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VOIR et CROIRE
par André GIBERT
ME 1966 p. 225
Nous sommes, par pure grâce, de ces bienheureux qui n’ont point vu et qui ont cru.
Or, qu’avons-nous cru, sinon ce dont ceux qui ont vu et cru ont rendu témoignage, savoir que Jésus, le Fils de Dieu, est ressuscité ?
Leur témoignage est celui de Dieu, «qu’il a rendu au sujet de son Fils» (1 Jean 5:10). L’évangile de Dieu est «touchant son Fils, ... déterminé Fils de Dieu en puissance... par la résurrection des morts» (Rom. 1:3, 4) : après avoir rendu la vie à des morts, il ressuscite lui-même. Mais ce témoignage est porté par des hommes qui ont vu Jésus Christ ressuscité d’entre les morts, et qui ont cru.
Ces hommes, ce sont en premier lieu «les apôtres que Jésus avait choisis», et spécialement les once, auxquels fut adjoint Matthias expressément désigné comme «témoin de sa résurrection» (Jean 6:70 ; Actes 1:2, 22) : «il a été vu de Céphas, puis des douze» (1 Cor. 15:5). Mais «ensuite il a été vu de plus de cinq cents frères à la fois», la plupart encore vivants quelque vingt-cinq ans plus tard (id. 6). «Ensuite il a été vu de Jacques, puis de tous les apôtres» (ce qui, pour le dire en passant implique que le titre d’apôtre ne se limite pas aux douze). Il a été «vu par eux durant quarante jours» (Actes 1:3). Enfin, Paul, qui n’était pas de tous ceux-là, a «vu le Seigneur» glorifié, selon son apostolat particulier (1 Cor. 9:1 ; 15:8).
Le Seigneur Jésus ressuscité ne s’est montré à personne d’autre qu’aux siens. Le cas de Paul mis à part, il n’a pas contraint des incrédules à croire en se présentant vivant à eux. «Le monde ne me verra plus» (Jean 14:19). C’est à ceux qui, si lents de coeur qu’ils fussent, avaient cru en lui comme étant le Messie, qu’il se fait voir. Ces disciples avaient vu bien des choses, ils étaient «depuis le commencement» avec Jésus et ils devaient comme tels rendre témoignage de lui (Jean 15:27), mais ils sont établis comme témoins après l’avoir vu vivant, lui qu’ils avaient pleuré mort.
Avec eux avait pris fin la dispensation des croyants qui regardaient en avant, attendant le Messie promis, la longue lignée de témoins qui avaient cru sans voir, tout au plus «voyant de loin» les choses promises, mais qui avaient retenu la parole du Dieu qui ne peut mentir. Les disciples, eux, avaient vu l’accomplissement de la promesse, leur part avait été de voir ce Messie vivant sur la terre. Siméon a exulté en voyant le salut de Dieu en ce petit enfant qu’il tenait dans ses bras. Jésus a pu dire aux siens qu’ils étaient bienheureux de voir ce que plusieurs prophètes et plusieurs rois avaient en vain désiré voir (Luc 10:24).
Mais voici que «le Messie est retranché et n’a rien» (Dan. 9:26). Il est crucifié. «Tous ceux de sa connaissance regardent ces choses» de loin (Luc 23:49), mais Jean les voit du pied même de la croix, et il voit ensuite le sang et l’eau sortir du côté percé : son témoignage à cet égard aura toute sa valeur dans l’avenir pour la restauration d’un Résidu terrestre touché à repentance (Zach. 12:10), mais à cette heure Jésus était mis au tombeau ; et pour ce monde il y est encore.
Plus tard, beaucoup seront stupéfaits en le voyant, et des rois fermeront leur bouche, quand il sera manifesté en gloire (És. 52:14, 15), après que le Résidu, reprenant le fil d’une histoire interrompue par la parenthèse de l’Église, aura vu Celui que la nation a percé (Apoc. 1:7), et aura cru (cf. És. 53). Jusque-là, nul être humain n’aura pu le voir, hormis, de sa résurrection à son ascension, les yeux de ces témoins, ouverts de façon miraculeuse sur le plus grand des miracles. Ils appartiennent ainsi à la fois au Résidu prophétique, figuré plus particulièrement par Thomas, et à l’Église dont ils forment le noyau et qui, quoique dans le monde, est étrangère à ce monde, associée à un Christ vivant dans le ciel. Les mêmes qui avaient suivi un Christ vivant sur la terre lui sont désormais unis comme enfants de son Père. Aussi ne sont-ils pas de simples témoins oculaires : à ce titre seul leur témoignage eût été inefficace, mais ils ont vu et cru. Il a fallu pour cela une opération de la grâce divine en eux. Il vaut la peine de la considérer.
Ils sont bien, assurément, des témoins oculaires, et en nombre plus que suffisant pour que les hommes soient inexcusables de ne pas les croire. Ils l’ont vu vivant, il leur a montré ses mains et ses pieds, ils l’ont touché, ils ont pu se convaincre de la réalité de sa chair et de ses os (Luc 24:39, 40). Il a voulu qu’ils le voient tous, de leurs yeux de chair, et il leur a donné «plusieurs preuves assurées» qu’il était vivant (Actes 1:3).
Mais tous, à l’exception sans doute de la famille de Béthanie qui n’est plus mentionnée après Jean 12, se sont d’abord montrés incrédules à l’égard de ce grand fait. Pierre et Jean voient le sépulcre vide et l’ordre qui y règne, ils croient bien que la tombe n’a pu garder Jésus puisque les preuves en sont là, mais l’Écriture leur reste encore fermée, et ils retournent chez eux, plus étonnés que réjouis (Luc 24:12) ; on pourrait parler d’une foi rationnelle, un peu comme en Jean 2:23, et comme il n’en manque pas d’exemples de nos jours ; elle n’a rien de la glorieuse connaissance du Ressuscité. Pourtant ils avaient entendu leur Maître parler à plusieurs reprises de sa mort et de sa résurrection, et Jean avait vu le sang et l’eau sortir de son côté percé, après sa mort ! Chose bien significative, tous ces disciples ne se croient pas les uns les autres comme témoins oculaires. Quand Marie de Magdala leur dit qu’elle a vu le Seigneur, «ils ne la crurent point» (Marc 16:11) ; et les autres femmes venant rapporter aux apôtres qu’elles ont eu une vision d’anges leur disant qu’il était vivant, «leurs paroles semblèrent à leurs yeux comme des contes, et ils ne les crurent point» (Luc 24:11). Ils ne croient pas davantage les deux disciples allant aux champs et à qui il est apparu sous une autre forme (Marc 16:12, 13). Thomas mettant en doute le récit de ses condisciples n’est ni plus ni moins incrédule que ceux-ci ne l’avaient été : ils étaient avec lui quand Jésus avait «reproché aux onze leur incrédulité et leur dureté de coeur, parce qu’ils n’avaient pas cru ceux qui l’avaient vu ressuscité» (Marc 16:14).
Aussi bien, ceux-là même auxquels il est apparu en particulier ne le reconnaissent-ils que lorsque leurs yeux sont ouverts après avoir été «retenus». Marie de Magdala, dans la scène si touchante où on la voit occupée uniquement de Lui, le coeur brisé parce qu’elle ne trouve nulle part son corps qu’elle veut honorer, ne reconnaît son Rabboni vivant que lorsqu’il l’appelle par son nom. Et que dire des disciples d’Emmaüs dont le coeur brûle sans qu’ils discernent Celui qui les fait ainsi brûler et qui est là, marchant avec eux ? Même sur la montagne de Galilée où, «l’ayant vu, les disciples lui rendirent hommage, ... quelques-uns doutèrent» (Matthieu 28:17).
Il leur a fallu voir pour croire, mais la vue n’est pas la foi, et à elle seule n’a jamais produit la foi. Telle est l’incapacité foncière de la nature humaine. Voir n’est pas croire. Jésus de son vivant avait été vu de multitudes, dans sa vie sainte et son activité, ses miracles, sa prédication, mais cela ne servit de rien, sauf que ceux qui refusaient de se rendre à tant de preuves étaient inexcusables. «Ils ont vu et haï et moi et mon Père». Voir Jésus ressuscité n’aurait pas dessillé leurs yeux (cf. Luc 16:31), et le témoignage oculaire des disciples n’a pas été reçu. Aussi le jugement de ce monde incrédule est-il prononcé au terme du ministère de Jésus, avant sa mort (Jean 16:8-11). Les hommes n’ont écouté ni Moïse, ni les prophètes, ni la Parole faite chair : ils n’ont pas cru «Celui qui parle». La foi ne naît pas des choses visibles, mais elle «est de ce qu’on entend, et ce qu’on entend par la Parole de Dieu» (Rom. 10:17). Les disciples ne sont réellement convaincus de la résurrection de leur Seigneur que lorsque ce qu’ils voient de leurs yeux est établi dans sa relation avec les Écritures, et avec Jésus comme la Parole vivante. Luc 24 montre l’action divine ouvrant des intelligences pour comprendre les Écritures, et Jean 20 Jésus qui parle : «Marie... Paix vous soit... Avance ton doigt ici, et ne sois pas incrédule, mais croyant». Il est proprement merveilleux de voir comment Lui-même, dans la puissance de la vie de résurrection, s’emploie avec autant de patience, de douceur, d’amour, que d’autorité, à ranimer la pauvre foi de ces disciples : il la revivifie de cette vie même, et lui donne un objet nouveau, certes, mais il la replace dans le courant puissant et unique de l’Écriture, lequel porte tous les croyants vers cet objet.
Dieu parle, la foi écoute, et, tournée vers les choses invisibles, elle fait voir les visibles dans la lumière divine. Le croyant passe dans un ordre de connaissance nouveau, propre à une vie nouvelle, donnée et reçue par grâce. Cela est vrai à toutes les époques ; il en a été ainsi, répétons-le, de ceux qui ont précédé la venue du Christ, comme de ceux qui étaient avec Jésus ici-bas, bien que ceux-ci eussent le support visible de sa présence. Mais après sa résurrection et son ascension ils ont eu à croire en lui comme ils croyaient en Dieu, sans le voir. Or, quand ils voient Jésus élevé dans le ciel, ils se réjouissent, preuve qu’ils ont cru le message transmis par Marie de Magdala, les paroles de Jésus durant les quarante jours, enfin celles des anges.
Mais il y a pour eux bien plus encore. Ils sont faits un avec leur Seigneur qui, une fois ressuscité, les envoyant comme le Père les avait envoyés, leur communique l’Esprit Saint (Jean 20:21, 22), et qui, avant d’être enlevé, leur annonce qu’ils seraient prochainement baptisés de cet Esprit. Ils attendent ce baptême avec foi, en priant (Actes 1:5, 14). Et ainsi, détachée de ce qui se voit, leur foi aura le support invisible mais présent, du Consolateur divin, l’Esprit de vie et de vérité. Elle entrera, par Lui, dans les résultats de l’oeuvre de la rédemption pleinement accomplie. Il leur rappellera les choses que Jésus a dites, les conduira dans la vérité, leur apprendra à dire : Abba, Père, et à attendre des cieux Jésus qui doit venir. Il glorifiera le Seigneur Jésus par eux, les faisant dire : «Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité, ce dont nous sommes témoins» (Actes 2:32). Et ceux qui recevront leur témoignage auront part, sans avoir vu, aux inestimables privilèges de leur foi (2 Pierre 1:1).
Ils ont ainsi inauguré le temps de ceux dont Jésus dit : «Ils croiront en moi par leur parole» (Jean 17:20), et pour qui Dieu avait en vue de meilleures choses que pour les pères (Héb. 11:40). Tout ce qui devait être relaté concernant la vie et l’oeuvre du Seigneur Jésus a été prêché, puis écrit, sous l’action de ce Saint Esprit, «écrit afin que vous croyiez» (Jean 20:31). Ceux qui croient ces témoins de chair qui ont vu et cru, reçoivent en réalité la garantie des trois grands témoins de 1 Jean 5:7-9, l’Esprit, l’eau et le sang, d’accord pour un même témoignage, celui de Dieu lui-même. Ce témoignage, ils ne le croient pas simplement comme on croit des hommes, c’est lui qui prend possession d’eux, se place en eux, vit en eux. «Celui qui croit a le témoignage au dedans de lui-même», telle la fontaine d’eau jaillissant en lui en vie éternelle.
Un tel croyant connaît désormais Christ comme les apôtres eux-mêmes ne l’ont pas connu sur la terre. L’Esprit de vérité donne à la foi une vue nouvelle, pour une connaissance intime de Celui que les yeux de la chair ne peuvent voir. Quand Il disait aux siens : «Le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez», il faisait allusion sans doute au fait que ces disciples immédiats verraient et croiraient, mais aussi, par delà, à cette révélation de lui-même par l’Esprit de vérité, qui prend de ce qui est à Christ pour nous l’annoncer. «Nous voyons Jésus couronné de gloire et d’honneur», lisons-nous en Héb. 2:9, «nous contemplons sa gloire à face découverte», dit Paul, et quelle différence, pour lui, avec «connaître Christ selon la chair», en quelque sens que ce soit (2 Cor. 3:18 ; 5:16) ! Il est notre vie, et ainsi elle «est cachée avec le Christ en Dieu» ; mais «quand le Christ, qui est notre vie, sera manifesté, alors vous aussi, vous serez manifestés avec lui en gloire» (Col. 3:3). Alors, espérance bénie et purifiante, «nous le verrons comme il est», lui étant faits semblables, et à jamais nous verrons sa face.
En vérité, «bienheureux ceux qui n’ont point vu et qui ont cru». Ce bonheur est-il la réalité quotidienne de nos âmes ? Il s’agit pour nous d’être occupés de Celui en qui nous avons cru. «Croyant en lui, quoique maintenant vous ne le voyiez pas, vous vous réjouissez d’une joie ineffable et glorieuse» (1 Pierre 1:8). Nos coeurs en rechercheraient-ils d’autres ?