homme qui «lève les yeux».
Alors que Lot, croyant charnel devenu croyant mondain, est englobé dans les conflits de ce monde qu’il a aimé, et dont il est victime, Abram, qui leur est étranger, et qui vit en paix avec ses voisins, peut intervenir pour le délivrer. Victorieux, et «béni de par le Dieu Très-haut, possesseur des cieux et de la terre» vers qui remonte toute louange, il est heureux de reconnaître le Roi et Sacrificateur de ce Dieu Très-haut, Melchisédec, prince de justice et de paix, et de jouir de son intercession, dans une communion ineffable. Nul autel ici, nulle victime, mais la présence de Dieu même, tel qu’il sera un jour manifesté en Christ. Le sacrificateur pour l’éternité offre ; il donne à Abram le pain et le vin, le bénit, «et Abram lui donna la dîme de tout». «Ce qui vient de ta main, nous te le donnons» (1 Chron. 29:14). Que sont toutes les grandeurs terrestres auprès d’une telle position ? Le temps n’est plus où le patriarche se laissait enrichir, à sa honte, par le Pharaon : il ne sera pas dit, maintenant, que le roi de Sodome, son obligé, ait enrichi Abram ! Celui-ci use en toute équité des biens matériels en faveur de ses alliés, mais pour lui, il est «béni» d’en haut. En attendant la réalité de ce qui est ici en figure, savoir la bénédiction future, à la gloire de Dieu, que comportait la première expression de la promesse (ch. 12:3), Abram montre solidement établie sa position comme étranger ici-bas, conséquence du fait qu’il appartient à la maison de Dieu, selon une vocation céleste (Héb. 11:10). Il n’y aura plus à revenir là-dessus dans la suite de son histoire. Puissent notre appel et notre élection être aussi visiblement affermis (2 Pierre 1:10) !
«Après ces choses». Désormais notre attention n’est plus autant portée sur cette position d’étranger. Celle-ci bien établie et démontrée, l’Éternel donne à la foi d’Abram un objet qui est au centre de Ses propres desseins : l’héritier des promesses.
Il avait bien été question de la postérité (ou semence) d’Abram dans les trois promesses successives rapportées aux chapitres 12:2, 7, et 13:16. Mais il va s’agir maintenant, de façon plus précise, de la personne même en qui, sera-t-il dit au patriarche, «te sera appelée une semence». Ce sera son fils, né de son épouse Saraï, celle qui «était stérile et n’avait pas d’enfants» (11:30). Ce fils ne sera donné que lorsqu’il pourra être dit, non seulement d’Abram (Abraham) qu’il a «cru l’Éternel», mais de Saraï (Sara) qu’elle a «estimé fidèle Celui qui avait promis» (Gen. 15:6 ; Héb. 11:11).
Ce don de l’héritier est le thème essentiel, mais non pas exclusif, des chapitres 15-21.
Comme toujours, l’initiative est de Dieu. «Je suis ton bouclier et ta très grande récompense», dit-il à Abram après les événements du ch. 14 où avaient brillé sa foi et son désintéressement. Mais si grand et précieux que cela soit, Abram attend de Dieu quelque chose de plus, un objet pour son coeur, une descendance pour posséder l’héritage. Il se mêle de l’amertume, sinon un reproche, à la hardiesse de la foi, dans la question par laquelle il accueille cette nouvelle révélation. «Seigneur Éternel, dit-il, que me donneras-tu ? Je m’en vais sans enfants... Voici, tu ne m’as pas donné de postérité...» Et cependant Dieu avait promis : «Je te ferai devenir une grande nation... ta semence sera comme la poussière de la terre». Abram, sans mettre ces paroles en doute, bien au contraire, sentait le besoin d’entrer davantage dans le propos de Dieu, et d’avoir ses affections tournées vers ce que Lui-même avait en vue en promettant une semence au patriarche.
L’Éternel répond par une quatrième expression de la promesse, en précisant : «Celui qui sortira de tes entrailles, lui, sera ton héritier», — un fils, ton fils, non point Éliézer de Damas — et ta semence sera comme les étoiles. «Compte les étoiles, si tu peux les compter». (15:4, 5). «Abram crut Dieu». Pour la première fois l’Écriture déclare formellement qu’un homme crut Dieu. Foi exemplaire, plus d’une fois rappelée comme telle (Romains 4:3 ; Jacq. 2:23). Foi justifiante, «comptée à justice». Foi insistante, exigeante (v. 8), tant elle a besoin que ne subsiste pas le moindre motif de douter, et à laquelle Dieu répond avec condescendance et majesté : Abram demandant un signe, Il lui signifie une alliance inconditionnelle, et Il s’engage Lui-même, et seul, en passant entre les pièces des animaux du sacrifice, alors que tombe sur Abram une profonde frayeur. Foi enseignée de Dieu : Abram est averti que cette postérité devra connaître la souffrance, mais que la gloire suivra : rien ne peut porter atteinte à la certitude de l’avenir de bénédiction promis.
Si la foi d’Abram a ainsi brillé dans ce ch. 15, on la voit au chapitre suivant faiblir devant la voix de Saraï impatiente et incrédule. Dix ans ont passé, la vieillesse est là pour son mari, et son sein à elle est mort. Elle veut à tout prix «se bâtir une maison» pour elle-même (16:2), elle ne veut pas être mise de côté et elle cherche à pourvoir par elle-même à son incapacité naturelle. Le moyen qu’elle imagine est d’autant plus fâcheux qu’il remet en scène l’Égypte et son opprobre dans la personne d’Agar. Ainsi, conjointement la chair et le monde opèrent pour une oeuvre non point de foi mais d’incrédulité, et Abram devra apprendre encore une leçon humiliante, qui nous est rapportée pour notre propre enseignement.
Après l’incrédulité, d’autres fruits de la chair se montrent en Saraï, la jalousie, l’orgueil blessé, puis la dureté et la cruauté. Abram obéit passivement... Mais voici que l’Éternel intervient, ramène Agar, dont l’enfant naît. Cet Ismaël serait-il donc le fils de la promesse, comme Saraï, dans son inconséquence, avait paru le craindre après l’avoir désiré ? Telle n’est pas, certes, la pensée de Dieu. Il va conduire Abram à ne rechercher que cette pensée si différente des pensées humaines (És. 55:8, 9). Combien souvent nous errons dans les choses divines elles-mêmes faute de discerner ce que Dieu a dit de son grand objet à Lui — la vraie et seule semence, «qui est Christ» ! (Galates 3:16)
De nouveau, treize ans plus tard, la grâce de Dieu prend l’initiative. Une autre vision est donnée à Abram. «Je suis le Dieu tout-puissant», lui est-il dit. Je te fais connaître non plus ce que je suis en ta faveur, ton bouclier, ta très grande récompense, mais ce que je suis en moi-même ; marche devant ma face, en raison de cette connaissance de moi, et que toute ta conduite soit en rapport avec une telle révélation. Abram écoute, il n’a rien à dire, rien à demander, rien à offrir : il «tomba sur sa face, et Dieu parla avec lui» (17:3). Une alliance renouvelée, plus circonstanciée qu’en Gen. 15:18, accompagne cette relation ignorée jusque-là. Elle scelle un élargissement de la promesse, de fait une cinquième promesse, et elle est marquée par un changement de nom, le «père élevé» devenant le «père d’une multitude» : «Tu seras père d’une multitude de nations... Et j’établirai mon alliance entre moi et toi et ta semence après toi, ... afin que je sois ton Dieu, à toi et à ta semence après toi. Et je te donne, et à ta semence après toi, le pays de ton séjournement, tout le pays de Canaan, en possession perpétuelle ; et je serai leur Dieu (4-9). Cette «alliance perpétuelle» (v. 7) comporte, non comme condition mais comme signe de séparation pour Dieu, la circoncision, qui exprime la mise de côté de la chair, jugée et placée dans la mort. Le «père des croyants», bénéficiaire des promesses, est aussi un «père de circoncision». Il est un homme nouveau. De lui peut sortir, et sortira, l’héritier promis.
Alors en effet, et alors seulement, quand il est bien établi qu’il n’y a aucun espoir du côté humain, la promesse quant à la personne de l’héritier est distinctement énoncée ; c’est la sixième expression des promesses : le fils promis sera de Saraï, «ta femme», dont le nom aussi est changé ; elle sera la tête d’une lignée princière. «Je te donnerai d’elle un fils» (v. 16).
Le comportement d’Abraham devant cette annonce nous fait penser à ce père de l’évangile disant à Jésus : «Je crois, Seigneur, viens en aide à mon incrédulité !». Abraham rit, et son rire est celui d’un coeur dont la foi est dépassée dans son attente, et qui surmonte à peine un étonnement proche du doute devant une prédiction aussi incroyable. En même temps les affections naturelles interviennent. «Oh, qu’Ismaël vive devant toi !» Dieu répond, dans la souveraineté de sa volonté d’établir l’alliance perpétuelle avec Isaac qu’enfantera Sara, et selon la richesse de ses ressources en grâce, en rassurant de façon touchante le patriarche à l’endroit d’Ismaël. Celui-ci aura sa propre bénédiction, mais il demeure étranger à l’alliance : elle est établie «avec Isaac, que Sara t’enfantera», répète l’Éternel (v. 19, 21).
Mais pour qu’elle enfante il faut que Sara croie elle-même. Une fois de plus Dieu vient au-devant des objets de sa grâce. Il apparaît à Abraham, s’arrête chez lui à sa prière, accepte le repas préparé par Sara, puis renouvelle la promesse aux oreilles de celle-ci, qui croit sa présence ignorée, et qui entend : «Je reviendrai certainement vers toi quand son terme sera là, et voici, Sara, ta femme, aura un fils» (18:10). Une annonce sans ambiguïté possible, un terme précis assigné... Est-ce possible ? «Et Sara rit en elle-même, disant : Étant vieille, aurai-je du plaisir ? ... mon seigneur aussi est âgé». Mais l’Éternel la poursuit dans les derniers retranchements de son coeur hésitant, la reprend indirectement, sans se tourner vers elle, répète à Abraham ce qu’il a promis et dont elle a pu rire. Elle a peur. Heureuse peur, commencement de la sagesse. Elle réalise qui est Celui qui parle : il ne peut y avoir pire péché que de penser que «quelque chose soit trop difficile pour l’Éternel» ! Dans sa confusion elle essaie de nier son rire, mais c’est pour entendre l’Éternel s’adresser cette fois à elle : «Non, car tu as ri». Elle est vaincue. Désormais elle «estima fidèle Celui qui avait promis» (Hébreux 11:11), reçut «par la foi la force de fonder une postérité», comme Abraham celle de procréer (id. 12). Les deux sont maintenant unis dans la même foi en la même promesse. Qu’il en soit toujours ainsi entre époux croyants, et qu’ils soient unis en un même objet, savoir l’objet même du propos de Dieu, la vraie semence, l’héritier, Christ.
Avant que vienne le temps fixé (17:21 ; 18:14), des événement doivent se produire à l’égard desquels Abraham le croyant reçoit des communications qui ne le concernent plus personnellement mais concernent le monde où il vit. «Le secret de l’Éternel est pour ceux qui le craignent» (Ps. 25:14). La gloire de Dieu est engagée dans ces événements, et Abraham ne peut que l’avoir à coeur. Il est sur la terre le dépositaire des desseins de Dieu aussi bien en jugement qu’en grâce. «Cacherai-je à Abraham ce que je vais faire... je le connais, et je sais qu’il commandera à ses fils et à sa maison après lui de garder la voie de l’Éternel» (18:17, 19). Ce père à qui la promesse d’une postérité bénie vient d’être confirmée et précisée aura à coeur d’enseigner à cette postérité la voie de l’Éternel. Sa foi ne sera pas une foi morte, elle portera du fruit dans la maison du croyant, elle prolongera son action dans les générations successives où tant de fidèles se réclameront de lui. Dieu fait de lui son confident et parle avec lui comme à un ami, parce qu’il «garde sa parole» (Jean 14:23). Il avait cru Dieu, et cela lui avait été compté à justice, mais ensuite il agit en conséquence, c’est pourquoi il est traité en «ami de Dieu». Jacques 2:23 nous montre les deux choses : la foi justifiante selon Genèse 15 et Abraham ami de Dieu parce que sa foi «agissait avec ses oeuvres», était «rendue parfaite par ses oeuvres», celles de Genèse 22 (Jacques 2:20-22). Sommes-nous sur ce plan aussi des enfants d’Abraham ?
Fidèle dans sa maison pour y faire valoir la parole de l’Éternel, se tenant devant Lui, jouissant de sa communion, l’ami de Dieu a une fonction à remplir à l’égard du monde qui l’entoure et de ceux qui s’y trouvent mêlés, celle d’intercesseur. La solennelle annonce du jugement qui va fondre sur Sodome amène Abraham à prendre cette position d’une façon remarquable. Il le fait dans l’humilité d’une créature qui «ose parler au Seigneur» tout en étant «poussière et cendre», avec la conviction que le juge de toute la terre, auquel il s’adresse, ne peut faire que ce qui est juste, mais aussi avec le sentiment qu’il est patient et miséricordieux, toutefois jusqu’aux limites de sa sainteté. En lui demandant de pardonner à la ville, il va aussi loin qu’il est permis à la foi intelligente de le faire, et il garde, même quand cette foi comprend qu’il doit s’arrêter, toute confiance en Celui qui ne fera pas mourir le juste avec le méchant. Cette confiance a la même source que la sage dépendance qui fait qu’Abraham ne descend pas au-dessous des dix justes. Elle ne peut être déçue : «Il arriva, lorsque Dieu détruisit les villes de la plaine, que Dieu se souvint d’Abraham, et renvoya Lot hors de la destruction, quand il détruisit les villes dans lesquelles Lot habitait» (19:28, 29). Lot est sauvé à travers le feu qui consume tout ce dont Abraham, lui, s’était depuis longtemps séparé.
Au chapitre 20 il est appelé à intercéder encore pour autrui, mais dans des conditions combien différentes, hélas !
Les villes de la plaine sont détruites, mais le pays dans lequel demeure Abraham est lui aussi voué au jugement à cause de l’iniquité de ses habitants ; seulement, elle n’est pas encore venue à son comble (15:16). Il y a même là une certaine connaissance de Dieu, d’après ce qui est rapporté d’Abimélec. Abraham y demeure en étranger, mais voici qu’il manifeste à nouveau le caractère de la chair, notre nature incorrigible, toujours prête à contrecarrer notre position. On voit apparaître les séquelles d’une tendance qui, malgré la sévère leçon de l’Égypte, n’avait pas été jugée à fond, et le témoignage de l’homme de foi est avili. La crainte des hommes éclipse la crainte de Dieu, elle amène Abraham à dissimuler sa relation avec son épouse, et le manquement est plus grave encore que naguère : il avait en Égypte prostitué l’épouse stérile, il renie maintenant l’épouse de qui va naître le fils de la promesse ! Il devient une occasion de chute pour le roi de Guérar, et il aura l’humiliation d’être repris par lui. Ce devait être plus tard le cas pour Israël devant les nations, et de nous-mêmes, malheureusement, dont les inconséquences, funestes et pour nous et pour notre entourage, nous exposent aux justes reproches du monde.
Une fois de plus la miséricorde de Dieu opère, et quelle grâce pour Abraham d’être ainsi humilié par sa main puissante, afin d’en finir avec tout cela par un jugement foncier de lui-même. Ne sommes-nous pas confondus de voir Dieu, et lui seul, affirmer devant Abimélec la position que sa grâce a donnée à Abraham, alors que ce dernier s’en est rendu indigne ? «Il est prophète, et il priera pour toi» (v. 7). Nul ne peut prier à sa place. La même grâce juge selon le gouvernement divin le péché du croyant, et enseigne celui-ci en l’épargnant. Parce que prophète il a une responsabilité particulière, mais il n’est pas «jugé avec le monde».
L’héritier naît. Mais sa place et ses droits sont contestés. Le fils de la servante rit le jour du sevrage : n’a-t-il pas rang de fils aîné ? Ainsi ce qui est né de la chair opprime-t-il l’enfant de la promesse. La foi l’emporte, et c’est en Sara qu’elle se montre ici : la «femme libre» triomphe des servitudes morales, conséquence lointaine de ses manquements passés, qui enserraient encore Abraham. Il appartient à celle qui hors d’âge avait reçu la force de fonder une postérité, de dire : «Le fils de la servante n’héritera point avec mon fils, avec Isaac» (21:10). Abraham peut avoir d’autres enfants, moi je n’en ai qu’un, et c’est le fils de la promesse.
La servante et son fils sont chassés, mais non point détruits, à cause d’Abraham dont Ismaël est, quoi qu’il en soit, la semence (v. 13), mais de par la servante. Attachons-nous à comprendre ces choses, à la lumière de l’épître aux Galates, nous qui sommes aussi «enfants de la promesse», nés de la femme libre et donc cohéritiers de Christ, appelés à la liberté et non à la servitude.
Cette fois Abraham, délivré de tout lien charnel, peut apparaître aux yeux du monde selon la position où l’Éternel l’a placé. «Dieu est avec toi en tout ce que tu fais» (21:22), reconnaît Abimélec, et le patriarche reprend ce roi des nations au sujet du puits dont les serviteurs de celui-ci voudraient le déposséder. Notre marche montre-t-elle assez que «Dieu est avec nous» ? Le réalisons-nous assez pour que nous empêchions le monde de mettre la main sur les sources vitales de notre christianisme et d’empiéter sur l’action de l’Esprit saint ?
Abimélec recherche l’alliance d’Abraham, parce que celui-ci a l’alliance de Dieu. «En toi seront bénies toutes les familles de la terre», telle avait été la promesse initiale (12:3), parce que «je te bénirai, et tu seras une bénédiction». La scène prophétique rapportée dans les v. 22 à 33 de ce chapitre 21 préfigure cette bénédiction future de la terre sous la prééminence de la postérité d’Abraham, et elle met en évidence la part spéciale de celle-ci : une fois Abimélec et le chef de son armée retournés au pays des Philistins, Abraham plante un tamarisc et invoque à Beër-Shéba l’Éternel, le Dieu fort d’éternité. Il est sa demeure, à lui et à tous les croyants, de génération en génération.
Il est remarquable que ce soit seulement au terme de cette période de la vie d’Abraham que cette invocation trouve sa place ; encore n’est-il pas fait mention d’un autel, non plus que dans tous ces chapitres 15 à 21, alors que, nous l’avons vu, l’autel était caractéristique de la première partie. Ces années (une vingtaine) sont celles des divers exercices de la foi liés à l’héritier selon la promesse, et nous en voyons l’aboutissement, qui est l’adoration. L’héritage est une grande chose, l’héritier une plus grande, mais Celui dont l’un et l’autre procèdent est incomparablement plus grand, et à Lui toute gloire doit être rendue. Christ lui-même, l’héritier glorieux à de multiples titres, remettra le royaume à son Père qui lui a assujetti toutes choses (1 Cor. 15:28).
Si béni pourtant qu’il fût, l’adorateur de BeërShéba allait être appelé à entrer plus avant dans les choses profondes de Dieu, et être l’adorateur de Morija.
«Après ces choses». L’homme de foi a été formé, forgé par Dieu. Il a jugé les vieilles racines et éliminé leurs rejets. Dieu va maintenant l’«éprouver» ; Il le fait pour montrer la valeur du travail opéré en lui, les fruits de la grâce étant hautement manifestés par une oeuvre de foi exceptionnelle, mais aussi afin de l’associer comme adorateur au mystère de l’oeuvre sur laquelle repose l’accomplissement des conseils divins.
L’épreuve à laquelle Abraham est soumis n’est pas seulement douloureuse, elle est telle que tous les ressorts intimes de sa vie sont mis en cause, les fondements de sa foi sondés à fond. Après tant d’années à attendre l’héritier promis, quand celui-ci a été miraculeusement donné, Dieu commande au père de le sacrifier ! Tout est en question pour Abraham, sa foi doit faire face sur tous les fronts. Les affections naturelles sont atteintes : «prends ton fils». Elles le sont dans ce qu’elles ont de plus sensible : «ton unique», non pas Ismaël, mais l’inespéré, l’irremplaçable, «celui que tu aimes», qui comblait ton coeur de père. Mais il y a bien plus encore : que dire quant aux promesses de Dieu ? «Isaac»... Isaac, de qui il avait été dit : «en Isaac te sera appelée une semence», Isaac dont «celui qui avait reçu les promesses» savait qu’elles ne pouvaient s’accomplir sans lui ! (Héb. 11:17, 18). Le support même de sa foi semble se dérober sous les pieds du croyant. Que lui reste-t-il ?
Il lui reste Celui qui a parlé.
L’Éternel, le Dieu fort d’éternité, n’a rien de commun avec les divinités sanguinaires auxquelles les Cananéens sacrifiaient leurs fils. S’il redemande après avoir donné, ce n’est pas simplement parce qu’il a tous les droits, étant, comme donateur, au-dessus de tous ses dons mais pour donner à connaître sur quel fondement aura lieu l’accomplissement de ce qu’Il a dit, et ce fondement n’est autre que la victoire sur la mort. En Lui est toute sagesse et toute puissance. Abraham a «estimé que Dieu pouvait ressusciter d’entre les morts» (Héb. 11:19), un Isaac offert en holocauste non selon la folie d’un coeur destitué d’intelligence et rempli de ténèbres (Rom. 1:21), mais selon ce que Dieu avait dit.
La naissance d’Isaac avait été déjà un triomphe sur la condition mortelle : le sein de Sara était «en état de mort» et le corps d’Abraham «déjà amorti» (Rom. 4:19 ; Hébr. 11:12). D’autre part la foi d’Abraham l’avait fait regarder au-delà de la mort : il devait mourir «dans la foi, n’ayant pas reçu les choses promises, mais les ayant vues de loin et saluées» (Héb. 11:13) : la mort ne pouvait empêcher que les promesses s’accomplissent en faveur de sa semence. Mais maintenant il s’agissait de dire si la mort pouvait, s’appliquant à l’objet même des promesses, annuler celles-ci. Autrement dit, la «semence» peut-elle périr ? La foi répond : Non, il y a la résurrection, une puissance opérant victorieusement quand la mort a fait toute son oeuvre, et c’est «l’opération de la puissance de la force de Dieu» (Éph. 1:19, 20). Il appartient à Dieu de se glorifier en cela. La foi, elle, adore. Pour Abraham, sacrifier Isaac c’est adorer. Alors qu’ils «allaient les deux ensemble» il pouvait dire à son fils : «Dieu se pourvoira de l’agneau pour l’holocauste» en étant lui-même persuadé qu’Isaac était cet agneau et que lui devait l’immoler. De sorte que, au moment où son bras armé du couteau se lève, il faut pour l’arrêter la voix de l’Ange de l’Éternel disant : «Maintenant je sais que tu crains Dieu, et que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique». Dieu constate la preuve de la foi. Il reçoit pour ainsi dire de la main d’Abraham son fils sacrifié ; et Abraham le reçoit de la main de Dieu comme «ressuscité en figure».
Abraham avait fait en figure ce que Dieu a fait en réalité à l’égard de «son propre Fils». Abraham est allé aussi loin qu’il était permis à un homme d’aller, et nul autre n’est allé jusque-là. Il a ressenti tout ce qu’un coeur d’homme pouvait ressentir de ce que, dans une mesure infinie, Dieu a éprouvé lorsqu’il «n’a pas•épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous». Il ne peut y avoir de plus haut point de communion avec Dieu, même si Abraham ne pouvait en avoir pleine conscience.
C’est là la signification de l’autel de Morija, le quatrième et dernier des autels d’Abraham dont l’Écriture fasse expressément mention. Les trois autres n’auraient pas été possibles, ils n’auraient eu ni sens ni base, si cet autel-là n’eût pas dû être érigé. Et en réalité il n’y aurait jamais eu ni appel ni promesses, rien des relations entre l’Éternel et Abraham. Sans la croix du Calvaire aucun descendant d’Adam n’eût jamais été approché de Dieu, il n’y aurait jamais eu de croyant sur la terre.
L’héritier mort et ressuscité en figure, la promesse est renouvelée encore une fois, et enrichie, comme toujours. Cette septième et suprême promesse est faite sous la forme solennelle du serment par lequel, «n’ayant personne de plus grand par qui jurer, Dieu jura par lui-même» (Héb. 6:13), disant : «Certes, en bénissant je te bénirai, et en multipliant je te multiplierai», «je multiplierai abondamment ta semence comme les étoiles des cieux et comme le sable qui est sur le bord de la mer» (Gen. 22:15-17). Ta foi triomphe dans ce qui a été l’opération de ma puissance, et «parce que tu as fait cette chose-là, et que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique», la promesse, confirmée, s’élargit de la terre aux cieux. Abraham peut voir en son fils le vrai Ressuscité, Celui par qui le pouvoir de la mort a été brisé, et que rien ne peut empêcher de régner en bénédiction universelle : «toutes les nations se béniront en ta semence». La première formule de la promesse était que «toutes les familles de la terre seront bénies en toi» (12:3) ; dans la dernière, Abraham disparaît, et avec lui toute sa postérité purement terrestre, pour ne laisser que sa semence, «qui est Christ».
En vérité, Abraham pouvait tressaillir de joie de ce qu’il verrait le jour de Christ (Jean 8:56).
Dès lors la vie d’Abraham est marquée d’un autre caractère. Avec la mort et la résurrection «toutes choses sont faites nouvelles». Il n’appartient plus à la terre, où règne la mort. Il n’est plus question du moi, de la chair, du monde, pour qui «vit dans la foi» (Gal. 2:20) ; tout cela a été «crucifié» (id., 2:19 ; 5:24 ; 6:14).
Sara, «la femme libre qui est notre mère», meurt, son rôle fini ; elle cède la place auprès du fils de la promesse, maintenant l’homme ressuscité, à l’épouse appelée de loin, Rebecca dont l’existence avait été signalée aussitôt après les choses merveilleuses de Morija (22:23).
Abraham, lui, «se lève de devant son mort», afin d’attester par un acte significatif la puissance de la vie. Ni lui ni Sara n’avaient rien possédé jusque-là de la terre que sa semence devait posséder, rien, sinon par la foi. Maintenant que Sara est «morte dans la foi», il marque, en achetant un sépulcre, que la mort est vaincue : Isaac ressuscité en figure, le croyant peut anticiper sa propre résurrection glorieuse et celle de sa descendance — la «multitude» du «père» (17:5). Cette espérance de la résurrection est consolante pour lui, mais il y a plus que cela dans le fait que ce vivant se lève de devant son mort pour acheter un sépulcre où il le déposera. Ce sépulcre sera la seule portion de la terre promise qui soit à lui, sans conteste ; le prix en a été acquitté ; il lui appartient. C’est le lieu où Sara ressuscitera, et lui avec elle, et les autres patriarches. Il est là chez lui, il y devance pour ainsi dire la résurrection, dont son âme déjà éprouve toute la puissance. Ni le monde ni son prince ne peuvent disputer à la foi, «assurance des choses qu’on espère» , la jouissance de la bienheureuse réalité de cette «résurrection d’entre les morts».
Déjà nous sommes, par ta vie,
Seigneur Jésus, ressuscités.
Des trente-huit ans (*) qui s’écoulent ensuite jusqu’à la mort d’Abraham, l’Écriture retient seulement deux faits. Le premier est l’appel de l’épouse d’Isaac (**), destinée à hériter avec lui de celui que «l’Éternel avait béni en toute chose» (24:1) ; il faut qu’elle vienne, sorte de son pays comme Abraham l’a fait ; il ne faut pas qu’Isaac y retourne (24:6, 7). Le second est que les droits du fils «unique», mort et ressuscité, sont soigneusement garantis, au regard des autres enfants : ceux de Retura et des concubines (25:1-6) ne sont pas frustrés, de même que, dans l’avenir, les nations se béniront en la semence d’Abraham (Ps. 47:9) ; et Ismaël jouit richement de sa part distincte. Mais tous ont été renvoyés du pays de la promesse, et leurs dotations ne portent nul préjudice à Isaac, à qui «Abraham donna tout ce qui lui appartenait» (25:5). Isaac demeure «l’héritier de tout», en vue de «la semence qui est Christ».
(*) Comp.17:17 ; 21:5 ; 23:1 et 25:7.
(**) Il est à peine besoin de signaler que nous avons là un beau type de l’appel de l’Église, épouse céleste de Christ ressuscité et glorifié. Comme ce n’est pas le côté typique que nous avons en vue dans ces pages, nous renvoyons, entre autres aux Études sur la Parole (vol. 1) de J.N.D., aux Notes sur le livre de la Genèse de C.H.M., et à l’ouvrage de J.G.B., Les Patriarches.
Ne sommes-nous pas heureux à la pensée que toutes les bénédictions milléniales seront subordonnées à Sa gloire ? Il sera oint comme Roi sur Sion, et ceux des nations qui serviront l’Éternel avec crainte et se réjouiront avec tremblement (Ps. 2:6, 11), loin d’ôter quoi que ce soit à sa puissance, rehausseront l’éclat de son règne.
«Et Abraham expira et mourut dans une bonne vieillesse, âgé et rassasié de jours ; et il fut recueilli vers ses peuples. Et Isaac et Ismaël, ses fils, l’enterrèrent dans la caverne de Macpéla, dans le champ... qu’Abraham avait acheté des fils de Heth. Là fut enterré Abraham, ainsi que Sara, sa femme. Et il arriva, après la mort d’Abraham, que Dieu bénit Isaac, son fils» (25:9-11).
Parlant à ce fils, l’Éternel s’appelle, comme il le fera tant de fois depuis, «le Dieu d’Abraham» (26:24), et lui dit : «Ne crains pas, car je suis avec toi». «Si vous êtes de Christ, dira l’apôtre, vous êtes donc la semence d’Abraham, héritiers selon la promesse» (Gal. 3:29), oui, cohéritiers de Christ.
Heureux tous ceux qui sont ainsi «sur le principe de la foi» ; ils sont «bénis avec le croyant Abraham» (id. 3:9), — leur père.
ME 1945 p. 60
La première chose qui nous soit rapportée de la vie de foi d’Abraham est qu’«il sortit», avec les siens, du pays de sa naissance, savoir Ur des Chaldéens. «Va-t’en de ton pays et de ta parenté», lui avait dit l’Éternel. Et «il s’en alla, ne sachant où il allait». Désormais il n’avait plus de patrie terrestre. S’il s’était souvenu de celle d’où il était sorti, il aurait eu du temps pour y retourner ; mais il n’y retourna point, et quand il s’agit de trouver une épouse à Isaac, il la fit sortir à son tour de cette patrie d’origine, en interdisant expressément qu’Isaac y retournât. Sa vie connut bien des incidents, des épreuves, des défaillances, mais à travers tout elle témoigna qu’il désirait une meilleure patrie, c’est-à-dire une céleste. «Il s’en alla au lieu qu’il devait recevoir pour héritage» ; il en reçut la promesse pour sa semence ; il vécut, spirituellement, de cette promesse ; et il mourut «dans la foi, n’ayant pas reçu les choses promises, mais les avant vues de loin et saluées».
Il demeure ainsi, en exemple pour tous les âges, «le croyant Abraham» (Galates 3:9), et il a pu être appelé «l’ami de Dieu» (2 Chron. 20:7 ; Ésaie 41:8 ; Jacques 2:23). Nous, chrétiens, «sommes bénis avec lui», bien que nous ayons reçu plus que lui : nous possédons l’Esprit d’adoption, nous connaissons Dieu comme Père ; l’objet de notre foi est la Personne de Christ, et nous sommes «accomplis en Lui». Mais, si riche que soit la part des chrétiens, eux aussi ne font après tout que marcher «sur les traces de la foi qu’a eue notre père Abraham» (Rom. 4:12). Il vécut en étranger sur la terre qui cependant lui appartenait par la promesse ; nous, nous sommes étrangers et forains sur une terre qui cependant appartient en héritage à Celui dont nous sommes les cohéritiers, héritage dans la possession duquel Il n’est pas encore entré et où «nous souffrons avec Lui» (Rom. 8:17). Il faut avoir saisi cela pour comprendre comment le chrétien doit vivre dans le monde. Mais, l’ayant saisi, nous manquons à notre vocation si nous nous conformons à ce monde. Comme Abraham, il nous faut d’abord «sortir», puis vivre «comme dans une terre étrangère» et y vivre pas plus en naturalisés qu’en naturels, mais en «étrangers».
«Le Cananéen et le Phérézien habitaient alors le pays» (Gen. 13:7), et d’autres peuples avec eux (15:20). Ils devaient l’habiter encore un certain temps, «car l’iniquité des Amoréens n’était pas encore venue à son comble» : la descendance d’Abraham, il le savait, Dieu le lui avait dit, ne devait entrer en possession de ce pays que quatre cents ans plus tard. Abraham reconnaît cette situation, et il vit en conséquence. Dieu l’enrichit abondamment en biens matériels, mais, chose digne de remarque, ses richesses n’accaparent point son coeur, elles ne l’amènent pas à s’établir ici-bas ni à y rechercher les emplacements les plus favorables ; il abandonne la plaine fertile à Lot, restant, lui, le nomade des plateaux et de la montagne. Quand il lui faudra enterrer Sara, il insistera pour payer la terre à son prix, cette terre qui est sienne ! Il ne possédera en propre, et ses descendants jusqu’à Josué ne possédèrent en propre, dans le pays de Canaan, que «le champ et la caverne», acquis «comme sépulcre», lieu du triomphe momentané de la mort, mais que leur foi marquait comme le lieu du triomphe éternel de la vie par la résurrection. En attendant, il pouvait dire aux fils de Heth : «Je suis étranger, habitant parmi vous» (23:3).
Le pays allait son train. Il avait ses rois, ses villes, ses moeurs, ses juges. Il avait ses temps de prospérité et ses famines, ses périodes de paix et ses guerres, il avait son commerce, avec «l’argent ayant cours entre les marchands». On y trouvait de bonnes choses, et on y trouvait les pires. Un Melchisédec y était sacrificateur du Dieu Très-haut ; un Abimélec, roi de Guérar, montrait plus de crainte de Dieu qu’Abraham ne le supposait, et il pouvait même adresser des reproches au patriarche en faute. Cela n’atténuait pas l’iniquité générale. «Les hommes de Sodome étaient méchants et grands pécheurs devant l’Éternel», et en Canaan même «l’iniquité des Amoréens» tendait vers son point culminant. Aussi, le jugement devait-il les atteindre tous, les gens du haut pays après les gens de la plaine. Dieu avait son temps, fixé avec patience, pour intervenir quand la situation serait manifestement sans remède (18:20, 21). Mais Abraham, au milieu de cet état de choses, vit en étranger. L’Éternel est sa part, «son bouclier et sa très grande récompense». Comment «l’ami de Dieu» s’ingérerait-il dans la conduite d’un monde ? Il laisse Lot s’y établir jusqu’à s’asseoir à la porte de Sodome. Ses yeux à lui sont tournés vers «la cité qui a les fondements».
Toutes ces choses sont bien connues, comme principe, parmi nous. Mais souvent, lorsqu’on insiste sur la vocation du chrétien, étranger ici-bas parce qu’il est déjà du ciel, on s’attire le reproche d’égoïsme. «Vous vous mettez à part, s’entend-on dire, pour jouir de vos bénédictions, et vous vous désintéressez du sort de cette humanité qui peine sur la terre ; vous pourriez jouer un rôle important et bienfaisant dans la gestion de la société, et vous l’abandonnez !» Les sollicitations s’accompagnent volontiers de flatteries : «Vous êtes sages, éclairés, vous exerceriez une action si utile, vous, une élite morale ! Pour des gens de votre valeur, se détourner des affaires publiques est une trahison !»
Il vaut la peine d’y regarder de près.
Le rôle dévolu aux enfants de Dieu dans ce monde est en réalité beaucoup plus grand qu’eux-mêmes ne le pensent généralement. Que Dieu ait des enfants ici-bas pourrait-il être quelque chose de peu d’importance ? «Vous êtes le sel de la terre», disait d’autre part Jésus à ses disciples.
Le fait même de leur présence est capital quant à l’histoire même de ce monde ; c’en est comme un ressort caché. Tant que Lot était à Sodome, les anges ne pouvaient rien contre la ville, le jugement destructeur attendait jusqu’à ce que cet homme, qui était un juste, si inconséquent qu’il se fût montré, eût été mis en sûreté (19:22). Aujourd’hui, «ce qui retient» les forces du mal et empêche le plein développement du mystère d’iniquité est certainement en rapport avec le maintien, sur la terre, de l’Église, habitation de Dieu par l’Esprit, et «celui qui retient maintenant le fera jusqu’à ce qu’il soit loin» (2 Thess. 2:6, 7), en fait jusqu’à l’enlèvement de cette Église. S’il existe encore une société organisée, un gouvernement sous une forme ou une autre, c’est parce qu’il y a sur cette scène l’Assemblée de Dieu à laquelle, jour après jour, Il ajoute de nouveaux éléments. «Vous êtes le sel de la terre», — un principe de conservation qui retarde une corruption d’ailleurs fatale.
Est-ce à dire que nous n’ayons que ce rôle négatif, statique ? À Dieu ne plaise. Il ne laisse pas ses enfants ici-bas pour y être de purs contemplatifs. De la chambre fermée où Jésus ressuscité se rencontre avec les siens pour leur paix et leur joie, Il les envoie vers ce monde, comme le Père l’avait envoyé (Jean 20:21 et 17:18).
Il est clair qu’ils ont à y faire le bien et à y pratiquer la justice. «Que votre lumière luise devant les hommes», cela signifie «qu’ils voient vos bonnes oeuvres» (Matt. 5:14-16), ces bonnes oeuvres dans lesquelles «ceux qui ont cru Dieu doivent s’appliquer à être les premiers» (Tite 3:8). «Comme nous en avons l’occasion, faisons du bien à tous, mais surtout à ceux de la maison de la foi» (Galates 6:10). Un chrétien qui, alléguant qu’il a le privilège de servir Dieu par le culte en Esprit et en vérité, refuserait de soulager les misères qu’il coudoie, ou de traiter avec équité ceux qu’il emploie, et se laisserait dépasser dans ce domaine et d’autres analogues par des inconvertis, ce chrétien se montrerait coupablement éloigné de son Maître et de ses enseignements.
Mais en quelle qualité devons-nous accomplir un tel service ? Comme appartenant encore au monde, ou comme en ayant été arrachés ? Comme associés à Lui, ou comme unis à un Christ qui s’est «sanctifié» lui-même pour les siens ? (Jean 17:18, 19). Entre Lui et le monde il y aura toujours Sa croix, «par laquelle, disait l’apôtre, le monde m’est crucifié, et moi au monde». «Visiter les orphelins et les veuves dans leur affliction» est une obligation impérieuse, mais «se conserver pur du monde» constitue l’autre aspect du «service religieux pur et sans tache devant Dieu le Père» (Jacques 1:27). Les traces que nous avons à suivre sont celles de Celui qui a fait le bien, en «passant de lieu en lieu», Lui le divin étranger. Elles nous conduiront immanquablement à nous trouver en opposition avec un monde qui L’a rejeté. Son royaume n’est pas d’ici-bas. On voudrait que les chrétiens emploient leur christianisme comme une force morale au service d’une entreprise d’amélioration de cette terre : c’est oublier que le monde est régi par de tout autres principes que ceux de Christ. Qu’on y rencontre çà et là quelque crainte de Dieu, que le Seigneur y ait des siens, connus de Lui, dans toutes sortes de milieux, cela n’enlève rien à son état général ; pas plus qu’un Melchisédec ou un Abimélec ne changeaient quelque chose à la culpabilité de Canaan. «Le train de ce monde» est celui «de l’esprit qui opère maintenant dans les fils de la désobéissance» (Éph. 2:2). S’y conformer c’est désobéir au Seigneur.
Eh bien, précisément, nous répond-on, on vous demande de travailler à modifier ces principes du monde, à lui donner d’autres impulsions, à y introduire quelque chose de la charité chrétienne et à y faire pénétrer, grâce à la morale chrétienne, plus de justice. Mais c’est demander l’impossible. Le monde ne serait plus le monde s’il acceptait Christ, et le fait est qu’il ne L’accepte pas. Des âmes en sont tirées, qui l’acceptent, oui, par la grâce de Dieu, mais toutes les aspirations et tous les programmes ne changeront rien à ce fait que le chef de ce monde est Satan, même s’il se déguise en ange de lumière. Le monde a subi plus ou moins profondément l’influence chrétienne, c’est vrai, mais en quelque sorte malgré lui, et en retour il a corrompu et corrompt la vérité chrétienne, de façon à l’intégrer dans ses propres principes en la séparant de Christ, — une forme sans réalité. Le changement ne sera amené que par le jugement qui introduira le règne de Christ. Jusque-là la marche du fidèle sera une répréhension continuelle pour ce monde (Philippiens 2:15 ; Éph. 5:13). Elle fait passer au travers de ses ténèbres un reflet de la lumière de Christ, mais elle ne saurait faire passer ce monde des ténèbres à la lumière. La lumière tranche sur les ténèbres ; si elle se mêlait à elles, elle cesserait d’être la lumière.
En écrivant ceci, nous ne méconnaissons nullement les généreuses intentions de ceux qui estiment devoir jeter leur activité de chrétiens dans la mêlée des partis terrestres et revendiquer leur part d’autorité ici-bas. Mais ils s’illusionnent. Ou ils ne seront pas supportés, ou ils devront accepter de tels compromis que leur christianisme n’aura plus grand’chose de Christ, et encore le moment ne tardera-t-il pas où ce sel frelaté sera «jeté dehors et foulé aux pieds par les hommes».
Le Seigneur lui-même a défini, sans équivoque possible, la place des siens ici-bas, et ce n’est pas à nous à la modifier : «Ceux-ci sont dans le monde ;... ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde» (Jean 17:11, 14, 16).
Une telle position ne signifie en aucune manière que nous puissions nous désintéresser du sort du monde. Mais, et on le méconnaît trop, la fonction des enfants de Dieu vis-à-vis de lui est liée à leur qualité d’étrangers célestes, il participe de la grandeur même de cette qualité, et leur rôle est efficace dans la mesure où ils gardent pratiquement cette qualité que la grâce leur a conférée. Le bien qu’ils peuvent faire à ce monde dépend du fait qu’ils sont dehors.
La vie d’Abraham est une illustration de cette vérité. Comment ne pas être frappé, en la lisant, du côté positif et actif, en faveur du monde, d’une telle existence ?
Il a «montré clairement» qu’il recherchait une patrie. Il ne nous est pas dit que ce témoignage vivant et combien éloquent ait amené des contemporains d’Abraham à partager son espérance et sa foi. Du moins Mamré, Eshcol, Aner, auprès de qui il a habité, sont-ils ses «alliés». Les fils de Heth doivent le reconnaître comme «un prince de Dieu au milieu d’eux». Abimélec doit dire : «Dieu est avec toi dans tout ce que tu fais» (Gen. 21:22), et il conclut aussi alliance avec lui. Mais, débordant le cadre de son époque et de son pays, la vie d’Abraham n’est-elle pas devenue, pour la terre tout entière et pour toutes les générations, une des plus puissantes prédications ? Le Seigneur, les apôtres, les évangélistes, y puisent sans cesse des enseignements à salut, et en vérité il est le «père d’une multitude» de croyants, pour leur bonheur éternel. Or, on ne saurait le souligner avec trop de force, il en est ainsi parce qu’il a vécu en étranger. Se fût-il mêlé à son entourage, son témoignage eût été sans valeur, son exemple sans pouvoir, son histoire sans vertu. Telle fut l’existence de Lot à Sodome : «Cet individu est venu s’établir parmi nous et il veut faire le juge ?» disent ceux qu’il veut reprendre. Prenons conscience, chrétiens, de l’immensité du champ de travail qui est ouvert devant chacun de nous, pour le bien de ceux qui nous entourent, leur vrai bien ; témoigner pour Christ, le Sauveur de tous, et annoncer à tous la bonne nouvelle est plus utile aux hommes que de nous consacrer à quelque aménagement temporaire du présent siècle : «Vous serez mes témoins jusqu’au bout de la terre... Allez, annoncez l’Évangile à toutes les nations». Mais si le sel a perdu sa saveur, il n’est plus d’aucune utilité ; les croyants ne servent plus au bien de ce monde s’ils mondanisent. Accommoder l’Évangile aux goûts du jour, comme on le fait couramment, hélas, est un triste non-sens. On ne peut prêcher à la fois que ce monde, perdu, a besoin d’un Sauveur, et qu’il est capable de se transformer lui-même, — offrir le ciel et prétendre améliorer la terre.
Mais il y a autre chose encore dans la vie d’Abraham. Nulle action n’a été, en fait, plus opérante que la sienne dans les affaires temporelles elles-mêmes des pays au sein desquels il vivait sans leur appartenir. Elle l’a été précisément et uniquement parce qu’il était là en étranger. Quand les rois de la plaine sont vaincus par la coalition de ceux de l’Orient, la délivrance vient d’«Abram, l’Hébreu, qui demeurait auprès des chênes de Mamré» ; elle est obtenue parce qu’elle intéressait Lot son neveu, mais tous en profitent ; elle l’est grâce aux «hommes exercés d’Abram, trois cent dix-huit hommes, nés dans sa maison», et à ses alliés, Mamré, Eshcol, Aner, qu’il entraîne. Mais sa victoire n’est pas pour lui le moyen ou l’occasion d’affermir sa propre situation, ni de faire valoir sa volonté dans le pays qu’il vient de sauver. Il parle au roi de Sodome comme à quelqu’un qui ne lui doit rien et à qui il ne doit rien. Il n’appartient pas au roi de Sodome d’enrichir Abram. Tout pour ce dernier se passe avec «le Dieu Très-haut, possesseur des cieux et de la terre». À son sacrificateur Melchisédec il donne la dîme de tout, et il est béni par lui : c’est ce qui lui permet ensuite de dire au roi de Sodome : «J’ai levé ma main vers l’Éternel, le Dieu Très-haut...» Il fait passer la grandeur de ce nom devant le chef d’un royaume de «grands pécheurs devant l’Éternel». Il le peut parce qu’il n’est ni son sujet, ni son pair. Méditons beaucoup les grandes leçons de ce chapitre 14 de la Genèse.
Un peu plus tard, quand Sodome et Gomorrhe sont sur le point d’être détruites, qui donc, sans que les villes coupables s’en doutent, lutte avec l’Éternel en leur faveur, retarde jusqu’à l’ultime moment le jugement inévitable, arrache même à Dieu l’engagement de les épargner si — condition qui ne se trouva point — quelques justes s’y rencontrent, qui donc, sinon Abraham ? Pourquoi ? Parce qu’il n’habitait pas la plaine ; s’il avait été près de Lot il n’aurait pu intervenir, et, d’ailleurs, il n’aurait point été visité par Dieu qui lui avait fait connaître le sort arrêté pour Sodome. Le croyant n’est guère apte à démêler les dessous de la politique des hommes, mais il est à même de connaître l’avenir de ce monde et d’agir en conséquence.
Nous voyons enfin que, même lorsqu’Abraham est en chute, à Guérar (chapitre 20), lui, et lui seul, constitue l’intercesseur désigné dont Abimélec a besoin.
Ces choses ne nous parlent-elles pas ? Être des témoins, des messagers de la bonne nouvelle, des bienfaiteurs et des intercesseurs, de telles fonctions ne sont-elles pas de la plus haute portée à l’égard de ce monde ? Nul ne peut les remplir que les croyants, enseignés de Dieu, et animés de l’amour même de ce Dieu qui a tant aimé le monde qu’Il a donné son Fils unique. Mais nous ne les remplirons que séparés, moralement, d’un tel monde. Il ne nous appartient pas de rechercher ou de revendiquer quelques droits que ce soit, civiques ou politiques ; ce serait dire que nous sommes d’ici-bas ; ce serait aussi refuser de reconnaître que devant Dieu l’état de ce monde est sans ressource, et qu’il est déjà jugé, lui, et son chef, depuis la mort de Christ. Mais nous avons nos devoirs, en tant que séjournant dans cette terre étrangère, devoirs à remplir dans la prière et dans la communion avec Dieu, en étrangers.
ME 1983 p. 5
Vainqueur des rois d’Orient, béni par Melchisédec de la part du Dieu Très-haut, ayant béni avec lui ce Dieu Très-haut et lui ayant donné la dîme de tout, ayant enfin noblement refusé les présents du roi de Sodome, «après ces choses» Abram (appelé quinze ans plus tard Abraham) reçoit les plus précieuses assurances : Dieu est son bouclier et sa très grande récompense. Récompense de sa foi, infiniment supérieure à toutes les choses visibles — Dieu lui-même !
Or Abraham répond par une demande au premier abord étrange. «Que me donneras-tu ?». Le Seigneur Éternel son bouclier et sa récompense, n’est-ce pas assez ? Un tel comportement devant une telle munificence, mais c’est insensé !
Telle est pourtant l’attitude de la foi.
On insiste souvent, et non sans raison, sur le fait que la hardiesse de la foi plaît à Dieu, qui se plaît à bénir. Mais en réalité cette hardiesse est le propre même de la foi, en ce qu’elle saisit, par delà des bienfaits présents, le propos de Dieu quant à l’avenir.
Abraham ne se contenterait pas de remercier l’Eternel pour ce qu’Il est envers lui dans le moment présent. Sa foi embrasse le lointain avenir. S’il vit en étranger sur la terre promise c’est qu’il a devant lui la cité qui a les fondements. La foi ne se nourrit pas seulement des choses présentes, invisibles ou non, elle est l’assurance de celles qu’on espère. Le présent n’est que ce qui passe, inéluctablement. La foi se meut dans le cadre de l’avenir. La réduire à notre confiance quant aux choses de la terre la rabaisse. Nous serions enclins à demander santé, prospérité matérielle, sécurité, et il est parfaitement vrai que la piété a les promesses de la vie présente, mais après tout ce sont là les choses «données par-dessus» (et nous sommes à cet égard «gens de petite foi», Luc 12:22-39), mais la piété a aussi, et essentiellement, les promesses de la vie qui est à venir. Dieu veut nous intéresser à ses desseins, et à ce qu’il trouve bon de nous révéler de ses voies.
Voyons de plus près ce qu’il en était d’Abraham. Que fait-il d’autre que de «faire se ressouvenir l’Éternel» (És. 62:6), de rappeler ce qu’Il avait promis quant à l’avenir ? Abraham montre qu’il avait pesé la promesse et n’en avait pas laissé tomber l’essentiel, qui tenait aux voies de Dieu lui-même.
Car l’Éternel n’avait pas seulement dit : «Le pays que je te montrerai sera à toi», ni : il sera à qui tu le légueras, Éliézer de Damas ou quelque autre. Non, il avait dit : « Je te ferai devenir une grande nation» et : «je donnerai ce pays à ta semence», une semence aussi nombreuse que la poussière de la terre !
Or Abraham s’en allait sans postérité. «Tu ne m’as pas donné de postérité». Sous-entendu : Tu m’en as promis une — une postérité effective, une postérité légitime. Dieu avait «promis de lui donner le pays en possession, et à sa postérité après lui, alors qu’il n’avait point d’enfant» (Actes 7:5) et qu’il paraissait impossible qu’il en eût. Abraham ne demande donc rien d’autre que l’accomplissement de la promesse, et il ne forme point de doute sur cet accomplissement (Rom. 4:20, 21). Rien en dehors des desseins de Dieu. Sans doute il se réjouirait d’un fils, mais pour un temps seulement, et il voyait «de loin» !
Dieu lui répond richement, confirmant et élargissant toujours plus la promesse, l’appuyant par le signe demandé par le patriarche, la fondant plus tard sur un serment «par lui-même». Mais — et ceci est capital — il s’agit toujours de ce que Lui-même avait devant Lui, ce dont Il avait l’initiative, et Lui seul. Abraham est enseigné à voir la bénédiction finale, dans le lointain, après les épreuves de toute sorte que «la semence» devrait subir. Mais par dessus tout, Abraham est amené à voir la vraie semence, «qui est Christ» (Gal. 3:16) — l’Isaac ressuscité pour être glorifié en «son jour» : «et il l’a vu, et s’est réjoui» ; il en «a tressailli de joie» (Jean 8:56).
Bien-aimés, sachons voir Christ à l’horizon de toutes les promesses de Dieu qui, ne l’oublions pas, «nous a donné les très grandes et précieuses promesses» (2 Pierre 1:4 ; 2 Cor. 7:1). Christ en est le oui, et l’amen, à la gloire de Dieu ! (2 Cor. 1:20).